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duper

Durant les vacances de l'été 1894, qu'il passa à Belle-Île avec moi et Willy, je voyais parfois Paul Masson s'installer sur un rocher et sortir de sa poche un paquet de fiches vierges qu'il entreprenait de remplir. Que fais-tu donc ? Lui demandai-je. - Je travaille. Je travaille de mon métier. Je suis attaché au catalogue de la Nationale. Je relève des titres.... J'étais assez crédule, et je m'ébahis d'admiration : - Oh !... Tu peux faire ça de mémoire ? Il pointa vers moi sa petite barbiche d'horloger : - De mémoire ? Où serait le mérite ? Je fais mieux. J'ai constaté que la Nationale est pauvre en ouvrages latins et italiens du XVe siècle. De même en manuscrits allemands. De même en autographes intimes de souverains, et bien d'autres petites lacunes... En attendant que la chance et l'érudition les comblent, j'inscris les titres d'oeuvres extrêmement intéressantes - qui auraient dû être écrites... Qu'au moins les titres sauvent le prestige du catalogue, du Khatalogue... - Mais, dis-je avec naïveté, puisque les livres n'existent pas ? - Ah ! dit-il avec un geste frivole, je ne peux pas tout faire.

Auteur: Colette Sidonie Gabrielle

Info: Mes apprentissages, dialogue avec Masson qui travaille alors à la Bibliothèque Nationale

[ mystification ] [ ambigüité ] [ blagues ]

 

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langage

Ce qui nous environne, nous le supportons d’autant mieux que nous lui donnons un nom – et passons outre. Mais embrasser une chose par une définition, si arbitraire soit-elle, et d’autant plus grave qu’elle est plus arbitraire, puisque l’âme y devance alors la connaissance, - c’est la rejeter, la rendre insipide et superflue, l’anéantir. L’esprit oisif et vacant – et qui ne s’intègre au monde qu’à la faveur du sommeil – à quoi pourrait-il s’exercer sinon à élargir le nom des choses, à les vider et à leur substituer des formules ? Ensuite il évolue sur leurs décombres ; plus de sensations ; rien que des souvenirs. Sous chaque formule gît un cadavre : l’être ou l’objet meurt sous le prétexte auquel ils ont donné lieu. C’est la débauche frivole et funèbre de l’esprit. Et cet esprit s’est gaspillé dans ce qu’il a nommé et circonscrit. Amoureux de vocables, il haïssait le mystère des silences lourds et les rendait légers et purs : et il est devenu léger et pur, puisque allégé et purifié de tout. Le vice de définir a fait de lui un assassin gracieux, et une victime discrète.

Auteur: Cioran Emil Michel

Info: Précis de décomposition, in Œuvres, éditions Gallimard, 1995, page 585

[ nommer ] [ abstraction dévitalisante ] [ mots ] [ tiercités fuites ] [ emprisonnement linguistique ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

déclaration d'amour

En te voyant toute mignonne,
Blanche dans ta robe d'azur,
Je pensais à quelque madone
Drapée en un pan de ciel pur ;

Je songeais à ces belles saintes
Que l'on voyait, du temps jadis,
Sourire sur les vitres peintes,
Montrant du doigt le paradis ;

Et j'aurais voulu, loin du monde
Qui passait frivole entre nous,
Dans quelque retraite profonde,
T'adorer seul à deux genoux...

Soudain, un caprice bizarre
Change la scène et le décor,
Et mon esprit au loin s'égare
Sur de grands prés d'azur et d'or,

Où, près de ruisseaux minuscules,
Gazouillants comme des oiseaux,
Se poursuivent les libellules,
Ces fleurs vivantes des roseaux.

- Enfant, n'es-tu pas l'une d'elles
Qui me suit pour me consoler ?
Vainement tu caches tes ailes :
Tu marches, mais tu sais voler.

Petite fée au bleu corsage,
Que je connus dès mon berceau,
En revoyant ton doux visage,
Je pense aux joncs de mon ruisseau !

Veux-tu qu'en amoureux fidèles
Nous retournions dans ces prés verts ?
Libellule, reprends tes ailes,
Moi, je brûlerai tous mes vers ;

Et nous irons, sous la lumière
D'un ciel plus frais et plus léger,
Chacun dans sa forme première,
Moi courir, et toi voltiger.

