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conte spirituel

Une légende raconte qu’un jour Nârada demanda à Krishna : "Seigneur, montrez-moi Mâyâ." Quelques jours passèrent, puis Krishna emmena Nârada se promener avec lui dans un désert. Après qu’ils eurent marché pendant plusieurs kilomètres, Krishna dit : "Nârada, j’ai soif ; peux-tu aller me chercher un peu d’eau ? – J’y vais, Seigneur, je vous rapporterai de l’eau." Nârada partir. A une petite distance de là se trouvait un village ; Nârada y entra pour demander de l’eau et frappa à une porte. Une jeune fille extrêmement belle vint lui ouvrir ; à sa vue Nârada oublia tout aussitôt que son Maître attendait de l’eau, qu’il mourait peut-être de soif. Il oublia tout et lia conversation avec la jeune fille. De toute la journée il ne retourna pas vers son Maître. Le lendemain, il était revenu à cette maison et causait avec la jeune fille. Ces entretiens virent naître l’amour. Nârada demanda au père la main de la jeune fille, ils se marièrent, vécurent là et eurent des enfants. Ainsi douze années passèrent, pendant lesquelles le beau-père mourut et Nârada hérita de ses biens. Il menait, à ce qu’il semblait croire, une vie très heureuse avec sa femme et ses enfants, ses champs et son bétail. Puis il se produisit une inondation. Une nuit la rivière monta, elle passa par-dessus les berges et envahit tout le village. Des maisons s’écroulèrent, des hommes et des animaux furent emportés et noyés, tout était balayé par le courant. Nârada dut fuir. D’une main il tenait sa femme, et de l’autre deux de ses enfants, tandis qu’un autre enfant était sur ses épaules ; il essaya ainsi de traverser à gué ces terribles flots. Au bout de quelques pas, il vit que le courant était trop violent ; l’enfant qui était sur ses épaules tomba et fut emporté. Nârada poussa un cri de désespoir. En essayant de sauver cet enfant, il lâcha l’un des autres, qui disparut aussi. Enfin, sa femme, qu’il retenait de toute sa force, fut arrachée par le torrent, et lui-même fut rejeté sur la rive, sanglotant, se lamentant amèrement. Alors derrière lui se fit entendre une voix très douce : "Mon enfant, où est l’eau ? Tu es allé chercher une cruche d’eau, et je t’attends ; voilà une bonne demi-heure que tu es parti. – Une demi-heure, s’écria Nârada !" Douze années entières s’étaient écoulées dans son esprit, tandis que toutes ces scènes s’étaient passées en une demi-heure ! Et cela c’est Mâyâ.

Auteur: Vivekânanda Swâmi

Info: Dans "Jnâna-Yoga", pages 88-89

[ psychique ] [ identification ] [ définition ] [ temps relatif ]

 
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philosophe

Un homme, dans l’Europe de ce temps, incarnait puissamment ces tendances [humanistes] ; un homme salué, révéré comme un maître par les Français aussi bien que par les Anglais, par les Allemands, les Flamands, les Polonais, les Espagnols, les Italiens même : l’auteur d’une œuvre latine de langue, universelle d’esprit, savante et pratique à la fois : Érasme.

Un tribun ? un meneur d’hommes ? Il était bien trop fin, trop mesuré et raisonnable pour pouvoir exercer, en dehors des milieux cultivés où l’on savait le prix d’une vaste science et d’une ironie subtile, l’influence d’un chef d’offensive prêt à donner l’assaut. Et d’ailleurs, un assaut du dehors, brutal, direct, violent ? Connaissant les hommes et l’échiquier compliqué d’une Europe en gestation, comment aurait-il cru au succès final d’une semblable aventure ?

Cette Europe, il l’avait parcourue. Il avait séjourné, successivement, dans ses grandes capitales. Il avait eu l’audience non de ses savants seulement, mais de ses maîtres véritables : les grands, les politiques. En particulier, il savait ce qu’était l’Église romaine avec ses ressorts robustes et cachés, ses prises diplomatiques sur les souverains, ses ressources matérielles et morales infinies. Il n’avait garde d’en sous-estimer la puissance. Et il se rendait compte que, pour changer comme il le désirait — mais à sa façon, qui n’était pas celle d’un Luther — les bases traditionnelles de la vie chrétienne ; il sentait avec force que, pour faire triompher cette Philosophie du Christ, cette religion de l’esprit qu’il exposait et prêchait avec une conviction dont il faut se garder de douter, et une ardeur qui n’était point sans péril — la condition préalable, absolument nécessaire, c’était de rester dans le giron de l’Église, de la travailler du dedans avec continuité mais sans brutalité ni fracas — et de ne jamais s’en séparer ou s’en laisser expulser par une rupture violente, qui d’ailleurs répugnait à ses sentiments, autant qu’à son esprit.

Or, lorsque parurent les premiers écrits de Luther, lorsque son nom vola de bouche en bouche à travers toute l’Europe, ce furent les gens d’étude, d’abord, qui se sentirent émus. Les humanistes tressaillirent quand l’Augustin opposa à la doctrine adultérée des prôneurs d’indulgence ses 95 thèses retentissantes ; ils s’arrachèrent les protestations, les exhortations de Luther quand le propre éditeur d’Érasme, Froben, en eut fait à Bâle un recueil qu’il dut rééditer en février, puis en août 1519 ; et sur l’heure, non sans ingénuité, ils firent du moine une sorte de second, d’auxiliaire d’Érasme.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 80-81

[ christianisme ] [ stratégie ] [ affiliation supposée ]

 

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non-réciprocité

Tout d'abord, l'amour est une expérience commune entre deux personnes - mais le fait qu'il s'agisse d'une expérience commune ne signifie pas qu'il s'agit d'une expérience similaire pour les deux personnes concernées. Il y a l'amant et le bien-aimé, mais ces deux-là viennent de pays différents. Souvent, le bien-aimé n'est qu'un stimulus pour tout l'amour accumulé qui était resté silencieux au sein de l'amant pendant longtemps. Et d'une certaine manière, chaque amoureux le sait. Il sent dans son âme que son amour est une chose solitaire. Il apprend à connaître une nouvelle et étrange solitude et c'est cette connaissance qui le fait souffrir. Il n'y a donc qu'une seule chose à faire pour l'amoureux. Il doit loger son amour en lui-même du mieux qu'il peut ; il doit créer pour lui-même un tout nouveau monde intérieur - un monde intense et étrange, complet en lui-même. Ajoutons que l'amant dont nous parlons n'est pas nécessairement un jeune homme qui cherche une alliance, il peut être un homme, une femme, un enfant ou toute autre créature humaine sur cette terre.

L'amant peut aussi correspondre à n'importe quelle description. Les personnes les plus farfelues peuvent être le stimulus de l'amour. Un homme peut être  arrière-grand-père et n'aimer qu'une fille étrange qu'il a vue dans les rues de Cheehaw un après-midi il y a vingt ans. Le prédicateur peut aimer une femme déchue. La bien-aimée peut être perfide, au cheveux gris, et avec de mauvaises habitudes. Oui, et l'amoureux peut le voir aussi clairement que n'importe qui d'autre - mais cela n'affecte en rien l'évolution de son amour. Une personne très médiocre peut être l'objet d'un amour sauvage, extravagant et beau comme les lys empoisonnés du marais. Un homme de bien peut être le stimulus d'un amour violent et avili, ou un fou jacassant peut faire naître dans l'âme de quelqu'un une idylle tendre et simple. Par conséquent, la valeur et la qualité de tout amour sont déterminées uniquement par l'amant lui-même.

C'est pour cette raison que la plupart d'entre nous préfèrent aimer qu'être aimés. Presque tout le monde veut être l'amant. Et la vérité crue est que, d'une manière secrète et profonde, l'état d'être aimé est intolérable pour beaucoup. Le bien-aimé craint et déteste l'amant, et ce pour les meilleures raisons. Car l'amant essaie toujours de dépouiller sa bien-aimée. recherche à tout prix une relation avec la personne aimée, même si cette expérience ne peut lui causer que de la douleur.

Auteur: McCullers Carson

Info: The Ballad of the Sad Café and Other Stories

[ passion ] [ déséquilibre ] [ pouvoir ] [ couple ]

 

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marketing

Edward Bernays est, selon la légende, l’homme qui a appris aux femmes à fumer. Nous l’avons déjà évoqué dans le chapitre précédent, puisqu’il est aussi connu comme le premier théoricien des relations publiques. Durant sa carrière de consultant, Bernays a été employé par George Washington Hill, le dirigeant de l’American Tobacco Company, pour promouvoir une image positive des cigarettes. Celles-ci étaient la cible des ligues de vertu et de divers groupes religieux et politiques pour qui le tabac, comme l’alcool, était associé à l’immoralité, à l’oisiveté et au vice. Le tabac était perçu par la bourgeoisie conservatrice comme particulièrement contraire aux bonnes mœurs féminines. Certains établissements – universités, restaurants, gares… – interdisaient même aux femmes de fumer en leur sein. L’action d’Edward Bernays dans ce contexte est devenue à proprement parler mythique.

En 1929, Hill contacte Bernays pour que disparaisse une fois pour toutes le tabou de la cigarette chez les femmes : "Elles fument à l’intérieur. Mais, bon dieu, si elles passent la moitié de leur temps à l’extérieur et que l’on arrive à les faire fumer dehors, on doublera presque notre marché féminin ! Faites quelque chose !" Bernays prend alors conseil auprès du psychanalyste autrichien Abraham Arden Brill, qui lui explique la situation en ces termes : "Certaines femmes conçoivent la cigarette comme des symboles de liberté. Fumer est la sublimation de l’érotisme oral ; tenir une cigarette en bouche excite la zone orale. Il est parfaitement normal pour les femmes de vouloir fumer des cigarettes. La première femme à avoir fumé avait probablement un excès de caractéristiques masculines et a pris cette habitude tel un comportement masculin. Mais, aujourd’hui, l’émancipation des femmes a supprimé beaucoup de leurs désirs féminins. Beaucoup de femmes réalisent maintenant le même travail que les hommes. Beaucoup n’ont pas d’enfants ; celles qui en ont en font moins. Les traits féminins sont masqués. Les cigarettes, qui sont assimilées aux hommes, sont devenues des torches de la liberté." Éclairé par cette analyse, Edward Bernays organise un "pseudo-événement" lors de la parade annuelle des fêtes de Pâques de New York. Il invite une dizaine de suffragettes à défiler dans cette parade en fumant des cigarettes, qu’elles appellent les "torches de la liberté". Ce happening féministe trouve un large écho dans la presse dès le lendemain. "D’anciennes coutumes, conclut Bernays, peuvent être brisées par une mise en scène dramatique, disséminée par le réseau médiatique. Bien sûr, le tabou n’était pas complètement détruit, mais cela marquait un début." 

Auteur: Galluzzo Anthony

Info: Dans "La fabrique du consommateur", éd. La découverte, Paris, 2020

[ création du besoin ] [ manipulation des affects ] [ publicité ] [ historique ]

 

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saut technologique

[...] le comptage exact du temps remonte au Moyen Âge, vers 1330, au moment de l’invention de l’horloge mécanique à poids venue remplacer la clepsydre (horloge à eau), imprécise et soumise aux conditions atmosphériques (sécheresse, gel…).

Non seulement la manière de percevoir le temps allait radicalement changer, mais, comme l’explique Jacques Le Goff dans La Civilisation de l’Occident médiéval, les activités humaines allaient devoir se soumettre de plus en plus strictement aux exigences de l’horloge. En effet, le temps circulaire du calendrier liturgique, le temps linéaire des histoires et des récits, le temps des travaux et des jours, le temps des saisons, tous ces temps différents, allaient devoir s’aligner sur un seul et même temps divisible en parties égales et mécaniquement mesurables, celui des horloges. La notion d’"heure" allait elle-même profondément changer. Avant, l’heure était en quelque sorte variable : il y avait, quelle que soit la saison, douze heures pour la nuit et douze heures pour le jour. En hiver donc, l’"heure diurne" était plus courte qu’en été et l’"heure nocturne" plus longue qu’en été. Avec la machine à mesurer le temps, cette sorte de respiration interne des heures est devenue obsolète. C’est ainsi que vers 1400 fut institué le système moderne des "heures égales".

Déjà, dans Technique et Civilisation (1934), Lewis Mumford affirmait que l’horloge constituait un bien meilleur point de départ que la machine à vapeur pour comprendre la révolution industrielle à venir : non seulement parce que la fabrication des horloges est devenue l’industrie à partir de laquelle les hommes ont appris comment fabriquer des machines, toutes sortes de machines, mais surtout parce qu’elle a été la première machine automatique qui ait pris une importance significative dans la vie des humains, en la transformant profondément.

On peut comprendre ces transformations en lisant le remarquable livre, à mi-chemin entre essai et science-fiction, de l’historien des sciences Pierre Thuillier, La Grande Implosion. Rapport sur l’effondrement de l’Occident – titre prémonitoire s’il en est. Il montre qu’à cette transformation du temps en quantité pure correspondent les débuts du règne du marchand. Cet homme quantitatif par excellence a en effet tout de suite compris que l’horloge l’aiderait à gérer plus efficacement ses affaires, à mieux utiliser son temps et celui des autres. C’est pourquoi les bourgeois d’alors organisèrent très tôt un véritable culte du temps mécanique en installant une imposante horloge partout visible au plus haut du beffroi de leur hôtel de ville.

Auteur: Dufour Dany-Robert

Info: "Le délire occidental", éditions Les liens qui libèrent, 2014, pages 80 à 82

[ historique ] [ conséquences ] [ modernité ]

 

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couple

Le digne homme, flegmatique et empesé, avait, à peu près, la jovialité d’un ténia dans un bocal de pharmacie. Cependant, lorsqu’il avait bu quelques verres d’absinthe en tête-à-tête avec sa femme, ainsi qu’on l’apprit bientôt, ses pommettes flamboyaient en haut du visage, comme deux falaises par une nuit de méchante mer. Alors, du milieu de la face, dont la couleur faisait penser bizarrement au cuir d’un chameau de Tartarie, à l’époque de la mue du poil, jaillissait une trompe judaïque dont l’extrémité, ordinairement filigranée de stries violâtres, devenait soudain, rubiconde, et ressemblait à une lampe d’autel.

Au-dessous fuyait une bouche niaise et impraticable, encapuchonnée de ces broussailleuses moustaches que certains recors arborent, pour donner une apparence de férocité militaire à la couardise professionnelle de leur institut.

Rien à dire des yeux qu’on aurait pu comparer tout au plus, pour leur expression, à ceux d’un phoque assouvi, quand il vient de se remplir et que l’extase de la digestion commence.

L’ensemble était d’un modeste pleutre accoutumé à trembler devant sa femme et tellement acclimaté dans le clair-obscur qu’il avait toujours l’air de projeter sur lui-même l’ombre de lui-même.

Sa présence eût été inaperçue et indiscernable sans une voix de toutes les Bouches-du-Rhône, qui sonnait comme l’olifant sur les premières syllabes de chaque mot et se prolongeait sur les dernières, en une espèce de mugissement nasal à faire grincer les guitares. Quand le ci-devant requéreur de la force publique vociférait dans sa maison tel ou tel axiome indiscutable sur les caprices de l’atmosphère, les passants auraient pu croire qu’on parlait dans une chambre vide… ou du fond d’une cave, tant la vacuité du personnage était contagieuse !

Or, Monsieur Poulot n’était rien, absolument rien, auprès de Madame Poulot.

En celle-ci paraissait renaître le mastic des plus estimables trumeaux du dernier siècle. Non qu’elle fût charmante ou spirituelle, ou qu’elle gardât, avec une grâce polissonne, des moutons fleuris au bord d’un fleuve. Elle était plutôt crapaude et d’une stupidité en cul-de-poule qui donnait à supposer des ouailles moins bucoliques. Mais il y avait, dans sa figure ou dans ses postures, quelque chose qui retroussait incroyablement l’imagination.

La renommée lui attribuait, comme dans la métempsycose, une existence antérieure très employée, une carrière très parcourue, et il se disait, au lavoir ou chez le marchand de vin, qu’elle n’était pas mal conservée, tout de même, en dépit de ses quarante ans, pour une femme qui avait tant fait la noce.

Auteur: Bloy Léon

Info: Dans "La femme Pauvre", Mercure de France, 1972, pages 323-325

[ portrait caricatural ] [ bassesse morale ]

 

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autodestruction

La science moderne et l’état totalitaire constituent, en tant que conséquences nécessaires du déploiement essentiel de la technique, en même temps sa suite. Il en est de même pour les formes et les moyens mis en œuvre pour l’organisation de l’opinion publique mondiale et des représentations quotidiennes des hommes. Non seulement, dans l’élevage et l’exploitation, la vie est objectivée par une technique, mais l’attaque de la physique nucléaire sur les phénomènes de la vie comme telle est en plein développement. Au fond, c’est l’essence vivante elle-même qui est censée se livrer à la production technique.

Que l’on croie trouver aujourd’hui tout sérieusement, dans les résultats et dans la situation de la physique atomique, des possibilités de prouver la liberté humaine et d’ériger une nouvelle doctrine des valeurs, n’est qu’un exemple de plus de la domination de la représentation technique dont le déploiement s’est pourtant déjà depuis longtemps soustrait au domaine des idées et opinions personnelles. (…)

A la place de ce que la teneur en monde, jadis sauvegardée, des choses recelait en dons, se pousse de plus en plus rapidement, de plus en plus brutalement, de plus en plus complètement, l’objectivité de la domination technique sur la terre. Non seulement elle pose l'étant comme susceptible d’être produit dans le processus de la production, mais encore elle délivre les produits de la production par l’intermédiaire du marché (Markt). L’humanité de l’homme et la choséité des choses se diluent, à l’intérieur du propos délibéré d’une production, dans la valeur mercuriale d’un marché qui non seulement embrasse, comme marché mondial, la terre entière, mais qui, en tant que volonté de volonté, tient marché dans l’essence même de l’être et fait ainsi venir tout étant au tribunal d’un calcul général dont le règne est plus tenace là même où les nombres ne paraissent pas en propre. (…)

Ce n’est pas la bombe atomique, dont on discourt tant, qui est mortelle, en tant que machine toute spéciale de la mort. Ce qui depuis longtemps déjà menace l’homme de mort, et non pas d’une mort quelconque, mais de celle de son essence humaine, c’est l’inconditionnel du pur vouloir, au sens de l’auto-imposition délibérée en tout et contre tout. Ce qui menace l’homme en son être, c’est cette opinion qui veut se faire accroire à elle-même et selon laquelle il suffit de délier, de transformer, d’accumuler et de diriger pacifiquement les énergies naturelles pour que l’homme rende la condition humaine supportable pour tous et, d’une manière générale, "heureuse".

Auteur: Heidegger Martin

Info: Dans "Pourquoi des poètes ?" in Chemins qui ne mènent nulle part, pp. 348-349 & 351-354

[ limite ] [ illusions ] [ fantasme de toute-puissance ]

 

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fausse alternative

"Les condamnés à mort peuvent décider librement s’ils veulent, pour leur dernier repas, que les haricots leur soient servis sucrés ou salés." 

(Extrait d’un article paru dans la presse)

Puisqu’on a déjà tranché au-dessus de leurs têtes.

Nous aussi, nous pouvons décider de nous faire servir comme plat du jour l’explosion d’une bombe ou bien une course de bobsleigh. Parce que au-dessus de nos têtes, à nous qui opérons ce libre choix, avant même notre libre choix, on a déjà tranché. On a déjà décidé que c’est en tant que consommateurs de radio ou de télévision que nous devons opérer ce choix : en tant qu’êtres condamnés, au lieu de faire l’expérience du monde, à se contenter de ses fantômes ; en tant qu’êtres qui, au fond, ne souhaitent plus rien, pas même une nouvelle liberté de choix qu’ils ne sont d’ailleurs sans doute même plus capables de se représenter.

Le jour où j’exprimai ces idées lors d’un colloque consacré à la culture, on m’interrompit pour me dire qu’après tout on était toujours libre d’éteindre son appareil et même de ne pas en acheter ; on était toujours libre de se tourner vers le "monde réel" et seulement vers lui. Ce que je contestai. Parce que en réalité, on n’a pas moins tranché au-dessus de la tête des grévistes que des consommateurs : que nous jouions le jeu ou pas, nous le jouons, parce qu’on joue avec nous. Quoi que nous fassions ou que nous nous abstenions de faire, notre grève privée n’y change rien, parce que nous vivons désormais dans une humanité pour laquelle le "monde" et l’expérience du monde ont perdu toute valeur : rien désormais n’a d’intérêt, si ce n’est le fantôme du monde et la consommation de ce fantôme. [...]

Affirmer qu’ "on" aurait la liberté de posséder ou non ces sortes d’appareils, de les utiliser ou non, est naturellement une pure illusion. Ce n’est pas en se contentant de rappeler aimablement qu’il faut tenir compte de la "liberté humaine" que l’on viendra à bout du fait qu’on nous pousse à la consommation. Que, dans le pays où la liberté de l’individu s’écrit en lettres majuscules, on désigne certaines marchandises comme des "musts", c’est-à-dire comme des marchandises qu’il faut absolument posséder, cela n’évoque pas précisément la liberté. [...] Celui qui prend la "liberté" de renoncer à l’un d’eux renoncer ainsi à tous, et donc à sa propre vie. "On" pourrait faire cela ? Qui est cet "on" ?

Auteur: Anders Günther Stern

Info: Dans "L'obsolescence de l'homme", trad. de l'allemand par Christophe David, éditions Ivrea, Paris, 2002, pages 15-16

[ société marchande ] [ injonctions ] [ code ] [ contrainte ] [ routines consuméristes ]

 

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subjectivation

"La chair est triste, hélas, et j'ai lu tous les livres" dira plus tard le poète... Quelle complétude particulière pouvait offrir l'ère christique pré-médiévale et médiévale, que son dépassement par la rationalité et la technè moderne ne pourra jamais combler ? Qu'est-ce qui a été manqué dans ce "dépassement"? Tout simplement la dimension de l'autre, seule apte à garantir correctement l'institution du sujet, dans une circularité relationnelle vivante et vascularisée. Alors que le sujet est face à l'autre (à l'Autre), l'individu (moderne) est face au monde. Ce qui se perd au passage est l'intersubjectivité et sa fonction nutritive et vitalisante. Car le problème est que le monde est aussi silencieux que l'épais silence qui envahit tout entière la gravure de Dürer, où seul le crissement bavard du stylet du putto sur sa tablette s'inscrit en creux. La maladie de la modernité, poussée à son paroxysme par la période contemporaine, est entièrement résumée ici. L'homme, de fait, ne dialogue pas avec le monde: le monde est muet et ne répond pas, si ce n'est par les soubresauts d'efficacité auxquels la technoscience le contraint dans sa brutalité. Pour qu'il y ait dialogue, il faut que le logos réponde au logos, et que le sujet fasse face à un autre lui-même. Car le sujet ne peut se comprendre que dans la plénitude de l'histoire de son inscription au sein du monde, et non comme une chimère hors sol, pure catégorie fonctionnelle et logique, comme l'ont voulu les linguistes depuis Saussure. Le sujet s'institue dans les conditions intersubjectives de son avènement au monde, conditions d'extrême dénuement et de fragilité absolue, qui le livrent sans recours possible à ceux qui l'ont à charge: sa mère, éminemment, puis son père, qui seuls peuvent lui éviter la mort corporelle, affective et psychique par les nourritures terrestre, affective, et spirituelle qu'ils lui dispenseront. Le sujet, c'est cela: une immense fragilité qui ne tient que par la relation - il serait d'ailleurs plus approprié d'écrire "les sujets", tant il est vrai qu'un sujet seul ne peut se concevoir en vertu de ce que je viens d'exposer. Or le sujet parvenu à sa pleine institution donne le sentiment d'une monade autonome et fermée, essentialisable jusque dans les catégories formelles de la linguistique - "est je qui dit je", comme disait de si tautologique et désespérante manière Ferdinand de Saussure, que nous avons cité en ouverture de cet ouvrage. La modernité est ici prise en flagrant délit de solipsisme, faute logique - et ontologique - s'il en est.

Auteur: Farago Pierre

Info: Une proposition pour l'autisme

[ dépendance ] [ illusion d'autocréation ] [ erreur moderne ] [ isolement ]

 
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intégration

(Ur, En allemand préfixe permettant l'accentuation ou l'exagération d'un mot)

En théorie des ensembles, un ur-element (ou urelement) est quelque chose qui n'est pas un ensemble mais qui peut être élément d'un ensemble.

Ils partagent ainsi avec le seul ensemble vide le fait de ne posséder aucun élément, mais pour des raisons tout à fait différentes : rien ne peut appartenir à un ur-element parce que cela n'a pas de sens, alors que rien n'appartient à l'ensemble vide par définition.

Les ur-elements sont aussi appelés atomesindividuséléments primitifs ....

La théorie des ensembles moderne a pu montrer que, pour développer l'ensemble des mathématiques, on pouvait complètement se passer d'atomes. Tous les ensembles utiles peuvent être construits à partir de l'abstraction mathématique qu'est l'ensemble vide. 

Néanmoins les théories des ensembles avec ur-elements gardent leur intérêt, pour des théories des ensembles faibles, ou tout simplement parce qu'elles peuvent apparaître plus naturelles au prime abord. De façon imagée, si on veut prouver que tout homme résidant à Paris réside en France, on va utiliser les propriétés de la relation d'inclusion telles qu'elles sont définies en théorie des ensembles. Pourtant, on ne va pas affirmer pour le prouver que tel homme (ur-element) qui vit à Paris donc en France est construit à partir de l'ensemble vide.

Adjoindre à l'ontologie ensembliste des objets qui ne sont pas des ensembles permet d'étendre son application à d'autres domaines. Mais il faut bien sûr formellement s'assurer que les théorèmes acquis sur les seuls ensembles peuvent s'exporter hors de ce domaine. D'où l'intérêt d'une théorie des ensembles avec ur-elements qui peut le garantir formellement.

Syntaxiquement, leur introduction consiste à enrichir le langage ensembliste (ne comprenant que les symboles de relation binaire d'appartenance et d'égalité) de constantes d'individus.

Les quantifications présentes dans les axiomes de la théorie des ensembles sont alors généralement relativisées aux seuls ensembles et ne s'appliquent pas aux ur-elements.

Dans des axiomatiques comme la théorie des ensembles typée, les objets de type 0, ou atomes, peuvent être considérés comme des ur-elements.

Résultats

L'adjonction d'ur-elements au système des New Foundations de  Quine (NF), a des conséquences surprenantes. En particulier, alors que l'on ne sait pas si la théorie NF est cohérente (relativement à ZFC et ses extensions), la théorie NF avec Ur-elements, notée NFU, se révèle cohérente relativement à l'arithmétique de Peano : une théorie bien plus faible que ZFC. De plus NFU plus l'axiome du choix est cohérente relativement à NFU, alors que NF démontre la négation de l'axiome du choix !

Auteur: Internet

Info: https://fr.wikipedia.org/wiki/Ur-element

[ composant singulier ] [ corps étranger ]

 

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