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femmes-par-hommes

Elle serait à la retraite dans quinze ans, si le gouvernement ne pondait pas une connerie d'ici là. C'était loin encore. Elle comptait les jours. Le week-end, elle voyait sa sœur. Elle rendait visite des copines. c'était fou le nombre de femmes seules qui voulaient profiter de la vie. Elles faisaient des balades, s'inscrivaient à des voyages organisés. C'est ainsi qu'on voyait des bus parcourir l'Alsace et la Forêt Noire, gorgés de célibataires, de veuves, de bonnes femmes abandonnées. Elles se marraient désormais entre elles, gueuletonnaient au forfait dans des auberges avec poutres apparentes, menu tout compris, fromage et café gourmand. Elles visitaient des châteaux et des villages typiques, organisaient des soirées Karaoké et des cagnottes pour aller aux Baléares. Dans leur vie, les enfants, les bonshommes n'auraient été qu'un épisode. Premières de leur sorte, elles s'offraient une escapade hors des servitudes millénaires. Et ces amazones en pantacourt, modestes, rieuses, avec leurs coquetteries restreintes, leurs cheveux teints, leur cul qu'elles trouvaient trop gros et leur désir de profiter, parce que la vie, au fond, était trop courte, ces filles de prolo, ces gamines grandies en écoutant les yéyés et qui avaient massivement accédé à l'emploi salarié, s'en payaient une bonne tranche après une vie de mouron et de bouts de chandelle. Toutes ou presque avaient connu des grossesses multiples, des époux licenciés, dépressifs, des violents, des machos, des chômeurs, des humiliés compulsifs. À table, au bistrot, au lit, avec leurs têtes d'enterrement, leurs grosses mains, leurs cœurs broyés, ces hommes avaient emmerdé le monde des années durant. Inconsolables depuis que leurs fameuses usines avaient fermé, que les hauts-fourneaux s'étaient tus. Même les gentils, les pères attentionnés, les bons gars, les silencieux, les soumis. Tous ces mecs, ou à peu près, étaient partis par le fond. Les fils aussi, en règle générale, avaient mal tourné, à faire n'importe quoi, et causé bien du souci, avant de trouver une raison de se ranger, une fille bien souvent. Tout ce temps, les femmes avaient tenu, endurantes et malmenées. Et les choses, finalement, avaient repris un cours admissible, après le grand creux de la crise. Encore que la crise, ce n'était plus un moment. C'était une position dans l'ordre des choses. Un destin. Le leur.

Auteur: Nicolas Mathieu

Info: Leurs enfants après eux, pp 418-419, Actes Sud, 2018

[ ménopausées ] [ femmes-entre-elles ] [ sociologie ]

 

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communauté religieuse

Le surlendemain, Marchenoir commençait à pied l’ascension du Désert de la Grande-Chartreuse. Lorsqu’il eut franchi ce qu’on appelle l’entrée de Fourvoirie, rainure imperceptible entre deux rocs monstrueux, au-delà desquels la vie moderne paraît brusquement s’interrompre, une sorte de paix joyeuse fondit sur lui. Il allait enfin savoir à quoi s’en tenir sur cette Maison fameuse dans la Chrétienté, — si bêtement entrevue, de nos jours, à travers les fumées de l’alcoolisme démocratique, — ruche alpestre des plus sublimes ouvriers de la prière, de ceux-là qu’un vieil écrivain comparaît aux Brûlants des cieux et qu’il appelait, pour cette raison, les "Séraphins de l’Église militante !"



Les gens badigeonnés d’une légère couche de christianisme, qui veulent que les pèlerinages soient commodes, affirment sous serment que le monastère est inaccessible dans la saison des neiges. L’effet heureux de ce préjugé est une restitution périodique de l’antique solitude cartusienne tant désirée par saint Bruno pour ses religieux !



L’énorme affluence des voyageurs, dans ce qu’on est convenu d’appeler la belle saison, doit être, pour les solitaires, une bien pesante importunité. La foi du plus grand nombre de ces curieux n’aurait certainement pas la force évangélique qui fait bondir les montagnes, et beaucoup viennent et s’en vont qui n’ont pas d’autre bagage spirituel que le très sot journal d’un touriste sans ingénuité. N’importe ! ils sont reçus comme s’ils tombaient du ciel, — aérolithes mondains de peu de fulgurance, qui ne déconcertent jamais l’accueillante résignation de ces moines hospitaliers



La Grande-Chartreuse doit donc être visitée en hiver par tous ceux qui veulent se faire une exacte idée de cette merveilleuse combinaison de la vie érémitique et de la vie commune qui caractérise essentiellement l’ordre cartusien, et dont la triomphante expérience accomplit, tout à l’heure, son huitième siècle.



Fondée, en 1084, la famille de saint Bruno, — rouvre glorieux qui couvrit le monde chrétien de sa puissante frondaison, — seule entre toutes les familles religieuses, a mérité ce témoignage de la Papauté : Cartusia nunquam reformata, quia nunquam deformata, l’ordre des Chartreux, ne s’étant point déformé, n’a jamais eu besoin d’être réformé.



Dans un siècle aussi jeté que le nôtre aux lamproies ou aux murènes de la définitive anarchie qui menace de faire ripaille du monde, il est au moins intéressant de contempler cet unique monument du passé chrétien de l’Europe, resté debout et intact, sans ébranlement et sans macule, dans le milieu du torrent des siècles.

Auteur: Bloy Léon

Info: Dans "Le Désespéré", Livre de poche, 1962, pages 95-97

[ description ] [ historique ] [ admiration ]

 

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pataphysique

Quel original que mon ami Paul Masson (...), auditeur au Collège de France, auteur de l'Esthétique des peintres aveugles, du Catalogue raisonné des poètes morts de faim et de la fameuse brochure antinaturaliste, qui fermera les portes de l'Institut au père des Rougon-Macquart, les Zolacismes d'un candidat perpétuel à l'Académie ! Il ne fait rien comme les autres !
Il assiste aux messes de mariages, en noir des pieds à la tête, un crêpe au chapeau, pleure comme un jeune parent du Boeuf gras, et, à l'issue de la cérémonie, supplie les nouveaux époux, avec des serrements de mains émus, d'agréer l'expression de ses sincères condoléances. Aux enterrements, il s'illustre de vestons aux nuances printanières, "cuisse de président ému" ou "gorge de demi-vierge surprise", d'une adorable fantaisie ; une fleur à la boutonnière, l'air radieux d'un épicier promu officier d'académie, il risque des mots plaisants, sourit au Dies irae, se tord pendant l'absoute, et va congratuler ensuite chaleureusement les parents du défunt. Au théâtre ou au restaurant, il s'affuble d'une livrée de larbin, afin, dit-il, de n'être pas confondu avec les employés du contrôle ou les maîtres d'hôtel, qui sont en habit - ce pourquoi il les appelle des fractotum. - il ne fait rien comme les autres ! (...)
S'il dîne en ville, Paul Masson terrorise ses hôtes par mille inconvenances inédites. Lui fait-on observer qu'il prend le pain de son voisin de droite et boit le vin de son voisin de gauche ? Il se confond en excuses et, pour réparer ses torts, engloutit le pain du voisin de gauche et vide d'un trait le verre du voisin de droite. Si, par imprudence, on l'a placé auprès d'une dame un peu maigre, il demande à opérer des fouilles dans le corsage de celle-ci, certain, affirme-t-il, d'y trouver deux salières. A la fin du repas, quand on apporte les rince-bouche, il interpelle les domestiques et réclame du savon avec insistance. - Il ne fait rien comme les autres !
Dans la rue, Paul Masson à jeun affecte volontiers les allures d'un homme ivre ; mais si, d'aventure, il est réellement éméché, il marche avec la rigidité d'un automate. Bien entendu, il sort sans plus de manteau que le pudibond Joseph par des temps froids comme le jeu de M. Dupont-Vernon, se couvre d'une épaisse pelisse par une température aussi chaude que la patronne du Cochon Bleu (un établissement que je recommande à tous les pères de famille : éducation anglaise, sévérité, discrétion), s'arme d'une canne s'il pleut à verse et porte un parapluie grand ouvert si le ciel est bleu...

Auteur: Willy Henry Gauthier-Villars

Info:

[ anticonformiste ] [ inversion ] [ humour ]

 

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translation

Lisez le texte relatif au sixième trait du neuvième hexagramme : "la femme est mise en danger par la persévérance" (Wilhelm). Cette fameuse persévérance se rapporte au même caractère (tchen), signifiant droiture ou pureté, que l'on trouve au début du Yi King. On peut aussi se demander pourquoi cette persévérance est un risque pour une femme... En revanche, ici, Philastre a bien compris qu'il ne s'agit plus de "perfection" mais de "pureté". Pour ma part, j'aurais tendance à préciser "chasteté"...
Voyez au quinzième hexagramme, le cinquième trait (bien saisi par Philastre et par Harlez) où nous pouvons lire : sans richesse se servir de son voisinage. Wilhelm non seulement intervertit les phrases, mais inverse le sens en traduisant : "Ne pas se vanter de sa richesse auprès de son prochain"... De même, il traduit "voie du ciel" (sixième trait du vingt-sixième hexagramme) là où n'est pas écrit "tao" (voie) mais '"influence", comme l'a bien vu Philastre. Observez le premier trait du trente-cinquième hexagramme, là où je lis "générosité" et Philastre " magnanimité", Wilhelm choisit "demeurer abandonné". autre contresens, le "rire" au premier trait du quarante-cinquième hexagramme. On aura compris qu'il vaut mieux choisir une traduction qui a vieilli dans son style un peu suranné (Philastre) que celle plus moderne, psychologique et plus accrocheuse de Wilhelm, pourtant la plus connue et la plus réputée.
Alors qu'un connaisseur comme Marcel Granet signalait en toute vérité bonne à dire que la civilisation chinoise était caractérisée par la formule "ni Dieu, ni Loi", le pasteur Wilhelm, dans sa version bien occidentalisée, dès le premier hexagramme affirme que le ciel est "Dieu le souverain suprême". Or, il n'y a jamais eu de monothéisme (typique des gens du Livre) dans l'histoire de la Chine. Même plus tard, les nombreux "dieux" taoïstes (du dieu des fossés au dieu des latrines...) sont de multiples énergies différentes qui ne renvoient pas au "Seigneur Dieu" de Wilhelm.
Autres exemples. Au deuxième trait du troisième hexagramme, il s'agit de mariage et nous lisons que le jeune fille vierge "n'est pas accordée" alors que le bon pasteur traduit : "Elle n'engage pas sa foi"... Au quatrième trait du douzième hexagramme, Wilhelm traduit "bonheur" par "bénédiction". Toujours des thèmes religieux qui n'existent pas dans l'original. Au commentaire de l'image du quarantième hexagramme, il traduit "pardonne les fautes et absout le péché", alors que "péché" n'existe pas en Chine et qu'il suffisait de dire "comprend et pardonne les fautes". Sans parler de la pudibonderie chrétienne où "fesses" devient "cuisses" (troisième trait du quarante-quatrième hexagramme). Sans oublier toutes ses notes avec citations des... Évangiles. Même les jésuites, qui se sont passionnés pour la traduction chinoise, n'auraient jamais osé soutenir de telles traductions conditionnées par la croyance monothéiste.

Auteur: Daniel Giraud

Info: Yi King : Texte et interprétation, in Traductions et trahisons

[ manipulation ] [ nord-sud ] [ interprétation ] [ transposition ]

 

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astronomie

Très superstitieux, Kepler dressait de nombreux horoscopes tant pour les autres que pour lui-même ; c’est ainsi qu’il nous apprend qu’il fut conçu le 16 mai à 4 heures 47 du matin et que sa mère le mit au monde après une grossesse de 224 jours 9 heures et 53 minutes. Kepler se décrit lui-même comme "sans cesse en mouvement, furetant dans les sciences, la politique et les affaires privées, y compris les plus viles" ; il nous confie qu’il a horreur des bains, des parfums et des lotions et qu’il a "en toutes choses une nature canine" car son apparence est celle d’un petit chien : il aime ronger les os et les croûtons de pain et se donne pour si glouton qu’il prétend attraper tout ce qu’il voit.

On pourrait se demander, non sans motif, s’il ne faut pas chercher dans le goût de Kepler pour les sciences célestes une démarche de compensation visant à le consoler de sa myopie doublée d’un défaut de vision qui le condamnait à voir double ou même quadruple. Quoi qu’il en soit, il n’est nullement aberrant de penser que les études de Kepler ne sont que la projection existentielle d’un désir de se rapprocher des planètes et des étoiles, de voyager et de fuir ainsi le monde où il vivait, voire la nature qui était la sienne, en parcourant du regard et de la pensée les immenses espaces nocturnes, dont la contemplation pouvait lui donner l’illusion de triompher de lui-même et d’être transporté ailleurs. [...]

Fort significativement, Kepler compare lui-même le travail entrepris à un voyage animé de motifs métaphysiques et tout au long duquel il tient à faire le point : "Si non seulement nous pardonnons à Christophe Collomb, à Magellan, aux Portugais qui nous racontent leurs erreurs grâce auxquelles ils découvrirent celui-là l’Amérique, celui-ci la mer de Chine, cet autre la circumnavigation autour de l’Afrique et si nous ne voulons pas qu’ils en omettent puisque nous serions privés du grand plaisir de leur lecture, - par conséquent on ne me blâmera pas si, poussé à mon tour par la même bienveillance à l’égard du lecteur, je fais le récit de l’itinéraire que j’ai suivi" [Astronomia nova].

Kepler tient bien à préciser qu’il n’a pas entrepris un tel voyage par amour des mathématiques ou de la physique : "Je vous en supplie, mes amis, ne me condamnez pas entièrement à la meule des calculs mathématiques et laissez-moi du temps pour les spéculations philosophiques qui sont mes seules délices" [Lettre à Bianchi]. Ce que l’on trouve partout présent dans son œuvre, c’est une inspiration pythagoricienne et chrétienne à partir de laquelle il cherche à découvrir ces lois qu’il appelle "archétypales" selon lesquelles Dieu a créé le monde. Si une telle tâche n’est pas impossible, c’est justement parce que Dieu a fait l’homme à sa propre image ; savoir revient donc à retrouver le plan divin de la Création.

Celui dont on ne retiendra que les fameuses lois qui portent son nom, pense que le Soleil correspond au Père, la sphère des étoiles fixes au Fils et l’entre-deux, c’est-à-dire l’espace rempli de l’aura céleste, à l’Esprit Saint [...].

Auteur: Brun Jean

Info: "Les vagabonds de l'occident", Desclée, Paris, 1976, pages 43-44

[ biographie ] [ historique ] [ motivations ]

 

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protestantisme

Dans les rapports de l’homme avec Dieu, rien de juridique. Tout est amour, un amour agissant et régénérateur, témoigne à la créature déchue par la Majesté redoutable. Un amour qui l’incline, non point à pardonner à l’homme ses péchés, mais à ne point les lui imputer. Tout pécheur qui, se reconnaissant comme tel, acceptant sur sa misère morale et sa souillure le témoignage d’une conscience sans complaisance, sent et atteste que Dieu, le seul juste, est pleinement en droit de le rejeter ; en langage luthérien, tout homme qui reçoit le don de la foi (car la foi pour Luther n’est pas la croyance ; c’est la reconnaissance par le pécheur de la justice de Dieu  ) — tout pécheur qui, se réfugiant ainsi au sein de la miséricorde divine, sent sa misère, la déteste, et proclame par contre sa confiance en Dieu : Dieu le regarde comme juste. Bien qu’il soit injuste ; plus exactement, bien qu’il soit à la fois juste et injuste : Revera peccatores, sed reputatione miserentis Dei justi ; ignoranter justi et scienter injusti ; peccatores in re, justi autem in spe  ... Justes en espérance ? par anticipation plus exactement. Car ici-bas, Dieu commence seulement l’œuvre de régénération, de vivification, de sanctification qui, à son terme, nous rendra justes, c’est-à-dire parfaits. Nous ne sommes pas encore les justifiés, mais ceux qui doivent être justifiés : non justificati, sed justificandi.

Donc les œuvres disparaissent. Toutes. Arbitramur justificari hominem per fidem, sine operibus legis [Car nous estimons que l'homme est justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi] : Luther rencontrait dans l’Épître aux Romains (III, 28) la formule fameuse. Dès 1516, il repoussait avec force l’interprétation traditionnelle : opera legis, les pratiques extérieures. Erreur, s’écriait-il dans une lettre à Spalatin du 19 octobre 1516 ; et déjà, annonçant de futurs combats : "Sur ce point, sans hésitation, je me sépare radicalement d’Érasme". Opera legis, toutes les œuvres humaines, quelles qu’elles soient ; toutes méritent la réprobation de l’apôtre. Le salut ? Il nous vient de sentir en nous, toujours, le mal agissant et notre imperfection. Mais aussi, si nous avons la foi, de porter Dieu en nous. De sa seule présence naît l’espoir d’être justifié, de prendre rang parmi ces élus que, de toute éternité, il prédestine au salut, parce qu’il les aime assez pour les appeler à la vie éternelle. […]

Conception d’accent tout personnel. On voit de suite en quoi, et comment, elle pouvait procurer à Luther ce calme, cette paix que la doctrine traditionnelle de l’Église ne lui ménageait point. Ce mécontentement de lui-même qui ne l’abandonnait jamais ; ce sentiment aigu de la ténacité, de la virulence perpétuelle du péché qui persistait en lui à l’heure même où il aurait dû se sentir libéré et purifié ; cette conscience de ne jamais réaliser, même au prix des plus grands, des plus saints efforts, que des œuvres souillées de péché, d’égoïsme ou de convoitise ; tout ce qui faisait le désespoir, l’anxiété, le doute atroce de Luther — tout cela, il le concevait maintenant avec une force, une clarté indicibles : conditions voulues, par Dieu conditions normales et nécessaires du salut. Quel soulagement, et quelle résurrection !

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 34-35

[ théologie ] [ bénéfices secondaires ]

 

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homme-machine

Enfin, même si on découvrait des phénomènes quantiques dans le cerveau, leur caractère strictement imprévisible ne permettrait pas d'expliquer notre conception du libre arbitre. Comme l'a bien montré le philosophe Daniel Dennett, l'aléatoire pur ne confère à nos cerveaux "aucune forme valable de liberté" ("any kind of freedom worth having"). Souhaitons-nous vraiment que nos corps soient secoués de mouvements aléatoires et incontrôlables engendrés au niveau subatomique, qui rapprocheraient nos décisions des convulsions et des tics des patients souffrants du syndrome de Gilles de La Tourette, la fameuse "Danse de Saint-Guy" ? Rien n'est plus éloigné de notre conception de la liberté. La maladie de Tourette ne rend pas libre, bien au contraire. Jamais un coup de dés n'engendrera d'esprit libre.
Lorsque nous parlons du "libre arbitre", nous pensons à une forme beaucoup plus intéressante de liberté. Notre croyance en un libre arbitre résulte d'une observation élémentaire : dans des circonstances normales, nous prenons nos décisions en toute indépendance, en nous laissant seulement guider par nos idées, nos croyances et notre expérience passée, et en contrôlant nos pulsions indésirables. Nous exerçons notre libre arbitre chaque fois que nous avons la possibilité d'examiner les choix qui s'offrent à nous, d'y réfléchir posément et d'opter pour celui qui nous parait le meilleur. Une part de hasard entre dans nos choix volontaires, mais elle n'en constitue pas un élément indispensable. La plupart du temps, nos actions volontaires n'ont rien d'aléatoire : elles résultent d'un examen attentif des options disponibles, suivi du choix délibéré de celle qui emporte notre préférence.
Cette conception du libre arbitre n'a nul besoin de la physique quantique - elle pourrait être simulée par un ordinateur standard. Elle exige simplement un espace de travail qui recueille les informations en provenance des sens et de la mémoire, en fasse la synthèse, évalue les conséquences de chaque option, y consacre autant de temps que nécessaire et utilise cette réflexion pour guider notre choix. Voilà ce que nous appelons une décision volontaire, délibérée, prise "en toute conscience". En bref, l'intuition du libre arbitre doit être décomposée.
Elle recouvre, d'une part, l'idée que nos décisions sont fondamentalement indéterminées, non contraintes par la physique (une idée fausse) ; et d'autre part, celle que nous les prenons en toute autonomie (une idée respectable). Nos états cérébraux sont nécessairement déterminés par des causes physiques, car rien de ce qui est matériel n'échappe aux lois de la nature. Mais cela n'exclut pas que nos décisions soient réellement libres, si l'on entend par là qu'elles s'appuient sur une délibération consciente, autonome, qui ne rencontre aucun obstacle et qui dispose du temps suffisant pour évaluer le pour et le contre avant de s'engager. Quand toutes ces conditions sont remplies, nous avons raison de dire que nous avons exercé notre libre arbitre et pris une décision volontaire - même si celle-ci est toujours, en dernière analyse, déterminée par nos gènes, notre histoire et les fonctions de valeurs qui sont inscrites dans nos circuits neuronaux. Les fluctuations de l'activité spontanée de ces réseaux rendent nos décisions imprévisibles, y compris à nos propres yeux. Cependant, ce caractère imprévisible ne devrait pas être retenu comme l'un des critères essentiels du libre arbitre, ni ne devrait être confondu avec l'indétermination fondamentale de la physique quantique. Ce qui compte pour qu'une décision soit libre, c'est l'autonomie de la délibération.
Une machine pourvue d'un libre arbitre n'est absolument pas une contradiction dans les termes, juste une définition de ce que nous sommes.

Auteur: Dehaene Stanislas

Info: Le code de la conscience

[ miroir ]

 

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artiste

Elle tenait dans sa main tous les âges de la vie, depuis la naissance jusqu’à la vieillesse, avec la mort en fantôme permanent derrière chaque étape. Elle les dansait les uns après les autres dans un dégradé de nuances physiques qui faisait oublier son âge véritable. Cet exercice de mue à couper le souffle, la danseuse et chorégraphe japonaise Carlotta Ikeda, star féminine du butô, mouvement chorégraphique radical né à Tokyo dans les années 1960, en a achevé le cycle, mercredi 24 septembre, chez elle, à Bordeaux, où elle vivait depuis la fin des années 1990. Elle avait 73 ans et luttait depuis quelques mois contre un cancer.
Carlotta Ikeda, de son vrai prénom "Sanae" ("pousse de riz" en japonais) n’a jamais dévié de sa route artistique escarpée. Née en 1941 à Fukui, au bord de la mer du Japon, fille d’un fonctionnaire issu d’une lignée de samouraïs et d’une femme qui élevait des animaux, elle aimait évoquer son village, la campagne où elle se promenait et dansait librement. C’est en voyant sa mère interpréter certains styles chorégraphiques traditionnels qu’elle eut le désir de danser.
VÉRITÉ ARCHAÏQUE DE L’ÊTRE
Passée par l’université de Tokyo et la technique classique – elle prit son premier cours à l’âge de 19 ans –, elle est professeur de gymnastique dans les collèges, tout en cherchant sa voie. En 1970, elle croise Tatsumi Hijikata (1928-1986), fondateur du butô. Ebranlement esthétique devant ce geste physique sauvage et viscéral. Celle qui affirme avoir toujours été danseuse s’initie à ce mouvement nourri des écrits d’Artaud, de Lautréamont et de Sade pour faire surgir la vérité archaïque de l’être.
En 1974, elle intègre la fameuse compagnie Dairakudakan, puis rencontre le chorégraphe Ko Murobushi, qui deviendra son partenaire de prédilection. La même année, elle fonde sa compagnie uniquement composée de femmes Ariadone et choisit de s’appeler Carlotta en hommage à la danseuse classique Carlotta Grisi (1819-1899), fameuse interprète de Giselle, "pour marquer l'irréductible opposition entre le ballet et le butô". Pour gagner sa vie, elle joue, toute poudrée d’or, dans des spectacles de cabaret où elle affirme une pensée du geste audacieuse et libre. "Quand je faisais mon strip-tease, j'avais un objectif : c'est que les gens qui étaient là pour rire et boire se taisent et me regardent pendant quinze minutes, confiait-elle en 2004. J'ai fini par arriver à mes fins, j'ai commencé à trouver ma manière de faire."
EFFACEMENT DE SOI
Grave et grotesque, puissant et vulnérable, cru et érotique, son butô se libère peu à peu pour devenir ce qu’elle définissait ainsi : "Mon art danse n'est ni une forme ni une technique particulière, mais plutôt un effacement de soi, une sorte de néant." De cet effacement, naît la présence hautement particulière d’une femme en quête d’elle-même. Ses solos ont marqué son parcours en inscrivant sa touche.
Emblématique, Utt (1981), qu’elle a transmis par ailleurs à une interprète de sa troupe, surexposait les codes du butô : corps blanc nu, yeux renversés dans les orbites, pieds et mains tordus comme des moignons. Un corps "débilité", selon la formule d’Hijikata, qu’elle fera évoluer à sa façon. "Mon butô est une quête intérieure à la frontière de la normalité et de la folie. Comme dans le bouddhisme, j'essaye d'atteindre un certain état d'effacement de soi, de néant." Tout aussi éberluant, sur un texte de Marguerite Duras, Waiting (1997), ou récemment Médée (2012), font palpiter le mystère du vivant.
Lorsqu’on lui demandait le sens de son travail, Carlotta Ikeda le résumait par un seul mot "le désir", trouvant sur scène "une sorte de vie pure".

Auteur: Boisseau Rosita

Info: Le Monde sept. 2014

[ passion ]

 

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neuroscience

On sait enfin pourquoi le cerveau consomme autant d'énergie

La faute a des petites pompes "cachées". 

Les scientifiques le savent: le cerveau humain est une véritable machine insatiable en énergie. Au total, il en engloutit jusqu'à 10 fois plus que le reste du corps. Et même lorsque nous nous reposons, 20% de notre consommation de carburant est directement utilisé pour son fonctionnement. Un phénomène inexpliqué sur lequel nombre de scientifiques se sont cassés les dents. Jusqu'à aujourd'hui.

Publiée dans la revue Science Advances, une nouvelle étude explique l'origine du processus. Un processus qui se déroule dans ce que l'on appelle les vésicules synaptiques.

Entre deux neurones se trouve une synapse, zone qui assure la transmission des informations entre ces deux cellules nerveuses. Quand un signal est envoyé d'un neurone à un autre, un groupe de vésicules aspire les neurotransmetteurs à l'intérieur du premier neurone, au bout de sa queue. Le message est ainsi bien enveloppé, comme une lettre prête à être postée.

L'information est ensuite amenée jusqu'au bord du neurone, où elles fusionne avec la membrane, avant de relâcher les neurotransmetteurs dans la fameuse synapse. Dans cette zone, les neurotransmetteurs finissent leur course en entrant en contact avec les récepteurs du deuxième neurone. Et hop! Le message est passé.

Facile direz-vous. Certes, mais tout ceci nécessite beaucoup d'énergie cérébrale, ont découvert les scientifiques. Et ce, que le cerveau soit pleinement actif ou non.

En effectuant plusieurs expériences sur les terminaisons nerveuses, les membres de l'étude ont observé le comportement de la synapse lorsqu'elle est active ou non. Résultat: même quand les terminaisons nerveuses ne sont pas stimulées, les vésicules synaptiques, elles, ont toujours besoin de carburant. La faute à une sorte de petite pompe "cachée" qui est notamment en charge de pousser les protons hors de la vésicule. Chargée de pousser les protons hors de la vésicule et d'aspirer ainsi les neurotransmetteurs elle ne semble jamais se reposer et a donc besoin d'un flux constant d'énergie. En fait, cette pompe "cachée" est responsable de la moitié de la consommation métabolique de la synapse au repos.

Selon les chercheurs, cela s'explique par le fait que cette pompe a tendance à avoir des fuites. Ainsi, les vésicules synaptiques déversent constamment des protons via leurs pompes, même si elles sont déjà pleines de neurotransmetteurs et si le neurone est inactif.

Étant donné le grand nombre de synapses dans le cerveau humain et la présence de centaines de vésicules synaptiques à chacune de ces terminaisons nerveuses, ce coût métabolique caché, qui consiste à conserver les synapses dans un état de "disponibilité", se fait au prix d'une importante dépense d'énergie présynaptique et de carburant, ce qui contribue probablement de manière significative aux exigences métaboliques du cerveau et à sa vulnérabilité métabolique", concluent les auteurs.

Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer comment les différents types de neurones peuvent être affectés par des charges métaboliques aussi élevées, car ils ne réagissent pas tous de la même manière.

Certains neurones du cerveau, par exemple, peuvent être plus vulnérables à la perte d'énergie, et comprendre pourquoi pourrait nous permettre de préserver ces messagers, même lorsqu'ils sont privés d'oxygène ou de sucre.

"Ces résultats nous aident à mieux comprendre pourquoi le cerveau humain est si vulnérable à l'interruption ou à l'affaiblissement de son approvisionnement en carburant", explique le biochimiste Timothy Ryan, de la clinique Weill Cornell Medicine à New York.

"Si nous avions un moyen de diminuer en toute sécurité cette fuite d'énergie et donc de ralentir le métabolisme cérébral, cela pourrait avoir un impact clinique très important." 

Auteur: Internet

Info: Science Advances, 3 déc 2021

[ cervelle énergivore ]

 

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définition

Que signifie vraiment "disruption" ou "disruptif" et pourquoi tout le monde en parle maintenant ?

Vous avez raison: on retrouve les mots "disruption" et ses dérivés un peu partout aujourd'hui. Ainsi on entend parler de "président disruptif", de startup qui "a pour ambition de disrupter le secteur de la douche" ou d'autres qui veulent "disrupter le chômage". En mai 2017, France Télévision expliquait au Monde que les invités mystères de l'Emission Politique, comme Christine Angot, étaient "parfois disruptifs".

Selon une défitinition présente dans le Dictionnaire de la langue française (1874) d'Emile Littré, le mot disruption signifie "rupture" ou "fracture". Pourtant on ne comprend pas trop ce que signifie "fracasser le secteur de la douche".

Si "disruption" s'est échappé du cercle restreint des cruciverbistes (les amateurs de mots croisés) pour se retrouver de manière très présente dans le vocable d'aujourd'hui, c'est surtout dû à son emploi dans le milieu de l'économie avec l'apparition de jeunes entreprises (les fameuses startups), qui ont su utiliser les outils numériques pour transformer certains marchés.

On pense notamment à Uber, Airbnb ou Netflix qui ont cassé des systèmes, qui paraissaient établis, des taxis, de l'hôtellerie ou de la location de films ou de séries, en proposant des services innovants (devenir soi-même chauffeur de sa propre voiture, louer son ou ses appartements et permettre pour un prix réduire d'accéder à des catalogues entiers de contenus culturels). Depuis tout entrepeneur qui a de l'ambition et espère connaître un succès aussi important que les entreprises citées, souhaite trouver l'idée disruptive qui lui permettra de transformer un marché pour faire table rase du passé.

En janvier 2016, la rédactrice en chef du service économie de L'Obs, Dominique Nora, avait consacré un article au "concept de "Disruption" expliqué par son créateur". Elle y faisait la recension du livre "New : 15 approches disruptives de l'innovation", signé par Jean-Marie Dru. Dans cette fiche de lecture, on apprend notamment que:

" DISRUPTION est une marque appartenant à TBWA [une important agence de publicité américaine; NDLR] depuis 1992, enregistrée dans 36 pays dont l'Union Européenne, les Etats-Unis, la Russie, l'Inde et le Japon."

Mais aussi qu'il n'a pas toujours eu un aura lié à l'entreprise:

Même en anglais, au début des années 90, le mot 'disruption' n'était jamais employé dans le business. L'adjectif caractérisait les traumatismes liés à une catastrophe naturelle, tremblement de terre ou tsunami…

Selon Jean-Marie Dru, père du concept, le terme sert d'abord à qualifier la "méthodologie créative" proposée aux clients de son agence.  Puis le professeur de Harvard, Clayton Christensen, va populariser l'expression à la fin des années 90 en parlant "d'innovation disruptive". Les deux hommes ont l'air de se chamailler sur la qualité de "qui peut être disruptif?". Dru estime que "pour Christensen, ne sont disruptifs que les nouveaux entrants qui abordent le marché par le bas, et se servent des nouvelles technologies pour proposer des produits ou services moins cher " alors que lui considère que la disruption n'est pas réservée uniquement aux startups puisque de grands groupes comme Apple ou Red Bull sont capables de "succès disruptifs".

Finalement au mileu de tous ces "disruptifs", L'Obs apporte cette définition de la disruption:

"Une méthodologie dynamique tournée vers la création". C'est l'idée qui permet de remettre en question les "Conventions" généralement pratiquées sur un marché, pour accoucher d'une "Vision", créatrice de produits et de services radicalement innovants.

Force est de constater que le marketing et les médias ont employé ces mots à tire-larigot et qu'ils peuvent être désormais utilisés dans n'importe quel contexte au lieu de "changer" ou "transformer", voire même de "schtroumpfer". Ne vous étonnez pas si votre conjoint se vante d'avoir "disrupter" la pelouse en la faisant passer d'abondante à tondue, ou d'avoir "disrupté" le fait de se laver en utilisant le shampoing au lieu du gel douche... 

Auteur: Pezet Jacques

Info: Libération, 13 octobre 2017

[ mode sémantique ] [ dépaysement libérateur ] [ accélérationnisme ] [ contre-pied ] [ contraste ]

 

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