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confusion

1 Je lis en page quatre de mon quotidien que les campagnes de mesures au-dessus de l'Antarctique ne sont pas bonnes cette année : le trou de la couche d’ozone s’y agrandit dangereusement. En lisant plus avant, je passe des chimistes de la haute atmosphère aux P-DG d’Atochem et de Monsanto, lesquels modifient leurs chaînes de production pour remplacer les innocents chlorofluorocarbones, accusés de crime contre l’écosphère. Quelques paragraphes plus loin, ce sont les chefs d’État des grands pays industrialisés qui se mêlent de chimie, de réfrigérateurs, d’aérosols et de gaz inertes. Mais en bas de la colonne, voici que les météorologues ne sont plus d’accord avec les chimistes et parlent de fluctuations cycliques. Du coup, les industriels ne savent plus que faire. Les têtes couronnées hésitent elles aussi. Faut-il attendre ? Est-il déjà trop tard ? Plus bas, les pays du tiers monde et les écologistes ajoutent leur grain de sel et parlent de traités internationaux, de droit des générations futures, de droit au développement et de moratoires.

2 Le même article mêle ainsi réactions chimiques et réactions politiques. Un même fil attache la plus ésotérique des sciences et la plus basse politique, le ciel le plus lointain et telle usine dans la banlieue de Lyon, le danger le plus global et les prochaines élections, ou le prochain conseil d’administration. Les tailles, les enjeux, les durées, les acteurs ne sont pas comparables et pourtant les voilà engagés dans la même histoire.

3 En page six de mon quotidien, j’apprends que le virus du sida de Paris a contaminé celui du laboratoire du professeur Gallo, que MM. Chirac et Reagan avaient pourtant juré solennellement de ne pas remettre en cause l’historique de cette découverte, que les industries chimiques tardent à mettre sur le marché des médicaments réclamés à hauts cris par des malades organisés en associations militantes, que l’épidémie se répand en Afrique noire. De nouveau, des têtes couronnées, des chimistes, des biologistes, des patients désespérés, des industriels se trouvent engagés dans une même histoire incertaine.

4 En page huit, il s’agit d’ordinateurs et de puces contrôlées par les Japonais, en page neuf d’embryons congelés, en page dix de forêt qui brûle entraînant dans ses colonnes de fumées des espèces rares que certains naturalistes veulent protéger ; en page onze, de baleines munies de colliers auxquels sont accrochées des radios balises ; toujours en page onze, c’est un terril du Nord, symbole de l’exploitation ouvrière, que l’on vient de classer comme réserve écologique à cause de la flore rare qui s’y est développée. En page douze, le pape, les évêques, Roussel-Uclaf, les trompes de Fallope, les fondamentalistes texans s’assemblent autour du même contraceptif en une étrange cohorte. En page quatorze, c’est le nombre de lignes de la télévision haute définition qui rattache M. Delors, Thomson, la CEE, les commissions de standardisation, les Japonais encore, et les producteurs de téléfilms. Changez de quelques lignes le standard de l’écran, et les milliards de francs, les millions de téléviseurs, les milliers d’heures de téléfilms, les centaines d’ingénieurs, les dizaines de P-DG valsent.

5 Heureusement qu’il y a dans le journal quelques pages reposantes où l’on parle de pure politique (une réunion du parti radical), et le supplément des livres où les romans relatent les aventures exaltantes du moi profond (je t’aime, moi non plus). Sans ces pages lisses, on attraperait le tournis. C’est qu’ils se multiplient, ces articles hybrides qui dessinent des imbroglios de science, de politique, d’économie, de droit, de religion, de technique, de fiction. Si la lecture du journal quotidien est la prière de l’homme moderne, alors c’est un homme bien étrange qui prie aujourd’hui en lisant ces affaires embrouillées. Toute la culture et toute la nature s’y trouvent rebrassées chaque jour.

6 Pourtant, nul ne paraît s’en soucier. Les pages Économie, Politique, Sciences, Livres, Culture, Religion, Faits divers se partagent les maquettes comme si de rien n’était. Le plus petit virus du sida vous fait passer du sexe à l’inconscient, à l’Afrique, aux cultures de cellules, à l’ADN, à San Francisco, mais les analystes, les penseurs, les journalistes et les décideurs vous découperont le fin réseau que le virus dessine en petits compartiments propres où l’on ne trouvera que de la science, que de l’économie, que des représentations sociales, que des faits divers, que de la pitié, que du sexe. Pressez le plus innocent aérosol et vous serez dirigés vers l'Antarctique, et de là vers l’université de Californie à Irvine, les chaînes de montage de Lyon, la chimie des gaz inertes, et de là peut-être vers l’ONU, mais ce fil fragile sera rompu en autant de segments qu’il y a de disciplines pures : ne mélangeons pas la connaissance, l’intérêt, la justice, le pouvoir. Ne mélangeons pas le ciel et la terre, le global et le local, l’humain et l’inhumain. "Mais ces imbroglios font le mélange, direz-vous, ils tissent notre monde ?" — "Qu’ils soient comme s’ils n’existaient pas", répondent les analystes. Ils ont tranché le nœud gordien avec un glaive bien affuté. Le timon est rompu : à gauche la connaissance des choses, à droite l’intérêt, le pouvoir et la politique des hommes.

Auteur: Latour Bruno

Info: Nous n'avons jamais été modernes. La prolifération des hybrides. Incipit

[ binarisme simplificateur ] [ infobésité ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

protestantisme

Depuis le mois de mai 1520, des troubles avaient éclaté dans une petite ville de Saxe, au nord de l’Erzgebirge et du pays hussite : Zwickau. Un prêtre, un illuminé, Thomas Münzer, s’appuyant sur les artisans et de préférence sur les drapiers, avait tenté d’établir là un "royaume du Christ" : royaume sans roi, sans magistrat, sans autorité spirituelle ou temporelle, sans loi non plus, ni Église ni culte, et dont les libres sujets, ressortissant directement à l’Écriture, éprouveraient les bienfaits d’un communisme dont le rêve édénique hantait les esprits simples. Le magistrat de Zwickau, effrayé, réagit durement. Des arrestations en masse brisèrent le mouvement. Münzer s’enfuit. Ses lieutenants l’imitèrent. Et le 27 décembre 1521, trois d’entre eux, le foulon Nicolas Storch, Thomas Drechsel et Marcus Thomae dit Strübner, entraient à Wittemberg comme dans un asile sûr. Il y avait trois semaines que Luther, après sa première fugue, avait regagné sa chambre de la Wartbourg.

Sitôt installés dans la ville, les trois apôtres commencèrent à remplir leur mission d’hommes de Dieu, comblés des grâces et des révélations directes de l’Esprit. Bientôt, l’étrangeté de leurs doctrines, leur assurance de visionnaires, le mélange de considération et de dédain avec lequel ils parlaient de Luther, réformateur timoré et tout juste bon à fournir aux vrais prophètes, pour leur saut dans l’absolu, le tremplin d’une doctrine terre à terre — tout cela, et leurs déclamations contre la science génératrice d’inégalité, leurs apologies du travail manuel, leurs excitations à briser les images qui allaient remuer, au fond des âmes populaires, ce vieux legs de croyances et de superstitions, héritées et transmises par les femmes, les guérisseurs, les inspirés et dont nous ne saurons jamais rien de précis — mais nous ne risquons guère d’exagérer ses prises sur les hommes de ce temps : voilà qui conquit, en quelques semaines, aux fugitifs de Zwickau, aux "prophètes Cygnæens", la faveur inquiétante des Wittembergeois. Au premier rang de leurs auditoires Carlstadt, embrasé soudain de la grâce nouvelle, apportait aux illuminés sans diplômes l’appréciable adhésion d’un savant et, comme nous dirions, d’un intellectuel connu et représentatif.

