Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 13
Temps de recherche: 0.029s

déclaration d'amour

[...] Tu sais, mon bien aimé, et tous le savent, combien j'ai perdu en toi ; tu sais dans quelles terribles circonstances l'indignité d'une trahison publique m'arracha au siècle en même temps que toi, et je souffre incomparablement plus de la manière dont je t'ai perdu que ta perte même. Plus grand est l'objet de la douleur, plus grands doivent être les remèdes de la consolation. Toi seul, et non un autre, toi seul, qui seul es la cause de ma douleur, m'apporteras la grâce de la consolation. Toi seul, qui m'as contristée, pourras me rendre la joie, ou du moins soulager ma peine. Toi seul me le dois car aveuglément j'ai accompli toutes tes volontés, au point que j'eus, ne pouvant me décider à t'opposer la moindre résistance, le courage de me perdre moi-même, sur ton ordre. Bien plus, mon amour, par un effet incroyable, s'est tourné en tel délire qu'il s'enleva, sans espoir de le recouvrer jamais, à lui-même l'unique objet de son désir, le jour où pour t'obéir je pris l'habit et acceptai de changer de coeur. Je te prouvai ainsi que tu règnes en seul maître sur mon âme comme sur mon corps. Dieu le sait, jamais je n'ai cherché en toi que toi-même. C'est toi seul que je désirais, non ce qui t'appartenait ou ce que tu représentes. Je n'attendais ni mariage, ni avantages matériels, ne songeais ni à mon plaisir ni à mes volontés, mais je n'ai cherché, tu le sais bien, qu'à satisfaire les tiennes. Le nom d'épouse paraît plus sacré et plus fort ; pourtant celui d'amie m'a toujours été plus doux. J'aurais aimé, permets-moi de le dire, celui de concubine et de fille de joie, tant il me semblait qu'en m'humiliant davantage j'augmentais mes titres à ta reconnaissance et nuisais mois à la gloire de ton génie. [...] Quel roi, quel philosophe, pouvait égaler ta gloire ? Quel pays, quelle ville, quel village n'aspirait à te voir ? Qui donc, je le demande, lorsque tu paraissais en public, n'accourait pour te regarder et, quand tu t'éloignais, ne te suivait du regard, le cou tendu ? Quelle femme mariée, quelle jeune fille, ne te désirait en ton absence, ne brûlait quand tu étais là ? Quelle reine, quelle grande dame, n'a pas envié mes joies et mon lit ? [...]

Auteur: Héloïse

Info: à Abélard, 12 e siècle

[ regrets ]

 

Commentaires: 0

interprétation religieuse

À ce propos, nous avons eu l’occasion de faire une remarque qui nous paraît assez curieuse pour que nous la notions ici : dans un livre dont nous avons déjà parlé ailleurs, le philosophe Bergson, opposant ce qu’il appelle la "religion statique" et la "religion dynamique", voit la plus haute expression de cette dernière dans le mysticisme, que d’ailleurs il ne comprend guère, et qu’il admire surtout pour ce que nous pourrions y trouver au contraire de vague et même de défectueux sous certains rapports ; mais ce qui peut sembler vraiment étrange de la part d’un "non-chrétien", c’est que, pour lui, le "mysticisme complet", quelque peu satisfaisante que soit l’idée qu’il s’en fait, n’en est pas moins celui des mystiques chrétiens. À la vérité, par une conséquence nécessaire du peu d’estime qu’il éprouve pour la "religion statique", il oublie un peu trop que ceux-ci sont chrétiens avant même d’être mystiques, ou du moins, pour les justifier d’être chrétiens, il pose indûment le mysticisme à l’origine même du Christianisme ; et, pour établir à cet égard une sorte de continuité entre celui-ci et le judaïsme, il en arrive à transformer en "mystiques" les prophètes juifs ; évidemment, du caractère de la mission des prophètes et de la nature de leur inspiration, il n’a pas la moindre idée. Quoi qu’il en soit, si le mysticisme chrétien, si déformée ou amoindrie qu’en soit sa conception, est ainsi à ses yeux le type même du mysticisme, la raison en est, au fond, bien facile à comprendre : c’est que, en fait et à parler strictement, il n’existe guère de mysticisme autre que celui-là ; et même les mystiques qu’on appelle "indépendants", et que nous dirions plus volontiers "aberrants", ne s’inspirent en réalité, fût-ce à leur insu, que d’idées chrétiennes dénaturées et plus ou moins entièrement vidées de leur contenu originel. Mais cela aussi, comme tant d’autres choses, échappe à notre philosophe, qui s’efforce de découvrir, antérieurement au Christianisme, des "esquisses du mysticisme futur", alors qu’il s’agit de choses totalement différentes ; il y a là, notamment, sur l’Inde, quelques pages qui témoignent d’une incompréhension inouïe. Il y a aussi les mystères grecs, et ici le rapprochement, fondé sur la parenté étymologique que nous signalions plus haut, se réduit en somme à un bien mauvais jeu de mots ; du reste, Bergson est forcé d’avouer lui-même que "la plupart des mystères n’eurent rien de mystique" ; mais alors pourquoi en parle-t-il sous ce vocable ? Quant à ce que furent ces mystères, il s’en fait la représentation la plus "profane" qui puisse être ; ignorant tout de l’initiation, comment pourrait-il comprendre qu’il y eut là, aussi bien que dans l’Inde, quelque chose qui d’abord n’était nullement d’ordre religieux, et qui ensuite allait incomparablement plus loin que son "mysticisme", et même, il faut bien le dire, que le mysticisme authentique, qui, par là même qu’il se tient dans le domaine purement exotérique, a forcément aussi ses limitations ?

Auteur: Guénon René

Info: A propos de "Les deux sources de la morale et de la religion", dans "Aperçus sur l'initiation", Éditions Traditionnelles, 1964, p. 17

[ idéalisante ] [ erronée ] [ critique ]

 
Commentaires: 6
Ajouté à la BD par Coli Masson

hallucination

De toute façon, il pensait lentement, les mots lui coûtaient un effort, il n’en avait jamais assez, et parfois, lorsqu’il parlait avec quelqu’un, il arrivait que son interlocuteur, tout à coup, le regardât avec étonnement, ne comprenant pas tout ce qu’il pouvait y avoir dans un seul mot, quand Moosbrugger lentement l’extrayait. Il enviait tous les hommes qui avaient appris dès leur jeunesse à parler facilement ; lui, comme par dérision, les mots lui collaient au palais comme de la gomme juste au moment où il en avait le plus urgent besoin ; alors, il se passait parfois un temps interminable jusqu’à ce qu’il réussît à dégager une syllabe, et repartît. […]

La conscience que sa langue, ou quelque chose de plus profond encore en lui, était paralysé comme par de la colle, lui donnait un sentiment d’insécurité pitoyable qu’il lui fallait pendant des jours s’efforcer de dissimuler. Alors apparaissait soudain une subtile, on pourrait presque dire même une silencieuse frontière. Tout d’un coup, un souffle glacé était là. Ou bien, tout près de lui, dans l’air, une grosse boule émergeait et s’enfonçait dans sa poitrine. Dans le même moment, il sentait quelque chose sur lui, dans ses yeux, sur ses lèvres, ou bien dans les muscles faciaux ; il y avait comme une disparition, un noircissement de tout ce qui l’entourait, et tandis que les maisons se posaient sur les arbres, un ou deux chats, peut-être, se sauvant à toute vitesse, bondissaient hors du taillis. Cela ne durait qu’une seconde, puis tout était de nouveau comme avant. […]

Ces périodes étaient tout entières sens ! Elles duraient parfois quelques minutes, parfois elles s’étendaient sur toute une journée, parfois encore elles se prolongeaient en d’autres, semblables, qui pouvaient durer des mois. Pour commencer par ces dernières, parce qu’elles sont les plus simples, […] c’étaient des périodes où il entendait des voix, de la musique, ou bien des souffles, des bourdonnements, des sifflements aussi, des cliquetis, ou encore des coups de feu, de tonnerre, des rires, des appels, des paroles, des murmures. Cela lui venait de partout ; c’était logé dans les cloisons, dans l’air, dans les habits et dans son corps même. Il avait l’impression qu’il portait cela dans son corps tant que cela restait muet ; mais dès que cela éclatait, cela se cachait dans les environs, quoique jamais très loin de lui. Quand il travaillait, les voix protestaient contre lui, le plus souvent avec des mots détachés ou de courtes phrases, elles l’injuriaient, le critiquaient, et quand il pensait à quelque chose, elles l’exprimaient avant qu’il en ait eu le temps, ou disaient malignement le contraire de ce qu’il voulait. Que cela suffît à le faire juger malade, Moosbrugger ne pouvaient qu’en rire ; lui-même ne traitait pas ces voix et ces visions autrement que si ç’avait été des singes. Cela le distrayait de les entendre et de les voir se démener ; c’était incomparablement plus beau que les pensées pesantes et tenaces qu’il avait lui-même, mais quand elles le gênaient trop, il se mettait en colère, finalement c’était assez naturel. [...]

Il lui était arrivé dans sa vie de dire à une fille : "Votre bouche est une rose !" mais tout à coup le mot se défaisait aux coutures, et quelque chose de très pénible se produisait : le visage devenait gris comme la terre que couvre le brouillard, et devant lui, sur une longue tige, une rose se dressait ; affreusement grande alors était la tentation de prendre un couteau, de la couper ou de la frapper pour qu’elle rentrât de nouveau dans le visage. 

Auteur: Musil Robert

Info: Dans "L'homme sans qualités", tome 1, trad. Philippe Jaccottet, éditions du Seuil, 1957, pages 372-375

[ point de vue intérieur ] [ cristallisation signifiante ] [ décompensation psychotique ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson