Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 54
Temps de recherche: 0.0668s

science mystique

2 grandes expériences ont fait de moi un théoricien de la conscience.

La première (printemps 1985) était associée à une maladie physique dont le diagnostic était complètement erroné. Cet état modifié de conscience a duré deux semaines.  Son effet fut si profond que je n'ai pas hésité à l'appréhender comme une expérience d'illumination.

Cet épisode a totalement bouleversé ma vision simpliste du monde de physicien des particules. En fait, j'avais de temps en temps l'impression que cette image réductrice du monde ne m'aidait pas du tout dans mes tentatives de comprendre le monde quotidien qui m'entoure. Selon le dogme standard, ces choses macroscopiques (et aussi les êtres vivants) devaient pouvoir être décrites en utilisant uniquement les équations de Newton !  Ma propre expérience insistait sur le fait que ce n'était pas le cas.  Mais j'avais essayé de me dire que je n'avais tout simplement pas la maturité nécessaire en tant que physicien théorique pour tout comprendre.

Cette première grande expérience mérite une description plus détaillée. J'étais allongé dans le couloir d'un centre médical avec un horrible mal de tête et une température élevée.

Puis quelque chose s'est produit.  Je me suis senti totalement calme et paisible. C'était quelque chose d'incroyable. Toute ma vie, j'avais été anxieux à propos de toutes les choses possibles. Et maintenant, je me sentais complètement heureux et détendu. Je ressentais toujours la douleur, mais elle était en quelque sorte extérieure à moi. J'aimais simplement regarder les flux parallèles d'images (comme des dessins animés) qui s'écoulaient devant mes yeux.

Je voyais vraiment mes pensées !  Les images surréalistes et érotiques (comme celles des peintures de Dali, Bosch et Brueghel) dansaient au rythme de la musique que j'entendais dans le haut-parleur.  Il y avait aussi un sentiment de compréhension. Je comprenais tout, même si je ne pouvais pas dire ce que c'était !

Cet état a duré plusieurs jours (peut-être une semaine, je ne m'en souviens pas vraiment) et j'ai vécu de manière très concrète de nombreuses idées archétypales.  Tout d'abord l'idée d'auto-référence que j'ai retrouvée plus tard dans Gödel, Escher, Bach de Hofstadter - un des meilleurs livres que j'ai jamais lu (je l'ai lu 5 fois !). Je me sentais littéralement comme un ordinateur assis à son propre terminal.

J'ai écrit dans mon esprit des questions pour ce super humain-ordinateur et j'ai vu les questions écrites sur l'écran virtuel.  L'ordinateur écrivait immédiatement la réponse.  Soit directement, soit à la manière d'un oracle.  J'ai réalisé que j'étais entré en contact avec ce que j'appelais le "Grand Esprit" et j'ai commencé à poser des questions.  Combien de temps allais-je vivre était bien sûr l'une des premières questions. La réponse était une série infinie de chiffres qui défilaient sans cesse ! Bien sûr, j'ai posé des questions sur l'importance du TGD (Topological Geometro Dynamics - mon grand œuvre).  Il n'y a eu qu'un silence. Peut-être était-ce la diplomatie divine du "Grand Esprit" !

Plus tard, j'ai réalisé qu'il n'était pas nécessaire d'écrire quoi que ce soit sur ce moniteur virtuel. J'ai simplement formulé la question dans mon esprit.  Cette prise de conscience m'a fait me demander si cette personne avec laquelle je discutais était vraiment distincte de moi. Peut-être que, d'une manière mystérieuse, c'est à moi-même que je pose ces questions !  Alors, peut-être que je suis en quelque sorte un "dieu" moi-même ou que je viens de devenir un dieu.  Peut-être sommes-nous tous des dieux !

La solitude avait été l'élément central de ma vie et j'ai en quelque sorte réalisé que les dieux sont probablement des êtres très solitaires. J'ai demandé si nous étions condamnés à être toujours seuls. La réponse était digne d'un oracle. "Tu es un dieu ! (:-).  Le "(:-)" tente d'exprimer le ton amusé de la réponse. Ce n'est que très récemment que j'ai réalisé que ce que j'ai vécu devait être plus ou moins identique à l'expérience Atman=Brahman des religions orientales.

Il y a aussi eu des expériences télépathiques vraiment étonnantes. Et une vision de ma vie personnelle comme une série infinie de vies en tant que mathématicien (qui était ma véritable identité).  Dans ces vies, je rencontrais ma femme encore et encore et nous vivions des vies plus ou moins heureuses. Mais nous nous retrouverions certainement dans une autre galaxie ou peut-être dans une forme d'existence totalement différente. L'une des expériences mathématiques a été que le nombre "3" est en quelque sorte le nombre de base des mathématiques et de toute l'existence. Il s'agit, bien sûr, de la Sainte Trinité des religions et des mystiques.

J'ai eu des visions de vies parallèles que je vis ici sur Terre.  Par exemple, j'ai appris que je vivrais comme un militaire et que je mourrais dans un accident d'avion à une certaine date (dont je ne me souviens plus).

Il y avait aussi l'idée de quelque chose que j'appelais "flogiston" sans me souvenir qu'il s'agissait du fluide calorique introduit dans les premières tentatives de construction de la thermodynamique. C'était quelque chose qui rendait les systèmes vivants vivants et ils se battaient, se tuaient et se mangeaient continuellement pour obtenir ce mystérieux "flogiston". Curieusement, cette vision peut également être considérée comme une anticipation des idées sur les biosystèmes en tant que systèmes quantiques macroscopiques (intrication quantique et condensats de Bose-Einstein à trou de ver).

La deuxième "Grande Expérience" s'est produite pendant les vacances de Noël (probablement 3 ans plus tard, peu avant mon divorce). J'étais très malade, déprimé et amer. Notre mariage était sur le point de se terminer.

Soudain, une paix totale m'a envahie. Je pouvais vraiment pardonner et j'ai senti de manière absolument concrète que mon passé avait changé. D'une certaine manière, toutes les mauvaises actions qui avaient créé de l'amertume en moi ont été annulées. C'était merveilleux de réaliser que ce que nous appelons "notre passé" n'est pas absolu. Au moment de la Miséricorde, cette lourde charge mortelle disparaît.

Il y a eu aussi une sorte d'illumination mathématique. J'ai eu une prémonition sur les nombres p-adiques. J'ai compris que je devais construire une théorie sur les nombres qui étaient infinis mais complètement physiques. Eh bien, j'ai essayé. Mais il m'a fallu deux jours pour me convaincre que je n'avais pas la moindre idée de ce que pouvaient être ces nombres ! J'ai appris bien plus tard l'existence des nombres p-adiques qui sont typiquement infinis comme les nombres rationnels ordinaires.

Peut-être que la prise de conscience la plus importante dans ces deux grandes expériences fut que le problème vraiment intéressant était le mystère de la Conscience.  Dans le même ordre d'idées, j'ai réalisé que le libre arbitre était réel et que, dans un certain sens, notre passé subjectif était une fiction (ou du moins quelque chose de "modifiable").

Toutes ces idées, je les ai redécouvertes par la suite en tentant de trouver une interprétation cohérente pour le TGD, sans même me rendre compte immédiatement qu'une redécouverte était en question.

Auteur: Pitkänen Matti

Info: http://www.stealthskater.com/Documents/Pitkanen_01.do

[ inspiration ] [ songe ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

humanisme

En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m'honorer, ma gratitude était d'autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m'a pas été possible d'apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d'un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d'une lumière crue ? De quel cœur aussi pouvait-il recevoir cet honneur à l'heure où, en Europe, d'autres écrivains, parmi les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ? J'ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m'a fallu, en somme, me mettre en règle avec un sort trop généreux. Et, puisque je ne pouvais m'égaler à lui en m'appuyant sur mes seuls mérites, je n'ai rien trouvé d'autre pour m'aider que ce qui m'a soutenu, dans les circonstances les plus contraires, tout au long de ma vie : l'idée que je me fais de mon art et du rôle de l'écrivain. Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d'amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.

Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas s'isoler; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art, et sa différence, qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien; ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s'ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d'une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel. Le rôle de l'écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou, sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d'hommes ne l'enlèveront pas à la solitude, même et surtout s'il consent à prendre leur pas. Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil, chaque fois, du moins, qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de l'art. Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation. Mais, dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu'il accepte, autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d'hommes possible, elle ne peut s'accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s'enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir- le refus de mentir sur ce que l'on sait et la résistance à l'oppression. Pendant plus de vingt ans d'une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j'ai été soutenu ainsi par le sentiment obscur qu'écrire était aujourd'hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m'obligeait particulièrement à porter, tel que j'étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l'espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la Première Guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s'installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui ont été confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d'Espagne, à la Seconde Guerre mondiale, à l'univers concentrationnaire, à l'Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd'hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d'être optimistes. Et je suis même d'avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l'erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l'époque. Mais il reste que la plupart d'entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d'une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l'instinct de mort à l'œuvre dans notre histoire. Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d'établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu'elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d'alliance. Il n'est pas sûr qu'elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que, partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l'occasion, sait mourir sans haine pour lui. C'est elle qui mérite d'être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C'est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l'honneur que vous venez de me faire. Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d'écrire, j'aurais remis l'écrivain à sa vraie place, n'ayant d'autres titres que ceux qu'il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, toujours partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu'il essaie obstinément d'édifier dans le mouvement destructeur de l'histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu'exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d'avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ?

Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de tout cela. Je n'ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d'être, à la vie libre où j'ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m'a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m'aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent dans le monde la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs. Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer, pour finir, l'étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m'accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n'en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. Il me restera alors à vous en remercier, du fond du cœur, et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence.

Auteur: Camus Albert

Info: Pour sa réception du Nobel en 1957, in "Discours de Suède", Folio-Gallimard

[ écriture ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

vacheries

Le Top 10 des livres que vous n'avez jamais réussi à finir

Quel est le livre que vous n'avez jamais réussi à terminer ? Nous vous avons posé la question sur les réseaux sociaux, et vous avez été plus de trois mille à nous répondre. Voici le top 10 des livres qui vous sont tombés des mains.

On a rarement vu autant de pavés sur les tables des libraires ! Il n'existe pas forcément de lien entre la difficulté à lire un livre, et son épaisseur. Pour autant, cette rentrée littéraire riche en gros volumes nous a inspiré un sondage, que nous avons lancé sur nos réseaux sociaux le 27 septembre : nous avons voulu savoir quels romans vous n'aviez jamais réussi à terminer. Voici donc le top 10 des livres qui vous sont tombés des mains. Ceux qui détiennent la palme de l'ennui, de la complexité, ou du malaise... ! De l'Ulysse de James Joyce, au Voyage au bout de la nuit, de Céline.

1. "Ulysse", de James Joyce

La palme du livre le plus difficile à terminer revient sans conteste à l'Ulysse, de Joyce. Si ça peut ôter des scrupules à certains, notez que lors de sa parution, en 1922, Virginia Woolf elle-même l'avait jugé "prétentieux" et "vulgaire" !

Je n'y arrive pas. J'ai testé deux traductions différentes. J'ai même essayé en anglais. J'ai tout essayé. Impossible. Pour moi ce texte ne fait aucun sens. Je n'ai jamais dépassé la page 50. Marie-Claude

À la centième page ça lasse. Et il y en a bien plus ! Pourtant j'ai essayé trois fois. La dernière fois j'étais en Turquie : le livre y est resté. Échangé contre un polar dans une auberge. Moins bien écrit, mais lisible ! Delphine

Trop longuement perché pour moi, décourageant quand on pense que ces mille pages ne représentent qu'une journée narrée ! @Antilabe

Très touffu, assez opaque, nécessite, je pense, pour être bien compris, de solides connaissances en art littéraire, ou en tout cas d'avoir un parcours littéraire très développé, pour mettre à nu l'architecture du roman. Alexis

Ils disent tous que c'est immense mais quand tu prends le livre sur les étagères, à partir de la page 10 c'est du papier Canson. @xabicasto

Si vous cherchez à dompter l'Ulysse de James Joyce, vous pouvez commencer par réécouter ces Nouveaux chemins de la connaissance d'octobre 2014. Pour parler du roman, Adèle Van Reeth recevait Jacques Aubert, universitaire et éditeur des œuvres de Joyce (et de Virginia Woolf) dans la Bibliothèque de la Pléiade.

2. "Les Bienveillantes", de Jonathan Littell

Médaille d'argent pour Les Bienveillantes, prix Goncourt 2006, qui, à en croire vos témoignages, a donné la nausée à un certain nombre d'entre vous ! Notamment à cause d'une identification au narrateur (un ancien SS), vécue difficilement...

Une plume sublissime. Mais je finis par m'identifier au "je".... et je vomis. Impossible de prendre du recul tant l'écriture est puissante. Géraldine

J'ai étalé ma lecture sur neuf mois... malgré tout, impossible d'arriver au bout. Trop long, trop lourd, trop sordide, trop d'abréviations qui renvoient le lecteur tous les quatre paragraphes au glossaire de fin d'ouvrage (tout est en allemand) !! Je n'ai pas réussi, ni voulu me familiariser avec ce tout. Jeanne

Ce livre m'a plongée dans une angoisse monstre. Jusqu'à me poursuivre la nuit, sous forme de cauchemars... je l'ai arrêté à contre-cœur car je le trouvais aussi fascinant que perturbant. Anaïs

Le décalage, certes voulu, entre l’horreur des faits évoqués et la froideur du récit m’était insupportable. Par ailleurs, le profil du narrateur me semblait peu crédible et sans intérêt : sur neuf-cents pages, c’est long. Stéphane

Je n'ai pas trouvé la grille de lecture, pas compris le sens. Absence d'émotions, même négatives. Un catalogue d'horreurs aseptisées. Si quelqu’un peut m'aider à comprendre ce qui lui a valu le Prix Goncourt, je suis preneur. Geoffrey

En décembre 2006, année de publication des Bienveillantes, l'émission Répliques se posait la question de savoir si le succès de ce roman historique sur le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, était ou non choquant. Au micro, la journaliste Nathalie Crom, qui qualifiait ce roman de "stupéfiant", mais aussi l'un des détracteurs de l'ouvrage, le philosophe Michel Terestchenko, qui le considérait comme "un mélange de lieux communs, de platitudes et de clichés" :

3. "À la Recherche du temps perdu", de Marcel Proust

Le bronze revient sans surprise à Marcel Proust, mondialement connu pour ses phrases interminables, et à son oeuvre cathédrale, À la recherche du temps perdu. Rappelons qu'en 1913, Gallimard avait dans un premier temps refusé de publier Du côté de chez Swann.

C'est illisible. Des paragraphes qui font cinq pages, des phrases qui n'en finissent jamais... Un éditeur moderne ne l'aurait jamais publié ! Pierre

Longtemps je me suis couchée de bonne heure... pour lire, mais celui-là m'a complètement endormie. @Tlih_Eilerua

Quand j'avais 15-16 ans, il a même traversé la fenêtre et a atterri dans la rue. Je trouvais ce livre insupportable. Olivier

C'est tellement riche et beau qu'après avoir lu une page, il faut la savourer et la méditer avant de passer à la suivante. Et après une dizaine de pages, je ressens comme un trop plein, une sorte d'écœurement. Rémi

Ah, "La Recherche"... Arrêtée au Temps retrouvé ! @TataMarceline

Les lecteurs du XXe siècles ont-ils eu du mal, eux aussi, à entrer dans La Recherche du temps perdu ? Pour le savoir, réécoutez ce Lieux de mémoire diffusé sur notre antenne en 1997. Antoine Compagnon et Jean-Yves Tadié y racontaient leur première lecture de La Recherche, et expliquaient comment donner envie de lire cette oeuvre... voilà qui tombe plutôt bien !

4. "Le Seigneur des anneaux", de J. R. R. Tolkien

La trilogie de Tolkien, parue entre 1954 et 1955, a recueilli également de très nombreux suffrages ! Beaucoup d'entre vous n'ont notamment pas su dépasser le très long préambule consacré aux mœurs des Hobbits et à leur vie dans La Comté.

Après avoir eu l'impression de passer une vie à errer dans la forêt, j'ai lâché l'affaire. @manel_bertrand

Le style, les longueurs, l'ennui... ! J'ai essayé de zapper les passages du début, comme on me l'avait conseillé. Mais rien à faire, je ne suis jamais arrivé à entrer dedans. Pourtant j'ai lu "Le Hobbit" facilement, ainsi que d'autres œuvres de fantasy. Sandrine

Au milieu du troisième tome, j'avais perdu tout intérêt de savoir si le bien allait triompher du mal. @emilycsergent

Tolkien, on aime, ou pas. Mais il faut reconnaître que l'écrivain était prodigieusement inventif, capable de créer un univers entier, doté de sa géographie particulière, et de ses langues singulières. En 1985, France Culture s'intéressait à ses inspirations, depuis le poème anglo-saxon de Béowulf, jusqu'aux légendes celtiques, en passant par les anciens livres gallois :

5. "Belle du Seigneur", d'Albert Cohen

Vous n'y êtes pas allés avec le dos de la cuillère pour dire votre incapacité à venir à bout du roman-fleuve de l'écrivain suisse francophone, publié en 1968 ! Joseph Kessel l'avait pourtant qualifié de "chef-d'œuvre absolu"...

J'avais l'impression de voir l'auteur se donner des tapes dans le dos et s'auto-contempler en train d'écrire. J'ai rarement lu quelque chose d'aussi satisfait et suffisant. Pas un personnage pour rattraper l'autre, on a envie de leur mettre des baffes à la Bud Spencer, à tour de rôle. Aucun humour en fait, pas de place pour l'autodérision, Cohen se prenant bien trop au sérieux. Samia

J'avais très envie d'aimer ce livre. Mais la scène où son sentiment pour le jeune homme bascule était tellement rapide et illogique, que ça m'a tout fichu en l'air. Je trouvais tout le monde tarte, j'ai arrêté au bout de deux-cents pages et je n'ai pas regretté. Solène

Impossible, malgré trois essais et à des années d’intervalle. Rien à faire. Ecriture trop poussive, métaphorique à l’excès, détails à foison... Impossible pour moi, grande lectrice et professeur de littérature, d’apprécier ce roman pourtant salué de tous. Françoise

En 2006, dans Carnet nomade, des artistes, des chercheurs et des zélateurs d'Albert Cohen venaient raconter leur lecture personnelle de Belle du seigneur. Nombre d'entre eux trouvaient à ce livre "humour, ferveur, et intelligence". Sauront-ils vous convaincre ?

6. "L'Homme sans qualités", de Robert Musil

Paru en 1932, le roman inachevé de l'écrivain autrichien Robert Musil a également fait consensus. Mille huit cents pages... on ne vous trouve pas très endurants !

Les premiers chapitres m'ont ravi : ce style et cet univers m'ont très vite pris. Pourquoi alors, au fur et à mesure, cette sensation d'enlisement, de stériles redites, d'absurdité, de vanité ? Et malgré tout l'impression saisissante de passer à côté de quelque chose d'énorme, pour lequel je ne serais pas outillé... Patrick

Des passages lents et interminables, et quelques éclats de génie qui m'ont fait m'accrocher jusqu'à la moitié (du premier tome), c'est déjà une performance. Méli

J'ai essayé maintes et maintes fois, il me tombe des mains et finit toujours sous mon lit ! Martine

Les premières pages sont prodigieuses, puis la magie disparaît. Musil ne l'a pas fini non plus ! @BrouLou

Et vous, êtes-vous parvenu(e) au bout de la grande oeuvre de Musil, qui met en scène des personnages ambivalents et en quête d'équilibre dans un monde en pleine mutation ? Peut-être que l'écoute de ce Une vie, une oeuvre, diffusé en 1989, vous décidera à en tenter ou en retenter la lecture !

7. "Le Rouge et le Noir", de Stendhal

Pour l'écrivain britannique William Somerset Maugham, il fait partie des dix plus grands romans jamais écrits. Pourtant, le grand classique de Stendhal, publié en 1830, vous tombe des mains ! Peut-être est-il trop étudié en classe ?

J'ai craqué au bout de quelques chapitres. Une à deux pages pour décrire une tapisserie de salon ou d'antichambre... juste imbuvable ! Nathalie

J'avais en permanence envie de secouer les protagonistes, insupportables de mollesse, à contempler leurs sentiments et émotions sous toutes les coutures (je reste polie). Je les hais. J'ai fini par jeter l'éponge, ce qui ne m'arrive jamais. Marie

Obligée de le lire à l'école deux années de suite, car la même prof de français. Je crois bien ne pas être allée jusqu'au bout, et ça m'a dégoûtée de la littérature classique ! Christine

Le professeur de littérature française Yves Ansel saura-t-il réconcilier les lecteurs avec Stendhal ? Il était venu en 2014, parler de ce fameux roman dans Les Nouveaux chemins de la connaissance :

8. "Madame Bovary", de Gustave Flaubert

Il ne pouvait pas ne pas faire partie de ce top 10 ! Il faut dire que Flaubert a tendu le bâton pour se faire battre : en écrivant ce roman publié en 1856, son but assumé était bel et bien de "faire un livre sur rien".

Alors que j'aime beaucoup Flaubert - j'ai adoré "Salammbô" ! -, je n'ai jamais réussi à finir "Madame Bovary". Je suppose que Flaubert est tellement doué pour décrire l'ennui d'Emma que cet ennui m'a gagné aussi. C'est un personnage qui m'ennuie, et m'agace... Certainement pour des raisons personnelles ! Caroline

Tous les personnages sont médiocres, lâches, stupides, on ne peut pas s'identifier à eux. Il faudrait que je m'y essaye à nouveau ! @AudeJavel1

Je n ai jamais pu aller plus loin que le mariage. Ça m'ennuyait trop. Un livre qui ne tient que par son style, ça ne m'intéresse pas. Il faut qu'il se passe des choses. Je suis peut être trop parisienne ? Caroline

En août 2017, nous consacrions un article à la manière dont Flaubert avait révolutionné l'écriture romanesque avec Madame Bovary. Car dès sa publication, en 1856, le roman choqua d'abord par son style, avant même d'être mis en procès pour son caractère "licencieux" l'année suivante. De quoi peut-être rassurer le lectorat récalcitrant !

9. "Cent ans de solitude", de Gabriel Garcia Marquez

Trop de personnages, et une traduction jugée "laborieuse" pour certains. La grande oeuvre de Gabriel Garcia Marquez (Nobel de littérature en 1982), parue en 1967, a dérouté un bon nombre d'entre vous ! Après tout, peut-être que l'on peut se contenter de la première phrase du roman, connue comme l'un des incipits les plus célèbres de la littérature : "Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendía devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace."

Une oeuvre géniale dans laquelle je me suis plongé à corps perdu. Et puis, je ne sais plus quand, j'ai arrêté de le lire pendant une deux semaines. Et quand j'ai voulu m'y remettre, je ne savais plus qui était qui dans cette histoire (fichus Buendia avec leurs prénoms mélangés !), et j'ai abandonné. Lucas

J'ai eu l'impression de rentrer dans un monde distorsion avec des malheurs sans fin, je n'en pouvais plus. Anne-Sophie

Je ne sais pas pourquoi les éditeurs n'insèrent pas un arbre généalogique ! C'est bien ça qui manque pour le terminer... Dee Dee

En 1970, sur France Culture, l'émission Les Voix étrangères s'intéressait à Cent ans de solitude : "Il arrive parfois qu'un livre refuse sa condition de livre. La condition d'un volume que chacun ouvre ou pose à son gré, pour faire irruption dans la vie quotidienne du lecteur, s'installer d'un air résolu dans les rêves, mais aussi dans la conversation familiale du soir", commentait la critique littéraire Ugne Karvelis.

10. "Voyage au bout de la nuit", de Louis-Ferdinand Céline

"Voyage au bout de l'ennui", le jeu de mots est facile, mais vous êtes nombreux à l'avoir osé ! En avril 1932, Céline promettait pourtant à Gaston Gallimard que son roman était "du pain pour un siècle entier de littérature" !

J'avais et j'ai toujours l'impression que le vieux Céline sortait comme un diable de sa boîte à chaque ponctuation, ricanant, insultant et grinçant. Cette vision récurrente m'effraie encore, rien que d'y penser. C'est le seul livre que j'ai jeté au travers d'une pièce, de peur et de rage. Le seul roman qui me renvoie à un perpétuel effondrement. Hélène

Bien que je trouve l'écriture de Céline fascinante et d'une intelligence rare, le dernier tiers me laisse toujours moralement le cœur au bord des lèvres. J'avance toujours un peu plus mais ne le termine jamais. Stéfanie

J'ai essayé deux fois : style apprécié, mais c'est le contexte, je n'arrive jamais à garder mon attention quand l'objet parle des guerres du XXe siècle. Je ne saurais même pas dire si c'est par ennui ou par dégoût de cette période. Oda

,

Auteur: Internet

Info: Combis Hélène, https://www.franceculture.fr, 06/10/2017

[ survol littéraire ]

 
Commentaires: 2
Ajouté à la BD par miguel

refus

Jours, années, vies. Les arbres avaient perdu leurs parures multicolores. C’était ça : elle se trouvait pile à cette conjonction des trois boucles. L’entame du dernier quart. La journée avait dépassé sa dix-neuvième heure, l’hiver était là et Emma se préparait à fêter ses soixante et un ans. Anniversaire dont elle avait fait le symbolique début de l’hiver de sa vie.

Encore récemment elle avait le sentiment de commencer à jouir de la sérénité de son âge. Jusqu’à l’arrivée du gosse.

Emma l’albanaise n’en revenait pas.

Imaginez : vous êtes en charge du service psychiatrique d’un hôpital Suisse. On vous amène un petit garçon, noiraud aux cheveux ondulés, Jean-Sébastien. Enfant sans aucun problème apparent selon toutes les informations et surtout ses proches. Un gosse qui a été éduqué tout à fait correctement dans ce pays, dans son pays : la Suisse. Diagnostic du corps médical : anorexie mentale. Le gosse refuse de s’alimenter et même, surprise, a sa propre auto-évaluation, affirmée : je refuse de vivre mon général. Un credo presque annoncé avec humour.

Après quelques jours tout le personnel de l’immense hôpital en parlait. Une anorexie à neuf ans, c’était déjà exceptionnel, quoi qu’on commençait à en voir apparaître dans les statistiques occidentales, mais ce gosse avait une telle tranquillité, une conscience, comme si son regard et ses appréciations liquidaient d’un coup la raison d’être, l’existence même de la structure hospitalière. Et tout le reste. Une gifle pour le Monde. Pour tous. Les êtres humains. Un déni.

Le tapis de feuilles mortes rassemblées devant les escaliers par un jardinier l’obligea à faire un crochet. Elle lança un sourire à l’homme au balai qui le lui rendit.

Selon le garçonnet, la vie ne valait pas la peine d’être vécue, point. Et les bipèdes adultes de son espèce, malgré tous leurs efforts, n’y changeraient rien. L’amour conjugué de ses proches, les visites de ses camarades, l’abnégation souriante des infirmières, l’attention soutenue de la doctoresse en chef… rien n’avait pu infléchir sa décision. L’enfant au regard foncé répétait et déclinait en souriant :

- Je ne suis pas fait pour vivre.. je suis de trop, c’est évident…

Les infirmières comprenaient confusément que le gosse ne voyait pas pourquoi ce monde méritait encore d’être connu, exploré. C’était juste une non envie d’entrer en matière. Ses parents, elle secrétaire, lui mécanicien, n’avaient rien de particulier. Des gens simples, adorables. Le fiston l’assurait lui-même : il n’avait rien à leur reprocher, surtout pas de l’avoir amené à la vie, au contraire, surtout pas…. Son expérience restait irremplaçable. Il insistait : irremplaçable. Leur expliquant : vous n’y pouvez rien, mes amours, mes chéris… c’est comme ça. Il parvenait à même leur remonter le moral.

Dans le hall, l’hôtesse d’accueil lui adressa le salut matinal routinier derrière son grand vitrage.

Une semaine après l’arrivée du malade, un collègue d’Emma, Pierre B, vieux médecin, était venu trouver l’enfant sous un prétexte imaginaire. Quelques heures plus tard il prenait la doctoresse à part au détour d’un couloir :
- Je suis bouleversé, je reviens des Andes… ici les magasins, les rues, tout m’inspire une aversion irraisonnée. Les fêtes qui approchent, la foule des acheteurs, les corps pétant de cholestérol, le fric… C’est affreux, le seul endroit où je me sens mieux c’est ici, à l’hôpital. L’argent me gêne, il envahit tout… je ne vois plus des personnes, mais de petits amas de pognon, de mesquines solitudes feutrées, comme si les gens n’avaient pas besoin les uns des autres, comme s’il n’y avait plus de communauté…

La médecin chef lui répondit sur le ton de la plaisanterie, expliquant que ce n’était pas professionnel, qu’il fallait maîtriser ses émotions.

Elle se dirigeait vers la chambre du petit, ses pas étouffés par l’épais revêtement de linoléum gris. Emma, qui avait réussi, à force de volonté, à se faire sa place de médecin dans la société occidentale, se disait que dans son pays, en Albanie - elle y retournait chaque année - ce genre de syndrome n’apparaissait pas. Jamais. Encore moins chez des êtres si jeunes.

L’infirmière de garde lui indiqua que le petit venait de s’endormir.

Tous pouvaient observer, impuissants, les parents du môme déployer des trésors d’imagination pour essayer de le sortir de ce qu’ils voyaient comme une torpeur incompréhensible. Ils avaient proposé, l’air de rien, d’aller observer un volcan en éruption, d’affronter les cinquantièmes hurlants en catamaran…. Lui les remerciait d’un sourire. Il comprenait parfaitement la démarche, leur expliquait que d’autres que lui seraient enchantés d’aller suivre en direct les ébats amoureux des baleines au large de la Californie, ajoutant que ce devrait être facile d’emmener des enfants défavorisés jouer dans l’eau avec des dauphins. Pas lui.

***

Ce soir là, au sortir de son travail elle croisa la gérante du petit supermarché voisin, une femme d’âge mûr aux grands cheveux frisés, pleine d’ardeur, avec qui elle avait de bons rapports. Elle ne put s’empêcher de lui parler de l’enfant. La dame la transperça de son regard bleu. Deux vrilles sous la masse crépue.

- Mon Dieu, le pauvre chéri… il est trop intelligent….

Elle avait tout dit. Et puis elle rentra. Il fallait prendre le courrier, faire manger les enfants. Il faisait déjà nuit.

***

Le lendemain en fin de matinée la doctoresse quitta son service un peu plus tôt qu’à l’accoutumée, préoccupée. Elle était de plus en plus frustrée parce que depuis plusieurs jours le gamin sommeillait durant la journée alors qu’elle aurait vraiment voulu essayer de communiquer avec lui. Ce qui l’amena à couper la priorité à’un automobiliste, qui, après avoir ouvert sa vitre latérale lui lança, rigolard. "Je comprends maintenant pourquoi vous êtes passée devant un million de spermatozoïdes, vous êtes un hymne à la précipitation… à l’engouffrement". Elle se surprit à sourire, libérée pour un instant du monologue intérieur nourris par l’image du jeune être en train de se faner. Elle se sentait comme enceinte mentalement de lui. De cet homme. Oui, c’était bien un homme… puisqu’il était en fin de parcours, sur sa propre décision. Puisqu’il leur parlait autrement, couché dans son lit trop grand, comme une sorte d’enseignant cosmique, loin de leurs volontés absurdes de vouloir avoir une prise sur le réel. Il avait annoncé la couleur à son arrivée à l’hôpital :

- Je ne veux pas me soigner parce que plus je vais mal mieux je me porte.

Ainsi, après deux semaines d’hospitalisation il avait nettement faibli. Il fallait maintenant faire un effort d’attention pour le comprendre, lui parler doucement et distinctement. Lui restait imperturbable, ses grands yeux marrons brillants d’une sérénité de fer.

***

Emma avait accepté de dîner avec son ami Miguel, helvète de vieille souche, qu’elle appréciait pour cette raison mais aussi parce que son humour self destructeur l’amusait. Il l’accueillit, goguenard, après avoir brièvement jaugé la voiture qu’elle venait de s’acheter.

- Attention ! Je ne vais bientôt plus accepter de te voir, notre amitié va s’achever… regardes-toi un peu, tu es déjà plus Suisse que moi…. mon Dieu la bourgeoise ! J’ose pas t’imaginer dans dix piges ?
- Tu veux dire ?
- Que tu es de plus en plus organisée, aseptisée, maintenant presque riche…. Il ne te manque plus qu’un peu d’inhibition.. Peut-être aussi de réprobation dans l’attitude.
- T'es dur Miguel
- Tu sais bien que le succès et l’argent nous éloignent de l’essentiel.
- C’est quoi l’essentiel ?
- La vie
- Tu en es sûr ?

Elle ne lui parla pas du gosse.

***

De retour à l’hôpital elle aperçut Pierre B. en discussion avec les parents de Jean-Sébastien. Tous se firent un petit signe de loin. Elle monta dans son service, traversa les couloirs déserts pour aller le voir. Il somnolait et réagit mollement lorsqu’elle lui prit la main, esquissant une moue. Elle resta ainsi, assise sur le lit arrosé par l’éclairage crû.

Qui avait chanté un jour que la lumière ne fait pas de bruit ?

Son regard glissait sur les choses. Elle pensait à sa vie, à la vie. Pourquoi se retrouvait-elle médecin… dans ce pays ? Fourmi parmi les autres fourmis. Quelle était la société qui pouvait produire de tel effet sur ses petits ?… Sa pensée se fixa sur des connaissances côtoyées récemment ; une clique d’artistes quadra et quinquagénaires, presque tous issus de la bourgeoisie locale qui, malgré la mise en place de façades plus ou moins réussies, assorties de quelques petites excentricités d’habillement, représentaient pour elle la société dans laquelle elle vivait. Ils formaient un de ces clans ou les individus se rassemblent plutôt par crainte de la marginalité et de la solitude que par de réelles affinités. Sérail ou l’on se fait la bise comme les stars de la télévision ; pour marquer sa différence, son appartenance à un cercle qui serait plus humain, plus averti. Tels étaient donc les révoltés ?… Les artistes ?... quelles étaient donc leur réflexions ?. Assise sur le lit sa main autour de celle du gosse Emma se demandait s’il ne fallait pas voir chez eux une forme d’élitisme atroce, imbécile, destructeur, soumis aux conventions, aux diplômes, loin de la vie, la vraie, celle avec les excréments, les coups, le sang, les hurlements. Vivaient-ils réellement, ces gens encoconnés qu’elle avait vu ignorer ostensiblement ici une caissière édentée ou là un clodo en pleine cuite. Qui, lors des fêtes réunissant les familles, paraissaient tout de suite excédés par leurs enfants, comme s’ils ne les avaient pondus que par convention, par simple peur de la mort, par ennui. Dans son pays à elle la jeunesse était synonyme de joie, de plaisir.

… mais qu’ont-ils de différents des autres humains, somme toute... ne suis-je pas comme eux ?

Jean-Sébastien gardait les yeux fermés, la respiration régulière. Elle caressa doucement le maigre avant-bras que la perfusion prolongeait de manière incongrue.

***

Cette nuit là elle eut ce rêve : Il y avait, lors d’une grande réunion de diverses familles, une scène de discussion animée entre adultes. Les enfants présents - les siens y étaient, tout comme Jean-Sébastien - enthousiastes comme toujours amenaient continuellement des interruptions qui dérangent la continuité des phrases, si sérieuses, des adultes. Coupures qui, à la longue, entraînèrent quelques haussements de voix puis, finalement, l’enfermement de Jean-Sébastien dans une voiture. Il y eut alors un zoom arrière et les humains se transformèrent en arbres. C’étaient les mêmes individus mais qui en sapin, en hêtre, etc.. Et, dans un film accéléré, elle put alors contempler la nouvelle forêt ainsi formée endurer la douce agression des jeunes pousses qui, après s’être hardiment insinuées au pied des grands troncs, s’accrochaient ensuite au premières frondaisons, avant de vaillamment titiller les niveaux supérieurs et d’émerger au sommet pour faire partie de la Pangée. Voir le soleil.

Elle se retrouva assise sur son lit, en nage. Et l’enfant dans la voiture ?… Pourquoi ces plages temporelles mélangées ?… Pourquoi Jean-Sébastien n’avait-il plus cette volonté de monter, de toucher les crêtes… cette curiosité de la vie ?


***

Les forces du gosse déclinaient doucement, implacablement. L’esprit imperturbable et sans tristesse il continuait de communiquer au maximum de ses possibilités, c’est à dire qu’à ce stade il ne faisait plus qu’acquiescer ou rejeter. Mais il observait. Emma, incrédule, attendait quelque chose. Elle ne savait pas exactement quoi : une forme de culpabilisation du gosse, des parents… de grands transports d’émotion avec la famille. De culpabilisation elle n’en vit point. Quand à l’émotion, il y en avait. Beaucoup. Mais tout le monde se maîtrisait.

On le sentait se détacher, comme un fruit. Le temps du silence mûrissait.

***

Il y eut alors ce colloque, une journée/rencontre prévue de longue date où le professeur P., grande ponte allemand de pédopsychiatrie, fit état de l’augmentation sensible des cas d’anorexie chez les enfants en occident. Dans la continuité ils reçurent communication du travail d’une équipe de chercheurs Hindous où étaient explicitées la progression et l'incidence constante des problèmes psychiques de la jeunesse dans les sociétés industrielles. Un médecin psychiatre japonais vint ensuite parler des difficultés rencontrées dans son pays. On commençait à y voir de plus en plus de groupes de discussion sur Internet qui amenaient - et poussaient parfois - de jeunes nippons à se suicider ensemble. Puis il y eut ce rapport sur une maladie mystérieuse affectant plus de 400 enfants de requérants d'asile en Suède, issus la plupart du temps de l'ancienne union Soviétique et des états yougoslaves. Ces enfants tombaient dans une dépression profonde et perdaient la volonté de vivre. Pour finir une intervenante vint expliquer comment les résultats de son étude sociologique de la Suède montraient que la courbe des suicides était inversement proportionnelle aux difficultés économiques. En bref, lors de temps difficiles les gens se suicidaient moins….

Tout ce monde se retrouva ce soir là au milieu de la chaude et joviale l’atmosphère d’une brasserie pour un repas en commun bigarré qui concluait le colloque. Les participants à la conférence confabulèrent bruyamment de tout, sauf de problèmes professionnels. Emma aimait ce genre de brouhaha. Il était passé minuit quand elle rentra. Excitée par l’alcool elle se prépara un grand verre d’eau, prit la zappette et s’installa devant la télévision. Les informations présentaient un sujet sur les prévisions alarmistes quand au réchauffement de la planète. Apparut ensuite sur le plateau l’abbé X qui se faisait le porte-parole des voix innombrables dénonçant le petit nombre de riches - toujours plus riches - et celui, toujours plus grand, des pauvres - toujours plus pauvres. Puis ce fut l’interview d’un politicien qui exprima les craintes suscitées par le comportement paranoïaque de l’empire américain. La rubrique suivante montra une manifestation écologiste européenne. On pouvait y voir des manifestant défiler avec des pancartes qui disaient : "Ressources de la terre en danger " "Consommation galopante, Halte !". "Surpopulation, manque de contrôle !". Le journal se termina par les infos économiques et la progression boursière spectaculaire d’une entreprise pharmaceutique qui développait un médicament contre le diabète, maladie en constante progression chez l’individu moyen - trop gros - des populations américaines et européennes, phénomène qu’on voyait maintenant émerger en Asie. Tous les espoirs étaient permis pour la jeune entreprise.

Dans la salle de bain elle posa cette question muette à son reflet, dans la glace : - Jean-Sébastien entend-il la même mélodie du monde que toi ?

Son mari grogna légèrement lorsqu’elle lui imposa sa présence dans le lit, le forçant à se déplacer.


***


Elle démarrait fréquemment sa matinée par cette pensée de la tradition zen : "un jour, une vie". Après le départ des enfants pour l’école, elle pouvait profiter d’un petit printemps personnel réservé, enfance de sa journée. Moments d’énergie, de fraîcheur, d’optimisme. Tout ce que Jean-Sébastien aurait normalement du vivre en cette période matinale de son existence de jeune mammifère. Alors qu’en réalité il était comme avant d’aller se coucher. Certes son cycle d’existence, sa fin de vie coïncidaient avec la saison hivernale, mais pas avec la bonne synchronisation. Pas du tout.

Elle se confectionna un nouveau café.

Emma avait toujours perçu les mômes comme de grands initiés, dotés d’un sens aigu du mystère, au bénéfice de la fraîcheur de perception qu’ont les étrangers qui pénètrent une contrée inconnue. Confrontée à Jean-Sébastien elle en arrivait à se demander s’il n’avait apporté avec lui les souvenirs de quelque chose d’antérieur, les réminiscences d’une source fabuleuse. Quels pouvaient donc bien être ses critères de jugement ?… en avait-il ?… était-ce du pur instinct, du laisser aller ?. Il avait l’air si équilibré… Ou alors, était-ce diabolique ?… Non, il était trop jeune, trop dans le timing. Trop conscient.

Elle ne savait comment exprimer son sentiment. Ce garçon était comme au delà - ou en deçà - des mots. Un pur poète. Comme s’il avait affirmé que les bateaux ne flottent que depuis Archimède et que tout le monde ait acquiescé. Comme s’il avait décrété que le vent est créé par les arbres sans que personne n’en doute.

Elle voyait vivre ses enfants dans un monde qui n’était pas le sien, celui des grands. Ils n’avaient qu’un intérêt restreint pour la politique, la philosophie de la vie et de ce genre de choses. Leur occupation sérieuse principale c’était le jeu. En tout cas en apparence. Elle ne pouvait se résoudre à leur parler de Jean-Sébastien, d’abord pour garder sa vie privée intacte de ses activités professionnelles. Et puis quelle pouvait être la famille ou l’on aurait abordé de pareils sujets philosophique sérieusement, longuement et profondément, avec les enfants ?... Les siens posaient des questions certes, son mari et elles y répondaient, mais cela restait superficiel. Ces sujets intéressent les mômes mais leurs réflexions lui paraissaient trop courtes. Ou alors leurs forces de vies leurs interdisaient de s’arrêter sur ce genre de réflexions

Mais comment un gosse qui ne voyait plus la réalité avec aucun étonnement s’était-il forgé ?… D’où venaient ses certitudes ?… Était-ce possible qu’un de ses enfants un jour ?…

Elle rassembla ses affaire : sac, clefs, s’habilla. Il fallait en tout cas encore essayer. Encore.

***

Ce vingt décembre Jean-Sébastien dormait si profondément, en état comateux, qu’Emma invita ses parents à la cafétéria pour un café. La communication entre eux ne nécessitait presque plus de mots, artificielles constructions sans intérêt. Au réfectoire ils eurent à subir les activités sauvageonnes d’un groupe d’enfants. Jeunes excités, en mal de cette existence avérée que conforte la réaction témoin de grandes personnes prises en otage-spectateur-cible. Elles ressentit beaucoup de gratitude à l’endroit des emplâtres gesticulants et bruyants qui tentaient d’accaparer attention et champ de vision des adultes.

**

Au milieu de tous ses questionnements, Emma eut l’honnêteté de s’avouer qu’elle l’admirait. Mais quel était son secret… Qui était ce vieux maître… ce fou ?… Elle ne parvenait pas à le voir comme un malade et ressentait même quelque chose qui ressemblait à de la reconnaissance. La jeune créature lui permettait de rétablir une sorte de connexion avec un infini qu’elle avait oublié, trop absorbée par sa vie, par ses obligations. La vitesse.

Le mioche lui dilatait la conscience.

**

Jean-Sébastien mourut la veille de Noël.

Enfin pur esprit.

Auteur: Mg

Info: Jean-Sébastien. D'après une histoire vécue. 2002.

[ histoire courte ] [ automne ]

 
Mis dans la chaine

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste