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intolérance

Une démission ordinaire

Il est des faits qui, malgré leur caractère anecdotique, nous en apprennent beaucoup sur l’époque dans laquelle nous vivons : la démission récente de Peter Boghossian est de ceux-là. La nouvelle passera probablement inaperçue ; elle est pourtant révélatrice du climat qui règne désormais dans les universités nord-américaines (au Québec y compris, plusieurs pourraient en témoigner).

Peter Boghossian, dont une partie des lecteurs du Devoir ignorent sans doute — à juste titre — le nom, était jusqu’à tout récemment professeur adjoint de philosophie à l’Université d’État de Portland. Il est surtout connu du grand public pour sa participation au canular dit des "Grievance Studies". En 2018, avec ses deux complices Helen Pluckrose et James Lindsay, il est en effet parvenu à faire publier dans diverses revues de sciences humaines des études parfaitement bidon, mais qui adoptaient le ton dénonciateur et les clichés du prétendu progressisme contemporain. Sur les sept qui furent acceptées, l’une s’inquiétait de la "culture du viol" omniprésente dans les parcs à chiens de Portland, une autre préconisait la création d’un "fat bodybuilding" afin que les personnes obèses ne se sentent plus opprimées par la surexposition des corps athlétiques de M. ou Mme Muscle, une troisième était constituée de certains passages de Mein Kampf réécrits en ayant recours au jargon typique des théories déconstructionnistes, etc. Leur but était évidemment de se moquer des "studies" (sur le genre, la race, les gros, etc.) qui se multiplient dans les universités alors même que leur caractère scientifique est parfois douteux, la dénonciation rituelle de l’"oppression" dont sont victimes les minorités y remplaçant trop souvent la rationalité, l’objectivité, voire la simple honnêteté intellectuelle.

Le monde à l’envers

À la suite de ce canular, on aurait pu penser que quelques-uns de ses collègues universitaires feraient amende honorable et reconnaîtraient, au moins à demi-mot, l’existence d’un manque de rigueur dans l’évaluation par les pairs de ces études, et peut-être même d’un problème plus général de remplacement, au sein de certains secteurs des sciences humaines, d’une démarche scientifique rigoureuse, rationnelle, critique, ouverte au débat, par un militantisme obtus, idéologique, réfractaire à toute remise en question et faisant feu de tout bois pour faire avancer la Cause.

Mais c’est tout le contraire qui se passa ; Boghossian devint à partir de là la cible d’un harcèlement généralisé, non seulement de la part de ces étudiants qui se qualifient d’"éveillés" (woke), mais aussi de plusieurs de ses collègues et même de l’administration de son université. Tandis que son nom était associé à des croix gammées dans des graffitis dans les toilettes proches du département de philosophie, qu’il était chahuté durant ses cours ou qu’un sac contenant des excréments était déposé devant la porte de son bureau, le CPP (sorte de comité éthique) de l’université d’État de Portland engagea contre lui des poursuites au motif qu’il avait réalisé des recherches (celles ayant mené à la rédaction de ces fameux articles) portant sur des sujets humains sans obtenir préalablement leur approbation — ce qui fit dire au célèbre biologiste Richard Dawkins que ce CPP manifestait ainsi son opposition "à l’idée même de la satire comme forme d’expression créative" et qu’on ne pouvait s’empêcher de soupçonner chez ses membres la présence de quelque "arrière-pensée".

Comme on le voit, c’est un peu le monde à l’envers désormais à l’université : ce n’est plus le fait de publier à répétition des études tendancieuses ni de manipuler des résultats de recherche pour les rendre conformes à certains présupposés, pas plus que de se cacher derrière une pseudoscientificité pour avancer, dans des travaux amplement subventionnés, des thèses d’une radicalité politique parfois surprenante qui devient problématique, mais celui d’user d’ironie pour se moquer de ces dérives. Ces professeurs, si radicaux quand il s’agit de mettre en question les "rapports de pouvoir", le "patriarcat " ou la "culture blanche et suprémaciste", n’entendent pas à rire avec leurs propres réflexions et leur propre pouvoir et se montrent sur ces sujets aussi chatouilleux que les théologiens et les inquisiteurs d’autrefois sur les points de doctrine. Bizarrement, les théories les plus critiques, qui n’hésitent pas à remettre en question jusqu’au simple bon sens, ne croient pas nécessaire de se soumettre elles-mêmes à la critique.

Quant à Peter Boghossian, qui pratiquait lui-même autant qu’il formait ses étudiants à la pensée critique et à la méthode socratique, il vient de démissionner estimant ne plus être en mesure d’enseigner dans une université qui a cessé d’être un "bastion de la recherche libre" pour devenir "une usine de justice sociale", écrit-il dans sa lettre de démission. " Je n’ai jamais cru, poursuit-il, que le but de l’instruction était de mener les étudiants à certaines conclusions particulières", mais qu’il devait être plutôt "de les aider à acquérir les outils leur permettant de parvenir à leurs propres conclusions". Or, conclut-il, on "n’enseigne plus aux étudiants de l’Université d’État de Portland à penser", on les entraîne à reproduire "les certitudes morales qui sont le propre des idéologues".

Nous sommes nombreux, je pense, à regretter qu’un tel professeur ait été acculé à la démission, et encore plus à déplorer que rien ne semble devoir arrêter cette métamorphose de certains cours ou programmes universitaires en machines à endoctriner.

Auteur: Moreau Patrick

Info: ledevoir.com, 1 octobre 2021

[ terrorisme intellectuel ] [ suppression des contrepouvoirs ] [ cancel culture ] [ censure ] [ tyrannie ]

 

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homme-machine

Les Grands Modèles de Langage  s’attaquent à l’émergence !  Un éloge intolérable de … l’obésité !

Le mois dernier j’ai proposé  ici une série de 6 billets où je quadriloguais avec GPT-4 et une version dédoublée de Claude 3 à propos de la conjecture P vs NP, une question classique d’informatique théorique relative à la relation – pour autant qu’il en existe une – entre la complexité de la solution d’un problème et la complexité de la vérification qu’une solution a bien été trouvée.

Vous avez sans doute vu ce qui s’est passé : " M. PJ, votre blog était le lieu de rendez-vous de personnes s’efforçant de résoudre de grands problèmes de société (je vous en remercie !) mais il s’est métamorphosé en un club restreint de mathématiciens fascinés par des casse-têtes abscons. Je vous ai accompagné·e jusqu’ici mais je suis forcé·e aujourd’hui de vous dire adieu : bonne chance à vous dans vos coupages de cheveux en quatre ! ".

J’ai été décontenancé par ces paroles de bon sens, et je n’ai pas publié la suite.

Mal m’en a pris : c’est à ce moment-là que j’ai commencé à recevoir des mails du genre : " M. Jorion, où ailleurs croyez-vous que l’on trouve des discussions – et des avancées – sur des questions véritablement fondamentales comme sur votre blog ? Que vous ont dit ensuite GPT-4 et Claude 3 (je bous d’impatience de l’apprendre !) ? ".

Tout cela pour vous annoncer que je suis allé asticoter mes comparses sur la question de l’émergence.

Vous avez dû comprendre que la chose qui nous sidère dans les progrès des Grands Modèles de Langage (LLM) est le fait que des tas de choses qui nous semblaient absolument distinctes (par exemple : comprendre le sens d’un mot, maîtriser la syntaxe d’une phrase, comprendre le sens global d’une phrase, respecter les règles de la logique, se mettre à la place d’un interlocuteur, exprimer ses sentiments), et pour lesquelles nous avons découvert des règles claires rendant compte de leur fonctionnement séparé, sont en fait acquises " les doigts dans le nez ", l’une après l’autre, par ces LLM, pour nulle autre raison que la croissance en taille de leur système.

Toutes ces remarquables capacités émergent, l’une après l’autre, quand on augmente, tout simplement, les moyens à la disposition du système. Nous n’étions pas préparés à penser que l’intelligence émerge spontanément d’un système dès qu’il a atteint une certaine grosseur, nous pensions qu’un ingrédient supplémentaire était indispensable, que nous appelions " complexité ". Que l’intelligence apparaisse comme sous-produit de la complexité, pourquoi pas ? mais de la simple grosseur ! il y avait là comme un éloge intolérable de … l’obésité, qui constituerait une qualité en soi !

Comprenons-nous pourquoi la taille change tout ? Non. Et il n’y a pas de raison de s’en offusquer : quand on passe d’un milliard de données à 100 milliards, on a besoin d’un télescope pour regarder ce qui se passe, et s’armer alors d’un microscope apparaît très logiquement, hors de propos. Claude Roux écrivait ici tout à l’heure : " C’est là qu’est le hic… Personne ne le sait vraiment. "

Mais c’est là aussi que Pribor.io trouve toujours sa raison d’être. Si l’on adopte une approche " bottom-up ", du bas vers le haut, par opposition à l’approche " top-down ", du haut vers le bas, des LLM, on évite d’être aux abonnés absents quand un effet d’émergence a lieu : il a opéré sous nos yeux et l’on peut dire ce qui s’est passé.

Le logiciel d’IA que j’avais programmé de 1987 à 1990 pour British Telecom s’appelait ANELLA, pour Associative Network with Emergent Logical and Learning Abilities : " … à capacités émergentes de logique et d’apprentissage ". Il m’a fallu les 34 années qui séparent 1990 de 2024 pour comprendre exactement comment la logique émergeait d’une simple suite de mots. C’est qu’il s’agissait du produit d’une alchimie complexe entre l’univers des mots et celui du monde tel qu’il est.

Je vous expliquerai cela un jour prochain, je me contente de vous le résumer aujourd’hui sous une formule sibylline : " Les faits d’émergence ont lieu dans la langue quand nous contraignons tout ce qu’elle permet par ce que le monde interdit lui de son côté ". Exemple : la langue n’interdit pas aux objets de tomber du bas vers le haut, mais le monde lui : Oui ! Lacan (qui se payait notre pomme avec délectation mais avait cependant compris beaucoup de choses) appelait cela " points de capiton ", comme dans un matelas : pour que la chaîne des signifiants, les mots mis à la queue-leu-leu, servent à quelque chose, il faut qu’ici et là, ils collent au Réel, à la réalité profonde des choses. Il n’est pas nécessaire que cela ait lieu souvent (le monde étant très généreux envers nous : il nous a offert cette facilité que nous vivions la plupart du temps confortablement dans un nuage), mais il faut que cela ait lieu de temps à autre ici et là.

Ne vous étonnez donc pas si dans la suite de cette nouvelle série, GPT-4, Claude 3, LLaMA 3 et moi, nous nous interrogeons sur l’émergence, en vue de craquer ses mystères. Faites-nous confiance : cela participe de la Singularité et non du coupage de cheveux en quatre dans laquelle l’humanité se complaît depuis qu’ayant inventé le langage, elle ne cesse de… se saouler de mots !

Auteur: Jorion Paul

Info: Sur son blog, 12 mai 2024

[ abstraction ouverture ] [ langage quasi-esprit ] [ codage priméité tiercité ] [ émersion ]

 
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publicité occulte

POURQUOI LES IMAGES SUBLIMINALES SONT-ELLES INTERDITES ?

On entend régulièrement parler des "images subliminales" dans notre quotidien, et ce n'est pas toujours pour les valoriser. Certains en effet en ont peur, quand d'autres semblent plutôt s'en amuser. Quel est donc l'impact psychologique des images subliminales, et que dit la loi à ce propos ?

QU'EST-CE QU'UNE IMAGE SUBLIMINALE ? 

Une image subliminale est une image projetée quelques millisecondes qui doit être perçue au-dessous du niveau de conscience. Cela veut dire que notre cerveau enregistre l'image, mais que nous, en tant que personne, n'avons pas conscience d'avoir vu cette même image. Provoquant un stimulus, les messages subliminaux ont été utilisés notamment par la publicité ou encore par la propagande, et pourtant, l'efficacité de ces derniers sont encore sujets à débat

Comment parvient-on à créer une image subliminale ? Si l'on prend l'exemple du cinéma, 24 images défilent par seconde. On peut décider d'insérer une image subliminale de nature publicitaire afin que cette dernière s'affiche à l'écran durant environ 0,04 seconde (plus précisément 1/24 de secondes). La durée de projection de cette image sera si faible qu'elle ne pourra pas être perçue consciemment par celui qui la voit. Mais l'incroyable machine que représente le cerveau humain, elle, s'en souvient. Que l'on pense à une technique de manipulation inventée par les plus grandes entreprises, ou que l'on juge qu'il s'agit ici d'un mythe infondé, les images subliminales font régulièrement parler d'elles. 

LA TOUTE PREMIÈRE IMAGE SUBLIMINALE 

La première image subliminale serait apparue en 1956 dans un cinéma des Etats-Unis, après une expérience menée par James Vicary, un chercheur en marché. L'année suivante, les résultats de l'expérience sont sans appel pour ce dernier. James affirme en effet que, grâce aux images subliminales projetées, la vente de pop-corn et de Coca-Cola au sein du cinéma (le lieu de l'expérience) a connu une augmentation significative (de 57,7% concernant le pop-corn et de 18,1% concernant le Coca-Cola, selon les chiffres qu'ils donnent à ce moment-là). De cette déclaration naît un véritable mythe : les images subliminales ont un réel et un profond impact psychologique. Quelques temps plus tard cependant, James Vicary revient sur ses paroles et avoue que les chiffres ont été trafiqués afin de promouvoir son agence de marketing. Il est trop tard, le mal est fait, et la CIA prend les choses très au sérieux : une enquête est menée pour savoir quel impact peut réellement avoir une image subliminale sur l'inconscient d'un être humain.

L'IMPACT PSYCHOLOGIQUE

De nombreuses expériences ont ainsi été menées depuis celle de Vicary afin de déterminer quel est le véritable impact psychologique de la projection d'images subliminales. Jacques Araszkiewiez, spécialiste de la question, écrit dans son article L’influence des images subliminales : Il existe une “persuasion subliminale” c’est-à-dire un mécanisme qui dans un cadre approprié conduirait à une forme de persuasion automatique, à l’insu d’un sujet qui n’a pas perçu un stimulus ou qui a oublié qu’il l’avait perçu.

Il y aurait donc une forme d'influence, mais cette dernière est, dans les faits, très difficile à mettre en place. Il faudrait que les spectateurs soient totalement concentrés, qu'ils n'aient pas la tête à autre chose ou qu'ils ne s'adonnent pas à une autre activité en même temps. Qui plus est, si les images subliminales peuvent provoquer un stimulus à l'origine d'une sensation de faim ou de soif, des réactions somme toute assez primaires, il est très difficile de les orienter vers une marque ou un produit en particulier. Ce n'est pas de l'hypnose ! Il est ainsi possible, selon les nombreuses expériences menées, d'influencer un choix (par exemple, celui d'acheter ou non une canette de soda durant la projection d'un film), mais il serait à l'inverse totalement impossible de forcer une personne à faire quelque chose dont elle n'a pas envie. De même, il paraît compliqué d'orienter une personne vers une marque précise plutôt qu'une autre, et encore plus sur le long terme.

Qu'importe, une fois les mensonges de James Vicary dévoilés à une partie de la population les a cru et l'imaginaire collectif s'est chargé d'attribuer aux images subliminales beaucoup plus de pouvoir qu'elles n'en auraient dans la réalité. La loi s'est occupée du reste, et prévoit quelques mesures contre les entreprises, trop gourmandes, qui utiliseraient tous les moyens possibles pour faire augmenter leur chiffre d'affaires.

LA LÉGISLATION CONCERNANT LES IMAGES SUBLIMINALES

Suite au bluff de James Vicary, la loi aux Etats-Unis évolue. Le images subliminales sont ainsi interdites dès 1958 et ce, jusqu'en 1992. Depuis 1992 cependant, aucune loi fédérale permettant de condamner les images subliminales n'a vu le jour. Cela n'empêche pas la Commission Fédérale des Communications de retirer la licence de téléchargement à une entreprise s'il a été prouvé au préalable qu'elle utilise des images subliminales. En France, c'est justement en 1992 que le CSA interdit l’utilisation des images subliminales, avec le décret n° 92-280 du 27 mars 1992, article 10 : "La publicité ne doit pas utiliser des techniques subliminales entendues comme visant à atteindre le subconscient du téléspectateur par l’exposition très brève d’images en vue de la promotion d’un produit, d’une cause ou d’une idée." 

Dans les faits cependant, il est très rare que des sanctions soient prises, même si le CSA a la possibilité d’engager une procédure de sanction qui peut mener à une sanction financière et/ou un retrait des posts contenant des images subliminales. Aujourd'hui encore, l'utilisation d'images subliminales reste donc sujet à controverse, et l'on en apprendra peut-être davantage dans les années à venir. La loi sera-t-elle aussi amenée à évoluer ? 

Auteur: Internet

Info: Chromerit, 6 mai 2019. https://hitek.fr/actualite/image-subliminale-interdiction-psychologie_19279

[ à votre insu ] [ dissimulation ] [ stéganographie ]

 

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particules élémentaires

Les imprévisibles effets de l'interaction forte continuent de surprendre les physiciens

Après plus d'un siècle de collision de particules, les physiciens ont une assez bonne idée de ce qui se passe au cœur de l'atome. Les électrons bourdonnent dans des nuages probabilistes autour d'un noyau de protons et de neutrons, chacun contenant un trio de particules bizarres appelées quarks. La force qui maintient tous les quarks ensemble pour former le noyau est la force forte, la bien nommée. C'est cette interaction forte qui doit être surmontée pour diviser l'atome. Et cette puissante force lie les quarks ensemble si étroitement qu'aucun quark n'a jamais été repéré en solo.

Ces caractéristiques des quarks, dont beaucoup peuvent être expliquées dans un cours de sciences au lycée, ont été établies comme des faits expérimentaux. Et pourtant, d'un point de vue théorique, les physiciens ne peuvent pas vraiment les expliquer.

Il est vrai qu'il existe une théorie de la force forte, et c'est un joyau de la physique moderne. Elle se nomme chromodynamique quantique (QCD), " chromo " faisant référence à un aspect des quarks appelé poétiquement " couleur ". Entre autres choses, la QCD décrit comment la force forte s'intensifie lorsque les quarks se séparent et s'affaiblit lorsqu'ils se rassemblent, un peu comme une bande élastique. Cette propriété est exactement à l'opposé du comportement de forces plus familières comme le magnétisme, et sa découverte dans les années 1970 a valu des prix Nobel. D'un point de vue mathématique, les quarks ont été largement démystifiés.

Cependant, les mathématiques fonctionnent mieux lorsque la force entre les particules est relativement faible, ce qui laisse beaucoup à désirer d'un point de vue expérimental. Les prédictions de la CDQ furent confirmées de manière spectaculaire lors d'expériences menées dans des collisionneurs qui rapprochèrent suffisamment les quarks pour que la force forte entre eux se relâche. Mais lorsque les quarks sont libres d'être eux-mêmes, comme c'est le cas dans le noyau, ils s'éloignent les uns des autres et exercent des pressions sur leurs liens de confinement, et la force forte devient si puissante que les calculs stylo papier sont mis en échec. Dans ces conditions, les quarks forment des protons, des neutrons et une multitude d'autres particules à deux ou trois quarks, généralement appelées hadrons, mais personne ne peut calculer pourquoi cela se produit.

Pour comprendre les bizarreries dont les quarks sont capables, les physiciens ne peuvent que lancer des simulations numériques de force brute (qui ont fait des progrès remarquables ces dernières années) ou regarder les particules ricocher dans de bonnes expériences de collisionnement à l'ancienne. Ainsi, près de 60 ans après que les physiciens aient formalisé le quark, la particule continue de surprendre.

Quoi de neuf et digne de mention

Pas plus tard que l'été dernier, la collaboration du LHCb au Grand collisionneur de hadrons en Europe a repéré des signes de deux variétés jusqu'alors inédites de quarks, les tétraquarks, furtivement observés à travers les tunnels souterrains du collisionneur. Cataloguer la diversité des comportements des quarks aide les physiciens à affiner leurs modèles pour simplifier les complexités de la force forte en fournissant de nouveaux exemples de phénomènes que la théorie doit rendre compte.

Les tétraquarks ont été découverts pour la première fois au LHC à l'été 2014, après plus d'une décennie d'indices selon lesquels les quarks pourraient former ces quatuors, ainsi que des groupes de deux ou trois. Cette découverte a alimenté un débat qui s'est enflammé malgré une question apparemment ésotérique: faut-il considérer quatre quarks comme une "molécule" formée de deux hadrons doubles quarks faiblement attirés connus sous le nom de mésons, ou s'assemblent-ils en paires plus inhabituelles connues sous le nom de diquarks?

Au cours des années qui suivirent, les physiciens des particules accumulèrent des preuves de l'existence d'une petite ménagerie de tétraquarks exotiques et de " pentaquarks " à cinq quarks. Un groupe se détacha en 2021, un tétraquark " à double charme " qui vécut des milliers de fois plus longtemps que ses frères exotiques (à 12 sextillionièmes de seconde comme le Methuselah). Il a prouvé qu'une variété de quark — le quark charme — pouvait former des paires plus résistantes que la plupart des suppositions ou des calculs minutieux l'avaient prédit.

À peu près à la même époque, les chercheurs ont mis au point une nouvelle façon de tamiser le maelström qui suit une collision proton-proton à la recherche d'indices de rencontres fortuites entre des composites de quarks. Ces brefs rendez-vous permettent de déterminer si un couple donné de hadrons attire ou repousse, une prédiction hors de portée du QCD. En 2021, les physiciens ont utilisé cette technique de "femtoscopie" pour apprendre ce qui se passe lorsqu'un proton s'approche d'une paire de quarks " étranges ". Cette découverte pourrait améliorer les théories sur ce qui se passe à l'intérieur des étoiles à neutrons.

L'année dernière, les physiciens ont appris que même les quarks de l'atome d'hélium, très étudié, cachent des secrets. Les atomes d'hélium dénudés ont inauguré le domaine de la physique nucléaire en 1909, lorsque Ernest Rutherford (ou plutôt ses jeunes collaborateurs) les projeta sur une feuille d'or et découvrit le noyau. Aujourd'hui, les atomes d'hélium sont devenus la cible de projectiles encore plus petits. Au début de l'année 2023, une équipe a tiré un flux d'électrons sur des noyaux d'hélium (composés de deux protons et de deux neutrons) et a été déconcertée de constater que les cibles remplies de quarks gonflaient bien plus que ce que la CDQ leur avait laissé supposer.








Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/, Charlie Wood, 19 fev 2024

[ fermions ] [ bosons ]

 

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homme-machine

Sciences-Po vient d’interdire l’usage de ChatGPT, l’application qui permet à tous les empêchés de la plume ou du clavier de produire en un temps record des textes bourrés d’idées reçues — de crainte sans doute, que l’on ne distingue pas les produits de l’Intelligence Artificielle et ceux de nos futurs énarques.

David Cayla, un économiste qui ne dit pas que des âneries, s’est fendu d’un tweet ravageur dès qu’il a appris que Sciences-Po avait décidé d’interdire à ses élèves l’usage de ChatGPT. "La stricte interdiction de #ChatGPT à Sciences Po révèle que cette école se sent menacée par une IA qui est capable de construire de belles phrases à partir de tout sujet, sans comprendre de quoi elle parle, et en faisant régulièrement des erreurs grossières." Et toc.

Rappel des faits pour ceux qui sortent à peine de leur grotte d’hibernation. Chloé Woitier, journaliste Tech au Figaro, vous explique en direct live ce qu’est cette application : la capacité à générer du texte — sans grand souci d’originalité et avec une capacité réelle d’erreurs grandioses — à partir de cohortes de mots et de phrases mis en mémoire. En fait, il s’agit de ce que l’on appelle en rhétorique un texte-centon, fabriqué à partir de collages de citations. Vous en avez un joli exemple ici.

Une chance pour les tire-au-flanc

Rien de nouveau — si ce n’est la capacité à produire un résultat de façon quasi instantanée. Voilà qui nous arrange bien, se disent déjà les élèves peu besogneux qui s’aperçoivent à 7 heures du matin qu’ils ont une dissertation-maison à rendre à 10 heures. En gros, le résultat vaut une petite moyenne.

Laurence Plazanet, professeur de littérature à l’université de Clermont-Auvergne, note que "nourri de la vaste littérature disponible sur la toile, littérature qu’il remâche suivant des algorithmes statistiques et probabilistes aptes à se reprogrammer eux-mêmes, dit-on, selon des procédures que cessent de maîtriser leurs programmeurs initiaux, ChatGPT patauge dans le prêt-à-penser." Et d’ajouter : "Pas un instant ce robot éclairé ne pense."

Intelligence artificielle, un oxymore

Comprenons bien que ces deux mots, "intelligence artificielle", sont ce que l’on appelle en stylistique un oxymore — une contradiction en soi. Comme "obscure clarté", "nuit blanche", "homme fidèle" ou "femme intelligente"…  

(C’étaient les exemples que je citais en cours pour expliquer l’oxymore. Protestations immédiates des uns et des autres, comme vous l’imaginez, mais du coup, par l’exemple provocateur, la notion s’ancrait dans les mémoires.)

Ce qu’il y a d’intelligent dans la machine y a été mis par des hommes. Lorsqu’un ordinateur vous bat aux échecs, c’est que vous êtes moins fort que la cohorte de grands maîtres qui l’ont programmé — ce qui est assez logique.

Que Sciences-Pipeau s’en émeuve est en revanche très inquiétant — et très drôle : les grandes intelligences qui nourriront les ministères et parviendront peut-être un jour au sommet (pensez, François Hollande, Ségolène Royal, Dominique de Villepin appartenaient à la même promo de l’ENA) se sentent menacées par un robot qui mécaniquement débite des platitudes. "Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on n’pense pas, Monsieur, on n’pense pas", chantait Brel. La machine à débiter des lieux communs, dont Flaubert s’est si ardemment moqué dans le discours du sous-préfet (c’est dans Madame Bovary) vous est désormais accessible.

Des inquiétudes injustifiées

ChatGPT n’est pas capable de rédiger une dissertation crédible. Un enseignant un peu rodé repère immédiatement les copiés-collés que les étudiants pressés vont cueillir sur le Net (c’est simple, il n’y a soudain plus de fautes d’orthographe), et ne met pas cinq secondes pour en identifier la source.  

Il est encore moins capable de rédiger une thèse — le plus simple étant d’aller copier une thèse déjà écrite : en 2013 déjà une ministre allemande a été déchue de son doctorat (rendu 33 ans auparavant) parce qu’il avait été pompé sur un travail antérieur. Deux ans auparavant c’était le ministre de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, qui s’était vu dénoncé pour un plagiat similaire dans sa thèse de Droit. 

Et ChatGPT ne saurait pas non plus écrire un roman original. Ne vous avisez pas de le lui demander : au pire, il vous arrivera ce qui est arrivé jadis à Thierry Ardisson, dont le nègre indélicat est allé chercher un récit des années 1930 pour Pondichéry, un roman publié en 1994. Et les héritiers de l’auteur véritable ont porté plainte. Ardisson m’avait confié dans les coulisses d’une émission qu’il avait été "con" de ne pas vérifier. Mais en 1994 c’était moins facile qu’aujourd’hui, où tout se sait à la vitesse de la Toile.

La rumeur de la rue Saint-Guillaume

Que la rumeur d’un robot doué d’une vraie intelligence ait si vite enthousiasmé les commentateurs et effrayé les enseignants témoigne de notre candeur et de notre incapacité à comprendre ce qui fait l’originalité d’un travail. Ou, plus inquiétant, de notre aspiration à la paresse.

Rassurons-nous : HAL 9000 (ou Carl 500, dans la version française, pour Cerveau analytique de Recherche et de Liaison), l’ordinateur rebelle de 2001 l’Odyssée de l’espace, n’est pas pour demain.

Une preuve ? J’ai demandé à ChapGPT de répondre à cette question simple : l’IA va-t-elle remplacer l’intelligence humaine ? Et le robot m’a répondu : 

"Non, l’IA ne remplacera pas complètement l’intelligence humaine. L’IA est un outil qui peut être utilisé pour augmenter les capacités humaines et faciliter certaines tâches, mais elle ne peut pas remplacer la conscience, la créativité et l’empathie qui sont uniques à l’intelligence humaine." Plus plat, tu meurs. On dirait de l’Annie Ernaux. 

Et le fait est que si vous supprimez de votre conversation "la conscience, la créativité et l’empathie", vous êtes bon pour être un parfait étudiant de Sciences-Po, un parfait énarque en devenir, et très probablement un excellent président de la République. 

Auteur: Brighelli Jean-Paul

Info: https://www.causeur.fr, 31 janv 2023. ChatGPT, la Grande Peur de Sciences-Pipeau

[ vacheries ] [ bêtise inconstitutionnelle ] [ élites formatées ]

 

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homme-animal

Domestication des chiens: le mystère de son origine enfin levé
Retracer précisément l'histoire de la domestication du chien est crucial pour la recherche fondamentale. Ce sujet nécessite une approche interdisciplinaire comme l'illustre une nouvelle étude internationale qui réunit des archéozoologues et des paleogénéticiens. Pilotés par une équipe de l'université d'Oxford en Angleterre, ces travaux ont mobilisé plusieurs laboratoires français.
"En savoir plus à ce sujet permet d'en savoir plus sur notre propre histoire ; car l'histoire du chien constitue une part de l'histoire de l'humanité", explique Anne Tresset, archéozoologue à Paris et coauteur de l'étude. En effet, d'une part, le chien présente la particularité d'être le premier à avoir été domestiqué par l'homme: "Il vit dans des sociétés humaines depuis la fin du Paléolithique supérieur, c'est-à-dire depuis au moins 15 000 ans. À titre de comparaison, la domestication des bovins, du mouton, de la chèvre et du porc n'a eu lieu, elle, que plusieurs millénaires après, au Néolithique, soit il y a 10 500 ans", précise notre contact. D'autre part, le chien a un statut très particulier: "Il est le meilleur ami de l'homme, et le fut sans doute dès l'origine. On a par exemple retrouvé des ossements de chiens aux côtés de défunts dans des tombes de la culture proche-orientale natoufienne, remontant à l'Épipaléolithique, donc à plus de 11 000 ans...", poursuit Anne Tresset.
Plus précisément, la nouvelle étude suggère que le chien dérive non pas d'une seule, mais de deux domestications indépendantes de loups: une, survenue en Europe il y a au moins 15 000 ans ; et l'autre, en Asie de l'Est, il y a au moins 12 500 ans. Puis entre le Ve et le IVe millénaire avant notre ère, des chiens d'Asie auraient migré vers l'Europe, sans doute en même temps que des populations humaines. Là, ils se seraient reproduits avec des chiens européens. Leurs descendants auraient ensuite peu à peu remplacé les chiens d'origine.
Dans les faits, les archéozoologues soupçonnent une double origine du chien depuis plusieurs décennies déjà. Et ce grâce à l'étude de restes de chiens anciens, datés de la fin du Paléolithique supérieur ou de l'Épipaléolithique. Problème, les généticiens restaient, eux, persuadés qu'il n'y avait eu qu'une seule domestication: en Asie.
Et pour cause: les généticiens en question analysaient l'ADN des chiens actuels. Lesquels appartiennent majoritairement à un ensemble de lignées génétiques particulier, d'origine asiatique: l'haplogroupe A. "Le problème avec cette démarche est qu'en cas d'événements gommant complètement le pool génétique antérieur de la population analysée - comme ici, l'arrivée de chiens asiatiques en Europe -, il est impossible de "voir" ce qu'il y avait avant, soit ici le fait qu'il existait déjà, avant l'arrivée des chiens asiatiques, des chiens en Europe de l'Ouest, appartenant à l'haplogroupe C...", explique Anne Tresset.
Des os remontant à l'époque des tout premiers chiens
"La force de notre nouvelle étude est justement qu'elle a permis d'analyser pour la première fois l'ADN de nombreux restes archéologiques couvrant une longue période de l'histoire du chien, les plus vieux remontant à 14 000 ans, soit au début de l'histoire évolutive de ce mammifère. De plus, nos échantillons provenaient de différentes zones géographiques en Europe (France, Suisse, Allemagne, Roumanie...) et en Asie (Iran, Turkménistan, Russie asiatique)", souligne la paléogénéticienne lyonnaise Catherine Hänni.
"La force de notre étude est qu'elle a permis d'analyser pour la première fois l'ADN de nombreux restes archéologiques."
Concrètement, les chercheurs ont reconstitué l'histoire évolutive des chiens en étudiant 59 restes archéologiques de chiens qui ont vécu entre 14 000 et 3 000 ans avant le présent. Les scientifiques ont extrait l'ADN ancien de ces ossements puis ont séquencé l'ADN mitochondrial (présent dans des structures particulières des cellules: les mitochondries). Le génome complet des restes d'un chien vieux de 4 800 ans a également été séquencé.
"Cette recherche n'aurait jamais abouti sans la collaboration étroite entre l'archéozoologie, la paléogénétique et l'analyse génomique", se réjouit Catherine Hänni.
Une alliance tripartite gagnante
En pratique, les archéo zoologues ont permis l'accès aux différents restes archéologiques de chiens analysés ici, qu'ils avaient étudiés lors de précédentes études indépendantes. "À elle seule, notre équipe a fourni plus des trois quarts des échantillons étudiés", indique Anne Tresset. Puis, les paléo généticiens - dont l'équipe lyonnaise de Catherine Hänni - ont extrait et séquencé l'ADN des ossements collectés par les archéo zoologues. Enfin, l'équipe d'Oxford a réalisé une modélisation informatique à partir des séquences génétiques anciennes et de celles de 2 500 chiens modernes étudiés précédemment. Ce qui a permis au final de reconstituer l'arbre évolutif du chien.
Chose surprenante, cette modélisation a révélé une divergence entre les chiens originaires d'Asie de l'Est et ceux d'Europe, remontant à il y a moins de 14 000 ans... soit après l'apparition du chien en Europe ! D'où la conclusion qu'il y avait à l'origine deux populations distinctes de chiens: une en Asie et une en Europe. Autre résultat important: les analyses des ADN mitochondriaux des chiens modernes et anciens ont montré que, si la majorité des anciens chiens européens appartenaient à l'haplogroupe C (60 % des chiens) ou D (20 %), la plupart des chiens européens modernes sont de l'haplogroupe A (64 %) et B (22 %), tous deux d'origines asiatiques. Ce qui est cohérent avec une arrivée de chiens originaires d'Asie en Europe.
D'autres zones d'ombre à éclaircir
À l'avenir, les équipes d'Anne Tresset et de Catherine Hänni espèrent pouvoir éclaircir plusieurs autres zones d'ombre de l'histoire européenne et proche-orientale du chien. "Par exemple, nous voudrions tenter de comprendre pourquoi on trouve dans l'Ouest de l'Europe plutôt des chiens petits, alors qu'à l'Est de l'Europe on a plutôt des grands types. Plus largement, nous souhaiterions étudier les facteurs à l'origine de l'évolution de la taille, de la couleur ou encore de la forme des chiens lors de leur histoire évolutive (sélection par l'homme,...)", précise Anne Tresset. L'histoire du chien est donc loin d'avoir livré tous ses secrets.

Auteur: Internet

Info: http://www.techno-science.net/?onglet=news&news=15224

 

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onomasiologie algébrique

Critique réciproque de l’intelligence artificielle et des sciences humaines

Je me souviens d’avoir participé, vers la fin des années 1980, à un Colloque de Cerisy sur les sciences cognitives auquel participaient quelques grands noms américains de la discipline, y compris les tenants des courants neuro-connexionnistes et logicistes. Parmi les invités, le philosophe Hubert Dreyfus (notamment l’auteur de What Computers Can’t Do, MIT Press, 1972) critiquait vertement les chercheurs en intelligence artificielle parce qu’ils ne tenaient pas compte de l’intentionnalité découverte par la phénoménologie. Les raisonnements humains réels, rappelait-il, sont situés, orientés vers une fin et tirent leur pertinence d’un contexte d’interaction. Les sciences de la cognition dominées par le courant logico-statistique étaient incapables de rendre compte des horizons de conscience qui éclairent l’intelligence. Dreyfus avait sans doute raison, mais sa critique ne portait pas assez loin, car ce n’était pas seulement la phénoménologie qui était ignorée. L’intelligence artificielle (IA) n’intégrait pas non plus dans la cognition qu’elle prétendait modéliser la complexité des systèmes symboliques et de la communication humaine, ni les médias qui la soutiennent, ni les tensions pragmatiques ou les relations sociales qui l’animent. A cet égard, nous vivons aujourd’hui dans une situation paradoxale puisque l’IA connaît un succès pratique impressionnant au moment même où son échec théorique devient patent.

Succès pratique, en effet, puisqu’éclate partout l’utilité des algorithmes statistiques, de l’apprentissage automatique, des simulations d’intelligence collective animale, des réseaux neuronaux et d’autres systèmes de reconnaissance de formes. Le traitement automatique du langage naturel n’a jamais été aussi populaire, comme en témoigne par exemple l’usage de Google translate. Le Web des données promu par le WWW consortium (dirigé par Sir Tim Berners-Lee). utilise le même type de règles logiques que les systèmes experts des années 1980. Enfin, les algorithmes de computation sociale mis en oeuvre par les moteurs de recherche et les médias sociaux montrent chaque jour leur efficacité.

Mais il faut bien constater l’échec théorique de l’IA puisque, malgré la multitude des outils algorithmiques disponibles, l’intelligence artificielle ne peut toujours pas exhiber de modèle convaincant de la cognition. La discipline a prudemment renoncé à simuler l’intelligence dans son intégralité. Il est clair pour tout chercheur en sciences humaines ayant quelque peu pratiqué la transdisciplinarité que, du fait de sa complexité foisonnante, l’objet des sciences humaines (l’esprit, la pensée, l’intelligence, la culture, la société) ne peut être pris en compte dans son intégralité par aucune des théories computationnelles de la cognition actuellement disponible. C’est pourquoi l’intelligence artificielle se contente dans les faits de fournir une boîte à outils hétéroclite (règles logiques, syntaxes formelles, méthodes statistiques, simulations neuronales ou socio-biologiques…) qui n’offrent pas de solution générale au problème d’une modélisation mathématique de la cognition humaine.

Cependant, les chercheurs en intelligence artificielle ont beau jeu de répondre à leurs critiques issus des sciences humaines : "Vous prétendez que nos algorithmes échouent à rendre compte de la complexité de la cognition humaine, mais vous ne nous en proposez vous-mêmes aucun pour remédier au problème. Vous vous contentez de pointer du doigt vers une multitude de disciplines, plus complexes les unes que les autres (philosophie, psychologie, linguistique, sociologie, histoire, géographie, littérature, communication…), qui n’ont pas de métalangage commun et n’ont pas formalisé leurs objets ! Comment voulez-vous que nous nous retrouvions dans ce bric-à-brac ?" Et cette interpellation est tout aussi sensée que la critique à laquelle elle répond.

Synthèse de l’intelligence artificielle et des sciences humaines

Ce que j’ai appris de Hubert Dreyfus lors de ce colloque de 1987 où je l’ai rencontré, ce n’était pas tant que la phénoménologie serait la clé de tous les problèmes d’une modélisation scientifique de l’esprit (Husserl, le père de la phénoménologie, pensait d’ailleurs que la phénoménologie – une sorte de méta-science de la conscience – était impossible à mathématiser et qu’elle représentait même le non-mathématisable par exellence, l’autre de la science mathématique de la nature), mais plutôt que l’intelligence artificielle avait tort de chercher cette clé dans la seule zone éclairée par le réverbère de l’arithmétique, de la logique et des neurones formels… et que les philosophes, herméneutes et spécialistes de la complexité du sens devaient participer activement à la recherche plutôt que de se contenter de critiquer. Pour trouver la clé, il fallait élargir le regard, fouiller et creuser dans l’ensemble du champ des sciences humaines, aussi opaque au calcul qu’il semble à première vue. Nous devions disposer d’un outil à traiter le sens, la signification, la sémantique en général, sur un mode computationnel. Une fois éclairé par le calcul le champ immense des relations sémantiques, une science de la cognition digne de ce nom pourrait voir le jour. En effet, pour peu qu’un outil symbolique nous assure du calcul des relations entre signifiés, alors il devient possible de calculer les relations sémantiques entre les concepts, entre les idées et entre les intelligences. Mû par ces considérations, j’ai développé la théorie sémantique de la cognition et le métalangage IEML : de leur union résulte la sémantique computationnelle.

Les spécialistes du sens, de la culture et de la pensée se sentent démunis face à la boîte à outils hétérogène de l’intelligence artificielle : ils n’y reconnaissent nulle part de quoi traiter la complexité contextuelle de la signification. C’est pourquoi la sémantique computationnelle leur propose de manipuler les outils algorithmiques de manière cohérente à partir de la sémantique des langues naturelles. Les ingénieurs s’égarent face à la multitude bigarrée, au flou artistique et à l’absence d’interopérabilité conceptuelle des sciences humaines. Remédiant à ce problème, la sémantique computationnelle leur donne prise sur les outils et les concepts foisonnants des insaisissables sciences humaines. En somme, le grand projet de la sémantique computationnelle consiste à construire un pont entre l’ingénierie logicielle et les sciences humaines de telle sorte que ces dernières puissent utiliser à leur service la puissance computationnelle de l’informatique et que celle-ci parvienne à intégrer la finesse herméneutique et la complexité contextuelle des sciences humaines. Mais une intelligence artificielle grande ouverte aux sciences humaines et capable de calculer la complexité du sens ne serait justement plus l’intelligence artificielle que nous connaissons aujourd’hui. Quant à des sciences humaines qui se doteraient d’un métalangage calculable, qui mobiliseraient l’intelligence collective et qui maîtriseraient enfin le médium algorithmique, elles ne ressembleraient plus aux sciences humaines que nous connaissons depuis le XVIIIe siècle : nous aurions franchi le seuil d’une nouvelle épistémè.

Auteur: Lévy Pierre

Info: https://pierrelevyblog.com/2014/10/08/intelligence-artificielle-et-sciences-humaines/

[ mathématification idiomatique ]

 

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jeu

Le fantasque Mario Balotelli, la vraie star de cet Euro 2012
Rebelle, iconoclaste, le joueur qualifié pour les demi-finales avec l'Italie contredit tous les clichés du politiquement correct.
"Oubliez-moi. La vraie rock star ici, c'est Mario Balotelli !" Déclare Noel Gallagher, le chanteur controversé de l'ex-groupe Oasis, qui parle de l'attaquant italien de Manchester City. Un rapide condensé de l'esprit de ce joueur qui vient de se qualifier pour les demi-finales de l'Euro 2012 avec la Squadra Azzurra. Et c'est d'ailleurs sa patrie d'adoption - l'Angleterre, où il évolue sous les couleurs de Manchester City - qu'il vient d'éliminer de la compétition, aux tirs au but, après y être allé de sa petite réalisation.
Mario Balotelli est un show à lui tout seul qui défraie la chronique. On en est fan ou on l'exècre. Soit on le considère comme un génie, soit comme un sombre abruti. Mais une chose est sûre, il ne laisse pas indifférent. Et pour ses débuts à l'Euro 2012, il n'a pas failli à sa réputation de joueur fantasque. Capable du pire comme du meilleur sur une pelouse, il a appliqué avec panache ce concept lors de la phase des poules. Il passe ainsi à côté de ses deux premiers matches et suscite la colère des tifosi pour son comportement de diva sur le terrain. Alors, pour faire taire tout le monde, l'attaquant italien est aussi en mesure d'inscrire un somptueux but lors du troisième match de poule et de le célébrer en boudant et en se faisant censurer par ses coéquipiers, de peur que l'intenable ne dérape dans ses propos ou dans la célébration de son but. Au final, ses partenaires s'en amusent et ont appris à composer avec ce caractère instable.
Compétitif et instable
Car Balotelli est un véritable ovni du ballon rond. Le genre de joueur complètement perché en marge totale des principes liés au monde du football professionnel. Conscient de son talent, il n'en fait qu'à sa tête, ce qui déclenche inévitablement des polémiques. Mais là où certains joueurs français pénalisent leur équipe par des attitudes immatures, la folie de Mario Balotelli le rend compétitif et hors du commun. Il peut, par exemple, se vanter en club cette saison d'un meilleur ratio buts-temps de jeu que la star de Manchester City Sergio Agüero et a été décisif dans l'obtention du titre de champion des Citizens. Et c'est d'ailleurs ce point précis qui dérange.
À une époque où l'on nous apprend que seuls la volonté, le travail et l'effort conditionnent la réussite sociale, Mario arrive au sommet de sa profession avec une attitude de dilettante. Alors que les médias font le constat d'une société en manque de repères qui découlerait d'une autorité défaillante, Mario Balotelli conteste fréquemment la figure hiérarchique du coach, ce qui ne l'empêche pas pour autant de faire une belle carrière. Quel joueur, du haut de ses 22 ans, a déjà gagné une Ligue des champions, trois championnats d'Italie et un titre de champion d'Angleterre ? Il met ainsi en porte à faux tous ces principes consensuels qui ont transformé le football en univers aseptisé où aucun comportement rebelle n'est toléré. Un constat qui a énormément de mal à passer et qui se verra toujours opposer des arguments fallacieux mettant en avant l'instabilité du garçon ou ses doigts d'honneur faits à la morale.
Il faut dire que le parcours de Mario Balotelli est lui-même hors norme. Né à Palerme, en Sicile, de parents ghanéens, il est recueilli à 2 ans par une famille italienne de Brescia. Et dans un pays loin d'être cosmopolite, il est l'un des rares enfants de couleur noire de cette ville. Pourtant, il n'a jamais été tenté par un "retour aux sources" salvateur ou mystique dont les joueurs français ou anglais d'origine africaine sont friands. Au contraire, il se revendique 100 % italien et déclare être un amoureux de sa patrie. N'a-t-il pas sorti un drapeau vert-blanc-rouge devant les supporteurs de Manchester City au moment de célébrer le titre avec eux ? Paradoxe : ce genre d'attitude - très certainement glorifiée en France par ceux qui s'inquiètent de ne voir aucun joueur chanter La Marseillaise - ne passe pas en Italie. Les Transalpins ne pardonnent rien à l'ancien sociétaire de l'Inter Milan.
Premier Noir de la Squadra Azzurra
Majoritairement xénophobe, l'Italie a eu du mal à accepter qu'un joueur de couleur noire soit la figure la plus visible de la Squadra Azzurra. Pire, Mario Balotelli est devenu en 2010 le premier joueur de couleur noire à revêtir le maillot de la Nazionale... De quoi déclencher de vives migraines chez les supporteurs les plus farouches et réactionnaires de la Petite Botte. D'autant plus que l'indiscipline de Mario n'arrange rien. Son passage à l'Inter Milan s'est d'ailleurs très mal terminé. Ce qui n'a rien d'étonnant vu que l'entraîneur était à l'époque José Mourinho. D'un côté, un coach portugais show man de classe mondiale qui est très à cheval sur les valeurs collectives de son équipe. De l'autre, un joueur individualiste et forte tête qui se considère comme la seule star de l'effectif. Le clash était inévitable.
Malgré ses frasques, ses attitudes incompréhensibles, son comportement immature et son inconscience avérée il vient de provoquer un incendie à son domicile en allumant pétards et feux d'artifice dans sa salle de bains), Mario Balotelli fait curieusement du bien au football. Il apporte de la fraîcheur et de l'originalité dans ce monde du ballon rond qui a perdu son innocence à cause des exigences du haut niveau. Qui ne s'est pas déjà ennuyé devant une interview d'un joueur de Ligue 1 au discours formaté du type "l'important, c'est les trois points" ?
Pourquoi les Cantona, Maradona, Romario, Ronaldinho ou Paul Gascoigne étaient si populaires ? Parce qu'ils ont toujours compris que le football était d'abord un jeu avant d'être leur travail. Et que le spectacle fait aussi partie de ce sport au même titre, voire plus, que la performance. Mario Balotelli, même s'il ne le revendique pas ouvertement, s'inscrit dans cet héritage. Il est l'enfant terrible du football moderne, directement engendré et inspiré par ces anciennes gloires du ballon rond. Mario Balotelli confond la pelouse d'un stade avec une cour d'école et c'est ce qui plaît. On l'adule ou on le hait, mais on ne peut pas nier qu'il apporte de la vie et de l'humain au football avec son comportement d'enfant.

Auteur: Cacace Giuseppe

Info: Le Point.fr, 25 juin 2012

[ fantaisie ] [ star ] [ sport ] [ révolte ]

 

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chronos

Comment les physiciens explorent et repensent le temps

Le temps est inextricablement lié à ce qui pourrait être l’objectif le plus fondamental de la physique : la prédiction. Qu'ils étudient des boulets de canon, des électrons ou l'univers entier, les physiciens visent à recueillir des informations sur le passé ou le présent et à les projeter vers l'avant pour avoir un aperçu de l'avenir. Le temps est, comme l’a dit Frank Wilczek, lauréat du prix Nobel, dans un récent épisode du podcast The Joy of Why de Quanta, " la variable maîtresse sous laquelle le monde se déroule ".  Outre la prédiction, les physiciens sont confrontés au défi de comprendre le temps comme un phénomène physique à part entière. Ils développent des explications de plus en plus précises sur la caractéristique la plus évidente du temps dans notre vie quotidienne : son écoulement inexorable. Et des expériences récentes montrent des façons plus exotiques dont le temps peut se comporter selon les lois de la mécanique quantique et de la relativité générale. Alors que les chercheurs approfondissent leur compréhension du temps dans ces deux théories chères, ils se heurtent à des énigmes qui semblent surgir de niveaux de réalité plus obscurs et plus fondamentaux. Einstein a dit en plaisantant que le temps est ce que mesurent les horloges. C'est une réponse rapide. Mais alors que les physiciens manipulent des horloges de plus en plus sophistiquées, on leur rappelle fréquemment que mesurer quelque chose est très différent de le comprendre. 

Quoi de neuf et remarquable

Une réalisation majeure a été de comprendre pourquoi le temps ne s'écoule qu'en avant, alors que la plupart des faits physiques les plus simples peuvent être faits et défaits avec la même facilité.  La réponse générale semble provenir des statistiques des systèmes complexes et de la tendance de ces systèmes à passer de configurations rares et ordonnées à des configurations désordonnées plus courantes, qui ont une entropie plus élevée. Les physiciens ont ainsi défini une " flèche du temps " classique dans les années 1800, et dans les temps modernes, les physiciens ont remanié cette flèche probabiliste en termes d’intrication quantique croissante. En 2021, ma collègue Natalie Wolchover a fait état d’une nouvelle description des horloges comme de machine qui ont besoin du désordre pour fonctionner sans problème, resserrant ainsi le lien entre emps et entropie. 

Simultanément, les expérimentateurs se sont fait un plaisir d'exposer les bizarres courbures et crépitements du temps que nous ne connaissons pas, mais qui sont autorisés par les lois contre-intuitives de la relativité générale et de la mécanique quantique. En ce qui concerne la relativité, Katie McCormick a décrit en 2021 une expérience mesurant la façon dont le champ gravitationnel de la Terre ralentit le tic-tac du temps sur des distances aussi courtes qu'un millimètre. En ce qui concerne la mécanique quantique, j'ai rapporté l'année dernière comment des physiciens ont réussi à faire en sorte que des particules de lumière fassent l'expérience d'un écoulement simultané du temps vers l'avant et vers l'arrière.

C'est lorsque les physiciens sont confrontés à la formidable tâche de fusionner la théorie quantique avec la relativité générale que tout ça devient confus ; chaque théorie a sa propre conception du temps, mais les deux notions n’ont presque rien en commun.

En mécanique quantique, le temps fonctionne plus ou moins comme on peut s'y attendre : vous commencez par un état initial et utilisez une équation pour le faire avancer de manière rigide jusqu'à un état ultérieur. Des manigances quantiques peuvent se produire en raison des façons particulières dont les états quantiques peuvent se combiner, mais le concept familier du changement se produisant avec le tic-tac d’une horloge maîtresse reste intact.

En relativité générale, cependant, une telle horloge maîtresse n’existe pas. Einstein a cousu le temps dans un tissu espace-temps qui se plie et ondule, ralentissant certaines horloges et en accélérant d’autres. Dans ce tableau géométrique, le temps devient une dimension au même titre que les trois dimensions de l'espace, bien qu'il s'agisse d'une dimension bizarroïde qui ne permet de voyager que dans une seule direction.

Et dans ce contexte, les physiciens dépouillent souvent le temps de sa nature à sens unique. Bon nombre des découvertes fondamentales de Hawking sur les trous noirs – cicatrices dans le tissu spatio-temporel créées par l’effondrement violent d’étoiles géantes – sont nées de la mesure du temps avec une horloge qui marquait des nombres imaginaires, un traitement mathématique qui simplifie certaines équations gravitationnelles et considère le temps comme apparié à l'espace. Ses conclusions sont désormais considérées comme incontournables, malgré la nature non physique de l’astuce mathématique qu’il a utilisée pour y parvenir.

Plus récemment, des physiciens ont utilisé cette même astuce du temps imaginaire pour affirmer que notre univers est l'univers le plus typique, comme je l'ai rapporté en 2022. Ils se demandent encore pourquoi l'astuce semble fonctionner et ce que signifie son utilité. "Il se peut qu'il y ait ici quelque chose de profond que nous n'avons pas tout à fait compris", a écrit le célèbre physicien Anthony Zee à propos du jeu imaginaire du temps dans son manuel de théorie quantique des champs.

Mais qu’en est-il du temps réel et à sens unique dans notre univers ? Comment les physiciens peuvent-ils concilier les deux images du temps alors qu’ils se dirigent sur la pointe des pieds vers une théorie de la gravité quantique qui unit la théorie quantique à la relativité générale ? C’est l’un des problèmes les plus difficiles de la physique moderne. Même si personne ne connaît la réponse, les propositions intrigantes abondent.

Une suggestion, comme je l’ai signalé en 2022, est d’assouplir le fonctionnement restrictif du temps en mécanique quantique en permettant à l’univers de générer apparemment une variété d’avenirs à mesure qu’il grandit – une solution désagréable pour de nombreux physiciens. Natalie Wolchover a écrit sur la suspicion croissante selon laquelle le passage du temps résulte de l'enchevêtrement de particules quantiques, tout comme la température émerge de la bousculade des molécules. En 2020, elle a également évoqué une idée encore plus originale : que la physique soit reformulée en termes de nombres imprécis et abandonne ses ambitions de faire des prévisions parfaites de l’avenir.

Tout ce que les horloges mesurent continue de s’avérer insaisissable et mystérieux. 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Charlie Wood, 1 avril 2024

 

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déresponsabilisation industrielle

Un documentaire consacré aux désastres de Tchernobyl et de Fukushima a été présenté par Arte le 26 avril dernier, lançant une pernicieuse invitation à "vivre avec" la contamination radioactive, "défi" que prétendent, en ces jours sombres, relever les missionnaires de l’accommodation à la vie en zones contaminées par la radioactivité.



L’"Initiative de Dialogue pour la réhabilitation des conditions de vie après l’accident de Fukushima", présentée dans ce film, a été pilotée par de supposés, et néanmoins dangereux experts à l’œuvre à Tchernobyl hier, à Fukushima aujourd’hui, et en France demain.



[...] Un des principaux objectifs − atteint − de ces programmes, a été d’évincer du terrain de Tchernobyl les initiatives de protection sanitaire développées par des médecins et des physiciens après l’accident de la centrale, et de ne pas ralentir, en conséquence, la détérioration continue de la santé des populations, faute d’apporter une véritable prophylaxie.



Les faits de traîtrise de Gilles Hériard-Dubreuil à l’encontre des spécialistes de santé du Belarus ne semblent toutefois pas avoir dissuadé la députée européenne Europe Écologie-Les Verts Michèle Rivasi et l’avocate Corinne Lepage, "antinucléaires" déclarées, de collaborer avec ce dernier, de le nommer "secrétaire" et "expert qualifié" de leur association européenne Nuclear Transparency Watch, qu’elles ont créée et qu’elles président depuis 2013, appelant à rien moins qu’"une implication systématique des citoyens et de la société civile dans la préparation et la réponse aux situations d’urgence nucléaire en Europe", situations dont on aura suffisamment compris qu’elles ne tarderont plus à "survenir".



[...] 



Voici leurs cinq recettes, qui, pour être bien concoctées, n’en sont pas moins empoisonnées de cette mort qui enverra les gens moisir à plat.



1. Inciter chacun à rester vivre dans les zones contaminées, tout en "optimisant" son exposition à la radioactivité à proportion du coût économique et social de sa protection. Ainsi, maximisent-ils le nombre de personnes contraintes de suivre un protocole de contrôle et de mesure permettant de survivre dans la contamination à moindre coût. À défaut de les soigner.



2. Considérer la réalité radioactive comme un problème psychologique. Il s’agit de transformer une réalité scientifique et sociale – la contamination radioactive et ses dégâts –, en phénomène faisant l’objet d’un "ressenti" individuel, lui-même tributaire de l’état mental, ou psychologique, de chacun.



Le rapport à la radioactivité ne relèverait ainsi que d’une gestion personnalisée de l’angoisse. À dire d’experts, ce ne serait alors plus la situation de contamination qui serait irrationnelle, mais la perception qu’on en aurait.



3. Recourir à un jargon d’"authenticité", pontifiant et illusoirement concret dans lequel les appels à l’autonomie, à la dignité, à la communauté et à l’humain ne font qu’emprunter à la théologie de pâles reflets de transcendance, afin de mieux assujettir l’individu au fonctionnement, ici du tout radioactif, ailleurs du tout sécurisé.



Or, conforter les gens dans le délire selon lequel ils sont des sujets autonomes dans la "gestion de leur contamination", alors qu’ils savent bien qu’il leur est seulement impossible de ne pas se plier aux rapports techno-sociaux dont ils sont prisonniers, c’est vouer à l’échec toute possibilité d’échappée.



On conditionne les populations à la cogestion du désastre, en les encourageant à stimuler, et a minima à simuler, les réflexes et les comportements induits par les modifications du monde environnant. Cette recherche de l’adaptation parfaite passe par l’intériorisation de toutes les formes de pressions que la contamination radioactive fait naître.



4. Promouvoir la résilience, nouvel horizon de l’homme adaptable, censé ne compter que sur lui-même et ses insondables capacités de "rebond". Au nom d’un relativisme pragmatique, d’un primat de "la vie quotidienne", ces médiateurs du désastre insufflent la défiance, voire la décrédibilisation, des connaissances scientifiques les moins contestables, distillent le doute et propagent l’ignorance sur les effets sanitaires de l’exposition durable aux dites "faibles doses" de rayonnement ionisant, tout en déplorant "la montée de la défiance des populations vis-à-vis des différentes sortes d’autorités."



Résilience aidant, c’est à nous qu’ils assignent ensuite la tâche de recoller les morceaux de ce qu’ils contribuent à détruire. Ils préconisent de remplacer les normes de protection par de simples recommandations destinées à faciliter l’action des individus. "Les gens passent ainsi de la résignation à la créativité", s’enthousiasme Jacques Lochard.



Ainsi, chacun n’aurait plus qu’à mobiliser ses propres réserves de résistance à l’irrésistible et devenir "partie prenante" de sa propre irradiation. On reconnaît là le choix de l’État japonais : maintenir les populations sur place et diminuer d’autant, à court terme du moins, le coût d’un accident nucléaire.



5. Banaliser la radioactivité, cet obstacle que l’on apprend à contourner au quotidien dans la recherche de "solutions" immédiates, ponctuelles et individuelles. La radioactivité ne poserait alors problème que dans la seule mesure où les pratiques de vie des habitants les amèneraient à la "croiser" sur le chemin de l’école, du travail, ou de la promenade.



Au Japon, se mène désormais une chasse quotidienne aux hotspots de contamination radioactive, réduits à des incidents facilement résolus en grattant le sol et en stockant la terre dans des sacs poubelle, ou en installant des rideaux de plomb aux fenêtres des chambres d’enfants afin d’"éviter la contamination venant de la forêt."



[...] 



Ces aménageurs de la vie mutilée, relayés par Arte et tant d’autres représentants d’instances étatiques ou associatives, telles que Nuclear Transparency Watch de Mmes Rivasi et Lepage, et M. Hériard-Dubreuil, défendent haut et fort l’irrationalité selon laquelle il existerait un entre-deux de la contamination, où l’exposition au rayonnement ne serait dangereuse qu’en principe, mais s’avèrerait inoffensive dans la réalité. Véritable irrationalité, cette extrême violence du "vivre avec" est une insulte aux survivants.



Il s’agirait donc d’endiguer l’horreur de la contamination en la coulant dans les formes pseudo-rationnelles d’un "tous ensemble, nous vaincrons la radioactivité" ? C’est à quoi se vouent ces prêcheurs de soumission en expliquant, sans foi ni loi, qu’on peut échapper au danger en s’y confrontant, qu’on peut gratter la terre, mais en croisant les doigts.



[...] Proclamant qu’il faut "gérer" sa peur, ils prétendent réduire à néant toute possibilité de mise en cause de la déraison nucléaire, enjoignant à chacun d’en tirer au contraire parti, plutôt que de se hasarder à en rechercher les responsables.



Il fallait dire ce qu’est l’objectif de ces rédempteurs du "vivre avec", qui n’en paieront pas le prix, eux qui ont choisi d’emplir les hôpitaux de malades plutôt que de rendre inhabitées des terres inhabitables.

Auteur: Internet

Info: 3 août 2016, https://sciences-critiques.fr/tchernobyl-fukushima-les-amenageurs-de-la-vie-mutilee/

[ sacrifice différé ] [ minimisation des conséquences ] [ propagande cynique ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson