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chaîne matérielle

Colin (*), aux séances de l'Académie, est la tête de turc de Pasteur, car il doute de l'efficacité des cultures de charbon. Pasteur lui répond que son doute dépend de ses mains :

-M.Colin : "Ce liquide agissait au début ; il m'a tué des lapins et même un mouton ; mais au bout de quelques mois il ne déterminait plus le charbon. Pourquoi est-il devenu inerte, je l'ignore."

-M. Pasteur : "Parce qu'il était devenu impur entre vos mains."

-M. Colin : "Mais il n'avait pas été au contact de l'air."

-M. Pasteur : "Comment l'avez-vous débouché ?"

-M. Colin : "J'avais pris toutes les précautions indiquées par M. Pasteur et par ses aides pour prélever dans l'appareil et pour refermer celui-ci (...)"

-M. Pasteur : "En vérité, permettez-moi de vous dire que vous avez besoin de beaucoup étudier ces question." (...)

-Colin : "(les corpuscules germes) s'y trouvaient en grand nombre et avec leurs caractères primitifs."

-M. Pasteur : "Cela est impossible je vous l'ai déjà dit. (... Mais vous ne savez pas retirer cet organisme de façon à ne pas introduire dans le tube une impureté nouvelle. Comment voulez-vous qu'on accorde quelques crédit à vos assertions. Vous cherchez toujours non la vérité, mais la contradiction." (Séance du 21.7.1881, T. VI, p.357)


Tout est là : "comment l'avez-vous débouché ?". C'est Colin l'idéaliste. C'est lui qui pense qu'il y a en science des idées. Mais non, le crédit, c'est avec les doigts qu'on l'acquiert. Les phénomènes ne demeurent qu'aussi longtemps qu'on les maintient à l'intérieur de rapports de forces. Un bacille n'est présent que le long d'un ensemble de gestes qui assurent sa pureté, de même qu'un message téléphonique ne se maintient que le long d'un fil. Les "idées" n'échappent jamais aux réseaux qui les fabriquent.

Auteur: Latour Bruno

Info: in "Les microbes, guerre et paix", éd. Métailié, p. 102-103 - (*) Léon Colin : médecin militaire, hygiéniste (1830-1906)

[ praxis ] [ domaine de validité ] [ débat scientifique ] [ contamination ]

 
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Ajouté à la BD par Benslama

totalisation

Hegel est le premier à comprendre, au début du XIXe siècle, que l’humanité est en train de basculer d’une ère à une autre, que nous sommes en train de sortir de l’histoire, et qu’il est vain de tenter de maintenir tout ce qui est en train de s’effondrer. Ce qui s’achève sous les yeux de Hegel, c’est le processus de réalisation de la raison et de rationalisation de la réalité : et en effet, nous ne vivons plus dans un environnement naturel, mais dans un univers intégralement artificiel et numérique, au sein de ce que Hegel nomme une "seconde nature", qui s’est substituée à la première. Hegel lui-même y voit l’accomplissement du platonisme, l’achèvement de la métaphysique, et c’est ce qu’il oppose à Kant : la Critique de la raison pure veut montrer que la métaphysique est impossible parce que les idées de la raison ne peuvent pas trouver de vérification expérimentale dans les structures de la subjectivité finie, et tout particulièrement dans les formes de l’espace et du temps ; Hegel lui objecte que ce n’est précisément pas par les sujets finis que se fait cette vérification, mais par le biais du travail millénaire de peuples qui se sont succédés pour opérer cette rationalisation intégrale du réel, et ce dans le temps de l’histoire et dans l’espace du monde. Hegel conçoit ainsi notre époque comme synthèse de toutes les contradictions, comme identité achevée de l’idéal et du réel, adéquation parfaite du réel et du rationnel : de son point de vue, la Sagesse que recherchaient les philosophes est enfin atteinte, nous sommes entrés dans l’ère du Vrai et du Bien, et il conçoit même l’avènement de cette totalité rationnelle comme marche de Dieu sur terre. Hegel est ainsi fondamentalement le penseur de la réconciliation : c’est pourquoi il n’est pas un penseur de la crise. Il demeure en effet idéaliste et reste pris dans les structures de la métaphysique, en ce qu’il identifie la réalité à l’idéalité, le réel et le rationnel.

Auteur: Vioulac Jean

Info: http://actu-philosophia.com/Entretien-avec-Jean-Vioulac-Autour-d-Approche-de

[ résumé ] [ message philosophique ] [ modernité ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

art pictural

"Toute pensée exprimée est une supercherie." Dans la poésie, ce qui n'est pas dit et qui pourtant brille par la beauté du symbole, agit plus puissamment sur le cœur que ce qui est exprimé par des mots. Le symbolisme confère au style même la substance artistique d'une poésie inspirée, transparente, illuminée dans son entier comme les parois délicates d'une amphore en albâtre dans laquelle brûle une flamme.

Les personnages peuvent également servir de symboles. Sancho Pança et Faust, Don Quichotte et Hamlet, Don Juan et Falstaff, selon les mots de Goethe, sont des "schwankende Gestalten". (Formes fluctuantes)

Les apparitions qui hantent l'humanité, parfois de manière répétée d'une époque sur l'autre, l'accompagnent de génération en génération. Il est impossible de communiquer en quelque mot que ce soit l'idée de tels caractères symboliques, car les mots ne font que définir et restreindre la pensée alors que les symboles expriment l'aspect illimité de la vérité.

De plus, nous ne pouvons nous contenter de cette vulgaire exactitude de la photoqraphie expérimentale. Nous percevons et  avons la prémonition, selon les allusions de Flaubert, Maupassant, Turgenev, Ibsen, de mondes nouveaux et encore inconnus de notre impressionnabilité. Cette soif de l'inexpérimenté, en quête de nuances insaisissables, de l'obscur et de l'inconscient dans notre sensibilité, est le trait caractéristique de la poésie idéale à venir. Baudelaire et Edgar Allan Poe ont déjà dit que le beau doit quelque peu étonner, doit paraître inattendu et extraordinaire. Les critiques français ont plus ou moins réussi à nommer cette caractéristique : l'impressionnisme.*

Tels sont les trois éléments majeurs de ce nouvel art : un contenu mystique, des symboles et l'expansion de l'impressionnabilité artistique.

Pas de conclusion positiviste, aucun calcul utilitaire, mais seulement une foi créative en quelque chose d'infini et immortel pour enflammer l'âme de l'homme, créer des héros, des martyrs et des prophètes... Les gens ont besoin de foi, ils ont besoin d'inspiration, ils aspirent à quelque sainte folie dans leurs héros et leurs martyrs.

Auteur: Merejkovski Dimitri

Info: The Silver Age of Russian Culture: An Anthology. Sur les raisons du déclin et sur les nouvelles tendances de la littérature contemporaine. Trad Mg. *peinture apte à noter les impressions fugaces, la mobilité des phénomènes

[ historique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

matriarchie

Elles sont déjà là, en réalité, toutes les déesses-mères, elles sont de retour même si elles ne s’appellent pas Isis ou Astarté. Elles occupent toute la place qui leur est due dans le "ciel" du nouveau matriarcat profondément anti-biblique, anti-judaïque et anti-chrétien, les nouvelles matrones tutélaires implacables, les Grandes Nounous garantes de la réasexuation de la société et de la réinfantilisation des humains, voire de leur bestialisation douce dans une vaste nursery high-tech parfaitement télésurveillée de partout, avec des pornos à toute heure, pour assurer la disparition du désir, et la lecture collective et quotidienne au réfectoire, pour les mêmes raisons, d’un chapitre de La vie sexuelle de Catherine M. par la Mère supérieure, en alternance avec un passage du Bébé de Darrieussecq. Toutes ces choses vont très bien ensemble. Le Panoptikon de l’avenir est indifféremment une pouponnière, une crèche, une couveuse, un bordel, mais les véritables aventures s’y résument, au nom du principe de précaution, à prévenir diarrhées, rubéoles, varicelles, scarlatines et oreillons des petits pensionnaires. L’univers qui s’installe est un jardin d’enfants où patrouillent de sévères puéricultrices veillant à ce que leurs jeunes protégés ne soient pas dès leur âge le plus tendre conditionnés à des rôles sexués […]. L’art du passé au premier chef doit être nurseryfié, car cet art du passé représente ce qu’a pu être l’affirmation virile et adulte la plus haute de la période historique. C’est la raison pour laquelle un musée qui n’aurait pas son service poussettes et le nombre de chauffe-biberons réglementaires devrait fermer ses portes instantanément. Je me souviens, l’année dernière, avoir visité l’exposition "Picasso érotique" littéralement suivi, de salle en salle, par une jeune femme qui poussait un landau démoniaque dont les roues grinçaient. Allant ainsi d’œuvre en œuvre avec son landau vide (le bébé était promené par son père, une espèce de forçat à la traîne, livide et ahuri), par sa seule présence décidée elle effaçait la beauté sexuelle des œuvres de Picasso. Et il était impossible de penser qu’elle ne savait pas très bien ce qu’elle faisait ; ni que c’était pour cela seulement qu’elle était venue.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 3", Les Belles Lettres, Paris, 2002, pages 134-135

[ désérotisation ] [ critique de l'idéalisme féministe ] [ hommes-femmes ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

sociologie du sexe

C’est justement ça qui est étonnant chez toi : tu aimes faire plaisir. Offrir son corps comme un objet agréable, donner gratuitement du plaisir : voilà ce que les Occidentaux ne savent plus faire. Ils ont complètement perdu le sens du don. Ils ont beau s’acharner, ils ne parviennent plus à ressentir le sexe comme naturel. Non seulement ils ont honte de leur propre corps, qui n’est pas à la hauteur des standards du porno, mais, pour les mêmes raisons, ils n’éprouvent plus aucune attirance pour le corps de l’autre. Il est impossible de faire l’amour sans un certain abandon, sans l’acceptation au moins temporaire d’un certain état de dépendance et de faiblesse. L’exaltation sentimentale et l’obsession sexuelle ont la même origine, toutes deux procèdent d’un oubli partiel de soi ; ce n’est pas un domaine dans lequel on puisse se réaliser sans se perdre. Nous sommes devenus froids, rationnels, extrêmement conscients de notre existence individuelle et de nos droits ; nous souhaitons avant tout éviter l’aliénation et la dépendance ; en outre, nous sommes obsédés par la santé et par l’hygiène : ce ne sont vraiment pas les conditions idéales pour faire l’amour. Au point où nous en sommes, la professionnalisation de la sexualité en Occident est devenue inéluctable. Évidemment, il y a aussi le SM. C’est un univers purement cérébral, avec des règles précises, un accord préétabli. Les masochistes ne s’intéressent qu’à leurs propres sensations, ils essaient de voir jusqu’où ils pourront aller dans la douleur, un peu comme les sportifs de l’extrême. Les sadiques c’est autre chose, ils vont de toute façon aussi loin que possible, ils ont le désir de détruire : s’ils pouvaient mutiler ou tuer, ils le feraient. — Je n’ai même pas envie d’y repenser, dit-elle en frissonnant ; ça me dégoûte vraiment. — C’est parce que tu es restée sexuelle, animale. Tu es normale en fait, tu ne ressembles pas vraiment aux Occidentales. Le SM organisé, avec des règles, ne peut concerner que des gens cultivés, cérébraux, qui ont perdu toute attirance pour le sexe. Pour tous les autres, il n’y a plus qu’une solution : les produits porno, avec des professionnelles ; et, si on veut du sexe réel, les pays du tiers-monde.

Auteur: Houellebecq Michel

Info: Plateforme

[ indifférenciation ]

 
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poussée inconsciente

"Je pense, donc se jouit." (Lacan, La troisième)

La jouissance telle qu’elle apparaît dans l’enseignement lacanien n'est pas à entendre comme un synonyme de plaisir intense, c'est le nom d'un paradoxe, un étrange excès qui nous rend capable de tirer un certain plaisir (un plaisir non reconnu de nous-même) ... du déplaisir lui-même.

La jouissance sexuelle, qui est considérée comme la manifestation la plus intense de la jouissance, est en définitive d'ordre masturbatoire, réduisant le partenaire à être l'instrument de ma propre jouissance.

Mais pour autant, cela ne veut pas dire que je doive renoncer à cette jouissance sexuelle dans l'idée d'affirmer la "pureté" de mon amour, par exemple, une telle renonciation étant toujours un leurre qui cache une autre jouissance, inconnue de moi-même, qui est de jouir de la renonciation elle-même. Rien n'est plus morbide pour le sujet que ce sacrifice à un idéal, rien de plus problématique que cette jouissance "insue" qui émane de la renonciation au plaisir, rien de plus dévastateur que se sacrifier au nom de l'Autre, le grand Autre s'entend...

Pour la psychanalyse, la jouissance est moins ce qui est difficile à atteindre, que ce dont il est impossible de se défaire.

Pour le psychanalyste, l'acte véritable, le seul acte digne de ce nom, est celui d'une suspension de la réalité constituée. La psychanalyse s’inscrit dans le droit fil initié par Hegel pour qui la réalité est quelque chose de posé par le sujet, et non pas simplement quelque chose qui s'impose de l'extérieur.

Avec le développement et la légitimation universitaire de la psychologie (egopsychology américaine), ce que la psychanalyse "molle" a perdu (ce en quoi elle n’est plus du tout psychanalyse...) c'est cette dimension d'une réalité posée par le sujet, qui la faisait s'opposer au sens commun (et simultanément à l'approche "scientiste") qui pose la prétendue "réalité externe" comme quelque chose de donné par avance, une "normalité"à quoi l'appareil psychique devrait se raccorder, se connecter, "s'adapter"...

Les mots qui viennent structurent notre "réalité", comme dit le poète, les mots savent de nous des choses que nous ignorons d’eux...

Ce que nous appelons "monde" n’est que le fantasme qui se soutient d’un certain type de pensée.

Auteur: Dubuis Santini Christian

Info: Publication facebook du 24.04.2021

[ lieu de l'énonciation ] [ ascèse ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

philosophie antique

Le Moyen Âge vivait jusqu’alors sur la philosophie de Platon. Celle-ci ne voit dans la nature que des signes dont la signification se trouve dans le monde idéal, qui serait seul réel, le monde des idées pures. Elle conduit donc à un symbolisme systématique et délirant. Tout est symbole, rien de ce bas monde n’est réel. C’est le "mythe de la caverne", bien connu. On reste stupéfaits devant le succès d’une pensée si absurde et si contraire au bon sens naturel. Mais Aristote, au contraire, naturaliste, considère que la nature est bien réelle et contient en elle son intelligibilité. On découvrait enfin la nature que le XIIe siècle se contentait d’interpréter symboliquement. Aristote usait de la démonstration, procédé propre à la raison. La supériorité de cette métaphysique rationnelle sur les mythes platoniciens était si grande qu’elle devait nécessairement l’emporter. Aristote devint le "Philosophe" par excellence.

Hélas ! Aristote avait été "revu et corrigé" par Averroès. Ce dernier lui avait attribué l’idée d’un intellect-agent unique pour tous les hommes. [...] Cet intellect-agent unique n’est pas autre chose, dans un langage scolastique, que l’âme universelle du monde, enseignée par nos gnostiques. Je ne pense pas par moi-même, mais par une âme divine qui est logée en moi. Mes idées ne sont pas l’œuvre élaborée par ma faculté intellectuelle, elles sont reçues d’une intelligence divine qui agit en moi. Elles sont donc nécessairement vraies. L’erreur est impossible. Notre âme est un Esprit-Saint. Notre corps n’est qu’une carapace de matière unie temporairement à une âme universelle. Au moment de la mort, notre individualité disparaît. C’est le retour au néant, le "Nirvana" des bouddhistes, suivi de la plongée dans le Grand Tout. On ne peut être plus gnostique !

[...] Ce sera la gloire de saint Thomas de comprendre qu’il fallait d’abord rétablir la pensée véritable d’Aristote et pour cela retrouver le texte initial. Il ignorait le grec. Il obtint la traduction directe du grec en latin établie par Guillaume de Moerbeke. Il en soumit le texte à une exégèse rigoureuse, littérale. Quelle différence avec celui d’Averroès ! Ce dernier apparut alors, non pas comme le commentateur élu d’Aristote, mais comme son "dépravateur". Il a fallu un génie et un saint pour "exorciser" au sens propre Aristote et "délivrer" l’Occident de cette invasion gnostique sous étiquette musulmane.

Auteur: Couvert Etienne

Info: "La Gnose universelle", éditions de Chiré, 1983, pages 77 à 79

[ réception médiévale ] [ orient-occident ] [ historique ] [ aristotélisme ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

cinéma

Cher Robert,
Conformément à la décision dont nous sommes convenus après notre entrevue avec Mr. Joseph Breen, je vous écris cette lettre dans laquelle je vais indiquer et tenter d'expliquer les grandes lignes selon lesquelles nous pourrions établir un scénario de Madame Bovary.
Le premier point que je souhaite souligner est la nécessité de suivre le livre de Flaubert avec une fidélité absolue ; pourtant, comme le sujet est très vaste - d'un champ beaucoup plus étendu que celui habituellement traité dans un film - je pense que nous pouvons, sans prendre de liberté avec l'histoire, faire ressortir avec force certains points et en laisser d'autres dans l'ombre.
Nous devons également tenter de tirer une morale des expériences émotionnelles de l'infortunée Emma. Flaubert y parvient fort bien par le biais du roman car il profite pleinement du commentaire et de la description. Un film étant limité au dialogue et à la photographie, il nous faut trouver un autre moyen pour mettre en évidence cette morale.
Pour commencer, j'insisterai sur l'éducation d'Emma et certains faits qui ont formé son caractère : l'erreur profonde commise par son père en l'envoyant dans un collège à la mode, où elle fut en contact avec des filles beaucoup plus riches qu'elle, coudoyant ainsi un monde qui était loin d'être le sien ; c'est là aussi qu'elle a appris à mépriser son père, un simple fermier normand. J'aimerais insister sur ses rêves, les livres qu'elle lit et aussi, peut-être, l'aspect superficiel de son sentiment religieux. Avec l'aide de ces éléments, je pourrais peut-être commencer à élaborer un film sur une base solide - et on ne peut plus familière au public. Le refus d'affronter les faits et de voir la vie telle qu'elle est constitue une erreur courante chez les jeunes filles d'aujourd'hui. Et en Amérique en particulier, si tant de femmes passent d'un divorce à un autre et mènent pour finir une vie extrêmement malheureuse, c'est parce que, comme Emma Bovary, elles perdent leur temps à poursuivre un idéal impossible, d'autant plus impossible et inaccessible qu'il n'existe que dans leur imagination.
Pour montrer en pleine lumière l'erreur fondamentale de Madame de Bovary, j'aimerais que l'acteur qui joue le rôle du mari soit un homme d'apparence normale qui, outre ses grandes qualités ­ - il a bon coeur et c'est une bonne nature - donne l'impression d'être homme d'intelligence normale. En mariant Emma à un vieux barbon, qui serait affreux et stupide au dernier degré, il me semble qu'on détruirait le message à portée morale que j'aimerais faire passer par l'intermédiaire de ce film. Un mari aussi répugnant suffirait largement, aux yeux de la majorité de notre public, à absoudre Madame Bovary de toute faute. Je veux montrer que l'erreur d'Emma vient d'elle, qu'elle est sa propre victime, son pire ennemi ; et que si sa vie avait été bâtie sur des principes plus sains, elle aurait été parfaitement heureuse avec son mari.
Je ne puis vous donner une idée claire d'une intrigue pour le film tant que je n'ai pas écrit le scénario, mais je puis vous dire maintenant que la direction qui me paraît la meilleure est celle donnée par l'auteur lui-même, à la différence que tout devrait être vu ou plutôt ressenti par Emma et de son point de vue. Le roman nous donne une description générale dans laquelle l'héroïne n'est qu'un des éléments. Flaubert dissèque Emma et l'explique à la manière d'un chirurgien qui analyse un cadavre au cours d'une leçon d'anatomie. Au lieu que le public contemple son cas d'un oeil froid, j'aimerais qu'il participe plus intimement à l'expérience de cette femme et, ce faisant, qu'il éprouve plus profondément les conséquences désastreuses de son erreur.
[...]
Je vous prie de ne voir dans cette lettre, Robert, que l'expression hâtive de ma première réaction. Tout ce que j'ai dit doit être revu et discuté. Néanmoins, j'espère que ce premier effort de ma part sera satisfait pour vous.
Cordialement vôtre.

Auteur: Renoir Jean

Info: Lettre du 8 juin 1946 à Robert Hakim, ami et collaborateur

[ transposition ] [ littérature ]

 

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chirurgie

On reprit, mais sur des bases nouvelles, l’antique constatation des mages d’autrefois concernant l’intervention nécessaire d’un nombre pair dans toutes les constructions humaines ; mais on eut le tort considérable de négliger, à ce moment, le nombre impair, qui se retrouva dans tous les mythes anciens, et qui complétait soit le chiffre douze, par le nombre treize, soit le chiffre six par le nombre sept, figurant l’unité divine. On constata simplement la dualité fondamentale de tous les êtres supérieurs, et l’on s’avisa, dans les laboratoires, de couper des hommes en deux, dans le sens vertical, pour essayer d’en faire une complète analyse.

Je n’ai pas besoin de dire qu’en ce temps-là, la technique opératoire était parvenue à un si haut degré de perfection que de pareilles opérations semblaient toutes naturelles.

Ces premières expériences ne furent couronnées d’aucun succès. Il semblait cependant logique de séparer, par un plan vertical passant par l’arête du nez, un homme composé de parties semblables des deux côtés et qui ne formait, à bien prendre, qu’un être double. Malheureusement, je le répète, cette analyse ne donna aucun résultat satisfaisant.

Tandis que depuis des siècles on pouvait sectionner un être humain dans le sens horizontal en le privant définitivement du double usage de certains membres, l’opération contraire demeurait impossible.

En section transversale, on arrivait à réaliser de véritables merveilles opératoires. Après avoir pratiqué l’ablation banale des deux bras et des deux jambes, on réussit également celle du tronc. Au moyen de canalisations très simplement réglées, la tête put vivre isolée sans aucune difficulté. On parvint même à la sectionner horizontalement, à isoler le cerveau, puis une couche horizontale de substance cérébrale. Tant que le corps ainsi réduit présentait deux parties symétriques, il continuait à montrer indubitablement tous les caractères de la vie.

Au contraire, la section verticale, beaucoup plus logique, beaucoup plus facile, semblait-il, à réaliser, puisqu’elle laissait subsister un être entier dédoublé, eut toujours pour effet d’éteindre instantanément les sources mêmes de la vie.

Les savants d’alors, dans leur entêtement, ne se découragèrent point ; cette division de l’homme qu’ils ne pouvaient obtenir anatomiquement, ils la tentèrent au simple point de vue psychique. Petit à petit, ils parvinrent à éduquer la race humaine, alors très réduite par la science, et à la diviser en deux classes nettement opposées.

D’un côté, il y eut ce que l’on appela alors les matérialistes, construits à l’image du Léviathan, chez qui toute conscience fut abolie et qui ne conservaient que la vision du monde extérieur à trois dimensions. Leurs mouvements purement réflexes étaient suscités par les besoins journaliers de la vie sociale ; ils ne connaissaient d’autres ordres que les règlements scientifiques du monde extérieur ; leur discipline était absolue, leur science très complète, leur intelligence à peu près nulle.

Il y eut, d’autre part, ceux que l’on appela les idéalistes et qui furent privés de tout moyen de relation avec le monde extérieur à trois dimensions. Leur sort fut bientôt celui des anciens fakirs hindous, leur vie intérieure se développa dans d’étranges proportions. Pourvus simplement du seul sens de la quatrième dimension, ils ignoraient tout du temps et de l’espace. Pour eux, les phénomènes ne se succédaient pas ; pour eux bientôt il n’y eut même plus de phénomènes.

Les savants du Grand Laboratoire Central se montrèrent tout d’abord enivrés par les résultats obtenus ; ils avaient enfin, à leur sens, réalisé l’analyse de l’humanité, ils tenaient décomposés, en leur pouvoir, les éléments séparés qui composaient la vie. Leur enthousiasme diminua le jour où ils comprirent que ces éléments, ainsi séparés, ni d’un côté, ni de l’autre, n’étaient capables de reproduire la vie, et que prochainement, l’humanité allait s’éteindre pour toujours.

Ils avaient bien isolé ce qui constituait pour eux, jusqu’à ce jour, l’élément idéaliste ; mais il se trouvait que cet élément, à bien prendre, n’était lui-même qu’un phénomène d’origine matérielle comme les autres. De la réunion de ces éléments seule pouvait jaillir la flamme éternelle d’intelligence, la vie immortelle qui, jusqu’à ce jour, avait conduit l’humanité à ses plus hautes destinées.

Auteur: Pawlowski Gaston de

Info: Voyage au pays de la quatrième dimension, Flatland éditeur, 2023, pages 162 à 164

[ symétrie ] [ triade nécessaire ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

transposition linguistique

La théorie de la traduction est très rarement - comment dire ? - comique. Son mode de fonctionnement est celui de l'élégie et de l'admonestation sévère. Au XXe siècle, ses grandes figures étaient Vladimir Nabokov, en exil de la Russie soviétique, attaquant des libertins comme Robert Lowell pour leurs infidélités au sens littéral ; ou Walter Benjamin, juif dans un Berlin proto-nazi, décrivant la tâche du traducteur comme un idéal impossible d'exégèse. On ne peut jamais, selon l'argument élégiaque, reproduire précisément un vers de poésie dans une autre langue. Poésie ! Tu ne peux même pas traduire "maman"... Et cet argument élégiaque a son mythe élégiaque : la Tour de Babel, où la multiplicité des langues du monde est considérée comme la punition de l'humanité - condamnée aux hurleurs, aux faux amis, aux applications de menu étrangères. Alors que l'état linguistique idéal serait la langue universelle perdue de l'Eden.

La théorie de la traduction est rarement désinvolte ou joyeuse.

Le nouveau livre de David Bellos sur la traduction contourne d'abord cette philosophie. Il décrit les dragons de la Turquie ottomane, l'invention de la traduction simultanée lors du procès de Nuremberg, les dépêches de presse, les bulles d'Astérix, les sous-titres de Bergman, etc.... Il propose une anthropologie des actes de traduction. Mais à travers cette anthropologie, c'est un projet beaucoup plus grand qui émerge. Les anciennes théories étaient élégiaques, majestueuses ; elles étaient très sévères. Bellos est pratique et vif. Il n'est pas éduqué par l'élégie. Et c'est parce qu'il est sur quelque chose de nouveau.

Bellos est professeur de français et de littérature comparée à l'université de Princeton, et également directeur du programme de traduction et de communication interculturelle de cette université (où, je dois le préciser, j'ai déjà pris la parole). Mais pour moi, il est plus intéressant en tant que traducteur de deux romanciers particulièrement grands et problématiques : le Français Georges Perec, dont l'œuvre se caractérise par un souci maniaque de la forme, et l'Albanais Ismail Kadare, dont Bellos traduit l'œuvre non pas à partir de l'original albanais, mais à partir de traductions françaises supervisées par Kadare. La double expérience de Bellos avec ces romanciers est, je pense, à l'origine de son nouveau livre, car ces expériences de traduction prouvent deux choses : Il est toujours possible de trouver des équivalents adéquats, même pour une prose maniaquement formelle, et il est également possible de trouver de tels équivalents dans une langue qui n'est pas l'original de l'œuvre. Alors que selon les tristes théories orthodoxes de la traduction, aucune de ces vérités ne devrait être vraie.

À un moment donné, Bellos cite avec une fierté légitime un petit exemple de sa propre inventivité. Dans le roman de Perec "La vie : Mode d'emploi" de Perec, un personnage se promène dans une arcade parisienne et s'arrête pour regarder les "cartes de visite humoristiques dans la vitrine d'un magasin de farces et attrapes". Dans l'original français de Perec, l'une de ces cartes est : "Adolf Hitler/Fourreur". Un fourreur est un fourreur, mais la blague de Perec est que cela ressemble aussi à la prononciation française de Führer. Donc Bellos, dans sa version anglaise, traduit à juste titre "fourreur" non pas par "furrier", mais comme ceci : "Adolf Hitler/Lieder allemand". Le nouveau jeu de mots multiphonique de Bellos est une parodie, sans aucun doute - et c'est aussi la traduction la plus précise possible.

Les conclusions que ce paradoxe exige sont, disons, déconcertantes pour le lecteur vieux jeu. Nous sommes habitués à penser que chaque personne parle une langue individuelle - sa langue maternelle - et que cette langue maternelle est une entité discrète, avec un vocabulaire manipulé par une grammaire fixe. Mais cette image, selon Bellos, ne correspond pas aux changements quotidiens de nos multiples langues, ni au désordre de notre utilisation des langues. L'ennemi philosophique profond de Bellos est ce qu'il appelle le "nomenclaturisme", "la notion que les mots sont essentiellement des noms" - une notion qui a été amplifiée dans notre ère moderne d'écriture : une conspiration de lexicographes. Cette idée fausse l'agace parce qu'elle est souvent utilisée pour soutenir l'idée que la traduction est impossible, puisque toutes les langues se composent en grande partie de mots qui n'ont pas d'équivalent unique et complet dans d'autres langues. Mais, écrit Bellos, "un terme simple comme 'tête', par exemple, ne peut être considéré comme le 'nom' d'une chose particulière. Il apparaît dans toutes sortes d'expressions". Et si aucun mot en français, par exemple, ne couvre toutes les connotations du mot "tête", sa signification "dans un usage particulier peut facilement être représentée dans une autre langue".

Cette idée fausse a toutefois une très longue histoire. Depuis que saint Jérôme a traduit la Bible en latin, le débat sur la traduction s'est dissous dans l'ineffable - la fameuse idée que chaque langue crée un monde mental essentiellement différent et que, par conséquent, toutes les traductions sont vouées à l'insuffisance philosophique. Dans la nouvelle proposition de Bellos, la traduction "présuppose au contraire... la non-pertinence de l'ineffable dans les actes de communication". En zigzaguant à travers des études de cas de bibles missionnaires ou de machines linguistiques de la guerre froide, Bellos élimine calmement cette vieille idée de l'ineffable, et ses effets malheureux.

On dit souvent, par exemple, qu'une traduction ne peut jamais être un substitut adéquat de l'original. Mais une traduction, écrit Bellos, n'essaie pas d'être identique à l'original, mais d'être comme lui. C'est pourquoi le duo conceptuel habituel de la traduction - la fidélité et le littéral - est trop maladroit. Ces idées dérivent simplement de l'anxiété déplacée qu'une traduction essaie d'être un substitut. Adolf Hitler/Fourreur ! Une traduction en anglais par "furrier" serait littéralement exacte ; ce serait cependant une ressemblance inadéquate.

En littérature, il existe un sous-ensemble connexe de cette anxiété : l'idée que le style - puisqu'il établit une relation si complexe entre la forme et le contenu - rend une œuvre d'art intraduisible. Mais là encore, cette mélancolie est mélodramatique. Il sera toujours possible, dans une traduction, de trouver de nouvelles relations entre le son et le sens qui soient d'un intérêt équivalent, voire phonétiquement identiques. Le style, comme une blague, a juste besoin de la découverte talentueuse d'équivalents. "Trouver une correspondance pour une blague et une correspondance pour un style", écrit Bellos, "sont deux exemples d'une aptitude plus générale que l'on pourrait appeler une aptitude à la correspondance de modèles".

La traduction, propose Bellos dans une déclaration sèchement explosive, plutôt que de fournir un substitut, "fournit pour une certaine communauté une correspondance acceptable pour une énonciation faite dans une langue étrangère." Ce qui rend cette correspondance acceptable variera en fonction de l'idée que se fait cette communauté des aspects d'un énoncé qui doivent être assortis de sa traduction. Après tout, "on ne peut pas s'attendre à ce qu'une traduction ressemble à sa source sur plus de quelques points précis". Une traduction ne peut donc pas être bonne ou mauvaise "à la manière d'une interrogation scolaire ou d'un relevé bancaire". Une traduction s'apparente davantage à un portrait à l'huile". Dans une traduction, comme dans toute forme d'art, la recherche est celle d'un signe équivalent.

Et pour les habitants de Londres ou de Los Angeles, ce démantèlement des mythes autour de la traduction a des implications particulières. Comme le souligne Bellos, ceux qui sont nés anglophones sont aujourd'hui une minorité de locuteurs de l'anglais : la plupart le parlent comme une deuxième langue. L'anglais est la plus grande interlangue du monde.

Je pense donc que deux perspectives peuvent être tirées de ce livre d'une inventivité éblouissante, et elles sont d'une ampleur réjouissante. Le premier concerne tous les anglophones. Google Translate, sans aucun doute, est un appareil à l'avenir prometteur. Il connaît déjà un tel succès parce que, contrairement aux traducteurs automatiques précédents, mais comme d'autres inventions de Google, il s'agit d'une machine à reconnaissance de formes. Il analyse le corpus des traductions existantes et trouve des correspondances statistiques. Je pense que les implications de ce phénomène n'ont pas encore été suffisamment explorées : des journaux mondiaux aux romans mondiaux... . . . Et cela m'a fait imaginer une deuxième perspective - limitée à un plus petit, hyper-sous-ensemble d'anglophones, les romanciers. Je suis un romancier anglophone, après tout. Je me suis dit qu'il n'y avait aucune raison pour que les traductions d'œuvres de fiction ne puissent pas être faites de manière beaucoup plus extensive dans et à partir de langues qui ne sont pas les langues d'origine de l'œuvre. Oui, j'ai commencé à caresser l'idée d'une future histoire du roman qui serait imprudemment internationale. En d'autres termes : il n'y aurait rien de mal, pensais-je, à rendre la traduction plus joyeuse. 


Auteur: Thirlwell Adam

Info: https://www.nytimes.com/2011/10/30. A propos du livre : Le côté joyeux de la traduction, Faber & Faber Ed. Texte traduit à 90% par deepl.com/translator

 

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