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contrastes

Kazan, 6 mai, midi. – Longue marche sur les bords de la Kazanka – qui se jette plus loin dans la Volga. L’esplanade est flambant neuve, qui s’étire sur plusieurs kilomètres, avec jardins d’enfants, terrasses de snacks et de restaurants. Alentour, des propriétés mitoyennes pour parvenus et apparatchiks, bâties dans un style approximatif : mélange de parpaings rouges, de verre et de béton. De l’autre côté de la berge se dressent des buildings, évidemment à perte de vue.
En ville, place de la Liberté, trône une gigantesque statue du guide du coup d’Etat d’Octobre, tête haute, majestueux dans son long manteau de prophète du malheur. Face à lui, de l’autre côté de la place, s’élève l’Opéra, surmonté d’une sculpture de Terpsichore, la main droite appuyée sur une harpe, la gauche brandissant une couronne de lauriers ; on dirait qu’elle nargue Lénine. Assurément, sa statue survivra à la sienne.
Sur l’allée évasée bordant la large rivière, des haut-parleurs hissés sur des mâts crachent la chanson interchangeable d’un crooner américain probablement méconnu chez lui. Tout comme la musique, l’architecture ne ressemble à rien : des pâtés de béton et de verre que défient des pâtes staliniens, raillés à leur tour par de vieilles viennoiseries. Ce qui se bâtit aujourd’hui est une mixtion de clinquant monumental et de Legoland.

Auteur: Pajak Frédéric

Info: Dans "Manifeste incertain", volume 7, pages 66-67

[ urbanisme ] [ strates ] [ décor ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

progrès

Les technologies qui eurent les effets les plus profonds sur la vie humaine sont généralement simples. Un bon exemple d'une technologie simple avec des conséquences historiques profondes est le foin. Personne ne sait qui a inventé le foin, cette idée de couper l'herbe en automne et de la stocker en assez grande quantité pour maintenir vivants les chevaux et les vaches pendant l'hiver. Tout que nous savons est que la technologie du foin était inconnue pendant l'empire romain mais était utilisée dans chaque village de l'Europe médiévale. Comme beaucoup d'autres technologies crucialement importantes, le foin a émergé de manière anonyme pendant les prétendus âges sombres. Selon la théorie du "Foin dans l'Histoire", son invention fut l'événement décisif qui déplaça le centre de gravité de la civilisation urbaine du bassin méditerranéen vers Europe du nord et de l'ouest. L'empire romain n'avait pas besoin de foin parce que dans le climat méditerranéen l'herbe se développe suffisamment en hiver pour que les animaux se nourrissent. Au nord des Alpes, les grandes villes qui dépendaient des chevaux et des boeufs pour la puissance motrice ne pourraient pas exister sans foin. Ainsi c'est le foin qui a permis à ces populations de se développer et à ces civilisations de s'épanouir au milieu des forêts de l'Europe nordique. Le foin a déplacé la grandeur de Rome vers Paris et Londres, et, un peu plus tard vers Berlin, Moscou et New York.

Auteur: Dyson Freeman

Info: Infinite in All Directions, p. 135, Harper and Row, 1988

[ historique ] [ civilisation ] [ agriculture ] [ granges ]

 

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cité imaginaire

De tous les changements de langue que doit affronter celui qui voyage dans des terres lointaines, aucun n’égale celui qui l’attend dans la ville d’Ipazie, parce qu’il ne touche pas aux mots mais aux choses. J’entrai à Ipazie un matin, un jardin de magnolias se reflétait dans une lagune bleue, moi-même j’avançais entre les haies assuré de découvrir de belles et jeunes dames au bain : mais au fond de l’eau, les crabes mangeaient les yeux des suicidées la pierre au cou et les cheveux verdis par les algues.

Je me sentis frustré et je voulus en appeler à la justice du sultan. Je montai les escaliers de porphyre du palais, celui dont les coupoles étaient les plus hautes, je traversai six cours de faïence avec des jets d’eau. La salle du milieu était fermée par des grilles : des forçats avec aux pieds des chaînes noires remontaient des rochers de basalte d’une carrière souterraine.

Il ne me restait plus qu’à interroger les philosophes. J’entrai dans la grande bibliothèque, je me perdis entre les rayons croulant sous les reliures en parchemin, je suivis l’ordre alphabétique d’alphabets disparus, montant et descendant à travers des couloirs par des escaliers et des passerelles. Dans le cabinet des papyrus le plus reculé, à travers un nuage de fumée, m’apparurent les yeux hébétés d’un adolescent étendu sur une natte, qui ne décollait pas les lèvres d’une pipe d’opium.

— Où est le sage ?

Le fumeur m’indiqua la fenêtre. Il y avait un jardin avec des jeux pour les enfants : les quilles, la balançoire, la toupie. Le philosophe était assis sur la pelouse. Il dit :

— Les signes forment une langue, mais pas celle que tu crois connaître.

Je compris que je devais me libérer des images qui jusqu’ici avaient annoncé les choses que je cherchais : seulement alors je réussirais à comprendre le langage d’Ipazie.

À présent il suffit que j’entende le hennissement des chevaux et le claquement des fouets pour que me prenne un tremblement amoureux : à Ipazie, tu dois entrer dans les écuries et les manèges pour voir les belles femmes qui montent en selle, cuisses nues, des jambières sur les mollets, et un jeune étranger s’approche-t-il qu’elles le renversent dans le foin ou la sciure et le pressent ferme contre leur téton.

Et lorsque mon âme ne demande d’autre nourriture et stimulant que la musique, je sais qu’il faut la chercher dans les cimetières : les musiciens se dissimulent dans les tombes ; d’une fosse à l’autre se répondent trilles de flûte et accords de harpe.

Il est certain qu’à Ipazie aussi viendra le jour où mon seul désir sera de repartir. Je sais que je ne devrai pas descendre au port mais gravir le clocheton le plus élevé de la forteresse et attendre qu’un navire passe là-haut. Mais passera-t-il jamais ? Il n’est pas de langage sans pièges.

Auteur: Calvino Italo

Info: Villes invisibles

[ sémiotique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

enfant gâté

Mme d'Estourmel, âgée de cinquante-sept ans, avait un fils unique de cinq ans. Cet Isaac de cette moderne Sara était l'enfant le plus gâté et le plus insoutenable que j'aie jamais rencontré. On lui permettait tout, on ne lui refusait rien, il était le maître absolu du salon et du château.
J'arrivai au Frétoy deux heures après le dîner; il y avait beaucoup de monde de Paris. J'avais un chapeau de villageoise, comme on disait alors ; il était neuf, tout couvert de fleurs charmantes, et attaché sur l'oreille gauche avec beaucoup d'épingles. A peine étais je assise, que le terrible enfant du château vint m'arracher des mains un superbe éventail et le mît en pièces. Mme d'Estourmel fit une petite réprimande à son fils, non pas d'avoir brisé mon éventail, mais de ne pas me l'avoir demandé poliment.
Un instant après, l'enfant alla confier à sa mère qu'il avait envie de mon chapeau, et Eh bien, mon fils, répondit gravement madame d'Estourmel, allez le demander bien honnêtement. " Il accourut aussitôt vers moi en disant : et Je veux votre chapeau. " On le reprit d'avoir dit je veux ; c'est ce que sa mère appelait ne lui rien passer. Elle lui dicta sa formule de demande : et Madame, voulez-vous bien avoir la bonté de me prêter votre chapeau ? " Tout ce qui était dans le salon se récria sur cette fantaisie : la mère et l'enfant y persistèrent; M. de Genlis s'en moqua un peu aigrement. Je vis que Mme d'Estourmel allait se fâcher ; alors je me levai, et, sacrifiant généreusement mon joli chapeau, j'allai prier Mme d'Estourmel de me le détacher, ce qu'elle fit avec empressement, car l'enfant s'impatientait violemment. Mme d'Estourmel m'embrassa, loua beaucoup ma douceur, ma complaisance et mes beaux cheveux.
Elle soutint que j'étais cent fois mieux sans chapeau, quoique je fusse tout ébouriffée, et que j'eusse une figure très ridicule, avec une grande parure et celte coiffure en désordre. Mon chapeau fut livré à l'enfant, sous la condition de ne pas le gâter. Mais en moins de dix minutes, le chapeau fut déchiré, écrasé, et hors d'état d'être jamais porté. J'eus grand soin, les jours suivants, de me coiffer en cheveux, sans chapeau et sans fleurs. Mais, par malheur, cet enfant gâté était reconnaissant; il s'attacha à moi avec une passion démesurée et ne voulut plus me quitter. Dès que j'étais dans le salon, il s'établissait sur mes genoux : il était fort gras et fort lourd ; il m'assommait, chiffonnait mes robes, et même les déchirait en posant sur moi des quantités de joujoux. Je ne pouvais ni parler à qui que ce fût ni entendre un mot de la conversation, et il m'était impossible de m'en débarrasser, même pour jouer aux cartes. Dans tous mes petits voyages je portais toujours ma harpe : on voulut m'entendre; il n'y eut pas moyen, tandis que je jouais, d'empêcher l'enfant (qui se tenait debout près de la harpe) de jouer aussi avec les cordes de la basse, ce qui formait un accompagnement peu agréable. Lorsque j'eus fini, on vint prendre ma harpe pour l'emporter : l'enfant s'y opposa en faisant des cris terribles. La harpe resta ; il en joua à sa manière, il égratigna les cordes, en cassa plusieurs, et dérangea totalement l'accord. Quand on représentait à Mme d'Estourmel que cet enfant devait m'importuner beaucoup, elle me demandait si cela était vrai, et elle prenait au pied de la lettre la politesse de ma réponse, en ajoutant qu'à mon âge on était charmé d'avoir un prétexte des amuser d'une manière enfantine, et que je formais avec son fils un tableau délicieux. Au vrai, cet enfant ne m'était pas aussi désagréable que tout le monde le croyait, non que j'aimasse ses jeux, mais sa personne m'intéressait et me divertissait.
Il était joli, caressant, original, et il n'avait rien de méchant. Avec une éducation passable, on en aurait facilement fait un enfant charmant. Sa pauvre mère a bien payé la folie de cette mauvaise éducation : l'année d'ensuite, l'enfant, pour la première fois de sa vie, eut un peu de fièvre ; il refusa toute boisson, et demanda avec fureur les aliments les plus malsains. Une légère indisposition devint une maladie sérieuse, et bientôt, mortelle, parce qu'il fut impossible de lui faire prendre une seule drogue, et que toutes les tentatives en ce genre lui causaient des accès de colère qui allaient jusqu'aux convulsions. Il mourut à six ans, et il était naturellement très robuste et parfaitement bien constitué.

Auteur: Genlis Madame de

Info: Mémoires

[ mort ] [ anecdote ]

 

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sociologie

La tyrannie de l’apparence
A l’école, à la fac, au travail… Avant même nos compétences, c’est notre physique qui est jugé. Une dictature du beau dénoncée, preuves à l’appui, par le sociologue Jean-François Amadieu.
Depuis l’Antiquité grecque, nous sommes victimes et vecteurs du même présupposé : ce qui est beau est bon. Aujourd’hui encore, tout le monde le pressent et personne ne veut y croire : notre vie tout entière est soumise à la tyrannie des apparences.
Pour la première fois en France, un livre, Le Poids des apparences (Odile Jacob, 2002), en apporte la démonstration. Professeur de sociologie, Jean-François Amadieu a recensé trente ans d’études américaines et européennes sur le sujet et en tire une conclusion effarante : toute notre vie, dans tous les domaines, en amour comme au travail, notre apparence conditionnera nos relations aux autres.
Poussant son analyse, le sociologue démontre combien la beauté est un formidable outil de discrimination sociale que les élites imposent aux classes les plus basses. Dans le monde entier, les canons de la beauté ne sont-ils pas ceux des Blancs américains diffusés par la télévision et le cinéma : blondeur, minceur, jeunesse. Que l’on s’y résolve ou que l’on se révolte, nous n’en sommes pas moins, dès la naissance, soumis à la première des injustices : celle des apparences.
Au berceau déjà
Les regards qui se portent sur le nourrisson dans son berceau ne sont pas neutres. Un bébé beau attirera force sourires et risettes alors qu’un enfant moins séduisant créera une certaine gêne chez les adultes. Même infime – oreilles décollées, tache de naissance, dissymétrie des traits –, la différence physique sera vécue par les parents comme un handicap futur. Et suscitera des comportements différents à l’égard du nourrisson.
" On ne peut pas dire qu’une mère ou un père préfèrera un enfant plus beau que ses frères et sœurs, explique Jean-François Amadieu. En revanche, les études ont prouvé que les activités seront différentes selon que l’enfant est beau ou laid. Par exemple, une mère jouera beaucoup avec son nourrisson s’il est beau, tandis qu’elle focalisera sur les apprentissages s’il est disgracieux. Et parce qu’elle sait qu’il risque de se heurter, plus tard, aux regards des autres, elle s’en occupera plus. Il est d’ailleurs prouvé que ces enfants réussiront mieux à l’école que la moyenne. On peut ici parler d’un effet de compensation à la laideur."
A l’école du favoritisme
A la maternelle déjà, les enfants beaux sont privilégiés. Les enseignants ont une meilleure opinion d’eux, leur accordent davantage d’attention, les évaluent plus chaleureusement - in Modèles du corps et psychologie esthétique de Jean Maisonneuve et Marilou Bruchon-Schweitzer (PUF, 1981). Cette bienveillance engendre une confiance chez l’enfant qui l’accompagnera toute sa vie. D’autant qu’elle va mettre en place une dynamique du succès qui se poursuivra à l’âge adulte. Ensuite, au collège et au lycée, une note peut varier de 20 à 40 % selon la beauté de l’élève. Les études prouvent qu’une étudiante laide mais de bon niveau est peu défavorisée par rapport à une étudiante belle de même niveau. En revanche, si la plus jolie est mauvaise élève, ses notes seront nettement surévaluées par les examinateurs, expliquent Jean Maisonneuve et Marilou Bruchon-Schweitzer dans Le Corps et la Beauté (PUF, 1999).
"Beaucoup plus que l’enfant beau, l’enfant laid est jugé responsable de ses échecs scolaires autant que de ses fautes, remarque Jean-François Amadieu. D’abord par les instituteurs, puis par les professeurs et enfin par les recruteurs. La beauté est un statut qui vaut diplôme : elle enrichit, comme la laideur altère, nos compétences."
La tête de l’emploi
Diplôme en poche, vous pensiez être délivré de la dictature des apparences ? Erreur. "Une apparence avenante est cruciale au moment de l’embauche, mais également pour une bonne intégration au sein de l’entreprise, explique Jean-François Amadieu. Elle permet une meilleure évaluation des performances et favorise un bon déroulement de carrière." Le candidat sera jugé d’abord sur des critères extérieurs : soin apporté à sa personne, poids, beauté physique, etc. 50 % des employeurs jugent qu’un physique séduisant est un critère important de recrutement (Multicity Study of Urban Inequality de H. Holzer, Michigan State University, 1993). Les critères négatifs : poids excessif, petite taille, nez trop long, grandes oreilles, visage disgracieux, mains moites…
"Les beaux sont jugés plus intelligents, plus ambitieux, plus chaleureux, plus sociables, plus équilibrés et moins agressifs", assure encore le sociologue. Ainsi, de nombreux spécialistes du recrutement estiment, consciemment ou pas, qu’une personnalité équilibrée se voit. Pire, les études prouvent qu’à diplôme équivalent un candidat au physique peu avenant sera recruté à un salaire moindre. Une situation qui n’ira pas en se résorbant : une étude anglaise, conduite sur onze mille salariés britanniques (Beauty, Statute and the Labour Market de B. Harper, 2000), prouve que si les plus beaux gagnent un peu plus que la moyenne nationale, les plus laids perçoivent des salaires de 11 à 15 % inférieurs.
"La beauté permet non seulement d’échapper au chômage, mais en plus elle se transforme en prime salariale, résume Jean-François Amadieu. La beauté est un capital humain que le marché du travail reconnaît financièrement." Ainsi démontrée, la dictature que nous imposent les apparences, comme la tyrannie médiatique et sociale que nous subissons, nous apparaissent dans ce qu’elles ont de fondamentalement injustes. "Bien sûr, nous préférerions que ce soient les mérites de chacun qui déterminent l’obtention des diplômes, l’accès aux emplois, etc., plutôt qu’un critère arbitraire et primitif, admet Jean-François Amadieu. Mais c’est en disant la vérité sur cette discrimination qu’on peut élaborer des stratégies visant à limiter, sinon contrer, l’emprise des apparences. Bien connue et bien utilisée par tous, elle peut aussi permettre de bousculer l’ordre imposé."
Des chercheurs américains (Physical Attractivities and Evaluation of Children’s Transgressions de K. K. Dion, 1972) ont demandé à des adultes de juger des enfants de 7 ans accusés d’avoir blessé un camarade avec une boule de neige. Dans un premier temps, les personnes interrogées se sont montrées beaucoup plus tolérantes envers les enfants les plus beaux : la faute était jugée plus légèrement lorsque le fautif était séduisant. Dans un second temps, elles se sont dit convaincues que les enfants beaux récidiveraient moins que les autres. Commentaires du sociologue Jean-François Amadieu : "Non seulement le “laid” est jugé plus responsable de sa faute que le “beau”, mais, de surcroît, cette faute apparaissant comme inscrite dans sa nature profonde, elle est susceptible d’être répétée."

Auteur: Gelly Violaine

Info:

[ inégalités ] [ injustice ] [ allure ]

 

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