Auteur: Fabié François

Info: Recueil : Fleurs de genêts, ma libellule

[ poème ]

 

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oisiveté

Quand je n’ai rien à faire, et qu’à peine un nuage

Dans les champs bleus du ciel, flocon de laine, nage,

J’aime à m’écouter vivre, et, libre de soucis,

Loin des chemins poudreux, à demeurer assis

Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse,

Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse.

Là, pour tuer le temps, j’observe la fourmi

Qui, pensant au retour de l’hiver ennemi,

Pour son grenier dérobe un grain d’orge à la gerbe,

Le puceron qui grimpe et se pend au brin d’herbe,

La chenille traînant ses anneaux veloutés,

La limace baveuse aux sillons argentés,

Et le frais papillon qui de fleurs en fleurs vole.

Ensuite je regarde, amusement frivole,

La lumière brisant dans chacun de mes cils,

Palissade opposée à ses rayons subtils,

Les sept couleurs du prisme, ou le duvet qui flotte

En l’air, comme sur l’onde un vaisseau sans pilote ;

Et lorsque je suis las je me laisse endormir,

Au murmure de l’eau qu’un caillou fait gémir,

Ou j’écoute chanter près de moi la fauvette,

Et là-haut dans l’azur gazouiller l’alouette.

Auteur: Gautier Théophile

Info: Farniente

[ poème ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

insulte

Mon cher Camus,
Notre amitié n'était pas facile mais je la regretterai. Si vous la rompez aujourd'hui, c'est sans doute qu'elle devait se rompre. Beaucoup de choses nous rapprochaient, peu nous séparaient. Mais ce peu était encore trop : l'amitié, elle aussi, tend à devenir totalitaire ; il faut l'accord en tout ou la brouille, et les sans-parti eux-mêmes se comportent en militants de partis imaginaires.
[...]
Un mélange de suffisance sombre et de vulnérabilité a toujours découragé de vous dire des vérités entières. Mais dites-moi, Camus, par quel mystère ne peut-on discuter vos oeuvres sans ôter des raisons de vivre à l'humanité ? Mon Dieu, Camus, comme vous êtes sérieux, et, pour employer un de vos mots, comme vous êtes frivole ! Et si vous vous étiez trompé? Et si votre livre témoignait simplement de votre incompétence philosophique ? S'il était fait de connaissances ramassées à la hâte de seconde main ? Avez-vous si peur de la contestation ? Je n'ose vous conseiller de vous reporter à la lecture de L'Etre et le Néant, la lecture vous en paraîtrait inutilement ardue. Vous détestez les difficultés de pensée.
[...]
Il se peut que vous ayez été pauvre, mais vous ne l'êtes plus. Vous êtes un bourgeois comme Jeanson et comme moi.
[...] Votre morale s'est d'abord changée en moralisme, aujourd'hui elle n'est plus que littérature, demain elle sera peut-être immoralité.

Auteur: Sartre-Jean Paul

Info: lettre d'août 1952 à Camus

[ vacherie ]

 

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évolution numérique

À ses débuts, Twitter fut largement raillé en tant que distraction frivole qui servait surtout à raconter à ses amis ce que l'on avait mangé au petit-déjeuner. Aujourd'hui, on l'utilise pour organiser et partager des informations sur les manifestations politiques en Iran, pour fournir un service d'assistance à la clientèle aux grandes entreprises, pour partager des informations intéressantes et pour un millier d'autres applications qui n'avaient pas effleuré l'esprit des fondateurs lorsqu'ils ont imaginé le service en 2006. Il ne s'agit pas seulement d'un cas d'exaptation culturelle : des personnes trouvent un nouvel usage à un outil conçu pour faire autre chose. Dans le cas de Twitter, ce sont les utilisateurs qui ont redessiné l'outil lui-même. La convention consistant à répondre à un autre utilisateur avec le symbole @ fut inventée spontanément par la base d'utilisateurs de Twitter. Les premiers utilisateurs de Twitter ont repris une convention de la plate-forme de messagerie IRC et commencèrent à regrouper un sujet ou un événement via le "hash-tag", comme dans "#30Rock" ou "inauguration". La possibilité de rechercher un flux de tweets en direct - qui devrait s'avérer cruciale pour le modèle économique final de Twitter, grâce à son potentiel publicitaire - fut développée par une toute autre start-up. Grâce à ces innovations, suivre un flux de tweets en direct sur un événement - débats politiques ou épisodes de Lost - devint un élément central de l'expérience Twitter. Mais pendant la première année d'existence de Twitter, ce mode d'interaction aurait été techniquement impossible avec Twitter. C'est comme inventer un four grille-pain et découvrir un an plus tard que tous vos clients ont, de leur propre chef, trouvé un moyen de le transformer en micro-ondes.

