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rupture

Oui, Jean, oui tu as été brutal, injuste et tu as dépassé la mesure.

J’ai senti que ton despotisme tuait à jamais mes rêves d’avenir, car j’en faisais aussi. La confiance renaît avec l’amour et, quelques mensonges que je t’ai faits (mensonges qui prouvaient ma tendresse), tu ne devais m’accuser. J’ai dit la vérité, Jean, depuis un mois je me suis heurtée quantité de fois à cette indomptable jalousie qui te fait marcher sur les lois de la bienséance à tout propos et en quelqu’endroit [sic] que nous soyons.

Tu m’as fait souffrir cette nuit de toutes les angoisses du regret, j’ai pleuré de douleur vraie en voyant s’écrouler sous ta main brutale les rêves caressés par mon cœur, les chers projets d’avenir que je formais.

Lors de mes dernières scènes, il me semblait bien que tu ébranlais fortement mes châteaux mais ils se trouvaient encore debout, étayés par ma tendresse – c’est fini.

Jean, ils se sont écroulés cette nuit, et les décombres noyés dans mes larmes. Qu’ils dorment, ces chers rêves, je ne les veux point éveillés. […]

Non, Jean, je ne t’ai pas menti — il y a deux jours, mon cœur retrouvait dans le tien l’écho de la petite douleur que je venais d’éprouver – mon regard rencontrant ton bon regard tout lumineux de larmes, je me suis sentie émue et je t’ai aimé.

Je ne veux pas te faire plus de chagrin qu’il n’est nécessaire, mais j’ai le cœur bien froissé, vois-tu. Je ne sais si je pourrai guérir – tu as avili ma dignité de femme à chaque instant , alors qu’ayant éloigné de moi les amis qui m’entouraient, pour me dévêtir, tu t’es imposé quand même entrant dans ma loge alors que mes amis attendaient à ma porte. Tu leur disais ainsi, mais je la connais c’est [ma] maîtresse, je la vois nue ainsi chaque jour. Tu n’as pas compris, mon pauvre Jean, que l’amour se donne mais ne veut pas qu’on le prenne. J’ai dû subir tes violences sans causer de scandale ; enfin tu m’as torturée avec les armes que je t’avais mises en main ; ma tendresse, mon amour pour toi t’ont servi d’étendard.

Ah ! tu m’as fait bien du mal, Jean, je te le pardonne puisque tel semble être ton désir. Mais chez moi pardon n’est pas l’oubli. Laisse donc à mon cœur le temps de penser [?] qu’il oublie et nous verrons après ce que nous pourrons faire des bribes de notre mutuel amour. N’aie pas de chagrin, mon Jean, l’art va de nouveau nous réunir peu de jours. Nous laisserons nos cœurs juges de la situation, ne forçons pas notre tendresse. Au revoir, Jean, je t’abandonne ma tête que tu as si lâchement meurtrie. Puissent tes baisers raviver l’amour sur mes lèvres. J’en doute.

Auteur: Bernhardt Sarah

Info: Lettre à à Jean Mounet-Sully, Dimanche matin, 27 juillet 1873

[ épistole ] [ couple ]

 

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nécessité

Le philosophe produit des idées, le poète des poèmes, l’ecclésiastique des sermons, Le professeur des traités… Le criminel produit des crimes.

Si on regarde de plus près les rapports qui existent entre cette dernière branche de production et la société dans son ensemble, on reviendra de bien des préjugés.

Le criminel ne produit pas que des crimes : c’est lui qui produit le droit pénal, donc le Professeur de droit pénal, et donc l’inévitable traité dans lequel le professeur consigne ses cours afin de les mettre sur le marché en tant que "marchandise".

Il en résulte une augmentation de la richesse nationale, sans parler de la satisfaction intérieure que selon le professeur Roscher, témoin autorisé, le manuscrit du traité procure à son auteur.

Plus : le criminel produit tout l’appareil policier et judiciaire : gendarmes, juges, bourreaux, jurés, etc., et tous ces divers métiers, qui constituent autant de catégories de la division sociale du travail, développent différentes facultés de l’esprit humain et créent en même temps de nouveaux besoins et de nouveaux moyens de les satisfaire.

La torture, à elle seule, a engendré les trouvailles mécaniques les plus ingénieuses, dont la Production procure de l’ouvrage à une foule d’honnêtes artisans.

Le criminel crée une sensation qui participe de la morale et du tragique, et ce faisant il fournit un "service" en remuant les sentiments moraux et esthétiques du public.

Il ne produit pas que des traités de droit pénal, des codes pénaux et, partant, des législateurs de droit pénal : il produit aussi de l’art, des belles-lettres, voire des tragédies, témoins non seulement La Faute de Müllner et Les Brigands de Schiller mais aussi Œdipe et Richard III.

Le criminel brise la monotonie et la sécurité quotidienne de la vie bourgeoise, la mettant ainsi à l’abri de la stagnation et suscitant cette incessante tension et agitation sans laquelle l’aiguillon de la concurrence elle-même s’émousserait. Il stimule ainsi les forces productives.

En même temps que le crime retire du marché du travail une part de la population en surnombre et qu’il réduit ainsi la concurrence entre travailleurs et contribue à empêcher les salaires de tomber au-dessous du minimum.

La lutte contre la criminalité absorbe une autre partie de cette même population. Ainsi le criminel opère une de ces "compensations" naturelles qui créent l’équilibre et suscitent une multitude de métiers "utiles".

On peut démontrer par le détail l’influence qu’exerce le criminel sur le développement de la force productive :

- Faute de voleurs, les serrures fussent-elles parvenues à leur stade actuel de perfection ?

- Faute de faux-monnayeurs, la fabrication des billets de banque ?

- Faute de fraudeurs, le microscope eût-il pénétré les sphères du commerce ordinaire (voir Babbage) ?

La chimie appliquée ne doit-elle pas autant aux tromperies et à leur répression qu’aux efforts Légitimes pour améliorer la production ?

En trouvant sans cesse de nouveaux moyens de s’attaquer à la propriété, le crime fait naître sans cesse de nouveaux moyens de la défendre, de sorte qu’il donne à la mécanisation une impulsion tout aussi productive que celle qui résulte des grèves.

En dehors du domaine du crime privé, le marché mondial serait-il né sans crimes nationaux ?

Et les nations elles-mêmes ?

Et depuis Adam, l’arbre du péché n’est-il pas en même temps l’arbre de la science ?

Auteur: Marx Karl

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[ croissance économique ] [ développement culturel ] [ paradoxe ] [ ironie ] [ causes-effets ] [ justification ]

 

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diète de Worms

L’atmosphère, à Worms, était chargée d’orage. À Charles, sans ressources ni troupes, les princes tenaient tête. Les nonces s’effrayaient. La populace dans les rues, sous les fenêtres de leur hôtel, venait chanter les Litanies des Allemands, toutes pleines d’injures furieuses. Des troubles éclataient, dans les villes, dans les campagnes aussi, contre le clergé, les religieux, les gens riches. La popularité du moine excommunié ne cessait de grandir. Son portrait s’étalait partout, avec le portrait de Hutten. Celui-ci, du haut des murs d’Ebernbourg, la forteresse de Sickingen, précipitait sur l’Allemagne des monceaux de pamphlets. On sentait frémir, le poing sur l’épée, une noblesse famélique et brutale. On attendait la curée, le signal d’Ebernbourg ...

Alors des conciliabules s’étaient tenus. Si Luther tombait dans toute cette confusion... On redoutait sa venue chez ses amis, chez ses ennemis aussi. Finalement, un projet était né : Aiguiller le voyageur non sur Worms, mais sur Ebernbourg. Là-haut, en sûreté, sous la garde de Sickingen, sous la surveillance de Hutten, Luther ne craindrait pas le sort de Huss. Il pourrait attendre, voir venir, discuter... Voilà ce que Bucer venait lui proposer. Il refusa tout net.

Il allait à Worms. Rien ni personne ne l’empêcherait de s’y rendre. Il entrerait dans la ville. Il planterait son pied dans la gueule, entre les grandes dents du Béhémoth, afin de proclamer Christ et de tout remettre entre ses mains. C’était une force en marche. On ne l’arrêterait point. Le 16 avril au matin, il entrait dans Worms. Cent chevaux escortaient sa voiture. Deux mille personnes le suivaient jusqu’à son logis. Et le lendemain 17, pour la première fois, il était mis en présence de l’empereur.

L’épreuve fut peu brillante. A l’official de Trèves qui lui posait deux questions : s’il reconnaissait pour siens tous les ouvrages publiés sous son nom, et s’il rétractait, ou non, ses affirmations erronées, il répondit d’une voix basse, fort émue semblait-il, qu’il ne reniait aucun de ses livres ; quant au reste, la question était si grave qu’il sollicitait encore, humblement, un délai. Cette demande étonna ; on fut désappointé. On lui octroya vingt-quatre heures, et de mauvaise grâce. Le lendemain, 18 avril 1521, un jeudi, sur les six heures du soir, dans une salle surchauffée, bourrée de monde, à la lueur des torches et tout en fin de séance, Luther fut introduit à nouveau. Cette fois, il parla clair.

Ses livres ? Il y en avait de trois espèces. Les uns : des exposés de doctrine chrétienne, et si évangéliques que ses adversaires eux-mêmes les tenaient pour salutaires... Rien à rétracter de ce côté. Les seconds : des charges à fond contre la papauté et les pratiques du papisme... De ce côté non plus, rien à rétracter. Ou alors, ce serait ouvrir portes et fenêtres à l’Antéchrist. Les derniers : des écrits de circonstance contre des adversaires qui l’avaient provoqué. Un peu trop mordants, sans doute. Mais quoi ? c’étaient la tyrannie et l’impiété que Luther combattait. Au lieu de le condamner sans vouloir l’entendre, qu’on lui donne des juges ; qu’on discute ses idées ; qu’on lui montre en quoi elles étaient pernicieuses.

L’official de Trèves reprit la parole. "Pas de discussion ; oui ou non, rétractait-il ?" Alors ce fut la déclaration fameuse, dont bien des versions circulèrent aussitôt à travers l’Allemagne. Traduisons la plus probable : "A moins qu’on ne me convainque par des témoignages scripturaires ou par une raison d’évidence (car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls : il est constant qu’ils ont erré trop souvent et se sont contredits eux-mêmes), je suis lié par les textes que j’ai apportés ; ma conscience est captive dans les paroles de Dieu. Révoquer quoi que ce soit, je ne le puis, je ne le veux. Car agit contre sa conscience, ce n’est ni sans danger, ni honnête. Que Dieu me soit en aide, Amen !"

Un grand tumulte se fit. Au milieu des injures et des acclamations, Luther se retira. Il regagna l’auberge. Et levant les mains, du plus loin qu’il vit ses amis anxieux : Ich bin hindurch, cria-t-il par deux fois : j’en suis sorti, j’en suis sorti ! Le lendemain, le monde entier apprenait le grand refus du F. Luther, "qui écrit contre le pape". Et ceux qui croyaient le connaître et l’aimaient, s’étonnaient d’une audace dont ils ne devinaient point la raison surhumaine.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 116 à 118

[ protestantisme ] [ déroulement ]

 

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protestantisme

Il est vrai, Caïetan reprochait autre chose à Luther : sa doctrine de la justification : neminem justificari posse nisi per fidem. Question capitale sans doute ; mais enfin, telle qu’il la formulait avant la dispute de Leipzig et dans l’été de 1518, la doctrine de Luther était-elle hérétique, sans hésitation ni scrupule quelconque ? Un historien n’est pas qualifié pour le dire. Il peut seulement, il doit rappeler un fait.

L’attention s’est portée dans ces dernières années sur l’activité doctrinale d’un groupe de théologiens, dont certains parvinrent, dans l’Église, à de hautes situations et qui, sur la justification, professèrent fort tard (en plein concile de Trente) des opinions toutes proches, pour un profane, des opinions luthériennes. Tel, ce Girolamo Seripando, général des Augustins de 1539 à 1551, qui reçut le chapeau (1561) et remplit jusqu’à sa mort (1563) les fonctions de cardinal-légat au concile. Là, à l’indignation de certains (ce n’étaient pas des Augustins !) il exposa et défendit avec acharnement des idées hardies, opposées à celles des thomistes, proches des idées luthériennes. Les tenait-il de Luther ?

Le chanoine Paquier, dans le Dictionnaire de théologie catholique, s’empresse de laver Seripando d’un tel soupçon. Peu nous chaut. Le fait demeure. Un légat pontifical, un cardinal romain, pouvait impunément, quarante ans après la condamnation de Luther par la bulle Exsurge, dix-sept ans après la mort de l’hérétique, soutenir en plein concile des doctrines telles que M. Paquier se croit tenu d’écrire : "La manière fort opposée dont l’Église a traité ces idées et ces hommes (Seripando, Luther) ne doit pas scandaliser... À toutes les époques de la vie de l’Église, certaines théories se côtoyant ont éprouvé ainsi, des traitements fort divers... La vraie raison de cette différence... tient à la doctrine elle-même... Seripando et les siens ont toujours maintenu la responsabilité de l’homme envers Dieu et l’obligation d’observer la morale. Luther au contraire a nié fougueusement la liberté. Et pour affirmer qu’à elle seule, la foi neutralise les péchés les plus réels, il a des textes d’une massivité déconcertante." Oui, mais ces textes, de quand datent-ils ? Ces déclarations "d’une massivité déconcertante" sont donc antérieures à la dispute de Leipzig ? Rappelons-nous les dates, et que Luther, quand il comparaît à Augsbourg devant Caïetan, du 12 au 14 octobre 1518, près d’un an avant son tournoi avec Eck — déjà ses juges romains, sans plus de façon l’ont déclaré hérétique ; déjà l’ordre a été transmis aux chefs des Augustins d’Allemagne d’avoir à incarcérer leur confrère pestilentiel ; déjà le bref du 23 août 1518 mobilise contre lui et l’Église et l’État...

Or, qu’on se reporte à l’écrit en allemand, Unterricht auf etliche Artikel, que Luther publia en février 1519, à la veille de la dispute de Leipzig. Des idées réformatrices, sans doute. Un effort hardi pour épurer la théologie du temps. Mais qu’il s’agisse du culte des saints, à travers qui l’on doit honorer et invoquer Dieu lui-même (p. 70) ; ou des âmes du Purgatoire qui peuvent être secourues par des prières et des aumônes, encore qu’on ne sache rien des peines qu’elles endurent et de la manière dont Dieu leur applique nos suffrages — weiss ich nit, und sag noch das das niemant genugsam weiss — qu’il soit question encore des commandements de l’Église : ils sont, écrit Luther, au Décalogue ce que la paille est à l’or, wie das Golt und edel Gesteyn uber das Holtz und Stroo ; qu’il vienne à traiter, enfin, de l’Église romaine qu’on ne saurait quitter en considération de saint Pierre, de saint Paul, des centaines de martyrs précieux qui l’ont honorée de leur sang, ou même du pouvoir papal qu’il faut respecter comme tous les pouvoirs établis, tous venant également de Dieu : rien dans tout cela que vingt, que quarante théologiens ou humanistes en vue de ce temps n’aient dit de leur côté, avec autant ou même parfois avec plus de vivacité et de hardiesse, sans qu’ils fussent traqués, cités en cour de Rome, réputés hérétiques et dénoncés d’avance aux pouvoirs séculiers... 

[…] Érasme avait raison pour une fois. Si Rome poursuivait Luther avec tant de hâte passionnée, c’est qu’il avait touché "à la couronne du pape et au ventre des moines". Et Hutten avait raison aussi : c’est que Luther était un Allemand qui, dangereusement, se dressant à la porte de l’Allemagne, prétendait en interdire l’exploitation fructueuse aux Italiens. Comment Luther, l’impulsif, l’impressionnable Luther aurait-il fermé les yeux à cette évidence ?

Ainsi Rome faisait tout pour le pousser, l’incliner dans la voie des Hutten et des Crotus Rubianus. En le classant sans répit et presque sans débat parmi ces hérétiques criminels dont il faut étouffer les idées dans l’œuf, elle le chassait peu à peu hors de cette unité, de cette catholicité au sein de laquelle pourtant, de toute son évidente sincérité, il proclamait vouloir vivre et mourir. Elle acceptait le schisme, elle courait au-devant de lui. Elle fermait, sur la route de Martin Luther, la porte pacifique, la porte discrète d’une réforme intérieure.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 94 à 97

[ catholicisme ] [ politique ]

 

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dernières paroles

Léonie chérie

J'ai confié cette dernière lettre à des mains amies en espérant qu'elle t'arrive un jour afin que tu saches la vérité et parce que je veux aujourd'hui témoigner de l'horreur de cette guerre.

Quand nous sommes arrivés ici, la plaine était magnifique. Aujourd'hui, les rives de l'Aisne ressemblent au pays de la mort. La terre est bouleversée, brûlée. Le paysage n'est plus que champ de ruines. Nous sommes dans les tranchées de première ligne. En plus des balles, des bombes, des barbelés, c'est la guerre des mines avec la perspective de sauter à tout moment. Nous sommes sales, nos frusques sont en lambeaux. Nous pataugeons dans la boue, une boue de glaise, épaisse, collante dont il est impossible de se débarrasser. Les tranchées s'écroulent sous les obus et mettent à jour des corps, des ossements et des crânes, l'odeur est pestilentielle. Tout manque : l'eau, les latrines, la soupe. Nous sommes mal ravitaillés, la galetouse est bien vide ! Un seul repas de nuit et qui arrive froid à cause de la longueur des boyaux à parcourir. Nous n'avons même plus de sèches pour nous réconforter parfois encore un peu de jus et une rasade de casse-pattes pour nous réchauffer. Nous partons au combat l'épingle à chapeau au fusil. Il est difficile de se mouvoir, coiffés d'un casque en tôle d'acier lourd et incommode mais qui protège des ricochets et encombrés de tout l'attirail contre les gaz asphyxiants. Nous avons participé à des offensives à outrance qui ont toutes échoué sur des montagnes de cadavres. Ces incessants combats nous ont laissé exténués et désespérés. Les malheureux estropiés que le monde va regarder d'un air dédaigneux à leur retour, auront-ils seulement droit à la petite croix de guerre pour les dédommager d'un bras, d'une jambe en moins ? Cette guerre nous apparaît à tous comme une infâme et inutile boucherie.

Le 16 avril, le général Nivelle a lancé une nouvelle attaque au Chemin des Dames. Ce fut un échec, un désastre ! Partout des morts ! Lorsque j'avançais les sentiments n'existaient plus, la peur, l'amour, plus rien n'avait de sens. Il importait juste d'aller de l'avant, de courir, de tirer et partout les soldats tombaient en hurlant de douleur. Les pentes d'accès boisées, étaient rudes .Perdu dans le brouillard, le fusil à l'épaule j'errais, la sueur dégoulinant dans mon dos. Le champ de bataille me donnait la nausée. Un vrai charnier s'étendait à mes pieds. J'ai descendu la butte en enjambant les corps désarticulés, une haine terrible s'emparant de moi. Cet assaut a semé le trouble chez tous les poilus et forcé notre désillusion. Depuis, on ne supporte plus les sacrifices inutiles, les mensonges de l'état major. Tous les combattants désespèrent de l'existence, beaucoup ont déserté et personne ne veut plus marcher. Des tracts circulent pour nous inciter à déposer les armes.

La semaine dernière, le régiment entier n'a pas voulu sortir une nouvelle fois de la tranchée, nous avons refusé de continuer à attaquer mais pas de défendre. Alors, nos officiers ont été chargés de nous juger. J'ai été condamné à passer en conseil de guerre exceptionnel, sans aucun recours possible. La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l'exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d'obtempérer. En nous exécutant, nos supérieurs ont pour objectif d'aider les combattants à retrouver le goût de l'obéissance, je ne crois pas qu'ils y parviendront. Comprendras-tu Léonie chérie que je ne suis pas coupable mais victime d'une justice expéditive ? Je vais finir dans la fosse commune des morts honteux, oubliés de l'histoire. Je ne mourrai pas au front mais les yeux bandés, à l'aube, agenouillé devant le peloton d'exécution.

Je regrette tant ma Léonie la douleur et la honte que ma triste fin va t'infliger. C'est si difficile de savoir que je ne te reverrai plus et que ma fille grandira sans moi. Concevoir cette enfant avant mon départ au combat était une si douce et si jolie folie mais aujourd'hui, vous laisser seules toutes les deux me brise le cœur. Je vous demande pardon mes anges de vous abandonner. Promets-moi mon amour de taire à ma petite Jeanne les circonstances exactes de ma disparition. Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l'exemple est réhabilitée, mais je n'y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre. Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage car la France nous a trahi et la France va nous sacrifier. Promets-moi aussi ma douce Léonie, lorsque le temps aura lissé ta douleur, de ne pas renoncer à être heureuse, de continuer à sourire à la vie, ma mort sera ainsi moins cruelle. Je vous souhaite à toutes les deux, mes petites femmes, tout le bonheur que vous méritez et que je ne pourrai pas vous donner. Je vous embrasse, le cœur au bord des larmes. Vos merveilleux visages, gravés dans ma mémoire, seront mon dernier réconfort avant la fin.

Eugène ton mari qui t'aime tant.

Auteur: poilu anonyme

Info: Lettre à sa femme, Le 30 mai 1917

[ ww1 ] [ couple ]

 

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capitalisme

Les élites ne nous sauveront pas
L’attaque, qui dure depuis quatre décennies contre nos institutions démocratiques par les grandes entreprises, les a laissé faibles et largement dysfonctionnelles. Ces institutions, qui ont renoncé à leur efficacité et à leur crédibilité pour servir les intérêts des entreprises, auraient dû être notre pare-feu. Au lieu de quoi, elles chancellent sous l’assaut.
Les syndicats sont une force du passé. La presse est transformée en industrie et suscite la méfiance. Les universités ont été purgées des chercheurs dissidents et indépendants qui critiquent le néolibéralisme et dénoncent la décomposition des institutions démocratiques et des partis politiques. La radio-télévision publique et les arts ne sont plus financés et sont laissés moribonds. Les tribunaux ont été noyautés par des juges dont la carrière juridique s’est passé à servir le pouvoir des grandes sociétés, une tendance dans les nominations qui s’est poursuivie sous Barack Obama. L’argent a remplacé le vote, ce qui explique comment quelqu’un d’aussi non qualifié comme Betsy DeVos peut s’acheter un siège dans un ministère. Le parti démocrate, plutôt que de rompre ses liens avec Wall Street et les grandes entreprises, attend naïvement en coulisse de profiter d’une débâcle de Trump.
"Le plus grand atout de Trump est un parti démocrate décadent, désemparé, narcissique, inféodé aux entreprises et belliciste, m’a dit Ralph Nader lorsque je l’ai joint au téléphone à Washington. Si la stratégie démocrate est d’attendre Godot, attendre que Trump implose, nous sommes en difficulté. Et tout ce que vous dites des démocrates, vous pouvez aussi le dire de l’AFL-CIO [le principal regroupement syndical américain, NdT]. Ils ne contrôlent pas le train."
La perte de crédibilité dans les institutions démocratiques a jeté le pays dans une crise tant existentielle qu’économique. Des dizaines de millions de gens ne font plus confiance aux tribunaux, aux universités et à la presse, qu’ils voient avec raison comme les organes des élites des grandes sociétés. Ces institutions sont traditionnellement les mécanismes par lesquels une société est capable de démasquer les mensonges des puissants, de critiquer les idéologies dominantes et de promouvoir la justice. Parce que les Américains ont été amèrement trahis par leurs institutions, le régime de Trump peut attaquer la presse comme le "parti d’opposition", menacer de couper le financement des universités, se moquer d’un juge fédéral comme d’un "soi-disant juge" et dénoncer une ordonnance d’un tribunal comme "scandaleuse".
La dégradation des institutions démocratiques est la condition préalable à la montée de régimes autoritaires ou fascistes. Cette dégradation a donné de la crédibilité à un menteur pathologique. L’administration Trump, selon un sondage de l’Emerson College, est considérée comme fiable par 49% des électeurs inscrits tandis que les médias ne sont tenus pour fiables que par 39% des électeurs inscrits. Une fois que les institutions démocratiques américaines ne fonctionnent plus, la réalité devient n’importe quelle absurdité que publie la Maison Blanche.
La plupart des règles de la démocratie ne sont pas écrites. Ces règles déterminent le comportement public et garantissent le respect des normes, des procédures et des institutions démocratiques. Le président Trump, à la grande joie de ses partisans, a rejeté cette étiquette politique et culturelle.
Hannah Arendt, dans Les origines du totalitarisme, notait que lorsque les institutions démocratiques s’effondrent, il est "plus facile d’accepter des propositions manifestement absurdes que les anciennes vérités qui sont devenues de pieuses banalités". Le bavardage des élites dirigeantes libérales ["progressistes", NdT] sur notre démocratie est lui-même une absurdité. "La vulgarité, avec son rejet cynique des normes respectées et des théories admises", écrit-elle, infecte le discours politique. Cette vulgarité est "confondue avec le courage et un nouveau style de vie".
"Il détruit un code de comportement après l’autre, dit Nader de Trump. Il est rendu si loin dans cette façon de faire sans en payer le prix. Il brise les normes de comportement – ce qu’il dit des femmes, la commercialisation de la Maison Blanche, "je suis la loi"."
Nader m’a dit qu’il ne pensait pas que le parti républicain se retournera contre Trump ou envisagera la destitution, à moins que sa présidence ne semble menacer ses chances de conserver le pouvoir aux élections de 2018. Nader voir le parti démocrate comme "trop décadent et incompétent" pour contester sérieusement Trump. L’espoir, dit-il, vient des nombreuses protestations qui ont été organisées dans les rues, devant les mairies par les membres du Congrès et sur des points chauds comme Standing Rock. Il peut aussi venir des 2.5 millions de fonctionnaires du gouvernement fédéral si un nombre significatif d’entre eux refuse de coopérer avec l’autoritarisme de Trump.
"Le nouveau président est tout à fait conscient du pouvoir détenu par les fonctionnaires civils, qui prêtent serment d’allégeance à la constitution des États-Unis, et non à un président ou à une administration", écrit Maria J. Stephan, co-auteure de Why Civil Resistance Works dans le Washington Post. "L’un des premiers actes de Trump en tant que président a été un gel général du recrutement fédéral qui touche tous les nouveaux postes et les postes existants exceptés ceux liés à l’armée, à la sécurité nationale et à la sécurité publique. Même avant l’investiture de Trump, la Chambre des représentants dominée par les Républicains a réinstauré une obscure règle de 1876 qui autoriserait le Congrès à réduire les salaires des employés fédéraux individuels. C’était un avertissement clair à ceux qui sont au service du gouvernement de garder le profil bas. Le licenciement très médiatisé par Trump du procureur général par intérim Sally Yates, qui a refusé de suivre l’interdiction d’immigration du président, a envoyé des ondes de choc dans la bureaucratie."
Un soulèvement populaire, soutenu à l’échelle nationale, d’obstruction et de non-coopération non violente est la seule arme qui reste pour sauver la république. Les élites répondront une fois qu’elles auront peur. Si nous ne leur faisons pas peur, nous échouerons.
"La résilience des institutions démocratiques a été encourageante – les tribunaux, les manifestations, dit Nader. Trump se retourne contre lui-même. Il outrage les gens dans tout le pays sur la base de la race, du genre, de la classe, de la géographie, de ses mensonges, ses fausses déclarations, son narcissisme, son manque de connaissances, sa désinvolture et son désir morbide de répondre aux insultes avec des tweets. Il n’est pas un autocrate intelligent. Il s’affaiblit chaque jour. Il permet à l’opposition d’avoir plus d’effet que d’ordinaire."
"La plupart des chefs d’État dictatoriaux s’occupent d’idéologies abstraites – la patrie et ainsi de suite, poursuit Nader. Il n’en fait pas beaucoup sur ce plan. Il attaque personnellement, vise bas sur l’échelle de la sensualité. Vous êtes un faux. Vous êtes un perdant. Vous êtes un escroc. Cela pique davantage les gens, en particulier lorsqu’il le fait en se basant sur le genre, la race et la religion. Donald Trump est ce qu’il y a de mieux pour le réveil démocratique."
Nader dit que Trump sera pourtant capable de consolider son pouvoir si nous subissons un nouvel attentat terroriste catastrophique ou s’il y a une débâcle financière. Les régimes dictatoriaux ont besoin d’une crise, qu’elle soit réelle ou fabriquée, pour justifier la suspension totale des libertés civiles et exercer un contrôle incontesté.
"S’il y a un attentat terroriste apatride sur les États-Unis, il est capable de concentrer une quantité de pouvoir dans la Maison Blanche contre les tribunaux et contre le Congrès, avertit Nader. Il fera des boucs émissaires de ceux qui s’opposent à lui. […] Cela affaiblira toute résistance et toute opposition."
La tension entre la Maison Blanche de Trump et des segments de l’establishment, y compris les tribunaux, la communauté du renseignement et le Département d’État, a été mal interprétée comme une preuve que les élites veulent éloigner Trump du pouvoir. Si les élites peuvent établir des relations avec le régime de Trump pour maximiser leurs profits et protéger leurs intérêts personnels et de classe, elles supporteront volontiers l’embarras d’avoir un démagogue dans le bureau ovale.
L’État des grandes entreprises, ou l’État profond, n’a pas non plus d’engagement à l’égard de la démocratie. Ses forces ont évidé les institutions démocratiques pour les rendre impuissantes. La différence entre le pouvoir des entreprises et le régime de Trump est que le pouvoir des entreprises a cherché à maintenir la fiction de la démocratie, y compris la déférence polie accordée en public aux institutions démocratiques. Trump a effacé cette déférence. Il a plongé le discours politique dans les égouts. Trump ne détruit pas les institutions démocratiques. Elles avaient été détruites avant qu’il entre en fonction.
Même les régimes fascistes les plus virulents ont construit des alliances fragiles avec les élites conservatrices et d’affaires traditionnelles, qui considéraient souvent les fascistes comme maladroits et grossiers.
"Nous n’avons jamais connu un régime fasciste idéologiquement pur", écrit Robert O. Paxton dans The Anatomy of Fascism. "En effet, la chose semble à peine possible. Chaque génération de chercheurs sur le fascisme a noté que les régimes reposaient sur une sorte de pacte ou d’alliance entre le parti fasciste et des forces conservatrices puissantes. Au début des années 1940, le réfugié social-démocrate Franz Neumann a soutenu dans son classique Behemoth qu’un ‘cartel’ formé du parti, de l’industrie, de l’armée et de la bureaucratie régnait sur l’Allemagne nazie, tenu ensemble uniquement par ‘le profit, le pouvoir, le prestige et, surtout, la peur’."
Les régimes fascistes et autoritaires sont gouvernés par de multiples centres de pouvoir qui sont souvent en concurrence les uns avec les autres et ouvertement antagonistes. Ces régimes, comme l’écrit Paxton, reproduisent le "principe du chef" de manière à ce qu’il "descende en cascade le long de la pyramide sociale et politique, créant une foule de petits Führer et Duce en état de guerre hobbesienne de tous contre tous."
Les petits Führer et Duce sont toujours des bouffons. Des démagogues aussi plastronnant ont consterné les élites libérales dans les années 1930. Le romancier allemand Thomas Mann a écrit dans son journal deux mois après l’arrivée des nazis au pouvoir qu’il avait assisté à une révolution "sans idées qui la fondaient, contre les idées, contre tout ce qui est plus noble, meilleur, décent, contre la liberté, la vérité et la justice". Il déplorait que la "lie commune" ait pris le pouvoir "accompagnée de la grande joie d’une bonne partie des masses". Les élites d’affaires en Allemagne n’ont peut-être pas aimé cette "lie", mais elles étaient disposées à travailler avec elle. Et nos élites d’affaires feront la même chose aujourd’hui.
Trump, un produit de la classe des milliardaires, conciliera ces intérêts privés, parallèlement à la machine de guerre, pour construire une alliance mutuellement acceptable. Les laquais au Congrès et dans les tribunaux, les marionnettes des grandes entreprises, seront, je m’y attends, pour la plupart dociles. Et si Trump est destitué, les forces réactionnaires qui cimentent l’autoritarisme en place trouveront un champion dans le vice-président Mike Pence, qui place fiévreusement des membres de la droite chrétienne dans tout le gouvernement fédéral.
"Pence est le président parfait pour les chefs républicains qui contrôlent le Congrès, dit Nader. Il est juste hors du casting principal. Il regarde la partie. Il parle de la partie. Il joue son rôle. Il a connu la partie. Ça ne les dérangerait pas si Trump quittait sa fonction subitement ou s’il devait démissionner. […]"
Nous sommes aux stades crépusculaires du coup d’État permanent des grandes entreprises entamé il y a quarante ans. Il ne nous reste pas grand-chose pour travailler. Nous ne pouvons pas faire confiance à nos élites. Nous devons nous mobiliser pour mener des actions de masse répétées et soutenues. Attendre que l’establishment décapite Trump et restaure la démocratie serait un suicide collectif.

Auteur: Hedges Chris

Info: 12 février 2017, Source Truthdig

[ Usa ] [ vingt-et-unième siècle ]

 

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civilisation

Pour expliquer les États-Unis d'Amérique, on les a comparés, avec raison, à un creuset. L'Amérique est en effet un de ces cas où, à partir d'une matière première on ne peut plus hétérogène, a pris naissance un type d'homme dont les caractéristiques sont, dans une large mesure, uniformes et constantes. Des hommes des peuples les plus divers reçoivent donc, en s'installant en Amérique, la même empreinte. Presque toujours, après deux générations, ils perdent leurs caractéristiques originelles et reproduisent un type assez unitaire pour ce qui est de la mentalité, de la sensibilité et des modes de comportement : le type américain justement.

Mais, dans ce cas précis, des théories comme celles formulées par Frobenius et Spengler – il y a aurait une étroite relation entre les formes d'une civilisation et une sorte d' "âme" liée au milieu naturel, au "paysage" et à la population originelle – ne semblent pas pertinentes. S'il en était ainsi, en Amérique l'élément constitué par les Amérindiens, par les Peaux-Rouges, aurait dû jouer un rôle important. Les Peaux-Rouges étaient une race fière, possédant style, dignité, sensibilité et religiosité ; ce n'est pas sans raison qu'un auteur traditionaliste, F. Schuon, a parlé de la présence en eux de quelque chose "d'aquilin et de solaire". Et nous n'hésitons pas à affirmer que si leur esprit avait marqué, sous ses meilleurs aspects et sur un plan adéquat, la matière mélangée dans le "creuset américain", le niveau de la civilisation américaine aurait été probablement plus élevé. Mais, abstraction faite de la composante puritaine et protestante (qui se ressent à son tour, en raison de l'insistance fétichiste sur l'Ancien Testament, d'influences judaïsantes négatives), il semble que ce soit l'élément noir, avec son primitivisme, qui ait donné le ton à bien des traits décisifs de la mentalité américaine.

Une première chose est, à elle seule, caractéristique : quand on parle de folklore en Amérique, c'est aux Noirs qu'on pense, comme s'ils avaient été les premiers habitants du pays. Si bien qu'on traite, aux États-Unis, comme un oeuvre classique inspirée du "folklore américain", le fameux Porgy and Bess du musicien d'origine juive Gershwin, oeuvre qui ne parle que des Noirs. Cet auteur déclara d'ailleurs que, pour écrire son oeuvre, il se plongea pendant un certain temps dans l'ambiance des Noirs américains. Le phénomène représenté par la musique légère et la danse est encore plus frappant. On ne peut pas donner tort à Fitzgerald, qui a dit que, sous un de ses principaux aspects, la civilisation américaine peut être appelée une civilisation du jazz, ce qui veut dire d'une musique et d'une danse d'origine noire ou négrifiée. Dans ce domaine, des "affinités électives" très singulières ont amené l'Amérique, tout au long d'un processus de régression et de retour au primitif, à s'inspirer justement des Noirs, comme si elle n'avait pas pu trouver, dans son désir compréhensible de création de rythmes et de formes frénétiques en mesure de compenser le côté desséché de la civilisation mécanique et matérielle moderne, rien de mieux. Alors que de nombreuses sources européennes s'offraient à elle - nous avons déjà fait allusion, en une autre occasion, aux rythmes de danse de l'Europe balkanique, qui ont vraiment quelque chose de dionysiaque. Mais l'Amérique a choisi les Noirs et les rythmes afro-cubains, et la contagion, à partir d'elle, a gagné peu à peu les autres pays.

Le psychanalyste C.-G. Jung avait déjà remarqué la composante noire du psychisme américain. Certaines de ses observations méritent d'être reproduites ici : "Ce qui m'étonna beaucoup, chez les Américains, ce fut la grande influence du Noir. Influence psychologique, car je ne veux pas parler de certains mélanges de sang. Les expressions émotives de l'Américain et, en premier lieu, sa façon de rire, on peut les étudier fort bien dans les suppléments des journaux américains consacrés au society gossip. Cette façon inimitable de rire, de rire à la Roosevelt, est visible chez le Noir américain sous sa forme originelle. Cette manière caractéristique de marcher, avec les articulations relâchées ou en balançant des hanches, qu'on remarque souvent chez les Américains, vient des Noirs. La musique américaine doit aux Noirs l'essentiel de son inspiration. Les danses américaines sont des danses de Noirs. Les manifestations du sentiment religieux, les revival meetings, les holy rollers et d'autres phénomènes américains anormaux sont grandement influencés par le Noir. Le tempérament extrêmement vif en général, qui s'exprime non seulement dans un jeu comme le base ball, mais aussi, et en particulier, dans l'expression verbale – le flux continu, illimité, de bavardages, typique des journaux américains, en est un exemple remarquable –, ne provient certainement pas des ancêtres d'origine germanique, mais ressemble au chattering de village nègre. L'absence presque totale d'intimité et la vie collective qui contient tout rappellent, en Amérique, la vie primitive des cabanes ouvertes où règne une promiscuité complète entre les membres de la tribu".

Poursuivant des observations de ce genre, Jung a fini par se demander si les habitants du nouveau continent peuvent encore être considérés comme des Européens. Mais ses remarques doivent être prolongées. Cette brutalité, qui est un des traits évidents de l'Américain, on peut dire qu'elle possède une empreinte noire. D'une manière générale, le goût de la brutalité fait désormais partie de la mentalité américaine. II est exact que le sport le plus brutal, la boxe, est né en Angleterre ; mais il est tout aussi exact que c'est aux États-Unis qu'il a connu les développements les plus aberrants au point de faire l'objet d'un véritable fanatisme collectif, bien vite transmis aux autres peuples. En ce qui concerne la tendance à en venir aux mains de la façon la plus sauvage qui soit, il suffit d'ailleurs de songer à une quantité de films américains et à l'essentiel de la littérature populaire américaine, la littérature "policière" : les coups de poing y sont monnaie courante, parce qu'ils répondent évidemment aux goûts des spectateurs et des lecteurs d'outre-Atlantique, pour lesquels la brutalité semble être la marque de la vraie virilité. La nation-guide américaine a depuis longtemps relégué, plus que toute autre, parmi les ridicules antiquailles européennes, la manière de régler un différend par les voies du droit, en suivant des normes rigoureuses, sans recourir à la force brute et primitive du bras et du poing, manière qui pouvait correspondre au duel traditionnel. On ne peut que souligner l'abîme séparant ce trait de la mentalité américaine de ce que fut l'idéal de comportement du gentleman anglais, et ce, bien que les Anglais aient été une composante de la population blanche originelle des États-Unis. On peut comparer l'homme occidental moderne, qui est dans une large mesure un type humain régressif, à un crustacé : il est d'autant plus "dur" dans son comportement extérieur d'homme d'action, d'entrepreneur sans scrupules, qu'il est "mou" et inconsistant sur le plan de l'intériorité. Or, cela est éminemment vrai de l'Américain, en tant qu'il incarne le type occidental dévié jusqu'à l'extrême limite.

On rencontre ici une autre affinité avec le Noir. Un sentimentalisme fade, un pathos banal, notamment dans les relations sentimentales, rapprochent bien plus l'Américain du Noir que de l'Européen vraiment civilisé. L'observateur peut à ce sujet tirer aisément les preuves irréfutables à partir de nombreux romans américains typiques, à partir aussi des chansons, du cinéma et de la vie privée courante. Que l'érotisme de l'Américain soit aussi pandémique que techniquement primitif, c'est une chose qu'ont déplorée aussi et surtout des jeunes filles et des femmes américaines. Ce qui ramène une fois de plus aux races noires, chez lesquelles l'importance, parfois obsessionnelle, qu'ont toujours eu l'érotisme et la sexualité, s'associe, justement, à un primitivisme ; ces races, à la différence des Orientaux, du monde occidental antique et d'autres peuples encore, n'ont jamais connu un ars amatoria digne de ce nom. Les grands exploits sexuels, si vantés, des Noirs, n'ont en réalité qu'un grossier caractère quantitatif et priapique.

Un autre aspect typique du primitivisme américain concerne l'idée de "grandeur". Werner Sombart a parfaitement vu la chose en disant : they mistake bigness for greatness, phrase qu'on pourrait traduire ainsi : ils prennent la grandeur matérielle pour la vraie grandeur, pour la grandeur spirituelle. Or, ce trait n'est pas propre à tous les peuples de couleur en général. Par exemple, un Arabe de vieille race, un Peau-Rouge, un Extrême-Oriental ne se laissent pas trop impressionner par tout ce qui est grandeur de surface, matérielle, quantitative, y compris la grandeur liée aux machines, à la technique, à l'économie (abstraction faite, naturellement, des éléments déjà occidentalisés de ces peuples). Pour se laisser prendre par tout cela ; il fallait une race vraiment primitive et infantile comme la race noire. Il n'est donc pas exagéré de dire que le stupide orgueil des Américains pour la "grandeur" spectaculaire, pour les achievements de leur civilisation, se ressent lui aussi d'une disposition du psychisme nègre. On peut aussi parler d'une des bêtises que l'on entend souvent répéter, à savoir que les Américains seraient une "race jeune", avec pour corollaire tacite que c'est à eux qu'appartient l'avenir. Car un regard myope peut facilement confondre les traits d'une jeunesse effective avec ceux d'un infantilisme régressif. Du reste, il suffit de reprendre la conception traditionnelle pour que la perspective soit renversée. En dépit des apparences, les peuples récemment formés doivent être considérés comme les peuples les plus vieux et, éventuellement, comme des peuples crépusculaires, parce qu'ils sont venus en dernier justement, parce qu'ils sont encore plus éloignés des origines.

Cette manière de voir les choses trouve d'ailleurs une correspondance dans le monde des organismes vivants. Ceci explique la rencontre paradoxale des peuples présumés "jeunes" (au sens de peuples venus en dernier) avec des races vraiment primitives, toujours restées en dehors de la grande histoire ; cela explique le goût de ce qui est primitif et le retour à ce qui est primitif. Nous l'avons déjà fait remarquer à propos du choix fait par les Américains, à cause d'une affinité élective profonde, en faveur de la musique nègre et sub-tropicale ; mais le même phénomène est perceptible aussi dans d'autres domaines de la culture et de l'art. On peut se référer, par exemple, au culte assez récent de la négritude qu'avaient fondé en France des existentialistes, des intellectuels et des artistes "progressistes".

Une autre conclusion à tirer de tout cela, c'est que les Européens et les représentants de civilisations supérieures non européennes font preuve, à leur tour, de la même mentalité de primitif et de provincial lorsqu'ils admirent l'Amérique, lorsqu'ils se laissent impressionner par l'Amérique, lorsqu'ils s'américanisent avec stupidité et enthousiasme, croyant ainsi marcher au pas du progrès et témoigner d'un esprit "libre" et "ouvert". La marche du progrès concerne aussi l' "intégration" sociale et culturelle du Noir, qui se répand en Europe même et qui est favorisée, même en Italie, par une action sournoise, notamment au moyen de films importés (où Blancs et Noirs remplissent ensemble des fonctions sociales : juges, policiers, avocats, etc.) et par la télévision, avec des spectacles où danseuses et chanteuses noires sont mélangées à des blanches, afin que le grand public s'accoutume peu à peu à la promiscuité des races, perde tout reste de conscience raciale naturelle et tout sentiment de la distance. Le fanatisme collectif qu'a provoqué en Italie, lors de ses exhibitions, cette masse de chair informe et hurlante qu'est la Noire Ella Fitzgerald, est un signe aussi triste que révélateur. On peut en dire autant du fait que l'exaltation la plus délirante de la "culture" nègre, de la négritude, soit due à un Allemand, Janheinz Jahn, dont le livre Muntu, publié par une vieille et respectable maison d'édition allemande (donc dans le pays du racisme aryen !), a été immédiatement traduit et diffusé par un éditeur italien de gauche bien connu, Einaudi. Dans cet ouvrage invraisemblable, l'auteur en arrive à soutenir que la "culture" nègre serait un excellent moyen de relever et de régénérer la "civilisation matérielle" occidentale... Au sujet des affinités électives américaines, nous ferons allusion à un dernier point. On peut dire qu'il y a eu aux États-Unis d'Amérique quelque chose de valable, vraiment prometteur : le phénomène de cette jeune génération qui prônait une sorte d'existentialisme révolté, anarchiste, anticonformiste et nihiliste ; ce qu'on a appelé la beat generation, les beats, les hipsters et compagnie, sur lesquels nous reviendrons d'ailleurs. Or, même dans ce cas, la fraternisation avec les Noirs, l'instauration d'une véritable religion du jazz nègre, la promiscuité affichée, y compris sur le plan sexuel, avec les Noirs, ont fait partie des caractéristiques de ce mouvement.

Dans un essai célèbre, Norman Mailer, qui a été un des principaux représentants de la beat generation, avait même établi une sorte d'équivalence entre le Noir et le type humain de la génération en question ; il avait carrément appelé ce dernier the white Negro, le "nègre blanc". A ce propos, Fausto Gianfranceschi a écrit très justement : "En raison de la fascination exercée par la 'culture' nègre, sous la forme décrite par Mailer, on ne peut s'empêcher d'établir immédiatement un parallèle – irrespectueux – avec l'impression que fit le message de Friedrich Nietzsche au début du XIXe siècle. Le point de départ, c'est le même désir de rompre tout ce qui est fossilisé et conformiste par une prise de conscience brutale du donné vital et existentiel ; mais quelle confusion lorsqu'on met le Noir, comme on l'a fait de nos jours, avec le jazz et l'orgasme sexuel, sur le piédestal du "surhomme" !

Pour la bonne bouche nous terminerons par un témoignage significatif dû à un écrivain américain particulièrement intéressant, James Burnham (dans "The struggle for the world") : "On trouve dans la vie américaine les signes d'une indiscutable brutalité. Ces signes se révèlent aussi bien dans le lynchage et le gangstérisme que dans la prétention et la goujaterie des soldats et des touristes à l'étranger. Le provincialisme de la mentalité américaine s'exprime par un manque de compréhension pour tout autre peuple et toute autre culture. Il y a, chez de nombreux Américains, un mépris de rustre pour les idées, les traditions, l'histoire, un mépris lié à l'orgueil pour les petites choses dues au progrès matériel. Qui, après avoir écouté une radio américaine, ne sentira pas un frisson à la pensée que le prix de la survie serait l'américanisation du monde ?"

Ce qui, malheureusement, est déjà en train de se produire sous nos yeux.

Auteur: Evola Julius

Info: L'arc et la massue (1971, 275p.)

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