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10 commandements

C’est le fameux commandement qui s’exprime ainsi, il fait toujours sourire, à bien y réfléchir on ne sourit pas longtemps :

"Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain, tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui appartient à ton prochain."

Assurément, la mise de la femme entre la maison et le bourricot est quelque chose qui a suggéré à plus d’un l’idée de ce qu’on pouvait voir là les exigences d’une société primitive : des Bédouins quoi, des Bicots, des Ratons... Eh bien, je ne pense pas. Je veux dire que si, effectivement, cette loi, toujours en fin de compte vivante dans le cœur d’hommes qui la violent chaque jour, bien entendu, au moins concernant ce dont il s’agit quand il s’agit de la femme de son prochain, doit sans doute avoir quelque rapport avec ce qui est notre objet ici, à savoir das Ding.

Car il ne s’agit point ici de n’importe quel bien. Il ne s’agit point de ce qui fait la loi de l’échange, et couvre d’une légalité, si l’on peut dire amusante, d’une Sicherung sociale, les mouvements, impetus, des instincts humains. Il s’agit de quelque chose qui prend sa valeur de ce qu’aucun de ces objets n’est sans avoir le rapport le plus étroit avec ce dans quoi l’être humain peut se reposer comme étant der Trug. Das Ding non pas en tant qu’elle est son bien, mais le bien où il se repose.

J’ajoute, en tant que c’est la loi, la loi de la parole dans son origine la plus primitive, en ce sens que ce das Ding était là au commencement, que c’est la première chose qui a pu se séparer de tout ce qu’il a commencé de nommer et d’articuler. Que c’est pour autant que ce das Ding est le corrélatif même de la loi de la parole, que la convoitise même dont il s’agit c’est une convoitise qui s’adresse non pas à n’importe quoi que je désire, mais à quelque chose en tant qu’elle est la Chose de mon prochain.

C’est pour autant qu’elle préserve cette distance de la Chose en tant que fondée par la parole elle–même que ce commandement prend son poids et sa valeur.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 23 décembre 1959, L'Ethique

[ fondement ] [ ajustement ] [ régulation ]

 

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saut technologique

[...] le comptage exact du temps remonte au Moyen Âge, vers 1330, au moment de l’invention de l’horloge mécanique à poids venue remplacer la clepsydre (horloge à eau), imprécise et soumise aux conditions atmosphériques (sécheresse, gel…).

Non seulement la manière de percevoir le temps allait radicalement changer, mais, comme l’explique Jacques Le Goff dans La Civilisation de l’Occident médiéval, les activités humaines allaient devoir se soumettre de plus en plus strictement aux exigences de l’horloge. En effet, le temps circulaire du calendrier liturgique, le temps linéaire des histoires et des récits, le temps des travaux et des jours, le temps des saisons, tous ces temps différents, allaient devoir s’aligner sur un seul et même temps divisible en parties égales et mécaniquement mesurables, celui des horloges. La notion d’"heure" allait elle-même profondément changer. Avant, l’heure était en quelque sorte variable : il y avait, quelle que soit la saison, douze heures pour la nuit et douze heures pour le jour. En hiver donc, l’"heure diurne" était plus courte qu’en été et l’"heure nocturne" plus longue qu’en été. Avec la machine à mesurer le temps, cette sorte de respiration interne des heures est devenue obsolète. C’est ainsi que vers 1400 fut institué le système moderne des "heures égales".

Déjà, dans Technique et Civilisation (1934), Lewis Mumford affirmait que l’horloge constituait un bien meilleur point de départ que la machine à vapeur pour comprendre la révolution industrielle à venir : non seulement parce que la fabrication des horloges est devenue l’industrie à partir de laquelle les hommes ont appris comment fabriquer des machines, toutes sortes de machines, mais surtout parce qu’elle a été la première machine automatique qui ait pris une importance significative dans la vie des humains, en la transformant profondément.

On peut comprendre ces transformations en lisant le remarquable livre, à mi-chemin entre essai et science-fiction, de l’historien des sciences Pierre Thuillier, La Grande Implosion. Rapport sur l’effondrement de l’Occident – titre prémonitoire s’il en est. Il montre qu’à cette transformation du temps en quantité pure correspondent les débuts du règne du marchand. Cet homme quantitatif par excellence a en effet tout de suite compris que l’horloge l’aiderait à gérer plus efficacement ses affaires, à mieux utiliser son temps et celui des autres. C’est pourquoi les bourgeois d’alors organisèrent très tôt un véritable culte du temps mécanique en installant une imposante horloge partout visible au plus haut du beffroi de leur hôtel de ville.

Auteur: Dufour Dany-Robert

Info: "Le délire occidental", éditions Les liens qui libèrent, 2014, pages 80 à 82

[ historique ] [ conséquences ] [ modernité ]

 

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rationalité

Le croyant est en effet placé entre deux impossibilités : impossibilité de croire au Dieu de la Révélation traditionnelle, impossibilité de croire au "Dieu des philosophes et des savants". Car, et c'est là la première et la plus définitive victoire du rationalisme physiciste, le croyant lui-même adhère suffisamment à la philosophie nouvelle pour se convaincre que le Dieu anthropomorphe ou cosmique de la lettre des Écritures n'est plus recevable en sa créance. Pour l'admettre, il lui faudrait précisément une autre philosophie, une métaphysique des degrés de réalité, à laquelle il a justement renoncé. Désormais la philosophie, c'est-à-dire la connaissance intelligible et synthétique, a définitivement déserté l'ordre du sacré et du religieux, et il doit être suffisamment évident que ce divorce ne peut être que mortel, mortel sans doute pour le religieux, mortel aussi pour le philosophe, nous le montrerons. Mais le croyant peut-il pour autant adhérer au "Dieu des philosophes et des savants" ? Certainement pas. Non pas, comme on le dit trop souvent, parce que sa foi exclurait la science : la foi abrahamique, juive, chrétienne, islamique, s'est parfaitement accommodée du Dieu de Platon et d'Aristote, pendant de nombreux siècles. Mais le "Dieu des philosophes et des savants", c'est le Dieu construit par une certaine philosophie et une certaine science, contre le Dieu des Écritures, dont la raison scientifique a montré l'impossibilité. La philosophie naturelle de Galilée ayant ruiné le fondement ontologique du symbolisme traditionnel, il ne lui reste plus qu'à élaborer, en lieu et place, un autre Dieu du cosmos : Dieu-Horloger, Mécanicien céleste que l'on réduit à la condition de cause première. Ce théisme abstrait n'est pas contraire à la raison. Il se présente même à elle comme la seule solution possible. Mais sa négation ou sa réfutation s'accorde également, quoique d'une autre manière, avec les exigences de la logique. La foi ne peut donc y trouver l'absolu dont elle a besoin. C'est pourquoi elle se sent profondément étrangère à ce Dieu rationnel et se réclame d'un autre Dieu, celui d'Abraham, d'Isaac, et de Jacob. Ce faisant, elle renonce à l'intellectualité sacrée, elle entérine le partage du champ théologique que la nouvelle philosophie religieuse a établi, et paraît même revendiquer pour elle l'obscurité de son engagement. Car le Dieu d'Abraham, c'est celui qui s'adresse à notre personne, Dieu de notre existence et de notre vie, qui parle, non pour enseigner la nature des choses, mais pour susciter notre liberté. Le Dieu du cosmos est rejeté, soit dans l'imaginaire d'une mythologie à jamais disparue, soit dans l'aliénation théoricienne d'une mensongère conceptualisation du divin. Penser Dieu, c'est le soumettre aux catégories de l'entendement, c'est nier son irréductible présence existentielle.

Auteur: Borella Jean

Info: La crise du symbolisme religieux, 1re partie, ch. II, art. 3, sect. 4, pp. 114-115, éd. L'Âge d'Homme, 1990

[ modernité ] [ intuition intellectuelle ]

 
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chronos

(...) si l’utilisation permanente du chronomètre a suffi à faire d’une technique fruste une supposée science, c’est probablement parce que le chronomètre, et son ancêtre l’horloge, bénéficiaient depuis longtemps d’une représentation très favorable dans l’imaginaire social occidental. Et, de fait, le comptage exact du temps remonte au Moyen Âge, vers 1330, au moment de l’invention de l’horloge mécanique à poids venue remplacer la clepsydre (horloge à eau), imprécise et soumise aux conditions atmosphériques (sécheresse, gel…).

Non seulement la manière de percevoir le temps allait radicalement changer, mais, comme l’explique Jacques Le Goff dans La Civilisation de l’Occident médiéval, les activités humaines allaient devoir se soumettre de plus en plus strictement aux exigences de l’horloge. En effet, le temps circulaire du calendrier liturgique, le temps linéaire des histoires et des récits, le temps des travaux et des jours, le temps des saisons, tous ces temps différents, allaient devoir s’aligner sur un seul et même temps divisible en parties égales et mécaniquement mesurables, celui des horloges. La notion d’ " heure " allait elle-même profondément changer. Avant, l’heure était en quelque sorte variable : il y avait, quelle que soit la saison, douze heures pour la nuit et douze heures pour le jour. En hiver donc, l’" heure diurne " était plus courte qu’en été et l’" heure nocturne " plus longue qu’en été. Avec la machine à mesurer le temps, cette sorte de respiration interne des heures est devenue obsolète. C’est ainsi que vers 1400 fut institué le système moderne des " heures égales ".

Déjà, dans Technique et Civilisation (1934), Lewis Mumford affirmait que l’horloge constituait un bien meilleur point de départ que la machine à vapeur pour comprendre la révolution industrielle à venir : non seulement parce que la fabrication des horloges est devenue l’industrie à partir de laquelle les hommes ont appris comment fabriquer des machines, toutes sortes de machines, mais surtout parce qu’elle a été la première machine automatique qui ait pris une importance significative dans la vie des humains, en la transformant profondément.

On peut comprendre ces transformations en lisant le remarquable livre, à mi-chemin entre essai et science-fiction, de l’historien des sciences Pierre Thuillier, La Grande Implosion. Rapport sur l’effondrement de l’Occident – titre prémonitoire s’il en est. Il montre qu’à cette transformation du temps en quantité pure correspondent les débuts du règne du marchand. Cet homme quantitatif par excellence a en effet tout de suite compris que l’horloge l’aiderait à gérer plus efficacement ses affaires, à mieux utiliser son temps et celui des autres. C’est pourquoi les bourgeois d’alors organisèrent très tôt un véritable culte du temps mécanique en installant une imposante horloge partout visible au plus haut du beffroi de leur hôtel de ville.

Auteur: Dufour Dany-Robert

Info: Le délire occidental

[ historique ] [ ordre ] [ rationalisation ]

 

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gangsters néolibéraux

Les démocraties occidentales, loin de combattre la mafia, la laissent au contraire croître, car les flux d’argent que le crime organisé reverse dans les secteurs clefs de l’économie libérale (banques, pétrole, armement, immobilier) permettent à cette économie de survivre à ses crises. L’accumulation du capital mafieux trouve ainsi sa justification dans les systèmes complexes que ces démocraties ont mis en place, de confiscation du pouvoir populaire par l’intermédiaire du droit législatif et procédural. Ce droit législatif n'est que poudre aux yeux, destinée à camoufler le vrai horizon de la logique néo-libérale, qui est la seule accumulation de Capital. Une accumulation qui a changé de nature ces dernières années. De vitesse plutôt, car dès la fin des Trente Glorieuses, le Capital sonnait déjà le glas des sociétés civiles. L’accumulation avait été telle, qu’il ne trouvait plus de lieux où s’investir : la société n’était pas assez riche, investir dans la santé, l’industrie ou les services ne pouvait suffire à résorber l’immense richesse dégagée.

Alors l’argent des riches trouva d’autres lieux où garantir sa croissance démesurée. Avec, en France par exemple, la complicité des socialistes dans les années 80, qui furent les premiers à "libérer" les marchés financiers pour permettre aux banques d’inventer les formes arithmétiques de gains colossaux. Les groupes de pression s’organisèrent, lobbies multiples, intellectuels, politiques, économiques, qui ne visaient qu’à aider le Capital à concentrer ses intérêts sur le court terme, au mépris du développement du Bien Commun.

Des flux de richesses colossales furent ainsi détournés de la société réelle vers le secteur financier, provoquant l’appauvrissement généralisé des économies - et de la citoyenneté, ne l’oublions jamais. Des milliers de milliards de dollars envolés, désertèrent brusquement le commerce et l’industrie, financiarisation de l’économie qui s'engagea vers la pure spéculation financière, par exemple via le vol des richesses naturelles du monde (aujourd’hui, le grand jeu est celui du rachat des terres cultivables à des fins de spéculation). Plutôt que la mondialisation, cet immense élan de destruction massive des économies mondiales conduisit d’abord à la désindustrialisation du monde occidental. Une désindustrialisation qui achevait en outre le grand rêve revanchard des capitalistes : écraser enfin, liquider les classes laborieuses, coupables désormais de s’accrocher aux piètres protections sociales qu’elles avaient gagnées…

Les villes elles-mêmes durent se plier à leurs nouvelles exigences de gentrification. Les quartiers de la classe ouvrière furent transformés en ghettos, tandis qu’une élite sans foi ni loi développait ses produits financiers, dérivés de dérivés de dérivés de la vraie richesse. L’industrie financière était née, où l’argent se reproduisait comme par miracle. Des générations d'économistes et de politiciens nous ont enseigné depuis plus de trente ans que ce modèle, seul, devait nous sauver. Un modèle mathématique élégant, qui n’a cessé depuis de ruiner nos vies. Mais un modèle dont les conséquences politiques ont été considérables et qui s’est traduit par une démocratie entièrement vidée de son sens. 

Auteur: Lecinsky Thelonious K.

Info: Democracy and Conspiracy, Samanthowatan University Press, 2010

[ argent nomade ] [ pouvoir occulte ]

 
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philosophes comparés

[...] le Marquis de SADE nous propose, avec une extrême cohérence, de prendre en effet pour maxime universelle de notre conduite le contre-pied - vue la ruine des autorités en quoi consiste dans les prémisses de cet ouvrage, l’avènement d’une véritable république - le contre-pied de ce qui a pu toujours jusque là être considéré comme, si l’on peut dire, le minimum vital d’une vie morale viable et cohérente. Et à la vérité, il ne le soutient pas mal. Ce n’est point par hasard si nous voyons dans La philosophie dans le boudoir - d’abord et avant tout - être fait l’éloge de la calomnie.

La calomnie, nous dit-il, ne saurait être en aucun cas nocive, car en tout cas, si elle impute à notre prochain quelque chose de beaucoup plus mauvais que ce qu’on peut lui attribuer, elle aura pour mérite de nous mettre en garde en toute occasion contre ses entreprises. Et c’est ainsi qu’il poursuit, point par point, justifiant, sans en excepter aucune, le renversement de tout ce qui est considéré comme les impératifs fondamentaux de la loi morale, continuant par l’inceste, l’adultère, le vol et tout ce que vous pouvez y ajouter. Prenez simplement le contre-pied de toutes les lois du Décalogue et vous aurez ainsi l’exposé cohérent de quelque chose dont le dernier ressort s’articule en somme ainsi : nous pouvons prendre comme loi, comme maxime universelle de notre action, quelque chose qui s’articule comme le droit à jouir d’autrui quel qu’il soit, comme instrument de notre plaisir.

SADE démontre avec beaucoup de cohérence que cette loi étant universelle, universalisée, c’est-à-dire : que par exemple, si elle permet aux libertins la libre disposition de toutes les femmes, indistinctement et quel que soit ou non leur consentement, inversement il libère les femmes de tous les devoirs qu’une société vivante et civilisée leur impose dans leurs relations conjugales, matrimoniales et autres, et que quelque chose est concevable, qui ouvre toutes grandes les vannes qu’il propose imaginairement à l’horizon du désir qui fait que tout un chacun est sollicité de porter à son plus extrême les exigences de sa convoitise et de les réaliser. Si même ouverture est donnée à tous, alors on verra ce que donne une société naturelle. Notre répugnance, après tout, pouvant très légitimement être assimilée à ce que KANT prétend lui-même éliminer, retirer des critères de ce qui pour nous fait la loi morale, à savoir un élément sentimental.

Si KANT entend éliminer tout élément sentimental de la morale, nous retirer comme non valable tout guide qui soit dans notre sentiment, à l’extrême le monde sadiste est concevable comme étant - même s’il en est l’envers et la caricature - un des accomplissements possibles du monde gouverné par une éthique radicale, par l’éthique kantienne telle qu’elle s’inscrit, telle qu’elle se date en 1788.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 23 décembre 1959, L'Ethique

[ mise en pratique ]

 

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déshumanisation

[...] le Marquis de SADE nous propose, avec une extrême cohérence, de prendre en effet pour maxime universelle de notre conduite le contre-pied - vue la ruine des autorités en quoi consiste dans les prémisses de cet ouvrage, l’avènement d’une véritable république - le contre-pied de ce qui a pu toujours jusque là être considéré comme, si l’on peut dire, le minimum vital d’une vie morale viable et cohérente. Et à la vérité, il ne le soutient pas mal. Ce n’est point par hasard si nous voyons dans La philosophie dans le boudoir - d’abord et avant tout - être fait l’éloge de la calomnie.

La calomnie, nous dit-il, ne saurait être en aucun cas nocive, car en tout cas, si elle impute à notre prochain quelque chose de beaucoup plus mauvais que ce qu’on peut lui attribuer, elle aura pour mérite de nous mettre en garde en toute occasion contre ses entreprises. Et c’est ainsi qu’il poursuit, point par point, justifiant, sans en excepter aucune, le renversement de tout ce qui est considéré comme les impératifs fondamentaux de la loi morale, continuant par l’inceste, l’adultère, le vol et tout ce que vous pouvez y ajouter. Prenez simplement le contre-pied de toutes les lois du Décalogue et vous aurez ainsi l’exposé cohérent de quelque chose dont le dernier ressort s’articule en somme ainsi : nous pouvons prendre comme loi, comme maxime universelle de notre action, quelque chose qui s’articule comme le droit à jouir d’autrui quel qu’il soit, comme instrument de notre plaisir.

SADE démontre avec beaucoup de cohérence que cette loi étant universelle, universalisée, c’est-à-dire : que par exemple, si elle permet aux libertins la libre disposition de toutes les femmes, indistinctement et quel que soit ou non leur consentement, inversement il libère les femmes de tous les devoirs qu’une société vivante et civilisée leur impose dans leurs relations conjugales, matrimoniales et autres, et que quelque chose est concevable, qui ouvre toutes grandes les vannes qu’il propose imaginairement à l’horizon du désir qui fait que tout un chacun est sollicité de porter à son plus extrême les exigences de sa convoitise et de les réaliser. Si même ouverture est donnée à tous, alors on verra ce que donne une société naturelle. Notre répugnance, après tout, pouvant très légitimement être assimilée à ce que KANT prétend lui-même éliminer, retirer des critères de ce qui pour nous fait la loi morale, à savoir un élément sentimental.

Si KANT entend éliminer tout élément sentimental de la morale, nous retirer comme non valable tout guide qui soit dans notre sentiment, à l’extrême le monde sadiste est concevable comme étant - même s’il en est l’envers et la caricature - un des accomplissements possibles du monde gouverné par une éthique radicale, par l’éthique kantienne telle qu’elle s’inscrit, telle qu’elle se date en 1788.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 23 décembre 1959

[ conséquences ] [ historique ] [ relativisme ] [ modernité ]

 

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états limites

La réorientation de la psychologie des instincts vers le moi est en partie due au fait qu’il a bien fallu reconnaître que les malades qui se présentaient dans les années 1940 et 1950 "montraient très rarement les névroses classiques que Freud avait décrites si minutieusement". Au cours des vingt-cinq dernières années, le malade dont le cas est indéterminé, présentant non pas des symptômes bien définis, mais un mécontentement diffus, est devenu de plus en plus commun. Il ne souffre pas de fixations débilitantes, ni de phobies, ni d’une conversion d’énergie sexuelle réprimée en troubles nerveux ; il se plaint "d’une insatisfaction existentielle vague et diffuse" et sent que "sa vie, amorphe, est futile et sans but". Il décrit des "sentiments ténus mais tenaces de vide et de dépression", "des violentes oscillations dans son évaluation de lui-même", et "une incompétence générale à s’entendre avec autrui". "Il se rassure sur lui-même en s’attachant à des êtres forts, admirés ; il désire ardemment être accepté par eux, et ressent le besoin de recevoir leur aide." Bien qu’il puisse assumer ses responsabilités quotidiennes, et même parvenir à une certaine réussite, le bonheur lui échappe, et sa vie lui apparaît souvent comme ne valant pas la peine d’être vécue.

La psychanalyse, thérapie qui s’est développée dans la pratique, à partie de cas d’individus moralement rigides et sévèrement réprimés, ayant besoin de faire la paix avec un "censeur" interne rigoureux, se trouve aujourd’hui de plus en plus souvent confrontée à des "caractères chaotiques dominés par [leurs] pulsions". Elle a affaire à des malades donnant libre cours à leurs conflits, ne les réprimant ni ne les sublimant. Souvent engageants, ceux-ci cultivent pourtant une superficialité qui les protège dans les relations affectives. Ils sont incapables de pleurer, et l’intensité de leur rage contre les amours objectaux perdus, en particulier contre leurs parents, leur interdisent de revivre des moments heureux ou de les garder précieusement en mémoire. Ouverts plutôt que fermés aux aventures sexuelles, ces malades trouvent pourtant difficile de vivre pleinement la pulsion sexuelle ou d’en faire une expérience joyeuse. Ils évitent les engagements intimes qui pourraient les libérer de leurs intenses sentiments de rage. Leur personnalité n’est guère qu’un ensemble de défenses contre cette rage et contre les sentiments de privation orale nés au stade préœdipien du développement psychique.

Ces malades souffrent souvent d’hypocondrie et se plaignent d’éprouver une sensation de vide intérieur. Ils nourrissent, en même temps, des fantasmes d’omnipotence et sont profondément convaincus de leur droit d’exploiter les autres et de se faire plaisir. Les éléments archaïques, punitifs et sadiques prédominent dans le surmoi de ces malades, et s’ils se conforment aux règles sociales, c’est plus par peur d’être punis que sous l’emprise d’un sentiment de culpabilité. Ils ressentent leurs propres exigences et appétits, mêlés de rage, comme étant extrêmement dangereux, et ils élèvent des défenses aussi primitives que les désirs qu’ils cherchent à étouffer.

Auteur: Lasch Christopher

Info: Dans "La culture du narcissisme", trad. Michel L. Landa, éd. Flammarion, Paris, 2018, pages 71-72

[ portrait clinique ]

 

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sages installés

Le livre et les conférences conjointes de Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard donnent à penser: jamais la sagesse semble avoir été si populaire et si commerciale (des centaines de milliers de livres vendus, des conférences payantes…). Mais que devons-nous penser au juste de cette contradiction entre consommation de la sagesse et la sagesse elle-même? Sommes-nous face à de vrais sages, des charlatans ou de grands naïfs? Il faut être charitable et s’efforcer de croire en leur bonne volonté et à la validité de leurs conseils pratiques et théoriques. Mais cette charité est loin de suffire, il faut poser encore cette redoutable et difficile question: leur sagesse est-elle suffisante au bien-être social et politique ou bien est-elle plutôt une entrave, un danger, un leurre?

Arsenal de manager
Pour répondre, nous avons deux théories à disposition: soit écouter les podcasts relaxants d’André, lire des kōans et pratiquer la méditation permettront à terme un changement politique radical qui sera la condition du bonheur de tous; soit ces pratiques sapientiales ne sont qu’une sorte de baume fait pour supporter les affres et les tourments de notre vie moderne sans espoir de changement. Tout porte à croire, malheureusement, que nos nouveaux sages font le jeu de l’idéologie plutôt qu’ils ne la combattent, et cela bien malgré eux. Car n’est-ce pas les entreprises qui les ont compris au mieux? Les techniques de yoga et la méditation font partie désormais de l’arsenal de tout manager qui veut soigner l’esprit meurtri de ses employés malmenés par une concurrence acharnée et des exigences toujours plus oppressantes. La sagesse n’est-elle pas dans ces conditions un opium? N’est-elle pas en train d’être marchandée et utilisée comme n’importe quel bien matériel? Il est probable que ce soit non l’individu mais l’économie et la productivité qui bénéficieront en premier des effets bénéfiques de la "sagesse"…

Tout porte à croire, malheureusement, que nos nouveaux sages font le jeu de l’idéologie plutôt qu’ils ne la combattent, et cela bien malgré eux

Cette sagesse s’avère en réalité individualiste, inoffensive, sans héroïsme, quiétiste à bien des égards. Se focaliser sur l’individu et déserter la question politique est un symptôme de sa faiblesse: on ne parvient plus à faire de la sagesse et de la philosophie un but collectif si puissant qu’il peut changer la morphologie de notre société dans son ensemble. Une sagesse ne devrait-elle pas se permettre d’être violente, active, radicale pour atteindre le salut des hommes? Ne doit-elle pas être armée comme le Christ l’était de son épée? On me rétorquera qu’en changeant individuellement la société entière changera, mais qu’est-ce qui le garantit? Et si cela n’était qu’un espoir irrationnel qui ne faisait que perpétuer notre mal-être existentiel, qu’une manière de faire le jeu, précisément, de notre société injuste et désespérée?

Politiquement critique
Même s’il n’y a rien à redire sur le fond de leur discours trivialement vrai (être libre, ne pas être jaloux, vivre dans le présent), il doit, s’il veut être efficace, aborder de front la question politique au sens large en se dotant d’une énergie nouvelle. Pourquoi ne pas songer, sans rire, à un Grand Parti de la Sagesse (GPS) qui lutterait pour la libération de la société en tant que grande fraternité? Ou tout au moins devraient-ils se montrer politiquement critiques au nom de l’idéal qu’ils défendent… Sans cela leur discours risque de rester lettre morte puisqu’il évite le cœur même du problème social; leur sagesse, par ses tentatives d’évitement, semble elle-même malade et faite pour les malades, en somme, une sagesse de notre temps, une sagesse palliative.

Auteur: Morend Martin

Info: André, Jollien, Ricard: une sagesse un peu trop sage. https://www.letemps.ch 7 fév. 2019

[ émollients ]

 

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régression linguistique

Baisse du QI, appauvrissement du langage et ruine de la pensée

L’effet de Flynn du nom de son concepteur, a prévalu jusque dans les année 1960. Son principe est que le Quotient Intellectuel (QI) moyen ne cesse d’augmenter dans la population. Or depuis les années 1980, les chercheurs en sciences cognitives semblent partager le constat d’une inversion de l’effet Flynn, et d’une baisse du QI moyen.

La thèse est encore discutée et de nombreuses études sont en cours depuis près de quarante ans sans parvenir à apaiser le débat. Il semble bien que le niveau d’intelligence mesuré par les tests de QI diminue dans les pays les plus développés, et qu’une multitude de facteurs puissent en être la cause.

A cette baisse même contestée du niveau moyen d’intelligence s’ajoute l’appauvrissement du langage. Les études sont nombreuses qui démontrent le rétrécissement du champ lexical et un appauvrissement de la langue. Il ne s’agit pas seulement de la diminution du vocabulaire utilisé, mais aussi des subtilités de la langue qui permettent d’élaborer et de formuler une pensée complexe.

La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression. Supprimer le mot "mademoiselle" est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien.

Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée.

Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions.

Sans mots pour construire un raisonnement la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.

L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots. Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots. Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants: faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants.

Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses "défauts", abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté.

Auteur: Clavé Christophe

Info: 17.11.2019, l'Agefi

[ décadence culturelle ] [ mutation numérique ] [ simplification ]

 

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