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portrait

C'était un de ces hommes qui n'ont rien de vibrant ni d'élastique, qui sont composés de molécules inertes, qui ne résonnent au choc d'aucune idée, au contact d'aucun sentiment, qui ont des colères glacées, des haines mornes, des emportements sans émotion, qui prennent feu sans s'échauffer, dont la capacité calorique est nulle, et qu'on dirait souvent faits de bois ; ils flambent par un bout et sont froids par l'autre. La ligne principale, la ligne diagonale du caractère de cet homme, c'était la ténacité. Il était fier d'être tenace, et se comparait à Napoléon. Ceci n'est qu'une illusion d'optique. Il y a nombre de gens qui en sont dupes et qui, à certaine distance, prennent la ténacité pour de la volonté, et une chandelle pour une étoile. Quand cet homme donc avait une fois ajusté ce qu'il appelait sa volonté à une chose absurde, il allait tête haute et à travers toute broussaille jusqu'au bout de la chose absurde. L'entêtement sans l'intelligence, c'est la sottise soudée au bout de la bêtise et lui servant de rallonge. Cela va loin. En général, quand une catastrophe privée ou publique s'est écroulée sur nous, si nous examinons, d'après les décombres qui en gisent à terre, de quelle façon elle s'est échafaudée, nous trouvons presque toujours qu'elle a été aveuglément construite par un homme médiocre et obstiné qui avait foi en lui et qui s'admirait. Il y a par le monde beaucoup de ces petites fatalités têtues qui se croient des providences.

Auteur: Hugo Victor

Info: Extrait de "Claude Gueux" 1834. Trouvé sur internet pour illustrer Emmanuel Macron en tant que dédaigneux

[ stérile égoïsme ] [ insensibilité ] [ aveugle narcissisme ] [ tout à l'ego ] [   stérile égoïsme ] [ vacherie ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

diptères

Mouches familières,

inévitables et goulues,

mouches vulgaires, vous

évoquez pour moi toutes choses.



Oh ! vieilles mouches voraces

comme abeilles en avril,

vieilles mouches tenaces

sur mon crâne chauve d'enfant !



Mouches du premier vague à l'âme

dans le salon familial,

en ces claires soirées d'été

quand je commençais à rêver !



Et à l'école détestée,

mouches folâtres et rapides,

poursuivies

par amour de ce qui vole,



— car tout n'est que vol — bruyantes,

rebondissant sur les vitres,

les jours d'automne…

Mouches de toutes les heures,



d'enfance et d'adolescence,

de ma jeunesse dorée,

de cette seconde innocence

qui se targue de ne croire en rien,



de toujours… Mouches vulgaires,

si familières que nul ne saura

dignement vous chanter :

je sais, vous vous êtes posées



sur le jouet enchanté,

sur le bouquin fermé,

sur la lettre d'amour,

sur les paupières glacées

des morts.



Inévitables et goulues,

non pas diligentes comme les abeilles,

ni, comme les papillons, brillantes;

petites, espiègles,

vous, mes vieilles amies,

évoquez pour moi toutes choses.


Auteur: Machado Antonio

Info: Champs de Castille ;: Précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes, et suivi des Poésies de la guerre. LES MOUCHES

[ poème ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

poème

Ils s'aimaient.
Ils souffraient, éblouis, lèvres bleuies dans le petit matin,
lèvres qui émergeaient de la nuit dure,
lèvres fendues, le sang, le sang, mais où?
Ils s'aimaient dans un lit navire, moitié lumière, moitié nuit.

Ils s'aimaient comme les fleurs les épines profondes,
cette gemme amoureuse d'un jaune tout nouveau
quand les visages tournent, mélancoliquement,
tournelunes qui brillent au baiser qui se pose.

Ils s'aimaient dans la nuit lorsque les chiens profonds
palpitent sous la terre, quand les vallées s'étirent
comme des flancs archaïques qui se sentent flattés :
caresse, soie et main, lune qui vient toucher.

Ils s'aimaient d'amour fou dans le petit matin,
entre les dures pierres compactes de la nuit,
dures comme les corps que les heures ont glacés,
dures comme un baiser, rien que dent contre dent.

Ils s'aimaient en plein jour, plage multipliée
la caresse des ondes monte des pieds aux cuisses
et les corps se relèvent de la terre et flottant ...
Ils s'aimaient en plein jour, sur la mer, sous le ciel.

Perfection de midi. Ils s'aimaient si intimes,
mer si haute et si jeune, immense intimité,
la vie est solitude, les horizons lointains
soudés comme des corps solitaires et chantants.

Et s'aimant. Ils s'aimaient comme la lune luit,
comme cette mer ronde appliquée au visage,
éclipse douce d'eau, la joue qui s'obscurcit,
où des poissons dorés évoluent sans musique.

Jour, nuit, soleils couchants, petits matins, espaces,
ondes jeunes, anciennes, fugaces, perpétuelles,
mer ou terre, navire, couche, plume, cristal,
métal, musique, lèvre, silence, végétal,
monde, calme, leur forme. Ils s'aimaient, sachez-le.

Auteur: Vicente Aleixandre

Info: La destruction ou l'amour, Ils s'aimaient

[ couple ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

femmes-par-hommes

Dans sa petite maison immaculée bâtie au milieu d'un grand jardin envahi de végétation tout près du Vieux Port, elle se penchait vers son miroir pour inspecter son matériel de maquillage, et à travers la crème, la poudre, le mascara et les cils gainés de noir, ses yeux voyaient les rides cachées, le manque d'élasticité de la peau. Elle sentait les années monter comme la marée autour d'un rocher sur une mer calme. Il existe un arsenal de la maturité, de l'âge mûr, mais cela exige un entraînement, une technique qu'elle ne possédait pas encore. Elle devait les apprendre avant de voir écrouler la structure de sa jeunesse qui la laisserait nue, pourrie, ridicule. Son succès était dû au fait qu'elle ne mettait jamais bas les armes, même quand elle était seule. Et là, à titre d'expérience, elle laissa sa bouche s'affaisser comme elle en avait envie, ses paupières se mettre en berne. Elle baissa le menton qu'elle tenait si haut, et un tendon un peu noueux apparut devant elle, dans le miroir, elle vit vingt années fondre sur elle et elle frissonna tandis que le murmure glacé lui disait ce qui l'attendait. Elle avait reculé trop longtemps ce moment. Une femme doit avoir une vitrine où vieillir, avec des éclairages, des accessoires, du velours noir, des enfants, de l'amour, de la protection, un mari serein et peu exigeant, ou bien son testament et son héritage encore plus sereins et encore moins exigeants. Une femme qui vieillit seule est un déchet inutile, une horreur fripée sans serviteurs boitillants pour hocher la tête et marmonner sur ses douleurs et le frictionner.

Auteur: Steinbeck John

Info: L'Hiver de notre Déplaisir, Deuxième partie, Chapitre II

[ vieillissante ] [ littérature ]

 

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suicide

À côté de son corps décomposé, momifié sur le lit, loque affreuse, charnier obscène, on avait trouvé un cahier d’écolier. Cahier dans lequel, expliquait l’écrivain à la radio, cette femme racontait s’être laissée mourir de faim. Cahier dans lequel, au jour le jour, elle avait consigné sa lente agonie, notant de façon clinique et lapidaire, sans la moindre émotion qui ne soit justement cette absence d’émotion, la détérioration de son corps, les effets de la privation de nourriture, l’horreur que c’est de mourir de faim à petit feu, pendant des jours et des semaines. Pendant un temps abominable. À l’antenne, un passage du cahier avait été lu : "Mardi : la langue dégorge comme un escargot." Ce n’était peut-être pas "mardi" mais, trente-trois ans plus tard, je me rappelais encore cette phrase. Je me la rappelais comme si c’était hier. En moi elle s’était gravée. Ces mots, je l’avais vue les écrire dans son cahier. J’avais vu l’escargot ! J’avais vu sa langue dégorger dans sa bouche et je l’avais sentie enfler et boursoufler et déglutir dans ma propre bouche et cette sensation m’avait poursuivi. Cette vision m’avait glacé. Comme une énigme sans fin. Une tentation ? Entendant à la radio l’histoire de cette femme, entendant sa solitude et sa volonté terrifiante d’en finir, entendant ses mots et sa folie de les mettre par écrit dans un cahier d’écolier, je ne l’avais plus jamais oubliée. Je n’avais plus cessé de penser à elle, son souvenir m’accompagnant de loin en loin, comme un leitmotiv insistant, une compassion revêche, une question faramineuse. Qui était cette femme ? Comment en était-elle arrivée là ? Comment avait-elle pu ?

Auteur: Bouillier Grégoire

Info: Le coeur ne cède pas, 910 pages, 1 kilo. A propos de Marcelle Pichon, ex-mannequin chez le couturier Jacques Fath qui, en 1985, à 64 ans, s'est laissée mourir de faim dans son minuscule appartement en plein Paris,

[ écriture ] [ motivation ] [ choc mémoriel ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

initiation

Imaginons la durée du parcours dans ce vide [le désert] où les êtres et les événements paraissent échapper sans cesse au cadre de l’espace et du temps. Parfois, tel un mirage squelettique, un acacia se tord dans la chaleur qui vibre… Un chameau ivre au loin… Des mouches incessantes qu’on voudrait pulvériser. Les pas tristes puis lourds s’additionnent au fil des jours et la nuit les pieds font mal ou sont glacés dans un vent cinglant où, par -4°, on peine à s’endormir. A tout cela vient s’ajouter la soif du jour, brièvement calmée par une eau salée à vomir qui redouble la fièvre et l’envie, par de médiocres sardines étalées sur un pain moisi qu’on se partage avec ânes et chameaux. Au 15e jour, au 20e ou plus tard, il se passe alors quelque chose. Comme s’il avait fallu ce décapage au marcheur, à travers l’aprêté des éléments, pour éroder puis faire chuter "une vision du monde", un autre apparaît et monte comme une aurore dans les paysages d’une âme qui s’étonne de se découvrir ainsi, telle une inconnue à elle-même et qui commence à se dire. Dès cet instant, la vie se transforme. Le désert fonctionne comme un miroir maintenant ; tout le subtil du réel avec ses touches de couleurs variées et ses tonalités superbes de sons et de parfums, de sentir et de toucher, comblent progressivement le voyageur. […] Il semble que la vie, tout en étant là dans sa plus grandiose saveur sensible, dans sa sensualité même, participe à d’autres événements intimes que je ne peux désigner que comme étant ceux de l’âme elle-même, qui prend connaissance de sa propre substance.

Auteur: Albrecht Pierre-Yves

Info: L'initiation, pages 222-223

[ transfiguration ] [ état de conscience ] [ épreuve ] [ dépassement ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

déshabillée

Vive et soumise, elle enjamba tout le linge qui traînait par terre et resta nue, grise et mauve, avec ce corps si particulier aux femmes quand il est pris de frilosité nerveuse, qu'il se tend et devient frais sous l'effet de la chair de poule, et dans ses modestes bas gris, aux jarretelles toutes simples, et ses pauvres petites chaussures noires ; elle lui jeta un regard ivre et triomphant, les mains à ses cheveux pour en retirer les épingles. Glacé, il la suivait des yeux. Elle était mieux faite, plus jeune de corps qu'il n'avait pensé. La maigreur des côtes et des clavicules répondait à celle du visage et à la finesse des mollets. Mais les hanches étaient vraiment fortes. Dans le ventre légèrement creux, disparaissait un nombril minuscule, et plus bas, l'on retrouvait dans le relief soyeux d'un triangle noir la sombre richesse de ses cheveux. Quand elle eut retiré ses épingles, ils roulèrent en masse épaisse sur les vertèbres saillant dans le dos trop maigre. Elle perdait ses bas et, en se penchant pour les retenir, laissa voir deux petits seins transis aux pointes brunes et fripées qui pendaient comme deux petites poires chétives, adorables de pauvreté. Il la força à goûter à cette impudeur extrême qui allait si mal à son visage et qui éveillait en lui pitié et tendresse, et passion... On ne pouvait rien voir à travers les lames relevées du store, mais elle y jetait des coups d'oeil de terreur exultante, écoutant les voix tranquilles et les pas sur le pont juste sous la fenêtre, et cela augmentait avec encore plus de fureur les délices de sa débauche. Oh ! comme ils sont près ces gens qui parlent et qui marchent, et aucun d'eux n'a idée de ce qui se passe à deux pas dans cette cabine blanche.

Auteur: Bounine Ivan Alex

Info: Les Allées sombres

[ femme-par-homme ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

rêve

Je suis de nouveau au bord de la mer. Tout est exactement comme je me le rappelle. L'océan et la plage, le soleil et la grande maison en rondins noircis au goudron avec sa longue véranda ; je me souviens de tout dans les moindres détails. L'escalier qui mène à la galerie, et sa rampe étroite. La troisième marche qui grince quand on descend vers la grève. La digue de pierres polies par les marées sur lesquelles je me suis blessé en tombant à la fin de l'été 1924. Les rochers sont comme dans mon souvenir. Le sable, le sable chauffé par le soleil et qui va de la digue jusqu'au rivage. Les oiseaux de mer aux pattes raides et aux becs allongés, qui picorent dans les congères d'algues échouées. Les vagues qui lèchent le rivage, s'étirent, essayant en vain d'atteindre les oiseaux, puis refluent, déçues, et meurent sous la lame suivante. Je n'ai rien oublié. Je suis revenu sur cette plage d'hier, et je cours, heureux bondissant au-dessus des goémons. Je me jette à l'eau, les embruns me giflent de leurs gouttelettes glacées. Je nage, je nage, le plus loin possible, au-delà de la troisième lagune où mon père m'interdit d'aller, et me laisse tomber dans l'océan froid et salé. Il m'embrasse, m'immerge dans son astringente verdure. Je nage, je plonge dans sa froidure, frotte mon ventre contre son fond sablonneux, traverse les rais de lumière oblique, brasse jusqu'à ce que mes poumons crient grâce et m'obligent à remonter. J'explose le miroir de la surface où se reflète le soleil. Le sel me brûle les yeux, je les ferme et jouis de la chaleur de l'air sur ma poitrine. Je suis là, les yeux fermés, et autour de moi je sens l'océan et le soleil et l'écume des brisants et les vagues qui me font osciller d'avant en arrière, d'arrière en avant.
Quand je m'éveille, l'océan n'est plus là. Le fracas que j'entends est celui des roues du train à bestiaux, le flux et le reflux du wagon qui grince et tangue. Chaque embranchement des rails se répercute à travers les lattes du plancher et martèle ma colonne vertébrale.

Auteur: Brask Morten

Info: Terezin plage

[ mémoire ]

 

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lecture

Il était impossible de se promener ce jour-là. Le matin, nous avions erré pendant une heure dans le bosquet dépouillé de feuilles; mais, depuis le dîner (quand il n'y avait personne, Mme Reed dînait de bonne heure), le vent glacé d'hiver avait amené avec lui des nuages si sombres et une pluie si pénétrante, qu'on ne pouvait songer à aucune excursion.
J'en étais contente. Je n'ai jamais aimé les longues promenades, surtout par le froid, et c'était une chose douloureuse pour moi que de revenir à la nuit, les pieds et les mains gelés, le coeur attristé par les réprimandes de Bessie, la bonne d'enfants, et l'esprit humilié par la conscience de mon infériorité physique vis-à-vis d'Eliza, de John et de Georgiana Reed.
Eliza, John et Georgiana étaient groupés dans le salon auprès de leur mère ; celle-ci, étendue sur un sofa au coin du feu, et entourée de ses préférés, qui pour le moment ne se disputaient ni ne pleuraient, semblait parfaitement heureuse. Elle m'avait défendu de me joindre à leur groupe, en me disant qu'elle regrettait la nécessité où elle se trouvait de me tenir ainsi éloignée, mais que, jusqu'au moment où Bessie témoignerait de mes efforts pour me donner un caractère plus sociable et plus enfantin, des manières plus attrayantes, quelque chose de plus radieux, de plus ouvert et de plus naturel, elle ne pourrait pas m'accorder les mêmes privilèges qu'aux petits enfants joyeux et satisfaits.
"Qu'est-ce que Bessie a encore rapporté sur moi ? Demandai-je.
- Jane, je n'aime pas qu'on me questionne ! D'ailleurs, il est mal à une enfant de traiter ainsi ses supérieurs. Asseyez-vous quelque part et restez en repos jusqu'au moment où vous pourrez parler raisonnablement."
Une petite salle à manger ouvrait sur le salon; je m'y glissai. Il s'y trouvait une bibliothèque ; j'eus bientôt pris possession d'un livre, faisant attention à le choisir orné de gravures. Je me plaçai dans l'embrasure de là fenêtre, ramenant mes pieds sous moi à la manière des Turcs, et, ayant tiré le rideau de damas rouge, je me trouvai enfermée dans une double retraite. Les larges plis de la draperie écarlate me cachaient tout ce qui se trouvait à ma droite ; à ma gauche, un panneau en vitres me protégeait, mais ne me séparait pas d'un triste jour de novembre. De temps à autre, en retournant les feuillets de mon livre, j'étudiais l'aspect de cette soirée d'hiver. Au loin, on voyait une pâle ligne de brouillards et de nuages, plus près un feuillage mouillé, des bosquets battus par l'orage, et enfin une pluie incessante que repoussaient en mugissant de longues et lamentables bouffées de vent.

Auteur: Brontë Charlotte

Info: Jane Eyre

[ pluie ] [ eau ] [ littérature ]

 

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hallucination

De toute façon, il pensait lentement, les mots lui coûtaient un effort, il n’en avait jamais assez, et parfois, lorsqu’il parlait avec quelqu’un, il arrivait que son interlocuteur, tout à coup, le regardât avec étonnement, ne comprenant pas tout ce qu’il pouvait y avoir dans un seul mot, quand Moosbrugger lentement l’extrayait. Il enviait tous les hommes qui avaient appris dès leur jeunesse à parler facilement ; lui, comme par dérision, les mots lui collaient au palais comme de la gomme juste au moment où il en avait le plus urgent besoin ; alors, il se passait parfois un temps interminable jusqu’à ce qu’il réussît à dégager une syllabe, et repartît. […]

La conscience que sa langue, ou quelque chose de plus profond encore en lui, était paralysé comme par de la colle, lui donnait un sentiment d’insécurité pitoyable qu’il lui fallait pendant des jours s’efforcer de dissimuler. Alors apparaissait soudain une subtile, on pourrait presque dire même une silencieuse frontière. Tout d’un coup, un souffle glacé était là. Ou bien, tout près de lui, dans l’air, une grosse boule émergeait et s’enfonçait dans sa poitrine. Dans le même moment, il sentait quelque chose sur lui, dans ses yeux, sur ses lèvres, ou bien dans les muscles faciaux ; il y avait comme une disparition, un noircissement de tout ce qui l’entourait, et tandis que les maisons se posaient sur les arbres, un ou deux chats, peut-être, se sauvant à toute vitesse, bondissaient hors du taillis. Cela ne durait qu’une seconde, puis tout était de nouveau comme avant. […]

Ces périodes étaient tout entières sens ! Elles duraient parfois quelques minutes, parfois elles s’étendaient sur toute une journée, parfois encore elles se prolongeaient en d’autres, semblables, qui pouvaient durer des mois. Pour commencer par ces dernières, parce qu’elles sont les plus simples, […] c’étaient des périodes où il entendait des voix, de la musique, ou bien des souffles, des bourdonnements, des sifflements aussi, des cliquetis, ou encore des coups de feu, de tonnerre, des rires, des appels, des paroles, des murmures. Cela lui venait de partout ; c’était logé dans les cloisons, dans l’air, dans les habits et dans son corps même. Il avait l’impression qu’il portait cela dans son corps tant que cela restait muet ; mais dès que cela éclatait, cela se cachait dans les environs, quoique jamais très loin de lui. Quand il travaillait, les voix protestaient contre lui, le plus souvent avec des mots détachés ou de courtes phrases, elles l’injuriaient, le critiquaient, et quand il pensait à quelque chose, elles l’exprimaient avant qu’il en ait eu le temps, ou disaient malignement le contraire de ce qu’il voulait. Que cela suffît à le faire juger malade, Moosbrugger ne pouvaient qu’en rire ; lui-même ne traitait pas ces voix et ces visions autrement que si ç’avait été des singes. Cela le distrayait de les entendre et de les voir se démener ; c’était incomparablement plus beau que les pensées pesantes et tenaces qu’il avait lui-même, mais quand elles le gênaient trop, il se mettait en colère, finalement c’était assez naturel. [...]

Il lui était arrivé dans sa vie de dire à une fille : "Votre bouche est une rose !" mais tout à coup le mot se défaisait aux coutures, et quelque chose de très pénible se produisait : le visage devenait gris comme la terre que couvre le brouillard, et devant lui, sur une longue tige, une rose se dressait ; affreusement grande alors était la tentation de prendre un couteau, de la couper ou de la frapper pour qu’elle rentrât de nouveau dans le visage. 

Auteur: Musil Robert

Info: Dans "L'homme sans qualités", tome 1, trad. Philippe Jaccottet, éditions du Seuil, 1957, pages 372-375

[ point de vue intérieur ] [ cristallisation signifiante ] [ décompensation psychotique ]

 

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