Auteur: Johnson Steven Berlin

Info: Where Good Ideas Come from : The Natural History of Innovation

[ créatives égrégores ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

rupture

Ma tendre mademoiselle Beadnell,
Vos sentiments vous permettront sans doute mieux d'imaginer, bien mieux que n'importe quelle tentative de ma part, le déchirement qu'a été d'emprunter le chemin que j'ai désormais choisi de prendre. Cette direction que je prends ne pourrait pas être plus contraire à celle de mes désirs et de mes sentiments. Malgré tout, elle se dévoile être un peu plus chaque jour la seule et l'unique voie qui s'offre à moi.
Nos rencontres n'ont récemment été guère plus que des manifestations de cruelle indifférence d'un côté et de l'autre, elles n'ont conduit qu'à nourrir le chagrin d'une relation qui depuis longtemps est devenue plus que désespérée. Conscient que je m'étais embarqué dans une quête qui depuis longtemps était désespérée - et persévérer dans cette voie n'aurait pu que me ridiculiser - j'ai pris la décision de vous rendre ce cadeau que j'ai reçu de vous il y a peu (et que j'ai toujours eu, voire que j'ai, en haute estime en comparaison à tout ce que je peux posséder) ainsi que d'autres souvenirs dans lesquels j'inclus nos dernières lettres. Je suis certain que vous apprécierez de les recevoir puisque, tenant compte de nos situations respectives, tout cela ne pourrait être mieux qu'entre vos mains.
Dois-je dire que rien n'est plus éloigné de mon intention que de vous blesser avec ces quelques lignes qui accompagnent ce petit paquet ? Je suis certainement la dernière personne au monde qui pourrait se comporter ainsi. Il me semble que ce n'est pas le moment pour ce type de jeu frivole, délibéré et calculé. [...] Ce serait mesquin et malvenu de ma part que de conserver un de vos cadeaux ou bien de garder même une seule ligne de votre souvenir ou une quelconque marque de votre affection.
J'ai une seule chose à ajouter, et je le dis à ma décharge. Pour moi, le fruit de notre passion a sans nul doute été la mélancolie. J'ai vu apparaître au fil de notre correspondance les marques d'une totale désolation et de malheur apparaître. Grâce à Dieu je parle en mon nom et peux m'enorgueillir du mérite d'avoir toujours agi avec vous de manière juste, claire et honorable, et ce tout au long de nos échanges.
Sous une couche d'amabilité ou bien au travers d'un comportement totalement distinct d'un jour à l'autre, j'ai toujours été le même. J'ai toujours agi sans réserve et sans jamais prétendre atteindre ce que je ne pouvais accomplir. Je ne vous ai jamais laissé espérer ce que je ne pouvais combler. Jamais je n'ai pris le rôle d'une oreille attentive dans le seul but d'arriver à mes fins et je crois que jamais je ne le pourrai (bien que Dieu sache que c'est peu probable que l'occasion se présente à moi). [...]
Je n'ai rien fait qui eut été susceptible de vous blesser. Et si j'ai dit (bien que je ne le crois pas possible) quelque chose qui ait pu avoir cet effet la, la seule chose que je puisse faire et de vous demander de vous mettre à ma place et une explication s'offrira à vous, une explication bien plus claire que celle que je pourrais vous offrir.
Acceptez ce qui suit avec toute la valeur que cela comporte, et je crois que rien au monde ne pourrait me rendre plus content, ni plus vrai, que de vous savoir, vous l'objet de mon premier et dernier amour, heureuse. Si vous arrivez à le devenir comme je pense que vous pouvez l'être, alors vous serez en possession de toutes les bénédictions que ce monde puisse vous donner. C.D.

Auteur: Dickens Charles

Info: Lettre du 18 mars 1833 à son premier amour, lui ne plait pas à la famille bourgeoise de sa fiancée. Echec qui donna à Twain la rage de vaincre les obstacles et devenir le grand auteur qu'on connait

 

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anthropomorphisme

Les plantes sont-elles frigides?

La plante évoque l'inertie. On dit "végéter" pour "stagner". Mais il y a quelques siècles encore, "végéter" signifiait le contraire. En latin, ce mot désigne la surabondance d'énergie qui pousse une plante à jaillir. Plus on la coupe, plus elle reverdit : la plante, c'est l'énergie sexuelle incarnée. Sur le plan étymologique en tout cas. Les termes latins dont le mot "végétal" dérive désignent à l'origine "force et croissance". Le mot silva (forêt) est attesté dès Cicéron dans le sens de "grande quantité" et d'"abondance de matière". Le mode d'être de la plante est celui d'une prolifération virtuellement infinie, en constante expansion. Quel plus beau modèle prendre pour l'humain que celui du lierre ou du lichen? A la différence des végétaux dont la vie se confond avec la croissance, la plupart des bêtes, une fois adultes atteignent leurs dimensions définitives, explique Dominique Brancher, ce qui explique peut-être pourquoi les plantes font si peur. Elles ne connaissent pas de limites. Elles ne respectent pas l'ordre. Est-ce la cause du stigmate qui les frappe en Occident ? Les plantes sont-elles victimes de spécisme, de sexisme ou de racisme?

Chercheuse à l'Université de Bâle, Dominique Brancher est l'auteure d'un livre qui entend rendre justice au règne végétal : on en a fait un règne dormant, voué à l'immobilité, à l'absence de pensée, de sentiments, de sensations... Quel dommage d'avoir ainsi perverti ce qui - à l'origine de notre culture - était considéré comme une forme de débordement vital. Trop vital. "Eclipsé par l'attention exclusive donnée au vaste débat sur la distinction entre l'animal et l'homme, [...] le végétal s'est vu relégué au rang de tiers-exclu", dit-elle, regrettant que le mot végéter soit devenu synonyme d'inertie. Mais pourquoi un tel revirement? Pour quelle raison notre culture a-t-elle ainsi châtré la plante? Dans un livre au titre explicite Quand l'esprit vient aux plantes (allusion ironique au poème de La Fontaine "Comment l'esprit vient aux filles"), Dominique Brancher retrace l'histoire de ce qu'elle désigne comme l'invention d'un sexisme anti-flore. Nous avons discriminé les végétaux comme l'ont été les femmes : en leur déniant tout désir. Comme l'ont été les "sauvages" : en leur déniant toute intelligence. Comme le sont encore les animaux : en les parquant dans des réserves. C'est pourquoi il faut lire son enquête sur la sexualité des plantes comme un révélateur de nos choix de vie.

Quand les plantes étaient humaines...

Aux origines présocratiques de notre culture, les cosmogonies imaginées par Thalès (né en 640 av. J.-C.), Héraclite (504 av. J.-C.) ou Empédocle (492 av. J.-C.) reposent sur un principe d'équation : nous sommes faits de la même matière que tout ce qui existe, fleur ou astres. Cette règle d'analogie poétique "dit la trame vitale qui tisse les êtres et confond leurs attributs et leurs formes. Les arbres "pondent" leurs fruits et les êtres humains se développent comme des plantes." Pour Empédocle, qui rédige sa théorie en vers fabuleux face au paysage volcanique de sa Sicile natale, il n'y a ni naissance ni mort. Tout chose se renouvelle sous l'effet d'une ardeur brûlante qui traverse la matière. "Toute chose pense", dit-il. Toute chose aime et hait. "Dans ses transmigrations, l'âme humaine épouse les métamorphoses de la matière car elle a "déjà été autrefois garçon et fille, buisson, oiseau ou poisson cheminant à la surface de l'eau" (Empédocle, VIII).". Dans cet univers foisonnant, les plantes ont du plaisir et souffrent comme les humains qui, eux-mêmes, viennent au monde mouillés par la rosée de leur larmes. Empédocle résume ainsi leur première apparition : "Or donc voici comment des hommes et des femmes trempés de pleurs, Feu, se séparant, fit jaillir les pousses dans la nuit" (Empédocle III, Les Origines).

Avec la "raison" vient l'inégalité

Mais cette vision-là du monde est trop poétique sans doute. Dès le 1er siècle avant J.-C., Nicolas de Damas écrit dans son ouvrage De Plantis : "Il faut rejeter ces idées grossières et nous mettre à dire la vérité". Platon (427 av. J.-C.), deux siècles avant lui, n'accorde aux plantes qu'une âme inférieure et en fait des animaux immobiles. Mais c'est Aristote (384 av. J.-C.) qui "réduit encore plus considérablement la dignité du végétal en lui laissant seulement une sorte d'âme (De Anima, A5, 411)". La classification qu'Aristote met en place devient le modèle dominant d'une pensée occidentale qui place l'homme au sommet de la hiérarchie. Dans ce nouvel ordre moral, "les plantes jouissent seulement d'une âme végétative", désormais privées d'entendement. Avec le christianisme, leur statut ne s'améliore pas, au contraire. "Selon l'agenda cloisonné de la Genèse, Dieu créa les plantes le troisième jour, les animaux le cinquième et l'homme le sixième". Dans l'échelle des êtres, le végétal est en bas. Deux attitudes prévalent à son égard. La première repousse les plantes du côté du péché. Le seconde, guère plus enviable, du côté du paradis. Dans les deux cas, la plante est vue comme une créature frigide.

La plante comme symbole du péché de gourmandise Bien qu'ils lui dénient toute capacité de percevoir et donc de jouir, les théologiens estiment en effet que la plante est gourmande. Ne passe-t-elle pas son temps à sucer la terre? Voilà pourquoi elle est au bas de cette Scala Naturae ("échelle de la nature") que de nombreux ouvrages du XVIe siècle décrivent en termes de menace : attention de ne pas tomber ! Chaque échelon figure un degré de déchéance. Quand l'homme commet le péché de luxure (sensualis), il est ravalé au rang d'animal. Quand il a trop d'appétit (vitalis), le voilà végétal. Quand il sombre dans la tristesse (acédie), il rétrograde en minéral. Le christianisme "est une religion qui déconsidère la vie organique au profit de la pensée rationnelle", rappelle Dominique Brancher. Aux yeux des chrétiens, l'homme ne peut prétendre à son statut supérieur qu'à la condition de ne rien avoir en commun avec la (vile) matière. Les bêtes qui forniquent, les rivières qui ondoient et les plantes qui têtent la glaise sans penser, avec une gloutonnerie "stupide et insensible" (Jean Pic de la Mirandole) sont des choses détestables, qui renvoient à la chute.

La plante comme symbole de l'asexualité

Mais il existe une autre attitude vis à vis des plantes : pour certains chrétiens, elles présentent cet avantage sur les animaux d'être "pures". Cela commence au XIIIe siècle, avec Innocent III : dans un texte intitulé De Contemptu mundi, le pape attribue aux plantes la "candeur de l'âme végétative". La plante n'est pas sexuée, dit-il (ignorant qu'il existe des espèces végétales où les mâles et les femelles sont distincts). "Dégagés des ardeurs charnelles qui abêtissent et abrutissent, les végétaux offrent ainsi la rédemption d'un nouvel Eden. Combien d'auteurs de la Contre-Réforme ne célèbrent-ils pas la pureté de la reproduction végétale?". Dominique Brancher cite par exemple Thomas Browne qui, dans les années 1630, déclare : "Je serais heureux, si nous pouvions procréer comme les arbres sans union et s'il existait un moyen de perpétuer le monde sans passer par le coït vulgaire et trivial. C'est l'acte le plus sot qu'un homme sage puisse commettre dans sa vie". Edifiant. La chercheuse enfonce le clou : "Aux yeux de la mystique flamande, la perfection végétale figure une complétude originelle que la Faute, en modifiant le corps physique des premiers hommes, a définitivement dérobé à l'humanité : "Au lieu d'hommes qu'ils devaient être, ils sont devenus des monstres divisés en deux sexes imparfaits, impuissants à produire leurs semblables seuls, comme se produisent les arbres et les plantes".

Savez-vous planter des choux?

Dans la tradition ouverte par Innocent III, tout un imaginaire puritain se cristallise aux XVIe et XVIe siècles autour des plantes. La botanique devient "une technique de maîtrise des instincts, explique Dominique Brancher. On en trouve les répercussions jusque chez Rousseau, "persuadé qu'à tout âge l'étude de la nature émousse le goût des amusements frivoles, prévient le tumulte des passions". "La campagne a toujours été considérée comme le séjour de l'innocence", renchérit Trembley. L'herborisation devient l'activité favorite des puritains. On associe le curé de campagne à un brave jardinier, expert en sirops pour la gorge. "La méconnaissance concertée de la sexualité des plantes, depuis Aristote jusqu'aux naturalistes de la Renaissance, entretient cette vision angélique." Heureusement, il existe à toute époque des empêcheurs de tourner en rond. Au XVIe siècle, en particulier, des voix dissidentes s'élèvent : non, la plante n'est pas sage. Nous ferions bien d'en prendre de la graine.

Auteur: Giard Agnes

Info: 4 janvier 2016

[ historique ] [ Grèce antique ]

 

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