Bientôt les prophètes passèrent aux actes. Se ruant sur les Églises, ils les saccagèrent abominablement. N’était-il point écrit : "Tu ne feras point d’images taillées ?" Le malaise grandissait. Personne ne tentait de s’opposer à Storch et à ses acolytes. Mélanchton ne savait que faire. L’assurance magnifique des nouveaux venus en imposait à ce timide, toujours inquiet de laisser passer à côté de lui, sans le reconnaître à temps pour le saluer, l’Esprit de Dieu... Se tournant vers Luther, il l’appelait : lui seul, dans ce chaos, était capable de voir clair, de remettre en place les choses et les gens. Lui seul, avec sa lucidité de prophète authentique.

Luther n’hésita point. Il partit. Par peur d’être devancé, supplanté dans la faveur du peuple par des rivaux, des concurrents ? Quelle sottise ? Parce que, pour Luther, le devoir était de se rendre où l’appelait Mélanchton et ce troupeau chrétien dont il avait la charge. Parce que sa conviction d’ailleurs lui dictait sa conduite : les prophètes n’étaient point de Dieu ; donc ils étaient du diable ; du moins Satan se servait d’eux contre la vérité ; il les fallait mettre à nu et démasquer. Parce qu’enfin, contre nos hommes que déjà le magistrat de Zwickau avait poursuivis, beaucoup réclamaient des mesures de rigueur ; et cela, non, Luther ne pouvait le souffrir. Ce fut son premier souci : pas de sang, pas de supplices ! Dès le 17 janvier 1522, il écrivait à Spalatin : "Je ne voudrais pas qu’ils fussent emprisonnés, surtout par ceux qui se réclament de nous... Sans verser le sang, sans tirer le glaive, qu’on n’en doute pas : nous éteindrons gentiment ces deux bouts de brandons fumants... Mais toi, veille bien à ce que notre Prince ne souille pas ses mains dans le sang de ces nouveaux Prophètes !" Sa foi dans la Parole lui dictait ces lignes. Mais de cette Parole, précisément, Dieu ne l’avait-il pas fait héraut et exégète ? La dresser comme un mur devant les entreprises sournoises de Satan, n’était-ce pas pour lui une stricte obligation ? Que pesaient, en face, les convenances de l’Électeur, les ménagements vis-à-vis de l’Empire, les prudences politiques ? Le 6 mars, Luther arrivait à Wittemberg. La veille, de Borna, il avait adressé à Frédéric sa lettre fameuse. Trois jours plus tard, le dimanche 9, il montait en chaire. Il prenait la parole. Il la garda huit jours.

Pendant huit jours il prêcha, avec une simplicité, une force, une clarté irrésistibles, une modération singulière aussi, un sens supérieur de la mesure et de l’équité. Hommes, femmes, savants et gens du peuple, tous purent à leur aise rassasier leur appétit d’enthousiasme avec un génie fait, à la fois, pour séduire et dominer. En Luther ils retrouvèrent un héros, leur héros. Et taillé à la bonne mesure physique du héros, du tribun puissant, un peu vulgaire, solide sur ces bases et dont la poitrine sonne au choc des poings fermés. Mais, enfoncés sous la voûte surplombante d’un front bien dégagé, les yeux de Luther lançaient leurs étranges flammes, et dans sa parole passait en vibrations toniques cette allégresse que versent, depuis des siècles, aux hommes brusquement mis sur pied, les cloches bondissantes en haut des beffrois.

Ainsi, en une semaine, les cœurs furent reconquis, les violents même touchés par cette force tranquille. Il avait eu raison de le proclamer : prêchée par lui, la Parole était souveraine. Et puis, comme ailleurs aussi les esprits se troublaient et se laissaient séduire, il partit. On le vit, on l’entendit, on subit sa puissance à Altenbourg, à Borna, à Zwickau même, à Erfurt aussi et à Weimar. Partout le succès, les foules subjuguées, la même démonstration d’une force et d’une modération pleine de maîtrise. L’idéalisme magnifique qui animait Luther, se révélait à tous comme une force unique de conquête et de domination. Chaque voyage valait une victoire.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 150 à 152

[ dérives ] [ modération ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson