Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 7
Temps de recherche: 0.0381s

féminisation des mots

[...] notairesse, mairesse, doctoresse, chefesse (…) riment fâcheusement avec fesse, borgnesse et drôlesse, n’évoquant la duchesse que de très loin. Tranchons entre recteuse, rectrice et rectale…

Auteur: Fumaroli Marc

Info: La querelle du neutre, Le Monde, 31 juillet 1998

[ équivoques ] [ dénigrement ] [ humour ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

doctoresse

Elle n'agit peut-être pas toujours dans les règles, mais c'est le meilleur médecin que je connaisse !! Elle se moque du pouvoir ou de l'argent, elle ne pense qu'à ses patients !!

Auteur: Hojo Tsukasa

Info: Rash! tome 1. Dixit un fervent admirateur de Yuki

[ altruisme médical ] [ efficacité ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

pensée-de-femme

Notre réelle et universelle infériorité réside dans une absence presque totale de forces défensives. Une telle affirmation semble hasardée et démentie par les faits, par les propos courants : "Oh ! Les femmes sont très fortes ", dit-on volontiers, "plus fortes que nous" ajoutent les hommes.
Il s’agit ici, bien entendu, de la force des esclaves, faite de ruses et de trucs triomphants. Mais ne nous dissimulons pas l’évidence, cette force là n’est qu’une faiblesse mal déguisée…. Nous n’atteignons jamais par les moyens détournés qu’à une Défaite décorée du nom de Victoire.

Auteur: Grouès Louise Héra Mirtel

Info: Une doctoresse aux Alpes et autres textes. Forces défensives in : Le Semeur /L’Entente, n°9, 13 décembre 1906

[ féministe ] [ femmes-hommes ]

 

Commentaires: 0

pandémie

La neige a bloqué ma porte en cette belle nuit de décembre et pourtant il faut partir. Une terrible épidémie de diphtérie s’est déchaînée sur la vallée. Elle a commencé par Barcelonnette, et comme nombre d’enfants des campagnes sont pensionnaires dans les établissements scolaires de la petite ville, en les licenciant pour éviter les foyers de contagion, on a répandu le mal. Il sévit brutal et intense sous les chaumes.
(...)
À la ville on l’enraye encore, on le domine à coups de sérum. Mais dans les hameaux à peine accessibles aux chamois, dans ces demeures solitairement campées entre le rocher échancrant les nuages et la forêt tapissant les pentes jusqu’à l’abîme où rugit le torrent, les petits souffles frêles s’éteignent en grand nombre sous l’étreinte du fléau. Et je croise souvent, dans mes courses aux maisons désertes et infectées par l’horrible mal, un traîneau ouvrant les chemins neigeux à un petit cercueil suivi de quelques femmes en pleurs. C’est que je n’ai pas encore réussi à forcer toutes les portes, toutes les demeures où l’enfant souffre et agonise.

Auteur: Grouès Louise Héra Mirtel

Info: Une doctoresse aux Alpes et autres textes

[ maladie ]

 

Commentaires: 0

erreur chirurgicale

C’était à midi. Cela continuait à saigner modérément du nez et de la bouche, le foetor était très fort. [Ignaz] Rosanes nettoya le pourtour de l’ouverture, retira des caillots de sang qui adhéraient et, brusquement, il tira sur quelque chose qui ressemblait à un fil, il continua à tirer ; avant que l’un de nous deux ait eu le temps de réfléchir, un morceau de gaze long d’un bon demi-mètre était extrait de la cavité. L’instant suivant, il y eut un flot de sang, la malade [Emma Eckstein] devint blanche, les yeux exorbités et sans pouls. Quoi qu’il en soit, l’instant d’après, il avait de nouveau rempli l’intérieur avec de la gaze fraîche iodoformée et le saignement s’arrêta, il avait duré environ une demi-minute, mais avait suffi à rendre méconnaissable la pauvre créature que nous avons ensuite étendue. Entre-temps, c’est-à-dire après, en fait, il se passa encore quelque chose. Au moment où le corps étranger sortit, où tout devint clair pour moi et où, tout de suite après, j’eus le spectacle de la malade, je me suis senti mal ; après qu’elle eut été complètement rebouchée, je me suis enfui dans la pièce d’à côté, j’ai une bouteille d’eau et je me suis trouvé pitoyable. La vaillante doctoresse m’apporta alors un petit verre de cognac et je redevins moi-même.

Auteur: Freud Sigmund

Info: Lettre à Wilhelm Fliess (qui avait opéré la patiente) du 8 mars 1895, trad. Françoise Kahn et François Robert, éditions P.U.F., Paris, 2006

[ médecin-sur-patient ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

linguistique

Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges.

Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots.

La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme.

Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille.

De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes ?

Absurde!

Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels.

Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit: "Madame de Sévigné est un grand écrivain" et "Rémy de Goumont est une plume brillante". On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme.

Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord.

Certains substantifs se féminisent tout naturellement: une pianiste, avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une dame ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière ou commandeuse de la Légion d’Honneur contrevient soit à la clarté, soit à l’esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à l’antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c’est une femme. Il est aussi une excellence, même quand c’est un homme. L’usage est le maître suprême.

Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’Etat n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse.

J’ai entendu objecter: "Vaugelas, au XVIIe siècle, n’a-t-il pas édicté des normes dans ses remarques sur la langue française ?". Certes. Mais Vaugelas n’était pas ministre. Ce n’était qu’un auteur, dont chacun était libre de suivre ou non les avis. Il n’avait pas les moyens d’imposer ses lubies aux enfants. Il n’était pas Richelieu, lequel n’a jamais tranché personnellement de questions de langues.

Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la tâche des enseignants. La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire.

Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique: faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes.

Auteur: Revel Jean-François

Info: Fin du siècle des ombres, Fayard, 1999

[ vocables sexués ]

 
Commentaires: 2
Ajouté à la BD par miguel

refus

Jours, années, vies. Les arbres avaient perdu leurs parures multicolores. C’était ça : elle se trouvait pile à cette conjonction des trois boucles. L’entame du dernier quart. La journée avait dépassé sa dix-neuvième heure, l’hiver était là et Emma se préparait à fêter ses soixante et un ans. Anniversaire dont elle avait fait le symbolique début de l’hiver de sa vie.

Encore récemment elle avait le sentiment de commencer à jouir de la sérénité de son âge. Jusqu’à l’arrivée du gosse.

Emma l’albanaise n’en revenait pas.

Imaginez : vous êtes en charge du service psychiatrique d’un hôpital Suisse. On vous amène un petit garçon, noiraud aux cheveux ondulés, Jean-Sébastien. Enfant sans aucun problème apparent selon toutes les informations et surtout ses proches. Un gosse qui a été éduqué tout à fait correctement dans ce pays, dans son pays : la Suisse. Diagnostic du corps médical : anorexie mentale. Le gosse refuse de s’alimenter et même, surprise, a sa propre auto-évaluation, affirmée : je refuse de vivre mon général. Un credo presque annoncé avec humour.

Après quelques jours tout le personnel de l’immense hôpital en parlait. Une anorexie à neuf ans, c’était déjà exceptionnel, quoi qu’on commençait à en voir apparaître dans les statistiques occidentales, mais ce gosse avait une telle tranquillité, une conscience, comme si son regard et ses appréciations liquidaient d’un coup la raison d’être, l’existence même de la structure hospitalière. Et tout le reste. Une gifle pour le Monde. Pour tous. Les êtres humains. Un déni.

Le tapis de feuilles mortes rassemblées devant les escaliers par un jardinier l’obligea à faire un crochet. Elle lança un sourire à l’homme au balai qui le lui rendit.

Selon le garçonnet, la vie ne valait pas la peine d’être vécue, point. Et les bipèdes adultes de son espèce, malgré tous leurs efforts, n’y changeraient rien. L’amour conjugué de ses proches, les visites de ses camarades, l’abnégation souriante des infirmières, l’attention soutenue de la doctoresse en chef… rien n’avait pu infléchir sa décision. L’enfant au regard foncé répétait et déclinait en souriant :

- Je ne suis pas fait pour vivre.. je suis de trop, c’est évident…

Les infirmières comprenaient confusément que le gosse ne voyait pas pourquoi ce monde méritait encore d’être connu, exploré. C’était juste une non envie d’entrer en matière. Ses parents, elle secrétaire, lui mécanicien, n’avaient rien de particulier. Des gens simples, adorables. Le fiston l’assurait lui-même : il n’avait rien à leur reprocher, surtout pas de l’avoir amené à la vie, au contraire, surtout pas…. Son expérience restait irremplaçable. Il insistait : irremplaçable. Leur expliquant : vous n’y pouvez rien, mes amours, mes chéris… c’est comme ça. Il parvenait à même leur remonter le moral.

Dans le hall, l’hôtesse d’accueil lui adressa le salut matinal routinier derrière son grand vitrage.

Une semaine après l’arrivée du malade, un collègue d’Emma, Pierre B, vieux médecin, était venu trouver l’enfant sous un prétexte imaginaire. Quelques heures plus tard il prenait la doctoresse à part au détour d’un couloir :
- Je suis bouleversé, je reviens des Andes… ici les magasins, les rues, tout m’inspire une aversion irraisonnée. Les fêtes qui approchent, la foule des acheteurs, les corps pétant de cholestérol, le fric… C’est affreux, le seul endroit où je me sens mieux c’est ici, à l’hôpital. L’argent me gêne, il envahit tout… je ne vois plus des personnes, mais de petits amas de pognon, de mesquines solitudes feutrées, comme si les gens n’avaient pas besoin les uns des autres, comme s’il n’y avait plus de communauté…

La médecin chef lui répondit sur le ton de la plaisanterie, expliquant que ce n’était pas professionnel, qu’il fallait maîtriser ses émotions.

Elle se dirigeait vers la chambre du petit, ses pas étouffés par l’épais revêtement de linoléum gris. Emma, qui avait réussi, à force de volonté, à se faire sa place de médecin dans la société occidentale, se disait que dans son pays, en Albanie - elle y retournait chaque année - ce genre de syndrome n’apparaissait pas. Jamais. Encore moins chez des êtres si jeunes.

L’infirmière de garde lui indiqua que le petit venait de s’endormir.

Tous pouvaient observer, impuissants, les parents du môme déployer des trésors d’imagination pour essayer de le sortir de ce qu’ils voyaient comme une torpeur incompréhensible. Ils avaient proposé, l’air de rien, d’aller observer un volcan en éruption, d’affronter les cinquantièmes hurlants en catamaran…. Lui les remerciait d’un sourire. Il comprenait parfaitement la démarche, leur expliquait que d’autres que lui seraient enchantés d’aller suivre en direct les ébats amoureux des baleines au large de la Californie, ajoutant que ce devrait être facile d’emmener des enfants défavorisés jouer dans l’eau avec des dauphins. Pas lui.

***

Ce soir là, au sortir de son travail elle croisa la gérante du petit supermarché voisin, une femme d’âge mûr aux grands cheveux frisés, pleine d’ardeur, avec qui elle avait de bons rapports. Elle ne put s’empêcher de lui parler de l’enfant. La dame la transperça de son regard bleu. Deux vrilles sous la masse crépue.

- Mon Dieu, le pauvre chéri… il est trop intelligent….

Elle avait tout dit. Et puis elle rentra. Il fallait prendre le courrier, faire manger les enfants. Il faisait déjà nuit.

***

Le lendemain en fin de matinée la doctoresse quitta son service un peu plus tôt qu’à l’accoutumée, préoccupée. Elle était de plus en plus frustrée parce que depuis plusieurs jours le gamin sommeillait durant la journée alors qu’elle aurait vraiment voulu essayer de communiquer avec lui. Ce qui l’amena à couper la priorité à’un automobiliste, qui, après avoir ouvert sa vitre latérale lui lança, rigolard. "Je comprends maintenant pourquoi vous êtes passée devant un million de spermatozoïdes, vous êtes un hymne à la précipitation… à l’engouffrement". Elle se surprit à sourire, libérée pour un instant du monologue intérieur nourris par l’image du jeune être en train de se faner. Elle se sentait comme enceinte mentalement de lui. De cet homme. Oui, c’était bien un homme… puisqu’il était en fin de parcours, sur sa propre décision. Puisqu’il leur parlait autrement, couché dans son lit trop grand, comme une sorte d’enseignant cosmique, loin de leurs volontés absurdes de vouloir avoir une prise sur le réel. Il avait annoncé la couleur à son arrivée à l’hôpital :

- Je ne veux pas me soigner parce que plus je vais mal mieux je me porte.

Ainsi, après deux semaines d’hospitalisation il avait nettement faibli. Il fallait maintenant faire un effort d’attention pour le comprendre, lui parler doucement et distinctement. Lui restait imperturbable, ses grands yeux marrons brillants d’une sérénité de fer.

***

Emma avait accepté de dîner avec son ami Miguel, helvète de vieille souche, qu’elle appréciait pour cette raison mais aussi parce que son humour self destructeur l’amusait. Il l’accueillit, goguenard, après avoir brièvement jaugé la voiture qu’elle venait de s’acheter.

- Attention ! Je ne vais bientôt plus accepter de te voir, notre amitié va s’achever… regardes-toi un peu, tu es déjà plus Suisse que moi…. mon Dieu la bourgeoise ! J’ose pas t’imaginer dans dix piges ?
- Tu veux dire ?
- Que tu es de plus en plus organisée, aseptisée, maintenant presque riche…. Il ne te manque plus qu’un peu d’inhibition.. Peut-être aussi de réprobation dans l’attitude.
- T'es dur Miguel
- Tu sais bien que le succès et l’argent nous éloignent de l’essentiel.
- C’est quoi l’essentiel ?
- La vie
- Tu en es sûr ?

Elle ne lui parla pas du gosse.

***

De retour à l’hôpital elle aperçut Pierre B. en discussion avec les parents de Jean-Sébastien. Tous se firent un petit signe de loin. Elle monta dans son service, traversa les couloirs déserts pour aller le voir. Il somnolait et réagit mollement lorsqu’elle lui prit la main, esquissant une moue. Elle resta ainsi, assise sur le lit arrosé par l’éclairage crû.

Qui avait chanté un jour que la lumière ne fait pas de bruit ?

Son regard glissait sur les choses. Elle pensait à sa vie, à la vie. Pourquoi se retrouvait-elle médecin… dans ce pays ? Fourmi parmi les autres fourmis. Quelle était la société qui pouvait produire de tel effet sur ses petits ?… Sa pensée se fixa sur des connaissances côtoyées récemment ; une clique d’artistes quadra et quinquagénaires, presque tous issus de la bourgeoisie locale qui, malgré la mise en place de façades plus ou moins réussies, assorties de quelques petites excentricités d’habillement, représentaient pour elle la société dans laquelle elle vivait. Ils formaient un de ces clans ou les individus se rassemblent plutôt par crainte de la marginalité et de la solitude que par de réelles affinités. Sérail ou l’on se fait la bise comme les stars de la télévision ; pour marquer sa différence, son appartenance à un cercle qui serait plus humain, plus averti. Tels étaient donc les révoltés ?… Les artistes ?... quelles étaient donc leur réflexions ?. Assise sur le lit sa main autour de celle du gosse Emma se demandait s’il ne fallait pas voir chez eux une forme d’élitisme atroce, imbécile, destructeur, soumis aux conventions, aux diplômes, loin de la vie, la vraie, celle avec les excréments, les coups, le sang, les hurlements. Vivaient-ils réellement, ces gens encoconnés qu’elle avait vu ignorer ostensiblement ici une caissière édentée ou là un clodo en pleine cuite. Qui, lors des fêtes réunissant les familles, paraissaient tout de suite excédés par leurs enfants, comme s’ils ne les avaient pondus que par convention, par simple peur de la mort, par ennui. Dans son pays à elle la jeunesse était synonyme de joie, de plaisir.

… mais qu’ont-ils de différents des autres humains, somme toute... ne suis-je pas comme eux ?

Jean-Sébastien gardait les yeux fermés, la respiration régulière. Elle caressa doucement le maigre avant-bras que la perfusion prolongeait de manière incongrue.

***

Cette nuit là elle eut ce rêve : Il y avait, lors d’une grande réunion de diverses familles, une scène de discussion animée entre adultes. Les enfants présents - les siens y étaient, tout comme Jean-Sébastien - enthousiastes comme toujours amenaient continuellement des interruptions qui dérangent la continuité des phrases, si sérieuses, des adultes. Coupures qui, à la longue, entraînèrent quelques haussements de voix puis, finalement, l’enfermement de Jean-Sébastien dans une voiture. Il y eut alors un zoom arrière et les humains se transformèrent en arbres. C’étaient les mêmes individus mais qui en sapin, en hêtre, etc.. Et, dans un film accéléré, elle put alors contempler la nouvelle forêt ainsi formée endurer la douce agression des jeunes pousses qui, après s’être hardiment insinuées au pied des grands troncs, s’accrochaient ensuite au premières frondaisons, avant de vaillamment titiller les niveaux supérieurs et d’émerger au sommet pour faire partie de la Pangée. Voir le soleil.

Elle se retrouva assise sur son lit, en nage. Et l’enfant dans la voiture ?… Pourquoi ces plages temporelles mélangées ?… Pourquoi Jean-Sébastien n’avait-il plus cette volonté de monter, de toucher les crêtes… cette curiosité de la vie ?


***

Les forces du gosse déclinaient doucement, implacablement. L’esprit imperturbable et sans tristesse il continuait de communiquer au maximum de ses possibilités, c’est à dire qu’à ce stade il ne faisait plus qu’acquiescer ou rejeter. Mais il observait. Emma, incrédule, attendait quelque chose. Elle ne savait pas exactement quoi : une forme de culpabilisation du gosse, des parents… de grands transports d’émotion avec la famille. De culpabilisation elle n’en vit point. Quand à l’émotion, il y en avait. Beaucoup. Mais tout le monde se maîtrisait.

On le sentait se détacher, comme un fruit. Le temps du silence mûrissait.

***

Il y eut alors ce colloque, une journée/rencontre prévue de longue date où le professeur P., grande ponte allemand de pédopsychiatrie, fit état de l’augmentation sensible des cas d’anorexie chez les enfants en occident. Dans la continuité ils reçurent communication du travail d’une équipe de chercheurs Hindous où étaient explicitées la progression et l'incidence constante des problèmes psychiques de la jeunesse dans les sociétés industrielles. Un médecin psychiatre japonais vint ensuite parler des difficultés rencontrées dans son pays. On commençait à y voir de plus en plus de groupes de discussion sur Internet qui amenaient - et poussaient parfois - de jeunes nippons à se suicider ensemble. Puis il y eut ce rapport sur une maladie mystérieuse affectant plus de 400 enfants de requérants d'asile en Suède, issus la plupart du temps de l'ancienne union Soviétique et des états yougoslaves. Ces enfants tombaient dans une dépression profonde et perdaient la volonté de vivre. Pour finir une intervenante vint expliquer comment les résultats de son étude sociologique de la Suède montraient que la courbe des suicides était inversement proportionnelle aux difficultés économiques. En bref, lors de temps difficiles les gens se suicidaient moins….

Tout ce monde se retrouva ce soir là au milieu de la chaude et joviale l’atmosphère d’une brasserie pour un repas en commun bigarré qui concluait le colloque. Les participants à la conférence confabulèrent bruyamment de tout, sauf de problèmes professionnels. Emma aimait ce genre de brouhaha. Il était passé minuit quand elle rentra. Excitée par l’alcool elle se prépara un grand verre d’eau, prit la zappette et s’installa devant la télévision. Les informations présentaient un sujet sur les prévisions alarmistes quand au réchauffement de la planète. Apparut ensuite sur le plateau l’abbé X qui se faisait le porte-parole des voix innombrables dénonçant le petit nombre de riches - toujours plus riches - et celui, toujours plus grand, des pauvres - toujours plus pauvres. Puis ce fut l’interview d’un politicien qui exprima les craintes suscitées par le comportement paranoïaque de l’empire américain. La rubrique suivante montra une manifestation écologiste européenne. On pouvait y voir des manifestant défiler avec des pancartes qui disaient : "Ressources de la terre en danger " "Consommation galopante, Halte !". "Surpopulation, manque de contrôle !". Le journal se termina par les infos économiques et la progression boursière spectaculaire d’une entreprise pharmaceutique qui développait un médicament contre le diabète, maladie en constante progression chez l’individu moyen - trop gros - des populations américaines et européennes, phénomène qu’on voyait maintenant émerger en Asie. Tous les espoirs étaient permis pour la jeune entreprise.

Dans la salle de bain elle posa cette question muette à son reflet, dans la glace : - Jean-Sébastien entend-il la même mélodie du monde que toi ?

Son mari grogna légèrement lorsqu’elle lui imposa sa présence dans le lit, le forçant à se déplacer.


***


Elle démarrait fréquemment sa matinée par cette pensée de la tradition zen : "un jour, une vie". Après le départ des enfants pour l’école, elle pouvait profiter d’un petit printemps personnel réservé, enfance de sa journée. Moments d’énergie, de fraîcheur, d’optimisme. Tout ce que Jean-Sébastien aurait normalement du vivre en cette période matinale de son existence de jeune mammifère. Alors qu’en réalité il était comme avant d’aller se coucher. Certes son cycle d’existence, sa fin de vie coïncidaient avec la saison hivernale, mais pas avec la bonne synchronisation. Pas du tout.

Elle se confectionna un nouveau café.

Emma avait toujours perçu les mômes comme de grands initiés, dotés d’un sens aigu du mystère, au bénéfice de la fraîcheur de perception qu’ont les étrangers qui pénètrent une contrée inconnue. Confrontée à Jean-Sébastien elle en arrivait à se demander s’il n’avait apporté avec lui les souvenirs de quelque chose d’antérieur, les réminiscences d’une source fabuleuse. Quels pouvaient donc bien être ses critères de jugement ?… en avait-il ?… était-ce du pur instinct, du laisser aller ?. Il avait l’air si équilibré… Ou alors, était-ce diabolique ?… Non, il était trop jeune, trop dans le timing. Trop conscient.

Elle ne savait comment exprimer son sentiment. Ce garçon était comme au delà - ou en deçà - des mots. Un pur poète. Comme s’il avait affirmé que les bateaux ne flottent que depuis Archimède et que tout le monde ait acquiescé. Comme s’il avait décrété que le vent est créé par les arbres sans que personne n’en doute.

Elle voyait vivre ses enfants dans un monde qui n’était pas le sien, celui des grands. Ils n’avaient qu’un intérêt restreint pour la politique, la philosophie de la vie et de ce genre de choses. Leur occupation sérieuse principale c’était le jeu. En tout cas en apparence. Elle ne pouvait se résoudre à leur parler de Jean-Sébastien, d’abord pour garder sa vie privée intacte de ses activités professionnelles. Et puis quelle pouvait être la famille ou l’on aurait abordé de pareils sujets philosophique sérieusement, longuement et profondément, avec les enfants ?... Les siens posaient des questions certes, son mari et elles y répondaient, mais cela restait superficiel. Ces sujets intéressent les mômes mais leurs réflexions lui paraissaient trop courtes. Ou alors leurs forces de vies leurs interdisaient de s’arrêter sur ce genre de réflexions

Mais comment un gosse qui ne voyait plus la réalité avec aucun étonnement s’était-il forgé ?… D’où venaient ses certitudes ?… Était-ce possible qu’un de ses enfants un jour ?…

Elle rassembla ses affaire : sac, clefs, s’habilla. Il fallait en tout cas encore essayer. Encore.

***

Ce vingt décembre Jean-Sébastien dormait si profondément, en état comateux, qu’Emma invita ses parents à la cafétéria pour un café. La communication entre eux ne nécessitait presque plus de mots, artificielles constructions sans intérêt. Au réfectoire ils eurent à subir les activités sauvageonnes d’un groupe d’enfants. Jeunes excités, en mal de cette existence avérée que conforte la réaction témoin de grandes personnes prises en otage-spectateur-cible. Elles ressentit beaucoup de gratitude à l’endroit des emplâtres gesticulants et bruyants qui tentaient d’accaparer attention et champ de vision des adultes.

**

Au milieu de tous ses questionnements, Emma eut l’honnêteté de s’avouer qu’elle l’admirait. Mais quel était son secret… Qui était ce vieux maître… ce fou ?… Elle ne parvenait pas à le voir comme un malade et ressentait même quelque chose qui ressemblait à de la reconnaissance. La jeune créature lui permettait de rétablir une sorte de connexion avec un infini qu’elle avait oublié, trop absorbée par sa vie, par ses obligations. La vitesse.

Le mioche lui dilatait la conscience.

**

Jean-Sébastien mourut la veille de Noël.

Enfin pur esprit.

Auteur: Mg

Info: Jean-Sébastien. D'après une histoire vécue. 2002.

[ histoire courte ] [ automne ]

 
Mis dans la chaine

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste