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ventilation

A quoi ressemble la gare routière d'Accra ? A un grand cirque faisant une brève halte. Festival de couleurs et de musique. Les autocars font davantage penser à des roulottes de forains qu'aux luxueux pullmans glissant sur les autoroutes d'Europe et d'Amérique.

Ce sont des espèces de camions avec des ridelles en bois surmontées d'un toit reposant sur des piliers, de sorte qu'une brise agréable nous rafraîchit pendant le trajet. Ici, le courant d'air est une valeur prisée. Si on veut louer un appartement, la première question que l'on pose au propriétaire est : "Y a-t-il des courants d'airs ?" Il ouvre alors en grand les fenêtres et on est aussitôt caressé par un agréable souffle d'air frais : on respire profondément, on est soulagé, on revit.

Au Sahara, les palais des seigneurs sont étudiés avec ingéniosité : quantité d'ouvertures, de fentes, de coudes et de couloirs sont conçus, disposés et structurés de façon à provoquer une circulation d'air optimale. Dans la chaleur de midi, le maître est couché sur une natte à l'endroit où débouche le courant d'air et respire avec délectation ce vent un peu plus frais. Le courant d'air est une chose mesurable financièrement : les maisons les plus chères sont construites là où se trouvent les meilleurs courants d'air. Immobile, l'air ne vaut rien, mais il lui suffit de bouger pour prendre de la valeur.

Les autocars sont bariolés de dessins aux couleurs vives. La cabine du chauffeur et les ridelles sont peinturlurées de crocodiles découvrant des dents acérées, de serpents dressés prêts à l'attaque, de volées de paons caracolant dans les arbres, d'antilopes poursuivies dans la savane par des lions féroces. Partout des oiseaux à profusion, des guirlandes, des bouquets de fleurs. Le kitsch à l'état pur, mais un kitsch débordant d'imagination et de vie.

Auteur: Kapuscinski Ryszard

Info: Ebène - Aventures africaines

[ architecture ] [ adaptation ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

nature

La forêt vierge était le domaine du mensonge, du piège, du faux-semblant ; tout y était travesti, stratagème, jeu d’apparences, métamorphose. Domaine du lézard-concombre, de la châtaigne-hérisson, de la chrysalide-mille-pattes, de la larve à corps de carotte, du poisson-torpille, qui foudroyait du fond de la vase visqueuse. Lorsqu’on passait près des berges, la pénombre qui tombait de certaines voûtes végétales envoyait vers les pirogues des bouffées de fraîcheur. Mais il suffisait de s’arrêter quelques secondes pour que le soulagement que l’on ressentait se transformât en une insupportable démangeaison causée, eût-on dit, par des insectes. On avait l’impression qu’il y avait des fleurs partout ; mais les couleurs des fleurs étaient imitées presque toujours par des feuilles que l’on voyait sous des aspects divers de maturité ou de décrépitude. On avait l’impression qu’il y avait des fruits ; mais la rondeur, la maturité des fruits, étaient imités par des bulbes qui transpiraient, des velours puants, des vulves de plantes insectivores semblables à des pensées perlées de gouttes de sirop, des cactées tachetées qui dressaient à un empan du sol une tulipe en cire safranée. Et lorsqu’une orchidée apparaissait, tout en haut, au-dessus des bambous et des yopos, elle semblait aussi irréelle et inaccessible que l’edelweiss alpestre au bord du plus vertigineux abîme. Mais il y avait aussi les arbres qui n’étaient pas verts, qui jalonnaient les bords de massifs couleur amarante, s’incendiaient avec des reflets jaunes de buisson ardent. Le ciel lui-même mentait parfois quand, inversant sa hauteur sur le mercure des lagunes, il s’enfonçait dans les profondeurs insondables comme le firmament. Seuls les oiseaux étaient vrais, grâce à la claire identité de leur plumage. Les hérons ne trompaient pas, quand leur cou s’infléchissait en point d’interrogation ; ni quand, au cri du vigilant coq-héron, ils prenaient leur vol effrayé dans un frémissement de plumes blanches.

Auteur: Carpentier Alejo

Info: Le partage des eaux

[ sauvage ] [ littérature ]

 

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torture

Avec le même soin que j’emploie à disposer mes arrosoirs pour les martins ou des mangeoires secrètes dans les fourrés pour les coqs des bois, je place la tortue sur le dos. Je la cale avec des pierres, longuement, de telle façon qu’elle ne puisse se retourner – pour un peu je maçonnerais. Je la cale et la regarde. Peut-être que je l’aime alors, d’un immonde amour ? Millimètre après millimètre, j’introduis mon canif dans la membrane assez molle qui lui recouvre le ventre. Je transpire lourd. Je suis heureux. J’enfonce la lame juste assez pour que ce soit une blessure mortelle mais lente. Ah, je sais m’arrêter ! Je connais ce moment à un degré de jouissance qui ne pourrait être dépassé. Deux jours maintenant, trois, la tortue agonisera. Elle mourra chaque jour, d'un jour de mort. Elle cuira - par sa plaie. Dans cette plaie le soleil se glissera et tout en même temps pesant et léger et abominable et tendre, ne faisant jamais plus que la tâche quotidienne, mesuré, caressant, il saccagera le corps, montant à mesure vers le cœur, vers les déserts de la soif de l'estomac, tous rayons pointés, tel un porc-épic d'or. Je sais cela. C’est presque comme si je le vivais. Quand ce n’est pas la saison des vanilliers, je reviens souvent au crépuscule pour contempler ma moribonde et j’ai d’admirables ruses pour exciter en elle un appétit d’espérance, avec des feuilles, de la mousse ou même de l’eau, afin qu’elle meure plus lentement et plus sombrement encore. Quand les vanilliers sont en leurs fleurs ou, parfois, au début de leurs fleurs, quelque chose m’en empêche – une sorte de honte... Une seule fois, j’ai manqué mon coup. C’était dans le haut de la colline. La tortue réussit à se libérer. Lorsque je montai le lendemain, elle avait disparu. J’en tombai malade.

Auteur: Masson Loys

Info: "Les tortues", éditions de l'Arbre vengeur, 2021, pages 28-29

[ agonie ] [ homme-animal ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

poésie

Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.

Auteur: Rilke Rainer Maria

Info: Les Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910)

[ expériences ] [ vécu ] [ sensibilité ] [ sensations ] [ conseil d'écriture ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

deuil

Il m'arrive souvent Denis de ne pas être assez dans l'instant, je suis avec tes soeurs et te frères mais mes pensées s'évadent vers toi. Je m'en veux, je n'ai pas envie de passer à côté de ces moments précieux de confidences et de partages. Ta mort m'a appris à ne rien perdre de la vie, j'ai besoin de profiter de chaque instant, je prends conscience qu'il faut que je prenne garde à ne pas leur donner le sentiment qu'ils sont abandonnés, ou moins aimés, ils ont tellement besoin d'être entourés. Je ne compte plus les nuits sans dormir entre ton petit rère qui pleure tout le temps et toi Denis qui acapare mon esprit. Il me reste peu de place de repos, les biberons, les caresses pour apaiser ton frère mais pour l'instant je n'ai pas de solution pour toi alors, rendors-toi petit ogre ou je ne tiendrais pas le coup.
Prélude au printemps cette année encore les jonquilles colorent nos forêts et nos champs, comment ne pas penser à toi quand la nature évoque tout ton être, je te revois confectionnant de petites bottes de fleurs que tu déposais dans un seau ou une bouillette pour ensuite ensoleiller chaque pièce de la maison et celle de bien d'autres villageois. Ce geste gratuit te récompensais toujours et tu revenais bien souvent les poches remplies de bonbons et de chocolat. Aujourd'hui mes pensée me guident vers cet endroit si souvent convoité et où tes soeurs et toi avaient passés de sublimes instants. Ce tableau reste vivant et égaie mon coeur. Dans cet écrin de verdur mes émotions se bousculent et laissent échapper quelques perles de larmes. Assis dans les lumières te voilà, délicieux petit homme, dans ce champs, tout de jaune vêtu, ta main vive d'enfant cueille avec coeur de délicates petittes fleurs, je grave dans ma mémoire la saveur de l'instant, aujourd'hui tendrement je dépose sur ta tombe ce bouquet de jonquilles aux couleurs du printemps.

Auteur: Bauwens Pascale

Info: Petit Ogre: Témoignage sur le suicide chez l'enfant

[ souvenirs ]

 

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révélation mystique

Au-dessus de lui, vaste, s’étendait à l’infini le dôme céleste, plein d’étoiles calmes et scintillantes. Du zénith à l’horizon apparaissait la voie lactée, encore indistincte. Une nuit fraîche et calme jusqu’à l’immobilité enveloppait la terre. Les tours blanches et les coupoles dorées de la cathédrale brillaient sur le saphir du ciel. Les somptueuses fleurs d’automne des parterres autour de la maison s’étaient endormies jusqu’au matin. Le silence de la terre semblait se fondre dans celui du ciel, le mystère de la terre rejoindre celui des étoiles... Aliocha, debout, regardait et brusquement, comme fauché, il tomba à terre.

Il ne savait pas pourquoi il étreignait la terre, il ignorait pourquoi il avait irrésistiblement envie de la baiser, de la baiser, tout entière, mais il la baisait en pleurant, en sanglotant, en l’arrosant de ses larmes, et il jurait éperdument de l’aimer, de l’aimer à tout jamais. "Arrose la terre des larmes de ta joie et aime ces larmes..." ces paroles retentirent dans son âme. Pourquoi pleurait-il ? Oh, il pleurait, dans son extase, même sur ces étoiles qui scintillaient vers lui de l’infini, et il "n’avait pas honte de ce paroxysme". Comme si les fils de tous ces innombrables mondes de Dieu convergeaient d’un coup dans son âme, et elle vibrait "au contact des autres mondes". Il aurait voulu pardonner à tous et pour tout, demander pardon, oh ! pas pour lui, mais pour tous, pour tous et tout, "pour moi d’autres le font", entendit-il de nouveau retentir dans son âme. Mais d’instant en instant, il sentait plus nettement et d’une façon en quelque sorte tangible descendre dans son âme quelque chose d’aussi ferme et immuable que cette voûte céleste. Une idée prenait possession de son esprit, cette fois pour la vie et à tout jamais. Il était tombé à terre faible adolescent et il se releva ferme combattant pour toute sa vie, il en eut conscience et le sentit soudain, au moment même de son extase. Et jamais, plus jamais Aliocha ne put oublier cet instant. "Quelqu’un a visité mon âme à cette heure !" disait-il plus tard en croyant fermement à ses paroles...

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: Dans "Les Frères Karamazov", volume 2, traduction d'Elisabeth Guertik, le Cercle du bibliophile, pages 48-49

[ métanoïa ] [ renouveau ] [ rédemption ]

 
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art pictural

Or les plus beaux dessins de Kalmykov datent de cette période. Les femmes y ressemblent à des palmiers ou à des fruits du Sud. Elles ont les mains fines, les yeux en amande. De haute taille, debout ou couchées, elles emplissent toute la surface de la feuille. Quelques-unes ont des ailes, telles des fées. D'autres sont simplement des femmes. Sur des dessins publiés, le long et lourd vêtement d'intérieur n'est que jeté sur les épaules. Il laisse voir la jambe, la poitrine, le torse. La femme porte un vase de style oriental comme on en fait dans les montagnes. Sur une petite table, un candélabre allumé (on dirait un rameau avec trois fleurs écloses) et un livre ouvert avec un signet. Dans le silence de la nuit, où va donc cette belle solitaire, que suit - chien ou chat ?- une créature étrange. Un autre dessin est intitulé Jazz lunaire. Une blonde élancée, douce et froide (il est à présumer que Kalmykov n'admettait qu'un seul type de beauté féminine), avec des ailes de papillon, porte sur un plateau une bouteille à col fin et un vase d'où jaillit une branche. Ici encore, les vêtements laissent voir le corps. (Plus exactement, tout le corps est une ligne ondoyante enfermée dans l'ovale des vêtements.) Et, ici, encore, il fait nuit. Au fond, un serviteur, en coiffure et cape baroques, descend les marches d'une estrade. Kalmykov a laissé deux ou trois cents de ces dessins dont la vertu d'envoûtement est indicible. Les techniques employées sont diverses : le pointillé et la ligne continue des contours vides ou habités de couleur, le crayon aussi bien que l'aquarelle. Dans Le Chevalier Motte, le personnage n'est pas sans ressembler à Kalmykov : même cape tumultueuse, même béret, même capuchon de couleur démente, et les décorations de tous les pays existants ou non ! L'homme va, il rit, il vous regarde. En public, Kalmykov n'a jamais ri. Jamais il n'a laissé entrer personne dans cet univers de jazz lunaire, de belles allées qui prennent leur vol et de cavaliers superbes. Dans cet univers-là, il a toujours été seul.

Auteur: Dombrovskij Ûrij Osipovic

Info: La faculté de l'inutile

[ femmes-par-hommes ] [ littérature ]

 
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décalage

Le vieux refrain du père qui tente de partager avec ses mômes les films et les livres qui l’ont marqué quand il avait leur âge. Un truc qui ne marche qu’à moitié. Un soir, je leur ai proposé de voir Le Cercle des poètes disparus. Le film qui a bouleversé mes quinze ans. C’était en 1989. Le mur de Berlin tombait, les Simpson naissaient, Dali et Cassavetes s’éteignaient. Et moi, je devais encore attendre quelques longs mois avant de perdre ma virginité. Dieu que c’était long l’adolescence. Et qu’il fut bon de découvrir Le Cercle des poètes disparus. Je fantasmai longtemps sur ces gamins qui se retrouvaient le soir pour réciter de la poésie, qui tentaient de comprendre l’amour et se promettaient de vivre fort.

Mes enfants avaient les yeux rivés sur l’écran. Personne ne bougeait. Avec eux, j’avais quinze ans. "Cueille dès maintenant les fleurs de la vie.". Je retrouvai intact l’émotion que cette phrase m’avait procurée près de vingt-cinq ans plus tôt. Et quand les élèves se levèrent un à un sur leur banc, déclamant chacun le fameux "Ô Capitaine, mon capitaine", je versai une larme.

- Regarde, y a papa qui pleure, dit ma fille à ses deux frères, qui me regardèrent avec compassion.

- Mais papa, pourquoi tu regardes des films s’ils te font pleurer ? demanda le petit.

- Tu as aimé ce truc quand tu étais ado ? enchaîna l’ainé, incrédule.

- Oui, répondis-je avec aplomb.

- Franchement, je comprends pas qu’on puisse aimer un film sur des mecs qui vont à l’école, lisent des bouquins et montent sur des bancs. Y a pas de bagnole, y a pas de bagarre, y a pas de gros mots. Y a même pas Vin Diesel.

- Ni Dany Boon, conclut le cadet.

Accablé, je décidai de me taire. Après le générique de fin, on a regardé cette pétasse d’Hannah Montana avec ses chansons à la con. Il n’y avait pas de sexe, pas de violence, pas de poésie. Rien. Personne n’a pleuré. Tout le monde était content.

Auteur: Colin Jérôme

Info: Éviter les péages

[ générations ]

 

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expérience du bouquet renversé

Pour que l’illusion se produise, pour que se constitue, devant l’œil qui regarde, un monde où l’imaginaire peut inclure le réel et, du même coup, le former, où le réel aussi peut inclure et, du même coup, situer l’imaginaire, il faut qu’une condition soit réalisée – je vous l’ai dit, l’œil doit être dans une certaine position, il doit être à l’intérieur du cône.

S’il est à l’extérieur de ce cône, il ne verra plus ce qui est imaginaire pour la simple raison que rien du cône d’émission ne viendra le frapper. Il verra les choses à leur état réel, tout nu, c’est-à-dire l’intérieur du mécanisme, et un pauvre pot vide, ou des fleurs esseulées, selon les cas.

Vous me direz – Nous ne sommes pas un œil, qu’est-ce que c’est que cet œil qui se balade ?

La boîte veut dire votre propre corps. Le bouquet, c’est instincts et désirs, les objets du désir qui se promènent. Et le chaudron, qu’est-ce que c’est ? Ça pourrait bien être le cortex. Pourquoi pas ? [...]

Au milieu de ça, votre œil ne se promène pas, il est fixé là, comme un petit appendice titilleur du cortex. [...]

L’œil est ici, comme très fréquemment, le symbole du sujet.

Toute la science repose sur ce qu’on réduit le sujet à un œil, et c’est pourquoi elle est projetée devant vous, c’est-à-dire objectivée. [...] Pour nous réduire un petit instant à n’être qu’un œil, il fallait que nous nous placions dans la position du savant qui peut décréter qu’il n’est qu’un œil, et mettre un écriteau à la porte – Ne pas déranger l’expérimentateur. Dans la vie, les choses sont toutes différentes, parce que nous ne sommes pas un œil. Alors, qu’est-ce que veut dire l’œil qui est là ?

Cela veut dire que, dans le rapport de l’imaginaire et du réel, et dans la constitution du monde telle qu’elle en résulte, tout dépend de la situation du sujet. Et la situation du sujet [...] est essentiellement caractérisée par sa place dans le monde symbolique, autrement dit dans le monde de la parole.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre I", "Les écrits techniques de Freud (1953-1954)", éditions du Seuil, 1975, page 129-130

[ réel-symbolique-imaginaire ] [ schéma optique ] [ interprétation psychanalytique ] [ métaphore du fonctionnement psychologique ]

 

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littérature

Miguel Hernández était cet écrivain sorti de la nature comme une pierre intacte, à la virginité sauvage et à l'irrésistible force vitale.
Il racontait combien c'était impressionnant de poser ses oreilles sur le ventre des chèvres endormies. On pouvait ainsi entendre le bruit du lait qui arrivait aux mamelles, cette rumeur secrète que personne n'a pu écouter hormis ce poète des chèvres.
A d'autres reprises il me parlait du chant des rossignols.
Le Levant espagnol d'où il provenait, était chargé d'orangers en fleurs et de rossignols. Comme cet oiseau n'existe pas dans mon pays, ce sublime chanteur, ce fou de Miguel voulait me donner la plus vive expression esthétique de sa puissance. Il grimpait à un arbre dans la rue, et depuis les plus hautes branches, il sifflait comme chantent ses chers oiseaux au pays natal.
Comme il n'avait pas de quoi à vivre, je lui cherchais un travail.
C'était difficile pour un poète de trouver du travail en Espagne.
Finalement un Vicomte, haut fonctionnaire des Relations, s'intéressa à son cas et me répondit que oui, qu'il était d'accord, qu'il avait lu les vers de Miguel, qu'il l'admirait, et que celui-ci veuille bien indiquer quel type de poste il souhaitait pour rédiger sa nomination.
Rempli de joie, je dis au poète:
- Miguel Hernández, tu as enfin un destin. Le Vicomte t'embauche.
Tu seras un haut employé. Dis-moi quel travail tu désires effectuer pour que l'on procède à ton engagement.
Miguel demeura songeur. Son visage aux grandes rides prématurées se couvrit d'un voile méditatif. Des heures passèrent et il fallut attendre l'après-midi pour qu'il me réponde. Avec les yeux brillants de quelqu'un qui aurait trouvé la solution de sa vie, il me dit:
- Le Vicomte pourrait-il me confier un troupeau de chèvres par ici, près de Madrid ?
Le souvenir de Miguel ne peut s'échapper des racines de mon coeur. Le chant des rossignols levantins, ses tours sonores érigées entre l'obscurité et les fleurs d'orangers, dont la présence l'obsédait, étaient une des composantes de son sang, de sa poésie terrestre et sylvestre dans laquelle se réunissaient tous les excès de la couleur, du parfum et de la voix du Levant espagnol, avec l'abondance et la fragrance d'une puissante et virile jeunesse.

Auteur: Neruda Pablo

Info: Confieso que he vivido 1974

 

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