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dernières paroles

Dans quelques heures, moins de vingt-quatre sans doute, pour moi, tout sera fini. Je ne sais pas encore si ce sera la balle d'un sniper du Raid ou mes tripes qui voleront dans un grand boum... Toujours est-il que je bénis celui qui a placé cette dynamite... car il m'a permis de donner un cours à ma fantaisie.... Combien ont eu le temps suffisant pour coucher sur le papier... ceux qui se savaient une mort qu'ils assument, j'en fais partie... Prisonnier de mes rêves mes plus fous je suis mal assis sur une petite chaise de bambins. 4 heures maintenant... dans la pénombre de cette petite classe aux rideaux bouchant le jardin rempli d'hommes en noir et aux fenêtre scotchées des dessins de ces bambins... des taches pour masquer toute vue, les magnifiques gribouillages de ces petits hommes qui oublieront tout dans quelques heures, quelques jours... Alors revenons à cette mort dont je sens à peine mais sûrement la faux s'affuter sur ma nuque. Mort je le suis, il fallait l'être. Je m'y suis préparé. Cette farce ne suffira pas, au-delà de cette école où ils ont peut-être réalisé le danger d'une bombe humaine. HB, tel que moi... Je dois de toute façon y passer... Longtemps, très longtemps j'ai cherché un moyen de gagner beaucoup d'argent et vite. Au casino j'ai toujours flambé en quelques minutes la petite mise que je pouvais jouer. Pendant des nuits, des jours, des semaines et des mois, depuis longtemps, j'avais imaginé, non, plutôt rêvé, ma plus grosse mise : ma foutue vie sur le tapis. Alors, que m'importe... Pour une fois, j'aurai connu le bout du bout d'un projet grandiose...

Auteur: Schmitt Erick

Info:

[ suicide ] [ Human Bomb ]

 

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maltraitance

L'appartement de Brétigny était beaucoup plus grand. On entrait directement dans un couloir assez large. La cuisine, en face de la porte, était grande et claire. En continuant le couloir, le salon était à droite, avec une double fenêtre. Puis la salle de bain, sur la gauche, et tout de suite après, la chambre des parents. En face, la chambre de mon frère ; et, coincé entre les deux chambres, au bout de l'appartement et du couloir, mon placard.
Elle m'a fait y entrer, immédiatement, en arrivant. Sans un mot. Sans un moment de répit pour souffler.
Le placard mesurait deux mètres sur un mètre soixante-dix. Je l'ai lu dans le dossier, plus tard. Avec des étagères sur un côté.
Ils ont rangé leurs affaires. Ils se sont installés.
Elle m'a amené un seau - il n'était pas question pour moi d'aller dans les WC qui étaient attenants à la salle de bain, dans le couloir ; c'était trop loin - et un matelas en mousse, qu'elle a posé sur les étagères. Puis elle a fermé la porte du placard à double tour. J'étais à nouveau enfermé.
Et là a commencé une autre catégorie de souffrances. Ce n'était plus les coups, mais l'oubli, l'abandon total. Quand j'y repense maintenant, il vaut peut-être mieux prendre des coups que de rester seul, en silence, dans le noir. Je n'avais plus aucune vue sur rien. Pas une lueur ne parvenait à travers la porte. Le noir complet.
Au début, elle m'amenait une gamelle, assez régulièrement. Je veux dire le soir et le matin. Puis, petit à petit, ce fut n'importe quand, et en sautant des jours.
Elle m'oubliait au fond de mon cachot. Je n'existais plus. J'étais rayé. Fini.

Auteur: Bisson David

Info: L'enfant derrière la porte

 

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labeur

J'ai travaillé pas mal. On travaille, ou bien on regarde. C'est l'un ou l'autre. Mais si vous travaillez, vous ne faites pas autre chose. Maintenant, on ne sait plus ce que c'est, le travail. C'est encore un truc que j'ai comme ça, parce que je ne suis pas d'une génération où l'on rigolait. Ça n'existait pas. Les distractions, c'était des choses de gens riches. Quand on était pauvre, on travaillait jusqu'à crever. C'était le destin. Mais je vois maintenant qu'ils ne travaillent plus. Alors ils ne savent rien. Oh, ils ont tous une petite envie, comme ça, de s'exprimer. Mais quand vous les mettez devant une feuille de papier, devant un pinceau ou un instrument, on voit surtout la débilité, l'insignifiance. Du jour où l'on s'est mis à apprendre sans douleur, le latin sans thème, le grec en dormant, on ne sait plus rien. C'est la facilité qui tue tout. La facilité et la publicité. C'est fini. Il n'y a plus rien. Il manque quelque chose: l'effort.
Ce qu'il faut: faire un effort. Mais ils ne veulent pas, les cochons ! Ils ne veulent pas et puis, ils ne sont pas en état. Ils aiment trop la vie ; ils sont bien, dans la vie ! Vous comprenez, le jour où l'on a fermé les monastères, on a fermé la patience, on a tout fermé. L'homme court après sa queue et son verre, et c'est fini ! Ah, pour le confort de votre foyer, que feriez-vous Madame ? Voilà, c'est tout. La radio, ça ne s'adresse pas aux milliardaires, ça s'adresse à des gens bien ordinaires. Et qu'est ce qu'on entend ? "Ah ! Du confort ? Ce serait tellement mieux du violet garanti machin autour de votre pièce avec des ampoules Untel". Il n'est question que de ça. Je ne parle pas de maladies, il n'y en a plus. La vie est éternelle, la vie commence à 40 ans. Boniments ! J'ai pratiqué en Amérique ; je connais tout ça, je connais l'anglais aussi. Nous avons hérité tout notre côté dégueulasse des Anglo-Saxons. Avec leur politique d'optimisme. Et puis, nous avons conservé les vices du chrétien. Nous sommes des repus. Sauf évidemment la masse qui crève. Mais enfin, ils boivent. Et nous sommes aussi le peuple le plus alcoolique du monde. Alors... Ce qui tue aussi tous les médecins d'ailleurs. Le bavardage et l'alcool.

Auteur: Céline Louis-Ferdinand

Info: Propos enregistrés à Meudon en 1961 par Jacques d'Arribehaude. Dans" L'année Céline 1995". Page 63/64

[ décadence ] [ sexe ] [ boisson ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

green washing

La "transition écologique" promise par le numérique, le tout électrique et le photovoltaïque exige beaucoup d’électricité. Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l'affinage du silicium en polysilicium consomme 150 MWh par tonne de produit fini. La transformation du polysilicium en lingot monocristallin, 31 MWh par tonne. Enfin, la découpe des plaquettes, 42,5 MWh par tonne. Voilà pour les économies d’énergie.

Du côté de la matière, il faut 7,14 tonnes de quartz pour une tonne de silicium monocristallin. Et la découpe de celui-ci en tranches produit des déchets de sciage (le "kerf") perdus pour les puces, estimés à 40 % du lingot. Mais on ne rebouche pas les carrières avec. Quant aux produits chimiques utilisés tout au long du procédé, la filière est pudique à ce sujet. Difficile d’en établir une liste précise et quantifiée. Le CNRS donnait en 2010 le chiffre de 280 kg de produits chimiques par kilo de silicium produit (acides, ammoniaque, chlore, acétone, etc.).

Tout de même, pensent les électeurs Verts, si les ingénieurs assurent que les technologies issues du silicium permettent la "transition écologique", il doit bien y avoir une raison ? La raison, c’est une de ces duperies dont les technocrates sont coutumiers et que les écocitoyens sont trop heureux de gober. Leur "transition écologique" repose sur le seul indicateur des émissions de gaz à effet de serre. Leur unique objectif, la "décarbonation" de l’économie, ignore l’entropie de la matière et de l’énergie, c’est-à-dire la réalité physique du désastre industriel, sans parler de la dévastation des milieux par les pollutions industrielles et l’artificialisation.

Les ingénieurs parviendront peut-être à maintenir un mode de vie techno-consommateur sans émission de carbone (quid du méthane, autre gaz à effet de serre ?), avec une hausse des températures limitée à 2°, c’est-à-dire des catastrophes climatiques en chaîne, tout de même. Ce sera au prix d’une Terre dévastée par la production énergétique. Des millions d’éoliennes à perte de vue, sur terre et en mer, des océans de panneaux solaires, des installations électriques partout, sans oublier le nucléaire, ses déchets éternels, son poison et sa menace. Quant aux barrages alpins, à la vitesse où fondent les glaciers, qui peut garantir que l’eau y sera suffisante ? La Romanche coulera-t-elle aussi impétueusement dans les périodes de sécheresse de la vertueuse économie décarbonée ?

Votre voiture électrique n’émet certes pas de CO2 et votre smartphone vous économise des déplacements, mais la société numérique et automobile dévore les ressources naturelles – matière et énergie – qui nous permettent de vivre. Un détail. Et on ne vous parle pas de la faune, de la flore et des paysages - pas de sensiblerie.

Auteur: PMO Pièces et main-d'oeuvre

Info: https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/cycle_silicium.pdf

[ développement durable ] [ coûts cachés ] [ conséquences ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

objet d'investissement

Qu’est-ce qui différencie le deuil de la mélancolie ?

Pour le deuil, il est tout fait certain que sa longueur, sa difficulté, tient à la fonction métaphorique des traits conférés à l’objet de l’amour, en tant qu’ils sont des privilèges narcissiques. […] Freud insiste bien sur ce dont il s’agit – le deuil consiste à identifier la perte réelle, pièce à pièce, morceau par morceau, signe à signe, élément grand I à élément grand I, jusqu'à épuisement. Quand cela est fait, fini. […]

L'affaire ne commence à devenir sérieuse qu'à partir du pathologique, c’est-à-dire de la mélancolie. L'objet y est, chose curieuse, beaucoup moins saisissable pour être certainement présent, et pour déclencher des effets infiniment plus catastrophiques, puisqu'ils vont jusqu'au tarissement de ce que Freud appelle le sentiment le plus fondamental, celui qui vous attache à la vie.

[…] Quels traits se laissent-ils voir d'un objet si voilé, masqué, obscur ? Le sujet ne peut s’attaquer à aucun des traits de cet objet que l’on ne voit pas, mais nous analystes, […] nous pouvons en identifier quelques-uns à travers ceux qu'il vise comme étant ses propres caractéristiques à lui. Je ne suis rien, je ne suis qu’une ordure.

Remarquez qu'il ne s'agit jamais de l'image spéculaire. Le mélancolique ne vous dit pas qu'il a mauvaise mine, ou qu'il a une sale gueule, ou qu'il est tordu, mais qu'il est le dernier des derniers, qu'il entraîne des catastrophes pour toute sa parenté, etc. Dans ses accusations, il est entièrement dans le domaine du symbolique. Ajoutez-y l'avoir - il est ruiné. Cela n’est-il pas fait pour vous mettre sur la voie ?

[…] Il s'agit de ce que j'appellerais, non pas le deuil ni la dépression au sujet de la perte d'un objet, mais un remords d'un certain type, déclenché par un dénouement qui est de l'ordre du suicide de l'objet. Un remords donc, à propos d'un objet qui est entré à quelque titre dans le champ du désir, et qui, de son fait, ou de quelque risque qu'il a couru dans l'aventure, a disparu.

[…] La voie vous est tracée par Freud, quand il vous indique que déjà dans le deuil normal la pulsion que le sujet retourne contre soi pourrait bien être une pulsion agressive à l’endroit de l’objet. Sondez ces remords dramatiques quand ils adviennent. Vous verrez peut-être qu’il revient ici contre le sujet une puissance d’insultes qui peut être parente de celle qui se manifeste dans la mélancolie. Vous en trouverez la source dans ceci – cet objet, s’il a été jusqu’à se détruire, ce n’était donc pas la peine d’avoir pris avec lui tant de précautions, ce n’était donc pas la peine de m’être détourné pour lui de mon vrai désir.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, livre VIII - Le transfert" pages 458-459

[ arbitraire ] [ généalogie du signe ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

rupture

Oui, Jean, oui tu as été brutal, injuste et tu as dépassé la mesure.

J’ai senti que ton despotisme tuait à jamais mes rêves d’avenir, car j’en faisais aussi. La confiance renaît avec l’amour et, quelques mensonges que je t’ai faits (mensonges qui prouvaient ma tendresse), tu ne devais m’accuser. J’ai dit la vérité, Jean, depuis un mois je me suis heurtée quantité de fois à cette indomptable jalousie qui te fait marcher sur les lois de la bienséance à tout propos et en quelqu’endroit [sic] que nous soyons.

Tu m’as fait souffrir cette nuit de toutes les angoisses du regret, j’ai pleuré de douleur vraie en voyant s’écrouler sous ta main brutale les rêves caressés par mon cœur, les chers projets d’avenir que je formais.

Lors de mes dernières scènes, il me semblait bien que tu ébranlais fortement mes châteaux mais ils se trouvaient encore debout, étayés par ma tendresse – c’est fini.

Jean, ils se sont écroulés cette nuit, et les décombres noyés dans mes larmes. Qu’ils dorment, ces chers rêves, je ne les veux point éveillés. […]

Non, Jean, je ne t’ai pas menti — il y a deux jours, mon cœur retrouvait dans le tien l’écho de la petite douleur que je venais d’éprouver – mon regard rencontrant ton bon regard tout lumineux de larmes, je me suis sentie émue et je t’ai aimé.

Je ne veux pas te faire plus de chagrin qu’il n’est nécessaire, mais j’ai le cœur bien froissé, vois-tu. Je ne sais si je pourrai guérir – tu as avili ma dignité de femme à chaque instant , alors qu’ayant éloigné de moi les amis qui m’entouraient, pour me dévêtir, tu t’es imposé quand même entrant dans ma loge alors que mes amis attendaient à ma porte. Tu leur disais ainsi, mais je la connais c’est [ma] maîtresse, je la vois nue ainsi chaque jour. Tu n’as pas compris, mon pauvre Jean, que l’amour se donne mais ne veut pas qu’on le prenne. J’ai dû subir tes violences sans causer de scandale ; enfin tu m’as torturée avec les armes que je t’avais mises en main ; ma tendresse, mon amour pour toi t’ont servi d’étendard.

Ah ! tu m’as fait bien du mal, Jean, je te le pardonne puisque tel semble être ton désir. Mais chez moi pardon n’est pas l’oubli. Laisse donc à mon cœur le temps de penser [?] qu’il oublie et nous verrons après ce que nous pourrons faire des bribes de notre mutuel amour. N’aie pas de chagrin, mon Jean, l’art va de nouveau nous réunir peu de jours. Nous laisserons nos cœurs juges de la situation, ne forçons pas notre tendresse. Au revoir, Jean, je t’abandonne ma tête que tu as si lâchement meurtrie. Puissent tes baisers raviver l’amour sur mes lèvres. J’en doute.

Auteur: Bernhardt Sarah

Info: Lettre à à Jean Mounet-Sully, Dimanche matin, 27 juillet 1873

[ épistole ] [ couple ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

idiomes en action

À notre première prise de contact, vous avez dit très clairement que vous ne souhaitiez pas répondre à des questions préparées à l’avance et que vous ne vouliez pas "que l’on retouche le texte", qui doit rester tel que vous l’aurez produit. Pourquoi cette insistance, cet attachement à la lettre dite ?

 On m’a souvent dit qu’à travers les transcriptions fidèles on entendait ma voix, ma prosodie. Le texte, c’est finalement une texture, c’est quelque chose de beaucoup plus compliqué que du linéaire. Dans la Lettre à Hérodote, Épicure parle de συμπλοκή à propos des atomes, ce qui a été traduit en anglais par interlace, "entrelacer". C’est vraiment ce genre de choses. De même que Marcel Mauss, le spécialiste du don, de l’échange, parle du fait social comme d’un "échange total", je dirais que les faits de langage, l’activité de langage, c’est une activité totale, qui est à la fois un travail d’interlocution et un travail d’intersubjectivité. Voyez l’exemple très simple, et totalement ignoré, de la formation du conditionnel, qui est une forme du fictif par excellence. Vous avez d’un côté l’infinitif, venir, ensuite il y a le verbe avoir, puisque ça vient de habebat, et puis vous avez l’imparfait ou le prétérit. On part d’une base, l’infinitif, qui n’est pas implanté, pas situé. Ensuite, le verbe avoir introduit un hiatus. Puis il y a une forme qui permet l’insertion, et c’est là qu’on a la deuxième personne (fig 1).

(Il rédige la phrase "j'ai une lettre à poster" et souligne 2 fois le à.)

Il y a des gens qui ne comprennent pas pourquoi je fais tant d’étymologies. Ce n’est pas parce que je veux imiter tel ou tel philosophe, mais tout simplement parce que le travail philologique est un travail qui vous fait remonter vers des vestiges. Lorsqu’on trouve un bout d’os dans un désert, on ne s’étonne pas qu’on nous explique tout ce qu’il permet de montrer : la philologie, c’est ça. Par exemple, pour des germanistes, je n’ai jamais vu personne s’étonner du fait qu’en allemand, schier signifie d’un côté purabsolu, et de l’autre, presque. Pour en rendre compte, vous ne pouvez pas avoir une théorie scalaire où vous avez une échelle, il faut une théorie vectorielle, c’est-à-dire que ça projette. Et là-dessus il suffit de lire ce que Jankélévitch a écrit sur les travaux de Georg Simmel* et de voir qu’il y a toujours un mouvement au-delà, et quand il n’y a pas de mouvement au-delà, c’est qu’il y a le [ne…] plus, c’est fini. Vous savez comment on dit exister en suédois ou en norvégien ? Vous prenez le verbe être, en suédois c’est vara (le Wesen de l’allemand bien sûr), et puis vous ajoutez til, qui veut dire dans un cas comme ça "quelque chose de plus", ça vous projette en avant, c’est ce que vous trouvez aussi dans le mot Ziel en allemand. Tout ça, il faut le sortir, sinon on n’y pense pas. Nous sommes totalement non conscients de notre activité mentale, et en un sens c’est une bonne chose. Si les hommes, homo sapiens, et même sapiens sapiens, s’étaient brusquement dit "je vais faire de la linguistique", ils étaient fichus. Ils n’auraient jamais plus parlé. 

Auteur: Culioli Antoine

Info: https://journals.openedition.org, 35, 2012, "Toute théorie doit être modeste et inquiète" Entretien avec Almuth Grésillon et Jean-Louis Lebrave. *Georg Simmel, La Tragédie de la culture et autres essais, Introduction de Vladimir Jankélévitch,

[ avenir inclus ] [ futur intégré ]

 

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écriture

Bien que Gould s'efforce de donner l'impression d'être un tire-au-flanc philosophe, il a abattu un travail énorme au cours de sa carrière de bohème. Tous les jours, même lorsqu'il a une épouvantable gueule de bois ou que la faim le laisse épuisé et affaibli, il passe au moins deux ou trois heures à travailler sur un livre sans forme passablement mystérieux qu'il intitule "Une histoire orale de notre temps". Il a commencé ce livre il y a de cela vingt-six ans et il est loin d'être fini. Cette préoccupation semble pour l'essentiel être à l'origine de son mode de vie ; tout emploi stable empiéterait sur sa réflexion.

Selon le temps, il écrit dans les parcs, sous les porches, dans les halls d'hôtel, dans les cafétérias, sur les bancs des quais du métro aérien, dans les rames ou dans les bibliothèques municipales. Quand il se sent d'humeur, il écrit jusqu'à l'épuisement et cette humeur lui vient dans des moments particuliers. Il décrit comment, un soir, il a passé six ou sept heures dans un bar grill-room de 3rd Avenue à écouter une vieille Hongroise éméchée, ancienne tenancière de bordel, ancienne revendeuse de drogues et désormais aide-cuisinière dans un hôpital de la ville, lui raconter l'histoire de sa vie. Trois jours plus tard, aux alentours de quatre heures du matin, sur un lit de camp de l'hôtel Defender, au 300, Bowery, il a été réveillé par les cornes de brume des remorqueurs de l'East River et n'a pas réussi à se rendormir car, en cet instant précis, il se sentait exactement d'humeur à intégrer la biographie de la vieille aide-cuisinière à son récit. Il a une mémoire phénoménale ; s'il a été marqué par une conversation, même interminable et dénuée de sens, il est capable de s'en souvenir plusieurs jours d'affilée, et ce, en grande partie mot pour mot. (...)

Il a écrit dans le hall de quatre heures et quart à midi. Puis il a quitté le Defender, a pris un café dans un bistrot de Bowery et s'est rendu à la bibliothèque municipale. Il a bûché à une table de la salle de généalogie, où il se réfugie souvent les jours de pluie (...) , jusqu'à ce qu'elle ferme, à six heures. Puis il est allé s'installer dans la grande salle, où il est resté, en levant à peine le nez de ses écrits, jusqu'à la clôture de la bibliothèque, à dix heures du soir. Il a avalé deux sandwichs aux oeufs et sa dose de ketchup dans une cafétéria de Times Square. Sur ce, trop fauché pour s'offrir un hôtel et trop absorbé dans ses pensées pour chercher refuge au Village, il a foncé dans le métro de West Side pour passer le reste de la nuit à voyager en griffonnant inlassablement, tandis que sa rame parcourait trois fois la boucle, de la station New Lots Avenue, à Brooklyn, à celle de Van Cortland, dans le Bronx, un des trajets les plus longs du réseau new-yorkais. Il a posé la serviette sur ses genoux et s'en est servi comme d'une écritoire. Il a l'endurance des possédés.

Auteur: Mitchell Joseph

Info: Le secret de Joe Gould, pages 18-19

[ passion ] [ thérapie ] [ refuge ]

 

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première fois

L'homme pressé avait enfin décidé de se presser. Il aurait Hedwige ce soir même ; Depuis près de six semaines il différait. C'était fini. Il descendait dans cette plaine fertile. Il parlerait en prince ; il ferait main basse sur la récolte ; il commanderait dans toute l'étendue de sa domination, dans toute la force de sa possession, à ce trésor immense qu'était la personne d'Hedwige. Pierre avait choisi son moment, bien choisi. L'heure était non seulement légale, mais légitime. Hedwige était non seulement liée, mais attachée à lui ; elle se montrait amoureuse et consentante. Elle se livrerait certainement tout entière : condition essentielle d'une grande amitié, sans laquelle le mariage est une chambre d'accès aussi facile que la prostitution, ou un jeu de société, de bonne société.

(...)

Ils rentrèrent. Pierre commença à se déshabiller dans l'escalier. Au premier, le gilet ; au second, la cravate ; au troisième, les bretelles. Quand il arriva à leur porte, ses habits ne tenaient plus que par miracle dans sa main. Et pendant qu'Hedwige tournait la clé dans la serrure il en profita pour délacer ses souliers.

- J'entre dans votre lit pour le chauffer, dit-il.

Il fut sous la couverture avant qu'Hedwige eût enlevé son chapeau. Il la regardait ses préparatifs pour la toilette de nuit, gros sac d'ouate, graisse pour le démaquillage, lotions claires, papiers de crêpe, démêloirs, miroirs, etc. (Et elle n'était pas coquette ! ) Bruits de tiroir de commodes, d'eaux tombantes ou jaillissantes. C'était l'heure où les autobus s'espacent, où le métro élargit son bruit souterrain de plusieurs secondes, où les isolés ont l'air de couples à cause de l'écho dans les rues sonores et de leur ombre sur les murs, où la nuit appartient aux vieux journalistes, et à toutes les femmes, les femmes à scènes et les femmes douces. Tout en jetant dans la corbeille des tampons d'ouate rosie par le fard, Hedwige regardait derrière elle dans la glace, comme l'automobiliste regarde dans le rétroviseur la voiture qui va la rattraper. Elle avait compris que c'était pour ce soir. Qu'il avait faim d'elle, elle le devinait à une très légère nuance rauque dans la voix de Pierre. Il s'arrondissait, parlait de moins en moins, se tassait peu à peu dans la bonne laine du matelas qui, malgré le rembourrage, prenait son empreinte. Elle ne voyait que ses cheveux noirs. Ce monde d'élan inassouvis qu'il représentait n'apparaissait plus sur terre que par une mèche. Cet audacieux sans repos sous l'aiguillon ne remuait désormais pas plus qu'une souche. C'était à la fois touchant et inquiétant. Pierre avait souvent badiné sur le lit d'Hedwige le matin ou le soir. Il s'était glissé parfois sous son couvre-pieds, mais dans son lit il n'était jamais entré. Il ne l'avait jamais habité comme maintenant. Était-il de la race de ceux qui aiment être bordés ou de ceux qui ondulent la nuit et retroussent au petit matin les couvertures ? Elle allait le connaître tout entier, le traduire en langage clair, le tenir en un champ clos de linge où il ne se déroberait plus ; elle allait savoir si sa séduction émanait de lui immobile ou de lui en mouvement ; elle allait arriver au cœur du secret, savoir enfin si la hâte de Pierre était du muscle ou seulement du nerf, de la force ou de la faiblesse.

Sa curiosité fut si vive qu'elle ne ressentit aucunement cette honte chaude qu'éprouvent les filles qui ne sont jamais unies à un homme.

Auteur: Morand Paul

Info: l'homme pressé (1941, 350 p., Gallimard, p.163, 170)

[ romantisme ] [ envies ] [ désir ] [ poésie du détail ]

 
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énigme

Le mystère de l'enfant aux bois de cerf
En juillet 1965 débarque en Israël un jeune préhistorien qui n'a même pas trente ans, Bernard Vandermeersch. Il est là pour étudier la grotte de Qafzeh, à deux kilomètres de Nazareth, dans le nord du pays. Il ne le sait pas encore, mais il va y faire l'une des plus importantes découvertes de sa vie. Avec un chercheur israélien, il met au jour en effet des squelettes d'hommes anciens, à l'anatomie semblable à la nôtre. Stupeur : ceux-ci semblent avoir manipulé les mêmes outils que les néandertaliens. Allons donc... Des outils archaïques dans les mains d'une espèce évoluée comme la nôtre ? L'annonce fait lever de nombreux sourcils chez les paléoanthropologues.
Ces derniers ne sont pas au bout de leurs surprises. Car en 1988, la nouvelle tombe : les fossiles de Qafzeh ont plus de 90 000 ans. Eux qu'on voyait comme des cousins orientaux de l'homme de Cro-Magnon sont près de soixante mille ans plus anciens. L'histoire de notre espèce, les Homo sapiens modernes, se révèle bien plus longue que prévu. Elle plonge ses racines en Afrique, et bien plus loin dans la Préhistoire que ne le pensaient les chercheurs.
Et ce n'est pas fini. Car plusieurs années auparavant, ce site extraordinaire avait dévoilé un autre de ses trésors. Le 17 août 1969, l'équipe met en effet au jour une des plus anciennes sépultures du monde, et peut-être la plus frappante de la préhistoire. Elle est, encore aujourd'hui, sans véritable équivalent à une époque aussi ancienne.
C'est un adolescent, de douze ou treize ans. Il est sur le dos, au fond d'une petite fosse creusée dans un calcaire tendre. Ceux qui l'ont enterré lui ont replié les jambes et mises sur le côté. Sur ses hanches, ils ont déposé un gros bloc de calcaire. Ils lui ont allongé les bras sur la poitrine. Et entre ses mains, posées près de son cou, ils ont laissé une curieuse offrande : les bois d'un cerf, ou d'un grand daim, encore attachés à un morceau du crâne de celui-ci.
Les archéologues remarquent que l'adolescent a une fracture sur le front. Sans doute causée par un coup, ou une pierre. Ils décident de confier les restes à un médecin pour qu'il les examine. Ce dernier constate que la lésion a cicatrisé. Ce qui veut dire que l'enfant a survécu. Le médecin penche donc plutôt pour un choc léger, sans grande conséquence.
Mais l'une des anthropologues de l'équipe, qui a elle aussi étudié les restes, a toujours conservé un doute. Or au cours des années 1980, des chercheurs commencent à utiliser des scanners sur des crânes d'hommes fossiles. Au milieu des années 2000, les progrès de la technique permettent de réaliser des empreintes 3D extrêmement précises de l'intérieur de crânes fossiles. Une sorte de moulage virtuel du cerveau. D'où l'idée des chercheurs d'appliquer la technique à l'enfant de Qafzeh. Le fossile est envoyé pour cela dans un hôpital de la côte, à Haïfa.
Et ces techniques montrent que la blessure de l'adolescent était beaucoup plus grave qu'on ne l'avait pensé. D'abord parce qu'elle a entraîné un retard de croissance majeur. "Son cerveau a la taille de celui d'un enfant de six ans" explique Hélène Coqueugniot, du CNRS, qui a conduit l'étude. Autrement dit, il a reçu ce coup dans l'enfance. D'où des séquelles irréversibles. Après, savoir exactement quelles en ont été les conséquences neurologiques reste un exercice périlleux. D'après les zones du cerveau touchées, il pouvait avoir du mal à contrôler ses mouvements, à réaliser certaines tâches, et/ou à fixer son regard.
Bref, il avait très certainement une personnalité singulière, un comportement étrange pour le groupe d'hommes et de femmes avec qui il vivait. Est-ce pour cela qu'à sa mort, il a bénéficié d'un traitement spécial ? Car sa tombe est unique. Toutes les autres sépultures de la grotte sont beaucoup plus simples. Au mieux une fosse, et jamais d'offrandes. Incontestablement, cet adolescent qui n'était pas comme les autres, incarnait quelque chose pour le groupe venu l'enterrer dans cette grotte, il y a près de cent mille ans.

Auteur: Constans Nicolas

Info: sur Internet

[ différence ] [ rapports humains ] [ historique ]

 

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