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fausses apparences

Un cas terrible de syndrome de l’imposteur est celui du philosophe français Louis Althusser. C’était un homme qui a souffert de problèmes mentaux extrêmement graves ; à vingt-neuf ans, on lui a diagnostiqué une psychose maniaco-dépressive et il a été interné une vingtaine de fois dans différents centres psychiatriques. En 1980, il a commencé à faire un massage à sa femme, la sociologue Hélène Rytmann, avec qui il vivait depuis trente-cinq ans, et il a fini par l’étrangler jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il a été déclaré irresponsable devant la loi pour avoir eu un accès de folie, et il a encore été interné pendant trois ans. En 1992, deux ans après sa mort, on a publié son autobiographie, L’avenir dure longtemps, dans laquelle il raconte d’une façon déchirante qu’il se considérait comme un lâche et un imposteur. Qu’il abritait des désirs homosexuels qu’il n’a jamais concrétisés ; qu’il passait pour un éminent philosophe alors que le fait est qu’il avait des lacunes considérables dans ses connaissances : il ne savait rien sur Aristote, ni sur les sophistes, ni sur les stoïciens, ni sur Kant (je me l’imagine se disant dans un moment de stupeur : Aristote ? Ou est-ce Aristarque ? Ou peut-être Anaxarque ?). Et qu’il avait été considéré comme un héros de la Seconde Guerre mondiale parce qu’il était resté cinq ans dans un camp de prisonniers allemand, mais qu’en réalité il avait ressenti une “terreur totale” à l’idée de se battre, qu’il s’inventait des maladies pour éviter les missions et que, quand les Allemands l’avaient capturé, il s’était senti soulagé. Pauvre Althusser, qui avait vécu, comme nous l’avons dit avant, écrasé par l’impératif héroïque de cet oncle et premier fiancé de sa mère dont il portait le nom, mort au combat pendant la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, c’est à son retour du camp de prisonniers que la psychose d’Althusser a officiellement éclaté : il avait eu la terrible malchance d’avoir à vivre une autre guerre mondiale dans laquelle se mesurer à son fantôme. Il avait perdu, bien entendu.

Auteur: Montero Rosa

Info: Le danger de ne pas être folle

[ imposture ] [ autoportrait ]

 

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expérience

Comme tous les hommes de Babylone, j'ai été proconsul ; comme eux tous esclave ; j'ai connu comme eux tous l'omnipotence, l'opprobre, les prisons. Regardez : à ma main droite il manque l'index. Regardez ; cette déchirure de mon manteau laisse voir sur mon estomac un tatouage vermeil ; c'est le deuxième symbole, Beth. Les nuits de pleine lune, cette lettre me donne le pouvoir sur les hommes dont la marque est Ghimel, mais elle me subordonne à ceux d'Aleph, qui les nuits sans lune doivent obéissance à ceux de Ghimel. Au crépuscule de l'aube, dans une cave, j'ai égorgé des taureaux sacrés devant une pierre noire. Toute une année de lune durant, j'ai été déclaré invisible : je criais et on ne me répondait pas, je volais le pain et je n'étais pas décapité. J'ai connu ce qu'ignorent les Grecs : l'incertitude. Dans une chambre de bronze, devant le mouchoir silencieux du strangulateur, l'espérance me fut fidèle ; dans le fleuve des délices, la panique. Pythagore, si l'on croit le récit émerveillé d'Héraclide du Pont, se souvenait d'avoir été Pyrrhus, Euphorbe, et avant Euphorbe encore quelque autre mortel ; pour me remémorer d'analogues vicissitudes je puis me dispenser d'avoir recours à la mort, et même à l'imposture.
Je dois cette diversité presque atroce à une institution que d'autres républiques ignorent ou qui n'opère chez elles que de façon imparfaite et obscure : la loterie. Je n'en ai pas scruté l'histoire : il ne m'échappe pas que les magiciens restent là-dessus divisés ; toute la connaissance qui m'est donnée de ses puissants desseins, c'est celle que peut avoir de la lune l'homme non versé en astrologie. J'appartiens à un pays vertigineux où la loterie est une part essentielle du réel ; jusqu'au présent jour, j'avais pensé à elle aussi peu souvent qu'à la conduite des dieux indéchiffrables ou de mon propre cœur. Aujourd'hui, loin de mon pays et de ses chères coutumes, c'est avec quelque surprise que j'évoque la loterie et les conjectures blasphématoires que sur elle, à la chute du jour, vont murmurant les hommes voilés.
Mon père me rapportait qu'autrefois - parlait-il d'années ou de siècle ? - la loterie était à Babylone un jeu de caractère plébéien. Il racontait, mais je ne sais s'il disait vrai, que les barbiers débitaient alors contre quelques monnaies de cuivre des rectangles d'os ou de parchemin ornés de symboles. Un tirage au sort s'effectuait en plein jour, et les favorisés recevaient, sans autre corroboration du hasard, des pièces d'argent frappées. Le procédé était rudimentaire, comme vous le voyez.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: La loterie à Babylone, in Fictions

[ incipit ] [ entame ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

philosophe

Il y eut un homme qui, en ce temps-là, osa pousser les théories nouvelles jusqu’à leurs dernières conséquences : ce fut le marquis de Sade. Avec une logique implacable, et dans une forme parfois digne des encyclopédistes, il développa, sans en omettre un seul détail, le programme nouveau qui allait être celui des penseurs du siècle suivant.

Selon lui, plus de fausseté, plus d’hypocrisie, le flambeau de la philosophie (c’est-à-dire de la science) a dissipé toutes les impostures anciennes ; il convient de s’en tenir au rôle dicté par la nature et de ne plus écouter que nos seuls instincts.

L’homme doit chercher à développer ses émotions le plus possible dans le sens indiqué par la nature, et la douleur étant plus grande que le plaisir, la douleur doit être l’agent principal du succès. C’est en blessant les arbres que l’on obtient de beaux fruits ; la cruauté est un ordre même de la nature.

Celle-ci, contrairement aux fausses idées chrétiennes, nous ordonne de faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fût fait. La raison du plus fort est toujours la meilleure ; Bismarck, Nietzsche et les meilleurs auteurs du dix-neuvième siècle n’ont rien dit de mieux.

Il est regrettable que cet écrivain ait compromis la réputation de ses ouvrages par d’absurdes bravades érotiques qui permirent à ses héritiers directs de faire rayer son nom de l’histoire littéraire ; s’il s’en fût tenu aux seules idées philosophiques qu’il exprimait alors, sa place dans l’histoire des idées, à la veille de la Révolution française, eût été celle d’un ancêtre vénéré. Il suffit de relire les principaux ouvrages des écrivains du xixe siècle pour s’en convaincre.

Dans son Origine des espèces et sa Descendance de l’homme, Darwin ne fit que confirmer point par point toutes les affirmations du marquis, et remettre en première place l’instinct naturel de sélection. Les économistes, de Malthus à Stuart Mill, ne firent également que ratifier la brutalité de pareilles assertions.

Les littérateurs et les artistes hésitèrent pendant une partie du dix-neuvième siècle ; mais, bientôt, ils se convertirent, eux aussi, en présence des progrès incessants de la science, aux conclusions imposées par les lois naturelles. Le romantisme ne fut d’abord qu’un réalisme déguisé, et le naturalisme convertit définitivement les artistes aux doctrines scientifiques.

Ce fut ainsi que la littérature, au début du vingtième siècle, ne fut, en résumé, qu’une application étroite des règles posées par la Révolution française, et que la suprématie de l’instinct ramena l’homme qui, un instant, avait cru devenir Dieu, au simple rang des autres animaux qui l’avaient précédé dans l’échelle des êtres.

Auteur: Pawlowski Gaston de

Info: Voyage au pays de la quatrième dimension, Flatland éditeur, 2023, pages 113-114

[ résumé ] [ explication ] [ régression ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

christianisme

La supériorité pratique des grandes religions chrétiennes, c'est qu'elles doraient pas la pilule. Elles essayaient pas d'étourdir, elles cherchaient pas l'électeur, elles sentaient pas le besoin de plaire, elles tortillaient pas du panier. Elles saisissaient l'Homme au berceau et lui cassaient le morceau d'autor. Elles le rancardaient sans ambages :

"Toi petit putricule informe, tu seras jamais qu'une ordure ... de naissance tu n'es que merde ... est-ce que tu m'entends ? ... c'est l'évidence même, c'est le principe de tout ! Cependant, peut-être ... peut-être ... en y regardant de tout près ... que t'as encore une petite chance de te faire un peu pardonner d'être comme ça tellement immonde, excrémentiel, incroyable ... c'est de faire bonne mine à toutes les peines, épreuves, misères et tortures de ta brève ou longue existence. Dans la parfaite humilité ... La vie, vache, n'est qu'une âpre épreuve ! T'essoufle pas ! Cherche pas midi à quatorze heures ! Sauve ton âme, c'est déjà joli ! Peut-être qu'à la fin du calvaire, si t'es extrêmement régulier, un héros, de "fermer ta gueule", tu claboteras dans les principes ... mais c'est pas certain ... un petit poil moins putride à la crevaison qu'en naissant ... et quand tu verseras dans la nuit plus respirable qu'à l'aurore ... mais te monte pas la bourriche ! C'est bien tout ! ... fais gaffe ! Spécule pas sur des grandes choses ! Pour un étron c'est le maximum ! ..."

Ça ! c'était sérieusement causé ! Par des vrais pères de l'Église ! Qui connaissaient leur ustensile ! qui se miroitaient pas d'illusions !

La grande prétention au bonheur, voilà l'énorme imposture ! C'est elle qui complique toute la vie ! Qui rend les gens si venimeux, crapules, imbuvables. Y a pas de bonheur dans l'existence, y a que des malheurs plus ou moins grands, plus ou moins tardifs, éclatants, secrets, différés, sournois ...

"C'est avec les gens heureux qu'on fait les meilleurs damnés."

Le principe du diable tient bon. Il avait raison comme toujours en braquant l'Homme sur la matière. Ça n'a pas traîné. En deux siècles, tout fou d'orgueil, dilaté par la mécanique, il est devenu impossible. Tel nous le voyons aujourd'hui, hagard, saturé, ivrogne d'alcool, de gazoline, défiant, prétentieux, l'univers avec un pouvoir en secondes ! Éberlué, démesuré, irrémédiable, mouton et taureau mélangé, hyène aussi. Charmant. Le moindre obstrué trou du cul, se voit Jupiter dans la glace. Voilà le grand miracle moderne. Une faculté gigantesque, cosmique. L'envie tient la planète en rage, en tétanos, en surfusion. Le contraire de ce qu'on voulait arrive forcément. Tout créateur au premier mot se trouve à présent écrasé de haines, concassé, vaporisé. Le monde entier tourne critique, donc effroyablement médiocre. Critique collective, torve, larbine, bouchée, esclave absolue.

Auteur: Céline Louis-Ferdinand

Info: Mea Culpa (1936)

[ misanthropie ]

 

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christianisme

La supériorité pratique des grandes religions chrétiennes, c'est qu'elles doraient pas la pilule. Elles essayaient pas d'étourdir, elles cherchaient pas l'électeur, elles sentaient pas le besoin de plaire, elles tortillaient pas du panier. Elles saisissaient l'Homme au berceau et lui cassaient le morceau d'autor. Elles le rancardaient sans ambages :

" Toi petit putricule informe, tu seras jamais qu'une ordure ... de naissance tu n'es que merde ... est-ce que tu m'entends ? ... c'est l'évidence même, c'est le principe de tout ! Cependant, peut-être ... peut-être ... en y regardant de tout près ... que t'as encore une petite chance de te faire un peu pardonner d'être comme ça tellement immonde, excrémentiel, incroyable ... c'est de faire bonne mine à toutes les peines, épreuves, misères et tortures de ta brève ou longue existence. Dans la parfaite humilité ... La vie, vache, n'est qu'une âpre épreuve ! T'essoufle pas ! Cherche pas midi à quatorze heures ! Sauve ton âme, c'est déjà joli ! Peut-être qu'à la fin du calvaire, si t'es extrêmement régulier, un héros, de " fermer ta gueule ", tu claboteras dans les principes ... mais c'est pas certain ... un petit poil moins putride à la crevaison qu'en naissant ... et quand tu verseras dans la nuit plus respirable qu'à l'aurore ... mais te monte pas la bourriche ! C'est bien tout ! ... fais gaffe ! Spécule pas sur des grandes choses ! Pour un étron c'est le maximum !  ... "

Ça ! c'était sérieusement causé ! Par des vrais pères de l'Église ! Qui connaissaient leur ustensile ! qui se miroitaient pas d'illusions !

La grande prétention au bonheur, voilà l'énorme imposture ! C'est elle qui complique toute la vie ! Qui rend les gens si venimeux, crapules, imbuvables. Y a pas de bonheur dans l'existence, y a que des malheurs plus ou moins grands, plus ou moins tardifs, éclatants, secrets, différés, sournois ...

" C'est avec les gens heureux qu'on fait les meilleurs damnés. "

Le principe du diable tient bon. Il avait raison comme toujours en braquant l'Homme sur la matière. Ça n'a pas traîné. En deux siècles, tout fou d'orgueil, dilaté par la mécanique, il est devenu impossible. Tel nous le voyons aujourd'hui, hagard, saturé, ivrogne d'alcool, de gazoline, défiant, prétentieux, l'univers avec un pouvoir en secondes ! Éberlué, démesuré, irrémédiable, mouton et taureau mélangé, hyène aussi. Charmant. Le moindre obstrué trou du cul, se voit Jupiter dans la glace. Voilà le grand miracle moderne. Une faculté gigantesque, cosmique. L'envie tient la planète en rage, en tétanos, en surfusion. Le contraire de ce qu'on voulait arrive forcément. Tout créateur au premier mot se trouve à présent écrasé de haines,  concassé, vaporisé. Le monde entier tourne critique, donc effroyablement médiocre. Critique collective, torve, larbine, bouchée, esclave absolue.

Auteur: Céline Louis-Ferdinand

Info: Mea Culpa (1936)

[ sincère ] [ démystifiant ] [ désillusionnant ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

vote

Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent, chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t’arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d’avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d’humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l’envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n’as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.

Rêve après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels. C’est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve, car là où est l’homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. Surtout, souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. L’homme que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens. Pour te réconforter et ranimer des espérances qui seraient vite déçues, ne va pas t’imaginer que le spectacle navrant auquel tu assistes aujourd’hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n’as rien à y perdre, je t’en réponds ; et cela pourra t’amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d’aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe.

Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge.

Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève.

Auteur: Mirbeau Octave

Info: 1888

[ imposture ] [ critique ]

 
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métaphysique

Beaucoup de mots utilisés par Parménide, ont subi une distorsion qui ne s'est qu'aggravée au cours des siècles. Une de celles-ci a affecté un mot crucial, central, dans le témoignage de Parménide et de tous les sages de la Grèce archaïque : ce mot est, λόγος.(logos)

Génération après génération, les érudits et les universitaires ont traduit ce mot par "raison" sans même remarquer, ou peut-être ont-ils fait semblant de ne pas le voir, que le mot λόγος ne prit ce sens qu'un bon siècle après Parménide [...] - donc il était traduit par "raison au lieu de "recueillement" et "discours révélé". Le verbe "lego" avait le sens de "cueillir"... Et encore, on voit que c'est d'abord timidement que ce sens s'est imposé. Une autre erreur patente, consiste à faire dire à ce même mot grec une platitude : "discours". La traduction par "discours" n'est pas fausse, mais restrictive, car pour Parménide, tout comme pour Héraclite, le λόγος est d'abord et avant tout la révélation. Discours il y a, oui, mais discours révélé. C'est donc la parole, mais pas n'importe quelle parole : la parole juste, la parole sacrée, la parole vraie, celle révélée par la Déesse. Une telle parole n'est pas matière à opinion, elle est à jamais paradoxale : en-dehors et au-delà de la δόξα (doxa).

Ce mot grec, dont le sens habituel est "opinion, avis", ou encore "ce que l'on attend, croyance", a aussi, sur le plan philosophique, le sens plus particulier de "croyance, doctrine", par opposition à la vérité pure (αλήθεια) ou à la gnose (γνωση), la connaissance directe de la vérité pure. Le mot δόξα dérive du verbe (dokeo), "avoir l'apparence de ", "paraître, sembler". Ce verbe est lui-même lié au verbe (dexomai), dont le sens principal est "recevoir en présent", "accepter une choses offerte".

A la lumière de tout cela, on peut dire que l'homme de la δόξα est celui qui, grâce à ses sens, perçoit l'apparence de la réalité et accepte comme étant la réalité la trame tissée par son cerveau à partir de ces apparences.

L'homme de la gnose, dévoré par une intense passion de connaître, va plus loin, Bien sûr, notre civilisation est complètement dominée par l'homme de la δόξα, qui constitue la très vaste majorité ; cette majorité dort profondément tout en prétendant à une soi-disant liberté personnelle et collective....

[...] Le mot "logique" avait, dans la Grèce archaïque, le sens de parole : il s'agit ici de la parole de la Déesse, le pouvoir de séduction du Réem. Le λόγος est la parole de ce qui est.

Héraclite dit : "La sagesse veut que ceux qui sont à l'écoute, non de moi, mais du λόγος, conviennent que toutes choses est l'Unique."

C'est quand le mot λόγος a pris le sens de raison, ou raisonnement, que l'homme occidental a commencé à s'éloigner de la puissance sans bornes de la Vie, n'écoutant plus que le ronronnement de sa propre pensée et le bêlement de ses opinions. Quel est le résultat de cette bifurcation ?
L'homme est malheureux et agité : il ne vit pas en paix ni avec lui-même ni avec les autres. On a inventé la fable de la transition qu'auraient accompli les Grecs entre le mythe (μῦθος), vu comme superstition, et la raison (finalement associée à λόγος ). Or Parménide, comme tous les Grecs de la période archaïque, ne concevaient pas une telle opposition entre les deux ; bien plus, il utilisait les deux mots dans le même sens ; révélation.

Le prétendu "miracle grec" attribué à la période classique est une imposture : celle d'une soi-disant transition entre d'une part l'époque du mythe perçu comme un ramassis de fables et de légendes, et, d'autre part, la raison vue comme le véritable moyen pour atteindre la vérité. Une transition a bel et bien eu lieu, c'est certain et nous en voyons les désastreuses conséquences aujourd'hui.

Mais elle ne fut ni un miracle ni l'affaire de Parménide. Pour celui-ci, μῦθος et λόγος se référaient tous les deux à la révélation, seule possibilité pour la Connaissance.
Miracle il y eut, mais avant, pendant et après la période classique de la Grèce. Il fut, est et sera toujours l'affaire de tous ceux, connus ou inconnus, en Grèce ou ailleurs, en qui se révéla, se révèle et se révélera directement cette Connaissance.

Nous disons miracle parce que la raison et l'accumulation de savoir de seconde main furent, sont et seront à jamais incapables d'expliquer l'inconcevable réalité au-delà du fait d'exister ou ne pas exister.

Auteur: Bouchart d'Orval Jean

Info: Dans "Parménide, au-delà de l'existence"

[ logos ] [ étymologie ] [ alètheia ] [ histoire de la philosophie ] [ Grèce antique ] [ sémantique ] [ diachronie ]

 

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littérature

Les 19 lois du bon polar, selon Borges.

Le grand écrivain argentin s'était amusé à codifier la narration policière. En partenariat avec le magazine BoOks.

Dans son article "Lois de la narration policière" (1), de 1933, Jorge Luis Borges propose quelques règles élémentaires, ou "commandements", pour le récit policier classique. Ces conventions, comme il le remarque avec esprit, "ne visent pas à éluder les difficultés, mais plutôt à les imposer". Borges énonce explicitement les six règles suivantes:

1 : Une limite facultative de ses personnages

Les personnages doivent être peu nombreux et bien définis, de façon que lecteur puisse les connaître et les distinguer. "La téméraire infraction à cette loi est responsable de la confusion et de l'ennui fastidieux de tous les films policiers."

2 : Exposition de toutes les données du problème

On doit mettre toutes les cartes sur la table, sans as sortis de la manche à la dernière minute. À partir d'un certain point, le lecteur devra disposer de toutes les pistes nécessaires pour trouver lui-même la solution. "L'infraction répétée de cette deuxième loi est le défaut préféré de Conan Doyle. Il s'agit parfois de quelques imperceptibles particules de cendre, ramassées dans le dos du lecteur par ce privilégié d'Holmes. Parfois l'escamotage est plus grave. Il s'agit du coupable, terriblement démasqué au dernier moment, qui s'avère être un inconnu : une insipide et maladroite interpolation."

3 : Avare économie de moyens

Qu'un personnage se dédouble, on peut l'admettre, dit Borges. Mais que deux individus en contrefassent un troisième pour lui conférer un don d'ubiquité "court le risque incontestable de paraître une surcharge". La solution doit être la plus claire et nette possible, sans lourdeurs techniques, artifices improbables ou déploiements accablants de mouvements et de détails. La solution doit aussi pouvoir se déduire des ressources déjà mises en jeu, comme réorganisation des éléments connus.

4 : Primauté du comment sur le qui

Le véritable mystère d'un bon whodunit(2) n'est pas le nom de celui qui a commis le crime, mais ce que sera le nouvel ordre logique, plus subtil, la vérité souterraine qui éclaire le récit d'un nouveau jour.

5 : Pudeur de la mort

À la différence des thrillers du cinéma contemporain, où l'imagination cherche à concevoir des crimes de plus en plus sanglants et des cadavres de plus en plus choquants, dans le récit policier classique, la mort est comme une ouverture au jeu d'échecs et n'a pas en soi beaucoup d'importance. "Les pompes de la mort n'ont pas leur place dans la narration policière dont les muses glaciales sont l'hygiène, l'imposture et l'ordre", écrit Borges.

On trouve une transgression exemplaire de cette loi dans "le Noël d'Hercule Poirot"(3), d'Agatha Christie. Ce roman, comme on le comprend dans la dédicace, est conçu comme un défi, son beau-frère lui ayant reproché d'éviter le sang dans ses crimes. "Vous y déploriez que mes meurtres deviennent trop épurés - exsangues, pour parler net. Vous y réclamiez un de ces bons vieux meurtres bien saignants. Un meurtre qui, sans l'ombre d'un doute, en soit bien un." Le plus remarquable est peut-être que, dans ce crime esthétiquement opposé aux précédents, Agatha Christie reste elle-même: le cri terrifiant, la scène brutale du meurtre, le sang abondamment répandu sont des clés de l'élucidation finale.

6 : Nécessité et merveilleux dans la solution

"La première implique que le problème soit un problème précis susceptible d'une seule réponse, l'autre requiert que cette réponse puisse émerveiller le lecteur." Cette sensation de merveilleux, précise Borges, ne doit pas faire appel au surnaturel. La solution d'une énigme policière doit être comme la démonstration d'un théorème complexe: difficile à imaginer à partir des prémisses, mais dont la nécessité s'impose par la rigueur d'une explication parfaitement logique. En plus de ces six axiomes déclarés, Borges en postule indirectement certains autres dans son article: Le véritable récit policier repousse - ai-je besoin de le préciser - avec le même dédain les risques physiques et la justice distributive. Il fait abstraction, avec sérénité, des cachots, des escaliers secrets, des remords, de la voltige, des barbes postiches, de l'escrime, des chauves-souris, de Charles Baudelaire et même du hasard. Il découle de ce passage trois règles supplémentaires :

7 : Dédain des risques physiques

Dans ce dédain des risques physiques réside l'une des principales différences avec le roman noir ou le thriller cinématographique. Borges observe que, dans les premiers exemples du genre, "l'histoire se limite à la discussion et à la résolution abstraite d'un crime, parfois à cent lieues de l'événement ou bien éloignée dans le temps". Isidro Parodi, le détective qu'il imagina avec Bioy Casares, résout les énigmes alors qu'il est enfermé dans une prison. Dans les aventures de Sherlock Holmes comme dans celles d'Hercule Poirot, la vie du détective est parfois en danger imminent, mais ces risques sont éphémères et ne constituent jamais la matière narrative principale, sauf peut-être dans leurs dernières enquêtes. C. Auguste Dupin, la vieille Miss Marple, le père Brown et Perry Mason(4) sont tous des exemples de détectives à l'abri des risques physiques.

8 : Renoncement aux considérations ou jugements moraux

Sur la question de la "justice distributive", "la Huella del crimen" de Raúl Waleis, premier roman policier argentin (il date de 1877 et a été récemment réédité - (5)), avait l'intention déclarée de favoriser une nouvelle législation, à travers l'exposé d'une affaire mettant en évidence une faille dans la justice: "Le droit est la source où je puiserai mes arguments. Les mauvaises lois doivent être dénoncées pour les effets que produit leur application. Je crée le drame auquel j'applique la loi en vigueur. Ses conséquences fatales prouveront la nécessité de la réformer. " Les enquêtes de Perry Mason et les récits de Chesterton témoignaient peut-être d'un certain attachement aux canons de la justice et aux considérations morales sur les innocents et les coupables.

9 : Rejet du hasard

À cet égard, citons les intéressantes réflexions de Patricia Highsmith, qui ne craint pas de mettre à l'épreuve la crédulité du lecteur: " J'aime beaucoup qu'il y ait dans l'intrigue des coïncidences et des situations presque (mais pas entièrement) incroyables comme par exemple le plan audacieux qu'un homme propose à un autre qu'il connaît depuis deux heures à peine dans "L'Inconnu du Nord-Express". [...] L'idéal est que les événements prennent une tournure inattendue, en gardant une certaine consonance avec le caractère des personnages. La crédulité du lecteur, son sens de la logique - qui est très élastique -, peut être étirée au maximum, mais il ne faut pas la rompre " ("L'Art du suspense" (6), chap. 5). Le hasard peut survenir dans la narration comme ellipse, tout comme, dans les comédies, on accepte qu'une porte s'ouvre pour laisser sortir un personnage et qu'un autre apparaisse aussitôt. Ou comme le catalyseur d'une circonstance propice à l'accomplissement d'un crime quand le mobile n'est pas très affirmé. C'est ce qui arrive, par exemple, avec l'apparition d'un parent éloigné, dans "Paiement différé" (7) de Cecil Scott Forester. En revanche, le hasard ne devrait pas jouer un rôle décisif dans l'explication finale. À noter que, dans la nouvelle de Borges "la Mort et la Boussole", c'est un accident fortuit, une mort inattendue, qui donne à l'assassin l'idée de la série de meurtres qu'il va commettre. D'autres règles peuvent encore être tirées de l'article de Borges :

10 : Méfiance ou rejet des procédures de l'investigation policière

"Les démarches quotidiennes des investigations policières - empreintes digitales, torture et délation - sembleraient ici des solécismes." L'enquête policière appartient à l'ordre prosaïque des faits et du bon sens. C'est ce qui établit la différence entre le plan de l'enquête officielle de la justice et l'enquête parallèle, de l'ordre de la fiction - à l'écart des critères et des paramètres usuels -, que mène le détective. Dans "la Mort et la Boussole", ironiquement, le policier et le détective ont tous deux raison, mais chacun à sa manière.

11 : L'assassin doit appartenir à la distribution initiale des personnages

"Dans les récits honnêtes, écrit Borges, le criminel est l'une des personnes qui figurent dès le début."

12 : La solution doit éviter le recours au surnaturel, qui ne peut être invoqué que comme une conjecture transitoire à écarter

La réponse doit émerveiller le lecteur "sans faire appel bien sûr au surnaturel, dont l'usage dans ce genre de fiction est un alanguissement et une félonie. Chesterton réalise toujours le tour de force de proposer une explication surnaturelle et de la remplacer ensuite, sans perdre au change, par une autre, toute naturelle."

13 : La solution ne peut comporter des éléments inconnus du lecteur

"Sont également prohibés [...] les élixirs d'origine inconnue." Voici donc les règles énoncées par Borges dans son article. Nous pourrions en rajouter quelques autres :

14 : Omission de la vie privée du détective et de ses aventures sentimentales ou sexuelles

Règle enfreinte dans tous les films policiers, où immanquablement l'enquêteur divorce, mène une existence malheureuse et a une liaison avec l'actrice principale.

15 : Dans le cas d'un double ou triple dénouement, il doit y avoir une progression, chaque fin surpassant la précédente en ingéniosité et en rigueur

Comme dans la règle des trois adjectifs que mentionne Proust à propos des salons de la bonne société française, le troisième est tenu de surpasser les deux premiers.

16 : Le meurtrier ne peut être le majordome (à moins d'être dans un congrès de majordomes)

L'assassin ne peut être un personnage trop secondaire, maintenu en permanence caché, comme une carte que l'on garde pour la fin.

17 : L'assassin ne peut être l'immigré ou le fanatique religieux ou le suspect d'extrémisme politique

Règle toujours soigneusement respectée par Agatha Christie. Les mobiles du meurtre doivent être intimes et le meurtrier doit appartenir au noyau dur de l'histoire. Cette règle est négligée de manière particulièrement décevante dans "Meurtriers sans visage", de Henning Mankell.

18 : L'assassin ne doit pas être le narrateur

Règle admirablement transgressée par Agatha Christie dans "le Meurtre de Roger Ackroyd" et, de manière plus prévisible, par Tchekhov dans "la Confession".

19 : L'assassin ne doit pas être l'enquêteur

Règle non respectée par Agatha Christie dans "le Noël d'Hercule Poirot" et par Juan José Saer dans "l'Enquête". Pourrait-on encore allonger cette liste ? Assurément. Mais cela créerait peut-être une fausse illusion, l'illusion que le genre peut être circonscrit et réduit à un formalisme d'axiomes, à une liste de règles et de procédés. Une illusion symétrique et tout aussi erronée - bien que prisée dans les tables rondes, car elle permet la pose iconoclaste et les métaphores guerrières - veut que le genre doit être dynamité, qu'il faut faire voler en éclats toutes les règles, que les lois sont faites pour être violées. Quiconque s'y est essayé sait en tout cas qu'il est difficile, sinon impossible, de se défaire de toutes à la fois, et qu'il y a dans le genre policier une tension extraordinaire entre ce qui a déjà été dit, entre la rhétorique accumulée dans des milliers de romans, et ce qui reste encore à dire, à la limite des règles. Les lois sont, en ce sens, comme une barrière que l'astuce et la créativité doivent franchir. Dans une des très rares occasions où Borges conçoit un projet de roman (dans l'article "è vero, ma non troppo", paru en 1938 dans la revue "El Hogar") ce n'est pas un hasard s'il choisit, entre tous les genres littéraires, le roman policier. Le sien serait, dit-il, "un peu hétérodoxe". Et il souligne que c'est là un point important, car "le genre policier, comme tous les genres, vit de l'incessante et délicate infraction à ses lois". Oui, la délicate infraction à ses lois.

Auteur: Martinez Guillermo

Info: Texte paru dans le quotidien argentin La Nación, le 15 août 2009, traduit de l'espagnol par François Gaudry

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