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solipsismes confrontés

Bonsoir tout le monde,

Question, délicate ou ridiculement évidente, c'est selon, de ce qu'on peut qualifier d'interprétation subjective et personnelle versus ce qu'on pourrait identifier comme "objectif" dans les différents plans dans lesquels on voyage astralement.. 

Pour prendre un exemple enfonçons une porte ouverte liée à nos sens basiques, la synesthésie est un phénomène neurologique qui fait qu'un sens est associé - ou fusionné - systématiquement à un autre, pour faire court. J'en suis atteinte, et dans mon cas c'est les sons qui sont associés à des formes en couleur et en texture, avec une charge émotionnelle. Par exemple, le son du piano a pour moi une forme blanche laiteuse, opaque, concave, avec des bords plus ou moins colorés, alors que le violoncelle est rouge foncé mais lumineux, convexe, trace des lignes en s'approchant dans l'espace, etc.

Les études qui ont été faites là-dessus montrent que oh surprise, si c'est systématique et stable pour chacun (le piano se présente toujours blanc opaque pour moi)  c'est aussi complètement différent en fonction des personnes - pour quelqu'un d'autre qui présente ces caractéristiques neurologiques, le piano sera toujours vert+ autres attributs constants pour elle. Et bien sûr ce phénomène est présent à des degrés plus ou moins élevés, allant de l'inaperçu a l'handicap, finalement chez pas mal de gens.

Ca a déjà été dit et répété dans le groupe, mais j'ai aussi lu pas mal de posts/commentaires qui semblent difficilement prendre ce facteur en compte, en traitant des autres plans de conscience et des diverses expériences dont on parle ici.

J'ai aussi pu expérimenter et vérifié une ou deux fois que dans les autres plans de conscience, et au niveau énergétique, la même chose s'appliquait : sans en faire une généralité, on était 2 à percevoir un même phénomène, mais de façon très différente.

Et pourtant, il y a aussi des constantes qui semblent ressortir, le plan éthérique étant décrit comme bleu à la quasi unanimité par exemple... ou les "cavernes brunes du bas-astral ou tout est lent et pèse un tonne" (bon ça c'est peut-être moins consensuel, mais vu et vécu avec, à peu de choses près, la même description).

Du coup les amis... Comment mettez-vous des repères là-dedans ? En général, et dans les fils de discussion du groupe ? Est-ce important pour vous ? Ou à valeur nulle ? Je me suis bien fait ma petite idée, mais je suis assez curieuse d'autres perspectives... 

J'en profite aussi pour remercier chaleureusement Marc Auburn et les contributeurs de ce groupe, qui défrichent avec brio ces terra incognita...

Loïc Dubuckingham@ Auteur1. Moi je dirais que c'est simplement humain de vouloir que tout soit "repérable" et contrôler. Vous avez de la chance de pouvoir effectuer ces voyages là alors prenez la chance aussi de lâcher prise en m'étant un peu de côté l'obsession humaine de vouloir tout expliquer pour mieux comprendre. Ce n'est pas un reproche que je vous fait la mais une suggestion.

Auteur 1 @ Loïc Dubuckingham. Bonjour, je ne crois pas chercher à tout repérer et contrôler, et surtout pas dans ce genre de sujet... lâcher prise, bien sûr, mais de mon côté ça ne m’empêche pas de temps à autres d’essayer de comprendre ce que je vis. Jusqu’ici, ça ne m’a pas tellement joué de mauvais tours ??

Callirhoé Déicoon @ Loïc Dubuckingham. Je pense que la curiosité et l'envie de comprendre sont plutôt des moteurs sains. De + les divers témoignages et communications avec des entités laissent entendre que ce moteur est universel en tant que base de l'évolution des consciences, et non juste humain (désolée de déterrer ce fil 1 an après)

Marc Auburn@. Oui, la synesthésie est l'état naturel du corps de lumière. Toute perception suscite une correspondance avec toutes les autres perceptions, et pourtant en même temps on fait parfaitement le distinguo.

Auteur 1@ Marc Auburn. Oui, la distinction est claire. Ce que j’en retenais surtout, c’était le côté subjectif et propre à chacun, et j’avais tendance à partir du principe que si même un son est perçu différemment selon la personne, c’était logiquement pareil puissance X dans d’autres dimensions... mais, bon... je me prends peut être un peu la tête pas dans le bon sens ??

Callirhoé Déicoon @ Auteur 1. Au contraire, vous ne vous prenez pas la tête pour rien, c'est justement une question centrale… et éminemment complexe. Je ne sais pas mais on dirait que c'est comme s'il y avait une réalité archétypale dans l'astral, c'est-à-dire que les gens y voient la "même chose" (le même concept) mais avec des apparences qui varient…

Denis Cottard. Mon approche des réalités énergétiques est avant tout une approche par le sens, par l’intensité de signification, car curieusement, bien souvent, la sensation pure n’est pas centrale. Il y a des cas où elle l’est, quand il s’agit de situations fortement reliées au plan physique et où il faut des éléments qui puissent nous faire des repères, mais sinon je sais que c’est moi qui met le truc en image parce que c’est plus simple pour se souvenir et garder, et je reste d’ailleurs conscient de le faire. Donc, je conçois que chacun puisse "imager" à sa façon car chacun a sa sensibilité, certains sont plus visuels, d’autres tactiles, etc... et qu’il y a un symbolisme de représentation qui peut être très personnel. L’important étant que çà fasse sens pour celle ou celui qui fait l’expérience.

Donc je ne me fixe pas trop sur la forme des expériences (même si pour certains, c’est encore celle-ci qui est l’aspect le plus fascinant) car dès lors qu’on quitte la réalité matérielle, on évolue dans une réalité qui n’a aucune raison d’être particulièrement objective, et qu’à partir de certains plans d’existence, il n’y a tout simplement plus de forme ou alors, il y a quelque chose mais qui ne témoigne en rien de ce que nos sens pourrait témoigner. C’est en cela que j’affectionne particulièrement les sorties en tandem car au retour, la reconstruction s’effectue à deux et c’est très amusant : c’est un peu comme peindre un tableau à deux mains. C’est également ce que j’apprécie dans les témoignages des uns et des autres dans ce groupe, c’est que çà fait autant de point de vue différents sur des expériences qui sont souvent semblables. Là encore, je trouve que le sens s’enrichit.

Auteur 1 @ Denis Cottard. J’ai un peu la même façon d’aborder ça en principe. Mais j’ai été un peu secouée en lisant Dolores Cannon, de trouver des descriptions quand même très ressemblantes entre elles, et en particulier une description vraiment très similaire à une de mes expériences de sortie... et justement, jusque dans la forme... ça fout un peu une baffe à mon approche ?? - mais sinon, qu’est ce que c’est chouette de pouvoir lire tous ces points de vue, merci !  D'ailleurs Denis Cottard comment on fait des sorties en tandem ??

Denis Cottard @ Auteur 1. Alors, pour faire une sortie en tandem, il faut utiliser un protocole de sortie qui démarre comme une projection de conscience dans laquelle on s’investit progressivement. Il est bien de faire çà avec quelqu’un qu’on connaît bien, dont on a une signature énergétique, claire car tant qu’on ne sait pas se faire un véhicule à 2 places (qui peut se résumer à une bulle de taille adéquate), on peut se perdre et partir chacun dans son coin. D’autre part, au début, on est chacun bien calé dans un fauteuil mais on peut se parler si nécessaire et c’est très aidant pour savoir où est l’autre. Au fil de l’exploration, on se fait happé par la situation, et on ne se parle plus physiquement, mais on continue de se parler mentalement, car çà maintient le lien : c’est du genre : t’es là ? Oui et toi ? ?? on se fait nos commentaires, on se donne des indications de déplacement.

J’ai appris çà en cours de parapsychologie car c’était un exercice assez ludique qu’on faisait à chaque fin de cours. Il y avait une personne qui notait sur un papier, des lieux qu’elle allait visiter en esprit, et les autres n’avaient qu’à suivre son empreinte énergétique et dire à la fin, les sites dans lesquels ils avaient été, et on pouvait vérifier avec ce qui avait été inscrit. Surprenant ! Une de mes filles était excellente à ce jeu -là. Essayez, vous allez voir, déjà, c’est sympa comme tout, et puis, c’est la base pour effectuer une sortie à deux.

Dans ces sorties à deux, on peut décider de ce qu’on veut visiter, ou se laisser aller au hasard. Je sais que nombre d’entre vous vont penser : Bof, c’est que du remote viewing ! Mais faites-le et on en reparle : vous allez voir que c’est bien plus que çà, et que, un des intérêts de la chose, en dehors du fait qu’on peut confronter les deux expériences a posteriori, c’est que la conscience y est particulièrement vive et les perceptions très claires. ( à part peut-être qu’on peut y voir à l’envers - pas systématiquement mais çà peut arriver - c’est à dire comme l’image dans un miroir ce qui rend toute lecture particulièrement fastidieuse!!).

Avec l’habitude, on peut même le faire à distance de la personne. Il faut juste fixer un jour et une heure et on s’y met. On se donne RV là où on a "parqué" la bulle qui nous sert à voyager ensemble, et on se met dedans et quand l’autre y est aussi, on bouge.

Il y a une quinzaine d’année, avec une amie on était très désireux de savoir à quoi s’en tenir à propos de la 9 eme planète, ce corps qui fou le bordel dans les orbites des planètes extérieures. On s’y est rendu de cette façon là, et à l’époque on a été très surpris de rencontrer un corps noir comme l’encre et qui semblait même absorber toute lumière. Il faut dire que dans le soit-disant  "vide spatial" c’est très éclairé parce qu’on voit mille fois plus d’étoiles et ce corps se repère parce qu’il masque les étoiles sur son passage. Nous nous sommes rapproché et très honnêtement, ce truc tout noir , un peu grouillant (il y avait du mouvement, un peu comme de l’eau ou un quelque chose de fluide) n’était pas très engageant, et courageux mais pas téméraires, dans le doute on s’est tiré de là vite fait. J’ai lu cette semaine que des astronomes très sérieux envisagent que ce corps puisse être un mini trou noir. Tiens, tiens ...

Auteur 1 @ Denis Cottard ça à l’air très chouette et ça me rend curieuse, tout en me demandant avec qui j’aurais envie de faire ça ?? ... je sais pas... merci pour le partage.

Denis Cottard@auteur 1. Il faut faire çà avec quelqu'un que vous connaissez bien, parce qu'on est vraiment à poil !!! on entend tout ce que l'autre pense ou ressent. Heureusement, quand on est en esprit, on a pas trop de pulsion sexuelles, pour ne pas dire niveau zéro. Mais enfin, çà fait partie de ces voyages où l'on garde une certaine apparence, pour ne pas se perdre, on se voit aussi. çà pourrait être gênant !! ??

Auteur1 @ Denis Cottard. Certes ??

Reinald Durand. Pour revenir à ce qui est dit plus haut, évoquer l'objectivité et des constantes, des repères qui seraient fixes nous fait entrer sur un terrain glissant. La perception, de même que la connaissance, n'est jamais neutre. La perception est orientée, colorée par nos croyances, nos intentions, nos attentes, nos états intérieurs. Comme on dit, on voit ce qu'on veut voir, même si on n'en est pas toujours conscient ou qu'on a oublié la chose. Et si on fait intervenir des petits hommes gris ou des figures sombres encapuchonnées autour de son lit, il y a peut être une raison, qui n'a pas nécessairement à être jugée d'ailleurs en termes de bien ou de mal. Maintenant, on peut surtout en prendre conscience pour changer la nature de ses aventures... C'est la même chose dans la vie de tous les jours, je pense. Il peut être utile de prendre le temps d'examiner certaines choses: est-ce que ce sont des projections, est-ce qu'on n'en rajoute pas une couche, est-ce qu'on peut relier ce qu'on voit à des croyances, des intentions, des états intérieurs? Il y a un monde intérieur d'où jaillit cette réalité qu'il faut reconnaitre, à défaut on croira que tout cela nous arrive, indépendamment de notre volonté ( innocente victime, va!) que ce soit dans le rêve, dans les sorties hors corps, dans son quotidien, et si on change l'intérieur l'extérieur se met changer...??

Denis Cottard. Je suis bien d’accord, il ne faut pas oublier le caractère hautement subjectif d’expériences de ce genre.

C’est d’ailleurs tout l’intérêt de chercher à vérifier dans "la vie réelle", ce qui est vérifiable, et même de s’efforcer d’orienter nos sorties dans ce sens afin d’avoir une idée du pourcentage d’entre elles qui est validable et trouver le juste recul qu’il convient d’avoir à cet égard, car on va tous expérimenter un jour ou l’autre, ce truc de ouf qui va nous obliger à convenir qu’il y a bien là, un outil incroyable qui nous ouvre réellement des voies de connaissance objective, mais çà n’implique pas pour autant que toutes nos sorties soient des expériences de ce type.

J’ai longtemps pratiqué la radiesthésie, et j’y retrouve le même problème, et je pense que c’est encore la même chose avec la médiumnité. Toutes ces voies provoquent réellement une amplification de notre champ de perception mais dont il faut se garder de considérer la pertinence comme acquise une fois pour toute.

Denis Cottard. C'est comme pour "vu à la télé", çà ne veux pas dire que c'est juste à tous les coups.

Reinald Durand. Oui, qu'est qui est réel, qu'est-ce qui ne l'est pas ? l'imagination pourrait être réelle... Qu'est-ce qui va faire la différence? Pour moi, ça tourne autour de consensus, de conventions, d'accords souvent tacites reposant sur des objectifs communs... et une manière de camoufler les choses, filtrage propres à chaque monde ou dimension sur quelque chose d'infini. Alors il y a peut-être simplement moins de réalité lorsqu'on se trompe, lorsqu'on s'écarte de ce qu'on est profondément et qu'on souffre... Je ne nie pas le besoin d'objectivité, mais, comme tu dis, c'est essayer de voir deux fois. ??

Sofiane Thoulon. Bonjour, comme vous j'ai des synesthesies. Chez moi elles s'expriment beaucoup par les voyelles qui sont directement reliées à des couleurs (i rouge, a blanc, etc...) j'ai aussi des mots dont la sonorité se rapportent à des formes géométriques etc...

J'ai vécu lors d'une sortie l'été dernier, un phénomène que je dirais de cet ordre : alors que j'étais en train de sortir de mon corps, des entités sont venues autour de moi, je ne les voyais pas mais je sentais qu'elles étaient plusieurs. J'ai senti qu'elles me touchaient, elles faisaient une sorte d'expérience. Bref, rien de très rassurant sur le coup, d'autant plus que j'avais parlé quelques jours auparavant, avec une personne médium qui avait subie des attaques et qui voulait m'avertir du danger. Elle m'avait donc conseillé de les insulter sans relâche jusqu'à ce qu'elles partent. J'ai donc fait ça et, non seulement elles ne partaient pas, mais j'ai alors vu dans mon ''écran visuel'' une sorte d'onde verticale faite de lumière rose-rouge en mouvement et assez anguleuse. C'était clairement pour moi, la conversion visuelle de l'onde des insultes. Je n'ai même pas vraiment voulu interpréter, mais cette info est venue immédiatement après l'expérience. Pour en conclure, derrière n'importe quel Objet physique, de quelque nature qu'il soit, il y a un champ d'information d'ordre quantique et je pense que les synesthesies sont une sorte de perception de cette information quantique, que le cerveau humain essaie de convertir pour en comprendre l'essence. Mais finalement, ce qui fait la subjectivité des synesthesies, c'est peut-être bien cette conversion faite par le cerveau de chacun, pour comprendre l'essence des choses. Haha je ne sais même pas si je suis claire ??? je crois que je m'embrouille moi même !

Claude-Samuel Levine @ Sofiane Thoulon. Si c'est clair, je comprend bien. Du fait que moi même j'ai toujours eu des synesthésies très précises.

Lettres, chiffres, nombres, heures, jours de la semaine, mois, notes de musiques et orchestrations. D'ailleurs ce n'est pas qu'une association "couleur" ,la couleur envoit à une véritable ambiance. Exemple : une musique en LA majeur : La vert, Do# jaune doré => forêt au soleil, ou lumière de l'au-delà sur paysage, et avec la joie liée à la lumière. Le "Metal" : violence, rouge sombre noir avec lignes cassantes et les barres des rythmes.

Auteur: Anonymes pseudos

Info: Fil de discussion sur Explorateurs du réel avec Marc Auburn, octobre 2019

[ réalités individuelles ] [ cerveau filtre ] [ ésotérisme ] [ occultisme ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

transgressions verbales

Avant même de parler, nous jurions.

Furieux de ce qu'il considère comme une pandémie virtuelle de vulgarité verbale émanant de personnalités aussi diverses que Howard Stern, Bono de U2 et Robert Novak, le Sénat des États-Unis est sur le point d'examiner un projet de loi qui augmenterait fortement les sanctions pour obscénité à l'antenne.

En multipliant par quinze les amendes qui seraient infligées aux radiodiffuseurs contrevenants, pour atteindre un montant d'environ 500 000 dollars par diffusion de grossièretés, et en menaçant de révoquer les licences des contrevenants récidivistes, le Sénat cherche à redonner à la place publique la teneur plus douce d'antan, lorsque l'on entendait rarement des propos calomnieux et que les célébrités n'étaient pas grossières à longueur de journée.

Pourtant, les chercheurs qui étudient l'évolution du langage et la psychologie des jurons disent qu'ils n'ont aucune idée du modèle mystique de gentillesse linguistique que les critiques pourraient avoir en tête. Le juron, disent-ils, est un universel humain. Toutes les langues, tous les dialectes et tous les patois étudiés, vivants ou morts, parlés par des millions de personnes ou par une petite tribu, ont leur part d'interdits, une variante de la célèbre liste des sept gros mots qui ne doivent pas être prononcés à la radio ou à la télévision, établie par le comédien George Carlin.

Les jeunes enfants mémorisent cet inventaire illicite bien avant d'en saisir le sens, explique John McWhorter, spécialiste de la linguistique au Manhattan Institute et auteur de "The Power of Babel", et les géants de la littérature ont toujours construit leur art sur sa colonne vertébrale.

"Le dramaturge jacobéen Ben Jonson a parsemé ses pièces de fackings et de "Culs peremptoirs", et Shakespeare ne pouvait guère écrire une strophe sans insérer des blasphèmes de l'époque comme "zounds" ou "sblood" - contractions offensantes de "God's wounds" et "God's blood" - ou autre étonnant  jeu de mots sexuel.

Le titre "Much Ado About Nothing", dit son auteur le Dr McWhorter, est un jeu de mots sur "Much Ado About an O Thing", le O thing étant une référence aux organes génitaux féminins.

Même la quintessence du bon livre abonde en passages coquins comme les hommes de II Kings 18:27 qui, comme le dit la traduction relativement douce du King James, "mangent leur propre merde et boivent leur propre pisse".

En fait, selon Guy Deutscher, linguiste à l'université de Leyde, aux Pays-Bas, et auteur de "The Unfolding of Language : An Evolutionary Tour of Mankind's Greatest Invention", les premiers écrits, qui datent d'il y a 5 000 ans, comportent leur lot de descriptions colorées de la forme humaine et de ses fonctions encore plus colorées. Et les écrits ne sont que le reflet d'une tradition orale qui, selon le Dr Deutscher et de nombreux autres psychologues et linguistes évolutionnistes, remonte à l'apparition du larynx humain, si ce n'est avant.

Certains chercheurs sont tellement impressionnés par la profondeur et la puissance du langage grossier qu'ils l'utilisent comme un judas dans l'architecture du cerveau, comme un moyen de sonder les liens enchevêtrés et cryptiques entre les nouvelles régions "supérieures" du cerveau chargées de l'intellect, de la raison et de la planification, et les quartiers neuronaux plus anciens et plus "bestiaux" qui donnent naissance à nos émotions.

Les chercheurs soulignent que le fait de jurer est souvent un amalgame de sentiments bruts et spontanés et de ruse ciblée, à la dérobée. Lorsqu'une personne en insulte une autre, disent-ils, elle crache rarement des obscénités et des insultes au hasard, mais évalue plutôt l'objet de son courroux et adapte le contenu de son explosion "incontrôlable" en conséquence.

Étant donné que l'injure fait appel aux voies de la pensée et des sentiments du cerveau dans une mesure à peu près égale et avec une ferveur facilement évaluable, les scientifiques affirment qu'en étudiant les circuits neuronaux qui la sous-tendent, ils obtiennent de nouvelles informations sur la façon dont les différents domaines du cerveau communiquent - et tout cela pour une réplique bien sentie.

D'autres chercheurs se sont penchés sur la physiologie de l'injure, sur la façon dont nos sens et nos réflexes réagissent à l'audition ou à la vue d'un mot obscène. Ils ont déterminé que le fait d'entendre un juron suscite une réaction littérale chez les gens. Lorsque des fils électrodermiques sont placés sur les bras et le bout des doigts d'une personne pour étudier les schémas de conductivité de sa peau et que les sujets entendent ensuite quelques obscénités prononcées clairement et fermement, les participants montrent des signes d'excitation instantanée. La conductivité de leur peau augmente, les poils de leurs bras se dressent, leur pouls s'accélère et leur respiration devient superficielle.

Il est intéressant de noter, selon Kate Burridge, professeur de linguistique à l'université Monash de Melbourne, en Australie, qu'une réaction similaire se produit chez les étudiants universitaires et d'autres personnes qui se targuent d'être instruites lorsqu'elles entendent des expressions de mauvaise grammaire ou d'argot qu'elles considèrent comme irritantes, illettrées ou déclassées.

"Les gens peuvent se sentir très passionnés par la langue, dit-elle, comme s'il s'agissait d'un artefact précieux qu'il faut protéger à tout prix contre les dépravations des barbares et des étrangers lexicaux." 

Le Dr Burridge et un collègue de Monash, Keith Allan, sont les auteurs de "Forbidden Words : Taboo and the Censoring of Language", qui sera publié au début de l'année prochaine par la Cambridge University Press.

Les chercheurs ont également découvert que les obscénités peuvent s'insinuer dans la peau d'une personne qui a la chair de poule, puis ne plus bouger. Dans une étude, les scientifiques ont commencé par le célèbre test de Stroop, qui consiste à montrer à des sujets une série de mots écrits en différentes couleurs et à leur demander de réagir en citant les couleurs des mots plutôt que les mots eux-mêmes.

Si les sujets voient le mot "chaise" écrit en lettres jaunes, ils sont censés dire "jaune".

Les chercheurs ont ensuite inséré un certain nombre d'obscénités et de vulgarités dans la gamme standard. En observant les réponses immédiates et différées des participants, les chercheurs ont constaté que, tout d'abord, les gens avaient besoin de beaucoup plus de temps pour triller les couleurs des mots d'injures que pour des termes neutres comme "chaise".

L'expérience de voir un texte titillant détournait manifestement les participants de la tâche de codage des couleurs. Pourtant, ces interpolations osées ont laissé des traces. Lors de tests de mémoire ultérieurs, les participants ont non seulement été beaucoup plus aptes à se souvenir des vilains mots que des mots neutres, mais cette supériorité s'appliquait également aux teintes des mots vilains, ainsi qu'à leur sens.

Oui, il est difficile de travailler dans la pénombre des ordures idiomatiques. Dans le cadre d'une autre étude, des chercheurs ont demandé à des participants de parcourir rapidement des listes de mots contenant des obscénités, puis de se souvenir du plus grand nombre possible de ces mots. Là encore, les sujets se sont montrés plus aptes à se remémorer les injures, et moins aptes à se souvenir de tout ce qui était acceptable et qui précédait ou suivait les injures.

Pourtant, si le langage grossier peut donner un coup de fouet, il peut aussi aider à évacuer le stress et la colère. Dans certains contextes, la libre circulation d'un langage grossier peut signaler non pas l'hostilité ou une pathologie sociale, mais l'harmonie et la tranquillité.

"Des études montrent que si vous êtes avec un groupe d'amis proches, plus vous êtes détendu, plus vous jurez", a déclaré le Dr Burridge. "C'est une façon de dire : 'Je suis tellement à l'aise ici que je peux me défouler. Je peux dire ce que je veux".

Il est également prouvé que les jurons peuvent être un moyen efficace d'évacuer l'agressivité et de prévenir ainsi la violence physique.

Avec l'aide d'une petite armée d'étudiants et de volontaires, Timothy B. Jay, professeur de psychologie au Massachusetts College of Liberal Arts à North Adams et auteur de "Cursing in America" et "Why We Curse", a exploré en détail la dynamique du juron.

Les enquêteurs ont découvert, entre autres, que les hommes jurent généralement plus que les femmes, à moins que ces dernières ne fassent partie d'une sororité, et que les doyens d'université jurent plus que les bibliothécaires ou les membres du personnel de la garderie universitaire.

Selon le Dr Jay, peu importe qui jure ou quelle est la provocation, la raison de l'éruption est souvent la même.

"À maintes reprises, les gens m'ont dit que le fait de jurer était pour eux un mécanisme d'adaptation, une façon de réduire le stress", a-t-il déclaré lors d'un entretien téléphonique. "C'est une forme de gestion de la colère qui est souvent sous-estimée".

En effet, les chimpanzés se livrent à ce qui semble être une sorte de match de jurons pour évacuer leur agressivité et éviter un affrontement physique potentiellement dangereux.

Frans de Waal, professeur de comportement des primates à l'université Emory d'Atlanta, a déclaré que lorsque les chimpanzés sont en colère, "ils grognent, crachent ou font un geste brusque et ascendant qui, si un humain le faisait, serait reconnu comme agressif".

Ces comportements sont des gestes de menace, a déclaré le professeur de Waal, et ils sont tous de bon augure.

"Un chimpanzé qui se prépare vraiment à se battre ne perd pas de temps avec des gestes, mais va tout simplement de l'avant et attaque". De la même manière, a-t-il ajouté, rien n'est plus mortel qu'une personne trop enragée pour utiliser des jurons, qui prend une arme à feu et commence à tirer sans bruit.

Les chercheurs ont également examiné comment les mots atteignent le statut de discours interdit et comment l'évolution du langage grossier affecte les couches plus lisses du discours civil empilées au-dessus. Ils ont découvert que ce qui est considéré comme un langage tabou dans une culture donnée est souvent un miroir des peurs et des fixations de cette culture.

"Dans certaines cultures, les jurons sont principalement liés au sexe et aux fonctions corporelles, tandis que dans d'autres, ils sont principalement liés au domaine de la religion", a déclaré le Dr Deutscher.

Dans les sociétés où la pureté et l'honneur des femmes sont d'une importance capitale, "il n'est pas surprenant que de nombreux jurons soient des variations sur le thème "fils de pute" ou fassent référence de manière imagée aux organes génitaux de la mère ou des sœurs de la personne concernée".

Le concept même de juron ou de serment trouve son origine dans la profonde importance que les cultures anciennes accordaient au fait de jurer au nom d'un ou de plusieurs dieux. Dans l'ancienne Babylone, jurer au nom d'un dieu était censé donner une certitude absolue contre le mensonge, a déclaré le Dr Deutscher, "et les gens croyaient que jurer faussement contre un dieu attirerait sur eux la terrible colère de ce dieu." La mise en garde contre tout abus du serment sacré se reflète dans le commandement biblique selon lequel il ne faut pas "prendre le nom du Seigneur en vain", et aujourd'hui encore, les témoins dans les tribunaux jurent sur la Bible qu'ils disent toute la vérité et rien que la vérité.

Chez les chrétiens, cette interdiction de prendre le nom du Seigneur en vain s'étendait à toute allusion désinvolte envers le fils de Dieu ou à ses souffrances corporelles - aucune mention du sang, des plaies ou du corps, et cela vaut aussi pour les savantes contractions. De nos jours, l'expression "Oh, golly !" peut être considérée comme presque comiquement saine, mais il n'en a pas toujours été ainsi. "Golly" est une compaction de "corps de Dieu" et, par conséquent, était autrefois un blasphème.

Pourtant, ni les commandements bibliques, ni la censure victorienne la plus zélée ne peuvent faire oublier à l'esprit humain son tourment pour son corps indiscipliné, ses besoins chroniques et embarrassants et sa triste déchéance. L'inconfort des fonctions corporelles ne dort jamais, a déclaré le Dr Burridge, et le besoin d'une sélection toujours renouvelée d'euphémismes sur des sujets sales a longtemps servi de moteur impressionnant à l'invention linguistique.

Lorsqu'un mot devient trop étroitement associé à une fonction corporelle spécifique, dit-elle, lorsqu'il devient trop évocateur de ce qui ne devrait pas être évoqué, il commence à entrer dans le domaine du tabou et doit être remplacé par un nouvel euphémisme plus délicat.

Par exemple, le mot "toilette" vient du mot français "petite serviette" et était à l'origine une manière agréablement indirecte de désigner l'endroit où se trouve le pot de chambre ou son équivalent. Mais depuis, le mot "toilettes" désigne le meuble en porcelaine lui-même, et son emploi est trop brutal pour être utilisé en compagnie polie. Au lieu de cela, vous demanderez à votre serveur en smoking de vous indiquer les toilettes pour dames ou les toilettes ou, si vous le devez, la salle de bains.

De même, le mot "cercueil" (coffin) désignait à l'origine une boîte ordinaire, mais une fois qu'il a été associé à la mort, c'en fut fini du "cercueil à chaussures" ou de la "pensée hors du cercueil". Selon le Dr Burridge, le sens tabou d'un mot "chasse toujours les autres sens qu'il aurait pu avoir".

Les scientifiques ont récemment cherché à cartographier la topographie neuronale du discours interdit en étudiant les patients atteints du syndrome de Tourette qui souffrent de coprolalie, l'envie pathologique et incontrôlable de jurer. Le syndrome de Gilles de la Tourette est un trouble neurologique d'origine inconnue qui se caractérise principalement par des tics moteurs et vocaux chroniques, une grimace constante ou le fait de remonter ses lunettes sur l'arête du nez, ou encore l'émission d'un flot de petits glapissements ou de grognements.

Seul un faible pourcentage des patients atteints de la maladie de Gilles de la Tourette sont atteints de coprolalie - les estimations varient de 8 à 30 % - et les patients sont consternés par les représentations populaires de la maladie de Gilles de la Tourette comme une affection humoristique et invariablement scatologique. Mais pour ceux qui souffrent de coprolalie, dit le Dr Carlos Singer, directeur de la division des troubles du mouvement à la faculté de médecine de l'université de Miami, ce symptôme est souvent l'aspect le plus dévastateur et le plus humiliant de leur maladie.

Non seulement il peut être choquant pour les gens d'entendre une volée de jurons jaillir sans raison apparente, parfois de la bouche d'un enfant ou d'un jeune adolescent, mais les jurons peuvent aussi être provocants et personnels, des insultes fleuries contre la race, l'identité sexuelle ou la taille d'un passant, par exemple, ou des références obscènes délibérées et répétées au sujet d'un ancien amant dans les bras d'un partenaire ou d'un conjoint actuel.

Dans un rapport publié dans The Archives of General Psychiatry, le Dr David A. Silbersweig, directeur du service de neuropsychiatrie et de neuro-imagerie du Weill Medical College de l'université Cornell, et ses collègues ont décrit leur utilisation de la TEP pour mesurer le débit sanguin cérébral et identifier les régions du cerveau qui sont galvanisées chez les patients atteints de la maladie de Tourette pendant les épisodes de tics et de coprolalie. Ils ont constaté une forte activation des ganglions de la base, un quatuor de groupes de neurones situés dans le cerveau antérieur, à peu près au niveau du milieu du front, connus pour aider à coordonner les mouvements du corps, ainsi qu'une activation des régions cruciales du cerveau antérieur arrière gauche qui participent à la compréhension et à la production du langage, notamment l'aire de Broca.

Les chercheurs ont également constaté l'activation de circuits neuronaux qui interagissent avec le système limbique, le trône des émotions humaines en forme de berceau, et, de manière significative, avec les domaines "exécutifs" du cerveau, où les décisions d'agir ou de s'abstenir d'agir peuvent être prises : la source neuronale, selon les scientifiques, de la conscience, de la civilité ou du libre arbitre dont les humains peuvent se prévaloir.

Selon le Dr Silbersweig, le fait que le superviseur exécutif du cerveau s'embrase lors d'une crise de coprolalie montre à quel point le besoin de dire l'indicible peut être un acte complexe, et pas seulement dans le cas du syndrome de Tourette. La personne est saisie d'un désir de maudire, de dire quelque chose de tout à fait inapproprié. Les circuits linguistiques d'ordre supérieur sont sollicités pour élaborer le contenu de la malédiction. Le centre de contrôle des impulsions du cerveau s'efforce de court-circuiter la collusion entre l'envie du système limbique et le cerveau néocortical, et il peut y parvenir pendant un certain temps. 

Mais l'envie monte, jusqu'à ce que les voies de la parole se déchaînent, que le verboten soit prononcé, et que les cerveaux archaïques et raffinés en portent la responsabilité.

Auteur: Angier Natalie

Info: The New York Times, 20 septembre 2005

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épistémologie

Opinion: Pourquoi la science a besoin de la philosophe

Malgré les liens historiques étroits entre la science et la philosophie, les scientifiques d'aujourd'hui perçoivent souvent la philosophie comme complètement différente, voire antagoniste, de la science. Nous soutenons ici que, au contraire, la philosophie peut avoir un impact important et productif sur la science.

Nous illustrons notre propos par trois exemples tirés de divers domaines des sciences de la vie contemporaines. Chacun d'entre eux concerne la recherche scientifique de pointe, et chacun ayant été explicitement reconnu par les chercheurs en exercice comme une contribution utile à la science. Ces exemples, et d'autres, montrent que la contribution de la philosophie peut prendre au moins quatre formes : la clarification des concepts scientifiques, l'évaluation critique des hypothèses ou des méthodes scientifiques, la formulation de nouveaux concepts et de nouvelles théories, et la promotion du dialogue entre les différentes sciences, ainsi qu'entre la science et la société.

Clarification conceptuelle et cellules souches.

Tout d'abord, la philosophie offre une clarification conceptuelle. Les clarifications conceptuelles améliorent non seulement la précision et l'utilité des termes scientifiques, mais conduisent également à de nouvelles recherches expérimentales, car le choix d'un cadre conceptuel donné contraint fortement la façon dont les expériences sont conçues.

La définition des cellules souches (stem cells) en est un excellent exemple. La philosophie a une longue tradition d'étude des propriétés, et les outils utilisés dans cette tradition ont récemment été appliqués pour décrire la "souche", propriété qui définit les cellules souches. L'un d'entre nous a montré que quatre types de propriétés différentes existent sous cette dénomination de souche (stemness) au vu des connaissances scientifiques actuelles. Selon le type de tissu, la stemness peut être une propriété catégorielle (propriété intrinsèque de la cellule souche, indépendante de son environnement), une propriété dispositionnelle (propriété intrinsèque de la cellule souche qui est contrôlée par le micro-environnement), une propriété relationnelle (propriété extrinsèque qui peut être conférée aux cellules non souches par le microenvironnement), ou une propriété systémique (propriété qui est maintenue et contrôlée au niveau de la population cellulaire entière).

Hans Clevers, chercheur en biologie des cellules souches et du cancer, note que cette analyse philosophique met en lumière d'importants problèmes sémantiques et conceptuels en oncologie et en biologie des cellules souches ; il suggère également que cette analyse soit facilement applicable à l'expérimentation. En effet, au-delà de la clarification conceptuelle, ce travail philosophique a des applications dans le monde réel, comme l'illustre le cas des cellules souches cancéreuses en oncologie.

Les recherches visant à développer des médicaments ciblant soit les cellules souches cancéreuses, soit leur microenvironnement, reposent en fait sur différents types de souches et sont donc susceptibles d'avoir des taux de réussite différents selon le type de cancer. En outre, elles pourraient ne pas couvrir tous les types de cancer, car les stratégies thérapeutiques actuelles ne tiennent pas compte de la définition systémique de la souche. Déterminer le type de souche présent dans chaque tissu et chaque cancer est donc utile pour orienter le développement et le choix des thérapies anticancéreuses. Dans la pratique, ce cadre a conduit à la recherche de thérapies anticancéreuses qui combinent le ciblage des propriétés intrinsèques des cellules souches cancéreuses, de leur microenvironnement et des points de contrôle immunitaires afin de couvrir tous les types possibles de souches.

En outre, ce cadre philosophique a récemment été appliqué à un autre domaine, l'étude des organoïdes (tissus en 3D dérivés de cellules souches, sont capables de s'auto-organiser et de reproduire certaines fonctions d'un organe.). Dans une revue systémique des données expérimentales sur les organoïdes provenant de diverses sources, Picollet-D'hahan et al. ont caractérisé la capacité à former des organoïdes comme une propriété dispositionnelle. Ils ont pu alors affirmer que pour accroître l'efficacité et la reproductibilité de la production d'organoïdes, actuellement un défi majeur dans le domaine, les chercheurs doivent mieux comprendre la partie intrinsèque de la propriété dispositionnelle qui est influencée par le microenvironnement. Pour distinguer les caractéristiques intrinsèques des cellules qui ont une telle disposition, ce groupe développe actuellement des méthodes de génomique fonctionnelle à haut débit, permettant d'étudier le rôle de pratiquement tous les gènes humains dans la formation des organoïdes.

Immunogénicité et microbiome.

En complément de son rôle dans la clarification conceptuelle, la philosophie peut contribuer à la critique des hypothèses scientifiques et peut même être proactive dans la formulation de théories nouvelles, testables et prédictives qui aident à définir de nouvelles voies pour la recherche empirique.

Par exemple, une critique philosophique du cadre du cadre immunitaire du soi et du non-soi a conduit à deux contributions scientifiques importantes. Tout d'abord, elle a servi de base à la formulation d'un nouveau cadre théorique, la théorie de la discontinuité de l'immunité, qui complète les modèles antérieurs du non-soi et du danger en proposant que le système immunitaire réagisse aux modifications soudaines des motifs antigéniques. Cette théorie éclaire de nombreux phénomènes immunologiques importants, notamment les maladies auto-immunes, les réponses immunitaires aux tumeurs et la tolérance immunologique à des ligands exprimés de façon chronique. La théorie de la discontinuité a été appliquée à une multitude de questions, aidant à explorer les effets des agents chimiothérapeutiques sur l'immunomodulation dans le cancer et expliquant comment les cellules tueuses naturelles modifient constamment leur phénotype et leurs fonctions grâce à leurs interactions avec leurs ligands** d'une manière qui assure la tolérance aux constituants corporels. La théorie permet également d'expliquer les conséquences des vaccinations répétées chez les personnes immunodéprimées et propose des modèles mathématiques dynamiques de l'activation immunitaire. Collectivement, ces diverses évaluations empiriques illustrent comment des propositions d'inspiration philosophique peuvent conduire à des expériences inédites, ouvrant ainsi de nouvelles voies de recherche.

Deuxièmement, la critique philosophique a contribué, avec d'autres approches philosophiques, à la notion selon laquelle tout organisme, loin d'être un soi génétiquement homogène, est une communauté symbiotique abritant et tolérant de multiples éléments étrangers (notamment des bactéries et des virus), qui sont reconnus mais non éliminés par son système immunitaire. La recherche sur l'intégration symbiotique et la tolérance immunitaire a des conséquences considérables sur notre conception de ce qui constitue un organisme individuel, qui est de plus en plus conceptualisé comme un écosystème complexe dont les fonctions clés, du développement à la défense, la réparation et la cognition, sont affectées par les interactions avec les microbes.

Influence sur les sciences cognitives.

L'étude de la cognition et des neurosciences cognitives offre une illustration frappante de l'influence profonde et durable de la philosophie sur la science. Comme pour l'immunologie, les philosophes ont formulé des théories et des expériences influentes, aidé à lancer des programmes de recherche spécifiques et contribué à des changements de paradigme. Mais l'ampleur de cette influence est bien plus importante que dans le cas de l'immunologie. La philosophie a joué un rôle dans le passage du behaviorisme au cognitivisme et au computationnalisme dans les années 1960. La théorie de la modularité de l'esprit, proposée par le philosophe Jerry Fodor, a peut-être été la plus visible. Son influence sur les théories de l'architecture cognitive peut difficilement être dépassée. Dans un hommage rendu après le décès de Fodor en 2017, l'éminent psychologue cognitif James Russell a parlé dans le magazine de la British Psychological Society de "psychologie cognitive du développement BF (avant Fodor) et AF (après Fodor) ".

La modularité renvoie à l'idée que les phénomènes mentaux résultent du fonctionnement de multiples processus distincts, et non d'un seul processus indifférencié. Inspiré par les résultats de la psychologie expérimentale, par la linguistique chomskienne et par les nouvelles théories computationnelles de la philosophie de l'esprit, Fodor a théorisé que la cognition humaine est structurée en un ensemble de modules spécialisés de bas niveau, spécifiques à un domaine et encapsulés sur le plan informationnel, et en un système central de plus haut niveau, général à un domaine, pour le raisonnement abductif, l'information ne circulant que verticalement vers le haut, et non vers le bas ou horizontalement (c'est-à-dire entre les modules). Il a également formulé des critères stricts de modularité. Aujourd'hui encore, la proposition de Fodor définit les termes d'une grande partie de la recherche empirique et de la théorie dans de nombreux domaines des sciences cognitives et des neurosciences, y compris le développement cognitif, la psychologie de l'évolution, l'intelligence artificielle et l'anthropologie cognitive. Bien que sa théorie ait été révisée et remise en question, les chercheurs continuent d'utiliser, de peaufiner et de débattre de son approche et de sa boîte à outils conceptuelle de base.

La philosophie et la science partagent les outils de la logique, de l'analyse conceptuelle et de l'argumentation rigoureuse. Cependant, les philosophes peuvent utiliser ces outils avec des degrés de rigueur, de liberté et d'abstraction théorique que les chercheurs praticiens ne peuvent souvent pas se permettre dans leurs activités quotidiennes.

La tâche des fausses croyances constitue un autre exemple clé de l'impact de la philosophie sur les sciences cognitives. Le philosophe Daniel Dennett a été le premier à concevoir la logique de base de cette expérience comme une révision d'un test utilisé pour évaluer la théorie de l'esprit, la capacité d'attribuer des états mentaux à soi-même et aux autres. Cette tâche teste la capacité d'attribuer à autrui des croyances que l'on considère comme fausses, l'idée clé étant que le raisonnement sur les croyances fausses d'autrui, par opposition aux croyances vraies, exige de concevoir les autres personnes comme ayant des représentations mentales qui divergent des siennes et de la façon dont le monde est réellement. Sa première application empirique remonte à 1983 , dans un article dont le titre, "Beliefs About Beliefs : Representation and Constraining Function of Wrong Beliefs in Young Children's Understanding of Deception", est en soi un hommage direct à la contribution de Dennett.

La tâche des fausses croyances représente une expérience marquante dans divers domaines des sciences cognitives et des neurosciences, avec de vastes applications et implications. Il s'agit notamment de tester les stades du développement cognitif chez les enfants, de débattre de l'architecture de la cognition humaine et de ses capacités distinctes, d'évaluer les capacités de la théorie de l'esprit chez les grands singes, de développer des théories de l'autisme en tant que cécité de l'esprit (selon lesquelles les difficultés à réussir la tâche des fausses croyances sont associées à cette maladie), et de déterminer quelles régions particulières du cerveau sont associées à la capacité de raisonner sur le contenu de l'esprit d'une autre personne .

La philosophie a également aidé le domaine des sciences cognitives à éliminer les hypothèses problématiques ou dépassées, contribuant ainsi à l'évolution de la science. Les concepts de l'esprit, de l'intelligence, de la conscience et de l'émotion sont utilisés de manière omniprésente dans différents domaines, avec souvent peu d'accord sur leur signification. L'ingénierie de l'intelligence artificielle, la construction de théories psychologiques des variables de l'état mental et l'utilisation d'outils neuroscientifiques pour étudier la conscience et l'émotion nécessitent des outils conceptuels pour l'autocritique et le dialogue interdisciplinaire - précisément les outils que la philosophie peut fournir.

La philosophie - parfois représentée par la lettre grecque phi - peut contribuer à faire progresser tous les niveaux de l'entreprise scientifique, de la théorie à l'expérience. Parmi les exemples récents, citons les contributions à la biologie des cellules souches, à l'immunologie, à la symbiose et aux sciences cognitives.  

La philosophie et la connaissance scientifique.

Les exemples ci-dessus sont loin d'être les seuls : dans les sciences de la vie, la réflexion philosophique a joué un rôle important dans des questions aussi diverses que l'altruisme évolutif , le débat sur les unités de sélection, la construction d'un "arbre de vie", la prédominance des microbes dans la biosphère, la définition du gène et l'examen critique du concept d'innéité. De même, en physique, des questions fondamentales comme la définition du temps ont été enrichies par les travaux des philosophes. Par exemple, l'analyse de l'irréversibilité temporelle par Huw Price et les courbes temporelles fermées par David Lewis ont contribué à dissiper la confusion conceptuelle en physique.

Inspirés par ces exemples et bien d'autres, nous considérons que la philosophie et la science se situent sur un continuum. La philosophie et la science partagent les outils de la logique, de l'analyse conceptuelle et de l'argumentation rigoureuse. Cependant, les philosophes peuvent utiliser ces outils avec des degrés de minutie, de liberté et d'abstraction théorique que les chercheurs praticiens ne peuvent souvent pas se permettre dans leurs activités quotidiennes. Les philosophes possédant les connaissances scientifiques pertinentes peuvent alors contribuer de manière significative à l'avancement de la science à tous les niveaux de l'entreprise scientifique, de la théorie à l'expérimentation, comme le montrent les exemples ci-dessus.

Mais comment, en pratique, faciliter la coopération entre chercheurs et philosophes ? À première vue, la solution pourrait sembler évidente : chaque communauté devrait faire un pas vers l'autre. Pourtant, ce serait une erreur de considérer cette tâche comme facile. Les obstacles sont nombreux. Actuellement, un nombre important de philosophes dédaignent la science ou ne voient pas la pertinence de la science pour leur travail. Même parmi les philosophes qui privilégient le dialogue avec les chercheurs, rares sont ceux qui ont une bonne connaissance de la science la plus récente. À l'inverse, peu de chercheurs perçoivent les avantages que peuvent leur apporter les idées philosophiques. Dans le contexte scientifique actuel, dominé par une spécialisation croissante et des demandes de financement et de résultats de plus en plus importantes, seul un nombre très limité de chercheurs a le temps et l'opportunité d'être au courant des travaux produits par les philosophes sur la science, et encore moins de les lire.

 Pour surmonter ces difficultés, nous pensons qu'une série de recommandations simples, assez facile à mettre en œuvre, peuvent aider à combler le fossé entre la science et la philosophie. La reconnexion entre la philosophie et la science est à la fois hautement souhaitable et plus réalisable en pratique que ne le suggèrent les décennies d'éloignement qui les séparent.

1) Laisser plus de place à la philosophie dans les conférences scientifiques. Il s'agit d'un mécanisme très simple permettant aux chercheurs d'évaluer l'utilité potentielle des idées des philosophes pour leurs propres recherches. Réciproquement, davantage de chercheurs pourraient participer à des conférences de philosophie, en développant les efforts d'organisations telles que l'International Society for the History, Philosophy, and Social Studies of Biology, la Philosophy of Science Association et la Society for Philosophy of Science in Practice.

2) Accueillir des philosophes dans des laboratoires et des départements scientifiques. Il s'agit d'un moyen efficace (déjà exploré par certains des auteurs et d'autres) pour les philosophes d'apprendre la science et de fournir des analyses plus appropriées et bien fondées, et pour les chercheurs de bénéficier d'apports philosophiques et de s'acclimater à la philosophie en général. C'est peut-être le moyen le plus efficace d'aider la philosophie à avoir un impact rapide et concret sur la science.

3) Co-superviser des doctorants. La co-supervision de doctorants par un chercheur et un philosophe est une excellente occasion de rendre possible l'enrichissement mutuel des deux domaines. Elle facilite la production de thèses qui sont à la fois riches sur le plan expérimental et rigoureuses sur le plan conceptuel et, ce faisant, elle forme la prochaine génération de philosophes-scientifiques.

4) Créer des programmes d'études équilibrés en science et en philosophie qui favorisent un véritable dialogue entre elles. De tels programmes existent déjà dans certains pays, mais leur développement devrait être une priorité absolue. Ils peuvent offrir aux étudiants en sciences une perspective qui les rend plus aptes à relever les défis conceptuels de la science moderne et fournir aux philosophes une base solide de connaissances scientifiques qui maximisera leur impact sur la science. Les programmes d'enseignement des sciences peuvent inclure un cours d'histoire des sciences et de philosophie des sciences. Les programmes de philosophie pourraient inclure un module de sciences.

5) Lire science et philosophie. La lecture des sciences est indispensable à la pratique de la philosophie des sciences, mais la lecture de la philosophie peut également constituer une grande source d'inspiration pour les chercheurs, comme l'illustrent certains des exemples ci-dessus. Par exemple, les clubs de lecture où les contributions scientifiques et philosophiques sont discutées constituent un moyen efficace d'intégrer la philosophie et la science.

6) Ouvrir de nouvelles sections consacrées aux questions philosophiques et conceptuelles dans les revues scientifiques. Cette stratégie serait un moyen approprié et convaincant de suggérer que le travail philosophique et conceptuel est continu avec le travail expérimental, dans la mesure où il est inspiré par celui-ci, et peut l'inspirer en retour. Cela rendrait également les réflexions philosophiques sur un domaine scientifique particulier beaucoup plus visibles pour la communauté scientifique concernée que lorsqu'elles sont publiées dans des revues de philosophie, qui sont rarement lues par les scientifiques.

Nous espérons que les mesures pratiques exposées ci-dessus encourageront une renaissance de l'intégration de la science et de la philosophie. En outre, nous soutenons que le maintien d'une allégeance étroite à la philosophie renforcera la vitalité de la science. La science moderne sans la philosophie se heurtera à un mur : le déluge de données dans chaque domaine rendra l'interprétation de plus en plus difficile, négligence et ampleur ampleur de l'histoire risquent de séparer davantage les sous-disciplines scientifiques, et l'accent mis sur les méthodes et les résultats empiriques entraînera une formation de moins en moins approfondie des étudiants. Comme l'a écrit Carl Woese : "une société qui permet à la biologie de devenir une discipline d'ingénierie, qui permet à la science de se glisser dans le rôle de modifier le monde vivant sans essayer de le comprendre, est un danger pour elle-même." Nous avons besoin d'une revigoration de la science à tous les niveaux, une revigoration qui nous rende les bénéfices de liens étroits avec la philosophie.

Auteur: Internet

Info: https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02269657/document. " janvier 2020. Publication collective de Lucie Laplane, Paolo Mantovani, Ralph Adolphs, Hasok Chang, Alberto Mantovani, Margaret McFall-Ngai, Carlo Rovelli, Elliott Sober, et Thomas Pradeua. Trad Mg

[ mécanisme ] [ état des lieux ] [ corps-esprit ] [ tétravalences ] [ tour d'horizon ]

 

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rapetissement

Des mathématiciens identifient le seuil à partir duquel les formes cèdent. Une nouvelle preuve établit la limite à laquelle une forme devient si ondulée qu'elle ne peut être écrasée plus avant.

En ajoutant un nombre infini de torsions aux courbes d'une sphère, il est possible de la réduire en une minuscule boule sans en déformer les distances.

Dans les années 1950, quatre décennies avant qu'il ne remporte le prix Nobel pour ses contributions à la théorie des jeux et que son histoire n'inspire le livre et le film "A Beautiful Mind", le mathématicien John Nash a démontré l'un des résultats les plus remarquables de toute la géométrie. Ce résultat impliquait, entre autres, que l'on pouvait froisser une sphère pour en faire une boule de n'importe quelle taille sans jamais la déformer. Il a rendu cela possible en inventant un nouveau type d'objet géométrique appelé " inclusion ", qui situe une forme à l'intérieur d'un espace plus grand, un peu comme lorsqu'on insère un poster bidimensionnel dans un tube tridimensionnel.

Il existe de nombreuses façons d'encastrer une forme. Certaines préservent la forme naturelle - comme l'enroulement de l'affiche dans un cylindre - tandis que d'autres la plissent ou la découpent pour l'adapter de différentes manières.

De manière inattendue, la technique de Nash consiste à ajouter des torsions à toutes les courbes d'une forme, rendant sa structure élastique et sa surface ébouriffée. Il a prouvé que si l'on ajoutait une infinité de ces torsions, on pouvait réduire la sphère en une minuscule boule. Ce résultat avait étonné les mathématiciens qui pensaient auparavant qu'il fallait des plis nets pour froisser la sphère de cette manière.

Depuis, les mathématiciens ont cherché à comprendre précisément les limites des techniques pionnières de Nash. Il avait montré que l'on peut froisser la sphère en utilisant des torsions, mais n'avait pas démontré exactement la quantité de torsions nécessaire, au minimum, pour obtenir ce résultat. En d'autres termes, après Nash, les mathématiciens ont voulu quantifier le seuil exact entre planéité et torsion, ou plus généralement entre douceur et rugosité, à partir duquel une forme comme la sphère commence à se froisser.

Et dans une paire de parutions récentes ils l'ont fait, au moins pour une sphère située dans un espace de dimension supérieure. Dans un article publié en septembre 2018 et en mars 2020, Camillo De Lellis, de l'Institute for Advanced Study de Princeton, dans le New Jersey, et Dominik Inauen, de l'université de Leipzig, ont identifié un seuil exact pour une forme particulière. Des travaux ultérieurs, réalisés en octobre 2020 par Inauen et Wentao Cao, aujourd'hui de l'Université normale de la capitale à Pékin, ont prouvé que le seuil s'appliquait à toutes les formes d'un certain type général.

Ces deux articles améliorent considérablement la compréhension des mathématiciens des inclusions de Nash. Ils établissent également un lien insolite entre les encastrements et les flux de fluides.

"Nous avons découvert des points de contact étonnants entre les deux problèmes", a déclaré M. De Lellis.

Les rivières tumultueuses peuvent sembler n'avoir qu'un vague rapport avec les formes froissées, mais les mathématiciens ont découvert en 2009 qu'elles pouvaient en fait être étudiées à l'aide des mêmes techniques. Il y a trois ans, des mathématiciens, dont M. De Lellis, ont utilisé les idées de Nash pour comprendre le point auquel un écoulement devient turbulent. Ils ont ré-imaginé un fluide comme étant composé d'écoulements tordus et ont prouvé que si l'on ajoutait juste assez de torsions à ces écoulements, le fluide prenait soudainement une caractéristique clé de la turbulence.

Les nouveaux travaux sur les inclusion(embeddings) s'appuient sur une leçon cruciale tirée de ces travaux antérieurs sur la turbulence, suggérant que les mathématiciens disposent désormais d'un cadre général pour identifier des points de transition nets dans toute une série de contextes mathématiques. 

Maintenir la longueur

Les mathématiciens considèrent aujourd'hui que les formes, comme la sphère, ont leurs propres propriétés géométriques intrinsèques : Une sphère est une sphère quel que soit l'endroit où vous la trouvez.

Mais vous pouvez prendre une forme abstraite et l'intégrer dans un espace géométrique plus grand. Lorsque vous l'intégrez, vous pouvez vouloir préserver toutes ses propriétés. Vous pouvez également exiger que seules certaines propriétés restent constantes, par exemple, que les longueurs des courbes sur sa surface restent identiques. De telles intégrations sont dites "isométriques".

Les incorporations isométriques conservent les longueurs mais peuvent néanmoins modifier une forme de manière significative. Commencez, par exemple, par une feuille de papier millimétré avec sa grille de lignes perpendiculaires. Pliez-la autant de fois que vous le souhaitez. Ce processus peut être considéré comme un encastrement isométrique. La forme obtenue ne ressemblera en rien au plan lisse de départ, mais la longueur des lignes de la grille n'aura pas changé.

(En illustration est montré  un gros plan de la forme sinueuse et ondulante d'un encastrement de Nash., avec ce commentaire - Les encastrements tordus de Nash conservent un degré surprenant de régularité, même s'ils permettent de modifier radicalement une surface.)

Pendant longtemps, les mathématiciens ont pensé que les plis nets étaient le seul moyen d'avoir les deux caractéristiques à la fois : une forme froissée avec des longueurs préservées.

"Si vous permettez aux plis de se produire, alors le problème est beaucoup plus facile", a déclaré Tristan Buckmaster de l'université de Princeton.

Mais en 1954, John Nash a identifié un type remarquablement différent d'incorporation isométrique qui réussit le même tour de force. Il utilisait des torsions hélicoïdales plutôt que des plis et des angles vifs.

Pour avoir une idée de l'idée de Nash, recommencez avec la surface lisse d'une sphère. Cette surface est composée de nombreuses courbes. Prenez chacune d'entre elles et tordez-la pour former une hélice en forme de ressort. Après avoir reformulé toutes les courbes de la sorte, il est possible de comprimer la sphère. Cependant, un tel processus semble violer les règles d'un encastrement isométrique - après tout, un chemin sinueux entre deux points est toujours plus long qu'un chemin droit.

Mais, de façon remarquable, Nash a montré qu'il existe un moyen rigoureux de maintenir les longueurs même lorsque l'on refabrique des courbes à partir de torsades. Tout d'abord, rétrécissez la sphère de manière uniforme, comme un ballon qui se dégonfle. Ensuite, ajoutez des spirales de plus en plus serrées à chaque courbe. En ajoutant un nombre infini de ces torsions, vous pouvez finalement redonner à chaque courbe sa longueur initiale, même si la sphère originale a été froissée.

Les travaux de Nash ont nécessité une exploration plus approfondie. Techniquement, ses résultats impliquent que l'on ne peut froisser une sphère que si elle existe en quatre dimensions spatiales. Mais en 1955, Nicolaas Kuiper a étendu les travaux de Nash pour qu'ils s'appliquent à la sphère standard à trois dimensions. À partir de là, les mathématiciens ont voulu comprendre le point exact auquel, en tordant suffisamment les courbes d'une sphère, on pouvait la faire s'effondrer.

Fluidité de la forme

Les formes pliées et tordues diffèrent les unes des autres sur un point essentiel. Pour comprendre comment, vous devez savoir ce que les mathématiciens veulent dire lorsqu'ils affirment que quelque chose est "lisse".

Un exemple classique de régularité est la forme ascendante et descendante d'une onde sinusoïdale, l'une des courbes les plus courantes en mathématiques. Une façon mathématique d'exprimer cette régularité est de dire que vous pouvez calculer la "dérivée" de l'onde en chaque point. La dérivée mesure la pente de la courbe en un point, c'est-à-dire le degré d'inclinaison ou de déclin de la courbe.

En fait, vous pouvez faire plus que calculer la dérivée d'une onde sinusoïdale. Vous pouvez également calculer la dérivée de la dérivée ou, la dérivée "seconde", qui saisit le taux de changement de la pente. Cette quantité permet de déterminer la courbure de la courbe - si la courbe est convexe ou concave près d'un certain point, et à quel degré.

Et il n'y a aucune raison de s'arrêter là. Vous pouvez également calculer la dérivée de la dérivée de la dérivée (la "troisième" dérivée), et ainsi de suite. Cette tour infinie de dérivées est ce qui rend une onde sinusoïdale parfaitement lisse dans un sens mathématique exact. Mais lorsque vous pliez une onde sinusoïdale, la tour de dérivées s'effondre. Le long d'un pli, la pente de la courbe n'est pas bien définie, ce qui signifie qu'il est impossible de calculer ne serait-ce qu'une dérivée première.

Avant Nash, les mathématiciens pensaient que la perte de la dérivée première était une conséquence nécessaire du froissement de la sphère tout en conservant les longueurs. En d'autres termes, ils pensaient que le froissement et la régularité étaient incompatibles. Mais Nash a démontré le contraire.

En utilisant sa méthode, il est possible de froisser la sphère sans jamais plier aucune courbe. Tout ce dont Nash avait besoin, c'était de torsions lisses. Cependant, l'infinité de petites torsions requises par son encastrement rend la notion de courbure en dérivée seconde insensée, tout comme le pliage détruit la notion de pente en dérivée première. Il n'est jamais clair, où que ce soit sur une des surfaces de Nash, si une courbe est concave ou convexe. Chaque torsion ajoutée rend la forme de plus en plus ondulée et rainurée, et une surface infiniment rainurée devient rugueuse.

"Si vous étiez un skieur sur la surface, alors partout, vous sentiriez des bosses", a déclaré Vincent Borrelli de l'Université de Lyon, qui a travaillé en 2012 avec des collaborateurs pour créer les premières visualisations précises des encastrements de Nash.

Les nouveaux travaux expliquent la mesure exacte dans laquelle une surface peut maintenir des dérivés même si sa structure cède.

Trouver la limite

Les mathématiciens ont une notation précise pour décrire le nombre de dérivées qui peuvent être calculées sur une courbe.

Un encastrement qui plie une forme est appelé C0. Le C représente la continuité et l'exposant zéro signifie que les courbes de la surface encastrée n'ont aucune dérivée, pas même une première. Il existe également des encastrements avec des exposants fractionnaires, comme C0,1/2, qui plissent encore les courbes, mais moins fortement. Puis il y a les incorporations C1 de Nash, qui écrasent les courbes uniquement en appliquant des torsions lisses, conservant ainsi une dérivée première.

(Un graphique à trois panneaux illustre les différents degrés de lissage des lettres O, U et B. DU simple au complexe)

Avant les travaux de Nash, les mathématiciens s'étaient principalement intéressés aux incorporations isométriques d'un certain degré d'uniformité standard, C2 et plus. Ces encastrements C2 pouvaient tordre ou courber des courbes, mais seulement en douceur. En 1916, l'influent mathématicien Hermann Weyl a émis l'hypothèse que l'on ne pouvait pas modifier la forme de la sphère à l'aide de ces courbes douces sans détruire les distances. Dans les années 1940, les mathématiciens ont résolu le problème de Weyl, en prouvant que les encastrements isométriques en C2 ne pouvaient pas froisser la sphère.

Dans les années 1960, Yurii Borisov a découvert qu'un encastrement C1,1/13 pouvait encore froisser la sphère, alors qu'un encastrement C1,2/3 ne le pouvait pas. Ainsi, quelque part entre les enrobages C1 de Nash et les enrobages C2 légèrement courbés, le froissement devient possible. Mais pendant des décennies après les travaux de Borisov, les mathématiciens n'ont pas réussi à trouver une limite exacte, si tant est qu'elle existe.

"Une nouvelle vision fondamentale [était] nécessaire", a déclaré M. Inauen.

Si les mathématiciens n'ont pas pu progresser, ils ont néanmoins trouvé d'autres applications aux idées de Nash. Dans les années 1970, Mikhael Gromov les a reformulées en un outil général appelé "intégration convexe", qui permet aux mathématiciens de construire des solutions à de nombreux problèmes en utilisant des sous-structures sinueuses. Dans un exemple, qui s'est avéré pertinent pour les nouveaux travaux, l'intégration convexe a permis de considérer un fluide en mouvement comme étant composé de nombreux sous-flux tordus.

Des décennies plus tard, en 2016, Gromov a passé en revue les progrès progressifs réalisés sur les encastrements de la sphère et a conjecturé qu'un seuil existait en fait, à C1,1/2. Le problème était qu'à ce seuil, les méthodes existantes s'effondraient.

"Nous étions bloqués", a déclaré Inauen.

Pour progresser, les mathématiciens avaient besoin d'un nouveau moyen de faire la distinction entre des incorporations de douceur différente. De Lellis et Inauen l'ont trouvé en s'inspirant de travaux sur un phénomène totalement différent : la turbulence.

Une énergie qui disparaît

Tous les matériaux qui entrent en contact ont un frottement, et nous pensons que ce frottement est responsable du ralentissement des choses. Mais depuis des années, les physiciens ont observé une propriété remarquable des écoulements turbulents : Ils ralentissent même en l'absence de friction interne, ou viscosité.

En 1949, Lars Onsager a proposé une explication. Il a supposé que la dissipation sans frottement était liée à la rugosité extrême (ou au manque de douceur) d'un écoulement turbulent : Lorsqu'un écoulement devient suffisamment rugueux, il commence à s'épuiser.

En 2018, Philip Isett a prouvé la conjecture d'Onsager, avec la contribution de Buckmaster, De Lellis, László Székelyhidi et Vlad Vicol dans un travail séparé. Ils ont utilisé l'intégration convexe pour construire des écoulements tourbillonnants aussi rugueux que C0, jusqu'à C0,1/3 (donc sensiblement plus rugueux que C1). Ces flux violent une règle formelle appelée conservation de l'énergie cinétique et se ralentissent d'eux-mêmes, du seul fait de leur rugosité.

"L'énergie est envoyée à des échelles infiniment petites, à des échelles de longueur nulle en un temps fini, puis disparaît", a déclaré Buckmaster.

Des travaux antérieurs datant de 1994 avaient établi que les écoulements sans frottement plus lisses que C0,1/3 (avec un exposant plus grand) conservaient effectivement de l'énergie. Ensemble, les deux résultats ont permis de définir un seuil précis entre les écoulements turbulents qui dissipent l'énergie et les écoulements non turbulents qui conservent l'énergie.

Les travaux d'Onsager ont également fourni une sorte de preuve de principe que des seuils nets pouvaient être révélés par l'intégration convexe. La clé semble être de trouver la bonne règle qui tient d'un côté du seuil et échoue de l'autre. De Lellis et Inauen l'ont remarqué.

"Nous avons pensé qu'il existait peut-être une loi supplémentaire, comme la [loi de l'énergie cinétique]", a déclaré Inauen. "Les enchâssements isométriques au-dessus d'un certain seuil la satisfont, et en dessous de ce seuil, ils pourraient la violer".

Après cela, il ne leur restait plus qu'à aller chercher la loi.

Maintenir l'accélération

La règle qu'ils ont fini par étudier a trait à la valeur de l'accélération des courbes sur une surface. Pour la comprendre, imaginez d'abord une personne patinant le long d'une forme sphérique avant qu'elle ne soit encastrée. Elle ressent une accélération (ou une décélération) lorsqu'elle prend des virages et monte ou descend des pentes. Leur trajectoire forme une courbe.

Imaginez maintenant que le patineur court le long de la même forme après avoir été incorporé. Pour des encastrements isométriques suffisamment lisses, qui ne froissent pas la sphère ou ne la déforment pas de quelque manière que ce soit, le patineur devrait ressentir les mêmes forces le long de la courbe encastrée. Après avoir reconnu ce fait, De Lellis et Inauen ont ensuite dû le prouver : les enchâssements plus lisses que C1,1/2 conservent l'accélération.

En 2018, ils ont appliqué cette perspective à une forme particulière appelée la calotte polaire, qui est le sommet coupé de la sphère. Ils ont étudié les enchâssements de la calotte qui maintiennent la base de la calotte fixe en place. Puisque la base de la calotte est fixe, une courbe qui se déplace autour d'elle ne peut changer d'accélération que si la forme de la calotte au-dessus d'elle est modifiée, par exemple en étant déformée vers l'intérieur ou l'extérieur. Ils ont prouvé que les encastrements plus lisses que C1,1/2 - même les encastrements de Nash - ne modifient pas l'accélération et ne déforment donc pas le plafond. 

"Cela donne une très belle image géométrique", a déclaré Inauen.

En revanche, ils ont utilisé l'intégration convexe pour construire des enrobages de la calotte plus rugueux que C1,1/2. Ces encastrements de Nash tordent tellement les courbes qu'ils perdent la notion d'accélération, qui est une quantité dérivée seconde. Mais l'accélération de la courbe autour de la base reste sensible, puisqu'elle est fixée en place. Ils ont montré que les encastrements en dessous du seuil pouvaient modifier l'accélération de cette courbe, ce qui implique qu'ils déforment également le plafond (car si le plafond ne se déforme pas, l'accélération reste constante ; et si l'accélération n'est pas constante, cela signifie que le plafond a dû se déformer).

Deux ans plus tard, Inauen et Cao ont prolongé l'article précédent et prouvé que la valeur de C1,1/2 prédite par Gromov était en fait un seuil qui s'appliquait à toute forme, ou "collecteur", avec une limite fixe. Au-dessus de ce seuil, les formes ne se déforment pas, au-dessous, elles se déforment. "Nous avons généralisé le résultat", a déclaré Cao.

L'une des principales limites de l'article de Cao et Inauen est qu'il nécessite l'intégration d'une forme dans un espace à huit dimensions, au lieu de l'espace à trois dimensions que Gromov avait en tête. Avec des dimensions supplémentaires, les mathématiciens ont gagné plus de place pour ajouter des torsions, ce qui a rendu le problème plus facile.

Bien que les résultats ne répondent pas complètement à la conjecture de Gromov, ils fournissent le meilleur aperçu à ce jour de la relation entre l'aspect lisse et le froissement. "Ils donnent un premier exemple dans lequel nous voyons vraiment cette dichotomie", a déclaré M. De Lellis.

À partir de là, les mathématiciens ont un certain nombre de pistes à suivre. Ils aimeraient notamment résoudre la conjecture en trois dimensions. En même temps, ils aimeraient mieux comprendre les pouvoirs de l'intégration convexe.

Cet automne, l'Institute for Advanced Study accueillera un programme annuel sur le sujet. Il réunira des chercheurs issus d'un large éventail de domaines dans le but de mieux comprendre les idées inventées par Nash. Comme l'a souligné Gromov dans son article de 2016, les formes sinueuses de Nash ne faisaient pas simplement partie de la géométrie. Comme cela est désormais clair, elles ont ouvert la voie à un tout nouveau "pays" des mathématiques, où des seuils aigus apparaissent en de nombreux endroits.

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/mathematicians-identify-threshold-at-which-shapes-give-way-20210603/Mordechai Rorvig, rédacteur collaborateur, , 3 juin 2021

[ ratatinement ] [ limite de conservation ] [ apparences ] [ topologie ] [ recherche ] [ densification ]

 

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interrogation

Pourquoi cet univers ? Un nouveau calcul suggère que notre cosmos est typique.

Deux physiciens ont calculé que l’univers a une entropie plus élevée – et donc plus probable – que d’autres univers possibles. Le calcul est " une réponse à une question qui n’a pas encore été pleinement comprise ".

(image : Les propriétés de notre univers – lisse, plat, juste une pincée d’énergie noire – sont ce à quoi nous devrions nous attendre, selon un nouveau calcul.)

Les cosmologues ont passé des décennies à chercher à comprendre pourquoi notre univers est si étonnamment vanille. Non seulement il est lisse et plat à perte de vue, mais il s'étend également à un rythme toujours plus lent, alors que des calculs naïfs suggèrent que – à la sortie du Big Bang – l'espace aurait dû se froisser sous l'effet de la gravité et détruit par une énergie noire répulsive.

Pour expliquer la planéité du cosmos, les physiciens ont ajouté un premier chapitre dramatique à l'histoire cosmique : ils proposent que l'espace se soit rapidement gonflé comme un ballon au début du Big Bang, aplanissant toute courbure. Et pour expliquer la légère croissance de l’espace après cette première période d’inflation, certains ont avancé que notre univers n’est qu’un parmi tant d’autres univers moins hospitaliers dans un multivers géant.

Mais maintenant, deux physiciens ont bouleversé la pensée conventionnelle sur notre univers vanille. Suivant une ligne de recherche lancée par Stephen Hawking et Gary Gibbons en 1977, le duo a publié un nouveau calcul suggérant que la clarté du cosmos est attendue plutôt que rare. Notre univers est tel qu'il est, selon Neil Turok de l'Université d'Édimbourg et Latham Boyle de l'Institut Perimeter de physique théorique de Waterloo, au Canada, pour la même raison que l'air se propage uniformément dans une pièce : des options plus étranges sont concevables, mais extrêmement improbable.

L'univers " peut sembler extrêmement précis, extrêmement improbable, mais eux  disent : 'Attendez une minute, c'est l'univers préféré' ", a déclaré Thomas Hertog , cosmologue à l'Université catholique de Louvain en Belgique.

"Il s'agit d'une contribution nouvelle qui utilise des méthodes différentes de celles utilisées par la plupart des gens", a déclaré Steffen Gielen , cosmologue à l'Université de Sheffield au Royaume-Uni.

La conclusion provocatrice repose sur une astuce mathématique consistant à passer à une horloge qui tourne avec des nombres imaginaires. En utilisant l'horloge imaginaire, comme Hawking l'a fait dans les années 70, Turok et Boyle ont pu calculer une quantité, connue sous le nom d'entropie, qui semble correspondre à notre univers. Mais l’astuce du temps imaginaire est une manière détournée de calculer l’entropie, et sans une méthode plus rigoureuse, la signification de la quantité reste vivement débattue. Alors que les physiciens s’interrogent sur l’interprétation correcte du calcul de l’entropie, beaucoup le considèrent comme un nouveau guide sur la voie de la nature quantique fondamentale de l’espace et du temps.

"D'une manière ou d'une autre", a déclaré Gielen, "cela nous donne peut-être une fenêtre sur la microstructure de l'espace-temps."

Chemins imaginaires

Turok et Boyle, collaborateurs fréquents, sont réputés pour avoir conçu des idées créatives et peu orthodoxes sur la cosmologie. L’année dernière, pour étudier la probabilité que notre Univers soit probable, ils se sont tournés vers une technique développée dans les années 1940 par le physicien Richard Feynman.

Dans le but de capturer le comportement probabiliste des particules, Feynman a imaginé qu'une particule explore toutes les routes possibles reliant le début à la fin : une ligne droite, une courbe, une boucle, à l'infini. Il a imaginé un moyen d'attribuer à chaque chemin un nombre lié à sa probabilité et d'additionner tous les nombres. Cette technique de " l’intégrale du chemin " est devenue un cadre puissant pour prédire le comportement probable d’un système quantique.

Dès que Feynman a commencé à faire connaître l’intégrale du chemin, les physiciens ont repéré un curieux lien avec la thermodynamique, la vénérable science de la température et de l’énergie. C'est ce pont entre la théorie quantique et la thermodynamique qui a permis les calculs de Turok et Boyle.

La thermodynamique exploite la puissance des statistiques afin que vous puissiez utiliser seulement quelques chiffres pour décrire un système composé de plusieurs éléments, comme les milliards de molécules d'air qui s'agitent dans une pièce. La température, par exemple – essentiellement la vitesse moyenne des molécules d’air – donne une idée approximative de l’énergie de la pièce. Les propriétés globales telles que la température et la pression décrivent un "  macrostate " de la pièce.

Mais ce terme de un macro-état est un compte rendu rudimentaire ; les molécules d’air peuvent être disposées d’un très grand nombre de manières qui correspondent toutes au même macroétat. Déplacez un peu un atome d’oxygène vers la gauche et la température ne bougera pas. Chaque configuration microscopique unique est appelée microétat, et le nombre de microétats correspondant à un macroétat donné détermine son entropie.

L'entropie donne aux physiciens un moyen précis de comparer les probabilités de différents résultats : plus l'entropie d'un macroétat est élevée, plus il est probable. Il existe bien plus de façons pour les molécules d'air de s'organiser dans toute la pièce que si elles étaient regroupées dans un coin, par exemple. En conséquence, on s’attend à ce que les molécules d’air se propagent (et restent dispersées). La vérité évidente selon laquelle les résultats probables sont probables, exprimée dans le langage de la physique, devient la célèbre deuxième loi de la thermodynamique : selon laquelle l’entropie totale d’un système a tendance à croître.

La ressemblance avec l'intégrale du chemin était indubitable : en thermodynamique, on additionne toutes les configurations possibles d'un système. Et avec l’intégrale du chemin, vous additionnez tous les chemins possibles qu’un système peut emprunter. Il y a juste une distinction assez flagrante : la thermodynamique traite des probabilités, qui sont des nombres positifs qui s'additionnent simplement. Mais dans l'intégrale du chemin, le nombre attribué à chaque chemin est complexe, ce qui signifie qu'il implique le nombre imaginaire i , la racine carrée de −1. Les nombres complexes peuvent croître ou diminuer lorsqu’ils sont additionnés, ce qui leur permet de capturer la nature ondulatoire des particules quantiques, qui peuvent se combiner ou s’annuler.

Pourtant, les physiciens ont découvert qu’une simple transformation peut vous faire passer d’un domaine à un autre. Rendez le temps imaginaire (un mouvement connu sous le nom de rotation de Wick d'après le physicien italien Gian Carlo Wick), et un second i entre dans l'intégrale du chemin qui étouffe le premier, transformant les nombres imaginaires en probabilités réelles. Remplacez la variable temps par l'inverse de la température et vous obtenez une équation thermodynamique bien connue.

Cette astuce de Wick a conduit Hawking et Gibbons à une découverte à succès en 1977, à la fin d'une série éclair de découvertes théoriques sur l'espace et le temps.

L'entropie de l'espace-temps

Des décennies plus tôt, la théorie de la relativité générale d’Einstein avait révélé que l’espace et le temps formaient ensemble un tissu unifié de réalité – l’espace-temps – et que la force de gravité était en réalité la tendance des objets à suivre les plis de l’espace-temps. Dans des circonstances extrêmes, l’espace-temps peut se courber suffisamment fortement pour créer un Alcatraz incontournable connu sous le nom de trou noir.

En 1973, Jacob Bekenstein a avancé l’hérésie selon laquelle les trous noirs seraient des prisons cosmiques imparfaites. Il a estimé que les abysses devraient absorber l'entropie de leurs repas, plutôt que de supprimer cette entropie de l'univers et de violer la deuxième loi de la thermodynamique. Mais si les trous noirs ont de l’entropie, ils doivent aussi avoir des températures et rayonner de la chaleur.

Stephen Hawking, sceptique, a tenté de prouver que Bekenstein avait tort, en se lançant dans un calcul complexe du comportement des particules quantiques dans l'espace-temps incurvé d'un trou noir. À sa grande surprise, il découvrit en 1974 que les trous noirs rayonnaient effectivement. Un autre calcul a confirmé l'hypothèse de Bekenstein : un trou noir a une entropie égale au quart de la surface de son horizon des événements – le point de non-retour pour un objet tombant.

Dans les années qui suivirent, les physiciens britanniques Gibbons et Malcolm Perry, puis plus tard Gibbons et Hawking, arrivèrent au même résultat dans une autre direction . Ils ont établi une intégrale de chemin, additionnant en principe toutes les différentes manières dont l'espace-temps pourrait se plier pour former un trou noir. Ensuite, ils ont fait tourner le trou noir, marquant l'écoulement du temps avec des nombres imaginaires, et ont scruté sa forme. Ils ont découvert que, dans la direction du temps imaginaire, le trou noir revenait périodiquement à son état initial. Cette répétition semblable au jour de la marmotte dans un temps imaginaire a donné au trou noir une sorte de stase qui leur a permis de calculer sa température et son entropie.

Ils n’auraient peut-être pas fait confiance aux résultats si les réponses n’avaient pas correspondu exactement à celles calculées précédemment par Bekenstein et Hawking. À la fin de la décennie, leur travail collectif avait donné naissance à une idée surprenante : l’entropie des trous noirs impliquait que l’espace-temps lui-même était constitué de minuscules morceaux réorganisables, tout comme l’air est constitué de molécules. Et miraculeusement, même sans savoir ce qu’étaient ces " atomes gravitationnels ", les physiciens ont pu compter leurs arrangements en regardant un trou noir dans un temps imaginaire.

"C'est ce résultat qui a laissé une très profonde impression sur Hawking", a déclaré Hertog, ancien étudiant diplômé et collaborateur de longue date de Hawking. Hawking s'est immédiatement demandé si la rotation de Wick fonctionnerait pour autre chose que les trous noirs. "Si cette géométrie capture une propriété quantique d'un trou noir", a déclaré Hertog, "alors il est irrésistible de faire la même chose avec les propriétés cosmologiques de l'univers entier."

Compter tous les univers possibles

Immédiatement, Hawking et Gibbons Wick ont ​​fait tourner l’un des univers les plus simples imaginables – un univers ne contenant rien d’autre que l’énergie sombre construite dans l’espace lui-même. Cet univers vide et en expansion, appelé espace-temps " de Sitter ", a un horizon au-delà duquel l’espace s’étend si rapidement qu’aucun signal provenant de cet espace ne parviendra jamais à un observateur situé au centre de l’espace. En 1977, Gibbons et Hawking ont calculé que, comme un trou noir, un univers de De Sitter possède également une entropie égale au quart de la surface de son horizon. Encore une fois, l’espace-temps semblait comporter un nombre incalculable de micro-états.

Mais l’entropie de l’univers réel restait une question ouverte. Notre univers n'est pas vide ; il regorge de lumière rayonnante et de flux de galaxies et de matière noire. La lumière a provoqué une expansion rapide de l'espace pendant la jeunesse de l'univers, puis l'attraction gravitationnelle de la matière a ralenti les choses pendant l'adolescence cosmique. Aujourd’hui, l’énergie sombre semble avoir pris le dessus, entraînant une expansion galopante. "Cette histoire d'expansion est une aventure semée d'embûches", a déclaré Hertog. "Il n'est pas si facile d'obtenir une solution explicite."

Au cours de la dernière année, Boyle et Turok ont ​​élaboré une solution aussi explicite. Tout d'abord, en janvier, alors qu'ils jouaient avec des cosmologies jouets, ils ont remarqué que l'ajout de radiations à l'espace-temps de De Sitter ne gâchait pas la simplicité requise pour faire tourner l'univers par Wick.

Puis, au cours de l’été, ils ont découvert que la technique résisterait même à l’inclusion désordonnée de matière. La courbe mathématique décrivant l’histoire plus complexe de l’expansion relevait toujours d’un groupe particulier de fonctions faciles à manipuler, et le monde de la thermodynamique restait accessible. "Cette rotation de Wick est une affaire trouble lorsque l'on s'éloigne d'un espace-temps très symétrique", a déclaré Guilherme Leite Pimentel , cosmologiste à la Scuola Normale Superiore de Pise, en Italie. "Mais ils ont réussi à le trouver."

En faisant tourner Wick l’histoire de l’expansion en montagnes russes d’une classe d’univers plus réaliste, ils ont obtenu une équation plus polyvalente pour l’entropie cosmique. Pour une large gamme de macroétats cosmiques définis par le rayonnement, la matière, la courbure et une densité d'énergie sombre (tout comme une plage de températures et de pressions définit différents environnements possibles d'une pièce), la formule crache le nombre de microétats correspondants. Turok et Boyle ont publié leurs résultats en ligne début octobre.

Les experts ont salué le résultat explicite et quantitatif. Mais à partir de leur équation d’entropie, Boyle et Turok ont ​​tiré une conclusion non conventionnelle sur la nature de notre univers. "C'est là que cela devient un peu plus intéressant et un peu plus controversé", a déclaré Hertog.

Boyle et Turok pensent que l'équation effectue un recensement de toutes les histoires cosmiques imaginables. Tout comme l'entropie d'une pièce compte toutes les façons d'arranger les molécules d'air pour une température donnée, ils soupçonnent que leur entropie compte toutes les façons dont on peut mélanger les atomes de l'espace-temps et se retrouver avec un univers avec une histoire globale donnée. courbure et densité d’énergie sombre.

Boyle compare le processus à l'examen d'un gigantesque sac de billes, chacune représentant un univers différent. Ceux qui ont une courbure négative pourraient être verts. Ceux qui ont des tonnes d'énergie sombre pourraient être des yeux de chat, et ainsi de suite. Leur recensement révèle que l’écrasante majorité des billes n’ont qu’une seule couleur – le bleu, par exemple – correspondant à un type d’univers : un univers globalement semblable au nôtre, sans courbure appréciable et juste une touche d’énergie sombre. Les types de cosmos les plus étranges sont extrêmement rares. En d’autres termes, les caractéristiques étrangement vanille de notre univers qui ont motivé des décennies de théorie sur l’inflation cosmique et le multivers ne sont peut-être pas étranges du tout.

"C'est un résultat très intrigant", a déclaré Hertog. Mais " cela soulève plus de questions que de réponses ".

Compter la confusion

Boyle et Turok ont ​​calculé une équation qui compte les univers. Et ils ont fait l’observation frappante que des univers comme le nôtre semblent représenter la part du lion des options cosmiques imaginables. Mais c’est là que s’arrête la certitude.

Le duo ne tente pas d’expliquer quelle théorie quantique de la gravité et de la cosmologie pourrait rendre certains univers communs ou rares. Ils n’expliquent pas non plus comment notre univers, avec sa configuration particulière de parties microscopiques, est né. En fin de compte, ils considèrent leurs calculs comme un indice permettant de déterminer quels types d’univers sont préférés plutôt que comme quelque chose qui se rapproche d’une théorie complète de la cosmologie. "Ce que nous avons utilisé est une astuce bon marché pour obtenir la réponse sans connaître la théorie", a déclaré Turok.

Leurs travaux revitalisent également une question restée sans réponse depuis que Gibbons et Hawking ont lancé pour la première fois toute l’histoire de l’entropie spatio-temporelle : quels sont exactement les micro-états que compte l’astuce bon marché ?

"L'essentiel ici est de dire que nous ne savons pas ce que signifie cette entropie", a déclaré Henry Maxfield , physicien à l'Université de Stanford qui étudie les théories quantiques de la gravité.

En son cœur, l’entropie résume l’ignorance. Pour un gaz constitué de molécules, par exemple, les physiciens connaissent la température – la vitesse moyenne des particules – mais pas ce que fait chaque particule ; l'entropie du gaz reflète le nombre d'options.

Après des décennies de travaux théoriques, les physiciens convergent vers une vision similaire pour les trous noirs. De nombreux théoriciens pensent aujourd'hui que la zone de l'horizon décrit leur ignorance de ce qui s'y trouve, de toutes les façons dont les éléments constitutifs du trou noir sont disposés de manière interne pour correspondre à son apparence extérieure. (Les chercheurs ne savent toujours pas ce que sont réellement les microétats ; les idées incluent des configurations de particules appelées gravitons ou cordes de la théorie des cordes.)

Mais lorsqu’il s’agit de l’entropie de l’univers, les physiciens se sentent moins sûrs de savoir où se situe leur ignorance.

En avril, deux théoriciens ont tenté de donner à l’entropie cosmologique une base mathématique plus solide. Ted Jacobson , physicien à l'Université du Maryland réputé pour avoir dérivé la théorie de la gravité d'Einstein de la thermodynamique des trous noirs, et son étudiant diplômé Batoul Banihashemi ont explicitement défini l'entropie d'un univers de Sitter (vacant et en expansion). Ils ont adopté la perspective d’un observateur au centre. Leur technique, qui consistait à ajouter une surface fictive entre l'observateur central et l'horizon, puis à rétrécir la surface jusqu'à ce qu'elle atteigne l'observateur central et disparaisse, a récupéré la réponse de Gibbons et Hawking selon laquelle l'entropie est égale à un quart de la surface de l'horizon. Ils ont conclu que l’entropie de De Sitter compte tous les microétats possibles à l’intérieur de l’horizon.

Turok et Boyle calculent la même entropie que Jacobson et Banihashemi pour un univers vide. Mais dans leur nouveau calcul relatif à un univers réaliste rempli de matière et de rayonnement, ils obtiennent un nombre beaucoup plus grand de microétats – proportionnels au volume et non à la surface. Face à ce conflit apparent, ils spéculent que les différentes entropies répondent à des questions différentes : la plus petite entropie de De Sitter compte les microétats d'un espace-temps pur délimité par un horizon, tandis qu'ils soupçonnent que leur plus grande entropie compte tous les microétats d'un espace-temps rempli d'espace-temps. matière et énergie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’horizon. "C'est tout un shebang", a déclaré Turok.

En fin de compte, régler la question de savoir ce que comptent Boyle et Turok nécessitera une définition mathématique plus explicite de l’ensemble des microétats, analogue à ce que Jacobson et Banihashemi ont fait pour l’espace de Sitter. Banihashemi a déclaré qu'elle considérait le calcul d'entropie de Boyle et Turok " comme une réponse à une question qui n'a pas encore été entièrement comprise ".

Quant aux réponses plus établies à la question " Pourquoi cet univers ? ", les cosmologistes affirment que l’inflation et le multivers sont loin d’être morts. La théorie moderne de l’inflation, en particulier, est parvenue à résoudre bien plus que la simple question de la douceur et de la planéité de l’univers. Les observations du ciel correspondent à bon nombre de ses autres prédictions. L'argument entropique de Turok et Boyle a passé avec succès un premier test notable, a déclaré Pimentel, mais il lui faudra trouver d'autres données plus détaillées pour rivaliser plus sérieusement avec l'inflation.

Comme il sied à une grandeur qui mesure l’ignorance, les mystères enracinés dans l’entropie ont déjà servi de précurseurs à une physique inconnue. À la fin des années 1800, une compréhension précise de l’entropie en termes d’arrangements microscopiques a permis de confirmer l’existence des atomes. Aujourd'hui, l'espoir est que si les chercheurs calculant l'entropie cosmologique de différentes manières peuvent déterminer exactement à quelles questions ils répondent, ces chiffres les guideront vers une compréhension similaire de la façon dont les briques Lego du temps et de l'espace s'empilent pour créer l'univers qui nous entoure.

"Notre calcul fournit une énorme motivation supplémentaire aux personnes qui tentent de construire des théories microscopiques de la gravité quantique", a déclaré Turok. "Parce que la perspective est que cette théorie finira par expliquer la géométrie à grande échelle de l'univers."

 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Charlie Wood, 17 nov 2022

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Pieuvres et calmars modifient et corrigent (édit en anglais) leur ARN, tout en laissant l'ADN intact. Des changements qui pourraient expliquer l'intelligence et la flexibilité des céphalopodes dépourvus de coquille

De nombreux écrivains se plaignent lorsqu'un rédacteur  vient éditer et donc modifier leur article, mais les conséquences de la modification d'un seul mot ne sont généralement pas si graves.

Ce n'est pas le cas des instructions génétiques pour la fabrication des protéines. Même une petite modification peut empêcher une protéine de faire son travail correctement, ce qui peut avoir des conséquences mortelles. Ce n'est qu'occasionnellement qu'un changement est bénéfique. Il semble plus sage de conserver les instructions génétiques telles qu'elles sont écrites. À moins d'être une pieuvre.

Les pieuvres sont comme des extraterrestres qui vivent parmi nous : elles font beaucoup de choses différemment des animaux terrestres ou même des autres créatures marines. Leurs tentacules flexibles goûtent ce qu'ils touchent et ont leur esprit propre. Les yeux des pieuvres sont daltoniens, mais leur peau peut détecter la lumière par elle-même. Les pieuvres sont des maîtres du déguisement, changeant de couleur et de texture de peau pour se fondre dans leur environnement ou effrayer leurs rivaux. Et plus que la plupart des créatures, les pieuvres font gicler l'équivalent moléculaire de l'encre rouge sur leurs instructions génétiques avec un abandon stupéfiant, comme un rédacteur en chef déchaîné.

Ces modifications-éditions concernent l'ARN, molécule utilisée pour traduire les informations du plan génétique stocké dans l'ADN, tout en laissant l'ADN intact.

Les scientifiques ne savent pas encore avec certitude pourquoi les pieuvres et d'autres céphalopodes sans carapace, comme les calmars et les seiches, sont des modificateurs aussi prolifiques. Les chercheurs se demandent si cette forme d'édition génétique a donné aux céphalopodes une longueur d'avance sur le plan de l'évolution (ou un tentacule) ou si cette capacité n'est qu'un accident parfois utile. Les scientifiques étudient également les conséquences que les modifications de l'ARN peuvent avoir dans diverses conditions. Certaines données suggèrent que l'édition pourrait donner aux céphalopodes une partie de leur intelligence, mais au prix d'un ralentissement de l'évolution de leur ADN.

"Ces animaux sont tout simplement magiques", déclare Caroline Albertin, biologiste spécialiste du développement comparatif au Marine Biological Laboratory de Woods Hole (Massachusetts). "Ils ont toutes sortes de solutions différentes pour vivre dans le monde d'où ils viennent. L'édition de l'ARN pourrait contribuer à donner à ces créatures un grand nombre de solutions aux problèmes qu'elles peuvent rencontrer.

(vidéo - Contrairement à d'autres animaux à symétrie bilatérale, les pieuvres ne rampent pas dans une direction prédéterminée. Des vidéos de pieuvres en train de ramper montrent qu'elles peuvent se déplacer dans n'importe quelle direction par rapport à leur corps, et qu'elles changent de direction de rampe sans avoir à tourner leur corps. Dans le clip, la flèche verte indique l'orientation du corps de la pieuvre et la flèche bleue indique la direction dans laquelle elle rampe.)

Le dogme central de la biologie moléculaire veut que les instructions pour construire un organisme soient contenues dans l'ADN. Les cellules copient ces instructions dans des ARN messagers, ou ARNm. Ensuite, des machines cellulaires appelées ribosomes lisent les ARNm pour construire des protéines en enchaînant des acides aminés. La plupart du temps, la composition de la protéine est conforme au modèle d'ADN pour la séquence d'acides aminés de la protéine.

Mais l'édition de l'ARN peut entraîner des divergences par rapport aux instructions de l'ADN, créant ainsi des protéines dont les acides aminés sont différents de ceux spécifiés par l'ADN.

L'édition modifie chimiquement l'un des quatre éléments constitutifs de l'ARN, ou bases. Ces bases sont souvent désignées par les premières lettres de leur nom : A, C, G et U, pour adénine, cytosine, guanine et uracile (la version ARN de la base ADN thymine). Dans une molécule d'ARN, les bases sont liées à des sucres ; l'unité adénine-sucre, par exemple, est appelée adénosine.

Il existe de nombreuses façons d'éditer des lettres d'ARN. Les céphalopodes excellent dans un type d'édition connu sous le nom d'édition de l'adénosine à l'inosine, ou A-to-I. Cela se produit lorsqu'une enzyme appelée ADAR2 enlève un atome d'azote et deux atomes d'hydrogène de l'adénosine (le A). Ce pelage chimique transforme l'adénosine en inosine (I).

 Les ribosomes lisent l'inosine comme une guanine au lieu d'une adénine. Parfois, ce changement n'a aucun effet sur la chaîne d'acides aminés de la protéine résultante. Mais dans certains cas, la présence d'un G à la place d'un A entraîne l'insertion d'un acide aminé différent dans la protéine. Ce type d'édition de l'ARN modifiant la protéine est appelé recodage de l'ARN.

Les céphalopodes à corps mou ont adopté le recodage de l'ARN à bras-le-corps, alors que même les espèces étroitement apparentées sont plus hésitantes à accepter les réécritures, explique Albertin. "Les autres mollusques ne semblent pas le faire dans la même mesure.

L'édition de l'ARN ne se limite pas aux créatures des profondeurs. Presque tous les organismes multicellulaires possèdent une ou plusieurs enzymes d'édition de l'ARN appelées enzymes ADAR, abréviation de "adénosine désaminase agissant sur l'ARN", explique Joshua Rosenthal, neurobiologiste moléculaire au Marine Biological Laboratory.

Les céphalopodes possèdent deux enzymes ADAR. L'homme possède également des versions de ces enzymes. "Dans notre cerveau, nous modifions une tonne d'ARN. Nous le faisons beaucoup", explique Rosenthal. Au cours de la dernière décennie, les scientifiques ont découvert des millions d'endroits dans les ARN humains où se produit l'édition.

Mais ces modifications changent rarement les acides aminés d'une protéine. Par exemple, Eli Eisenberg, de l'université de Tel Aviv, et ses collègues ont identifié plus de 4,6 millions de sites d'édition dans les ARN humains. Parmi ceux-ci, seuls 1 517 recodent les protéines, ont rapporté les chercheurs l'année dernière dans Nature Communications. Parmi ces sites de recodage, jusqu'à 835 sont partagés avec d'autres mammifères, ce qui suggère que les forces de l'évolution ont préservé l'édition à ces endroits.

(Encadré :  Comment fonctionne l'édition de l'ARN ?

Dans une forme courante d'édition de l'ARN, une adénosine devient une inosine par une réaction qui supprime un groupe aminé et le remplace par un oxygène (flèches). L'illustration montre une enzyme ADAR se fixant à un ARN double brin au niveau du "domaine de liaison de l'ARNdb". La région de l'enzyme qui interagit pour provoquer la réaction, le "domaine de la désaminase", est positionnée près de l'adénosine qui deviendra une inosine.)

Les céphalopodes portent le recodage de l'ARN à un tout autre niveau, dit Albertin. L'encornet rouge (Doryteuthis pealeii) possède 57 108 sites de recodage, ont rapporté Rosenthal, Eisenberg et leurs collègues en 2015 dans eLife. Depuis, les chercheurs ont examiné plusieurs espèces de pieuvres, de calmars et de seiches, et ont à chaque fois trouvé des dizaines de milliers de sites de recodage.

Les céphalopodes à corps mou, ou coléoïdes, pourraient avoir plus de possibilités d'édition que les autres animaux en raison de l'emplacement d'au moins une des enzymes ADAR, ADAR2, dans la cellule. La plupart des animaux éditent les ARN dans le noyau - le compartiment où l'ADN est stocké et copié en ARN - avant d'envoyer les messages à la rencontre des ribosomes. Mais chez les céphalopodes, les enzymes se trouvent également dans le cytoplasme, l'organe gélatineux des cellules, ont découvert Rosenthal et ses collègues (SN : 4/25/20, p. 10).

Le fait d'avoir des enzymes d'édition dans deux endroits différents n'explique pas complètement pourquoi le recodage de l'ARN chez les céphalopodes dépasse de loin celui des humains et d'autres animaux. Cela n'explique pas non plus les schémas d'édition que les scientifiques ont découverts.

L'édition de l'ARN amènerait de la flexibilité aux céphalopodes

L'édition n'est pas une proposition "tout ou rien". Il est rare que toutes les copies d'un ARN dans une cellule soient modifiées. Il est beaucoup plus fréquent qu'un certain pourcentage d'ARN soit édité tandis que le reste conserve son information originale. Le pourcentage, ou fréquence, de l'édition peut varier considérablement d'un ARN à l'autre ou d'une cellule ou d'un tissu à l'autre, et peut dépendre de la température de l'eau ou d'autres conditions. Chez le calmar à nageoires longues, la plupart des sites d'édition de l'ARN étaient édités 2 % ou moins du temps, ont rapporté Albertin et ses collègues l'année dernière dans Nature Communications. Mais les chercheurs ont également trouvé plus de 205 000 sites qui étaient modifiés 25 % du temps ou plus.

Dans la majeure partie du corps d'un céphalopode, l'édition de l'ARN n'affecte pas souvent la composition des protéines. Mais dans le système nerveux, c'est une autre histoire. Dans le système nerveux du calmar à nageoires longues, 70 % des modifications apportées aux ARN producteurs de protéines recodent ces dernières. Dans le système nerveux de la pieuvre californienne à deux points (Octopus bimaculoides), les ARN sont recodés trois à six fois plus souvent que dans d'autres organes ou tissus.

(Photo -  L'encornet rouge recode l'ARN à plus de 50 000 endroits. Le recodage de l'ARN pourrait aider le calmar à réagir avec plus de souplesse à son environnement, mais on ne sait pas encore si le recodage a une valeur évolutive. Certains ARNm possèdent plusieurs sites d'édition qui modifient les acides aminés des protéines codées par les ARNm. Dans le système nerveux de l'encornet rouge, par exemple, 27 % des ARNm ont trois sites de recodage ou plus. Certains contiennent 10 sites ou plus. La combinaison de ces sites d'édition pourrait entraîner la fabrication de plusieurs versions d'une protéine dans une cellule.)

Le fait de disposer d'un large choix de protéines pourrait donner aux céphalopodes "plus de souplesse pour réagir à l'environnement", explique M. Albertin, "ou leur permettre de trouver diverses solutions au problème qui se pose à eux". Dans le système nerveux, l'édition de l'ARN pourrait contribuer à la flexibilité de la pensée, ce qui pourrait expliquer pourquoi les pieuvres peuvent déverrouiller des cages ou utiliser des outils, pensent certains chercheurs. L'édition pourrait être un moyen facile de créer une ou plusieurs versions d'une protéine dans le système nerveux et des versions différentes dans le reste du corps, explique Albertin.

Lorsque l'homme et d'autres vertébrés ont des versions différentes d'une protéine, c'est souvent parce qu'ils possèdent plusieurs copies d'un gène. Doubler, tripler ou quadrupler les copies d'un gène "permet de créer tout un terrain de jeu génétique pour permettre aux gènes de s'activer et d'accomplir différentes fonctions", explique M. Albertin. Mais les céphalopodes ont tendance à ne pas dupliquer les gènes. Leurs innovations proviennent plutôt de l'édition.

Et il y a beaucoup de place pour l'innovation. Chez le calmar, les ARNm servant à construire la protéine alpha-spectrine comportent 242 sites de recodage. Toutes les combinaisons de sites modifiés et non modifiés pourraient théoriquement créer jusqu'à 7 x 1072 formes de la protéine, rapportent Rosenthal et Eisenberg dans le numéro de cette année de l'Annual Review of Animal Biosciences (Revue annuelle des biosciences animales). "Pour mettre ce chiffre en perspective, écrivent les chercheurs, il suffit de dire qu'il éclipse le nombre de toutes les molécules d'alpha-spectrine (ou, d'ailleurs, de toutes les molécules de protéines) synthétisées dans toutes les cellules de tous les calmars qui ont vécu sur notre planète depuis l'aube des temps.

Selon Kavita Rangan, biologiste moléculaire à l'université de Californie à San Diego, ce niveau de complexité incroyable ne serait possible que si chaque site était indépendant. Rangan a étudié le recodage de l'ARN chez le calmar californien (Doryteuthis opalescens) et le calmar à nageoires longues. La température de l'eau incite les calmars à recoder les protéines motrices appelées kinésines qui déplacent les cargaisons à l'intérieur des cellules.

Chez l'encornet rouge, l'ARNm qui produit la kinésine-1 comporte 14 sites de recodage, a découvert Mme Rangan. Elle a examiné les ARNm du lobe optique - la partie du cerveau qui traite les informations visuelles - et du ganglion stellaire, un ensemble de nerfs impliqués dans la génération des contractions musculaires qui produisent des jets d'eau pour propulser le calmar.

Chaque tissu produit plusieurs versions de la protéine. Rangan et Samara Reck-Peterson, également de l'UC San Diego, ont rapporté en septembre dernier dans un article publié en ligne sur bioRxiv.org que certains sites avaient tendance à être édités ensemble. Leurs données suggèrent que l'édition de certains sites est coordonnée et "rejette très fortement l'idée que l'édition est indépendante", explique Rangan. "La fréquence des combinaisons que nous observons ne correspond pas à l'idée que chaque site a été édité indépendamment.

L'association de sites d'édition pourrait empêcher les calmars et autres céphalopodes d'atteindre les sommets de complexité dont ils sont théoriquement capables. Néanmoins, l'édition de l'ARN offre aux céphalopodes un moyen d'essayer de nombreuses versions d'une protéine sans s'enfermer dans une modification permanente de l'ADN, explique M. Rangan.

Ce manque d'engagement laisse perplexe Jianzhi Zhang, généticien évolutionniste à l'université du Michigan à Ann Arbor. "Pour moi, cela n'a pas de sens", déclare-t-il. "Si vous voulez un acide aminé particulier dans une protéine, vous devez modifier l'ADN. Pourquoi changer l'ARN ?

L'édition de l'ARN a-t-elle une valeur évolutive ?

L'édition de l'ARN offre peut-être un avantage évolutif. Pour tester cette idée, Zhang et Daohan Jiang, alors étudiant de troisième cycle, ont comparé les sites "synonymes", où les modifications ne changent pas les acides aminés, aux sites "non synonymes", où le recodage se produit. Étant donné que les modifications synonymes ne modifient pas les acides aminés, les chercheurs ont considéré que ces modifications étaient neutres du point de vue de l'évolution. Chez l'homme, le recodage, ou édition non synonyme, se produit sur moins de sites que l'édition synonyme, et le pourcentage de molécules d'ARN qui sont éditées est plus faible que sur les sites synonymes.

"Si nous supposons que l'édition synonyme est comme un bruit qui se produit dans la cellule, et que l'édition non-synonyme est moins fréquente et [à un] niveau plus bas, cela suggère que l'édition non-synonyme est en fait nuisible", explique Zhang. Même si le recodage chez les céphalopodes est beaucoup plus fréquent que chez les humains, dans la plupart des cas, le recodage n'est pas avantageux, ou adaptatif, pour les céphalopodes, ont affirmé les chercheurs en 2019 dans Nature Communications.

Il existe quelques sites communs où les pieuvres, les calmars et les seiches recodent tous leurs ARN, ont constaté les chercheurs, ce qui suggère que le recodage est utile dans ces cas. Mais il s'agit d'une petite fraction des sites d'édition. Zhang et Jiang ont constaté que quelques autres sites édités chez une espèce de céphalopode, mais pas chez les autres, étaient également adaptatifs.

Si ce n'est pas si utile que cela, pourquoi les céphalopodes ont-ils continué à recoder l'ARN pendant des centaines de millions d'années ? L'édition de l'ARN pourrait persister non pas parce qu'elle est adaptative, mais parce qu'elle crée une dépendance, selon Zhang.

Zhang et Jiang ont proposé un modèle permettant de nuire (c'est-à-dire une situation qui permet des modifications nocives de l'ADN). Imaginez, dit-il, une situation dans laquelle un G (guanine) dans l'ADN d'un organisme est muté en A (adénine). Si cette mutation entraîne un changement d'acide aminé nocif dans une protéine, la sélection naturelle devrait éliminer les individus porteurs de cette mutation. Mais si, par chance, l'organisme dispose d'un système d'édition de l'ARN, l'erreur dans l'ADN peut être corrigée par l'édition de l'ARN, ce qui revient à transformer le A en G. Si la protéine est essentielle à la vie, l'ARN doit être édité à des niveaux élevés de sorte que presque chaque copie soit corrigée.

 Lorsque cela se produit, "on est bloqué dans le système", explique M. Zhang. L'organisme est désormais dépendant de la machinerie d'édition de l'ARN. "On ne peut pas la perdre, car il faut que le A soit réédité en G pour survivre, et l'édition est donc maintenue à des niveaux élevés.... Au début, on n'en avait pas vraiment besoin, mais une fois qu'on l'a eue, on en est devenu dépendant".

Zhang soutient que ce type d'édition est neutre et non adaptatif. Mais d'autres recherches suggèrent que l'édition de l'ARN peut être adaptative.

L'édition de l'ARN peut fonctionner comme une phase de transition, permettant aux organismes de tester le passage de l'adénine à la guanine sans apporter de changement permanent à leur ADN. Au cours de l'évolution, les sites où les adénines sont recodées dans l'ARN d'une espèce de céphalopode sont plus susceptibles que les adénines non éditées d'être remplacées par des guanines dans l'ADN d'une ou de plusieurs espèces apparentées, ont rapporté les chercheurs en 2020 dans PeerJ. Et pour les sites fortement modifiés, l'évolution chez les céphalopodes semble favoriser une transition de A à G dans l'ADN (plutôt qu'à la cytosine ou à la thymine, les deux autres éléments constitutifs de l'ADN). Cela favorise l'idée que l'édition peut être adaptative.

D'autres travaux récents de Rosenthal et de ses collègues, qui ont examiné les remplacements de A en G chez différentes espèces, suggèrent que le fait d'avoir un A modifiable est un avantage évolutif par rapport à un A non modifiable ou à un G câblé.

(Tableau :  Quelle est la fréquence de l'enregistrement de l'ARN ?

Les céphalopodes à corps mou, notamment les pieuvres, les calmars et les seiches, recodent l'ARN dans leur système nerveux sur des dizaines de milliers de sites, contre un millier ou moins chez l'homme, la souris, la mouche des fruits et d'autres espèces animales. Bien que les scientifiques aient documenté le nombre de sites d'édition, ils auront besoin de nouveaux outils pour tester directement l'influence du recodage sur la biologie des céphalopodes.

Schéma avec comparaison des nombre de sites de recodage de l'ARN chez les animaux

J.J.C. ROSENTHAL ET E. EISENBERG/ANNUAL REVIEW OF ANIMAL BIOSCIENCES 2023 )

Beaucoup de questions en suspens

Les preuves pour ou contre la valeur évolutive du recodage de l'ARN proviennent principalement de l'examen de la composition génétique totale, ou génomes, de diverses espèces de céphalopodes. Mais les scientifiques aimeraient vérifier directement si les ARN recodés ont un effet sur la biologie des céphalopodes. Pour ce faire, il faudra utiliser de nouveaux outils et faire preuve de créativité.

Rangan a testé des versions synthétiques de protéines motrices de calmars et a constaté que deux versions modifiées que les calmars fabriquent dans le froid se déplaçaient plus lentement mais plus loin le long de pistes protéiques appelées microtubules que les protéines non modifiées. Mais il s'agit là de conditions artificielles de laboratoire, sur des lames de microscope. Pour comprendre ce qui se passe dans les cellules, Mme Rangan aimerait pouvoir cultiver des cellules de calmar dans des boîtes de laboratoire. Pour l'instant, elle doit prélever des tissus directement sur le calmar et ne peut obtenir que des instantanés de ce qui se passe. Les cellules cultivées en laboratoire pourraient lui permettre de suivre ce qui se passe au fil du temps.

M. Zhang explique qu'il teste son hypothèse de l'innocuité en amenant la levure à s'intéresser à l'édition de l'ARN. La levure de boulanger (Saccharomyces cerevisiae) ne possède pas d'enzymes ADAR. Mais Zhang a modifié une souche de cette levure pour qu'elle soit porteuse d'une version humaine de l'enzyme. Les enzymes ADAR rendent la levure malade et la font croître lentement, explique-t-il. Pour accélérer l'expérience, la souche qu'il utilise a un taux de mutation supérieur à la normale et peut accumuler des mutations G-A. Mais si l'édition de l'ARN peut corriger ces mutations, il est possible d'obtenir des résultats positifs. Mais si l'édition de l'ARN peut corriger ces mutations, la levure porteuse d'ADAR pourrait se développer mieux que celles qui n'ont pas l'enzyme. Et après de nombreuses générations, la levure pourrait devenir dépendante de l'édition, prédit Zhang.

Albertin, Rosenthal et leurs collègues ont mis au point des moyens de modifier les gènes des calmars à l'aide de l'éditeur de gènes CRISPR/Cas9. L'équipe a créé un calmar albinos en utilisant CRISPR/Cas9 pour supprimer, ou désactiver, un gène qui produit des pigments. Les chercheurs pourraient être en mesure de modifier les sites d'édition dans l'ADN ou dans l'ARN et de tester leur fonction, explique Albertin.

Cette science n'en est qu'à ses débuts et l'histoire peut mener à des résultats inattendus. Néanmoins, grâce à l'habileté des céphalopodes en matière d'édition, la lecture de cet article ne manquera pas d'être intéressante.

 

Auteur: Internet

Info: https://www.sciencenews.org/article/octopus-squid-rna-editing-dna-cephalopods, Tina Hesman Saey, 19 may 2023

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De quoi l'espace-temps est-il réellement fait ?

L'espace-temps pourrait émerger d'une réalité plus fondamentale. La découverte de cette réalité pourrait débloquer l'objectif le plus urgent de la physique

Natalie Paquette passe son temps à réfléchir à la manière de faire croître une dimension supplémentaire. Elle commence par de petits cercles, dispersés en tout point de l'espace et du temps - une dimension en forme de boucle, qui se referme sur elle-même. Puis on rétrécit ces cercles, de plus en plus petits, en resserrant la boucle, jusqu'à ce qu'une curieuse transformation se produise : la dimension cesse de sembler minuscule et devient énorme, comme lorsqu'on réalise que quelque chose qui semble petit et proche est en fait énorme et distant. "Nous réduisons une direction spatiale", explique Paquette. "Mais lorsque nous essayons de la rétrécir au-delà d'un certain point, une nouvelle et grande direction spatiale émerge à la place."

Paquette, physicien théoricien à l'université de Washington, n'est pas le seul à penser à cette étrange sorte de transmutation dimensionnelle. Un nombre croissant de physiciens, travaillant dans différents domaines de la discipline avec des approches différentes, convergent de plus en plus vers une idée profonde : l'espace - et peut-être même le temps - n'est pas fondamental. Au contraire, l'espace et le temps pourraient être émergents : ils pourraient découler de la structure et du comportement de composants plus fondamentaux de la nature. Au niveau le plus profond de la réalité, des questions comme "Où ?" et "Quand ?" n'ont peut-être aucune réponse. "La physique nous donne de nombreux indices selon lesquels l'espace-temps tel que nous le concevons n'est pas la chose fondamentale", déclare M. Paquette.

Ces notions radicales proviennent des derniers rebondissements de la chasse à la théorie de la gravité quantique, qui dure depuis un siècle. La meilleure théorie des physiciens sur la gravité est la relativité générale, la célèbre conception d'Albert Einstein sur la façon dont la matière déforme l'espace et le temps. Leur meilleure théorie sur tout le reste est la physique quantique, qui est d'une précision étonnante en ce qui concerne les propriétés de la matière, de l'énergie et des particules subatomiques. Les deux théories ont facilement passé tous les tests que les physiciens ont pu concevoir au cours du siècle dernier. On pourrait penser qu'en les réunissant, on obtiendrait une "théorie du tout".

Mais les deux théories ne s'entendent pas bien. Demandez à la relativité générale ce qui se passe dans le contexte de la physique quantique, et vous obtiendrez des réponses contradictoires, avec des infinis indomptés se déchaînant sur vos calculs. La nature sait comment appliquer la gravité dans des contextes quantiques - cela s'est produit dans les premiers instants du big bang, et cela se produit encore au cœur des trous noirs - mais nous, les humains, avons encore du mal à comprendre comment le tour se joue. Une partie du problème réside dans la manière dont les deux théories traitent l'espace et le temps. Alors que la physique quantique considère l'espace et le temps comme immuables, la relativité générale les déforme au petit déjeuner.

D'une manière ou d'une autre, une théorie de la gravité quantique devrait concilier ces idées sur l'espace et le temps. Une façon d'y parvenir serait d'éliminer le problème à sa source, l'espace-temps lui-même, en faisant émerger l'espace et le temps de quelque chose de plus fondamental. Ces dernières années, plusieurs pistes de recherche différentes ont toutes suggéré qu'au niveau le plus profond de la réalité, l'espace et le temps n'existent pas de la même manière que dans notre monde quotidien. Au cours de la dernière décennie, ces idées ont radicalement changé la façon dont les physiciens envisagent les trous noirs. Aujourd'hui, les chercheurs utilisent ces concepts pour élucider le fonctionnement d'un phénomène encore plus exotique : les trous de ver, connexions hypothétiques en forme de tunnel entre des points distants de l'espace-temps. Ces succès ont entretenu l'espoir d'une percée encore plus profonde. Si l'espace-temps est émergent, alors comprendre d'où il vient - et comment il pourrait naître de n'importe quoi d'autre - pourrait être la clé manquante qui ouvrirait enfin la porte à une théorie du tout.

LE MONDE DANS UN DUO DE CORDES

Aujourd'hui, la théorie candidate à la gravité quantique la plus populaire parmi les physiciens est la théorie des cordes. Selon cette idée, les cordes éponymes sont les constituants fondamentaux de la matière et de l'énergie, donnant naissance à la myriade de particules subatomiques fondamentales observées dans les accélérateurs de particules du monde entier. Elles sont même responsables de la gravité - une particule hypothétique porteuse de la force gravitationnelle, un "graviton", est une conséquence inévitable de la théorie.

Mais la théorie des cordes est difficile à comprendre : elle se situe dans un territoire mathématique que les physiciens et les mathématiciens ont mis des décennies à explorer. Une grande partie de la structure de la théorie est encore inexplorée, des expéditions sont encore prévues et des cartes restent à établir. Dans ce nouveau domaine, la principale technique de navigation consiste à utiliser des dualités mathématiques, c'est-à-dire des correspondances entre un type de système et un autre.

La dualité évoquée au début de cet article, entre les petites dimensions et les grandes, en est un exemple. Si vous essayez de faire entrer une dimension dans un petit espace, la théorie des cordes vous dit que vous obtiendrez quelque chose de mathématiquement identique à un monde où cette dimension est énorme. Selon la théorie des cordes, les deux situations sont identiques : vous pouvez aller et venir librement de l'une à l'autre et utiliser les techniques d'une situation pour comprendre le fonctionnement de l'autre. "Si vous gardez soigneusement la trace des éléments fondamentaux de la théorie, dit Paquette, vous pouvez naturellement trouver parfois que... vous pourriez faire croître une nouvelle dimension spatiale."

Une dualité similaire suggère à de nombreux théoriciens des cordes que l'espace lui-même est émergeant. L'idée a germé en 1997, lorsque Juan Maldacena, physicien à l'Institute for Advanced Study, a découvert une dualité entre une théorie quantique bien comprise, connue sous le nom de théorie des champs conforme (CFT), et un type particulier d'espace-temps issu de la relativité générale, appelé espace anti-de Sitter (AdS). Ces deux théories semblent très différentes : la CFT ne comporte aucune gravité, tandis que l'espace AdS intègre toute la théorie de la gravité d'Einstein. Pourtant, les mêmes mathématiques peuvent décrire les deux mondes. Lorsqu'elle a été découverte, cette correspondance AdS/CFT a fourni un lien mathématique tangible entre une théorie quantique et un univers complet comportant une gravité.

Curieusement, l'espace AdS dans la correspondance AdS/CFT comportait une dimension de plus que la CFT quantique. Mais les physiciens se sont délectés de ce décalage, car il s'agissait d'un exemple parfaitement élaboré d'un autre type de correspondance conçu quelques années plus tôt par les physiciens Gerard 't Hooft de l'université d'Utrecht aux Pays-Bas et Leonard Susskind de l'université de Stanford, connu sous le nom de principe holographique. Se fondant sur certaines des caractéristiques particulières des trous noirs, Gerard 't Hooft et Leonard Susskind soupçonnaient que les propriétés d'une région de l'espace pouvaient être entièrement "codées" par sa frontière. En d'autres termes, la surface bidimensionnelle d'un trou noir contiendrait toutes les informations nécessaires pour savoir ce qui se trouve dans son intérieur tridimensionnel, comme un hologramme. "Je pense que beaucoup de gens ont pensé que nous étions fous", dit Susskind. "Deux bons physiciens devenusdingues".

De même, dans la correspondance AdS/CFT, la CFT quadridimensionnelle encode tout ce qui concerne l'espace AdS à cinq dimensions auquel elle est associée. Dans ce système, la région entière de l'espace-temps est construite à partir des interactions entre les composants du système quantique dans la théorie des champs conforme. Maldacena compare ce processus à la lecture d'un roman. "Si vous racontez une histoire dans un livre, il y a les personnages du livre qui font quelque chose", dit-il. "Mais tout ce qu'il y a, c'est une ligne de texte, non ? Ce que font les personnages est déduit de cette ligne de texte. Les personnages du livre seraient comme la théorie [AdS] globale. Et la ligne de texte est la [CFT]."

Mais d'où vient l'espace de l'espace AdS ? Si cet espace est émergent, de quoi émerge-t-il ? La réponse est un type d'interaction spécial et étrangement quantique dans la CFT : l'intrication, une connexion à longue distance entre des objets, corrélant instantanément leur comportement de manière statistiquement improbable. L'intrication a beaucoup troublé Einstein, qui l'a qualifiée d'"action étrange à distance".

Connaîtrons-nous un jour la véritable nature de l'espace et du temps ?

 Pourtant, malgré son caractère effrayant, l'intrication est une caractéristique essentielle de la physique quantique. Lorsque deux objets interagissent en mécanique quantique, ils s'intriquent généralement et le resteront tant qu'ils resteront isolés du reste du monde, quelle que soit la distance qui les sépare. Dans des expériences, les physiciens ont maintenu l'intrication entre des particules distantes de plus de 1 000 kilomètres et même entre des particules au sol et d'autres envoyées vers des satellites en orbite. En principe, deux particules intriquées pourraient maintenir leur connexion sur des côtés opposés de la galaxie ou de l'univers. La distance ne semble tout simplement pas avoir d'importance pour l'intrication, une énigme qui a troublé de nombreux physiciens pendant des décennies.

Mais si l'espace est émergent, la capacité de l'intrication à persister sur de grandes distances n'est peut-être pas si mystérieuse - après tout, la distance est une construction. Selon les études de la correspondance AdS/CFT menées par les physiciens Shinsei Ryu de l'université de Princeton et Tadashi Takayanagi de l'université de Kyoto, l'intrication est ce qui produit les distances dans l'espace AdS en premier lieu. Deux régions d'espace proches du côté AdS de la dualité correspondent à deux composantes quantiques hautement intriquées de la CFT. Plus elles sont intriquées, plus les régions de l'espace sont proches les unes des autres.

Ces dernières années, les physiciens en sont venus à soupçonner que cette relation pourrait également s'appliquer à notre univers. "Qu'est-ce qui maintient l'espace ensemble et l'empêche de se désagréger en sous-régions distinctes ? La réponse est l'intrication entre deux parties de l'espace", déclare Susskind. "La continuité et la connectivité de l'espace doivent leur existence à l'intrication quantique-mécanique". L'intrication pourrait donc sous-tendre la structure de l'espace lui-même, formant la chaîne et la trame qui donnent naissance à la géométrie du monde. "Si l'on pouvait, d'une manière ou d'une autre, détruire l'intrication entre deux parties [de l'espace], l'espace se désagrégerait", déclare Susskind. "Il ferait le contraire de l'émergence. Il désémergerait."

Si l'espace est fait d'intrication, l'énigme de la gravité quantique semble beaucoup plus facile à résoudre : au lieu d'essayer de rendre compte de la déformation de l'espace de manière quantique, l'espace lui-même émerge d'un phénomène fondamentalement quantique. Susskind pense que c'est la raison pour laquelle une théorie de la gravité quantique a été si difficile à trouver en premier lieu. "Je pense que la raison pour laquelle elle n'a jamais très bien fonctionné est qu'elle a commencé par une image de deux choses différentes, [la relativité générale] et la mécanique quantique, et qu'elle les a mises ensemble", dit-il. "Et je pense que l'idée est qu'elles sont beaucoup trop étroitement liées pour être séparées puis réunies à nouveau. La gravité n'existe pas sans la mécanique quantique".

Pourtant, la prise en compte de l'espace émergent ne représente que la moitié du travail. L'espace et le temps étant si intimement liés dans la relativité, tout compte rendu de l'émergence de l'espace doit également expliquer le temps. "Le temps doit également émerger d'une manière ou d'une autre", déclare Mark van Raamsdonk, physicien à l'université de Colombie-Britannique et pionnier du lien entre intrication et espace-temps. "Mais cela n'est pas bien compris et constitue un domaine de recherche actif".

Un autre domaine actif, dit-il, consiste à utiliser des modèles d'espace-temps émergent pour comprendre les trous de ver. Auparavant, de nombreux physiciens pensaient que l'envoi d'objets à travers un trou de ver était impossible, même en théorie. Mais ces dernières années, les physiciens travaillant sur la correspondance AdS/CFT et sur des modèles similaires ont trouvé de nouvelles façons de construire des trous de ver. "Nous ne savons pas si nous pourrions le faire dans notre univers", dit van Raamsdonk. "Mais ce que nous savons maintenant, c'est que certains types de trous de ver traversables sont théoriquement possibles". Deux articles - l'un en 2016 et l'autre en 2018 - ont conduit à une rafale de travaux en cours dans ce domaine. Mais même si des trous de ver traversables pouvaient être construits, ils ne seraient pas d'une grande utilité pour les voyages spatiaux. Comme le souligne Susskind, "on ne peut pas traverser ce trou de ver plus vite qu'il ne faudrait à [la lumière] pour faire le chemin inverse."

Si les théoriciens des cordes ont raison, alors l'espace est construit à partir de l'intrication quantique, et le temps pourrait l'être aussi. Mais qu'est-ce que cela signifie vraiment ? Comment l'espace peut-il être "fait" d'intrication entre des objets, à moins que ces objets ne soient eux-mêmes quelque part ? Comment ces objets peuvent-ils s'enchevêtrer s'ils ne connaissent pas le temps et le changement ? Et quel type d'existence les choses pourraient-elles avoir sans habiter un espace et un temps véritables ?

Ces questions frisent la philosophie, et les philosophes de la physique les prennent au sérieux. "Comment diable l'espace-temps pourrait-il être le genre de chose qui pourrait être émergent ?" demande Eleanor Knox, philosophe de la physique au King's College de Londres. Intuitivement, dit-elle, cela semble impossible. Mais Knox ne pense pas que ce soit un problème. "Nos intuitions sont parfois catastrophiques", dit-elle. Elles "ont évolué dans la savane africaine en interagissant avec des macro-objets, des macro-fluides et des animaux biologiques" et ont tendance à ne pas être transférées au monde de la mécanique quantique. En ce qui concerne la gravité quantique, "Où sont les objets ?" et "Où vivent-ils ?" ne sont pas les bonnes questions à poser", conclut Mme Knox.

Il est certainement vrai que les objets vivent dans des lieux dans la vie de tous les jours. Mais comme Knox et bien d'autres le soulignent, cela ne signifie pas que l'espace et le temps doivent être fondamentaux, mais simplement qu'ils doivent émerger de manière fiable de ce qui est fondamental. Prenons un liquide, explique Christian Wüthrich, philosophe de la physique à l'université de Genève. "En fin de compte, il s'agit de particules élémentaires, comme les électrons, les protons et les neutrons ou, plus fondamental encore, les quarks et les leptons. Les quarks et les leptons ont-ils des propriétés liquides ? Cela n'a aucun sens... Néanmoins, lorsque ces particules fondamentales se rassemblent en nombre suffisant et montrent un certain comportement ensemble, un comportement collectif, alors elles agiront d'une manière qui ressemble à un liquide."

Selon Wüthrich, l'espace et le temps pourraient fonctionner de la même manière dans la théorie des cordes et d'autres théories de la gravité quantique. Plus précisément, l'espace-temps pourrait émerger des matériaux que nous considérons habituellement comme vivant dans l'univers - la matière et l'énergie elles-mêmes. "Ce n'est pas que nous ayons d'abord l'espace et le temps, puis nous ajoutons de la matière", explique Wüthrich. "Au contraire, quelque chose de matériel peut être une condition nécessaire pour qu'il y ait de l'espace et du temps. Cela reste un lien très étroit, mais c'est juste l'inverse de ce que l'on aurait pu penser à l'origine."

Mais il existe d'autres façons d'interpréter les dernières découvertes. La correspondance AdS/CFT est souvent considérée comme un exemple de la façon dont l'espace-temps pourrait émerger d'un système quantique, mais ce n'est peut-être pas vraiment ce qu'elle montre, selon Alyssa Ney, philosophe de la physique à l'université de Californie, à Davis. "AdS/CFT vous donne cette capacité de fournir un manuel de traduction entre les faits concernant l'espace-temps et les faits de la théorie quantique", dit Ney. "C'est compatible avec l'affirmation selon laquelle l'espace-temps est émergent, et une certaine théorie quantique est fondamentale." Mais l'inverse est également vrai, dit-elle. La correspondance pourrait signifier que la théorie quantique est émergente et que l'espace-temps est fondamental, ou qu'aucun des deux n'est fondamental et qu'il existe une théorie fondamentale encore plus profonde. L'émergence est une affirmation forte, dit Ney, et elle est ouverte à la possibilité qu'elle soit vraie. "Mais, du moins si l'on s'en tient à AdS/CFT, je ne vois toujours pas d'argument clair en faveur de l'émergence."

Un défi sans doute plus important pour l'image de la théorie des cordes de l'espace-temps émergent est caché à la vue de tous, juste au nom de la correspondance AdS/CFT elle-même. "Nous ne vivons pas dans un espace anti-de Sitter", dit Susskind. "Nous vivons dans quelque chose de beaucoup plus proche de l'espace de Sitter". L'espace de Sitter décrit un univers en accélération et en expansion, comme le nôtre. "Nous n'avons pas la moindre idée de la façon dont [l'holographie] s'y applique", conclut M. Susskind. Trouver comment établir ce type de correspondance pour un espace qui ressemble davantage à l'univers réel est l'un des problèmes les plus urgents pour les théoriciens des cordes. "Je pense que nous allons être en mesure de mieux comprendre comment entrer dans une version cosmologique de ceci", dit van Raamsdonk.

Enfin, il y a les nouvelles - ou l'absence de nouvelles - provenant des derniers accélérateurs de particules, qui n'ont trouvé aucune preuve de l'existence des particules supplémentaires prévues par la supersymétrie, une idée sur laquelle repose la théorie des cordes. Selon la supersymétrie, toutes les particules connues auraient leurs propres "superpartenaires", ce qui doublerait le nombre de particules fondamentales. Mais le Grand collisionneur de hadrons du CERN, près de Genève, conçu en partie pour rechercher des superpartenaires, n'en a vu aucun signe. "Toutes les versions vraiment précises de [l'espace-temps émergent] dont nous disposons se trouvent dans des théories supersymétriques", déclare Susskind. "Une fois que vous n'avez plus de supersymétrie, la capacité à suivre mathématiquement les équations s'évapore tout simplement de vos mains".

LES ATOMES DE L'ESPACE-TEMPS

La théorie des cordes n'est pas la seule idée qui suggère que l'espace-temps est émergent. La théorie des cordes "n'a pas réussi à tenir [ses] promesses en tant que moyen d'unir la gravité et la mécanique quantique", déclare Abhay Ashtekar, physicien à l'université d'État de Pennsylvanie. "La puissance de la théorie des cordes réside désormais dans le fait qu'elle fournit un ensemble d'outils extrêmement riche, qui ont été largement utilisés dans tout le spectre de la physique." Ashtekar est l'un des pionniers originaux de l'alternative la plus populaire à la théorie des cordes, connue sous le nom de gravité quantique à boucles. Dans la gravité quantique à boucles, l'espace et le temps ne sont pas lisses et continus, comme c'est le cas dans la relativité générale, mais ils sont constitués de composants discrets, ce qu'Ashtekar appelle des "morceaux ou atomes d'espace-temps".

Ces atomes d'espace-temps sont connectés en réseau, avec des surfaces unidimensionnelles et bidimensionnelles qui les réunissent en ce que les praticiens de la gravité quantique à boucle appellent une mousse de spin. Et bien que cette mousse soit limitée à deux dimensions, elle donne naissance à notre monde quadridimensionnel, avec trois dimensions d'espace et une de temps. Ashtekar compare ce monde à un vêtement. "Si vous regardez votre chemise, elle ressemble à une surface bidimensionnelle", dit-il. "Si vous prenez une loupe, vous verrez immédiatement qu'il s'agit de fils unidimensionnels. C'est juste que ces fils sont si denses que, pour des raisons pratiques, vous pouvez considérer la chemise comme une surface bidimensionnelle. De même, l'espace qui nous entoure ressemble à un continuum tridimensionnel. Mais il y a vraiment un entrecroisement par ces [atomes d'espace-temps]".

Bien que la théorie des cordes et la gravité quantique à boucles suggèrent toutes deux que l'espace-temps est émergent, le type d'émergence est différent dans les deux théories. La théorie des cordes suggère que l'espace-temps (ou du moins l'espace) émerge du comportement d'un système apparemment sans rapport, sous forme d'intrication. Pensez à la façon dont les embouteillages émergent des décisions collectives des conducteurs individuels. Les voitures ne sont pas faites de la circulation - ce sont les voitures qui font la circulation. Dans la gravité quantique à boucles, par contre, l'émergence de l'espace-temps ressemble davantage à une dune de sable en pente émergeant du mouvement collectif des grains de sable dans le vent. L'espace-temps lisse et familier provient du comportement collectif de minuscules "grains" d'espace-temps ; comme les dunes, les grains sont toujours du sable, même si les gros grains cristallins n'ont pas l'apparence ou le comportement des dunes ondulantes.

Malgré ces différences, gravité quantique à boucles et  théorie des cordes suggèrent toutes deux que l'espace-temps émerge d'une réalité sous-jacente. Elles ne sont pas non plus les seules théories proposées de la gravité quantique qui vont dans ce sens. La théorie de l'ensemble causal, un autre prétendant à une théorie de la gravité quantique, postule que l'espace et le temps sont également constitués de composants plus fondamentaux. "Il est vraiment frappant de constater que, pour la plupart des théories plausibles de la gravité quantique dont nous disposons, leur message est, en quelque sorte, que l'espace-temps relativiste général n'existe pas au niveau fondamental", déclare Knox. "Les gens sont très enthousiastes lorsque différentes théories de la gravité quantique s'accordent au moins sur quelque chose."

L'AVENIR DE L'ESPACE AUX CONFINS DU TEMPS

La physique moderne est victime de son propre succès. La physique quantique et la relativité générale étant toutes deux d'une précision phénoménale, la gravité quantique n'est nécessaire que pour décrire des situations extrêmes, lorsque des masses énormes sont entassées dans des espaces insondables. Ces conditions n'existent que dans quelques endroits de la nature, comme le centre d'un trou noir, et surtout pas dans les laboratoires de physique, même les plus grands et les plus puissants. Il faudrait un accélérateur de particules de la taille d'une galaxie pour tester directement le comportement de la nature dans des conditions où règne la gravité quantique. Ce manque de données expérimentales directes explique en grande partie pourquoi la recherche d'une théorie de la gravité quantique par les scientifiques a été si longue.

Face à l'absence de preuves, la plupart des physiciens ont placé leurs espoirs dans le ciel. Dans les premiers instants du big bang, l'univers entier était phénoménalement petit et dense - une situation qui exige une gravité quantique pour le décrire. Et des échos de cette époque peuvent subsister dans le ciel aujourd'hui. "Je pense que notre meilleure chance [de tester la gravité quantique] passe par la cosmologie", déclare Maldacena. "Peut-être quelque chose en cosmologie que nous pensons maintenant être imprévisible, qui pourra peut-être être prédit une fois que nous aurons compris la théorie complète, ou une nouvelle chose à laquelle nous n'avions même pas pensé."

Les expériences de laboratoire pourraient toutefois s'avérer utiles pour tester la théorie des cordes, du moins indirectement. Les scientifiques espèrent étudier la correspondance AdS/CFT non pas en sondant l'espace-temps, mais en construisant des systèmes d'atomes fortement intriqués et en observant si un analogue à l'espace-temps et à la gravité apparaît dans leur comportement. De telles expériences pourraient "présenter certaines caractéristiques de la gravité, mais peut-être pas toutes", déclare Maldacena. "Cela dépend aussi de ce que l'on appelle exactement la gravité".

Connaîtrons-nous un jour la véritable nature de l'espace et du temps ? Les données d'observation du ciel ne seront peut-être pas disponibles de sitôt. Les expériences en laboratoire pourraient être un échec. Et comme les philosophes le savent bien, les questions sur la véritable nature de l'espace et du temps sont très anciennes. Ce qui existe "est maintenant tout ensemble, un, continu", disait le philosophe Parménide il y a 2 500 ans. "Tout est plein de ce qui est". Parménide insistait sur le fait que le temps et le changement étaient des illusions, que tout partout était un et le même. Son élève Zénon a créé de célèbres paradoxes pour prouver le point de vue de son professeur, prétendant démontrer que le mouvement sur n'importe quelle distance était impossible. Leurs travaux ont soulevé la question de savoir si le temps et l'espace étaient en quelque sorte illusoires, une perspective troublante qui a hanté la philosophie occidentale pendant plus de deux millénaires.

Le fait que les Grecs de l'Antiquité aient posé des questions telles que "Qu'est-ce que l'espace ?", "Qu'est-ce que le temps ?", "Qu'est-ce que le changement ?" et que nous posions encore des versions de ces questions aujourd'hui signifie qu'il s'agissait des bonnes questions à poser", explique M. Wüthrich. "C'est en réfléchissant à ce genre de questions que nous avons appris beaucoup de choses sur la physique".

Auteur: Becker Adam

Info: Scientific American, février 2022

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Des physiciens observent une transition de phase quantique "inobservable"

Mesure et l'intrication ont toutes deux une saveur non locale "étrange". Aujourd'hui, les physiciens exploitent cette nonlocalité pour sonder la diffusion de l'information quantique et la contrôler.

La mesure est l'ennemi de l'intrication. Alors que l'intrication se propage à travers une grille de particules quantiques - comme le montre cette simulation - que se passerait-il si l'on mesurait certaines des particules ici et là ? Quel phénomène triompherait ?

En 1935, Albert Einstein et Erwin Schrödinger, deux des physiciens les plus éminents de l'époque, se disputent sur la nature de la réalité.

Einstein avait fait des calculs et savait que l'univers devait être local, c'est-à-dire qu'aucun événement survenant à un endroit donné ne pouvait affecter instantanément un endroit éloigné. Mais Schrödinger avait fait ses propres calculs et savait qu'au cœur de la mécanique quantique se trouvait une étrange connexion qu'il baptisa "intrication" et qui semblait remettre en cause l'hypothèse de localité d'Einstein.

Lorsque deux particules sont intriquées, ce qui peut se produire lors d'une collision, leurs destins sont liés. En mesurant l'orientation d'une particule, par exemple, on peut apprendre que sa partenaire intriquée (si et quand elle est mesurée) pointe dans la direction opposée, quel que soit l'endroit où elle se trouve. Ainsi, une mesure effectuée à Pékin pourrait sembler affecter instantanément une expérience menée à Brooklyn, violant apparemment l'édit d'Einstein selon lequel aucune influence ne peut voyager plus vite que la lumière.

Einstein n'appréciait pas la portée de l'intrication (qu'il qualifiera plus tard d'"étrange") et critiqua la théorie de la mécanique quantique, alors naissante, comme étant nécessairement incomplète. Schrödinger défendit à son tour la théorie, dont il avait été l'un des pionniers. Mais il comprenait le dégoût d'Einstein pour l'intrication. Il admit que la façon dont elle semble permettre à un expérimentateur de "piloter" une expérience autrement inaccessible est "plutôt gênante".

Depuis, les physiciens se sont largement débarrassés de cette gêne. Ils comprennent aujourd'hui ce qu'Einstein, et peut-être Schrödinger lui-même, avaient négligé : l'intrication n'a pas d'influence à distance. Elle n'a pas le pouvoir de provoquer un résultat spécifique à distance ; elle ne peut distribuer que la connaissance de ce résultat. Les expériences sur l'intrication, telles que celles qui ont remporté le prix Nobel en 2022, sont maintenant devenues monnaie courante.

Au cours des dernières années, une multitude de recherches théoriques et expérimentales ont permis de découvrir une nouvelle facette du phénomène, qui se manifeste non pas par paires, mais par constellations de particules. L'intrication se propage naturellement dans un groupe de particules, établissant un réseau complexe de contingences. Mais si l'on mesure les particules suffisamment souvent, en détruisant l'intrication au passage, il est possible d'empêcher la formation du réseau. En 2018, trois groupes de théoriciens ont montré que ces deux états - réseau ou absence de réseau - rappellent des états familiers de la matière tels que le liquide et le solide. Mais au lieu de marquer une transition entre différentes structures de la matière, le passage entre la toile et l'absence de toile indique un changement dans la structure de l'information.

"Il s'agit d'une transition de phase dans l'information", explique Brian Skinner, de l'université de l'État de l'Ohio, l'un des physiciens qui a identifié le phénomène en premier. "Les propriétés de l'information, c'est-à-dire la manière dont l'information est partagée entre les choses, subissent un changement très brutal.

Plus récemment, un autre trio d'équipes a tenté d'observer cette transition de phase en action. Elles ont réalisé une série de méta-expériences pour mesurer comment les mesures elles-mêmes affectent le flux d'informations. Dans ces expériences, ils ont utilisé des ordinateurs quantiques pour confirmer qu'il est possible d'atteindre un équilibre délicat entre les effets concurrents de l'intrication et de la mesure. La découverte de la transition a lancé une vague de recherches sur ce qui pourrait être possible lorsque l'intrication et la mesure entrent en collision.

L'intrication "peut avoir de nombreuses propriétés différentes, bien au-delà de ce que nous avions imaginé", a déclaré Jedediah Pixley, théoricien de la matière condensée à l'université Rutgers, qui a étudié les variations de la transition.

Un dessert enchevêtré

L'une des collaborations qui a permis de découvrir la transition d'intrication est née autour d'un pudding au caramel collant dans un restaurant d'Oxford, en Angleterre. En avril 2018, Skinner rendait visite à son ami Adam Nahum, un physicien qui travaille actuellement à l'École normale supérieure de Paris. Au fil d'une conversation tentaculaire, ils se sont retrouvés à débattre d'une question fondamentale concernant l'enchevêtrement et l'information.

Tout d'abord, un petit retour en arrière. Pour comprendre le lien entre l'intrication et l'information, imaginons une paire de particules, A et B, chacune dotée d'un spin qui peut être mesuré comme pointant vers le haut ou vers le bas. Chaque particule commence dans une superposition quantique de haut et de bas, ce qui signifie qu'une mesure produit un résultat aléatoire - soit vers le haut, soit vers le bas. Si les particules ne sont pas intriquées, les mesurer revient à jouer à pile ou face : Le fait d'obtenir pile ou face avec l'une ne vous dit rien sur ce qui se passera avec l'autre.

Mais si les particules sont intriquées, les deux résultats seront liés. Si vous trouvez que B pointe vers le haut, par exemple, une mesure de A indiquera qu'il pointe vers le bas. La paire partage une "opposition" qui ne réside pas dans l'un ou l'autre membre, mais entre eux - un soupçon de la non-localité qui a troublé Einstein et Schrödinger. L'une des conséquences de cette opposition est qu'en mesurant une seule particule, on en apprend plus sur l'autre. "La mesure de B m'a d'abord permis d'obtenir des informations sur A", a expliqué M. Skinner. "Cela réduit mon ignorance sur l'état de A."

L'ampleur avec laquelle une mesure de B réduit votre ignorance de A s'appelle l'entropie d'intrication et, comme tout type d'information, elle se compte en bits. L'entropie d'intrication est le principal moyen dont disposent les physiciens pour quantifier l'intrication entre deux objets ou, de manière équivalente, la quantité d'informations sur l'un stockées de manière non locale dans l'autre. Une entropie d'intrication nulle signifie qu'il n'y a pas d'intrication ; mesurer B ne révèle rien sur A. Une entropie d'intrication élevée signifie qu'il y a beaucoup d'intrication ; mesurer B vous apprend beaucoup sur A.

Au cours du dessert, Skinner et Nahum ont poussé cette réflexion plus loin. Ils ont d'abord étendu la paire de particules à une chaîne aussi longue que l'on veut bien l'imaginer. Ils savaient que selon l'équation éponyme de Schrödinger, l'analogue de F = ma en mécanique quantique, l'intrication passerait d'une particule à l'autre comme une grippe. Ils savaient également qu'ils pouvaient calculer le degré d'intrication de la même manière : Si l'entropie d'intrication est élevée, cela signifie que les deux moitiés de la chaîne sont fortement intriquées. Si l'entropie d'intrication est élevée, les deux moitiés sont fortement intriquées. Mesurer la moitié des spins vous donnera une bonne idée de ce à quoi vous attendre lorsque vous mesurerez l'autre moitié.

Ensuite, ils ont déplacé la mesure de la fin du processus - lorsque la chaîne de particules avait déjà atteint un état quantique particulier - au milieu de l'action, alors que l'intrication se propageait. Ce faisant, ils ont créé un conflit, car la mesure est l'ennemi mortel de l'intrication. S'il n'est pas modifié, l'état quantique d'un groupe de particules reflète toutes les combinaisons possibles de hauts et de bas que l'on peut obtenir en mesurant ces particules. Mais la mesure fait s'effondrer un état quantique et détruit toute intrication qu'il contient. Vous obtenez ce que vous obtenez, et toutes les autres possibilités disparaissent.

Nahum a posé la question suivante à Skinner : Et si, alors que l'intrication est en train de se propager, tu mesurais certains spins ici et là ? Si tu les mesurais tous en permanence, l'intrication disparaîtrait de façon ennuyeuse. Mais si tu les mesures sporadiquement, par quelques spins seulement, quel phénomène sortira vainqueur ? L'intrication ou la mesure ?

L'ampleur avec laquelle une mesure de B réduit votre ignorance de A s'appelle l'entropie d'intrication et, comme tout type d'information, elle se compte en bits. L'entropie d'intrication est le principal moyen dont disposent les physiciens pour quantifier l'intrication entre deux objets ou, de manière équivalente, la quantité d'informations sur l'un stockées de manière non locale dans l'autre. Une entropie d'intrication nulle signifie qu'il n'y a pas d'intrication ; mesurer B ne révèle rien sur A. Une entropie d'intrication élevée signifie qu'il y a beaucoup d'intrication ; mesurer B vous apprend beaucoup sur A.

Au cours du dessert, Skinner et Nahum ont poussé cette réflexion plus loin. Ils ont d'abord étendu la paire de particules à une chaîne aussi longue que l'on veut bien l'imaginer. Ils savaient que selon l'équation éponyme de Schrödinger, l'analogue de F = ma en mécanique quantique, l'intrication passerait d'une particule à l'autre comme une grippe. Ils savaient également qu'ils pouvaient calculer le degré d'intrication de la même manière : Si l'entropie d'intrication est élevée, cela signifie que les deux moitiés de la chaîne sont fortement intriquées. Si l'entropie d'intrication est élevée, les deux moitiés sont fortement intriquées. Mesurer la moitié des spins vous donnera une bonne idée de ce à quoi vous attendre lorsque vous mesurerez l'autre moitié.

Ensuite, ils ont déplacé la mesure de la fin du processus - lorsque la chaîne de particules avait déjà atteint un état quantique particulier - au milieu de l'action, alors que l'intrication se propageait. Ce faisant, ils ont créé un conflit, car la mesure est l'ennemi mortel de l'intrication. S'il n'est pas modifié, l'état quantique d'un groupe de particules reflète toutes les combinaisons possibles de hauts et de bas que l'on peut obtenir en mesurant ces particules. Mais la mesure fait s'effondrer un état quantique et détruit toute intrication qu'il contient. Vous obtenez ce que vous obtenez, et toutes les autres possibilités disparaissent.

Nahum a posé la question suivante à Skinner : Et si, alors que l'intrication est en train de se propager, on mesurait certains spins ici et là ? Les mesurer tous en permanence ferait disparaître toute l'intrication d'une manière ennuyeuse. Mais si on en mesure sporadiquement quelques spins seulement, quel phénomène sortirait vainqueur ? L'intrication ou la mesure ?

Skinner, répondit qu'il pensait que la mesure écraserait l'intrication. L'intrication se propage de manière léthargique d'un voisin à l'autre, de sorte qu'elle ne croît que de quelques particules à la fois. Mais une série de mesures pourrait toucher simultanément de nombreuses particules tout au long de la longue chaîne, étouffant ainsi l'intrication sur une multitude de sites. S'ils avaient envisagé cet étrange scénario, de nombreux physiciens auraient probablement convenu que l'intrication ne pouvait pas résister aux mesures.

"Selon Ehud Altman, physicien spécialiste de la matière condensée à l'université de Californie à Berkeley, "il y avait une sorte de folklore selon lequel les états très intriqués sont très fragiles".

Mais Nahum, qui réfléchit à cette question depuis l'année précédente, n'est pas de cet avis. Il imaginait que la chaîne s'étendait dans le futur, instant après instant, pour former une sorte de clôture à mailles losangées. Les nœuds étaient les particules, et les connexions entre elles représentaient les liens à travers lesquels l'enchevêtrement pouvait se former. Les mesures coupant les liens à des endroits aléatoires. Si l'on coupe suffisamment de maillons, la clôture s'écroule. L'intrication ne peut pas se propager. Mais jusque là, selon Nahum, même une clôture en lambeaux devrait permettre à l'intrication de se propager largement.

Nahum a réussi à transformer un problème concernant une occurrence quantique éphémère en une question concrète concernant une clôture à mailles losangées. Il se trouve qu'il s'agit d'un problème bien étudié dans certains cercles - la "grille de résistance vandalisée" - et que Skinner avait étudié lors de son premier cours de physique de premier cycle, lorsque son professeur l'avait présenté au cours d'une digression.

"C'est à ce moment-là que j'ai été vraiment enthousiasmé", a déclaré M. Skinner. "Il n'y a pas d'autre moyen de rendre un physicien plus heureux que de montrer qu'un problème qui semble difficile est en fait équivalent à un problème que l'on sait déjà résoudre."

Suivre l'enchevêtrement

Mais leurs plaisanteries au dessert n'étaient rien d'autre que des plaisanteries. Pour tester et développer rigoureusement ces idées, Skinner et Nahum ont joint leurs forces à celles d'un troisième collaborateur, Jonathan Ruhman, de l'université Bar-Ilan en Israël. L'équipe a simulé numériquement les effets de la coupe de maillons à différentes vitesses dans des clôtures à mailles losangées. Ils ont ensuite comparé ces simulations de réseaux classiques avec des simulations plus précises mais plus difficiles de particules quantiques réelles, afin de s'assurer que l'analogie était valable. Ils ont progressé lentement mais sûrement.

Puis, au cours de l'été 2018, ils ont appris qu'ils n'étaient pas les seuls à réfléchir aux mesures et à l'intrication.

Matthew Fisher, éminent physicien de la matière condensée à l'université de Californie à Santa Barbara, s'était demandé si l'intrication entre les molécules dans le cerveau pouvait jouer un rôle dans notre façon de penser. Dans le modèle que lui et ses collaborateurs étaient en train de développer, certaines molécules se lient occasionnellement d'une manière qui agit comme une mesure et tue l'intrication. Ensuite, les molécules liées changent de forme d'une manière qui pourrait créer un enchevêtrement. Fisher voulait savoir si l'intrication pouvait se développer sous la pression de mesures intermittentes - la même question que Nahum s'était posée.

"C'était nouveau", a déclaré M. Fisher. "Personne ne s'était penché sur cette question avant 2018.

Dans le cadre d'une coopération universitaire, les deux groupes ont coordonné leurs publications de recherche l'un avec l'autre et avec une troisième équipe étudiant le même problème, dirigée par Graeme Smith de l'université du Colorado, à Boulder.

"Nous avons tous travaillé en parallèle pour publier nos articles en même temps", a déclaré M. Skinner.

En août, les trois groupes ont dévoilé leurs résultats. L'équipe de Smith était initialement en désaccord avec les deux autres, qui soutenaient tous deux le raisonnement de Nahum inspiré de la clôture : Dans un premier temps, l'intrication a dépassé les taux de mesure modestes pour se répandre dans une chaîne de particules, ce qui a entraîné une entropie d'intrication élevée. Puis, lorsque les chercheurs ont augmenté les mesures au-delà d'un taux "critique", l'intrication s'est arrêtée - l'entropie d'intrication a chuté.

La transition semblait exister, mais il n'était pas évident pour tout le monde de comprendre où l'argument intuitif - selon lequel l'intrication de voisin à voisin devait être anéantie par les éclairs généralisés de la mesure - s'était trompé.

Dans les mois qui ont suivi, Altman et ses collaborateurs à Berkeley ont découvert une faille subtile dans le raisonnement. "On ne tient pas compte de la diffusion (spread) de l'information", a déclaré M. Altman.

Le groupe d'Altman a souligné que toutes les mesures ne sont pas très informatives, et donc très efficaces pour détruire l'intrication. En effet, les interactions aléatoires entre les particules de la chaîne ne se limitent pas à l'enchevêtrement. Elles compliquent également considérablement l'état de la chaîne au fil du temps, diffusant effectivement ses informations "comme un nuage", a déclaré M. Altman. Au bout du compte, chaque particule connaît l'ensemble de la chaîne, mais la quantité d'informations dont elle dispose est minuscule. C'est pourquoi, a-t-il ajouté, "la quantité d'intrication que l'on peut détruire [à chaque mesure] est ridiculement faible".

En mars 2019, le groupe d'Altman a publié une prépublication détaillant comment la chaîne cachait efficacement les informations des mesures et permettait à une grande partie de l'intrication de la chaîne d'échapper à la destruction. À peu près au même moment, le groupe de Smith a mis à jour ses conclusions, mettant les quatre groupes d'accord.

La réponse à la question de Nahum était claire. Une "transition de phase induite par la mesure" était théoriquement possible. Mais contrairement à une transition de phase tangible, telle que le durcissement de l'eau en glace, il s'agissait d'une transition entre des phases d'information - une phase où l'information reste répartie en toute sécurité entre les particules et une phase où elle est détruite par des mesures répétées.

C'est en quelque sorte ce que l'on rêve de faire dans la matière condensée, a déclaré M. Skinner, à savoir trouver une transition entre différents états. "Maintenant, on se demande comment on le voit", a-t-il poursuivi.

 Au cours des quatre années suivantes, trois groupes d'expérimentateurs ont détecté des signes du flux distinct d'informations.

Trois façons de voir l'invisible

Même l'expérience la plus simple permettant de détecter la transition intangible est extrêmement difficile. "D'un point de vue pratique, cela semble impossible", a déclaré M. Altman.

L'objectif est de définir un certain taux de mesure (rare, moyen ou fréquent), de laisser ces mesures se battre avec l'intrication pendant un certain temps et de voir quelle quantité d'entropie d'intrication vous obtenez dans l'état final. Ensuite, rincez et répétez avec d'autres taux de mesure et voyez comment la quantité d'intrication change. C'est un peu comme si l'on augmentait la température pour voir comment la structure d'un glaçon change.

Mais les mathématiques punitives de la prolifération exponentielle des possibilités rendent cette expérience presque impensablement difficile à réaliser.

L'entropie d'intrication n'est pas, à proprement parler, quelque chose que l'on peut observer. C'est un nombre que l'on déduit par la répétition, de la même manière que l'on peut éventuellement déterminer la pondération d'un dé chargé. Lancer un seul 3 ne vous apprend rien. Mais après avoir lancé le dé des centaines de fois, vous pouvez connaître la probabilité d'obtenir chaque chiffre. De même, le fait qu'une particule pointe vers le haut et une autre vers le bas ne signifie pas qu'elles sont intriquées. Il faudrait obtenir le résultat inverse plusieurs fois pour en être sûr.

Il est beaucoup plus difficile de déduire l'entropie d'intrication d'une chaîne de particules mesurées. L'état final de la chaîne dépend de son histoire expérimentale, c'est-à-dire du fait que chaque mesure intermédiaire a abouti à une rotation vers le haut ou vers le bas. Pour accumuler plusieurs copies du même état, l'expérimentateur doit donc répéter l'expérience encore et encore jusqu'à ce qu'il obtienne la même séquence de mesures intermédiaires, un peu comme s'il jouait à pile ou face jusqu'à ce qu'il obtienne une série de "têtes" d'affilée. Chaque mesure supplémentaire rend l'effort deux fois plus difficile. Si vous effectuez 10 mesures lors de la préparation d'une chaîne de particules, par exemple, vous devrez effectuer 210 ou 1 024 expériences supplémentaires pour obtenir le même état final une deuxième fois (et vous pourriez avoir besoin de 1 000 copies supplémentaires de cet état pour déterminer son entropie d'enchevêtrement). Il faudra ensuite modifier le taux de mesure et recommencer.

L'extrême difficulté à détecter la transition de phase a amené certains physiciens à se demander si elle était réellement réelle.

"Vous vous fiez à quelque chose d'exponentiellement improbable pour le voir", a déclaré Crystal Noel, physicienne à l'université Duke. "Cela soulève donc la question de savoir ce que cela signifie physiquement."

Noel a passé près de deux ans à réfléchir aux phases induites par les mesures. Elle faisait partie d'une équipe travaillant sur un nouvel ordinateur quantique à ions piégés à l'université du Maryland. Le processeur contenait des qubits, des objets quantiques qui agissent comme des particules. Ils peuvent être programmés pour créer un enchevêtrement par le biais d'interactions aléatoires. Et l'appareil pouvait mesurer ses qubits.

Le groupe a également eu recours à une deuxième astuce pour réduire le nombre de répétitions - une procédure technique qui revient à simuler numériquement l'expérience parallèlement à sa réalisation. Ils savaient ainsi à quoi s'attendre. C'était comme si on leur disait à l'avance comment le dé chargé était pondéré, et cela a permis de réduire le nombre de répétitions nécessaires pour mettre au point la structure invisible de l'enchevêtrement.

Grâce à ces deux astuces, ils ont pu détecter la transition d'intrication dans des chaînes de 13 qubits et ont publié leurs résultats à l'été 2021.

"Nous avons été stupéfaits", a déclaré M. Nahum. "Je ne pensais pas que cela se produirait aussi rapidement."

À l'insu de Nahum et de Noel, une exécution complète de la version originale de l'expérience, exponentiellement plus difficile, était déjà en cours.

À la même époque, IBM venait de mettre à niveau ses ordinateurs quantiques, ce qui leur permettait d'effectuer des mesures relativement rapides et fiables des qubits à la volée. Jin Ming Koh, étudiant de premier cycle à l'Institut de technologie de Californie, avait fait une présentation interne aux chercheurs d'IBM et les avait convaincus de participer à un projet visant à repousser les limites de cette nouvelle fonctionnalité. Sous la supervision d'Austin Minnich, physicien appliqué au Caltech, l'équipe a entrepris de détecter directement la transition de phase dans un effort que Skinner qualifie d'"héroïque".

 Après avoir demandé conseil à l'équipe de Noel, le groupe a simplement lancé les dés métaphoriques un nombre suffisant de fois pour déterminer la structure d'intrication de chaque historique de mesure possible pour des chaînes comptant jusqu'à 14 qubits. Ils ont constaté que lorsque les mesures étaient rares, l'entropie d'intrication doublait lorsqu'ils doublaient le nombre de qubits - une signature claire de l'intrication qui remplit la chaîne. Les chaînes les plus longues (qui impliquaient davantage de mesures) ont nécessité plus de 1,5 million d'exécutions sur les appareils d'IBM et, au total, les processeurs de l'entreprise ont fonctionné pendant sept mois. Il s'agit de l'une des tâches les plus intensives en termes de calcul jamais réalisées à l'aide d'ordinateurs quantiques.

Le groupe de M. Minnich a publié sa réalisation des deux phases en mars 2022, ce qui a permis de dissiper tous les doutes qui subsistaient quant à la possibilité de mesurer le phénomène.

"Ils ont vraiment procédé par force brute", a déclaré M. Noel, et ont prouvé que "pour les systèmes de petite taille, c'est faisable".

Récemment, une équipe de physiciens a collaboré avec Google pour aller encore plus loin, en étudiant l'équivalent d'une chaîne presque deux fois plus longue que les deux précédentes. Vedika Khemani, de l'université de Stanford, et Matteo Ippoliti, aujourd'hui à l'université du Texas à Austin, avaient déjà utilisé le processeur quantique de Google en 2021 pour créer un cristal de temps, qui, comme les phases de propagation de l'intrication, est une phase exotique existant dans un système changeant.

En collaboration avec une vaste équipe de chercheurs, le duo a repris les deux astuces mises au point par le groupe de Noel et y a ajouté un nouvel ingrédient : le temps. L'équation de Schrödinger relie le passé d'une particule à son avenir, mais la mesure rompt ce lien. Ou, comme le dit Khemani, "une fois que l'on introduit des mesures dans un système, cette flèche du temps est complètement détruite".

Sans flèche du temps claire, le groupe a pu réorienter la clôture à mailles losangiques de Nahum pour accéder à différents qubits à différents moments, ce qu'ils ont utilisé de manière avantageuse. Ils ont notamment découvert une transition de phase dans un système équivalent à une chaîne d'environ 24 qubits, qu'ils ont décrite dans un article publié en mars.

Puissance de la mesure

Le débat de Skinner et Nahum sur le pudding, ainsi que les travaux de Fisher et Smith, ont donné naissance à un nouveau sous-domaine parmi les physiciens qui s'intéressent à la mesure, à l'information et à l'enchevêtrement. Au cœur de ces différentes lignes de recherche se trouve une prise de conscience croissante du fait que les mesures ne se contentent pas de recueillir des informations. Ce sont des événements physiques qui peuvent générer des phénomènes véritablement nouveaux.

"Les mesures ne sont pas un sujet auquel les physiciens de la matière condensée ont pensé historiquement", a déclaré M. Fisher. Nous effectuons des mesures pour recueillir des informations à la fin d'une expérience, a-t-il poursuivi, mais pas pour manipuler un système.

En particulier, les mesures peuvent produire des résultats inhabituels parce qu'elles peuvent avoir le même type de saveur "partout-tout-enmême-temps" qui a autrefois troublé Einstein. Au moment de la mesure, les possibilités alternatives contenues dans l'état quantique s'évanouissent, pour ne jamais se réaliser, y compris celles qui concernent des endroits très éloignés dans l'univers. Si la non-localité de la mécanique quantique ne permet pas des transmissions plus rapides que la lumière comme le craignait Einstein, elle permet d'autres exploits surprenants.

"Les gens sont intrigués par le type de nouveaux phénomènes collectifs qui peuvent être induits par ces effets non locaux des mesures", a déclaré M. Altman.

L'enchevêtrement d'une collection de nombreuses particules, par exemple, a longtemps été considéré comme nécessitant au moins autant d'étapes que le nombre de particules que l'on souhaitait enchevêtrer. Mais l'hiver dernier, des théoriciens ont décrit un moyen d'y parvenir en beaucoup moins d'étapes grâce à des mesures judicieuses. Au début de l'année, le même groupe a mis l'idée en pratique et façonné une tapisserie d'enchevêtrement abritant des particules légendaires qui se souviennent de leur passé. D'autres équipes étudient d'autres façons d'utiliser les mesures pour renforcer les états intriqués de la matière quantique.

Cette explosion d'intérêt a complètement surpris Skinner, qui s'est récemment rendu à Pékin pour recevoir un prix pour ses travaux dans le Grand Hall du Peuple sur la place Tiananmen. (Skinner avait d'abord cru que la question de Nahum n'était qu'un exercice mental, mais aujourd'hui, il n'est plus très sûr de la direction que tout cela prend.)

"Je pensais qu'il s'agissait d'un jeu amusant auquel nous jouions, mais je ne suis plus prêt à parier sur l'idée qu'il n'est pas utile."

Auteur: Internet

Info: Quanta Magazine, Paul Chaikin, sept 2023

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

chronos

Il est difficile d'imaginer un univers atemporel, non pas parce que le temps est un concept techniquement complexe ou philosophiquement insaisissable mais pour une raison plus structurelle.

Imaginer la non temporalité implique que le temps s'écoule. Même lorsqu'on essayez d'imaginer son absence, on le sent passer à mesure que nos pensées changent, que notre cœur pompe le sang vers votre cerveau et que les images, sons et odeurs bougent autour de nous. Le temps semble ne jamais s'arrêter. On peut même avoir l'impression d'être tissé dans son tissu en un perpétuel mouvement, alors que l'Univers se contracte et se rétracte. Mais est-ce vraiment ainsi que le temps fonctionne ?

Selon Albert Einstein, notre expérience du passé, du présent et du futur n'est rien d'autre qu'une "illusion obstinément persistante". Selon Isaac Newton, le temps n'est rien d'autre qu'une toile de fond, en dehors de la vie. Et selon les lois de la thermodynamique, le temps n'est rien d'autre que de l'entropie et de la chaleur. Dans l'histoire de la physique moderne, il n'y a jamais eu de théorie largement acceptée dans laquelle un sens du temps mobile et directionnel soit fondamental. Nombre de nos descriptions les plus fondamentales de la nature - des lois du mouvement aux propriétés des molécules et de la matière - semblent exister dans un univers où le temps ne s'écoule pas vraiment. Cependant, des recherches récentes menées dans divers domaines suggèrent que le mouvement du temps pourrait être plus important que la plupart des physiciens ne l'avaient supposé.

Une nouvelle forme de physique appelée théorie de l'assemblage suggère que le sens d'un temps en mouvement et directionnel est réel et fondamental. Elle suggère que les objets complexes de notre univers qui ont été fabriqués par la vie, y compris les microbes, les ordinateurs et les villes, n'existent pas hors du temps : impossibles sans un mouvement temporel. De ce point de vue, le passage du temps n'est pas seulement intrinsèque à l'évolution de la vie ou à notre expérience de l'univers. Il est aussi le tissu matériel en perpétuel mouvement de l'Univers lui-même. Le temps est un objet. Il a une taille physique, comme l'espace. Il peut être mesuré au niveau moléculaire dans les laboratoires.

L'unification du temps et de l'espace a radicalement changé la trajectoire de la physique au 20e siècle. Elle a ouvert de nouvelles perspectives sur la façon dont nous concevons la réalité. Que pourrait faire l'unification du temps et de la matière à notre époque ? Que se passe-t-il lorsque le temps est un objet ?

Pour Newton, le temps était fixe. Dans ses lois du mouvement et de la gravité, qui décrivent comment les objets changent de position dans l'espace, le temps est une toile de fond absolue. Le temps newtonien passe, mais ne change jamais. Cette vision temporelle perdure dans la physique moderne - même dans les fonctions d'onde de la mécanique quantique, le temps reste une toile de fond et non une caractéristique fondamentale. Pour Einstein, cependant, le temps n'est pas absolu. Il était relatif à chaque observateur. Il a décrit notre expérience du temps qui passe comme "une illusion obstinément persistante". Le temps einsteinien est mesuré par le tic-tac des horloges ; l'espace est mesuré par le tic-tac des règles qui enregistrent les distances. En étudiant les mouvements relatifs des horloges et des règles, Einstein a pu combiner les concepts de mesure de l'espace et du temps en une structure unifiée que nous appelons aujourd'hui "espace-temps". Dans cette structure, l'espace est infini et tous les points existent en même temps. Mais le temps, tel que décrit par Einstein, possède également cette propriété, ce qui signifie que tous les temps - passé, présent et futur - sont pareillement vrais. Le résultat est parfois appelé "univers bloc", qui contient tout ce qui s'est passé et se passera dans l'espace et le temps. Aujourd'hui, la plupart des physiciens soutiennent  cette notion d'univers-bloc.

Mais l'univers-bloc avait été fissuré avant même d'exister. Au début du XIXe siècle, près d'un siècle avant qu'Einstein ne développe le concept d'espace-temps, Nicolas Léonard Sadi Carnot et d'autres physiciens s'interrogeaient déjà sur l'idée que le temps était soit une toile de fond, soit une illusion. Ces questions se poursuivront au XIXe siècle, lorsque des physiciens tels que Ludwig Boltzmann commenceront à s'intéresser aux problèmes posés par une technologie d'un genre nouveau : la machine (engine - ou moteur : nous par exemple)

Bien que les machines puissent être reproduites mécaniquement, les physiciens ne savent pas exactement comment elles fonctionnent. La mécanique newtonienne est réversible, ce qui n'est pas le cas des machines. Le système solaire de Newton fonctionnait aussi bien en avançant qu'en reculant dans le temps. En revanche, si vous conduisez une voiture et qu'elle tombe en panne d'essence, vous ne pouvez pas faire tourner le moteur en marche arrière, récupérer la chaleur générée et désenflammer le carburant. Les physiciens de l'époque pensaient que les moteurs devaient obéir à certaines lois, même si ces lois étaient inconnues. Ils ont découvert que les moteurs ne fonctionnaient pas si le temps ne s'écoulait pas et n'avait pas de direction. En exploitant les différences de température, les moteurs entraînent un mouvement de chaleur des parties chaudes vers les parties froides. Plus le temps passe, plus la différence de température diminue et moins le "travail" peut être effectué. Telle est l'essence de la deuxième loi de la thermodynamique (également connue sous le nom de loi de l'entropie) qui fut proposée par Carnot et expliquée plus tard de manière statistique par Boltzmann. Cette loi décrit la manière dont un moteur peut effectuer moins de "travail" utile au fil du temps. Vous devez de temps en temps faire le plein de votre voiture, et l'entropie doit toujours être en augmentation.

Vivons-nous vraiment dans un univers qui n'a pas besoin du temps comme caractéristique fondamentale ?

Tout ça a du sens dans le contexte des machines ou d'autres objets complexes, mais n'est pas utile lorsqu'il s'agit d'une simple particule. Parler de la température d'une seule particule n'a aucun sens, car la température est un moyen de quantifier l'énergie cinétique moyenne de nombreuses particules. Dans les lois de la thermodynamique, l'écoulement et la directionnalité du temps sont considérés comme une propriété émergente plutôt que comme une toile de fond ou une illusion - une propriété associée au comportement d'un grand nombre d'objets. Bien que la théorie thermodynamique ait introduit la notion de directionnalité du temps, cette propriété n'était pas fondamentale. En physique, les propriétés "fondamentales" sont réservées aux propriétés qui ne peuvent être décrites par d'autres termes. La flèche du temps en thermodynamique est donc considérée comme "émergente" parce qu'elle peut être expliquée en termes de concepts plus fondamentaux, tels que l'entropie et la chaleur.

Charles Darwin, qui vécut et travailla entre l'ère de la machine à vapeur de Carnot et l'émergence de l'univers en bloc d'Einstein, fut un des premiers à voir clairement comment la vie doit exister dans le temps. Dans la dernière phrase de L'origine des espèces (1859), il résume avec éloquence cette perspective : "Alors que cette planète a continué de tourner selon la loi fixe de la gravité, à partir d'un commencement aussi simple... des formes infinies, les plus belles et les plus merveilleuses, ont été et sont en train d'évoluer". L'arrivée des "formes infinies" de Darwin ne peut s'expliquer que dans un univers où le temps existe et possède une direction claire.

Au cours des derniers milliards d'années, la vie a évolué d'organismes unicellulaires vers des organismes multicellulaires complexes. Elle est passée de sociétés simples à des villes grouillantes et, aujourd'hui, à une planète potentiellement capable de reproduire sa vie sur d'autres mondes. Ces choses mettent du temps à apparaître parce qu'elles ne peuvent émerger qu'à travers les processus de sélection et d'évolution.

Nous pensons que l'intuition de Darwin n'est pas assez profonde. L'évolution décrit avec précision les changements observés dans les différentes formes de vie, mais elle fait bien plus que cela : c'est le seul processus physique de notre univers qui peut générer les objets que nous associons à la vie. Qu'il s'agisse de bactéries, de chats et d'arbres, mais aussi de choses telles que des fusées, des téléphones portables et des villes. Aucun de ces objets n'apparaît spontanément par fluctuation, contrairement à ce que prétendent les ouvrages de physique moderne. Ces objets ne sont pas le fruit du hasard. Au contraire, ils ont tous besoin d'une "mémoire" du passé pour être fabriqués dans le présent. Ils doivent être produits au fil du temps - un temps qui avance continuellement. Pourtant, selon Newton, Einstein, Carnot, Boltzmann et d'autres, le temps est soit inexistant, soit simplement émergent.

Les temps de la physique et de l'évolution sont incompatibles. Mais cela n'a pas toujours été évident parce que physique et évolution traitent de types d'objets différents.  La physique, en particulier la mécanique quantique, traite d'objets simples et élémentaires : quarks, leptons et  autres particules porteuses de force du modèle standard. Ces objets étant considérés comme simples, l'Univers n'a pas besoin de "mémoire" pour les fabriquer (à condition que l'énergie et les ressources disponibles soient suffisantes). La "mémoire" est un moyen de décrire l'enregistrement des actions ou des processus nécessaires à la fabrication d'un objet donné. Lorsque nous abordons les disciplines qui traitent de l'évolution, telles que la chimie et la biologie, nous trouvons des objets trop complexes pour être produits en abondance instantanément (même lorsque l'énergie et les matériaux sont disponibles). Ils nécessitent une mémoire, accumulée au fil du temps, pour être produits. Comme l'a compris Darwin, certains objets ne peuvent voir le jour que grâce à l'évolution et à la sélection de certains "enregistrements" de la mémoire pour les fabriquer.

Cette incompatibilité crée un ensemble de problèmes qui ne peuvent être résolus qu'en s'écartant radicalement de la manière dont la physique aborde actuellement le temps, en particulier si nous voulons expliquer la vie. Si les théories actuelles de la mécanique quantique peuvent expliquer certaines caractéristiques des molécules, comme leur stabilité, elles ne peuvent pas expliquer l'existence de l'ADN, des protéines, de l'ARN ou autres molécules grands et complexes. De même, la deuxième loi de la thermodynamique est censée donner lieu à la flèche du temps et à des explications sur la manière dont les organismes convertissent l'énergie, mais elle n'explique pas la directionnalité du temps, dans laquelle des formes infinies se construisent sur des échelles de temps évolutives sans que soit en vue l'équilibre final ou la mort thermique de la biosphère. La mécanique quantique et la thermodynamique sont nécessaires pour expliquer certaines caractéristiques de la vie, mais elles ne sont pas suffisantes.

Ces problèmes et d'autres encore nous ont amenés à développer une nouvelle façon de penser la physique du temps, que nous avons appelée la théorie de l'assemblage. Cette théorie décrit la quantité de mémoire nécessaire pour qu'une molécule ou une combinaison de molécules - les objets dont est faite la vie - vienne à l'existence. Dans la théorie de l'assemblage, cette mémoire est mesurée au cours du temps en tant que caractéristique d'une molécule, en mettant l'accent sur la mémoire minimale requise pour que cette (ou ces) molécule(s) puisse(nt) voir le jour. La théorie de l'assemblage quantifie la sélection en faisant du temps une propriété des objets qui n'ont pu émerger que par l'évolution.

Nous avons commencé à développer cette nouvelle physique en examinant comment la vie émerge par le biais de changements chimiques. La chimie de la vie fonctionne de manière combinatoire : les atomes se lient pour former des molécules, et les combinaisons possibles augmentent avec chaque liaison supplémentaire. Ces combinaisons sont réalisées à partir d'environ 92 éléments naturels, dont les chimistes estiment qu'ils peuvent être combinés pour construire jusqu'à 10 puissance 60 de molécules différentes  (1 suivi de 60 zéros). Pour devenir utile, chaque combinaison individuelle devrait être répliquée des milliards de fois - pensez au nombre de molécules nécessaires pour fabriquer ne serait-ce qu'une seule cellule, sans parler d'un insecte ou d'une personne. Faire des copies de tout objet complexe prend donc du temps car chaque étape nécessaire à son assemblage implique une recherche dans l'immensité de l'espace combinatoire pour sélectionner les molécules qui prendront une forme physique.

Les espaces à structure combinatoire semblent apparaître lorsque la vie existe.

Prenons les protéines macromoléculaires que les êtres vivants utilisent comme catalyseurs dans les cellules. Ces protéines sont fabriquées à partir d'éléments moléculaires plus petits appelés acides aminés, qui se combinent pour former de longues chaînes dont la longueur varie généralement entre 50 et 2 000 acides aminés. Si toutes les protéines possibles d'une longueur de 100 acides aminés étaient assemblées à partir des 20 acides aminés les plus courants qui forment les protéines, le résultat ne remplirait pas seulement notre univers, mais 10 (puissance 23 ) univers.

Il est difficile d'imaginer le champ de toutes les molécules possibles.  À titre d'analogie, considérons les combinaisons qu'on peut réaliser avec un jeu de briques donné genre Lego. Si le jeu ne contient que deux briques, le nombre de combinaisons sera faible. En revanche, si le jeu contient des milliers de pièces, comme  un modèle Lego de 5 923 pièces du Taj Mahal, le nombre de combinaisons possibles est astronomique. Si vous deviez spécifiquement construire le Taj Mahal en suivant les instructions, l'espace des possibilités devient limité, mais si vous pouviez construire n'importe quel objet Lego avec ces 5 923 pièces, il y aurait une explosion combinatoire des structures possibles qui pourraient être construites - les possibilités augmentant de manière exponentielle avec chaque bloc supplémentaire que vous ajouteriez. Si vous connectez chaque seconde deux structures Lego préalablement construites, vous ne pourriez pas explorer toutes les possibilités d'objets de la taille du jeu Lego Taj Mahal avant la fin de l'univers. En fait, tout espace construit de manière combinatoire, même à partir de quelques blocs de construction simples, aura cette propriété. Idée qui inclut tous les objets cellulaires possibles construits à partir de la chimie, tous les organismes possibles construits à partir de différents types de cellules, tous les langages possibles construits à partir de mots ou d'énoncés, et tous les programmes informatiques possibles construits à partir de tous les jeux d'instructions possibles.

Le schéma est le suivant : les espaces combinatoires semblent se manifester lorsque la vie existe. En d'autres termes, la vie ne devient évidente que lorsque le champ des possibles est si vaste que l'univers est obligé de ne sélectionner qu'une partie de cet espace pour exister. La théorie de l'assemblage vise à formaliser cette idée. Dans la théorie de l'assemblage, les objets sont construits de manière combinatoire à partir d'autres objets et, tout comme vous pouvez utiliser une règle pour mesurer la taille d'un objet donné dans l'espace, la théorie de l'assemblage fournit une mesure - appelée "indice d'assemblage" - pour mesurer la taille d'un objet dans le temps.

Partant de cette analogie, l'ensemble Lego Taj Mahal équivaut à une molécule complexe. La reproduction d'un objet spécifique, comme un jeu de Lego, d'une manière qui n'est pas aléatoire, nécessite une sélection dans l'espace de tous les objets possibles. En d'autres termes, à chaque étape de la construction, des objets ou des ensembles d'objets spécifiques doivent être sélectionnés parmi le grand nombre de combinaisons possibles qui pourraient être construites. Outre la sélection, la "mémoire" est également nécessaire : les objets existants doivent contenir des informations pour assembler le nouvel objet spécifique, qui est mis en œuvre sous la forme d'une séquence d'étapes pouvant être accomplies en un temps fini, comme les instructions requises pour construire le Taj Mahal en Lego. Les objets plus complexes nécessitent davantage de mémoire pour voir le jour.

Dans la théorie de l'assemblage, les objets gagnent en complexité au fil du temps grâce au processus de sélection. Au fur et à mesure que les objets deviennent plus complexes, leurs parties uniques augmentent, ce qui signifie que la mémoire locale doit également augmenter. "Mémoire locale" qui est la chaîne causale d'événements qui font que l'objet est d'abord "découvert" ou "émergé" via la sélection, puis créé en plusieurs exemplaires. Par exemple, dans le cadre de la recherche sur l'origine de la vie, les chimistes étudient comment les molécules s'assemblent pour devenir des organismes vivants. Pour qu'un système chimique émerge spontanément en tant que "vie", il doit s'auto-reproduire en formant, ou en catalysant, des réseaux de réactions chimiques auto-entretenus. Mais comment le système chimique "sait-il" quelles combinaisons faire ? Nous pouvons voir une "mémoire locale" à l'œuvre dans ces réseaux de molécules qui ont "appris" à se lier chimiquement de certaines manières. À mesure que les exigences en matière de mémoire augmentent, la probabilité qu'un objet ait été produit par hasard tombe à zéro, car le nombre de combinaisons alternatives qui n'ont pas été sélectionnées est tout simplement trop élevé. Un objet, qu'il s'agisse d'un Lego Taj Mahal ou d'un réseau de molécules, ne peut être produit et reproduit qu'avec une mémoire et un processus de construction. Mais la mémoire n'est pas partout, elle est locale dans l'espace et le temps. Ce qui signifie qu'un objet ne peut être produit que s'il existe une mémoire locale qui peut guider le choix des pièces, de leur emplacement et de leur moment.

Dans la théorie de l'assemblage, la "sélection" fait référence à ce qui a émergé dans l'espace des combinaisons possibles. Elle est formellement décrite par le nombre de copies et la complexité d'un objet. Le nombre de copies, ou concentration, est un concept utilisé en chimie et en biologie moléculaire qui fait référence au nombre de copies d'une molécule présentes dans un volume d'espace donné. Dans la théorie de l'assemblage, la complexité est tout aussi importante que le nombre de copies. Une molécule très complexe qui n'existe qu'en un seul exemplaire importe peu. Ce qui intéresse la théorie de l'assemblage, ce sont les molécules complexes dont le nombre de copies est élevé, ce qui indique que la molécule a été produite par l'évolution. Cette mesure de la complexité est également connue sous le nom d'"indice d'assemblage" d'un objet. Valeur qui est liée à la quantité de mémoire physique nécessaire pour stocker les informations permettant de diriger l'assemblage d'un objet et d'établir une direction dans le temps du simple au complexe. Bien que la mémoire doive exister dans l'environnement pour faire naître l'objet, dans la théorie de l'assemblage la mémoire est également une caractéristique physique intrinsèque de l'objet. En fait, elle est l'objet.

Ce sont des piles d'objets construisant d'autres objets qui construisent d'autres objets - objets qui construisent des objets, jusqu'au bout. Certains objets ne sont apparus que relativement récemment, tels que les "produits chimiques éternels" synthétiques fabriqués à partir de composés chimiques organofluorés. D'autres sont apparus il y a des milliards d'années, comme les cellules végétales photosynthétiques. Les objets ont des profondeurs temporelles différentes. Cette profondeur est directement liée à l'indice d'assemblage et au nombre de copies d'un objet, que nous pouvons combiner en un nombre : une quantité appelée "assemblage", ou A. Plus le nombre d'assemblage est élevé, plus l'objet a une profondeur temporelle.

Pour mesurer un assemblage en laboratoire, nous analysons chimiquement un objet pour compter le nombre de copies d'une molécule donnée qu'il contient. Nous déduisons ensuite la complexité de l'objet, connue sous le nom d'indice d'assemblage moléculaire, en comptant le nombre de parties qu'il contient. Ces parties moléculaires, comme les acides aminés dans une chaîne de protéines, sont souvent déduites en déterminant l'indice d'assemblage moléculaire d'un objet - un numéro d'assemblage théorique. Mais il ne s'agit pas d'une déduction théorique. Nous "comptons" les composants moléculaires d'un objet à l'aide de trois techniques de visualisation : la spectrométrie de masse, la spectroscopie infrarouge et la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire (RMN). Il est remarquable que le nombre de composants que nous avons comptés dans les molécules corresponde à leur nombre d'assemblage théorique. Cela signifie que nous pouvons mesurer l'indice d'assemblage d'un objet directement avec un équipement de laboratoire standard.

Un numéro d'assemblage élevé - indice d'assemblage élevé et nombre de copies élevé - indique que l'objet peut être fabriqué de manière fiable par un élément de son environnement. Il peut s'agir d'une cellule qui construit des molécules à indice d'assemblage élevé, comme les protéines, ou d'un chimiste qui fabrique des molécules à indice d'assemblage encore plus élevé, comme le Taxol (paclitaxel), un médicament anticancéreux. Les objets complexes ayant un nombre élevé de copies ne sont pas apparus au hasard, mais sont le résultat d'un processus d'évolution ou de sélection. Ils ne sont pas le fruit d'une série de rencontres fortuites, mais d'une sélection dans le temps. Plus précisément, d'une certaine profondeur dans le temps.

C'est comme si l'on jetait en l'air les 5 923 pièces du Lego Taj Mahal et que l'on s'attendait à ce qu'elles s'assemblent spontanément

Il s'agit d'un concept difficile. Même les chimistes ont du mal à l'appréhender, car s'il est facile d'imaginer que des molécules "complexes" se forment par le biais d'interactions fortuites avec leur environnement, en laboratoire, les interactions fortuites conduisent souvent à la production de "goudron" plutôt qu'à celle d'objets à haut niveau d'assemblage. Le goudron est le pire cauchemar des chimistes, un mélange désordonné de molécules qui ne peuvent être identifiées individuellement. On le retrouve fréquemment dans les expériences sur l'origine de la vie. Dans l'expérience de la "soupe prébiotique" menée par le chimiste américain Stanley Miller en 1953, les acides aminés sélectionnés au départ se transformaient en une bouillie noire non identifiable si l'expérience se poursuivait trop longtemps (et aucune sélection n'était imposée par les chercheurs pour empêcher les changements chimiques de se produire). Le problème dans ces expériences est que l'espace combinatoire des molécules possibles est si vaste pour les objets à fort assemblage qu'aucune molécule spécifique n'est produite en grande abondance. Le résultat est le "goudron".

C'est comme si l'on jetait en l'air les 5 923 pièces du jeu Lego Taj Mahal et qu'on s'attendait à ce qu'elles s'assemblent spontanément de manière exacte comme le prévoient les instructions. Imaginez maintenant que vous preniez les pièces de 100 boîtes du même jeu de Lego, que vous les lanciez en l'air et que vous vous attendiez à ce que 100 exemplaires du même bâtiment soient fabriqués. Les probabilités sont incroyablement faibles et pourraient même être nulles, si la théorie de l'assemblage est sur la bonne voie. C'est aussi probable qu'un œuf écrasé se reforme spontanément.

Mais qu'en est-il des objets complexes qui apparaissent naturellement sans sélection ni évolution ? Qu'en est-il des flocons de neige, des minéraux et des systèmes de tempêtes météo  complexes ? Contrairement aux objets générés par l'évolution et la sélection, ces objets n'ont pas besoin d'être expliqués par leur "profondeur dans le temps". Bien qu'individuellement complexes, ils n'ont pas une valeur d'assemblage élevée parce qu'ils se forment au hasard et n'ont pas besoin de mémoire pour être produits. Ils ont un faible nombre de copies parce qu'ils n'existent jamais en copies identiques. Il n'y a pas deux flocons de neige identiques, et il en va de même pour les minéraux et les systèmes de tempête.

La théorie des assemblages modifie non seulement notre conception du temps, mais aussi notre définition de la vie elle-même. En appliquant cette approche aux systèmes moléculaires, il devrait être possible de mesurer si une molécule a été produite par un processus évolutif. Cela signifie que nous pouvons déterminer quelles molécules n'ont pu être produites que par un processus vivant, même si ce processus implique des chimies différentes de celles que l'on trouve sur Terre. De cette manière, la théorie de l'assemblage peut fonctionner comme un système universel de détection de la vie qui fonctionne en mesurant les indices d'assemblage et le nombre de copies de molécules dans des échantillons vivants ou non vivants.

Dans nos expériences de laboratoire, nous avons constaté que seuls les échantillons vivants produisent des molécules à fort taux d'assemblage. Nos équipes et nos collaborateurs ont reproduit cette découverte en utilisant une technique analytique appelée spectrométrie de masse, dans laquelle les molécules d'un échantillon sont "pesées" dans un champ électromagnétique, puis réduites en morceaux à l'aide d'énergie. Le fait de réduire une molécule en morceaux nous permet de mesurer son indice d'assemblage en comptant le nombre de parties uniques qu'elle contient. Nous pouvons ainsi déterminer le nombre d'étapes nécessaires à la production d'un objet moléculaire et quantifier sa profondeur dans le temps à l'aide d'un équipement de laboratoire standard.

Pour vérifier notre théorie selon laquelle les objets à fort indice d'assemblage ne peuvent être générés que par la vie, l'étape suivante a consisté à tester des échantillons vivants et non vivants. Nos équipes ont pu prélever des échantillons de molécules dans tout le système solaire, y compris dans divers systèmes vivants, fossiles et abiotiques sur Terre. Ces échantillons solides de pierre, d'os, de chair et d'autres formes de matière ont été dissous dans un solvant, puis analysés à l'aide d'un spectromètre de masse à haute résolution capable d'identifier la structure et les propriétés des molécules. Nous avons constaté que seuls les systèmes vivants produisent des molécules abondantes dont l'indice d'assemblage est supérieur à une valeur déterminée expérimentalement de 15 étapes. La coupure entre 13 et 15 est nette, ce qui signifie que les molécules fabriquées par des processus aléatoires ne peuvent pas dépasser 13 étapes. Nous pensons que cela indique une transition de phase où la physique de l'évolution et de la sélection doit prendre le relais d'autres formes de physique pour expliquer la formation d'une molécule.

Ces expériences vérifient que seuls les objets avec un indice d'assemblage suffisamment élevé - molécules très complexes et copiées - semblent se trouver dans la vie. Ce qui est encore plus passionnant, c'est que nous pouvons trouver cette information sans rien savoir d'autre sur la molécule présente. La théorie de l'assemblage peut déterminer si des molécules provenant de n'importe quel endroit de l'univers sont issues de l'évolution ou non, même si nous ne connaissons pas la chimie utilisée.

La possibilité de détecter des systèmes vivants ailleurs dans la galaxie est passionnante, mais ce qui l'est encore plus pour nous, c'est la possibilité d'un nouveau type de physique et d'une nouvelle explication du vivant. En tant que mesure empirique d'objets uniquement produisibles par l'évolution, l'Assemblage déverouille une théorie plus générale de la vie. Si cette théorie se vérifie, son implication philosophique la plus radicale est que le temps existe en tant que propriété matérielle des objets complexes créés par l'évolution. En d'autres termes, tout comme Einstein a radicalisé notre notion du temps en l'unifiant avec l'espace, la théorie de l'assemblage indique une conception radicalement nouvelle du temps en l'unifiant avec la matière.

La théorie de l'assemblage explique les objets évolués, tels que les molécules complexes, les biosphères et les ordinateurs.

Elle est radicale parce que, comme nous l'avons noté, le temps n'a jamais été fondamental dans l'histoire de la physique. Newton et certains physiciens quantiques le considèrent comme une toile de fond. Einstein pensait qu'il s'agissait d'une illusion. Et, dans les travaux de ceux qui étudient la thermodynamique, il est considéré comme une simple propriété émergente. La théorie de l'assemblage considère le temps comme un élément fondamental et matériel : le temps est la matière dont sont faites les choses dans l'univers. Les objets créés par la sélection et l'évolution ne peuvent être formés que par le passage du temps. Mais il ne faut pas considérer ce temps comme le tic-tac mesuré d'une horloge ou comme une séquence d'années calendaires. Le temps est un attribut physique. Pensez-y en termes d'assemblage, propriété intrinsèque mesurable de la profondeur ou de la taille d'une molécule dans le temps.

Cette idée est radicale car elle permet également à la physique d'expliquer les changements évolutifs. La physique a traditionnellement étudié des objets que l'Univers peut assembler spontanément, tels que des particules élémentaires ou des planètes. La théorie de l'assemblage, en revanche, explique les objets évolués, tels que les molécules complexes, les biosphères et les ordinateurs. Ces objets complexes n'existent que le long de lignées où des informations spécifiques à leur construction furent acquises.

Si nous remontons ces lignées, depuis l'origine de la vie sur Terre jusqu'à l'origine de l'Univers, il serait logique de suggérer que la "mémoire" de l'Univers était plus faible dans le passé. Ce qui signifie que la capacité de l'Univers à générer des objets à fort assemblage est fondamentalement limitée par sa taille dans le temps. De même qu'un camion semi-remorque ne rentre pas dans le garage d'une maison standard, certains objets sont trop grands dans le temps pour naître dans des intervalles inférieurs à leur indice d'assemblage. Pour que des objets complexes comme les ordinateurs puissent exister dans notre univers, de nombreux autres objets ont d'abord dû se former : les étoiles, les éléments lourds, la vie, les outils, la technologie et l'abstraction de l'informatique. Cela prend du temps et dépend fortement du chemin parcouru en raison de la contingence causale de chaque innovation. Il est possible que l'Univers primitif n'était pas capable de calculer comme nous le savons, simplement parce qu'il n'y avait pas encore assez d'histoire. Le temps devait s'écouler et être matériellement instancié par la sélection des objets constitutifs de l'ordinateur. Il en va de même pour les structures Lego, les grands modèles de langage, les nouveaux médicaments, la "technosphère" ou tout autre objet complexe.

Les conséquences de la profondeur matérielle intrinsèque des objets dans le temps sont considérables. Dans l'univers-bloc, tout est considéré comme statique et existant en même temps. Ce qui signifie que les objets ne peuvent pas être ordonnés en fonction de leur profondeur temporelle, et que sélection et évolution ne peuvent pas être utilisées pour expliquer pourquoi certains objets existent et pas d'autres. La reconceptualisation du temps en tant que dimension physique de la matière complexe et la définition d'une directionnalité temporelle pourraient nous aider à résoudre ces questions. La matérialisation du temps via notre théorie de l'assemblage permet d'unifier plusieurs concepts philosophiques déconcertants liés à la vie dans un cadre mesurable. Au cœur de cette théorie se trouve l'indice d'assemblage, qui mesure la complexité d'un objet. Il s'agit d'une manière quantifiable de décrire le concept évolutif de sélection en montrant combien d'alternatives ont été exclues pour obtenir un objet donné. Chaque étape du processus d'assemblage d'un objet nécessite des informations, une mémoire, pour spécifier ce qui doit ou ne doit pas être ajouté ou modifié. Pour construire le Taj Mahal en Lego, par exemple, nous devons suivre une séquence spécifique d'étapes, chacune d'entre elles nous menant à la construction finale. Chaque pas manqué est une erreur, et si nous faisons trop d'erreurs, il ne sera pas possible de construire une structure reconnaissable. La copie d'un objet nécessite des informations sur les étapes qui furent précédemment nécessaires pour produire des objets similaires.

Tout ceci fait de la théorie de l'assemblage une théorie causale de la physique, car la structure sous-jacente d'un espace d'assemblage - l'ensemble des combinaisons requises - ordonne les choses dans une chaîne de causalité. Chaque étape dépend d'une étape sélectionnée précédemment, et chaque objet dépend d'un objet sélectionné précédemment. Si l'on supprime l'une des étapes d'une chaîne d'assemblage, l'objet final ne sera pas produit. Les mots à la mode souvent associés à la physique de la vie, tels que "théorie", "information", "mémoire", "causalité" et "sélection", sont matériels parce que les objets eux-mêmes encodent les règles qui aident à construire d'autres objets "complexes". Ce pourrait être le cas dans la catalyse mutuelle* où les objets se fabriquent réciproquement. Ainsi, dans la théorie de l'assemblage, le temps est essentiellement identique à l'information, la mémoire, la causalité et la sélection.  Termes qui sont tous rendus physiques parce que nous supposons qu'il impliquent des caractéristiques des objets décrits dans la théorie, et non des lois qui régissent le comportement de ces objets. La théorie de l'assemblage réintroduit dans la physique une notion de temporalité en expansion et en mouvement, en montrant que son passage est la matière même dont sont faits les objets complexes : la complexité augmente simultanément avec la taille de l'avenir..

Cette nouvelle conception du temps pourrait résoudre de nombreux problèmes ouverts en physique fondamentale. Le premier et le plus important est le débat entre déterminisme et contingence. Einstein a dit de façon célèbre que Dieu "ne joue pas aux dés", et de nombreux physiciens sont encore obligés de conclure que le déterminisme s'applique et que notre avenir est fermé. Mais l'idée que les conditions initiales de l'univers, ou de tout autre processus, déterminent l'avenir a toujours posé problème. Dans la théorie de l'assemblage, l'avenir est déterminé, mais pas avant qu'il ne se produise. Si ce qui existe aujourd'hui détermine l'avenir, et que ce qui existe aujourd'hui est plus grand et plus riche en informations qu'il ne l'était dans le passé, alors les futurs possibles deviennent également plus grands au fur et à mesure que les objets deviennent plus complexes. Cela s'explique par le fait qu'il y a plus d'histoire dans le présent à partir de laquelle il est possible d'assembler de nouveaux états futurs. Traiter le temps comme une propriété matérielle des objets qu'il crée permet de générer de la nouveauté dans le futur.

La nouveauté est essentielle à notre compréhension de la vie en tant que phénomène physique. Notre biosphère est un objet vieux d'au moins 3,5 milliards d'années selon la mesure du temps de l'horloge (l'Assemblage mesure le temps différement). Mais comment la vie est-elle apparue ? Qu'est-ce qui a permis aux systèmes vivants de développer l'intelligence et la conscience ? La physique traditionnelle suggère que la vie a "émergé". Le concept d'émergence rend compte de la façon dont de nouvelles structures semblent apparaître à des niveaux supérieurs d'organisation spatiale, sans que l'on puisse les prédire à partir des niveaux inférieurs. Parmi les exemples, on peut citer le caractère humide de l'eau, qui ne peut être prédit à partir des molécules d'eau individuelles, ou la façon dont les cellules vivantes sont constituées d'atomes non vivants individuels. Cependant, les objets que la physique traditionnelle considère comme émergents deviennent fondamentaux dans la théorie de l'assemblage. De ce point de vue, le caractère émergent d'un objet, c'est-à-dire la mesure dans laquelle il s'écarte des attentes d'un physicien concernant ses éléments constitutifs élémentaires, dépend de la profondeur à laquelle il se situe dans le temps. Ce qui nous oriente vers les origines de la vie, mais nous pouvons aussi voyager dans l'autre sens.

Si nous sommes sur la bonne voie, la théorie de l'assemblage suggère que le temps est fondamental. Elle suggère que le changement n'est pas mesuré par des horloges, mais qu'il est encodé dans des chaînes d'événements qui produisent des molécules complexes avec différentes profondeurs dans le temps. Assemblages issus d'une mémoire locale dans l'immensité de l'espace combinatoire, ces objets enregistrent le passé, agissent dans le présent et déterminent l'avenir. Ceci signifie que l'Univers s'étend dans le temps et non dans l'espace - ou peut-être même que l'espace émerge du temps, comme le suggèrent de nombreuses propositions actuelles issues de la gravité quantique. Bien que l'Univers puisse être entièrement déterministe, son expansion dans le temps implique que le futur ne peut être entièrement prédit, même en principe. L'avenir de l'Univers est plus ouvert que nous n'aurions pu le prévoir.

Le temps est peut-être un tissu en perpétuel mouvement à travers lequel nous voyons les choses s'assembler et se séparer. Mais ce tissu fait mieux que se déplacer : il s'étend. Lorsque le temps est un objet, l'avenir a la taille du cosmos.

Auteur: Walker Sara Imari

Info: 19 May 2023. Publié en association avec l'Institut Santa Fe, un partenaire stratégique d'Aeon. *Autostimulation de la croissance d'une culture bactérienne par l'ajout de cellules similaires.

[ non-ergodicité ] [ frontière organique-inorganique ] [ savoir conservé ] [ gnose ] [ monades orthogonales ] [ exobiologie ]

 

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post-quantique

Vers une physique de la conscience :   (Attention, article long et ardu, encore en cours de correction)

"Une vision scientifique du monde qui ne résout pas profondément le problème des esprits conscients ne peut avoir de sérieuses prétentions à l'exhaustivité. La conscience fait partie de notre univers. Ainsi, toute théorie physique qui ne lui fait pas de place appropriée est fondamentalement à court de fournir une véritable description du Monde."  Sir Roger Penrose : Les ombres de l'esprit

Où va la physique dans ce siècle ? Pour de nombreux scientifiques, ce type de question évoquera très probablement des réponses tournant autour de la relativité quantique, de la naissance et de l'évolution probable de l'Univers, de la physique des trous noirs ou de la nature de la "matière noire". L'importance et la fascination durable de ces questions sont incontestables.

Cependant, pour une minorité croissante de physiciens, une question encore plus grande se profile à l'horizon : le problème persistant de la conscience.

La révolution de l'information des dernières décennies a eu un impact sur nos vies plus profond qu'il parait. De la physique fondamentale au calcul quantique en passant par la biophysique et la recherche médicale, on prend de plus en plus conscience que l'information est profondément et subtilement encodée dans chaque fibre de l'Univers matériel, et que les mécanismes de contrôle que nous avons l'habitude d'étudier sur des bases purement mécaniques ne sont plus adéquats. Dans de nombreux laboratoires à travers le monde, les scientifiques sondent tranquillement cette interface esprit-matière et esquissent les premières lignes d'une nouvelle vision du monde.

Nous avons demandé à 2 de ces scientifiques de partager leur vision de ce que signifie ce changement de paradigme pour la physique théorique et du type de travail expérimental susceptible de produire les percées les plus importantes.

Lian Sidorov : Vous abordez tous deux les problèmes du modèle standard en révisant ses axiomes de base - en commençant essentiellement par une nouvelle interprétation de ses blocs de construction physiques. Pourriez-vous résumer brièvement cette approche?

M.P. : L'identification des espaces-temps en tant que surfaces à 4 dimensions d'un certain espace à 8 dimensions est l'élément central de TGD (Topological Geometrodynamics) et résout les problèmes conceptuels liés à la définition de l'énergie dans la relativité générale. Le nouveau concept d'espace-temps - "l'espace-temps à plusieurs feuilles" comme je l'appelle - a des implications considérables non seulement pour la physique, mais aussi pour la biologie et pour la conscience. Fondamentalement, parce que la vision réductionniste dure de l'Univers est remplacée par une vision quantitative de la façon dont le réductionnisme échoue.

La mathématisation de la vision de base se fonde sur l'idée que la physique quantique se réduit à une géométrie classique de dimension infinie pour ce qu'on pourrait appeler un "monde des mondes" - l'espace de toutes les surfaces possibles en 3 D. Cette idée est, en un certain sens, très conservatrice. Il n'y a pas de quantification dans cette théorie et son seul aspect quantique est le saut quantique. La croyance est que l'existence géométrique de dimension infinie (et donc aussi la physique) est hautement unique. Que cela puisse être le cas est suggéré par une énorme quantité de travaux probablement futiles qui s'essayent à construire des théories quantiques de champs sans infinis ainsi que par l'expérience avec des géométries de dimension infinie plus simples.

La formulation la plus abstraite de la TGD est une théorie des nombres généraliste obtenue en généralisant la notion de nombre de manière à permettre des nombres premiers infinis, des nombres entiers, etc.  Par conséquent les objets géométriques tels que les surfaces spatio-temporelles peuvent être considérés comme des représentations de nombres infinis, entiers, etc.  La formulation de la théorie des nombres conduit naturellement à la notion de physique p-adique (les champs de nombres p-adiques sont des compléments de nombres rationnels, un pour chaque nombre premier p=2,3,5,7,...).  Et l'on aboutit à la généralisation de la surface de l'espace-temps en permettant à la fois des régions d'espace-temps réelles et p-adiques (ces dernières représentant les corrélats géométriques de la cognition, de l'intention et de l'imagination tandis que les régions réelles représentent la matière).

Une des implication est l'hypothèse dite de l'échelle de longueur p-adique qui prédit une hiérarchie d'échelles de longueur et de temps servant d'échelles caractéristiques des systèmes physiques. La possibilité de généraliser la théorie de l'information en utilisant la notion théorique d'entropie des nombres conduit à une caractérisation théorique des nombres très générale des systèmes vivants pour lesquels une entropie p-adique appropriée est négative et indique ainsi que le système a un contenu d'information positif. La nouvelle vision de la relation entre le temps subjectif et géométrique est un aspect important de l'approche et résout le paradoxe fondamental de la théorie de la mesure quantique et une longue liste de paradoxes étroitement liés de la physique moderne. Il est également crucial pour la théorie de la conscience inspirée du TGD.

LS : Y a-t-il des personnages historiques dont vous pouvez vous inspirer ? Ou des théories physiques en cours de discussion qui offrent des points de convergence avec votre modèle ?

MP : John Wheeler était mon gourou du visionnage à distance, et la lecture de ses écrits fut pour moi une sorte d'expérience charnière. Wheeler a introduit la topologie dans la physique théorique. Wheeler a également introduit la notion de "super-espace" - espace de dimension infinie de toutes les géométries possibles ayant la métrique de Riemann et servant d'arène de gravitation quantique. Le remplacement du super-espace par l'espace des surfaces 3-D dans l'espace imbriqué 8-D ("monde des mondes") s'est avéré être la seule approche donnant l'espoir de construire un TGD quantique. Toutes les autres approches ont complètement échoué. 

Einstein a, bien sûr, été la deuxième grande figure. Il a été assez surprenant de constater que l'invariance générale des coordonnées généralisée au niveau de l'espace de configuration des surfaces 3 D ("monde des mondes") fixe la formulation de base de TGD presque exclusivement, tout comme elle fixe la dynamique de la relativité générale. Soit dit en passant, j'ai appris d'un article d'Einstein qu'il était très conscient des problèmes liés à la relation entre le temps subjectif et le temps géométrique et qu'il croyait que la réalité était en fait à 4 dimensions. Mais que notre capacité à "voir" dans le sens du temps est faible.

La TGD peut également être considéré comme une généralisation de l'approche des super-cordes qui généralise les symétries de base du modèle superstring (la symétrie la plus importante étant la symétrie dite conforme). Dans l'approche superstring, la symétrie conforme contraint les objets de base à être des chaînes unidimensionnelles. Dans TGD, cela les force à être des surfaces 3D. Au niveau algébrique, TGD ressemble beaucoup aux modèles de supercordes. Mais la dimension de l'espace-temps est la dimension physique D=4 plutôt que D=2.

LS : Comment voyez-vous la relation entre les systèmes matériels et la conscience ? L'une est-elle une propriété émergente de l'autre ou sont-elles équivalentes à un certain niveau ?

MP : Je ne partage pas la croyance matérialiste sur l'équivalence de l'esprit et de la matière. Je crois que la conscience - et même la cognition - sont présentes même au niveau des particules élémentaires. Pas de monisme, pas même de dualisme… mais de tripartisme. Le champ de spinor dans le "monde des mondes", l'histoire quantique et la "solution des équations du champ quantique", tout ceci définit ce que l'on pourrait appeler la réalité objective particulière. L'existence subjective correspond à une séquence de sauts quantiques entre des histoires quantiques. L'existence matérielle au sens géométrique correspond aux surfaces d'espace-temps - les réalités de la physique classique.

Dans ce cadre, il n'est pas nécessaire de postuler l'existence séparée de la théorie et de la réalité. Les "solutions des équations de champ quantique" ne représentent pas seulement des réalités, ce sont les réalités objectives. L'expérience subjective correspond à des sauts quantiques entre des "solutions d'équations de champs quantiques" - un truc toujours entre deux réalités objectives. Abandonner la croyance matérialiste en une réalité objective unique résout les problèmes fondamentaux de la théorie de la mesure quantique et offre une nouvelle vision de la relation entre le temps subjectif (séquence de sauts quantiques) et le temps géométrique (coordonnée de la surface espace-temps).

Le prix payé est un niveau d'abstraction assez élevé. Il n'est pas facile de traduire la vision des réalités en tant que champs de spineurs dans le "monde expérimental des mondes" en tests pratiques ! Ici, cependant, la correspondance quantique-classique aide.

LS : Comment résumeriez-vous votre approche des interactions mentales à distance comme la cognition anormale (vision à distance) et la perturbation anormale (PK) ?

MP : Il y a plusieurs éléments en jeu. La quantification topologique du champ, la notion d'hologramme conscient, le partage d'images mentales et le mécanisme de base des interactions mentales à distance basées sur les ME.

(a) L'ingrédient clé est la quantification topologique des champs classiques impliqués par le concept d'espace-temps à plusieurs feuilles. La surface de l'espace-temps est comme un diagramme de Feynman extrêmement complexe avec des lignes épaissies en feuilles d'espace-temps à 4 dimensions. Ces lignes à 4 dimensions représentent les régions de cohérence des champs classiques et de la matière (atomes, molécules, cellules,..). Aux sommets où les droites quadridimensionnelles se rencontrent, les champs classiques interfèrent. Les sommets sont comme des points d'un hologramme tandis que les lignes sont comme des faisceaux laser.

Les "lignes" particulièrement importantes du diagramme de Feynman généralisé sont les "extrémaux sans masse" (ME, "rayons lumineux topologiques"). Ils représentent des champs classiques se propageant avec la vitesse de la lumière d'une manière ciblée précise sans affaiblissement et sans perte d'information - un peu comme un rayonnement se propageant dans un guide d'ondes dans une seule direction. Les ME sont des facteurs clés dans la théorie de la matière vivante basée sur le TGD. Les tubes de flux magnétique et leurs homologues électriques (les biosystèmes ! sont remplis d'électrets) sont des "lignes" tout aussi importantes du diagramme de Feynman généralisé.

(b) L'hologramme conscient est une structure semblable à une fractale. L'implication de base est qu'il n'y a pas d'échelle de longueur préférée où la vie et la conscience émergeraient ou pourraient exister. Le transfert de supra-courants de nappes spatio-temporelles supraconductrices (généralement des tubes à flux magnétique) vers des nappes spatio-temporelles plus petites (par exemple, des nappes spatio-temporelles atomiques) induit une rupture de supraconductivité, une dissipation et une sélection darwinienne par auto-organisation.

Le flux cyclique d'ions entre 2 feuillets d'espace-temps est aussi le mécanisme de base du métabolisme. Un hologramme ordinaire donne lieu à une vision stéréo. Pour l'hologramme conscient, cela correspond à une fusion d'images mentales associées à différents points de l'hologramme. Lorsque les images mentales se ressemblent suffisamment, elles peuvent fusionner et donner lieu à une conscience stéréo (c'est-à-dire que les champs visuels droit et gauche fusionnent pour donner lieu à une stéréovision s'ils se ressemblent suffisamment).

(c) Le partage d'images mentales est une notion nouvelle. Les sous-moi de 2 moi non enchevêtrés peuvent s'entremêler, ce qui signifie qu'il en résulte une image mentale partagée et plus complexe. C'est le mécanisme de base de la télédétection. L'intrication de sous-systèmes de systèmes non intriqués n'est pas possible si l'on utilise la notion standard de sous-système. La nouvelle notion de sous-système s'inspire de la pensée d'échelle de longueur des théories quantiques des champs (tout est toujours défini dans une résolution d'échelle de longueur) et des aspects de type trou noir des feuilles d'espace-temps. L'intrication des sous-systèmes ne se voit pas dans la résolution caractérisant les systèmes, de sorte que l'on peut dire que les systèmes sont "non enchevêtrés" alors que les sous-systèmes sont intriqués.

(d) Un mécanisme plus détaillé pour les interactions mentales à distance est le suivant. Les ME à basse fréquence (gamme EEG généralement) connectent le téléspectateur 'A' à un soi magnétosphérique collectif multi-cerveau 'M' agissant comme un moyen et 'M' à la cible 'T' de sorte que l'enchevêtrement 'A'-'T' et le partage d'images mentales devient possible. Toutes les communications 'A'-'M' (comme poser des questions sur une cible donnée) pourraient être basées sur le partage d'images mentales. Les téléspectateurs pourraient avoir des lignes de communication plus ou moins permanentes avec la magnétosphère.

C'est suffisant pour la télédétection. Pour les interactions motrices à distance (disons PK), des ME à haute fréquence sont également nécessaires. Ils se propagent comme des particules sans masse le long des ME basse fréquence et induisent à la seconde extrémité des fuites de supracourants entre les tubes de flux magnétiques et les nappes d'espace-temps atomiques induisant l'auto-organisation ainsi que l'effet PK. La dichotomie bas-haut correspond à la dichotomie sensori-motrice et à la dichotomie quantique-classique pour les communications quantiques. Les fréquences préférées des ME à haute et basse fréquence devraient être dans certaines proportions constantes, et les découvertes de l'homéopathie appuient cette prédiction.

Les cellules et autres structures ont des "interactions mentales à distance" à l'intérieur du corps via ce mécanisme. De plus, les représentations sensorielles au corps du champ magnétique sont réalisées par le même mécanisme avec des rayons lumineux topologiques micro-ondes (très probablement) du cerveau qui se propagent le long des EEG ME et induisent une auto-organisation au niveau du corps magnétique personnel. Des représentations sensorielles sont également possibles pour une magnétosphère et peut-être même à pour des structures magnétiques plus grandes (qui pourraient avoir des tailles de durée de vie lumineuse). Ainsi, la conscience humaine a un aspect astrophysique défini.

LS : Comment interprétez-vous l'effet des fluctuations géomagnétiques et du temps sidéral local sur la cognition anormale ?

MP : Le faible niveau de bruit magnétique semble être le premier pré-requis pour des performances cognitives anormales. L'interprétation est que l'esprit magnétosphérique doit avoir un faible niveau d'excitation. La performance semble augmenter autour d'un intervalle de 2 heures autour de 13h30 heure sidérale locale, qui est l'heure dans un système de coordonnées fixé par rapport aux étoiles plutôt qu'au Soleil. Ces découvertes - ainsi que la vision générale sur les structures de tubes de flux magnétiques comme modèles de vie - suggèrent que non seulement le champ magnétique terrestre, mais aussi que les champs magnétiques interstellaires pourraient être des acteurs clés dans les interactions mentales à distance.

(a) Que les fluctuations magnétiques puissent masquer des interactions mentales à distance donne une idée de la force du champ magnétique interstellaire. Le délai pour les interactions mentales à distance est de l'ordre de t=13-17 secondes et devrait correspondre à l'échelle de temps définie par la fréquence cyclotron du proton du champ magnétique interstellaire. Cela implique qu'il devrait avoir une force dans l'intervalle 10-13nT. Par contre, aux fréquences correspondant à f = 1/t, l'intensité des fluctuations géomagnétiques est d'environ 10nT. Il semblerait qu'un champ magnétique interstellaire non masqué d'une force d'environ 10-13 nT soit crucial pour les interactions mentales à distance.

(b) Les champs magnétiques interstellaires ont généralement une intensité comprise entre 100 et 0,01 nT, et diverses échelles de temps de cyclotron sont des échelles de temps de la conscience humaine. Le seul champ magnétique interstellaire dont les tubes de flux pourraient émerger dans la direction qui est au méridien 13.30 ST est le champ magnétique de type dipôle créé par le centre galactique ayant une intensité d'ordre 100 nT près du centre galactique et coupant orthogonalement le plan galactique. Les supernovae transportent des champs magnétiques de l'ordre de 10 à 30 nT ; le vent solaire transporte un champ magnétique d'une force moyenne de 6 nT ; la nappe de plasma du côté nuit de la Terre - connue pour être une structure fortement auto-organisée - porte un champ magnétique d'une force d'environ 10 nT. Au moins pour un habitant de l'univers TGD croyant en la fractalité de la conscience, ces découvertes suggèrent que les champs magnétiques galactiques forment une sorte de système nerveux galactique, tout comme le champ magnétique terrestre forme le système nerveux de Mère Gaïa.

c) Pourquoi 13h30 ST est si spécial pourrait être compris si les tubes de flux du champ magnétique interstellaire attachés à la matière vivante vent pendant la rotation de la Terre. Cet enroulement introduit du bruit rendant les interactions mentales à distance moins probables. Pendant l'intervalle de 2 heures autour de 13h30 ST, les effets de l'enroulement sont les plus faibles.

LS : Les effets temporels tels que la pré-cognition et la rétro-pk ont ​​été un casse-tête et une complication de longue date pour l'émergence de modèles physiques convaincants en parapsychologie. Comment résolvez-vous ces paradoxes dans le cadre de votre théorie ?

MP : Dans le cadre du TGD, on est obligé de modifier les croyances de base sur le temps. Le "temps vécu subjectivement" correspond à une séquence de sauts quantiques entre des histoires quantiques. Le temps subjectif n'est cependant pas vécu comme discret puisque les soi ("soi" est un système capable d'éviter l'enchevêtrement de l'état lié avec l'environnement et a une feuille d'espace-temps comme corrélat géométrique) expérimentent la séquence de sauts quantiques comme une sorte de moyenne. La réalité résultant d'un saut quantique donné est une superposition de surfaces d'espace-temps qui se ressemblent dans la résolution dépendante de l'observateur définie par l'échelle de longueur p-adique.

On peut dire que chaque saut quantique conduit à ce qui ressemble sensoriellement à un espace-temps classique unique (sorte d'espace-temps moyen quantique). Le temps subjectif correspond au temps géométrique dans le sens où les contenus de conscience sont fortement localisés autour d'un certain moment du temps géométrique à la surface de l'espace-temps classique. L'espace-temps est à 4 dimensions. Mais notre expérience consciente à ce sujet ne nous renseigne que sur une tranche de temps étroite (du moins nous le croyons) définissant ce que l'on pourrait appeler "le temps psychologique". L'incrément de temps psychologique dans un saut quantique unique est d'environ 10 à 39 secondes selon une estimation basée sur les hypothèses les plus simples possibles. Le temps psychologique correspond aussi au front d'une transition de phase transformant des feuilles d'espace-temps p-adiques (e.g., intentions, plans) en feuilles d'espace-temps réelles (actions) et se propageant vers le Futur géométrique.

A chaque saut quantique, l'espace-temps moyen quantique classique est remplacé par un nouveau. De plus, le passé géométrique change en saut quantique de sorte qu'il n'y a pas de passé géométrique absolu (le passé subjectif étant, bien sûr, absolu). Ceci explique des anomalies causales comme celles observées par Libet, Radin et Bierman, et Peoch. La mémoire géométrique consiste essentiellement à voir dans le passé géométrique. Intentions, plans et attentes signifient voir le Futur géométrique au sens p-adique. La précognition est une mémoire inversée dans le temps. L'intention, la précognition et les souvenirs ne sont pas absolus puisque le futur géométrique et le passé changent à chaque saut quantique. Le "montage" du Passé géométrique (disons changer les mémoires en changeant l'état du cerveau en Passé géométrique) est possible.

LS : Les découvertes de Mark Germine semblent suggérer que la mesure consciente d'un événement par un cerveau tend à réduire l'élément de surprise pour les observateurs conscients ultérieurs, tel que mesuré par le potentiel lié à l'événement associé. Comment interprétez-vous ces résultats ?

MP : La nouvelle vision de champs classiques contraints par la quantification topologique conduit à vers la notion de champ/corps électromagnétique/magnétique. Chaque système matériel, atome, cellule, etc. est généralement accompagné d'un corps de champ qui est beaucoup plus grand que le corps physique et fournit une sorte de représentation symbolique du système analogue au manuel d'un instrument électronique. Le corps magnétique joue le rôle d'un écran d'ordinateur sur lequel sont réalisées des représentations sensorielles. Les "caractéristiques" produites par le traitement de l'information dans le cerveau sont attribuées à un point donné (appelons-le "P") du corps magnétique personnel en enchevêtrant les images mentales correspondantes avec l'image mentale "simple sentiment d'existence" en "P". Les ME EEG ("rayons lumineux topologiques") sont des corrélats de cet enchevêtrement.

Outre les corps magnétiques personnels, des représentations sensorielles dans la magnétosphère terrestre sont également possibles et donnent lieu à la conscience magnétosphérique. Les soi magnétosphériques recevant des informations conscientes de nombreux cerveaux sont possibles et pourraient être un aspect crucial de toutes les structures sociales. Les découvertes de Mark Germine peuvent être comprises si l'on suppose que 2 personnes recevant le stimulus inattendu à des moments légèrement différents sont des "neurones" du même soi multi-cerveau. Après avoir perçu le stimulus bizarre une fois à travers le premier cerveau, le soi multi-cérébral est moins surpris lorsqu'il expérimente le stimulus bizarre à travers le deuxième cerveau.

LS : Vos deux modèles nécessitent une cohérence quantique massive comme base d'une expérience consciente. Comment résoudre le fameux problème de décohérence ?

MP : Dans l'espace-temps à plusieurs nappes, les nappes d'espace-temps atomiques "chaudes, humides et bruyantes" ne sont pas les seules. Il existe des nappes d'espace-temps plus grandes et très froides contenant de faibles densités de matière supraconductrice. En particulier, les tubes de flux magnétique de la Terre sont supraconducteurs. On a donc une cohérence quantique macroscopique. Mais ce n'est pas assez. Il faut aussi avoir une cohérence quantique macro-temporelle. Au début, cela semble impossible. Un seul saut quantique correspond à un incrément de temps géométrique d'environ 10-39 secondes. Ce temps est identifiable comme le temps de décohérence si bien que la situation semble encore pire qu'en physique standard ! Cette image ne peut pas être correcte, et l'explication est simple.

L'intrication à l'état lié est stable dans le saut quantique. Et lorsqu'un état lié est formé, aucune réduction de fonction d'état ni préparation d'état ne se produit dans les degrés de liberté liés. La séquence entière de sauts quantiques (particules élémentaires de conscience) se lie pour former ce qui est effectivement comme un seul saut quantique, période de cohérence quantique macrotemporelle (atome, molécule,... de conscience). Le "temps de décohérence" peut être identifié comme la durée de vie de l'état lié.

Malheureusement, même cela ne suffit pas puisque c'est essentiellement ce que prédit la physique standard. La dernière pièce du puzzle provient de la dégénérescence du verre de spin quantique. La dégénérescence du verre de spin signifie qu'il existe un nombre gigantesque de surfaces d'espace-temps qui diffèrent les unes des autres uniquement parce qu'elles ont des champs gravitationnels classiques légèrement différents. Les états liés se produisent lorsque 2 feuilles d'espace-temps sont connectées par une liaison le long des frontières. La "dégénérescence du verre de spin" signifie que dans ce cas, il existe un grand nombre de liens différents le long des frontières et donc également une immense dégénérescence des états liés. Lorsqu'un état lié est formé, il se désintègre avec une très forte probabilité en un nouvel état lié de ce type puisque pour l'état libre (pas de jointure le long des liaisons aux frontières !), la dégénérescence du verre de spin n'est pas présente et le nombre de ces états est beaucoup plus petit .

Ainsi, le temps passé dans les états liés dégénérés du verre de spin ("temps de décohérence") est beaucoup plus long que dans l'univers physique standard ! Du point de vue de la physique standard, les nouveaux degrés de liberté du verre de spin sont cachés et le physicien standard identifie les états liés dégénérés comme un seul et même état lié. Par conséquent, la durée de vie mesurée de l'état lié semble être beaucoup plus longue que prévu par la physique standard.

LS : Une suite naturelle à la question précédente : Quelle est la base physique de la mémoire individuelle et du partage d'images mentales comme on le voit dans la vision à distance, la télépathie et d'autres expériences transpersonnelles (Jung, Grof, Stevenson) ?

MP : La différence essentielle entre le paradigme du cerveau à 4 dimensions et les neurosciences standard est qu'il n'y a pas besoin de stocker les souvenirs dans le 'Maintenant' géométrique. Le mécanisme le plus simple de la mémoire géométrique est le "mécanisme du miroir quantique". Se souvenir d'un événement qui s'est produit il y a un an, c'est regarder un miroir à une distance d'une demi-année-lumière et voir ce qui se passe "subjectivement maintenant" dans le temps géométrique à une distance temporelle d'un an.

L'option minimale est basée sur le partage d'images mentales rendu possible par l'intrication temporelle. L'intrication temporelle n'est pas autorisée par la physique standard. Dans TGD, l'intrication de type temps est rendue possible par le non-déterminisme partiel du principe variationnel indiquant quelles surfaces d'espace-temps sont possibles. Ce non-déterminisme ainsi que le non-déterminisme inhérent aux équations de champ p-adiques sont des éléments centraux de la théorie de la conscience inspirée du TGD.

Ils rendent également possibles la correspondance quantique-classique et les représentations symboliques et cognitives des réalités objectives et subjectives (niveau du monde des mondes) au niveau de l'espace-temps (niveau du monde) responsables des aspects autoréférentiels de la conscience. J'ai déjà parlé du partage d'images mentales comme mécanisme télépathique de base. Et l'intrication temporelle rend également possible le partage d'images mentales entre le Présent géométrique et le Passé géométrique. La signalisation classique n'est pas nécessaire mais n'est bien sûr pas exclue. Les microtubules semblent être des candidats optimaux en ce qui concerne les mémoires déclaratives à long terme.

Le partage d'images mentales est un mécanisme universel d'expériences sensorielles à distance (mémoire à long terme, représentations sensorielles, télédétection, expériences transpersonnelles). Les actions motrices à distance telles que PK nécessitent l'implication de ME à haute fréquence se propageant le long de l'enchevêtrement générant des ME à basse fréquence et induisant une auto-organisation à l'extrémité réceptrice.

LS : La télédétection d'une cible physique distante (par opposition à l'information collective) est-elle possible dans votre modèle ? Et sur quelle base ?

MP : Dans le monde TGD, tout est conscient. Et la conscience ne peut qu'être perdue. Il y a aussi des raisons de croire que pratiquement tous les systèmes servent d'"écrans d'ordinateur" donnant lieu à des représentations sensorielles. Par conséquent, des cibles physiques "non vivantes" pourraient également définir des représentations sensorielles au niveau de la magnétosphère.

Il y a une découverte étrange à propos des sons de météorites soutenant cette vision. Des sons de météores ont été à la fois entendus et détectés par des instruments. Le spectre de fréquences se situait dans l'intervalle des fréquences de résonance thalamo-corticale autour de 40 Hz alors que l'on s'attendait à ce que le spectre couvre toute la gamme 20-20 000 Hz. L'intensité des sons était également beaucoup plus forte que prévu si le rayonnement électromagnétique (induisant des sons à la surface de la Terre) généré par le météore avait des distributions à symétrie sphérique.

Cela suggère que les ME ELF correspondant à des fréquences autour de 40 Hz connectent non seulement des cerveaux mais aussi des objets "morts" à la magnétosphère, et que le rayonnement a été amplifié sélectivement dans ces guides d'ondes. Ainsi, même des objets "morts" pourraient être représentés sensoriellement dans la magnétosphère. Si le téléspectateur peut être considéré comme un client d'un multi-cerveau magnétosphérique auto-fournissant des services de télévisualisation, il est tout à fait possible que le téléspectateur puisse télédétecter la cible en utilisant les sens du moi magnétosphérique.

LS : Comment interprétez-vous la fragmentation massive des données et la pluralité des modalités sensorielles caractérisant le signal RV typique ? Qu'en est-il du phénomène de bi-localisation ?

MP : Le cerveau traite l'information en la décomposant en "caractéristiques" simples comme les bords, les coins, les mouvements simples, etc. Ces caractéristiques sont dispersées dans le cerveau presque comme dans une mémoire à accès aléatoire. Seules les représentations sensorielles au niveau du corps magnétique lient les caractéristiques appropriées à un point donné de la toile magnétique de sorte que la soupe de caractéristiques s'organise en un champ perceptif.

Dans le cas où la cible est une autre personne, la fragmentation des données pourrait signifier que le moi magnétosphérique s'emmêle avec diverses images mentales dans le cerveau, de sorte que des "caractéristiques" individuelles plutôt que la représentation sensorielle bien organisée du corps magnétique soient vues. Dans le cas d'une cible non vivante, l'organisation en champ perceptif est probablement absente de toute façon. Si le partage d'images mentales se produit de manière très intense, il peut conduire à une bilocalisation. Même un masquage presque total de la contribution ordinaire à l'expérience sensorielle est possible. Les hallucinogènes (par exemple, ceux rapportés par Terence MacKenna) impliquent en effet un remplacement soudain de la réalité sensorielle quotidienne par une nouvelle.

LS : Les travaux de Gariaev sur l'irradiation laser modulée de l'ADN ont donné des aperçus fascinants sur la possibilité d'une régulation génétique non locale, non canonique (basée sur les codons) - peut-être via des grilles d'interférence de biophotons et d'ondes radio à grande échelle menant à l'idée de un modèle holographique électromagnétique pour les organismes vivants. Quelle est la signification de ses résultats pour votre modèle ? Et comment envisagez-vous la hiérarchie des systèmes de contrôle morphogénétiques et régulateurs dans les organismes vivants ?

MP : Le travail de Gariaev fournit une information importante (beaucoup en fait !) pour tenter de concrétiser le point de vue sur le biocontrôle quantique à plusieurs feuilles. Et cela pourrait s'avérer être une preuve convaincante du concept d'espace-temps à plusieurs feuilles. Une contribution décisive pour le modèle de l'homéostasie quantique est venue des conférences de Cyril Smith sur la mémoire de l'eau et l'homéopathie lors de la conférence CASYS 2001. Le constat de base est que certaines fréquences semblent coder les effets du remède homéopathique, et que ces fréquences apparaissent par paires de fréquences basses et hautes qui apparaissent en proportion constante.

Cela peut être compris dans le cadre TGD comme suit. Lorsque les ions "chutent" de (disons) feuilles d'espace-temps atomiques vers des feuilles d'espace-temps plus grandes (disons des tubes à flux magnétique), la différence d'énergie est émise sous forme de rayonnement. L'énergie cinétique Zer-Point de petites feuilles d'espace-temps est la contribution dominante et signifie que le rayonnement a une énergie et donc une fréquence relativement élevées (par exemple, 0,5 eV pour un proton tombant d'une feuille d'espace-temps atomique). Dans les tubes à flux magnétique, les ions abandonnés sont dans des états de cyclotron magnétique excités qui se désintègrent en émettant un rayonnement cyclotron à basses fréquences. La partie "sensorielle" de l'EEG résulte de cette manière. Le rapport des hautes et basses fréquences dépend de la force du champ magnétique et de l'échelle de longueur p-adique de la feuille d'espace-temps à partir de laquelle l'ion est tombé et a tendance à avoir des valeurs discrètes.

En particulier, la lumière visible (comme dans l'expérience de Gariaev) peut "envoyer" des particules chargées des tubes de flux magnétique vers des feuilles d'espace-temps plus petites, à partir desquelles elles peuvent rebondir. Dans ce processus, d'autres ions au niveau du tube de flux magnétique peuvent tomber dans des tubes de flux magnétique plus grands et émettre un rayonnement basse fréquence dans ce processus.

Les tubes de flux magnétique forment dans la matière vivante une hiérarchie avec des intensités de champ magnétique variant comme 1 sur l'échelle de longueur p-adique au carré. Ainsi, il en résulte un rayonnement basse fréquence avec des fréquences qui sont des différences d'harmoniques des fréquences cyclotron au niveau des 2 tubes de flux magnétique impliqués. Cette prédiction est quantitative et testable et - sur la base d'une inspection grossière des spectres de fréquence rapportés dans l'article de Gariaev [1] - l'explication pourrait fonctionner.

La structure de bande de l'EEG reflète dans TGD les périodes du tableau périodique et le spectre des ondes radio devrait également présenter une version agrandie de la structure de bande. De plus, l'action laser à plusieurs feuilles devient possible si la fréquence de la lumière visible est réglée de sorte qu'elle soit juste suffisante pour envoyer une particule chargée sur la plus petite feuille d'espace-temps. La fréquence de la lumière cohérente utilisée dans l'expérience de Gariaev correspond à ce type de fréquence. La chute de la particule chargée génère un rayonnement à la même fréquence, et il en résulte une action laser à plusieurs feuilles puisque les photons cohérents déjà existants augmentent la probabilité de chute et les résultats de "chute stimulée". En outre, un laser à ondes radio à plusieurs feuilles est possible et les biosystèmes devraient contenir une hiérarchie fractale de lasers à plusieurs feuilles.

La notion d'hologramme conscient pourrait permettre d'obtenir une vision unifiée du fonctionnement de l'homéostasie en tant qu'équilibre de flux ionique à plusieurs feuilles. Le mécanisme laser à plusieurs feuilles n'est qu'un élément important de l'image. Fuite d'ions vers les feuilles d'espace-temps atomiques et auto-organisation dissipative qui en résulte ; inversion temporelle de ce processus ayant une interprétation comme un processus de guérison fondamental et impliquant une rupture de la deuxième loi de la thermodynamique en dessous de l'échelle de temps p-adique pertinente ; Les ME agissant comme des jonctions Josephson et contrôlant la génération d'impulsions nerveuses et l'EEG (l'EEG devrait avoir une généralisation fractale) - ce sont quelques facettes du biocontrôle quantique.

De plus, la notion d'ADN à plusieurs feuilles est importante et signifie que l'ADN contrôle le développement de l'organisme dans une large gamme d'échelles de longueur et de temps p-adiques en générant des modèles de rayonnement cohérents représentant le modèle pour le développement du système vivant en tant que hiérarchie fractale. d'hologrammes en 4 dimensions. La notion de "corps de champ" implique que cette structure semblable à un hologramme est de taille astrophysique avec une durée de vie lumineuse fournissant une échelle de temps naturelle.

LS : C'est probablement la question la plus redoutée pour un théoricien. Mais votre modèle est-il falsifiable ? Existe-t-il des tests physiques concevables qui pourraient définitivement valider (ou réfuter) votre théorie ? Qu'en est-il des prédictions quantitatives ? Des données corroborantes pour l'instant ?

MP : Au cours des 24 dernières années, j'ai pratiquement parcouru toute la physique afin de relier la TGD à la réalité théorique et expérimentale existante.  Le succès le plus impressionnant de TGD est le modèle pour les masses des particules élémentaires basé sur la physique p-adique.  Les échelles de masse des particules élémentaires se réduisent à la théorie des nombres et correspondent aux échelles de longueur p-adiques associées à certains nombres premiers préférés p = 2k, k premier ou puissance du nombre premier.  Les prédictions sont exponentiellement sensibles à la valeur de k, de sorte que le succès du modèle relève soit d'un miracle probabiliste, soit de l'exactitude des hypothèses de base.

Les échelles de longueur p-adiques les plus importantes de la physique des particules élémentaires correspondent aux nombres premiers de Mersenne et aux Mersennes dites gaussiennes.  Il est remarquable que toutes les échelles de longueur p-adiques entre l'épaisseur de la membrane cellulaire de 10 nm et la taille de la cellule de 2,5 micromètres (échelles de longueur associées à la hiérarchie d'enroulement de l'ADN !) correspondent à des Mersennes gaussiennes.  C'est un miracle de la théorie des nombres.  Il semblerait que le miracle de la Vie soit étroitement lié à un miracle de la théorie des nombres.

Les prédictions permettant de falsifier la théorie de la manière la plus convaincante apparaissent au niveau de la physique fondamentale.  Les symétries fixent d'une manière tout à fait unique le spectre des particules élémentaires dans toutes les théories unifiées.  La TGD prédit que les symétries de la physique des particules élémentaires sont essentiellement celles du modèle standard.  La découverte de particules élémentaires dont les nombres quantiques ne sont pas conformes à ceux prédits par le modèle standard peut tuer la TGD.  Il existe également d'importantes déviations par rapport au modèle standard, et le fait de ne pas les observer pourrait également signifier la fin du TGD.  Heureusement, la liste des anomalies expliquées par la TGD ne cesse de s'allonger.

Les prédictions de la dégénérescence du verre de spin (cohérence quantique macrotemporelle) et de la quantification du champ topologique (supraconductivité à des échelles de longueur astrophysiques) signifieront tôt ou tard une percée ou la fin de la TGD, car elles permettent des modèles quantiques quantitatifs concrets non seulement pour le biocontrôle mais aussi pour les interactions mentales à distance.

Les derniers résultats de l'approche théorique des nombres sont de véritables mesures de l'information.  Les entropies de la théorie des nombres définies pour les systèmes pour lesquels les coefficients d'intrication sont des nombres algébriques peuvent avoir des valeurs négatives et donc être interprétées comme une information positive.  On pourrait caractériser les systèmes vivants, en théorie des nombres, comme des systèmes pour lesquels les coefficients d'intrication sont des nombres algébriques.  Les opérations de type calcul quantique sont rendues possibles par la cohérence quantique macrotemporelle : les états quantiques ne sont plus fragiles puisque l'espace-temps enveloppé prédit la possibilité de partager et de fusionner des images mentales.  Toutes ces prédictions sont des prédictions tueuses testables.

LS : Quels sont certains des domaines auxquels vous pensez que votre modèle pourrait apporter des contributions majeures (c'est-à-dire la neurophysiologie, l'informatique quantique, la parapsychologie, etc.)

MP : Le réductionnisme est pratiquement toujours considéré comme un axiome de la physique.  L'implication fondamentale de la TGD est que le réductionnisme est brisé à toutes les échelles de longueur et de temps.  De nouveaux phénomènes sont prédits dans toutes les branches de la physique, de la biologie, des neurosciences, de la parapsychologie, etc. L'espace-temps à couches multiples fournit des modèles détaillés pour plusieurs anomalies associées aux phénomènes d'énergie libre.  Ces modèles devraient contribuer au développement de nouvelles technologies énergétiques.  Les processus conscients de type calcul quantique ("résolution de problèmes quantiques" pourrait être un terme plus approprié) avec des mesures d'information théoriques remplaçant l'information de Shannon constituent une deuxième implication technologique.

Les notions d'hologramme conscient et d'équilibre du flux ionique à plusieurs couches promettent une description unifiée d'une grande classe de phénomènes apparemment sans rapport entre eux, comme l'homéostasie, l'homéopathie, les représentations sensorielles et les interactions mentales à distance.

En neurosciences, le modèle basé sur la TGD pour le contrôle quantique de l'EEG et de l'impulsion nerveuse est une application importante.

LS : Quelles sont, à votre avis, les directions expérimentales et théoriques les plus prometteuses à suivre vers une théorie unifiée de l'esprit et de la matière ?

MP : Ma réponse est, nécessairement, très centrée sur la TGD.  Je pense qu'il serait intéressant de voir si les concepts inspirés de l'approche TGD pourraient nous permettre de comprendre qualitativement la conscience, les systèmes vivants et les interactions mentales à distance.  Sur le plan expérimental, la stratégie serait de tester les notions de base :

(a) Tests expérimentaux de la notion d'espace-temps à feuilles multiples, de la quantification des champs topologiques et de la prédiction selon laquelle les feuilles d'espace-temps non atomiques agissent comme des supraconducteurs, même à des échelles de longueur astrophysiques.

(b) Démonstration expérimentale de la présence de diverses signatures physiques pour le transfert d'ions entre les feuilles d'espace-temps et pour la rupture de la deuxième loi en dessous de l'échelle de temps p-adique caractérisant le système.

(c) Tests expérimentaux pour les notions de corps magnétique, de conscience magnétosphérique et de moi collectif multicérébré.  Les travaux de Mark Germine sont très encourageants à cet égard.

Auteur: Pitkanen Matti

Info: Entretien avec Matti Pitkänen et Alex Kaivarainen, interviewés par Lian Sidorov. References :  1.  Germine, Mark.  Scientific Validation of Planetary Consciousness. JNLRMI I (3). URL: www.emergentmind.org/germineI3.htm. 2.  Germine, M.  Experimental Evidence for Collapse of the Wavefunction in  the Whole Human Brain. URL: www.goertzel.org/dynapsyc. [Note: Lian Sidorov's interview with Alex Kaivarainen was more mathematically technical and can be seen at http://www.emergentmind.org/PDF_files.htm/Kaivarainen.pdf .]

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