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stratège

Alcibiade, c’est une sorte de pré-Alexandre. Ses aventures de politique sont sans aucun doute toutes marquées du site du défi, de l’extraordinaire, du tour de force, de l’incapacité de se situer, ni de s’arrêter, nulle part – partout où il passe, renversant la situation, faisant passer la victoire d’un camp à l’autre partout où il se promène, mais partout pourchassé, exilé, et il faut bien le dire, en raison de ses méfaits.

Il semble que si Athènes a perdu la guerre du Péloponnèse, c’est pour autant qu’elle a éprouvé le besoin de rappeler Alcibiade en plein cours des hostilités pour lui faire rendre compte d’une obscure histoire, celle dite de la mutilation des Hermès […] qui comportait sûrement dans son fond un caractère de profanation, et, à proprement parler, d’injure aux dieux. […]

Après cette requête du peuple athénien, il passe ni plus ni moins à l’ennemi, à Sparte, à cette Sparte dont il n’est pas pour rien dans le fait qu’elle soit l’ennemie d’Athènes, puisqu’il a préalablement tout fait pour que les négociations de concorde échouent.

Voilà qu’il passe donc à Sparte, et tout de suite, il ne trouve rien de mieux, de plus digne de sa mémoire, que de faire un enfant à la reine, au vu et au su de tous. Il se trouve que l’on sait fort bien que le roi Agis ne couche pas depuis dix mois avec sa femme, pour des raisons que je vous épargne. La reine a donc un enfant de lui. Ce n’est pas par plaisir que j’ai fait ça, dit-il à Oreste, c’est parce qu’il m’a semblé digne de moi d’assurer un trône à ma descendance, et d’honorer par là le trône de Sparte de quelqu’un de ma race.

[…] Alcibiade, après avoir apporté ce présent et quelques idées ingénieuses à la conduite des hostilités, va porter ses quartiers ailleurs, et ne manque pas de le faire dans le troisième camp, celui des Perses. Il se rend auprès de celui qui représente le pouvoir du roi de Perse en Asie Mineure, à savoir Tissapherne, qui, nous dit Plutarque, n’aime guère les Grecs, les déteste à proprement parler, mais par Alcibiade il est séduit.

C’est à partir de là qu’Alcibiade va s’employer à redresser la fortune d’Athènes. Il le fait à travers des conditions dont l’histoire est également fort surprenante, puisqu’il semble que ce soit au milieu d’un réseau d’agents doubles et d’une trahison permanente. Tout ce qu’il donne comme avertissements aux Athéniens est immédiatement, à travers un circuit, rapporté à Sparte, et aux Perses eux-mêmes, qui le font savoir à celui de la flotte athénienne qui a passé le renseignement, de sorte qu’Alcibiade se trouve à son tour être informé que l’on sait parfaitement en haut lieu qu’il a trahi.

Enfin, ces personnages se débrouillent chacun comme ils peuvent. Ce qui est certain, c’est qu’au milieu de tout cela, Alcibiade redresse la fortune d’Athènes. Et en conséquence, sans que nous puissions être absolument sûrs des détails, qui varient selon la façon dont les historiens antiques le rapportent, il ne faut pas s’étonner si Alcibiade revient à Athènes avec les marques d’un triomphe hors de tous les usages qui, malgré la joie du peuple athénien, sera le commencement d’un retour de l’opinion.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, livre VIII - Le transfert" pages 32-33

[ Grèce antique ] [ aventures ] [ historique ]

 

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difficulté de vivre

Un certain champ semble indispensable à la respiration mentale de l’homme moderne, celui où s’affirme son indépendance par rapport, non seulement à tout maître, mais aussi bien à tout dieu, celui de son autonomie irréductible comme individu, comme existence individuelle. C’est bien là quelque chose qui mérite en tous points d’être comparé à un discours délirant. C’en est un. Il n’est pas pour rien dans la présence de l’individu moderne au monde, et dans ses rapports avec ses semblables. [...]

Maintenant, comment ce discours peut-il être accordé non seulement avec le discours de l’autre, mais avec la conduite de l’autre, pour peu qu’il tende à la fonder abstraitement sur ce discours ? Il y a là un problème vraiment décourageant. Et les faits montrent qu’il y a à tout instant non pas seulement composition avec ce qu’effectivement chacun apporte, mais bien plutôt abandon résigné à la réalité. [...]

Assurément, nous avons, nous, beaucoup moins confiance dans le discours de la liberté, mais dès qu’il s’agit d’agir, et en particulier au nom de la liberté, notre attitude vis-à-vis de ce qu’il faut supporter de réalité, ou de l’impossibilité d’agir en commun dans le sens de cette liberté, a tout à fait le caractère d’un abandon résigné, d’une renonciation à ce qui est pourtant une partie essentielle de notre discours intérieur, à savoir que nous avons, non seulement certains droits imprescriptibles, mais que ces droits sont fondés sur certaines libertés premières, exigibles dans notre culture pour tout être humain. [...]

Chacun se pose à tout instant des problèmes qui ont d’étroits rapports avec ces notions de libération intérieure et de manifestation de quelque chose qui est inclus en soi. De ce point de vue, on arrive très vite à une impasse, étant donné que toute espèce de réalité vivante immergée dans l’esprit de l’aire culturelle du monde moderne tourne essentiellement en rond. C’est pourquoi on revient toujours sur le caractère borné, hésitant, de son action personnelle [...]. Chacun en reste au niveau d’une contradiction insoluble entre un discours, toujours nécessaire sur un certain plan, et une réalité, à laquelle, à la fois en principe et d’une façon prouvée par l’expérience, il ne se coapte pas. [...]

N'est-il pas manifeste que l’expérience analytique s’est engagée sur ce fait qu’en fin de compte, personne, dans l’état actuel des rapports interhumains dans notre culture, ne se sent à l’aise ? Personne ne se sent honnête à simplement avoir à faire face à la moindre demande de conseil, si élémentaire qu’elle soit, empiétant sur les principes. [...]

C’est précisément d’un renoncement de toute prise de parti sur le plan du discours commun, avec ses déchirements profonds, quant à l’essence des mœurs et au statut de l’individu dans notre société, c’est précisément de l’évitement de ce plan que l’analyse est partie. Elle s’en tient à un discours différent, inscrit dans la souffrance même de l’être que nous avons en face de nous, déjà articulé dans quelque chose qui lui échappe, ses symptômes et sa structure [...]. La psychanalyse ne se met jamais sur le plan du discours de la liberté, même si celui-ci est toujours présent, constant à l’intérieur de chacun, avec ses contradictions et ses discordances, personnel tout en étant commun, et toujours, imperceptiblement ou non, délirant. La psychanalyse vise ailleurs l’effet du discours à l’intérieur du sujet.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre III", "Les psychoses", éditions du Seuil, 1981, pages 212-215

[ objectif ] [ anti guide de conscience ] [ clivage ] [ décentrement ] [ moi-sujet ]

 

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étatisme

D'abord Hitler a proclamé la guerre totale ; d'autre part, massacre total. Et l'on sait les lois de sa guerre ... Tout le monde a dû s'aligner sur lui - et faire la guerre totale, c'est à dire la guerre d'extermination des populations civiles (fort bien réussie !) et l'utilisation illimitée de toutes les forces et ressources des nations aux fins de la guerre. On ne pouvait faire autrement pour vaincre. Évidemment. Mais est-ce si certain que cela que l'on puisse vaincre le mal par le mal ? Ce qui est en tout cas incontestable, c'est qu'en nous conduisant à la nécessité des massacres des populations civiles, Hitler nous a prodigieusement engagé dans la voie du mal. Il n'est pas certain que l'on puisse en sortir si vite. Et, dans les projets de réorganisation du monde actuel, à voir la façon dont on dispose des minorités, dont on prévoit les transferts de populations, etc., on peut se demander si l'influence en ce qui concerne le mépris de la vie humaine (malgré de belles déclarations sur la vie humaine ! ) n'a pas été plus profonde qu'on ne le croirait.

D'autre part, la mobilisation totale a eu des conséquences parallèles. Non seulement le fait que les forces mobilisées accomplissent une tâche pour laquelle elle ne sont pas faites, mais surtout, le fait que l'Etat est couronné de la toute-puissance absolue.

Bien sûr ! On ne pouvait pas faire autrement. Mais il est assez remarquable de constater que là encore nous avons dû suivre les traces d'Hitler. Pour réaliser la mobilisation totale de la nation, tout l'Etat doit avoir en mains tous les ressorts financiers économiques, vitaux, et placer à la tête de tout des techniciens qui deviennent les premiers dans la nation. Suppression de la liberté, suppression de l'égalité, suppression de la disposition des biens, suppression de la culture pour elle même, suppression des choses, et bientôt suppression des gens inutiles à la défense nationale. L'Etat prend tout, l'Etat utilise tout par le moyen des techniciens. Qu'est ce donc sinon la dictature ? C'est pourtant ce que l'Angleterre aussi bien que les Etats-Unis ont mis sur pied ... et ne parlons pas de la Russie. Absolutisme de l'Etat. Primauté des techniciens. Sans doute nous ignorons le mythe anti-juif, mais ignorons nous le mythe anti-nazi ou anti-communiste ? Sans doute ignorons nous le mythe de la race, mais ignorons nous le mythe de la liberté ? Car on peut parler de mythe lorsque dans tout les discours il n'est question que de liberté alors qu'elle est pratiquement supprimée partout.

Mais dira-t-on, ce n'est que pour un temps, il le fallait pour la guerre, dans la paix on reviendra à la liberté. sans doute pendant quelques temps après la guerre, il est possible que dans certains pays favorisés on retrouve une certaine liberté, mais soyons rassuré que ce sera de courte durée. Après 1918, on a aussi prétendu que les mesures de guerre allaient disparaître ... Nous avons ce qu'il en a été ... D'ailleurs, deux choses sont à retenir ; d'abord les quelques plans économiques dont nous pouvons avoir connaissance (le plan Beveridge, le Plan du Full Employment, le plan financier américain) démontrent abondamment que l'Emprise de l'Etat sur la vie économique est un fait acquis et qu'on s'oriente vers une dictature économique sur le monde entier. Ensuite une loi historique : l'expérience de l'histoire nous montre que tout ce que l'Etat conquiert comme pouvoir, il ne le perd jamais.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Article paru dans le journal hebdomadaire Réforme le Samedi 23 juin 1945

[ conséquences ] [ seconde guerre mondiale ] [ interventionnisme ] [ victoire après-coup ] [ nationalisme fou ]

 
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construction psychologique

[...] si l’on généralise à l’excès la notion de libido, [...] ce faisant, on la neutralise. N’est-il pas évident, de plus, qu’elle n’apporte rien d’essentiel à l’élaboration des faits de la névrose si la libido fonctionne à peu près comme ce que M. Janet appelait la fonction du réel ? La libido prend son sens, au contraire, de se distinguer des rapports réels ou réalisants, de toutes les fonctions qui n’ont rien à faire avec la fonction de désir, de tout ce qui touche aux rapports du moi et du monde extérieur. Elle n’a rien à voir avec d’autres registres instinctuels que le registre sexuel, avec ce qui touche par exemple au domaine de la nutrition, de l’assimilation, de la faim pour autant qu’elle sert à la conservation de l’individu. Si la libido n’est pas isolée des fonctions de conservation de l’individu, elle perd tout sens.

Or, dans la schizophrénie, il se passe quelque chose qui perturbe complètement les relations du sujet au réel, et noie le fond avec la forme. Ce fait pose tout d’un coup la question de savoir si la libido ne va pas beaucoup plus loin que ce qui a été défini en prenant le registre sexuel comme noyau organisateur, central. C’est là que la théorie de la libido commence à faire problème.

[...]

Jung [...] introduit la notion d’introversion qui est pour lui – c’est la critique que lui fait Freud – une notion ohne Unterscheidung, sans aucune distinction. Et il aboutit à la notion vague d’intérêt psychique, qui confond en un seul registre ce qui est de l’ordre de la conservation de l’individu et ce qui est de l’ordre de la polarisation sexuelle de l’individu dans ses objets. Il ne reste plus qu’une certaine relation du sujet à lui-même que Jung dit d’être d’ordre libidinal. Il s’agit pour le sujet de se réaliser en tant qu’individu en possession des fonctions génitales.

La théorie psychanalytique a été depuis lors ouverte à une neutralisation de la libido qui consiste, d’un côté, à affirmer fortement qu’il s’agit de libido, et de l’autre, à dire qu’il s’agit simplement d’une propriété de l’âme, créatrice de son monde. Conception extrêmement difficile à distinguer de la théorie analytique, pour autant que l’idée freudienne d’un autoérotisme primordial à partir de quoi se constitueraient progressivement les objets est presque équivalente dans sa structure à la théorie de Jung.

Voilà pourquoi, dans l’article sur le narcissisme, Freud revient sur la nécessité de distinguer libido égoïste et libido sexuelle. [...]

Le problème est pour lui extrêmement ardu à résoudre. Tout en maintenant la distinction des deux libidos, il tourne [...] autour de la notion de leur équivalence. Comment ces deux termes peuvent-ils être rigoureusement distingués si on conserve la notion de leur équivalence énergétique, qui permet de dire que c’est pour autant que la libido est désinvestie de l’objet qu’elle revient se reporter dans l’ego ? [...] De ce fait, Freud est amené à concevoir le narcissisme comme un processus secondaire. Une unité comparable au moi n’existe pas à l’origine, nicht von Anfang, n’est pas présente depuis le début dans l’individu, et l’Inch a à se développer, entwickeln werden. Les pulsions autoérotiques, au contraire, sont là depuis le début. [...] Dans le développement du psychisme, quelque chose de nouveau apparaît dont la fonction est de donner forme au narcissisme. N’est-ce pas marquer l’origine imaginaire de la fonction du moi ?

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre I", "Les écrits techniques de Freud (1953-1954)", éditions du Seuil, 1975, pages 182 à 185

[ historique ] [ déviations ]

 

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lassitude

Dans l’ennui, je dirais, ce qui nous arrive, c’est que nous accédons à une perception douloureuse de la répétition, la répétition se donne à nous sous le biais du monotone et par cette dimension du monotone, ce qui se produit, si vous y pensez bien, vous verrez que ça coïncide avec quelque chose... je m’excuse d’aller un peu vite, mais je crois qu’on peut le dire quand même ...ça correspond avec quelque chose de l’ordre de l’usure de la métaphore paternelle.

Les métaphores s’usent : regardez un mot d’esprit, il fait de l’effet un temps, un mot d’esprit s’use, une fois usé, effectivement il est monotone. Je dirais que l’usure de la métaphore, l’effet de cette usure... et cette usure se produit justement sous l’effet de l’impact de ces signifiants qui persistent dans le Réel et qui sont corrodants sur la métaphore ...cette usure, je dirais qu’elle est liée à l’apparition du déchet dans notre univers. [...]

L’usure de la métaphore, vous pouvez repérer qu’elle est lié à l’apparition dans notre univers du déchet,

– que ce déchet soit de l’ordre subjectif avec ce qu’on appelle la culpabilité ou le péché,

– ou que ce déchet soit même l’apparition de ce déchet qu’est notre corps propre dans la mesure ou notre corps dans la perspective de cet ennui ou de cette monotonie, ce qui lui arrive, c’est qu’il peut se mettre parfois à être, je dirais, soumis à une loi qui serait la loi exclusive du réel, je veux dire la loi de la pesanteur, je veux dire par là que lorsque notre corps se mettrait à se manifester par le fait qu’il pèse parce qu’il ne serait soumis qu’à la loi de la pesanteur, eh bien, vous avez là, l’accentuation de la fonction de ce déchet qu’est notre corps tout à l’opposé, si vous voulez, quand le corps est soumis à cet autre Réel qui est celui du signifiant qui l’allège, ce qui fait que vous voyez certaines personnes marcher dans la rue qui semblent ne pas peser, qui semblent être comme une plume, quel que soit leur poids, c’est quelque chose de cette nature et on peut dire que ce déchet qu’est le corps quand il se met à peser, eh bien, nous pouvons l’opposer à ce qui arrive au corps quand brusquement il s’allège, il s’allège par exemple dans la fête ou dans le repas totémique, ou tout simplement dans l’amour, dans le coup de foudre, la foudre sidération, ce que représente pour un homme ce signifiant de haute intensité psychique qu’est la femme, ce signifiant sidérant, il faut reconnaître qu’il a le pouvoir, en suscitant l’amour - et puis le terme de ce terme de femme fatale nous fait peut-être sentir que par cette fatalité, ce que l’homme rencontre de fatal, c’est quelque chose de l’ordre du signifiant du Nom du Père - eh bien, qu’est-ce qui se passe quand on perd la tête dans l’amour, ou le corps c’est que vous devenez tellement légers ou allégés que comme à la limite, comme le maniaque vous perdez votre lest, vous devenez fous, ne pesez plus rien, vous perdez le corps, la tête.

Et alors ce que je voulais vous signaler, c’est que cette consomption ou cette consumation du reste qu’est cette consumation du corps quand il ne pèse plus, eh bien, repérez que justement dans le repas totémique ou dans les fêtes qui sont étudiées dans les sociétés magiques, les restes, corrélativement à l’incorporation du père, il y a cette cérémonie, ce qui a été peu retenu par Freud, qui consiste à brûler les restes.

Auteur: Didier-Weill Alain

Info: La topologie et le temps, intervention lors du séminaire de Jacques Lacan, 8 mai 1979

[ causes ] [ calcification ]

 
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définition

Que signifie vraiment "disruption" ou "disruptif" et pourquoi tout le monde en parle maintenant ?

Vous avez raison: on retrouve les mots "disruption" et ses dérivés un peu partout aujourd'hui. Ainsi on entend parler de "président disruptif", de startup qui "a pour ambition de disrupter le secteur de la douche" ou d'autres qui veulent "disrupter le chômage". En mai 2017, France Télévision expliquait au Monde que les invités mystères de l'Emission Politique, comme Christine Angot, étaient "parfois disruptifs".

Selon une défitinition présente dans le Dictionnaire de la langue française (1874) d'Emile Littré, le mot disruption signifie "rupture" ou "fracture". Pourtant on ne comprend pas trop ce que signifie "fracasser le secteur de la douche".

Si "disruption" s'est échappé du cercle restreint des cruciverbistes (les amateurs de mots croisés) pour se retrouver de manière très présente dans le vocable d'aujourd'hui, c'est surtout dû à son emploi dans le milieu de l'économie avec l'apparition de jeunes entreprises (les fameuses startups), qui ont su utiliser les outils numériques pour transformer certains marchés.

On pense notamment à Uber, Airbnb ou Netflix qui ont cassé des systèmes, qui paraissaient établis, des taxis, de l'hôtellerie ou de la location de films ou de séries, en proposant des services innovants (devenir soi-même chauffeur de sa propre voiture, louer son ou ses appartements et permettre pour un prix réduire d'accéder à des catalogues entiers de contenus culturels). Depuis tout entrepeneur qui a de l'ambition et espère connaître un succès aussi important que les entreprises citées, souhaite trouver l'idée disruptive qui lui permettra de transformer un marché pour faire table rase du passé.

En janvier 2016, la rédactrice en chef du service économie de L'Obs, Dominique Nora, avait consacré un article au "concept de "Disruption" expliqué par son créateur". Elle y faisait la recension du livre "New : 15 approches disruptives de l'innovation", signé par Jean-Marie Dru. Dans cette fiche de lecture, on apprend notamment que:

" DISRUPTION est une marque appartenant à TBWA [une important agence de publicité américaine; NDLR] depuis 1992, enregistrée dans 36 pays dont l'Union Européenne, les Etats-Unis, la Russie, l'Inde et le Japon."

Mais aussi qu'il n'a pas toujours eu un aura lié à l'entreprise:

Même en anglais, au début des années 90, le mot 'disruption' n'était jamais employé dans le business. L'adjectif caractérisait les traumatismes liés à une catastrophe naturelle, tremblement de terre ou tsunami…

Selon Jean-Marie Dru, père du concept, le terme sert d'abord à qualifier la "méthodologie créative" proposée aux clients de son agence.  Puis le professeur de Harvard, Clayton Christensen, va populariser l'expression à la fin des années 90 en parlant "d'innovation disruptive". Les deux hommes ont l'air de se chamailler sur la qualité de "qui peut être disruptif?". Dru estime que "pour Christensen, ne sont disruptifs que les nouveaux entrants qui abordent le marché par le bas, et se servent des nouvelles technologies pour proposer des produits ou services moins cher " alors que lui considère que la disruption n'est pas réservée uniquement aux startups puisque de grands groupes comme Apple ou Red Bull sont capables de "succès disruptifs".

Finalement au mileu de tous ces "disruptifs", L'Obs apporte cette définition de la disruption:

"Une méthodologie dynamique tournée vers la création". C'est l'idée qui permet de remettre en question les "Conventions" généralement pratiquées sur un marché, pour accoucher d'une "Vision", créatrice de produits et de services radicalement innovants.

Force est de constater que le marketing et les médias ont employé ces mots à tire-larigot et qu'ils peuvent être désormais utilisés dans n'importe quel contexte au lieu de "changer" ou "transformer", voire même de "schtroumpfer". Ne vous étonnez pas si votre conjoint se vante d'avoir "disrupter" la pelouse en la faisant passer d'abondante à tondue, ou d'avoir "disrupté" le fait de se laver en utilisant le shampoing au lieu du gel douche... 

Auteur: Pezet Jacques

Info: Libération, 13 octobre 2017

[ mode sémantique ] [ dépaysement libérateur ] [ accélérationnisme ] [ contre-pied ] [ contraste ]

 

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partisanerie

Il y a [...] l'intellectuel de gauche et l'intellectuel de droite.

Je voudrais vous donner des formules qui, pour tranchantes qu'elles puissent paraître au premier abord, peuvent tout de même nous servir à éclairer le chemin.

Le terme de sot, de demeuré, qui est un terme assez joli pour lequel j'ai quelques penchants, tout ceci n'exprime qu'approximativement un certain quelque chose pour lequel je dois dire assurément la langue et la tradition, l'élaboration de la littérature anglaise, me paraît nous fournir un signifiant infiniment plus précieux.

Une tradition qui commence à Chaucer, mais qui s'épanouit pleinement dans le théâtre du temps d'Elisabeth ; qu'une tradition dis-je nous permette de centrer autour du terme de fool -- le fool est effectivement un innocent, un demeuré, mais par sa bouche sortent des vérités qui ne sont pas seulement tolérées, que parce que ce fool est quelquefois revêtu, désigné, imparti, des fonctions du bouffon.

Cette sorte d'ombre heureuse, de foolery fondamentale, voilà ce qui fait à mes yeux le prix de l'intellectuel de gauche.

À quoi j'opposerai [...] un terme employé d'une façon conjuguée [...] c'est le terme de knave.

Le knave, c'est-à-dire quelque chose qui se traduit à un certain niveau de son emploi par le valet, est quelque chose qui va plus loin.

Ce n'est pas non plus le cynique, avec ce que cette position comporte d'héroïque.

C'est à proprement parler ce que Stendhal appelle le coquin fieffé, c'est-à-dire après tout Monsieur Tout-le-Monde, mais Monsieur Tout-le-Monde avec plus ou moins de décision.

Et chacun sait qu'une certaine façon même de se présenter qui fait partie de l'idéologie de l'intellectuel de droite est très précisément de se poser pour ce qu'il est effectivement, un knave.

Autrement dit, à ne pas reculer devant les conséquences de ce qu'on appelle le réalisme, c'est-à-dire, quand il le faut, de s'avouer être une canaille.

Le résultat de ceci n'a d'intérêt que si l'on considère les choses au résultat.

Après tout, une canaille vaut bien un sot, au moins pour l'amusement, si le résultat de la constitution des canailles en troupe n'aboutissait infailliblement à une sottise collective.

C'est ce qui rend si désespérante en politique l'idéologie de droite.

Observons que nous sommes sur le plan de l'analyse de l'intellectuel et des groupes articulés comme tels.

Mais ce qu'on ne voit pas assez, c'est que par un curieux effet de chiasme, la foolery, autrement dit ce côté d'ombre heureuse qui donne le style individuel de l'intellectuel de gauche, aboutit elle fort bien à une knavery de groupe, autrement dit, à une canaillerie collective. [...]

Ce qui me fait le plus jouir, je l'avoue, c'est la face de la canaillerie collective.

Autrement dit, cette rouerie innocente, voire cette tranquille impudence qui leur fait exprimer tant de vérités héroïques sans vouloir en payer le prix.

Grâce à quoi ce qui est affirmé comme l'horreur de Mammon à la première page se finit à la dernière dans les ronronnements de tendresse pour le même Mammon.

Ce que j'ai voulu ici souligner, c'est que Freud n'est peut-être point un bon père, mais en tous cas, il n'était ni une canaille, ni un imbécile.

C'est pourquoi nous nous trouvons devant lui devant cette position déconcertante qu'on puisse en dire également ces deux choses déconcertantes dans leur lien et leur opposition : il était humanitaire, qui le contestera à pointer ses écrits, il l'était et il le reste, et nous devons en tenir compte, si discrédité que soit par la canaille de droite ce terme.

Mais d'un autre côté, il n'était point un demeuré, de sorte qu'on peut dire également, et ici nous avons les textes, qu'il n'était pas progressiste.

Auteur: Lacan Jacques

Info: L’éthique de la psychanalyse - 23 mars 1960

[ retour du refoulé ] [ hommage ] [ gauche-droite ] [ bêtise réductrice ]

 
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phonétique

Les élites sont vulgaires
- Voilà qui n'est pas sans fondement... aide-toi et le ciel t'aidera dit-on
- Eh oui, j'opine, j'opine, on est jamais trop aidé, étonnant comme nos opinions convergent.
- A son travail à l'hôpital... vous savez, quand ce réputé député s'est fait amputer, ah, votre femme, quelle pétulance... elle doit aimer manger épicé, je vous envie
- Dans un concours plus le morceau est long plus le concert dure
Après une désertion dans la troupe le colon est furieux, un lieutenant essaye de le rassurer.
- Certes certes mon Colonel, je comprends votre énervement... mais lèche-cul compétent ou suspect presbyte... une défection reste rarement dans les annales...
- Absolument... n'empêche qu'on s'permet de drôles de choses dans ce bataillon... et vous avez vu leur caserne, incroyable, tapissée partout, même dans les WC...
- Tapissée partout, même dans les WC ?
- Absolument, qu'en avez-vous pensé mon lieutenant ?...
- Je suis d'origine allemande. Mon grand-père était uhlans. Donc, moi, en tant qu'uhlan, j'ai été choqué.
- Eh bien moi aussi, à la bonne heure... et comment va votre femme, si je peux me faire mettre
- Ah, vous la connaissez.... par quel canal ?...
- Par hasard, par hasard mon bon... faut dire que dès que je l'ai vue je n'ai pu retenir mon enthousiasme... on peut dire qu'elle aime manger épicé... et quelle pétulance...
- Enfin mon Colonel!... ne soyez pas si concupiscent l'endroit de la mère de mes 7 enfants...
- Allez allez, on sait bien que vous êtes fécond lieutenant... parlez-moi plutôt d'elle, que faisait elle avant de vous rencontrer
- Elle était sage-femme, elle s'appelait Widmer...
- Ah ah ah
- Elle avait un très bon poste
- A la poste.. aaaah, eh bien la mienne n'y va plus du tout, c'est trop kafkaïen, s'enfiler la dedans pour se taper des queues de 15 mètre
- Mais non, mon maréchal, je parlais de sa fonction de sage-femme, un véritable poste de prestige, de ceux qu'on obtient la force du poignet.
- Oui mais parfois cela ne suffit pas, tenez mon ami Jacques s'est récemment fait jeter d'un casting. "pas assez énergique" on lui a dit.. et Jacques ulcéré n'a que pu dire au revoir.
- Au moins il n'aura pas eu besoin de coucher pour être introduit...
- Ah ah, voilà un raisonnement qui n'est pas sans fondement... lieutenant.... aide-toi et le ciel t'aidera dit-on
- Eh oui mon capitaine, j'opine, j'opine, on est jamais trop aidé, étonnant comme nos opinions convergent.
- Merci, mon caporal, je vous imagine bien en train de l'assaillir de questions dès votre première rencontre.
- Oh Oui, avec ma femme nous avons été intimes à l'instant... très rapidement elle m'a dit tendrement : mon jeune complice....
- Formidable lieutenant, elle se laissait déjà pénétrer par vos idées... vous avez vite conclu, je suppute
- Pas tant que ça, j'étais bien trop raide, trop tendu... elle était là, comme une reine devant moi
- Ah ah ah, et vous comme un toréador...
- Un toréador ?
- Mais oui mon lieutenant, tout toréador, à l'instar de Louis 14, éprouve de l'appréhension avant d'entrer dans l'arène
- Ah ah ah... comme vous êtes drôle mon colonel, c'est à mettre à votre décharge
- Je vous remercie... et depuis, tout va bien ?
- Pas vraiment, elle est partie avec mon revenu...
- Mais ce n'est rien ça... ne vous en faites pas... (en riant) elle aurait pu revenir avec vos parties... tenez, la mienne était dans un état l'autre jour.. Vous savez que mon poste de commandement est au sous-sol ?...
- Oui et alors...
- Et bien elle était vraiment remontée lors de sa descente en ascenseur...
(le soldat de piquet )
- Boaf, femme ou ascenseur tu mets toujours ton doigt ou t'habite...
- Ecoutez lieutenant, venez plutôt manger à la maison ce soir... vous verrez le petit comme il est grand... nous venons d'ailleurs de lui offrir un phalluche...
- Ah bon, et qu'est-ce... un phalluche ?...
- Mais c'est une sorte de péniche, imbéchile...
- Il suffit mon président, vous n'êtes qu'un vil brequin...
- Et vous un pâle toquet...
( le soldat, un doigt sur la tempe )
- Heureusement quon nest pas dans le même cas qu'eux... sinon faudrait vraiment penser à s'expatrier.

Auteur: MG

Info: 1997

[ jeu de mots ]

 

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biopouvoir

C’est d’ailleurs ce laboratoire P4 de Lyon qui assure les transferts de technologie et la formation des équipes chinoises, sous la houlette de l’Inserm, après le démarrage des travaux à Wuhan en 2011. Pourquoi la France transfère-t-elle des technologies aussi dangereuses ? D’abord pour des raisons sanitaires, afin d’ "aider les Chinois à bloquer H7N9, H5N1, SRAS ou un prochain coronavirus", explique un expert à l’AFP en 2014. Apparemment, il y a eu une petite complication.

Ensuite, pour rester dans la compétition mondiale. La santé, c’est la vitrine ; l’important, c’est la guerre : si la France ne va pas à Wuhan, d’autres iront. Enfin, par naïveté. Selon le même expert, les Français pensent que les Chinois respecteront l’accord : "L’accueil de Français à Wuhan est de nature à rassurer sur ce qui s’y passe". Là aussi, il y a eu une petite complication. [...]

[En 2013,] La représentante du techno-gratin dauphinois [Geneviève Fioraso] signe avec ses homologues chinois 11 accords de partenariat dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation. Elle assiste à la signature de protocoles d’accord entre l’Institut Pasteur de Shanghai et des partenaires, dont BioMérieux, représenté par son patron Alain Mérieux, ami de Jacques Chirac et élu RPR au conseil régional de Rhône-Alpes. [...]

Au printemps 2016, le premier train assurant la liaison Wuhan-Lyon parcourt le trajet en quinze jours. La Route de la soie transporte désormais des produits chimiques et des articles manufacturés de Chine, du vin et du matériel biotechnologique de France. [...]

Le 23 février 2017, le Premier ministre Bernard Cazeneuve se rend à Wuhan pour l’accréditation officielle du laboratoire. Le directeur du P4 lyonnais, Hervé Raoul, annonce une coopération avec une cinquantaine de chercheurs français, sous l’égide de l’Inserm. La France financera cette coopération à hauteur d’un million d’euros sur cinq ans. Le patron du labo de virologie lyonnais VirPath, Bruno Lina, se félicite de la disponibilité, à Wuhan, de singes pour tester des vaccins – sans les emmerdeurs de la cause animale. [...]

Cette ouverture n’enchante pas les Américains. Eux-mêmes construisent à tout va des laboratoires de haute sécurité sur leur territoire, passant de 465 à 1295 entre 2001 et 2014. La compétition avec la Chine s’accélère. Le biochimiste Richard Ebright, expert en biosécurité de la Rutgers University (New Jersey), rappelle en 2017 que "le SRAS s’est échappé de laboratoires de haute sécurité de Pékin à de multiples reprises". [...]

Inquiète, l’ambassade des États-Unis en Chine visite le laboratoire de Wuhan et envoie dès janvier 2018 des câbles alarmés au gouvernement américain. Les visiteurs font état de manquements de sécurité et d’un nombre insuffisant de techniciens formés ; ils recommandent de fournir une assistance aux Chinois. Ça, c’est l’histoire racontée par le Washington Post en avril 2020, donnant le beau rôle à des Américains empêtrés dans le Covid-19 comme des amateurs. Voilà des câbles diplomatiques ressortis à point nommé, dans la guerre froide sino-américaine. [...]

Qu’en est-il vraiment ? Demandez aux Chinois. En fait, les Américains sont plus impliqués dans le laboratoire de Wuhan qu’ils ne le laissent croire. Le partenariat franco-chinois battant de l’aile, ils s’engouffrent dans la brèche dès 2015 pour mener des collaborations scientifiques avec le labo P4. [...]

A l’occasion de sa visite d’État en Chine en janvier 2018, Emmanuel Macron signe malgré tout avec Xi Jinping des accors de coopération. Leur déclaration commune souligne : "la Chine et la France conduiront des recherches de pointe conjointes sur les maladies infectieuses et émergentes, en s’appuyant sur le laboratoire P4 de Wuhan".

C’est se leurrer sur le partenaire. D’après un fonctionnaire français cité par le journaliste Antoine Izambard dans son livre France Chine, les liaisons dangereuses :

"Nous leur avons demandé ce qu’étaient devenus les P3 et ils nous ont répondu que certains, situés dans une région proche de l’Himalaya, avaient gelé durant l’hiver et que d’autres avaient disparu. C’était assez déroutant".

Quant aux 50 chercheurs français attendus au P4 de Wuhan – cette coopération qui rassurait tant lors de la signature de l’accord – ils ne sont jamais venus. Le comité franco-chinois sur les maladies infectieuses ne s’est plus réuni depuis 2016. Les Chinois font ce qu’ils veulent, à l’abri des regards dans leur enceinte confinée.

Auteur: PMO Pièces et main-d'oeuvre

Info: Dans "Le règne machinal", éditions Service compris, 2021, pages 105 à 110

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Ajouté à la BD par Coli Masson

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L'évolution de la vie sur terre: aléatoire ou prévisible ?

L'évolution des êtres vivants met en jeu de nombreux phénomènes aléatoires tels que mutations, rencontres des ovules et spermatozoïdes, accidents météorologiques, etc... Notre monde vivant est-il donc juste une alternative parmi tant d'autres ? Dans une étude publiée dans la revue Interface Focus, Virginie Orgogozo à l'Institut Jacques Monod, revisite la question à la lumière des données actuelles. Elle montre qu'au cours de l'évolution de la vie sur terre, des événements se répètent et semblent prévisibles. Si on rembobinait le film de la vie sur terre et qu'on le relançait en changeant légèrement les conditions initiales, obtiendrait-on les mêmes formes vivantes qu'aujourd'hui ?

Le paléontologue américain Stephen Jay Gould s'était posé la question dans les années 90. Il avait répondu que des formes de vie tout-à-fait différentes seraient apparues car l'évolution dépend de nombreux phénomènes aléatoires non prévisibles (mutations, impact des comètes, etc.). Depuis quelques années, certains biologistes, tel que le paléontologue anglais Simon Conway Morris, remettent en doute la réponse de Stephen Jay Gould. Ils suggèrent que même si le monde ne serait probablement pas exactement pareil, par exemple vous ne seriez pas en train de lire ce texte en ce moment précis, il aurait malgré tout un air de "déjà-vu". Par exemple, les animaux qui nagent dans un milieu liquide auraient un corps en forme de poisson, et la vision de la lumière s'effectuerait grâce à des organes spécialisés que sont les yeux.

L'évolution de la vie est-elle une simple alternative parmi tant d'autres, comme le pensait Stephen Jay Gould, ou bien est-elle prévisible ?

Virginie Orgogozo examine les données actuelles de la génétique et de l'évolution expérimentale pour tenter de répondre à la question. Les données récentes de la biologie indiquent que l'évolution se répète à plusieurs niveaux.

- Premièrement, des traits de caractère semblables sont apparus indépendamment chez différentes espèces vivant dans les mêmes conditions (c'est l'évolution convergente). Par exemple, les poissons et les ichtyosaures, des reptiles disparus, ont évolué indépendamment vers un corps en forme de poisson.

- Deuxièmement, les mêmes traits de caractère et les mêmes mutations apparaissent souvent lors d'expériences d'évolution expérimentale dans lesquelles on laisse évoluer des êtres vivants dans un environnement choisi et que l'on répète cette même expérience plusieurs fois de façon indépendante.

- Troisièmement, l'évolution indépendante du même trait de caractère chez des espèces différentes est souvent causée par des mutations dans le même gène. Par exemple, l'adaptation à une nourriture riche en amidon s'est accompagnée de mutations dans la même famille de gènes chez l'homme et chez le chien. Toutes ces répétitions sont relativement inattendues: si l'évolution était extrêmement sensible aux conditions initiales, on ne devrait pas observer tant de répétitions. Virginie Orgogozo en conclut que l'évolution de la vie sur terre n'est peut-être pas aussi aléatoire que ce qu'on aurait pu croire, et qu'il est possible de faire des prédictions concernant l'évolution des êtres vivants. Ainsi, on peut prédire qu'un mammifère vivant en région polaire va évoluer avec un pelage blanc, ou qu'une plante Arabette des dames qui fleurit plus tôt a de grandes chances d'avoir une mutation dans le gène FRIGIDA.

Comment l'évolution peut-elle être prévisible alors qu'elle met en jeu de nombreux phénomènes aléatoires ?

Virginie Orgogozo l'explique par analogie avec un gaz parfait dans un récipient. Au niveau microscopique, on ne peut prédire ni la position, ni le poids, ni la vitesse des particules. Par contre, au niveau macroscopique, on peut prédire la pression ou la température de ce gaz. Ainsi, même si les mutations apparaissent de façon non prévisible au sein des êtres vivants, on peut prédire les mutations qui ont survécu pendant de longues échelles de temps dans les populations et qui sont responsables de changements évolutifs entre espèces ou entre populations.

Plutôt que de savoir si les formes vivantes seraient différentes des nôtres si on relançait le film de l'évolution, Virginie Orgogozo préfère se demander à quel point elles seraient semblables à celles de notre monde. Répondre à cette question nécessite alors d'examiner les problèmes suivants: comment imaginer d'autres mondes possibles alors que nous sommes limités par notre imagination ? Comment estimer la probabilité d'occurrence d'événements qui ne se sont passés qu'une seule fois au cours de notre évolution ? Peut-on trouver de nouveaux concepts généraux pour prédire l'évolution ? La biologie actuelle commence à apporter des éléments de réponse. Même si il est trop tôt pour s'avancer, l'évolution de la vie sur terre pourrait être en partie prévisible.

Auteur: Orgogozo Virginie

Info: Pour plus d'information voir: Replaying the tape of life in the twenty-first century

[ probabilités ] [ spéculation ]

 

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