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fin de vie

Une nouvelle étude révèle que les survivants rapportent des "expériences de mort imminente" lucides

Chez certains patients ayant subi un arrêt cardiaque, une activité cérébrale intense pendant la réanimation cardio-pulmonaire peut être le signe d'une "expérience de mort imminente".

Que se passe-t-il lorsque nous mourons réellement, c'est-à-dire lorsque notre cœur s'arrête et que l'activité électrique de notre cerveau se stabilise ?

L'homme se pose cette question depuis des temps immémoriaux. C'est une question difficile, car les morts ne nous répondent généralement pas sur la nature de leurs expériences. Les textes religieux sont capables de fournir une multitude d'explications. Mais les scientifiques n'ont pas renoncé à apporter leurs propres réponses et ils progressent dans la compréhension du processus cérébral de transition entre la vie et la mort.

Tout récemment, ces progrès ont été rendus possibles grâce à des recherches qui ont permis d'observer le cerveau de personnes qui se trouvaient au seuil de la mort. Certaines de ces personnes ont été en mesure de raconter ce qu'elles ont vécu. Selon des résultats publiés le 14 septembre dans la revue Resuscitation, le cerveau de certains patients ayant subi un arrêt cardiaque s'est mis à fonctionner à plein régime pendant la réanimation cardio-pulmonaire, même si leur cœur s'est arrêté de battre pendant près d'une heure. Un petit groupe de participants à l'étude qui ont survécu ont pu se souvenir de l'expérience, et une personne a pu identifier un stimulus audio diffusé pendant que les médecins tentaient de la réanimer.

Les chercheurs interprètent les enregistrements cérébraux qu'ils ont effectués sur ces patients comme des marqueurs d'"expériences lucides de la mort" - une observation qui "n'avait jamais été possible auparavant", déclare l'auteur principal, Sam Parnia, professeur agrégé de médecine à la NYU Langone Health et chercheur de longue date sur ce qui arrive aux gens lorsqu'ils meurent. "Nous avons également été en mesure d'avancer une explication cohérente et mécaniste pour expliquer ce phénomène.

Les "expériences de mort remémorées" - terme que Parnia préfère à celui d'"expériences de mort imminente" pour des raisons de précision - ont été rapportées dans diverses cultures tout au long de l'histoire. Certains scientifiques occidentaux ont rejeté ces récits en les qualifiant d'hallucinations ou de rêves, mais récemment, quelques équipes de recherche ont commencé à accorder une attention plus sérieuse à ces phénomènes en les considérant comme un moyen d'étudier la conscience et de faire la lumière sur les mystères de la mort.

Dans cette nouvelle étude, Parnia et ses collègues ont cherché à trouver une signature biologique des expériences de mort dont on se souvient. Ils ont collaboré avec 25 hôpitaux, principalement aux États-Unis et au Royaume-Uni. Le personnel médical a utilisé des appareils portables pouvant être placés sur la tête des patients en situation d'urgence cardiaque afin de mesurer les niveaux d'oxygène et l'activité électrique de leur cerveau sans interférer avec leur traitement médical. Les chercheurs ont également testé les perceptions conscientes et inconscientes en plaçant des écouteurs sur les patients qui diffusaient un enregistrement répété des noms de trois fruits : banane, poire et pomme. En termes d'apprentissage inconscient, une personne qui ne se souvient pas d'avoir entendu ces noms de fruits mais à qui l'on demande de "penser à trois fruits au hasard" peut tout de même donner la bonne réponse, explique Mme Parnia. Des recherches antérieures ont montré, par exemple, que même des personnes plongées dans un coma profond peuvent apprendre inconsciemment le nom de fruits ou de villes si ces mots leur sont chuchotés à l'oreille.

Entre mai 2017 et mars 2020, 567 personnes ont subi un arrêt cardiaque dans les hôpitaux participants. Le personnel médical a réussi à recueillir des données exploitables sur l'oxygène et l'activité cérébrale de 53 de ces patients, dont la plupart présentaient un état électrique plat sur les moniteurs cérébraux électroencéphalographiques (EEG). Mais environ 40 % d'entre eux ont ensuite connu une activité électrique qui a réapparu à un moment donné avec des ondes cérébrales normales ou proches de la normale, compatibles avec la conscience. Cette activité a parfois été rétablie jusqu'à 60 minutes après la RCP (CPR*).

Sur les 567 patients, seuls 53 ont survécu. Les chercheurs ont interrogé 28 des survivants. Ils ont également interrogé 126 personnes de la communauté qui avaient subi un arrêt cardiaque, car l'échantillon de survivants de la nouvelle étude était très réduit. Près de 40 % d'entre eux ont déclaré avoir perçu l'événement sans en avoir de souvenirs précis, et 20 % ont semblé se souvenir de la mort. Dans ce dernier groupe, beaucoup ont décrit l'événement comme une "évaluation morale" de "leur vie entière et de la manière dont ils se sont comportés", explique Mme Parnia.

Lors des entretiens avec les survivants, les chercheurs ont constaté qu'une seule personne était capable de se souvenir des noms des fruits qui avaient été joués pendant la réanimation cardio-pulmonaire. M. Parnia reconnaît que cette personne aurait pu deviner les bons fruits par hasard.

Lui et ses collègues ont élaboré une hypothèse de travail pour expliquer leurs résultats. Normalement, le cerveau dispose de "systèmes de freinage" qui filtrent la plupart des éléments de la fonction cérébrale hors de notre expérience de la conscience. Cela permet aux gens d'agir efficacement dans le monde, car dans des circonstances normales, "vous ne pourriez pas fonctionner en ayant accès à toute l'activité de votre cerveau dans le domaine de la conscience", explique-t-il.

Dans le cerveau mourant, cependant, les chercheurs supposent que le système de freinage est supprimé. Les parties normalement dormantes deviennent actives et le mourant a accès à l'ensemble de sa conscience - "toutes ses pensées, tous ses souvenirs, tout ce qui a été stocké auparavant", explique M. Parnia. "Nous ne connaissons pas les avantages évolutifs de cette méthode, mais elle semble préparer les gens à passer de la vie à la mort.

Ces résultats soulèvent également des questions sur la résistance du cerveau au manque d'oxygène. Il se pourrait, selon Mme Parnia, que certaines personnes que l'on considère traditionnellement comme irrécupérables puissent en fait être ramenées à la vie. "Les médecins pensent généralement que le cerveau meurt lorsqu'il est privé d'oxygène pendant cinq à dix minutes", explique-t-il. "Nous avons pu montrer que le cerveau est assez robuste en termes de capacité à résister à la privation d'oxygène pendant des périodes prolongées, ce qui ouvre de nouvelles voies pour trouver des traitements pour les lésions cérébrales à l'avenir.

La nouvelle étude "représente un effort herculéen pour comprendre aussi objectivement que possible la nature de la fonction cérébrale telle qu'elle peut s'appliquer à la conscience et aux expériences de mort imminente pendant un arrêt cardiaque", déclare Lakhmir Chawla, médecin de l'unité de soins intensifs au Jennifer Moreno Department of Veterans Affairs Medical Center à San Diego (Californie), qui n'a pas participé à la recherche mais a publié des articles sur les pics d'activité EEG au moment de la mort chez certains patients.

Si les résultats obtenus par Parnia et ses collègues sont "frappants" d'un point de vue scientifique, "je pense que nous devrions permettre à ces données d'éclairer notre humanité", ajoute-t-il. D'une part, ces résultats devraient "obliger les cliniciens à traiter les patients qui reçoivent une RCP (CPR*) comme s'ils étaient éveillés", ce que "nous faisons rarement".

Et pour les personnes qui semblent ne plus pouvoir être sauvées, les médecins pourraient inviter leur famille à venir leur dire au revoir, "car le patient est peut-être encore capable de les entendre", ajoute M. Chawla.

Auteur: Internet

Info: https://www.scientificamerican.com/, Rachel Nuwer on September 14, 2023 *Réanimation cardio-pulmonaire La réanimation cardio-pulmonaire consiste à effectuer des compressions thoraciques et des respirations de secours pour maintenir la circulation de l'oxygène dans le corps.

[ e.m.i ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

éloge de l'indiscipline

La question de la désobéissance est au cœur de l’attentat contre le Bataclan. La tuerie a été stoppée par un commissaire de la brigade anticriminalité (BAC) qui a enfreint les consignes. À l’inverse, huit soldats de la force Sentinelle y assistaient les bras ballants, comme on le leur avait ordonné. Ces sujets très sensibles sont abordés dans le documentaire Les Ombres du Bataclan, de Francis Gillery (en ligne sur arte.tv), et dans le livre Le Procès, de Georges Fenech (Éditions du Rocher), d’après les rapports de la commission d’enquête parlementaire.

Quatre-vingt-dix morts, c’est déjà suffisamment monstrueux. Mais le bilan aurait été bien plus lourd sans l’action d’un homme qui a enfreint le protocole. Cet homme, appelons-le commis­saire X, vu qu’il a toujours tenu à garder l’anonymat. En novembre 2015, il fait partie de la brigade anticriminalité (BAC), et patrouille dans le 17e arrondissement de Paris lorsqu’il apprend, par sa radio de bord, l’attentat au Stade de France. Ni une ni deux, il décide de s’y rendre. Il est alors 21 h 25. Quelques minutes plus tard, ce sont les tirs sur les terrasses dans le 11e. Aussitôt, changement de direction. Puis c’est le Bataclan : le commissaire X y parvient à 21 h 54. Devant l’établissement, il trouve des militaires de la force Sentinelle, qui étaient là par hasard. À l’intérieur, ça tire. Il demande aux soldats d’intervenir : leur hiérarchie refuse. Il leur demande alors de lui filer leurs armes : ils leur répondent qu’ils n’ont pas le droit de s’en séparer.

Le protocole aurait exigé que le commissaire X attende sagement l’arrivée des forces d’élite. Mais ce n’est pas son choix. Il appelle sa femme pour lui dire adieu, persuadé qu’il n’en sortira pas vivant, et décide, sans demander l’autorisation de sa hiérarchie, d’entrer avec son équipier dans la salle de concert. Il abat un terroriste, ce qui contraint les deux autres à se replier à l’étage. Dès lors, il n’y aura plus aucun tir sur les spectateurs. On peut affirmer que le commissaire X a mis fin au massacre. Il faudra attendre plus de vingt minutes – durant lesquelles les terroristes n’auraient pas cessé de tirer – pour que la brigade de recherche et d’intervention (BRI) arrive au Bataclan, à 22 h 20 précisément.

Aujourd’hui, le commissaire X est célébré, à juste titre, comme un héros. Mais, selon la rigide logique hiérarchique, il pourrait être sanctionné, puisqu’il a délibérément contrevenu aux consignes. Le livre de Georges Fenech rapporte son témoignage devant la commission d’enquête parlementaire sur les attentats : "Humainement, compte tenu de ce qui se passait, on sentait bien qu’ils étaient en train d’achever les otages, on ne pouvait pas rester à l’extérieur. Un des fonctionnaires a proposé d’attendre la BRI. J’ai répondu non."

L’attitude du commissaire X est à opposer à celle des soldats de la force Sentinelle. Car il y avait non pas un ou deux, mais huit – oui, huit ! – militaires équipés de fusils d’assaut devant le Bataclan. Quand les policiers demandent à la préfecture l’autorisation de les faire intervenir, on leur répond : "Négatif, vous n’engagez pas les militaires, on n’est pas en zone de guerre." Alors, à quoi servent ces guignols en treillis ? S’ils voient une femme en train d’être violée, ils restent les bras ballants tant qu’ils ne reçoivent pas l’ordre d’intervenir ?

On a également dit qu’ils n’étaient pas formés pour ce genre d’intervention. Sans doute. Mais avec un tel raisonnement, le commissaire X ne serait jamais entré dans le Bataclan. La commis­sion d’enquête parlementaire a auditionné le général Bruno Le Ray, alors gouverneur militaire de ­Paris. Sa justification de la passivité des soldats est telle­ment hallucinante que ça vaut le coup d’en citer de larges extraits : "On n’entre pas dans une bouteille d’encre, c’est-à-dire sans savoir où l’on va, ce que l’on va faire et contre qui […] en mon âme et conscience, je n’aurais donc pas donné l’ordre à mes soldats de pénétrer dans le bâtiment sans un plan d’action prédéfini […] il est impensable de mettre des soldats en danger dans l’espoir hypothétique de sauver d’autres hommes […] ils n’ont pas vocation à se jeter dans la gueule du loup s’ils ne sont pas assurés de disposer de chances raisonnables d’accomplir leur mission."

Je pensais naïvement que les militaires étaient entraînés pour faire face à n’importe quelle situation d’urgence. Je ­découvre que non, bien au contraire. Qu’ils ne donnent ­l’assaut qu’après mûre et patiente analyse de la situation, et qu’à la condition d’être certains de ne prendre aucun risque et de réussir, cela quand bien même des gens se font canarder à quelques mètres d’eux ! Georges Fenech, lui non plus, n’en ­revient toujours pas, et n’hésite pas à écrire que "cette passivité confine à de la non-assistance à personne en danger".

Justement, c’est le coeur du sujet. Quand vous êtes huit militaires lourdement armés et que des gens se font tuer à deux pas, n’est-ce pas de la non-assistance à personne en danger que de rester passif (de surcroît en laissant de simples policiers munis de leur flingue de service aller au feu) ? Il y a les ordres, certes. Mais, dans certains cas, on a non seulement le droit, mais le devoir d’y désobéir. L’article D. ­4122–3 du Code de la défense stipule que le militaire "ne doit pas exécuter un ordre prescrivant d’accomplir un acte manifestement illégal". Ce texte a été rédigé pour éviter (ou du moins limiter) la torture ou les massacres de civils. Mais si l’ordre contrevient à l’obligation de porter secours, est-il lui aussi "manifestement illégal" ? En droit pénal, cette obligation de désobéissance porte un nom : la "théorie de la baïonnette intelligente". Un concept qui semble totalement échapper au général Bruno Le Ray.

"Ils étaient en train d’achever les otages, on ne pouvait pas rester à l’extérieur."

Il y en a d’autres qui n’ont pas attendu les ordres. Ce sont les hommes du Raid. Cette unité était alors dirigée par Jean-Michel Fauvergue : "J’étais en train de dîner avec mes hommes quand j’ai appris l’attentat. J’ai alors décidé de me rendre aussitôt, de ma propre initiative, au Bataclan. Mais je n’ai jamais été appelé officiellement." Jean-Michel Fauvergue aurait eu le temps d’avaler dessert et digestif s’il avait attendu l’ordre de sa hiérarchie. Pourquoi le Raid – unité a priori la plus compé­tente dans ce genre de situation – n’a-t-il pas été mobilisé ? Cela reste, encore aujourd’hui, un mystère. Bizarrement, le préfet de police, Michel Cadot, a décidé de confier les rênes de l’opération à la BRI, dont Georges Fenech dit qu’elle est "habituellement compétente pour neutraliser des forcenés ou des preneurs d’otages classiques". Le Raid aurait-il été plus rapide que la BRI s’il avait dirigé les opérations – sachant que plus de deux heures se sont écoulées entre l’arrivée de cette dernière et l’assaut final ? Impossible de répondre, mais, pour Jean-Michel Fauvergue, il est indéniable que "quelque chose ne va pas lorsqu’un groupe spécialisé de compétence nationale se met à la disposition d’un groupe non spécialisé de compétence locale". En tout cas, ce 13 novembre, il assume totalement de ne pas avoir attendu la bénédiction de sa hiérarchie pour intervenir : "Dans ma carrière, il m’est arrivé plein de fois de prendre des initiatives sans attendre les ordres."

Autre problème, encore lié à cette histoire d’obéissance. Dans le documentaire de Francis Gillery, on apprend l’existence d’une brigade d’intervention (BI), à ne pas confondre avec la BRI. La BI était une brigade peu médiatisée, mais d’élite, elle aussi (elle a notamment participé à l’assaut contre l’Hyper Cacher), aujourd’hui intégrée à la BRI. Le 13 novembre, six de ses membres reviennent d’un entraînement à la tour Eiffel, lorsqu’ils ont connaissance de l’attentat au Stade de France. Ils filent illico à leur QG, s’équipent et attendent les ordres, prêts à foncer. Il est environ 21 h 30. Mais c’est la consternation : la hiérarchie leur dit non, vous n’y allez pas. Alors qu’ils sont à cinq minutes des terrasses du 11e arrondissement, on leur ordonne de se rendre au 36, quai des Orfèvres, d’attendre que la BRI s’équipe, puis de s’intégrer à celle-ci. Ce qui les fait arriver au Bataclan vers 22 h 40. Alors qu’ils auraient pu y être au moins quarante-cinq minutes plus tôt, et peut-être même avant le commissaire X ! Un retard incompréhensible, quand chaque minute représente des dizaines de victimes supplémentaires. Dans Les Ombres du Bataclan, un ancien membre de la BI exprime ses regrets d’avoir obéi : "Le commandant qui a appelé pour demander l’autorisation de se rendre sur place, je pense qu’il regrette, non pas d’avoir appelé, mais d’avoir demandé l’autorisation, il aurait dû appeler pour dire on y va. Point."

Depuis, les règles ont changé : dans le même genre de situation, les soldats de la force Sentinelle pourraient intervenir, et l’unité d’élite la plus proche des lieux serait autorisée à conduire les opérations. On peut aussi tirer de cette tragédie une leçon de philosophie : ceux qui font évoluer les règles ne sont pas tant ceux qui les respectent que ceux qui les transgressent, comme l’héroïque commissaire X.

Auteur: Fischetti Antonio

Info: Charlie Hebdo, sept 2021

[ absurde administration ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

littérature

Les 19 lois du bon polar, selon Borges.

Le grand écrivain argentin s'était amusé à codifier la narration policière. En partenariat avec le magazine BoOks.

Dans son article "Lois de la narration policière" (1), de 1933, Jorge Luis Borges propose quelques règles élémentaires, ou "commandements", pour le récit policier classique. Ces conventions, comme il le remarque avec esprit, "ne visent pas à éluder les difficultés, mais plutôt à les imposer". Borges énonce explicitement les six règles suivantes:

1 : Une limite facultative de ses personnages

Les personnages doivent être peu nombreux et bien définis, de façon que lecteur puisse les connaître et les distinguer. "La téméraire infraction à cette loi est responsable de la confusion et de l'ennui fastidieux de tous les films policiers."

2 : Exposition de toutes les données du problème

On doit mettre toutes les cartes sur la table, sans as sortis de la manche à la dernière minute. À partir d'un certain point, le lecteur devra disposer de toutes les pistes nécessaires pour trouver lui-même la solution. "L'infraction répétée de cette deuxième loi est le défaut préféré de Conan Doyle. Il s'agit parfois de quelques imperceptibles particules de cendre, ramassées dans le dos du lecteur par ce privilégié d'Holmes. Parfois l'escamotage est plus grave. Il s'agit du coupable, terriblement démasqué au dernier moment, qui s'avère être un inconnu : une insipide et maladroite interpolation."

3 : Avare économie de moyens

Qu'un personnage se dédouble, on peut l'admettre, dit Borges. Mais que deux individus en contrefassent un troisième pour lui conférer un don d'ubiquité "court le risque incontestable de paraître une surcharge". La solution doit être la plus claire et nette possible, sans lourdeurs techniques, artifices improbables ou déploiements accablants de mouvements et de détails. La solution doit aussi pouvoir se déduire des ressources déjà mises en jeu, comme réorganisation des éléments connus.

4 : Primauté du comment sur le qui

Le véritable mystère d'un bon whodunit(2) n'est pas le nom de celui qui a commis le crime, mais ce que sera le nouvel ordre logique, plus subtil, la vérité souterraine qui éclaire le récit d'un nouveau jour.

5 : Pudeur de la mort

À la différence des thrillers du cinéma contemporain, où l'imagination cherche à concevoir des crimes de plus en plus sanglants et des cadavres de plus en plus choquants, dans le récit policier classique, la mort est comme une ouverture au jeu d'échecs et n'a pas en soi beaucoup d'importance. "Les pompes de la mort n'ont pas leur place dans la narration policière dont les muses glaciales sont l'hygiène, l'imposture et l'ordre", écrit Borges.

On trouve une transgression exemplaire de cette loi dans "le Noël d'Hercule Poirot"(3), d'Agatha Christie. Ce roman, comme on le comprend dans la dédicace, est conçu comme un défi, son beau-frère lui ayant reproché d'éviter le sang dans ses crimes. "Vous y déploriez que mes meurtres deviennent trop épurés - exsangues, pour parler net. Vous y réclamiez un de ces bons vieux meurtres bien saignants. Un meurtre qui, sans l'ombre d'un doute, en soit bien un." Le plus remarquable est peut-être que, dans ce crime esthétiquement opposé aux précédents, Agatha Christie reste elle-même: le cri terrifiant, la scène brutale du meurtre, le sang abondamment répandu sont des clés de l'élucidation finale.

6 : Nécessité et merveilleux dans la solution

"La première implique que le problème soit un problème précis susceptible d'une seule réponse, l'autre requiert que cette réponse puisse émerveiller le lecteur." Cette sensation de merveilleux, précise Borges, ne doit pas faire appel au surnaturel. La solution d'une énigme policière doit être comme la démonstration d'un théorème complexe: difficile à imaginer à partir des prémisses, mais dont la nécessité s'impose par la rigueur d'une explication parfaitement logique. En plus de ces six axiomes déclarés, Borges en postule indirectement certains autres dans son article: Le véritable récit policier repousse - ai-je besoin de le préciser - avec le même dédain les risques physiques et la justice distributive. Il fait abstraction, avec sérénité, des cachots, des escaliers secrets, des remords, de la voltige, des barbes postiches, de l'escrime, des chauves-souris, de Charles Baudelaire et même du hasard. Il découle de ce passage trois règles supplémentaires :

7 : Dédain des risques physiques

Dans ce dédain des risques physiques réside l'une des principales différences avec le roman noir ou le thriller cinématographique. Borges observe que, dans les premiers exemples du genre, "l'histoire se limite à la discussion et à la résolution abstraite d'un crime, parfois à cent lieues de l'événement ou bien éloignée dans le temps". Isidro Parodi, le détective qu'il imagina avec Bioy Casares, résout les énigmes alors qu'il est enfermé dans une prison. Dans les aventures de Sherlock Holmes comme dans celles d'Hercule Poirot, la vie du détective est parfois en danger imminent, mais ces risques sont éphémères et ne constituent jamais la matière narrative principale, sauf peut-être dans leurs dernières enquêtes. C. Auguste Dupin, la vieille Miss Marple, le père Brown et Perry Mason(4) sont tous des exemples de détectives à l'abri des risques physiques.

8 : Renoncement aux considérations ou jugements moraux

Sur la question de la "justice distributive", "la Huella del crimen" de Raúl Waleis, premier roman policier argentin (il date de 1877 et a été récemment réédité - (5)), avait l'intention déclarée de favoriser une nouvelle législation, à travers l'exposé d'une affaire mettant en évidence une faille dans la justice: "Le droit est la source où je puiserai mes arguments. Les mauvaises lois doivent être dénoncées pour les effets que produit leur application. Je crée le drame auquel j'applique la loi en vigueur. Ses conséquences fatales prouveront la nécessité de la réformer. " Les enquêtes de Perry Mason et les récits de Chesterton témoignaient peut-être d'un certain attachement aux canons de la justice et aux considérations morales sur les innocents et les coupables.

9 : Rejet du hasard

À cet égard, citons les intéressantes réflexions de Patricia Highsmith, qui ne craint pas de mettre à l'épreuve la crédulité du lecteur: " J'aime beaucoup qu'il y ait dans l'intrigue des coïncidences et des situations presque (mais pas entièrement) incroyables comme par exemple le plan audacieux qu'un homme propose à un autre qu'il connaît depuis deux heures à peine dans "L'Inconnu du Nord-Express". [...] L'idéal est que les événements prennent une tournure inattendue, en gardant une certaine consonance avec le caractère des personnages. La crédulité du lecteur, son sens de la logique - qui est très élastique -, peut être étirée au maximum, mais il ne faut pas la rompre " ("L'Art du suspense" (6), chap. 5). Le hasard peut survenir dans la narration comme ellipse, tout comme, dans les comédies, on accepte qu'une porte s'ouvre pour laisser sortir un personnage et qu'un autre apparaisse aussitôt. Ou comme le catalyseur d'une circonstance propice à l'accomplissement d'un crime quand le mobile n'est pas très affirmé. C'est ce qui arrive, par exemple, avec l'apparition d'un parent éloigné, dans "Paiement différé" (7) de Cecil Scott Forester. En revanche, le hasard ne devrait pas jouer un rôle décisif dans l'explication finale. À noter que, dans la nouvelle de Borges "la Mort et la Boussole", c'est un accident fortuit, une mort inattendue, qui donne à l'assassin l'idée de la série de meurtres qu'il va commettre. D'autres règles peuvent encore être tirées de l'article de Borges :

10 : Méfiance ou rejet des procédures de l'investigation policière

"Les démarches quotidiennes des investigations policières - empreintes digitales, torture et délation - sembleraient ici des solécismes." L'enquête policière appartient à l'ordre prosaïque des faits et du bon sens. C'est ce qui établit la différence entre le plan de l'enquête officielle de la justice et l'enquête parallèle, de l'ordre de la fiction - à l'écart des critères et des paramètres usuels -, que mène le détective. Dans "la Mort et la Boussole", ironiquement, le policier et le détective ont tous deux raison, mais chacun à sa manière.

11 : L'assassin doit appartenir à la distribution initiale des personnages

"Dans les récits honnêtes, écrit Borges, le criminel est l'une des personnes qui figurent dès le début."

12 : La solution doit éviter le recours au surnaturel, qui ne peut être invoqué que comme une conjecture transitoire à écarter

La réponse doit émerveiller le lecteur "sans faire appel bien sûr au surnaturel, dont l'usage dans ce genre de fiction est un alanguissement et une félonie. Chesterton réalise toujours le tour de force de proposer une explication surnaturelle et de la remplacer ensuite, sans perdre au change, par une autre, toute naturelle."

13 : La solution ne peut comporter des éléments inconnus du lecteur

"Sont également prohibés [...] les élixirs d'origine inconnue." Voici donc les règles énoncées par Borges dans son article. Nous pourrions en rajouter quelques autres :

14 : Omission de la vie privée du détective et de ses aventures sentimentales ou sexuelles

Règle enfreinte dans tous les films policiers, où immanquablement l'enquêteur divorce, mène une existence malheureuse et a une liaison avec l'actrice principale.

15 : Dans le cas d'un double ou triple dénouement, il doit y avoir une progression, chaque fin surpassant la précédente en ingéniosité et en rigueur

Comme dans la règle des trois adjectifs que mentionne Proust à propos des salons de la bonne société française, le troisième est tenu de surpasser les deux premiers.

16 : Le meurtrier ne peut être le majordome (à moins d'être dans un congrès de majordomes)

L'assassin ne peut être un personnage trop secondaire, maintenu en permanence caché, comme une carte que l'on garde pour la fin.

17 : L'assassin ne peut être l'immigré ou le fanatique religieux ou le suspect d'extrémisme politique

Règle toujours soigneusement respectée par Agatha Christie. Les mobiles du meurtre doivent être intimes et le meurtrier doit appartenir au noyau dur de l'histoire. Cette règle est négligée de manière particulièrement décevante dans "Meurtriers sans visage", de Henning Mankell.

18 : L'assassin ne doit pas être le narrateur

Règle admirablement transgressée par Agatha Christie dans "le Meurtre de Roger Ackroyd" et, de manière plus prévisible, par Tchekhov dans "la Confession".

19 : L'assassin ne doit pas être l'enquêteur

Règle non respectée par Agatha Christie dans "le Noël d'Hercule Poirot" et par Juan José Saer dans "l'Enquête". Pourrait-on encore allonger cette liste ? Assurément. Mais cela créerait peut-être une fausse illusion, l'illusion que le genre peut être circonscrit et réduit à un formalisme d'axiomes, à une liste de règles et de procédés. Une illusion symétrique et tout aussi erronée - bien que prisée dans les tables rondes, car elle permet la pose iconoclaste et les métaphores guerrières - veut que le genre doit être dynamité, qu'il faut faire voler en éclats toutes les règles, que les lois sont faites pour être violées. Quiconque s'y est essayé sait en tout cas qu'il est difficile, sinon impossible, de se défaire de toutes à la fois, et qu'il y a dans le genre policier une tension extraordinaire entre ce qui a déjà été dit, entre la rhétorique accumulée dans des milliers de romans, et ce qui reste encore à dire, à la limite des règles. Les lois sont, en ce sens, comme une barrière que l'astuce et la créativité doivent franchir. Dans une des très rares occasions où Borges conçoit un projet de roman (dans l'article "è vero, ma non troppo", paru en 1938 dans la revue "El Hogar") ce n'est pas un hasard s'il choisit, entre tous les genres littéraires, le roman policier. Le sien serait, dit-il, "un peu hétérodoxe". Et il souligne que c'est là un point important, car "le genre policier, comme tous les genres, vit de l'incessante et délicate infraction à ses lois". Oui, la délicate infraction à ses lois.

Auteur: Martinez Guillermo

Info: Texte paru dans le quotidien argentin La Nación, le 15 août 2009, traduit de l'espagnol par François Gaudry

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paliers bayésiens

Une nouvelle preuve montre que les graphiques " expandeurs " se synchronisent

La preuve établit de nouvelles conditions qui provoquent une synchronisation synchronisée des oscillateurs connectés.

Il y a six ans, Afonso Bandeira et Shuyang Ling tentaient de trouver une meilleure façon de discerner les clusters dans d'énormes ensembles de données lorsqu'ils sont tombés sur un monde surréaliste. Ling s'est rendu compte que les équations qu'ils avaient proposées correspondaient, de manière inattendue, parfaitement à un modèle mathématique de synchronisation spontanée. La synchronisation spontanée est un phénomène dans lequel des oscillateurs, qui peuvent prendre la forme de pendules, de ressorts, de cellules cardiaques humaines ou de lucioles, finissent par se déplacer de manière synchronisée sans aucun mécanisme de coordination central.

Bandeira, mathématicien à l' École polytechnique fédérale de Zurich , et Ling, data scientist à l'Université de New York , se sont plongés dans la recherche sur la synchronisation, obtenant une série de résultats remarquables sur la force et la structure que doivent avoir les connexions entre oscillateurs pour forcer les oscillateurs. à synchroniser. Ce travail a abouti à un article d'octobre dans lequel Bandeira a prouvé (avec cinq co-auteurs) que la synchronisation est inévitable dans des types spéciaux de réseaux appelés graphes d'expansion, qui sont clairsemés mais également bien connectés.

Les graphiques expanseurs s'avèrent avoir de nombreuses applications non seulement en mathématiques, mais également en informatique et en physique. Ils peuvent être utilisés pour créer des codes correcteurs d’erreurs et pour déterminer quand les simulations basées sur des nombres aléatoires convergent vers la réalité qu’elles tentent de simuler. Les neurones peuvent être modélisés dans un graphique qui, selon certains chercheurs, forme un expanseur, en raison de l'espace limité pour les connexions à l'intérieur du cerveau. Les graphiques sont également utiles aux géomètres qui tentent de comprendre comment parcourir des surfaces compliquées , entre autres problèmes.

Le nouveau résultat " donne vraiment un aperçu considérable des types de structures graphiques qui vont garantir la synchronisation ", a déclaré Lee DeVille , un mathématicien de l'Université de l'Illinois qui n'a pas participé aux travaux. 

Synchronisation douce-amère         

"La synchronisation est vraiment l'un des phénomènes fondamentaux de la nature", a déclaré Victor Souza , un mathématicien de l'Université de Cambridge qui a travaillé avec Bandeira sur l'article. Pensez aux cellules stimulateurs cardiaques de votre cœur, qui synchronisent leurs pulsations via des signaux électriques. Lors d'expériences en laboratoire, "vous pouvez faire vibrer des centaines ou des milliers de cellules embryonnaires de stimulateur cardiaque à l'unisson", a déclaré Steven Strogatz , mathématicien à l'Université Cornell et autre co-auteur. " C'est un peu effrayant parce que ce n'est pas un cœur entier ; c'est juste au niveau des cellules."

En 1975, le physicien japonais Yoshiki Kuramoto a introduit un modèle mathématique décrivant ce type de système. Son modèle fonctionne sur un réseau appelé graphe, où les nœuds sont reliés par des lignes appelées arêtes. Les nœuds sont appelés voisins s’ils sont liés par une arête. Chaque arête peut se voir attribuer un numéro appelé poids qui code la force de la connexion entre les nœuds qu’elle connecte.

Dans le modèle de synchronisation de Kuramoto, chaque nœud contient un oscillateur, représenté par un point tournant autour d'un cercle. Ce point montre, par exemple, où se trouve une cellule cardiaque dans son cycle de pulsation. Chaque oscillateur tourne à sa propre vitesse préférée. Mais les oscillateurs veulent également correspondre à leurs voisins, qui peuvent tourner à une fréquence différente ou à un moment différent de leur cycle. (Le poids du bord reliant deux oscillateurs mesure la force du couplage entre eux.) S'écarter de ces préférences contribue à l'énergie dépensée par un oscillateur. Le système tente d'équilibrer tous les désirs concurrents en minimisant son énergie totale. La contribution de Kuramoto a été de simplifier suffisamment ces contraintes mathématiques pour que les mathématiciens puissent progresser dans l'étude du système. Dans la plupart des cas, de tels systèmes d’équations différentielles couplées sont pratiquement impossibles à résoudre.

Malgré sa simplicité, le modèle Kuramoto s'est révélé utile pour modéliser la synchronisation des réseaux, du cerveau aux réseaux électriques, a déclaré Ginestra Bianconi , mathématicienne appliquée à l'Université Queen Mary de Londres. "Dans le cerveau, ce n'est pas particulièrement précis, mais on sait que c'est très efficace", a-t-elle déclaré.

"Il y a ici une danse très fine entre les mathématiques et la physique, car un modèle qui capture un phénomène mais qui est très difficile à analyser n'est pas très utile", a déclaré Souza.

Dans son article de 1975, Kuramoto supposait que chaque nœud était connecté à tous les autres nœuds dans ce qu'on appelle un graphe complet. À partir de là, il a montré que pour un nombre infini d’oscillateurs, si le couplage entre eux était suffisamment fort, il pouvait comprendre leur comportement à long terme. Faisant l'hypothèse supplémentaire que tous les oscillateurs avaient la même fréquence (ce qui en ferait ce qu'on appelle un modèle homogène), il trouva une solution dans laquelle tous les oscillateurs finiraient par tourner simultanément, chacun arrondissant le même point de son cercle exactement au même endroit. en même temps. Même si la plupart des graphiques du monde réel sont loin d'être complets, le succès de Kuramoto a conduit les mathématiciens à se demander ce qui se passerait s'ils assouplissaient ses exigences.  

Mélodie et silence

Au début des années 1990, avec son élève Shinya Watanabe , Strogatz a montré que la solution de Kuramoto était non seulement possible, mais presque inévitable, même pour un nombre fini d'oscillateurs. En 2011, Richard Taylor , de l'Organisation australienne des sciences et technologies de la défense, a renoncé à l'exigence de Kuramoto selon laquelle le graphique devait être complet. Il a prouvé que les graphes homogènes où chaque nœud est connecté à au moins 94 % des autres sont assurés de se synchroniser globalement. Le résultat de Taylor avait l'avantage de s'appliquer à des graphes avec des structures de connectivité arbitraires, à condition que chaque nœud ait un grand nombre de voisins.

En 2018, Bandeira, Ling et Ruitu Xu , un étudiant diplômé de l'Université de Yale, ont abaissé à 79,3 % l'exigence de Taylor selon laquelle chaque nœud doit être connecté à 94 % des autres. En 2020, un groupe concurrent a atteint 78,89 % ; en 2021, Strogatz, Alex Townsend et Martin Kassabov ont établi le record actuel en démontrant que 75 % suffisaient.

Pendant ce temps, les chercheurs ont également attaqué le problème dans la direction opposée, en essayant de trouver des graphiques hautement connectés mais non synchronisés globalement. Dans une série d'articles de 2006 à 2022 , ils ont découvert graphique après graphique qui pourraient éviter la synchronisation globale, même si chaque nœud était lié à plus de 68 % des autres. Beaucoup de ces graphiques ressemblent à un cercle de personnes se tenant la main, où chaque personne tend la main à 10, voire 100 voisins proches. Ces graphiques, appelés graphiques en anneaux, peuvent s'installer dans un état dans lequel chaque oscillateur est légèrement décalé par rapport au suivant.

De toute évidence, la structure du graphique influence fortement la synchronisation. Ling, Xu et Bandeira sont donc devenus curieux des propriétés de synchronisation des graphiques générés aléatoirement. Pour rendre leur travail précis, ils ont utilisé deux méthodes courantes pour construire un graphique de manière aléatoire.

Le premier porte le nom de Paul Erdős et Alfréd Rényi, deux éminents théoriciens des graphes qui ont réalisé des travaux fondateurs sur le modèle. Pour construire un graphique à l'aide du modèle Erdős-Rényi, vous commencez avec un groupe de nœuds non connectés. Ensuite, pour chaque paire de nœuds, vous les reliez au hasard avec une certaine probabilité p . Si p vaut 1 %, vous liez les bords 1 % du temps ; si c'est 50 %, chaque nœud se connectera en moyenne à la moitié des autres.

Si p est légèrement supérieur à un seuil qui dépend du nombre de nœuds dans le graphique, le graphique formera, avec une très grande probabilité, un réseau interconnecté (au lieu de comprendre des clusters qui ne sont pas reliés). À mesure que la taille du graphique augmente, ce seuil devient minuscule, de sorte que pour des graphiques suffisamment grands, même si p est petit, ce qui rend le nombre total d'arêtes également petit, les graphiques d'Erdős-Rényi seront connectés.

Le deuxième type de graphe qu’ils ont considéré est appelé graphe d -régulier. Dans de tels graphes, chaque nœud a le même nombre d’arêtes, d . (Ainsi, dans un graphe 3-régulier, chaque nœud est connecté à 3 autres nœuds, dans un graphe 7-régulier, chaque nœud est connecté à 7 autres, et ainsi de suite.)

(Photo avec schéma)

Les graphiques bien connectés bien qu’ils soient clairsemés (n’ayant qu’un petit nombre d’arêtes) sont appelés graphiques d’expansion. Celles-ci sont importantes dans de nombreux domaines des mathématiques, de la physique et de l'informatique, mais si vous souhaitez construire un graphe d'expansion avec un ensemble particulier de propriétés, vous constaterez qu'il s'agit d'un " problème étonnamment non trivial ", selon l'éminent mathématicien. Terry Tao. Les graphes d'Erdős-Rényi, bien qu'ils ne soient pas toujours extensibles, partagent bon nombre de leurs caractéristiques importantes. Et il s'avère cependant que si vous construisez un graphe -régulier et connectez les arêtes de manière aléatoire, vous obtiendrez un graphe d'expansion.

Joindre les deux bouts

En 2018, Ling, Xu et Bandeira ont deviné que le seuil de connectivité pourrait également mesurer l'émergence d'une synchronisation globale : si vous générez un graphique d'Erdős-Rényi avec p juste un peu plus grand que le seuil, le graphique devrait se synchroniser globalement. Ils ont fait des progrès partiels sur cette conjecture, et Strogatz, Kassabov et Townsend ont ensuite amélioré leur résultat. Mais il subsiste un écart important entre leur nombre et le seuil de connectivité.

En mars 2022, Townsend a rendu visite à Bandeira à Zurich. Ils ont réalisé qu'ils avaient une chance d'atteindre le seuil de connectivité et ont fait appel à Pedro Abdalla , un étudiant diplômé de Bandeira, qui à son tour a enrôlé son ami Victor Souza. Abdalla et Souza ont commencé à peaufiner les détails, mais ils se sont rapidement heurtés à des obstacles.

Il semblait que le hasard s’accompagnait de problèmes inévitables. À moins que p ne soit significativement plus grand que le seuil de connectivité, il y aurait probablement des fluctuations sauvages dans le nombre d'arêtes de chaque nœud. L'un peut être attaché à 100 arêtes ; un autre pourrait être attaché à aucun. "Comme pour tout bon problème, il riposte", a déclaré Souza. Abdalla et Souza ont réalisé qu'aborder le problème du point de vue des graphiques aléatoires ne fonctionnerait pas. Au lieu de cela, ils utiliseraient le fait que la plupart des graphes d’Erdős-Rényi sont des expanseurs. "Après ce changement apparemment innocent, de nombreuses pièces du puzzle ont commencé à se mettre en place", a déclaré Souza. "En fin de compte, nous obtenons un résultat bien meilleur que ce à quoi nous nous attendions." Les graphiques sont accompagnés d'un nombre appelé expansion qui mesure la difficulté de les couper en deux, normalisé à la taille du graphique. Plus ce nombre est grand, plus il est difficile de le diviser en deux en supprimant des nœuds.

Au cours des mois suivants, l’équipe a complété le reste de l’argumentation en publiant son article en ligne en octobre. Leur preuve montre qu'avec suffisamment de temps, si le graphe a suffisamment d'expansion, le modèle homogène de Kuramoto se synchronisera toujours globalement.

Sur la seule route

L’un des plus grands mystères restants de l’étude mathématique de la synchronisation ne nécessite qu’une petite modification du modèle présenté dans le nouvel article : que se passe-t-il si certaines paires d’oscillateurs se synchronisent, mais que d’autres s’en écartent ? Dans cette situation, " presque tous nos outils disparaissent immédiatement ", a déclaré Souza. Si les chercheurs parviennent à progresser sur cette version du problème, ces techniques aideront probablement Bandeira à résoudre les problèmes de regroupement de données qu’il avait entrepris de résoudre avant de se tourner vers la synchronisation.

Au-delà de cela, il existe des classes de graphiques outre les extensions, des modèles plus complexes que la synchronisation globale et des modèles de synchronisation qui ne supposent pas que chaque nœud et chaque arête sont identiques. En 2018, Saber Jafarpour et Francesco Bullo de l'Université de Californie à Santa Barbara ont proposé un test de synchronisation globale qui fonctionne lorsque les rotateurs n'ont pas de poids ni de fréquences préférées identiques. L'équipe de Bianconi et d'autres ont travaillé avec des réseaux dont les liens impliquent trois, quatre nœuds ou plus, plutôt que de simples paires.

Bandeira et Abdalla tentent déjà d'aller au-delà des modèles Erdős-Rényi et d -regular vers d'autres modèles de graphes aléatoires plus réalistes. En août dernier, ils ont partagé un article , co-écrit avec Clara Invernizzi, sur la synchronisation dans les graphes géométriques aléatoires. Dans les graphes géométriques aléatoires, conçus en 1961, les nœuds sont dispersés de manière aléatoire dans l'espace, peut-être sur une surface comme une sphère ou un plan. Les arêtes sont placées entre des paires de nœuds s'ils se trouvent à une certaine distance les uns des autres. Leur inventeur, Edgar Gilbert, espérait modéliser des réseaux de communication dans lesquels les messages ne peuvent parcourir que de courtes distances, ou la propagation d'agents pathogènes infectieux qui nécessitent un contact étroit pour se transmettre. Des modèles géométriques aléatoires permettraient également de mieux capturer les liens entre les lucioles d'un essaim, qui se synchronisent en observant leurs voisines, a déclaré Bandeira.

Bien entendu, relier les résultats mathématiques au monde réel est un défi. "Je pense qu'il serait un peu mensonger de prétendre que cela est imposé par les applications", a déclaré Strogatz, qui a également noté que le modèle homogène de Kuramoto ne peut jamais capturer la variation inhérente aux systèmes biologiques. Souza a ajouté : " Il y a de nombreuses questions fondamentales que nous ne savons toujours pas comment résoudre. C'est plutôt comme explorer la jungle. " 



 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org - Leïla Sloman, 24 juillet 2023

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parapsychologie

Le pays des aveugles de Koestler (I) 

Ainsi, après plusieurs détours, nous voilà de retour à notre point de départ. Ce "sentiment océanique" mystique se situe certainement à un étage supérieur de cette spirale que celui de l'enfant nouveau-né. L'enfant n'a pas encore d'identité personnelle, le mystique et le medium l'ont eux transcendée. Cette spirale a beaucoup de cercles, mais à chaque tour nous sommes confrontés à la même polarité et au même genre de monade, dont une face dit que je suis le centre du monde, et l'autre que je suis une petite partie en quête de la totalité. Nous pouvons considérer les phénomènes de parapsychologie comme les fruits de cette recherche - qu'ils se soient produits spontanément ou en laboratoire. La perception extra sensorielle apparait alors comme la plus haute manifestation du potentiel d'intégration de la matière vivante - qui, chez les humains, s'accompagne généralement d'un type d'auto-transcendance de l'émotion.

Alors que tout au long de notre excursion dans la biologie et la physique nous étions sur un terrain scientifique solide, nous voilà en pleine étape spéculative. Je ne prétends pas que ce soit un plus. Mais c'est la science moderne elle-même, avec ses vues paradoxales, qui nous y incite. Nous ne nous arrêterons pas à la "classique" télépathie-ESP ni à la prévision à court terme - pour lesquelles des explications physiques peuvent encore être trouvée. Car exclure clairvoyance, psychokinésie et coïncidences de séries ou de synchronicités, serait arbitraire, tout en laissant les choses telles qu'elles étaient avant. D'autre part, si on prend la "Tendance Intégrative" comme un principe universel comprenant des phénomènes causals, l'image devient grandement simplifiée, même si elle est encore hors de portée de notre compréhension. Au lieu de plusieurs mystères, nous voilà aujourd'hui confrontés à une seule tendance évolutive irréductible, issue de la constitution d'ensembles plus complexes venant de pièces diversifiées. La doctrine hippocratique de la "sympathie de toutes choses" en est un paradigme précoce. L'évolution des connaissances, avec ses maillages en branches spécialisées et leur confluence vers un delta unifié, en est un autre.

On pourrait en effet le substituer à la maladresse de termes comme "sérialité" et "Synchronicité" - qui mettent l'accent sur le temps seul, avec pour résultat une non-incarcération grâce à des expressions comme "évènements confluentiels". Les évènements confluentiels seraient-ils causals de manifestations d'une tendance à l'intégration. L'apparition du scarabée de Jung serait alors un évènement confluentiel. Ainsi les effets de la psychokinésie comme le lancer de dés et autres phénomènes paranormaux seraient aussi causals de ces phénomènes. Si on leur prête une signification, c'est qu'ils donnent l'impression d'avoir un lien de causalité, même si ils ne sont manifestement pas de cette sorte de pseudo-causalité. Le scarabée semble être attiré à la fenêtre de Jung par le patient qui raconte son rêve, les dés semblent être manipulés par la volonté de l'expérimentateur, le clairvoyant semble voir les cartes cachées. Les potentiels intégratifs de la vie semblent inclure la capacité de produire des effets pseudo-causals - qui provoquent un évènement confluentiel sans se soucier, pour ainsi dire, de l'emploi d'agents physiques. Il est donc très difficile de tracer une ligne de démarcation nette séparant causalité et non-causalité des évènements. Les animaux aveugles peuvent sentir leur chemin par des usages physiques plus grossiers comme le toucher ou l'odorat. Les chauves-souris utilisent une sorte de radar - ce qui il n'y a pas si longtemps aurait été vu par les naturalistes comme une hypothèse bien saugrenue. Des animaux équipés pour réagir aux photons - particules avec une masse nulle au repos qui peuvent également se comporter comme des ondes dans un milieu et, partant, semblent défier la causalité. Des hommes sans yeux comme les citoyens des pays des aveugles, rejetteraient surement l'affirmation qu'on peut percevoir des objets éloignés sans contact par toucher comme un non-sens occulte - ou bien déclareraient qu'une telle faculté, si elle existe vraiment, est certainement au-delà du domaine de la causalité physique, et devrait être appelé perception extra-sensorielle.

Un des neurophysiologistes les plus respectés de Grande-Bretagne, le Dr W. Walter Grey, a réalisé ces dernières années une série d'expériences remarquables. Il s'est fabriqué une machine électrique, qui par un effort de volonté, peut influer sur les évènements externes sans mouvement ni action manifeste via les impalpables pics électriques du cerveau. Cet effort nécessite un état particulier de concentration, composé paradoxal de détachement et d'excitation. La procédure expérimentale de Grey Walter peut être décrite de manière simplifiée comme suit. Des électrodes fixées sur le cuir chevelu et le cortex frontal du sujet transmettent les vagues électriques des activités cervicales vers un amplificateur d'ondes via une machine. En face de l'objet il y a un bouton : si on le presse une "scène intéressante" apparait sur un écran de télévision. Mais, environ une seconde avant qu'on appuie sur le bouton, une surtension électrique d'une vingtaine de microvolts se produit dans une grande partie du cortex du sujet, on la nomme "vague de préparation". Mais les circuits de l'appareil peuvent être réglés de telle sorte que la "vague de préparation" amplifiée soit suffisante pour déclencher l'interrupteur et faire ainsi apparaitre la scène de télévision une fraction de seconde avant que le sujet ait effectivement appuyé sur le bouton. C'est ce qu'on appelle un "démarrage automatique". Un sujet intelligent se rend vite compte que son action a le résultat escompté avant qu'il n'ait effectivement déplacé son doigt, et donc il cesse généralement d'appuyer sur le bouton: les images apparaissent comme et quand il les veut... Mais, pour que cet effet soit durable, il est essentiel que le sujet "veuille" vraiment que l'évènement se produise, et donc il doit se concentrer sur l'évocation de cet évènement précis. Lorsque l'attention du sujet se détache à cause d'une présentation monotone, ou qu'il "se concentre sur la concentration", le potentiel du cerveau ne parvient pas à déclencher la vague. Ce démarrage automatique peut être combiné avec un auto-stop afin que le sujet puisse acquérir une image en voulant son apparition sur l'écran du téléviseur, puis l'effacer dès qu'il a terminé son inspection de celle-ci.

Du point de vue du sujet, c'est une expérience très particulière, parfois accompagnée de signes d'excitation contenue; une diurèse [évacuation d'urine] a été très marquée pour deux des expérimentateurs. Examinant ces expériences Renee Haynes rédacteur en chef du Journal de la SPR a déclaré: En principe, bien sûr, ce n'est pas plus remarquable que ce qui arrive quand un enfant regarde avec étonnement, quand, avec sa main, il prouve la puissance de sa volonté en décidant de lever le petit doigt ou en le déplaçant. En pratique, c'est étonnant parce que ce mode pour exercer une influence sur le monde extérieur est fort peu familier à l'homme, même s'il est probablement banal pour une anguille électrique. Il est aussi très intéressant en ce qu'il a amené le Dr Grey Walter a utiliser avec un certain embarras, un mot tel que "pouvoir de la volonté". Cela, on s'en souvient, fut aussi l'attitude de Sir John Eccles quand il considérait que l'action de "volonté mentale" du "cerveau physique", comme le mystère de base, et la psychokinésie simplement comme une extension de celui-ci. On pourrait décrire l'expérience Grey Walter comme de la "pseudo-télékinésie" car il y a des fils qui relient les électrodes et crâne du sujet avec l'appareil TV. Mais on pourrait tout aussi bien décrire l'action de l'esprit du sujet sur son propre cerveau comme une pseudo-causalité. Ou nous pourrions dire que le sujet a découvert une façon plus élégante de produire un "évènement confluentiel" sans prendre la peine d'employer des agents physiques. Dans ce contexte il nous faut maintenant parler du rapport hypnotique.

Jusqu'au milieu du siècle dernier, l'hypnose a été traitée comme une fantaisie occulte par la science occidentale (bien que dans d'autres cultures, elle ait été prise comme une acquis). Aujourd'hui elle est devenue si respectable et banale que nous avons tendance à oublier que nous n'avons pas d'explication la concernant. On a démontré qu'un sujet approprié peut être temporairement sourd, muet, aveugle, anesthésié, amené à avoir des hallucinations ou revivre des scènes de son passé. Il peut être amené à oublier ou à se rappeler ce qui s'est passé pendant la transe avec un claquement de doigts. On peut lui enjoindre une suggestion post-hypnotique qui lui fera exécuter le lendemain, à 5 heures précises, une action stupide comme le déliement de ses lacets - et aussi trouver une certaine rationalité à cet acte. Les utilisations de l'hypnose médicale sur des patients appropriés en dentisterie, obstétrique et en dermatologie sont bien connues. Moins connues, cependant, sont les expériences de A. Mason et S. Black sur la suppression des réactions cutanées allergiques par l'hypnose. On injecta à des patients des extraits de pollen, auxquels ils étaient très allergiques, et après le traitement hypnotique, ils cessèrent de montrer la moindre réaction. Avec l'hypnose, d'autres patients n'ont pas eu de réaction allergique contre le bacille de la tuberculose. Comment les suggestions hypnotiques peuvent-elles modifier la réactivité chimique des tissus au niveau microscopique reste donc une conjecture. Après la guérison remarquable de Mason par hypnose d'un garçon de seize ans souffrant d'ichtyose (la maladie de peau de poisson, une affection congénitale que l'on croyait incurable) un évaluateur du British Medical Journal a fait remarquer que ce cas unique suffirait pour exiger "une révision des concepts courants sur la relation entre l'esprit et le corps ". Cette révision des concepts actuels est attendue depuis longtemps. Nous ne savons pas si Eddington avait raison quand il a dit que le monde est fait de matière-esprit, et qu'il n'est certainement pas fait de l'étoffe des petites boules de billards du physicien du dix-neuvième siècle qui volaient dans tous les sens jusqu'à ce que le hasard les fasse s'agréger en une amibe.

Dans son adresse de 1969 à l'American Society for Psychical Research, que j'ai cité précédemment, le professeur Henry Margenau a dit ceci : Un artefact parfois invoqué pour expliquer la précognition est de prendre en compte un temps multidimensionnel. Ce qui permet un véritable passage vers l'arrière du temps, ce qui pourrait permettre à certains intervalles, positifs dans un sens du temps, de devenir négatifs ("effet avant la cause") dans un autre. En principe, ça représente un schéma valable, et je ne connais pas la critique qui pourra l'exclure en tant que démarche scientifique. Si elle est acceptable, cependant, une mesure entièrement nouvelle de l'espace-temps doit être développée. J'ai sondé quelques suggestions que la physique pourrait offrir comme solution à ce genre de problème que vous rencontrez. Les résultats positifs, je le crains, sont maigres et décevants, mais peut-être que cela vaut-il quand même une vraie étude. Mais pourquoi, voudrai-je maintenant demander, est-il nécessaire d'importer vers une nouvelle discipline tous les concepts approuvés d'une ancienne science à son stade actuel de développement? La physique n'adhère pas servilement aux formulations grecques rationalistes qui l'ont précédé, il a bien fallu créer nos propres constructions spécifiques.

Le parapsychologue, je pense ... doit voler de ses propres ailes et probablement de manière plus audacieuse que ce que les conditions que la physique d'aujourd'hui suggèrent - et aussi tolérer sans trop de souci les voix stridentes et critiques des scientifiques "hard-boiled", pragmatiques et satisfaits, et ainsi continuer sa propre recherche minutieuse vers une meilleure compréhension via de nouvelle sortes d'expériences, peut-être aussi avec des concepts qui apparaissent étranges. Nous sommes entourés de phénomènes que l'existence nous fait soigneusement ignorer, ou, s'ils ne peuvent pas être ignorés, nous les rejetons comme des superstitions. L'homme du XIIIe siècle ne se rendait pas compte qu'il était entouré de forces magnétiques. Nous n'avons donc pas la conscience sensorielle directe de beaucoup de manifestations, ni des douches de neutrinos qui nous traversent, ni d'autres "influences" inconnues. Donc, nous pourrions tout aussi bien écouter les conseils de Margenau et créer nos propres constructions "spécifiques", supposant que nous vivons plongés dans une sorte de "psycho-champ magnétique" qui produit des évènements confluentiels... tout ceci par des moyens qui dépassent les concepts classiques de la physique. Des buts et leur conception qui nous sont inconnus certes, mais nous estimons qu'il doivent être en quelque sorte liés à un effort vers une forme supérieure de l'ordre et de l'unité dans toute cette diversité que nous observons au travers de notre appréciation de l'évolution de l'univers dans son ensemble, de la vie sur terre, de la conscience humaine et, enfin, de la science et de l'art.

Un mystère "plus haut d'un cran" est plus facile à accepter qu'une litière de puzzles indépendants. Cela n'explique pas pourquoi le scarabée est apparu à la fenêtre, mais au moins on pourra l'adapter aux évènements confluentiels et autres phénomènes paranormaux d'une conception unifiée. Il ya, cependant, un aspect profondément troublant à ces phénomènes. Les évènements paranormaux sont rares, imprévisible et capricieux. C'est comme nous l'avons vu, la principale raison pour laquelle les sceptiques se sentent en droit de rejeter les résultats des cartes devinées et autres expériences de psychokinésie, en dépit de preuves statistiques qui, dans tout autre domaine de la recherche, suffiraient à prouver cette hypothèse. Une des raisons du caractère erratique de l'ESP a déjà été mentionnée : notre incapacité à contrôler les processus inconscients sous-jacents. Les expériences de Grey Walter n'étaient pas concernées par l'ESP, mais il a bien dû se rendre compte que la "vague de préparation" ne pouvait atteindre le seuil suffisant que si le sujet était dans un état décrit comme "un composé paradoxal de détachement et d'excitation".

Les expériences paranormales spontanées sont toujours liées à un certain type d'auto-transcendance de l'émotion, comme dans les rêves télépathiques ou lors de transe médiumnique. Même dans le laboratoire, où là aussi le rapport affectif entre l'expérimentateur et le sujet est d'une importance décisive. L'intérêt du sujet dans le mystère de l'ESP en lui-même évoque une émotion auto-transcendante. Lorsque que son intérêt baisse à la fin d'une longue séance ESP, il mpntre un déclin caractéristique du nombre de "hits" sur la feuille de score. Cet "effet de déclin" peut être considéré comme une preuve supplémentaire de la réalité de l'ESP. Il y a aussi une diminution globale de la performance de la plupart des sujets après une longue série de séances. Ils s'ennuient. Les compétences les plus normales s'améliorent avec la pratique. Avec l'ESP c'est le contraire.

Un autre argument relatif à la rareté apparente des phénomènes paranormaux a été présentée par le regretté professeur Broad dans un article de philosophie: "Si la cognition paranormale et la causalité sont des faits paranormaux, il est alors fort probable que cela ne se limite pas à ces très rares occasions pendant lesquelles elles se manifestent sporadiquement, ou de façon spectaculaire, ou dans des conditions très particulières pendant lesquelles leur présence peut être expérimentalement établie. Ces phénomènes pourraient très bien être en fonction continue en arrière-plan de nos vies normales. Notre compréhension et nos malentendus avec nos semblables, notre humeur, l'émotionnel général en certaines occasions, les idées qui surgissent soudainement dans nos esprits sans aucune cause évidente introspectable; nos réactions émotionnelles inexplicables immédiates vis à vis de certaines personnes... et ainsi de suite, tout cela pourrait être en partie déterminé par une meilleure connaissance du paranormal et autres influences causales paranormales."

Collègue du professeur Broad à Oxford, le professeur Price a ajouté cette suggestion intéressante en ce qui concerne le caprice apparent des ESP: "Il semble que les impressions reçues par télépathie ont quelques difficultés à franchir un seuil pour se manifester à la conscience. Il semble qu'il y ait une barrière ou un mécanisme répressif qui tende à les exclure de la conscience, une barrière qui est assez difficile à passer, même si on fait usage de toutes sortes d'appareils pour la surmonter. Parfois, en ayant recours aux mécanismes musculaires du corps, ou en les faisant émerger sous forme de parole ou d'écriture automatique. Parfois, ces phénomènes apparaissent sous forme de rêves, parfois d'hallucinations visuelles ou auditives. Et souvent, ils peuvent émerger sous un aspect déformé et symbolique (comme d'autres contenus mentaux inconscients le font). Il est plausible que beaucoup de nos pensées quotidiennes et d'émotions soient télépathes, ou en partie d'origine télépathique, mais elles ne sont pas reconnues comme telles car elles sont trop déformées et mélangées avec d'autres contenus mentaux en franchissant le seuil de la conscience.

Adrian Dobbs, commentant ce passage, a soulevé un point important dans un texte très intéressant et suggestif. Il évoque l'image de l'âme ou du cerveau comme contenants un assemblage de filtres sélectifs, conçus pour couper les signaux indésirables à des fréquences voisines, dont certaines parviendraient sous une forme déformée, exactement comme dans une réception radio ordinaire. La "théorie du filtre", comme on pourrait l'appeler, remonte en fait à Henri Bergson. Elle a été reprise par divers auteurs sur la perception extra-sensorielle. Il s'agit en fait simplement d'une extrapolation de ce que nous savons au sujet de la perception sensorielle ordinaire. Nos principaux organes des sens sont comme des fentes qui admettent seulement une gamme de fréquence très étroite d'ondes électromagnétiques et sonores. Mais même la quantité d'infos qui entrent par ces fentes étroites, c'est déjà trop. La vie serait impossible si nous devions prêter attention aux millions de stimuli qui bombardent nos sens - ce que William James a appelé "l'épanouissement de la multitude du bourdonnement des sensations". Ainsi, le système nerveux, et surtout le cerveau, fonctionnent comme une hiérarchie de filtrages et de classifications de dispositifs qui éliminent une grande partie de nos entrées sensorielles sous forme de " bruits" non pertinents", pour traiter les bonnes informations sous forme gérable avant qu'elles ne soient présentées à la conscience.

Un exemple souvent cité de ce processus de filtrage est le "phénomène cocktail" qui nous permet d'isoler une seule voix dans le bourdonnement général. Par analogie, un mécanisme de filtrage similaire peut être supposé nous protéger de la floraison et de la multitude de bourdonnement des images, des messages, des impressions et des événements confluentiels du "psycho-champ magnétique" qui nous entoure. Comme il s'agit d'un point de grande importance pour essayer de comprendre pourquoi les phénomènes paranormaux se présentent dans ces formes inexplicables et arbitraire, je vais livrer quelques citations plus pertinentes sur ce sujet. Ainsi le psychiatre James S. Hayes, écrivant dans The Scientist, spécule: Je pense depuis longtemps que les questions classiques posées sur la télépathie ("Cela se passe-t'il" et si oui, "comment?") sont moins susceptibles d'être fructueuses que cette question: "Si la télépathie existe, qu'est-ce qui l'empêche de se produire plus ? Comment l'esprit (ou le cerveau) se protègent-ils contre l'afflux potentiel de l'expérience des autres? "

Et Sir Cyril Burt, à nouveau: La conception naturelle qu'a l'homme de l'univers, ou plutôt de la partie étroite à laquelle il a accès, est celle d'un monde d'objets tangibles de taille moyenne, se déplaçant à des vitesses modérées de manière visible en trois dimensions, réagissant à l'impact de forces de contact (le push et pull de simples interactions mécaniques), le tout en conformité avec des lois relativement simples. Jusqu'à tout récemment la conception de l'univers adoptée par le chercheur, son critère de la réalité, était celui de l'Incrédulité de saint Thomas : "ce qui peut être vu ou touché". Pourtant, supputer que sur une telle base que nous pourrions construire une image complète et comprise de l'univers c'est comme supposer que le plan d'une rue de Rome nous dirait ce à quoi la Ville Eternelle ressemblerait.

La nature semble avoir travaillé sur un principe identique. Nos organes des sens et notre cerveau fonctionnent comme une sorte de filtre complexe qui limite et dirige les pouvoirs de clairvoyance de l'esprit, de sorte que dans des conditions normales notre attention soit concentrée seulement sur des objets ou des situations qui sont d'une importance biologique pour la survie de l'organisme et de l'espèce.

En règle générale, il semblerait que l'esprit rejette les idées venant d'un autre esprit comme le corps rejette les greffes provenant d'un autre corps. Burt résume son point de vue, en nous rappelant que la physique contemporaine reconnaît quatre types d'interactions (forte, faible, électromagnétique et gravitationnelle), dont chacune obéit à ses propres lois, et, jusqu'à présent en tout cas, ce modèle a vaincu toutes les tentatives de le réduire à autre chose. Cela étant, il ne peut y avoir aucun antécédent improbable qui nous interdise de postuler un autre système et/ou un autre type d'interaction, en attendant une enquête plus intensive. Un univers psychique composé d'événements ou d'entités liées par des interactions psychiques, obéissant à des lois qui leur sont propres et qui interpénètrent l' univers physique et le chevauchent partiellement, tout comme les diverses interactions déjà découvertes et reconnues se chevauchent les unes les autres. (2e partie)

Auteur: Koestler Arthur

Info: Internet et Roots of coïncidence

[ Holon ] [ corps-esprit ] [ intégratif ] [ spectre continu ] [ dépaysement moteur ]

 

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non-voyant

Le monde tel que l'imaginent ceux qui n'ont jamais vu. (II)

Imaginer les couleurs

L'épineuse question des couleurs offre un autre exemple du "fossé perceptif" qui sépare voyants et aveugles de naissance. Les voyants s'imaginent souvent qu'il leur suffit de fermer les yeux pour se représenter la perception d'un aveugle. En réalité, ce n'est pas parce que nous fermons les yeux que nos yeux cessent de voir : le noir qui nous apparaît n'est rien d'autre que la couleur de nos paupières closes. Il en va tout autrement pour la plupart des aveugles, et à plus forte raison pour les aveugles de naissance. Comme il leur serait difficile de nous expliquer leur perception du monde, tant elle relève pour eux de l'évidence, le mieux est encore de nous tourner vers quelqu'un qui a vu avant de ne plus voir et qui, de ce fait, dispose d'un point de comparaison.

Jean-Marc Meyrat, devenu aveugle à l'âge de 8 ans, raconte son passage du monde des voyants dans celui des aveugles en ces termes : "Cela s'est fait très progressivement. Ce glissement presque impalpable s'est matérialisé par le déplacement de ma chaise de plus en plus près de l'écran de la télévision. Vers la fin du processus, je suis entré dans une sorte de zone grise qui s'est peu à peu assombrie pour virer au noir avant de disparaître. Puis, plus rien. La persistance de la couleur noire, parfois entrecoupée d'éblouissements, peut durer plus ou moins longtemps. Ceci est d'autant plus vrai si la cécité est intervenue brutalement. Après, plus rien, je ne peux pas dire mieux : plus rien.

Voilà qui pose un sérieux problème à ceux que le noir fascine et que la notion de rien effraie.". C'est l'image traditionnelle de l'aveugle errant dans les ténèbres qui se trouve ici battue en brèche... Certains aveugles tardifs regrettent de n'avoir pas même la perception du noir : ainsi, l'écrivain Jorge Luis Borges, devenu aveugle au cours de sa vie, affirmait que le noir lui manquait surtout au moment d'aller se coucher, lui qui avait pris l'habitude de s'endormir dans l'obscurité la plus complète...

Qu'est-ce que c'est que de ne rien voir ? En réalité, il est aussi difficile pour un aveugle de naissance de se représenter les couleurs que pour un voyant d'imaginer une perception absolument dénuée de couleurs, où l'on ne trouve pas même de noir et blanc, ni aucune nuance intermédiaire : autant chercher à imaginer un désert sans sol ni ciel, ou ce fameux couteau dont parle Lichtenberg, dépourvu de lame et auquel manque le manche. "Les gens s'imaginent les choses par rapport à ce qu'ils connaissent, remarque Christine Cloux. Nous qui entendons, nous imaginons à tort que les sourds de naissance sont plongés dans le silence. Or, pour connaître le silence il faut connaître le bruit, ce qui est notre cas mais pas celui des sourds, qui ne connaissent pas plus le bruit que son absence. Ce qu'ils connaissent, c'est un monde privé de ces notions."

Ces considérations posent tout de même plusieurs problèmes logiques : comment un aveugle peut-il se représenter l'image spatiale d'un objet, en considérant qu'il n'a pas même deux couleurs différentes à sa disposition pour distinguer l'objet du fond ? Il suffirait pourtant de nous remémorer certaines images qui nous viennent en rêve, ou en pensée : par exemple, nous voyons l'image d'une femme, mais nous sommes bien incapables de dire quelle est la couleur ou la forme exacte de sa robe. L'image mentale du voyant a rarement la précision d'une image photographique... Ces couleurs flottantes, ces formes incertaines, peuvent sans doute nous donner un aperçu des images non visuelles de l'aveugle. Si les couleurs sont inaccessibles aux sens de l'aveugle, cela ne l'empêche pas de tenter de se les représenter.

"Ca n'empêche même pas d'avoir des préférences, fait remarquer Sophie Massieu. Je m'habille en fonction de ce que j'imagine de la couleur en question. Par exemple, je ne porte jamais de jaune. Allez savoir ce qu'il m'a fait ce pauvre jaune...". "Je me suis créée des représentations mentales des couleurs, exactement comme je me représente les idées ou les concepts qui ne se voient pas, comme un atome par exemple..." explique Christine Cloux.

Mais d'où viennent ces représentations mentales exactement ? Pour la plupart, des commentaires des voyants : "Un jour une copine est arrivée vers moi en s'écriant : "Ouah ! Du rouge ! Ca te va super bien !" D'autres ont confirmé et depuis ce moment-là j'achète plus souvent du rouge.", raconte Christine. Parfois, la couleur peut évoquer à l'aveugle de naissance un souvenir précis : Sophie Massieu associe le bleu Majorelle à un après-midi passé dans le jardin Majorelle à Marrakech. Certains aveugles associeront le noir à la tristesse s'ils ont porté du noir pendant un enterrement, le blanc à la gaieté, puisqu'ils savent que c'est la couleur dont se parent les mariées et les communiants... La couleur dépose son image dans la mémoire affective et non dans la mémoire sensorielle ; le mot s'imprègne de l'émotion, comme un buvard. "Cela rend la sensation plus épaisse." explique Sophie.

Dans ce domaine éminemment subjectif, les "glissements sensoriels" sont légion. Il arrive fréquemment que l'aveugle de naissance prête aux couleurs les propriétés tactiles des objets qui leur sont couramment associés : par exemple, si en se vautrant dans le gazon, l'aveugle en a apprécié la douceur et la mollesse, il attribuera désormais au vert ses propriétés ; de même, le rouge brûle puisque c'est le feu, le blanc est froid comme la neige... L'aveugle de naissance n'hésite jamais à puiser dans des termes empruntés aux autres sens pour décrire l'image qu'il se fait des couleurs. Christine Cloux vous dira que le blanc lui semble "très aérien, léger, comme de la glace, très pur, peut-être parfois trop", alors que le noir lui paraît au contraire "presque encombrant, étouffant".

A ce petit jeu, la langue est pour l'aveugle un vivier de métaphores et d'associations verbales précieuses : ne dit-on pas un éclat tapageur, une teinte agressive ou insolente, un rose fade ? Ecrivains et poètes ne parlent-ils pas de "l'épaisseur des ténèbres", de "ruissellements de lumières" ? La mémoire tactile de l'aveugle est alors à même de lui fournir des repères, aussi abstraits soient-ils. Quand elle lit ou entend les termes "une forêt obscure", Christine Cloux s'imagine "que la forêt est très dense, qu'il y fait frisquet, voire franchement froid parce que le soleil ne passe pas... "Le rayonnement de la chaleur donne une idée très nette à l'aveugle de ce que peut-être le rayonnement de la lumière (on parle d'ailleurs d'une lumière douce et pénétrante...).

Parfois, l'image que l'aveugle se fait d'une couleur se fonde simplement sur le mot qui la désigne. "Enfant, le jaune m'évoquait un clown en train de jouer de la trompette, parce que je trouvais le mot amusant et que je savais que c'est une couleur gaie, voire criarde, explique Christine Cloux. C'est jaune, yellow, gelb... ou même giallo. Ces sonorités participent à ma représentation de cette couleur.". Ce faisant, l'aveugle se comporte en quelque sorte en "cratylien"- du nom de Cratyle, cet interlocuteur de Socrate qui professait que la sonorité des mots pouvait nous renseigner sur la nature même de ce qu'ils désignent.

Un voyant, pourtant, sait bien qu'il est hasardeux de tenter d'établir un lien entre le nom d'une couleur et la couleur elle-même... Et cependant, n'agissons-nous pas de manière analogue quand nous imaginons une ville ou un pays où nous ne sommes jamais allés et dont nous ne savons rien, en nous fondant sur la sonorité de son nom ? Des noms tels que Constantinople, Byzance ou Marrakech ne charrient-ils pas déjà un flot d'images abstraites considérables rien que par leurs propriétés auditives, indépendamment même des images visuelles précises qu'on leur accole ? La plupart des aveugles de naissance n'hésitent pas à puiser dans les impressions auditives pour se représenter les couleurs : "Je me représente le spectre des diverses couleurs un peu comme l'échelle des sons - l'échelle des couleurs est simplement plus grande et plus complexe à se représenter." explique Christine Cloux.

La comparaison n'est pas insensée : couleurs et sons ont en commun de se définir par une certaine fréquence (hauteur pour le son, teinte pour la couleur), une certaine pureté (timbre pour le son, saturation pour la couleur), une certaine intensité (force pour le son, valeur ou luminosité pour la couleur)... Cela explique peut-être les fréquentes associations verbales entre l'ouïe et la vue dans le langage courant : ne parle-t-on pas d'un rouge criard, d'une gamme de couleur, du ton d'un tissu, d'une voix blanche ?

Pour Christine Cloux, si les couleurs émettaient du son, "le jaune, l'orange et le rouge nous casseraient les oreilles alors que le bleu par exemple ferait un bruit aussi soutenu mais moins fort, avec le vert." Cette croyance selon laquelle il pourrait exister une correspondance directe entre la sensation auditive et la sensation visuelle n'est pas propre aux aveugles, elle a longtemps hanté l'oeuvre des symbolistes et des romantiques, et des artistes en général : qu'on songe aux Synesthésies de Baudelaire ("les parfums, les couleurs et les sons se répondent" dans le poème Correspondances), à Rimbaud cherchant à assigner une couleur à chaque voyelle ("A noir, E blanc, I rouge"...), ou à cette très sérieuse table de concordance entre voyelles, couleurs et instruments que tenta d'établir René Ghil, un disciple de Mallarmé, ou encore au plasticien Nicolas Schöffer qui mit des sons en couleur... Bien qu'on sente ce qu'il entre de rêverie poétique dans cette croyance, on ne peut s'empêcher d'imaginer que, si les divers stimuli sensoriels n'étaient que les différents dialectes d'une même langue, toutes sortes de traductions deviendraient possibles...

Que vienne le temps du traducteur couleurs/sons qui permettrait de traduire un tableau de Van Gogh en symphonie ! Imaginer l'art La seule chose que les aveugles de naissance savent des peintres, c'est ce qu'on a bien voulu leur en dire - or le langage est évidemment inapte à rendre compte de ce qui fait la spécificité de cet art. Là encore, l'aveugle doit trouver des analogies où il peut : Christine Cloux imagine la peinture impressionniste en se fondant sur l'impressionnisme musical et littéral, la peinture cubiste en pensant au style de Gertrude Stein - elle imagine les personnages peints par Picasso comme "des corps dont on aurait" découpé" les diverses parties pour les reconstituer n'importe comment.", mais ajoute aussitôt "Je n'aime pas le désordre, ça ne me parle pas.". Quand on lui demande ce que lui évoque une oeuvre comme le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch, il lui semble que "ce doit être beau, presque intangible et cependant... Comme une porte d'entrée." 

Natacha de Montmollin est plus sceptique : "Je ne vois pas l'intérêt.". La peinture l'indiffère - Escher est le seul dessinateur dont elle se soit forgée une image précise : "sa technique m'intrigue". Etrange, si l'on considère que les dessins d'Escher reposent la plupart du temps sur des illusions optiques, des perspectives truquées qui, par essence, ne peuvent tromper qu'un voyant... Quel rapport les aveugles de naissance entretiennent-ils avec un art comme la poésie ? Sophie Massieu avoue qu'elle n'y est pas très sensible. "Je ne sais pas si ça relève de mon caractère ou de ma cécité... Peut-être qu'il y a une part de l'image qui m'échappe... "Christine Cloux, pour sa part, ne considère pas que la cécité soit une entrave pour apprécier un poème : selon elle, les images poétiques font autant - si ce n'est davantage - appel à la mémoire affective qu'à la mémoire sensorielle. "Peut-être que parfois je perçois une métaphore un peu autrement que quelqu'un d'autre, mais c'est le cas pour chacun de nous, je pense. Nous comprenons les figures de styles avec notre monde de référence.". Le rapport à l'art de certains aveugles de naissance semble parfois tenir du besoin vital : "C'est une expérience très riche dont je ne saurais me passer, explique Christine Cloux. J'ai peut-être d'autant plus besoin de l'art que je n'ai pas les images "extérieures à moi"".

Si l'aveugle de naissance exige davantage de l'art que le commun des voyants, c'est peut-être parce qu'il attend de lui qu'il lui restitue les beautés de la nature dont la cécité l'a privé. Oscar Wilde, pour expliquer à quel point l'oeuvre d'un artiste pouvait déteindre sur notre vision du monde, disait que ce n'est pas l'art qui imite la nature mais la nature qui imite l'art. Cette phrase a une pertinence toute particulière dans le cas de l'aveugle de naissance, car tout ce qu'il lit à propos de la nature, dans les poèmes ou dans les romans, se mêle intimement dans son imaginaire à la représentation qu'il s'en fait dans la vie de tous les jours - et cette représentation a sans doute plus à voir avec une transfiguration artistique, infiniment subjective, qu'avec, par exemple, une reproduction photographique un peu floue... Imaginer la nature D'une façon générale, la nature - tout du moins sa face visible - constitue pour l'aveugle de naissance une source inépuisable de curiosités. Certains phénomènes auxquels les voyants sont accoutumés demeurent pour lui un mystère - notamment les plus insubstantiels, ceux qu'il ne peut connaître par le toucher. "Un gaz... on risque de ne pas le voir. En revanche on voit la vapeur, ce qui est un peu étrange puisque l'eau est transparente, et pourtant, vous la voyez tout de même... Je le comprends en théorie mais c'est quand même bizarre." avoue Christine Cloux.

La transparence fait partie des notions difficiles à concevoir quand on ignore ce qu'est l'opacité visuelle - en témoigne la fascination qu'exercent les poissons sur de ce jeune aveugle de naissance, interrogé par Sophie Calle (dans le catalogue de l'exposition M'as-tu vue) : "C'est leur évolution dans l'eau qui me plaît, l'idée qu'ils ne sont rattachés à rien. Des fois, je me prends à rester debout des minutes entières devant un aquarium, debout comme un imbécile.". Un autre (toujours cité par Sophie Calle) tente de se représenter les miroitements de la mer : "On m'a expliqué que c'est bleu, vert, que les reflets avec le soleil font mal aux yeux. Cela doit être douloureux à regarder." Certaines reproductions peuvent donner à l'aveugle de naissance une idée approximative de certains phénomènes insubstantiels. Une femme (interrogée par Jane Hervé) se souvient d'un bas-relief du Moyen-Âge : "Il représentait le feu, avec des flammes en pointe comme des épées. Des flammes en pierre. J'étais éblouie. Des stries dans tous les sens, des nervures sur un flanc de rocher. Je n'avais aucune idée de la façon dont on pouvait représenter une flamme. Je ne savais pas que l'on pouvait toucher du feu".

Les aveugles de naissance n'en demeurent pas moins les premiers à reconnaître l'insuffisance de ces palliatifs, qui les induisent parfois d'avantage en erreur qu'ils ne les renseignent vraiment. "Les étoiles, on en a tous dessiné, alors ça empiète sur l'imagination, remarque Christine Cloux. Sauf que les vraies étoiles doivent avoir bien d'autres formes encore..." La difficulté à se représenter un phénomène proprement visuel, quand elle n'arrête pas un aveugle, peut au contraire aiguillonner sa curiosité. Il semble en effet que, pour certains d'entre eux, comme d'ailleurs pour quantité de voyants, moins une chose leur est accessible et plus elle les fascine. Une notion comme l'horizon, par exemple, laisse Christine Cloux rêveuse : "L'horizon, c'est là où la vue ne peut pas aller plus loin. C'est le sens de l'expression "à perte de vue", littéralement. C'est une limite, poétique pour moi... Instinctivement cela m'évoque la mer, le soleil, les océans. L'espace, l'infini presque, la liberté, l'évasion.". Le spectacle des plaines s'étendant à perte de vue, des montagnes dont les sommets se perdent dans les nuages ou des vallées s'abîmant dans des gouffres vertigineux, demeure l'apanage de la vue, mais certaines impressions auditives peuvent en donner de puissants équivalents à l'aveugle. Face à la mer, le bruit de la vague qui vient de loin lui permet de composer, à partir d'images spatiales finies, "une vision indéfinie qui peut lui donner la sensation de l'infini" (Pierre Villey). "Sur un rivage, je me concentre sur le bruit des vagues à en avoir le vertige, et je me livre toute entière à l'instant présent."confie Sophie Massieu.

A la montagne, des bruits légers transportés à de grandes distances, dont l'écho se répercute pendant de longues secondes, élargissent "l'horizon" de l'aveugle dans toutes les directions à la fois. L'aveugle est en outre affranchi de certains aléas liés à l'altitude : "Je ne pense pas que je puisse avoir le vertige, dans la mesure où il me semble qu'il s'agit d'un phénomène en relation avec la vue. "explique Daniel Baud (66 ans, retraité). Christine Cloux assure même aimer "la sensation de vide au bord d'une falaise.". Certains aveuglent de naissance aiment particulièrement se confronter à l'immensité des grands espaces : "Les espaces infinis, je suis allée dans le désert juste pour me plonger dedans..." affirme Sophie Massieu. Sans vouloir généraliser outre mesure, il semble que l'infini soit, pour les aveugles de naissance, moins une source de crainte que de curiosité. Quand, après leur avoir lu la phrase de Pascal : "Le silence éternel des espaces infinis m'effraie.", je leur demande lequel de ces termes leur inspire la plus grande crainte, aucun ne mentionne l'infini.

Pour Sophie Massieu, c'est l'éternité : "Se dire que rien ne va changer pendant toute une vie, ça ne correspond pas du tout à mon caractère". Pour Daniel Baud, c'est le silence éternel - et pour cause, un silence absolu serait, pour l'aveugle, comme une obscurité totale pour un voyant. "Perdre tout point de repère - plus d'espace-temps, plus de son, plus d'espace... - effectivement c'est effrayant, admet Christine Cloux. Nous avons besoin d'un lieu où être ancrés, d'un point de référence pour pouvoir dire :"je suis ici, je suis vivant." Mais sa foi tempère ses craintes : "C'est effrayant pour nous maintenant, Mais lorsque nous serons éternels, nous n'aurons plus besoin de ces notions physiques."

a couleur du "jamais" 

Nous disions plus haut que l'aveugle de naissance ne pouvait pas regretter la vue puisqu'il s'agissait d'un état qu'il n'avait jamais connu... Mais ne leur arrivent-ils jamais de soupirer après ces merveilles de la nature dont ils entendent parler autour d'eux, en songeant à ces beautés qu'ils n'ont jamais vu et, pour la majorité d'entre eux, ne verront jamais ? Ces pensées ne colorent-elles pas ce "jamais" d'une pointe d'amertume ?

"Je regrette la vue comme on peut envier le don de la divination ou les ailes de l'aigle" affirme un aveugle de naissance cité par Pierre Villey. Quand Christine Cloux s'imagine voyante, elle reste songeuse : "Peut-être qu'au lieu d'écrire je ferais des aquarelles... et encore, je pense que non.". La vue semble n'inspirer aux aveugles de naissance que des songes vains ou des désirs abstraits - voire même, parfois, une certaine méfiance : "Tant de gens qui voient sont en fait malheureux, remarque Christine Cloux. Pour sûr, la vue n'apporte ni le bonheur ni rien. Ou peut-être qu'elle apporte trop et qu'on est envahis par tout ce qu'il faut regarder." A l'en croire, la cécité peut même parfois s'avérer un filtre bénéfique : "Je peux éviter de me représenter ce que je ne veux pas, comme nombre d'images que vous subissez aux informations : les catastrophes, les morts... Je les comprends, je les intègre, ça me touche, mais je ne les "vois" pas précisément dans ma tête. L'impact émotionnel est largement suffisant et je ne suis pas masochiste."

En définitive, le rapport que l'aveugle de naissance entretient avec la vue est sans doute semblable à celui que nous entretenons tous vis-à-vis de l'inconnu : un mélange de peur et de désir, d'attirance et de défiance, comme en atteste ce témoignage de Christine Cloux, à qui nous laisserons le mot de la fin : "Oui, il m'arrive de regretter de ne pas voir. Je ne verrai jamais le visage des gens que j'aime, les fleurs, les étoiles, la nature, les petits enfants, les gens qui me sourient, les couleurs, les planètes... Et si je pouvais voir, juste un jour, juste une heure, cela ferait tellement plaisir à ma famille ! Ce serait pour eux un vrai bonheur, je pense, nettement plus que pour moi, puisque que je suis heureuse de ma vie de toute manière. Mais comme je suis curieuse, je voudrais tout voir, quitte à ne rien comprendre : les nuages, les étoiles, les gens. Je voudrais voir les visages changer lorsqu'ils ressentent des émotions. Je voudrais regarder dans un miroir pour voir quel effet ça fait d'être "face à soi-même" littéralement. Mais si vraiment je pouvais, je crois bien que ça me donnerait le vertige. C'est parce que je sais que ça ne risque pas d'arriver que je me dis que ce serait peut-être bien. Mais voir tout le temps... pas sûr. Il faudrait apprendre à voir, puis à regarder, puis à gérer. Et qui saurait m'apprendre comment faire ?"

Auteur: Molard Arthur

Info: http://www.jeanmarcmeyrat.ch/blog/2011/05/12/le-monde-tel-que-limaginent-ceux-qui-nont-jamais-vu

[ réflexion ] [ vacuité ] [ onirisme ] [ mimétisme ] [ imagination ] [ synesthésie ] [ monde mental ]

 

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évolution subatomique

Une nouvelle idée pour assembler la vie         (Avec l'aimable autorisation de Lee Cronin)

Si nous voulons comprendre des constructions complexes, telles que nous-mêmes, la théorie de l'assemblage affirme que nous devons tenir compte de toute l'histoire de la création de ces entités, du pourquoi et comment elles sont ce qu'elles sont.

La théorie de l'assemblage explique pourquoi, étant donné les possibilités combinatoires apparemment infinies, nous n'observons qu'un certain sous-ensemble d'objets dans notre univers.

La vie sur d'autres mondes - si elle existe - pourrait être si étrangère qu'elle en serait méconnaissable. Il n'est pas certain que la biologie extraterrestre utilise la même chimie que celle de la Terre, avec des éléments constitutifs familiers tels que l'ADN et les protéines. Avec cette approche les scientifiques pourraient même repérer les signatures de ces formes de vie sans savoir qu'elles sont le fruit de la biologie.

Ce problème est loin d'être hypothétique. En avril, la sonde Juice de l'Agence spatiale européenne a décollé de la Guyane française en direction de Jupiter et de ses lunes. L'une de ces lunes, Europe, abrite un océan profond et saumâtre sous sa croûte gelée et figure parmi les endroits les plus prometteurs du système solaire pour la recherche d'une vie extraterrestre. L'année prochaine, le vaisseau spatial Europa Clipper de la NASA sera lancé, lui aussi en direction d'Europe. Les deux engins spatiaux sont équipés d'instruments embarqués qui rechercheront les empreintes de molécules organiques complexes, signe possible de vie sous la glace. En 2027, la NASA prévoit de lancer un hélicoptère ressemblant à un drone, appelé Dragonfly, pour survoler la surface de Titan, une lune de Saturne, un monde brumeux, riche en carbone, avec des lacs d'hydrocarbures liquides qui pourraient être propices à la vie, mais pas telle que nous la connaissons.

Ces missions et d'autres encore se heurteront au même obstacle que celui auquel se heurtent les scientifiques depuis qu'ils ont tenté pour la première fois de rechercher des signes de biologie martienne avec les atterrisseurs Viking dans les années 1970 : Il n'y a pas de signature définitive de la vie.

C'est peut-être sur le point de changer. En 2021, une équipe dirigée par Lee Cronin, de l'université de Glasgow, en Écosse, et Sara Walker, de l'université d'État de l'Arizona, a proposé une méthode très générale pour identifier les molécules produites par les systèmes vivants, même ceux qui utilisent des chimies inconnues. Leur méthode suppose simplement que les formes de vie extraterrestres produisent des molécules dont la complexité chimique est similaire à celle de la vie sur Terre.

Appelée théorie de l'assemblage, l'idée qui sous-tend la stratégie des deux chercheurs a des objectifs encore plus ambitieux. Comme l'indique une récente série de publications, elle tente d'expliquer pourquoi des choses apparemment improbables, telles que vous et moi, existent. Et elle cherche cette explication non pas, à la manière habituelle de la physique, dans des lois physiques intemporelles, mais dans un processus qui imprègne les objets d'histoires et de souvenirs de ce qui les a précédés. Elle cherche même à répondre à une question qui laisse les scientifiques et les philosophes perplexes depuis des millénaires : qu'est-ce que la vie, de toute façon ?

Il n'est pas surprenant qu'un projet aussi ambitieux ait suscité le scepticisme. Ses partisans n'ont pas encore précisé comment il pourrait être testé en laboratoire. Et certains scientifiques se demandent si la théorie de l'assemblage peut même tenir ses promesses les plus modestes, à savoir distinguer la vie de la non-vie et envisager la complexité d'une nouvelle manière.

La théorie de l'assemblage a évolué, en partie, pour répondre au soupçon de Lee Cronin selon lequel "les molécules complexes ne peuvent pas simplement émerger, parce que l'espace combinatoire est trop vaste".

Mais d'autres estiment que la théorie de l'assemblage n'en est qu'à ses débuts et qu'il existe une réelle possibilité qu'elle apporte une nouvelle perspective à la question de la naissance et de l'évolution de la complexité. "Il est amusant de s'engager dans cette voie", a déclaré le théoricien de l'évolution David Krakauer, président de l'Institut Santa Fe. Selon lui, la théorie de l'assemblage permet de découvrir l'histoire contingente des objets, une question ignorée par la plupart des théories de la complexité, qui ont tendance à se concentrer sur la façon dont les choses sont, mais pas sur la façon dont elles sont devenues telles. Paul Davies, physicien à l'université de l'Arizona, est d'accord avec cette idée, qu'il qualifie de "nouvelle, susceptible de transformer notre façon de penser la complexité".

Sur l'ordre des choses

La théorie de l'assemblage est née lorsque M. Cronin s'est demandé pourquoi, compte tenu du nombre astronomique de façons de combiner différents atomes, la nature fabrique certaines molécules et pas d'autres. C'est une chose de dire qu'un objet est possible selon les lois de la physique, c'en est une autre de dire qu'il existe une voie réelle pour le fabriquer à partir de ses composants. "La théorie de l'assemblage a été élaborée pour traduire mon intuition selon laquelle les molécules complexes ne peuvent pas simplement émerger parce que l'espace combinatoire est trop vaste", a déclaré M. Cronin.

Walker, quant à lui, s'est penché sur la question de l'origine de la vie - une question étroitement liée à la fabrication de molécules complexes, car celles des organismes vivants sont bien trop complexes pour avoir été assemblées par hasard. Walker s'est dit que quelque chose avait dû guider ce processus avant même que la sélection darwinienne ne prenne le dessus.

Cronin et Walker ont uni leurs forces après avoir participé à un atelier d'astrobiologie de la NASA en 2012. "Sara et moi discutions de la théorie de l'information, de la vie et des voies minimales pour construire des machines autoreproductibles", se souvient M. Cronin. "Et il m'est apparu très clairement que nous convergions tous les deux sur le fait qu'il manquait une 'force motrice' avant la biologie."

Aujourd'hui, la théorie de l'assemblage fournit une explication cohérente et mathématiquement précise de l'apparente contingence historique de la fabrication des objets - pourquoi, par exemple, ne peut-on pas développer de fusées avant d'avoir d'abord la vie multicellulaire, puis l'homme, puis la civilisation et la science. Il existe un ordre particulier dans lequel les objets peuvent apparaître.

"Nous vivons dans un univers structuré de manière récursive*", a déclaré M. Walker. "La plupart des structures doivent être construites à partir de la mémoire du passé. L'information se construit au fil du temps.

Cela peut sembler intuitivement évident, mais il est plus difficile de répondre à certaines questions sur l'ordre des choses. Les dinosaures ont-ils dû précéder les oiseaux ? Mozart devait-il précéder John Coltrane ? Peut-on dire quelles molécules ont nécessairement précédé l'ADN et les protéines ?

Quantifier la complexité

La théorie de l'assemblage repose sur l'hypothèse apparemment incontestable que les objets complexes résultent de la combinaison de nombreux objets plus simples. Selon cette théorie, il est possible de mesurer objectivement la complexité d'un objet en examinant la manière dont il a été fabriqué. Pour ce faire, on calcule le nombre minimum d'étapes nécessaires pour fabriquer l'objet à partir de ses ingrédients, que l'on quantifie en tant qu'indice d'assemblage (IA).

En outre, pour qu'un objet complexe soit intéressant d'un point de vue scientifique, il faut qu'il y en ait beaucoup. Des objets très complexes peuvent résulter de processus d'assemblage aléatoires - par exemple, on peut fabriquer des molécules de type protéine en reliant n'importe quels acides aminés en chaînes. En général, cependant, ces molécules aléatoires ne feront rien d'intéressant, comme se comporter comme une enzyme. En outre, les chances d'obtenir deux molécules identiques de cette manière sont extrêmement faibles.

En revanche, les enzymes fonctionnelles sont fabriquées de manière fiable à maintes reprises en biologie, car elles sont assemblées non pas au hasard, mais à partir d'instructions génétiques transmises de génération en génération. Ainsi, si le fait de trouver une seule molécule très complexe ne vous dit rien sur la manière dont elle a été fabriquée, il est improbable de trouver plusieurs molécules complexes identiques, à moins qu'un processus orchestré - peut-être la vie - ne soit à l'œuvre.

Cronin et Walker ont calculé que si une molécule est suffisamment abondante pour être détectable, son indice d'assemblage peut indiquer si elle a été produite par un processus organisé et réaliste. L'intérêt de cette approche est qu'elle ne suppose rien sur la chimie détaillée de la molécule elle-même, ni sur celle de l'entité vivante qui l'a produite. Elle est chimiquement agnostique. C'est ce qui la rend particulièrement précieuse lorsque nous recherchons des formes de vie qui pourraient ne pas être conformes à la biochimie terrestre, a déclaré Jonathan Lunine, planétologue à l'université Cornell et chercheur principal d'une mission proposée pour rechercher la vie sur la lune glacée de Saturne, Encelade.

"Il est bien qu'au moins une technique relativement agnostique soit embarquée à bord des missions de détection de la vie", a déclaré Jonathan Lunine.

Il ajoute qu'il est possible d'effectuer les mesures requises par la théorie de l'assemblage avec des techniques déjà utilisées pour étudier la chimie des surfaces planétaires. "La mise en œuvre de mesures permettant l'utilisation de la théorie de l'assemblage pour l'interprétation des données est éminemment réalisable", a-t-il déclaré.

La mesure du travail d'une vie

Ce qu'il faut, c'est une méthode expérimentale rapide et facile pour déterminer l'IA (indice d'assemblage) de certaines molécules. À l'aide d'une base de données de structures chimiques, Cronin, Walker et leurs collègues ont conçu un moyen de calculer le nombre minimum d'étapes nécessaires à la fabrication de différentes structures moléculaires. Leurs résultats ont montré que, pour les molécules relativement petites, l'indice d'assemblage est à peu près proportionnel au poids moléculaire. Mais pour les molécules plus grandes (tout ce qui est plus grand que les petits peptides, par exemple), cette relation est rompue.

Dans ces cas, les chercheurs ont découvert qu'ils pouvaient estimer l'IA à l'aide de la spectrométrie de masse, une technique déjà utilisée par le rover Curiosity de la NASA pour identifier les composés chimiques à la surface de Mars, et par la sonde Cassini de la NASA pour étudier les molécules qui jaillissent d'Encelade.

La spectrométrie de masse décompose généralement les grosses molécules en fragments. Cronin, Walker et leurs collègues ont constaté qu'au cours de ce processus, les grosses molécules à IA élevé se fracturent en mélanges de fragments plus complexes que celles à IA faible (comme les polymères simples et répétitifs). Les chercheurs ont ainsi pu déterminer de manière fiable l'IA (indice d'assemblage) en fonction de la complexité du spectre de masse de la molécule.

Lorsque les chercheurs ont ensuite testé la technique, ils ont constaté que les mélanges complexes de molécules produites par des systèmes vivants - une culture de bactéries E. coli, des produits naturels comme le taxol (un métabolite de l'if du Pacifique aux propriétés anticancéreuses), de la bière et des cellules de levure - présentaient généralement des IA moyens nettement plus élevés que les minéraux ou les simples substances organiques.

L'analyse est susceptible de donner lieu à des faux négatifs : certains produits issus de systèmes vivants, tels que le scotch Ardbeg single malt, ont des IA qui suggèrent une origine non vivante. Mais ce qui est peut-être plus important encore, c'est que l'expérience n'a produit aucun faux positif : Les systèmes abiotiques ne peuvent pas obtenir des IA suffisamment élevés pour imiter la biologie. Les chercheurs ont donc conclu que si un échantillon doté d'un IA moléculaire élevé est mesuré sur un autre monde, il est probable qu'il ait été fabriqué par une entité que l'on pourrait qualifier de vivante.

(Photo-schéma : Une échelle de la vie)

Les chercheurs ont établi/estimé l'indice d'assemblage (IA) de substance variées par des mesures répétés de leurs structures moléculaires, Seules celles assemblées biologiquement ont un AI au-dessus d'un certain palier. 

Non biologique        (vert)

Indice               bas        moyen       haut

charbon             10...    12

quarz                    11... 12

granit                 10  ..   12..   15

Biologique               (jaune)

levure                10                         24

urine                9                          ...   27

eau de mer      9                                 ....28

e-Coli                                    15                        31

bière                 10                                 ..            34

(Merrill Sherman/Quanta Magazine ; source : https://doi.org/10.1038/s41467-021-23258-x)

La spectrométrie de masse ne fonctionnerait que dans le cadre de recherches astrobiologiques ayant accès à des échantillons physiques, c'est-à-dire des missions d'atterrissage ou des orbiteurs comme Europa Clipper, qui peuvent ramasser et analyser des molécules éjectées de la surface d'un monde. Mais Cronin et ses collègues viennent de montrer qu'ils peuvent mesurer l'IA moléculaire en utilisant deux autres techniques qui donnent des résultats cohérents. L'une d'entre elles, la spectroscopie infrarouge, pourrait être utilisée par des instruments tels que ceux du télescope spatial James Webb, qui étudient à distance la composition chimique de mondes lointains.

Cela ne veut pas dire que ces méthodes de détection moléculaire offrent un instrument de mesure précis permettant de passer de la pierre au reptile. Hector Zenil, informaticien et biotechnologue à l'université de Cambridge, a souligné que la substance présentant l'IA le plus élevé de tous les échantillons testés par le groupe de Glasgow - une substance qui, selon cette mesure, pourrait être considérée comme la plus "biologique" - n'était pas une bactérie.

C'était de la bière.

Se débarrasser des chaînes du déterminisme

La théorie de l'assemblage prédit que des objets comme nous ne peuvent pas naître isolément - que certains objets complexes ne peuvent émerger qu'en conjonction avec d'autres. C'est intuitivement logique : l'univers n'a jamais pu produire un seul être humain. Pour qu'il y ait des êtres humains, il faut qu'il y en ait beaucoup.

La physique traditionnelle n'a qu'une utilité limitée lorsqu'il s'agit de prendre en compte des entités spécifiques et réelles telles que les êtres humains en général (et vous et moi en particulier). Elle fournit les lois de la nature et suppose que des résultats spécifiques sont le fruit de conditions initiales spécifiques. Selon ce point de vue, nous devrions avoir été codés d'une manière ou d'une autre dans les premiers instants de l'univers. Mais il faut certainement des conditions initiales extrêmement bien réglées pour que l'Homo sapiens (et a fortiori vous) soit inévitable.

La théorie de l'assemblage, selon ses défenseurs, échappe à ce type d'image surdéterminée. Ici, les conditions initiales n'ont pas beaucoup d'importance. Les informations nécessaires à la fabrication d'objets spécifiques tels que nous n'étaient pas présentes au départ, mais se sont accumulées au cours du processus d'évolution cosmique, ce qui nous dispense de faire porter toute la responsabilité à un Big Bang incroyablement bien réglé. L'information "est dans le chemin", a déclaré M. Walker, "pas dans les conditions initiales".

Cronin et Walker ne sont pas les seuls scientifiques à tenter d'expliquer que les clés de la réalité observée pourraient bien ne pas résider dans des lois universelles, mais dans la manière dont certains objets sont assemblés et se transforment en d'autres. La physicienne théorique Chiara Marletto, de l'université d'Oxford, développe une idée similaire avec le physicien David Deutsch. Leur approche, qu'ils appellent la théorie des constructeurs et que Marletto considère comme "proche dans l'esprit" de la théorie de l'assemblage, examine quels types de transformations sont possibles et lesquels ne le sont pas.

"La théorie des constructeurs parle de l'univers des tâches capables d'effectuer certaines transformations", explique M. Cronin. "On peut considérer qu'elle limite ce qui peut se produire dans le cadre des lois de la physique. La théorie de l'assemblage, ajoute-t-il, ajoute le temps et l'histoire à cette équation.

Pour expliquer pourquoi certains objets sont fabriqués et d'autres non, la théorie de l'assemblage identifie une hiérarchie imbriquée de quatre "univers" distincts.

1 Dans l'univers de l'assemblage, toutes les permutations des éléments de base sont autorisées. 2 Dans l'univers de l'assemblage possible, les lois de la physique limitent ces combinaisons, de sorte que seuls certains objets sont réalisables. 3 L'univers de l'assemblage contingenté élague alors le vaste éventail d'objets physiquement autorisés en sélectionnant ceux qui peuvent effectivement être assemblés selon des chemins possibles. 4 Le quatrième univers est l'assemblage observé, qui comprend uniquement les processus d'assemblage qui ont généré les objets spécifiques que nous voyons actuellement.

(Photo - schéma montrant l'univers de l'assemblage dès son origine via un entonnoir inversé présentant ces 4 étapes, qui élargissent en descendant)

1 Univers assembleur

Espace non contraint contenant toutes les permutations possibles des blocs de base de l'univers

2 Assemblage possibles

Seuls les objets physiquement possibles existent, limités par les lois de la physique.

3 Assemblages contingents

Objets qui peuvent effectivement être assemblés en utilisant des chemins possibles

4 Assemblage dans le réel

Ce que nous pouvons observer

(Merrill Sherman/Quanta Magazine ; source : https://doi.org/10.48550/arXiv.2206.02279)

La théorie de l'assemblage explore la structure de tous ces univers, en utilisant des idées tirées de l'étude mathématique des graphes, ou réseaux de nœuds interconnectés. Il s'agit d'une "théorie de l'objet d'abord", a déclaré M. Walker, selon laquelle "les choses [dans la théorie] sont les objets qui sont effectivement fabriqués, et non leurs composants".

Pour comprendre comment les processus d'assemblage fonctionnent dans ces univers notionnels, prenons le problème de l'évolution darwinienne. Conventionnellement, l'évolution est quelque chose qui "s'est produit" une fois que des molécules répliquées sont apparues par hasard - un point de vue qui risque d'être une tautologie (affirmation/certitude), parce qu'il semble dire que l'évolution a commencé une fois que des molécules évolutives ont existé. Les partisans de la théorie de l'assemblage et de la théorie du constructeur recherchent au contraire "une compréhension quantitative de l'évolution ancrée dans la physique", a déclaré M. Marletto.

Selon la théorie de l'assemblage, pour que l'évolution darwinienne puisse avoir lieu, il faut que quelque chose sélectionne de multiples copies d'objets à forte intelligence artificielle dans l'assemblage possible. Selon M. Cronin, la chimie à elle seule pourrait en être capable, en réduisant des molécules relativement complexes à un petit sous-ensemble. Les réactions chimiques ordinaires "sélectionnent" déjà certains produits parmi toutes les permutations possibles parce que leur vitesse de réaction est plus rapide.

Les conditions spécifiques de l'environnement prébiotique, telles que la température ou les surfaces minérales catalytiques, pourraient donc avoir commencé à vidanger/filtrer le pool des précurseurs moléculaires de la vie parmi ceux de l'assemblage possible. Selon la théorie de l'assemblage, ces préférences prébiotiques seront "mémorisées" dans les molécules biologiques actuelles : Elles encodent leur propre histoire. Une fois que la sélection darwinienne a pris le dessus, elle a favorisé les objets les plus aptes à se répliquer. Ce faisant, ce codage de l'histoire s'est encore renforcé. C'est précisément la raison pour laquelle les scientifiques peuvent utiliser les structures moléculaires des protéines et de l'ADN pour faire des déductions sur les relations évolutives des organismes.

Ainsi, la théorie de l'assemblage "fournit un cadre permettant d'unifier les descriptions de la sélection en physique et en biologie", écrivent Cronin, Walker et leurs collègues. Plus un objet est "assemblé", plus il faut de sélections successives pour qu'il parvienne à l'existence.

"Nous essayons d'élaborer une théorie qui explique comment la vie naît de la chimie", a déclaré M. Cronin, "et de le faire d'une manière rigoureuse et vérifiable sur le plan empirique".

Une mesure pour tous les gouverner ?

Krakauer estime que la théorie de l'assemblage et la théorie du constructeur offrent toutes deux de nouvelles façons stimulantes de réfléchir à la manière dont les objets complexes prennent naissance. "Ces théories sont davantage des télescopes que des laboratoires de chimie", a-t-il déclaré. "Elles nous permettent de voir les choses, pas de les fabriquer. Ce n'est pas du tout une mauvaise chose et cela pourrait être très puissant".

Mais il prévient que "comme pour toute la science, la preuve sera dans le pudding".

Zenil, quant à lui, estime que, compte tenu de l'existence d'une liste déjà considérable de mesures de la complexité telles que la complexité de Kolmogorov, la théorie de l'assemblage ne fait que réinventer la roue. Marletto n'est pas d'accord. "Il existe plusieurs mesures de la complexité, chacune capturant une notion différente de cette dernière", a-t-elle déclaré. Mais la plupart de ces mesures ne sont pas liées à des processus réels. Par exemple, la complexité de Kolmogorov suppose une sorte d'appareil capable d'assembler tout ce que les lois de la physique permettent. Il s'agit d'une mesure appropriée à l'assemblage possible, a déclaré Mme Marletto, mais pas nécessairement à l'assemblage observé. En revanche, la théorie de l'assemblage est "une approche prometteuse parce qu'elle se concentre sur des propriétés physiques définies de manière opérationnelle", a-t-elle déclaré, "plutôt que sur des notions abstraites de complexité".

Selon M. Cronin, ce qui manque dans les mesures de complexité précédentes, c'est un sens de l'histoire de l'objet complexe - les mesures ne font pas la distinction entre une enzyme et un polypeptide aléatoire.

Cronin et Walker espèrent que la théorie de l'assemblage permettra à terme de répondre à des questions très vastes en physique, telles que la nature du temps et l'origine de la deuxième loi de la thermodynamique. Mais ces objectifs sont encore lointains. "Le programme de la théorie de l'assemblage n'en est qu'à ses débuts", a déclaré Mme Marletto. Elle espère voir la théorie mise à l'épreuve en laboratoire. Mais cela pourrait aussi se produire dans la nature, dans le cadre de la recherche de processus réalistes se déroulant sur des mondes extraterrestres.

 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/a-new-theory-for-the-assembly-of-life-in-the-universe-20230504?mc_cid=088ea6be73&mc_eid=78bedba296 - Philip Ball , contributing Writer,  4 mai 2023. *Qui peut être répété un nombre indéfini de fois par l'application de la même règle.

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