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horizon anthropologique

L’expérience ne porte jamais que sur des faits particuliers et déterminés, ayant lieu en un point défini de l’espace et en un moment également défini du temps ; du moins, tels sont tous les phénomènes qui peuvent être l’objet d’une constatation expérimentale dite "scientifique" (et c’est là ce qu’entendent aussi les spirites). Cela est assez ordinairement reconnu, mais on se méprend peut-être plus aisément sur la nature et la portée des généralisations auxquelles l’expérience peut légitimement donner lieu (et qui la dépassent d’ailleurs considérablement) : ces généralisations ne peuvent porter que sur des classes ou des ensembles de faits, dont chacun, pris à part, est tout aussi particulier et aussi déterminé que celui sur lequel on a fait les constatations dont on généralise ainsi les résultats, de sorte que ces ensembles ne sont indéfinis que numériquement, en tant qu’ensembles, non quant à leurs éléments. Ce que nous voulons dire, c’est ceci : on n’est jamais autorisé à conclure que ce qu’on a constaté en un certain lieu de la surface terrestre se produit semblablement en tout autre lieu de l’espace, ni qu’un phénomène que l’on a observé dans une durée très limitée est susceptible de se prolonger pendant une durée indéfinie ; naturellement, nous n’avons pas ici à sortir du temps et de l’espace, ni à considérer autre chose que des phénomènes, c’est-à-dire des apparences ou des manifestations extérieures.

Auteur: Guénon René

Info: Dans "L'erreur spirite", Editions traditionnelles, 1952, pages 152-153

[ science ] [ limites ] [ efficacité relative ] [ expérimentation ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

évolutionisme

Ceci nous amène à nous interroger sur les raisons qui plaident en faveur de cette nouvelle théorie de la trans-mutation. Le commencement des choses se trouve nécessairement dans l'obscurité, au-delà des limites de la preuve, tout en restant à l'intérieur de celles de la conjecture ou de l'inférence analogique. Pourquoi ne pas s'en tenir à l'opinion habituelle, que toutes les espèces furent créées directement, et non indirectement, d'après leurs genres respectifs, tels que nous les voyons aujourd'hui, et cela d'une manière qui, dépassant notre entendement, renverra intuitivement au surnaturel ? Pourquoi cette recherche continuelle de "l'inaccessible et de l'obscur", ces efforts anxieux, surtout depuis quelques années, des naturalistes et des philosophes de diverses écoles et de diverses tendances, pour pénétrer ce que l'un d'eux appelle "le mystère des mystères", c'est-à-dire l'origine des espèces ? A cette question, en général, on peut trouver une réponse suffisante dans l'activité de l'intellect humain, "le désir délirant, mais divin, de savoir", stimulé comme il l'a été par son propre succès dans le dévoilement des lois et des processus de la nature inorganique, dans le fait que les principaux triomphes de notre époque en science physique ont consisté à tracer des liens là où aucun n'avait été identifié auparavant, à ramener des phénomènes hétérogènes à une cause ou à une origine commune, d'une manière tout à fait analogue à celle qui consiste à ramener des espèces supposées indépendantes à une origine ultime commune ; ainsi, et de diverses autres manières, à étendre largement et légitimement le domaine des causes secondaires. Il est certain que l'esprit scientifique d'une époque qui considère le système solaire comme issu d'une masse fluide commune en rotation, qui, par la recherche expérimentale, en est venu à considérer la lumière, la chaleur, l'électricité, le magnétisme, les affinités chimique et la puissance mécanique comme des variétés ou des formes dérivées et convertibles d'une seule force, plutôt que comme des espèces indépendantes, qui a réuni les types de matière dits élémentaires, tels que les métaux, dans des groupes apparentés, et qui a soulevé la question de savoir si les membres de ces groupes pouvaient être des espèces indépendantes, est en droit de s'attendre à ce qu'il en soit ainsi, et qui pose la question de savoir si les membres de chaque groupe ne sont pas de simples variétés d'une même espèce, tout en spéculant avec constance dans le sens d'une unité ultime de la matière, d'une sorte de prototype ou d'élément simple qui pourrait être pour les espèces ordinaires de matière ce que les protozoaires ou les cellules constitutives d'un organisme sont pour les espèces supérieures d'animaux et de plantes, on ne peut s'attendre à ce que l'esprit d'une telle époque laisse passer sans discussion l'ancienne croyance sur les espèces.

Auteur: Gray Asa

Info: Darwin on the Origin of Species", The Atlantic Monthly (juillet 1860),

[ historique ] [ tour d'horizon ] [ curiosité ] [ rationalisme monothéiste ] [ source unique ] [ matérialisme ]

 

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philosophes comparés

[...] le Marquis de SADE nous propose, avec une extrême cohérence, de prendre en effet pour maxime universelle de notre conduite le contre-pied - vue la ruine des autorités en quoi consiste dans les prémisses de cet ouvrage, l’avènement d’une véritable république - le contre-pied de ce qui a pu toujours jusque là être considéré comme, si l’on peut dire, le minimum vital d’une vie morale viable et cohérente. Et à la vérité, il ne le soutient pas mal. Ce n’est point par hasard si nous voyons dans La philosophie dans le boudoir - d’abord et avant tout - être fait l’éloge de la calomnie.

La calomnie, nous dit-il, ne saurait être en aucun cas nocive, car en tout cas, si elle impute à notre prochain quelque chose de beaucoup plus mauvais que ce qu’on peut lui attribuer, elle aura pour mérite de nous mettre en garde en toute occasion contre ses entreprises. Et c’est ainsi qu’il poursuit, point par point, justifiant, sans en excepter aucune, le renversement de tout ce qui est considéré comme les impératifs fondamentaux de la loi morale, continuant par l’inceste, l’adultère, le vol et tout ce que vous pouvez y ajouter. Prenez simplement le contre-pied de toutes les lois du Décalogue et vous aurez ainsi l’exposé cohérent de quelque chose dont le dernier ressort s’articule en somme ainsi : nous pouvons prendre comme loi, comme maxime universelle de notre action, quelque chose qui s’articule comme le droit à jouir d’autrui quel qu’il soit, comme instrument de notre plaisir.

SADE démontre avec beaucoup de cohérence que cette loi étant universelle, universalisée, c’est-à-dire : que par exemple, si elle permet aux libertins la libre disposition de toutes les femmes, indistinctement et quel que soit ou non leur consentement, inversement il libère les femmes de tous les devoirs qu’une société vivante et civilisée leur impose dans leurs relations conjugales, matrimoniales et autres, et que quelque chose est concevable, qui ouvre toutes grandes les vannes qu’il propose imaginairement à l’horizon du désir qui fait que tout un chacun est sollicité de porter à son plus extrême les exigences de sa convoitise et de les réaliser. Si même ouverture est donnée à tous, alors on verra ce que donne une société naturelle. Notre répugnance, après tout, pouvant très légitimement être assimilée à ce que KANT prétend lui-même éliminer, retirer des critères de ce qui pour nous fait la loi morale, à savoir un élément sentimental.

Si KANT entend éliminer tout élément sentimental de la morale, nous retirer comme non valable tout guide qui soit dans notre sentiment, à l’extrême le monde sadiste est concevable comme étant - même s’il en est l’envers et la caricature - un des accomplissements possibles du monde gouverné par une éthique radicale, par l’éthique kantienne telle qu’elle s’inscrit, telle qu’elle se date en 1788.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 23 décembre 1959, L'Ethique

[ mise en pratique ]

 

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déshumanisation

[...] le Marquis de SADE nous propose, avec une extrême cohérence, de prendre en effet pour maxime universelle de notre conduite le contre-pied - vue la ruine des autorités en quoi consiste dans les prémisses de cet ouvrage, l’avènement d’une véritable république - le contre-pied de ce qui a pu toujours jusque là être considéré comme, si l’on peut dire, le minimum vital d’une vie morale viable et cohérente. Et à la vérité, il ne le soutient pas mal. Ce n’est point par hasard si nous voyons dans La philosophie dans le boudoir - d’abord et avant tout - être fait l’éloge de la calomnie.

La calomnie, nous dit-il, ne saurait être en aucun cas nocive, car en tout cas, si elle impute à notre prochain quelque chose de beaucoup plus mauvais que ce qu’on peut lui attribuer, elle aura pour mérite de nous mettre en garde en toute occasion contre ses entreprises. Et c’est ainsi qu’il poursuit, point par point, justifiant, sans en excepter aucune, le renversement de tout ce qui est considéré comme les impératifs fondamentaux de la loi morale, continuant par l’inceste, l’adultère, le vol et tout ce que vous pouvez y ajouter. Prenez simplement le contre-pied de toutes les lois du Décalogue et vous aurez ainsi l’exposé cohérent de quelque chose dont le dernier ressort s’articule en somme ainsi : nous pouvons prendre comme loi, comme maxime universelle de notre action, quelque chose qui s’articule comme le droit à jouir d’autrui quel qu’il soit, comme instrument de notre plaisir.

SADE démontre avec beaucoup de cohérence que cette loi étant universelle, universalisée, c’est-à-dire : que par exemple, si elle permet aux libertins la libre disposition de toutes les femmes, indistinctement et quel que soit ou non leur consentement, inversement il libère les femmes de tous les devoirs qu’une société vivante et civilisée leur impose dans leurs relations conjugales, matrimoniales et autres, et que quelque chose est concevable, qui ouvre toutes grandes les vannes qu’il propose imaginairement à l’horizon du désir qui fait que tout un chacun est sollicité de porter à son plus extrême les exigences de sa convoitise et de les réaliser. Si même ouverture est donnée à tous, alors on verra ce que donne une société naturelle. Notre répugnance, après tout, pouvant très légitimement être assimilée à ce que KANT prétend lui-même éliminer, retirer des critères de ce qui pour nous fait la loi morale, à savoir un élément sentimental.

Si KANT entend éliminer tout élément sentimental de la morale, nous retirer comme non valable tout guide qui soit dans notre sentiment, à l’extrême le monde sadiste est concevable comme étant - même s’il en est l’envers et la caricature - un des accomplissements possibles du monde gouverné par une éthique radicale, par l’éthique kantienne telle qu’elle s’inscrit, telle qu’elle se date en 1788.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 23 décembre 1959

[ conséquences ] [ historique ] [ relativisme ] [ modernité ]

 

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mâles-femelles

Selon une récente étude anglaise, la monogamie serait une stratégie des femelles primates pour protéger leur descendance.

Christopher Opie est primatologue au département d'Anthropologie de l'University College of London, en Angleterre. Il s'intéresse aux primates et à leurs comportements sociaux, mais aussi aux corrélations que l'on peut établir entre certains singes et l'espèce humaine. Et il travaille tout spécialement sur l'émergence de la monogamie. Dans un article publié cette semaine dans la revue scientifique américaine Pnas, avec d'autres chercheurs, il se demande pourquoi cette forme de relation existe chez les primates. "Courante chez les oiseaux, la monogamie est plus rare chez les mammifères [ndlr: moins de 3%] parce que la durée de gestation et de lactation de la femelle rend avantageux pour les mâles de chercher des opportunités additionnelles", expliquent-t-ils.

La femelle étant indisponible une bonne partie de l'année, il serait logiquement poussé à aller voir ailleurs si les portes sont plus ouvertes pour déposer sa semence un peu partout.

Or, la monogamie existe tout de même en pratique, notamment chez certains singes. Pour tenter de comprendre comment elle est apparue, les chercheurs ont comparé les données de 230 espèces de primates. Plusieurs hypothèses ont été avancées: l'éducation parentale, la surveillance de son partenaire sexuel et les risques d'infanticides.

Pour la première hypothèse, chez ce qu'on appelle les singes du Nouveau Monde, les Callitrichidae et les Aotus par exemple, les femelles donnent souvent naissance à des jumeaux. Elles ne pourraient prendre soin des enfants sans l'aide du géniteur.

Pour la seconde, dans des groupes où il apparaît trop compliqué de conquérir plusieurs femelles - elles peuvent être trop éloignées ou la concurrence trop intense - le mâle ne s'intéresse qu'à une seule partenaire, pour être sûr de ne pas la perdre. On retrouve cette tendance chez certains petits ongulés.

Enfin, quand la durée de lactation est plus longue que celle de gestation, la femelle, pour éviter de devoir allaiter deux enfants en même temps, retarde sa période de chaleurs. Un concurrent peut donc avoir intérêt à tuer le bébé pour qu'elle redevienne fertile plus vite.

Le résultat de leur comparaison privilégie la dernière solution. Les chercheurs ont remarqué ainsi que les soixante espèces de primates monogames, comme l'Ouistiti pygmées ou le Siamang, se distinguent surtout par leurs faibles taux d'infanticides comparés aux autres. Pourquoi certains restent alors polygames, se sont demandé les chercheurs, puisque pour la reproduction, l'inverse semble être bénéfique?

Chez le Gorille de montagne, 34% des nouveaux nés sont tués, on monte à 64 % pour le Langur de Java où chaque adulte peut, légitimement, se considérer comme un survivant.

Selon l'étude, les deux espèces vivent dans des habitats à hauts risques où la cohésion de groupe pour survivre, plus que celle du couple, est essentielle et empêche le passage à la monogamie.

Tout de même, pour les chercheurs, "ces résultats pourraient expliquer pourquoi la monogamie est plus courante chez les primates [27% des espèces] que chez les autres mammifères. La sociabilité complexe des primates va avec des cerveaux développés, mais aussi entraînent des enfants altrices (non indépendants à la naissance), et des longues périodes de lactation et de croissance". Il fallait bien trouver une solution pour gérer au mieux cette importante période de dépendance.

Pour Christopher Opie et ses collègues, la monogamie chez les humains est peut-être aussi une stratégie que les femmes ont privilégiée pour protéger leurs enfants. Une étude récente suggère ainsi que déjà les Australopithèques pouvaient l'être. L'éducation parentale, par exemple, ne serait arrivée que dans un second temps.

Toutefois, ils rappellent que nous aurions pu adopter d'autres systèmes. Chez les chimpanzés, les mâles défendent collectivement les femelles de leur territoire, face à l'étranger. Ces dernières entretiennent le doute sur la paternité des enfants. Le mâle n'étant jamais certain qui il a enfanté ou pas, il évite de tuer les petits de la communauté.

D'autres chercheurs sont sceptiques sur les conclusions de cette étude. "Les données sont très solides", juge Carel van Schaik, primatologue à l'université de Zurich, cité par le magazine Science, mais il "paraît très dangereux d'en conclure que les risques d'infanticide ont été le principal argument pour la monogamie humaine". D'une part parce que nos cultures ne sont jamais totalement monogames, certaines mêmes encouragent un homme à avoir plusieurs femmes, d'autre part parce que notre monogamie actuelle est "socialement imposée".

Auteur: Girard Quentin

Info: Internet, Pourquoi nous sommes devenus monogames pour éviter les infanticides, 2 août 2013

[ sciences ] [ couple durable ] [ homme-animal ]

 

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protestantisme

La guerre des paysans : le grand reniement de Martin Luther. Ainsi le veut la tradition. Peut-être oui, peut-être non ?

Nous n’avons pas à dire ce que fut le soulèvement de 1524-1525, ni comment d’autres révoltes l’avaient précédé, ni quels hommes, d’origines et de tendances très diverses y prirent part, soit comme chefs, soit comme exécutants. Mais que, dès le début, Martin Luther ait été mis en cause et par les deux partis à la fois, il faudrait être naïf pour en marquer quelque surprise. Aux yeux des uns, il était tout naturellement le père et l’auteur de la sédition ; ses doctrines, ses prédications, son exemple funeste l’avaient provoquée ; et si l’on devait réprimer les mutins, encore plus fallait-il châtier le suppôt de Satan qui, ayant semé le vent sur la paisible Allemagne récoltait la tempête. Les autres, non moins naturellement, saluaient en Luther l’avocat d’office de tous les opprimés, le patron-né de tous les révoltés, l’adversaire obligé de toutes les tyrannies. Et d’ailleurs, n’étaient-ils pas, eux les paysans, les véritables champions de l’Évangile contre les Princes ? En tête de leurs articles, ne revendiquaient-ils pas le droit d’élire des pasteurs   qui, traduisant clairement la Sainte Parole et la prêchant sans adultération, leur donnassent occasion de prier, d’entretenir en eux la véritable foi ? Ne soyons pas surpris qu’à la fin d’avril 1525, Luther, intervenant enfin, ait publié sa fameuse Exhortation à la paix à propos des douze articles des paysans de Souabe, et aussi, contre l’esprit de meurtre et de brigandage des autres paysans ameutés.

Le plan est net, la thèse simple. Une courte introduction ; puis, deux discussions séparées, l’une, avec les princes, l’autre, beaucoup plus longue, avec les paysans ; pour conclure, quelques phrases d’exhortation aux deux partis. Or, que veut Luther ? Examiner ce qu’ont de juste, ou d’injuste, les demandes des paysans ? Arbitrer un différend politico-social ? En aucune façon. Traiter un point de religion, oui.

Les paysans articulent : "Nous ne sommes ni des rebelles, ni des révoltés, mais les porte-parole de l’Évangile. Ce que nous réclamons, l’Évangile nous justifie de le réclamer." Voilà la prétention contre laquelle Luther s’élève uniquement, mais avec une violence, une passion, une fougue incomparables. Aux Princes, il dit peu de choses, et vagues : que ceux d’entre eux ont tort, qui défendent de prêcher l’Évangile ; tort aussi, ceux qui accablent leurs peuples de fardeaux trop pesants. Ils devraient reculer devant la colère qu’ils déchaînent, traiter les paysans "comme l’homme sensé traite les gens ivres ou hors de leur bon sens". Ce serait prudence ; justice aussi, au sens humain du mot ; l’autorité n’est pas instituée pour faire servir les sujets à l’assouvissement des caprices du maître. Mais une fois ce pâle discours au conditionnel terminé, quelle voix claire et sonore retrouve Martin Luther, sitôt qu’il harangue, qu’il accable les paysans ! Pour eux, avec eux, l’Évangile ? Quelle monstrueuse sottise ! Qu’on le brûle, lui, Luther, qu’on le torture, qu’on le mette en morceaux — tant qu’il lui restera un souffle, il clamera la vérité : l’Évangile ne justifie pas, mais condamne la révolte. Toute révolte.

Ils disent, les paysans : "Nous avons raison, ils ont tort. Nous sommes opprimés et ils sont injustes." Il se peut. Luther va plus loin. Il dit : je le crois. Et puis après ? "Ni la méchanceté, ni l’injustice n’excusent la révolte." L’Évangile enseigne : "Ne résistez pas à celui qui vous fait du mal ; si quelqu’un te frappe à la joue droite, tends l’autre. " Luther a-t-il jamais tiré l’épée ? prêché la révolte ? Non, mais l’obéissance. Et c’est pour cela, précisément, qu’en dépit du pape et des tyrans, Dieu a protégé sa vie et favorisé les progrès de son Évangile. Ceux qui "veulent suivre la nature et ne pas supporter le mal", ce sont les païens. Les chrétiens, eux, ne combattent pas avec l’épée ou l’arquebuse. Leurs armes sont la croix et la patience. Et si l’autorité qui les opprime est réellement injuste, ils peuvent être sans crainte : Dieu lui fera expier durement son injustice. En attendant, qu’ils se courbent, obéissent et souffrent, en silence.

Voilà la doctrine de l’Exhortation à la paix. Et certes, il est facile d’ironiser, facile de souligner le contraste et son énorme comique : ici tumulte, hurlements de haine, campagnes remplies de cris de rage et de lueurs d’incendie ; et là, le Dr Martin Luther, les yeux au ciel, jouant de toute son âme et de ses joues gonflées, comme s’il ne voyait et n’entendait que lui, son petit air de flageolet chrétien. Il est facile. Mais il y a une chose qu’on n’a pas le droit de dire : c’est que Luther en mauvaise passe invente sur-le-champ, en 1525, des arguments pharisaïques.

Sa doctrine ? Elle ne naît pas, comme un expédient, de la révolte paysanne. N’inspire-t-elle pas, déjà, la lettre à Frédéric  du 5 mars 1522 ? "Celui-là seul qui l’a instituée de ses mains peut détruire et ruiner l’Autorité : autrement, c’est la révolte, c’est contre Dieu !" N’anime-t-elle pas, d’un bout à l’autre, le traité de 1523 sur l’Autorité séculière : royaume du Christ, royaume du monde, et dans ce royaume, à ses rois l’obéissance absolue, même si l’ordre est injuste ? Car le proverbe dit vrai : qui rend les coups a tort ; et nul ne doit juger sa propre cause. Non, en vérité, Luther n’invente rien en 1525, lorsqu’il crie aux serfs de se résigner, aux paysans de s’incliner. Et quand il ajoute : la seule liberté dont vous deviez vous soucier, c’est la liberté intérieure ; les seuls droits que vous puissiez légitimement revendiquer, ce sont ceux de votre spiritualité — ces formules, brandies sur la tête de rustres poussés à bout et qui se battent comme des bêtes pour leur vie, peuvent bien sembler énormes de dérision. Luther, en s’y tenant avec obstination est logique avec lui-même : Luther, le vrai Luther, celui de Leipzig, de Worms, de la Wartbourg.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 160 à 162

[ soumission extérieure ] [ réponse ]

 

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homme-machine

Notre cerveau à l’heure des nouvelles lectures

Maryanne Wolf, directrice du Centre de recherche sur la lecture et le langage de l’université Tufts est l’auteur de Proust et le Calmar (en référence à la façon dont ces animaux développent leurs réseaux de neurones, que nous avions déjà évoqué en 2009). Sur la scène des Entretiens du Nouveau Monde industriel au Centre Pompidou, la spécialiste dans le développement de l’enfant est venue évoquer "la modification de notre cerveau-lecteur au 21e siècle"

Comment lisons-nous ?

"Le cerveau humain n’était pas programmé pour être capable de lire. Il était fait pour sentir, parler, entendre, regarder… Mais nous n’étions pas programmés génétiquement pour apprendre à lire". Comme l’explique le neuroscientifique français Stanislas Dehaene (Wikipédia) dans son livre Les neurones de la lecture, nous avons utilisé notre cerveau pour identifier des modèles. C’est l’invention culturelle qui a transformé notre cerveau, qui a relié et connecté nos neurones entre eux, qui leur a appris à travailler en groupes de neurones spécialisés, notamment pour déchiffrer la reconnaissance de formes. La reconnaissance des formes et des modèles a permis la naissance des premiers symboles logographiques, permettant de symboliser ce qu’on voyait qui nous mènera des peintures rupestres aux premières tablettes sumériennes. Avec l’invention de l’alphabet, l’homme inventera le principe que chaque mot est un son et que chaque son peut-être signifié par un symbole. Le cerveau lecteur consiste donc à la fois à être capable de "voir", décoder des informations, des motifs et à les traiter pour pouvoir penser et avoir une réflexion.

Pour autant, le circuit de la lecture n’est pas homogène. Quand on observe à l’imagerie cérébrale un anglais qui lit de l’anglais, un chinois qui lit du chinois ou le Kanji, un Japonais qui lit le Kana japonais, on se rend compte que ces lectures activent des zones sensiblement différentes selon les formes d’écritures. Ce qui signifie qu’il y a plusieurs circuits de lecture dans notre cerveau. Le cerveau est plastique et il se réarrange de multiples façons pour lire, dépendant à la fois du système d’écriture et du médium utilisé. "Nous sommes ce que nous lisons et ce que nous lisons nous façonne" Ce qui explique aussi que chaque enfant qui apprend à lire doit développer son propre circuit de lecture.

Ce qui stimule le plus notre cerveau, selon l’imagerie médicale, c’est d’abord jouer une pièce au piano puis lire un poème très difficile, explique Maryanne Wolf. Car la lecture profonde nécessite une forme de concentration experte. Comme le souligne Proust dans Sur la lecture : "Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donnât des réponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs. Et ces désirs, il ne peut les éveiller en nous qu’en nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis d’atteindre. Mais par une loi singulière et d’ailleurs providentielle de l’optique des esprits (loi qui signifie peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, et que nous devons la créer nous-mêmes), ce qui est le terme de leur sagesse ne nous apparaît que comme le commencement de la nôtre, de sorte que c’est au moment où ils nous ont dit tout ce qu’ils pouvaient nous dire qu’ils font naître en nous le sentiment qu’ils ne nous ont encore rien dit."

La lenteur, la concentration et le processus cognitif encouragent le cerveau lecteur. La déduction, la pensée analogique, l’analyse critique, la délibération, la perspicacité, l’épiphanie (c’est-à-dire la compréhension soudaine de l’essence et de la signification de quelque chose) et la contemplation sont quelques-unes des merveilleuses conséquences de notre capacité à lire la pensée d’un autre.

Pourquoi la lecture numérique est-elle différente ?

Est-ce que ce que nous savons de notre cerveau lecteur éclaire ce que nous ne savons pas de la lecture à l’heure de la culture numérique ? Quelles sont les implications profondes sur la plasticité de nos circuits de lecture à mesure que nous utilisons des médiums dominés par le numérique ?

En 2008, dans une interview pour Wired, quelques mois avant d’écrire son célèbre article, "Est-ce que Google nous rend idiot ?", Nicholas Carr expliquait : "La chose la plus effrayante dans la vision de Stanley Kubrick n’était pas que les ordinateurs commencent à agir comme les gens, mais que les gens commencent à agir comme des ordinateurs. Nous commençons à traiter l’information comme si nous étions des noeuds, tout est question de vitesse de localisation et de lecture de données. Nous transférons notre intelligence dans la machine, et la machine transfère sa façon de penser en nous."

Les caractéristiques cognitives de la lecture en ligne ne sont pas les mêmes que celle de la lecture profonde, estime Maryanne Wolf. Avec le numérique, notre attention et notre concentration sont partielles, moins soutenues. Notre capacité de lecture se fixe sur l’immédiateté et la vitesse de traitement. Nous privilégions une forme de lecture qui nous permet de faire plusieurs tâches en même temps dans des larges ensembles d’information. Les supports numériques ont tendance à rendre notre lecture physique (tactile, interactions sensorielles…) tandis que le lire nous plonge plutôt dans un processus cognitif profond. Pour la spécialiste, il semble impossible de s’immerger dans l’hypertexte. Reprenant les propos de Carr, "l’écrémage est la nouvelle normalité", assène-t-elle. "Avec le numérique, on scanne, on navigue, on rebondit, on repère. Nous avons tendance à bouger, à cliquer et cela réduit notre attention profonde, notre capacité à avoir une lecture concentrée. Nous avons tendance à porter plus d’attention à l’image. Nous avons tendance à moins internaliser la connaissance et à plus dépendre de sources extérieures."

Les travaux d’imagerie cérébrale sur les effets cognitifs du multitâche montrent que même si on peut apprendre en étant distraits cela modifie notre façon d’apprendre rendant l’apprentissage moins efficace et utile estime le professeur de psychologie et neurobiologie Russ Poldrack. Les facteurs tactiles et matériels ont aussi une importance. On ne peut s’immerger dans l’hypertexte de la même façon qu’on pouvait se perdre dans un livre, estime la spécialiste de la lecture Anne Mangen du Centre sur la lecture de l’université de Stavanger. Plusieurs études ont montré que notre niveau de compréhension entre l’écran et l’imprimé se faisait toujours au détriment du numérique, rappelle Maryanne Wolf. Mais peut-être faudrait-il nuancer les propos de Maryanne Wolf et souligner, comme nous l’avions déjà rappelé lors de la publication de la charge de Nicholas Carr que les les protocoles d’expérimentation des neuroscientifiques défendent souvent des thèses. La science et l’imagerie médicale semblent convoquées pour apporter des preuves. Alors que les différences de protocoles entre une étude l’autre, la petitesse des populations étudiées, nécessiterait beaucoup de prudence dans les conclusions.

Reste que pour comprendre cette différence entre papier et électronique, estime Maryanne Wolf, il nous faut comprendre comment se forme notre capacité de lecture profonde. Est-ce que la lecture superficielle et notre attente continue d’informations externes seront les nouvelles menaces des lectures numériques ? Ces deux risques vont-ils court-circuiter notre "cerveau lecteur" ? Est-ce que la construction de l’imaginaire de l’enfance va être remplacée par celle, externe, que tous les nouveaux supports offrent ? …

"Nous ne reviendrons pas en arrière, nous ne reviendrons pas à un temps prénumérique", insiste Maryanne Wolf. "Ce n’est ni envisageable, ni enviable, ni faisable."

"Mais nous ne devrions pas accepter une embardée vers l’avant sans comprendre ce que le "répertoire cognitif" de notre espèce risque de perdre ou de gagner."
 "Ce serait une honte si la technologie la plus brillante que nous ayons développée devait finir par menacer le genre d’intelligence qui l’a produite", estime l’historien des technologies Edward Tenner. Et Maryanne Wolf de nous montrer trois enfants assis dans un canapé, avec chacun son ordinateur sur ses genoux. C’est l’image même qui inspire notre peur de demain. Celle-là même qu’évoquait l’anthropologue Stefana Broadbent à Lift 2012. Sauf que l’anthropologue, elle, nous montrait qu’on était là confronté là à une représentation sociale… une interrogation totalement absente du discours alarmiste de Maryanne Wolf, qui compare l’activité cognitive de cerveaux habitués à la lecture traditionnelle, avec celle de cerveaux qui découvrent les modalités du numérique.

Le numérique a bien un défaut majeur, celui d’introduire dans notre rapport culturel même des modalités de distraction infinies. Comme nous le confiait déjà Laurent Cohen en 2009, l’écran ou le papier ne changent rien à la capacité de lecture. Mais c’est le réseau qui pose problème et ce d’autant plus quand il apporte une distraction permanente, permettant toujours de faire autre chose que ce que l’on compte faire.

Si la lecture profonde peut se faire tout autant sur papier qu’à travers le réseau, le principal problème qu’induit le numérique, c’est la possibilité de distraction induite par l’outil lui-même, qui demande, pour y faire face, un contrôle de soi plus exigeant.

Notre avenir cognitif en sursis ?

Alors, comment résoudre ce paradoxe, se demande Maryanne Wolf. Comment pouvons-nous éviter de "court-circuiter" notre capacité à lire en profondeur, tout en acquérant les nouvelles compétences nécessaires pour le 21e siècle ?

Un premier pas peut-être fait en ayant conscience de nos limites, estime Maryanne Wolf. Rappelons-nous que notre cerveau n’a jamais été programmé génétiquement pour lire. Que chaque lecteur doit construire ses propres circuits de lecture. Que nos circuits de lecture sont plastiques et influencés par les médiums et les systèmes d’écriture que nous utilisons. Notre cerveau-lecteur est capable à la fois des plus superficielles et des plus profondes formes de lecture, de ressenti et de pensées.

Nous pouvons deviner que l’accès à l’information ne va cesser d’augmenter. Mais nous ne savons pas si l’accès immédiat à de vastes quantités d’informations va transformer la nature du processus de lecture interne, à savoir la compréhension profonde et l’internalisation de la connaissance.

Pour le dire autrement, notre cerveau est d’une plasticité totale, mais cela ne veut pas dire que nous allons perdre telle ou telle capacité d’attention, alors que celles-ci ont plus que jamais une importance sociale. Pour l’instant, pourrions-nous répondre à Maryanne Wolf, ce que le cerveau lecteur nous a le plus fait perdre, c’est certainement notre capacité à lire les détails du monde naturel que comprenait le chasseur-cueilleur.

Nous ne savons pas si l’accès immédiat à cette quantité croissante d’information externe va nous éloigner du processus de lecture profonde ou au contraire va nous inciter à explorer la signification des choses plus en profondeur, estime Wolf en reconnaissant tout de même, après bien des alertes, l’ignorance des neuroscientifiques en la matière. Bref, nous ne savons pas si les changements qui s’annoncent dans l’intériorisation des connaissances vont se traduire par une altération de nos capacités cognitives, ni dans quel sens ira cette altération.

Si nous ne savons pas tout de notre avenir cognitif, estime Wolf, peut-être pouvons-nous conserver certains objectifs en vue. Que pouvons-nous espérer ? La technologie va bouleverser l’apprentissage, estime Maryanne Wolf en évoquant l’expérimentation qu’elle mène avec le MIT sur le prêt de tablettes auprès d’enfants éthiopiens qui n’ont jamais été alphabétisés et qui montre des jeunes filles capables de retenir l’alphabet qu’elles n’avaient jamais appris. Comment peut-on créer les conditions pour que les nouveaux lecteurs développent une double capacité… savoir à la fois quand il leur faut écrémer l’information et quand il leur faut se concentrer profondément ?

En semblant à la fois croire dans l’apprentissage par les robots, comme le montre l’expérience OLPC en Ethiopie de laquelle elle participe visiblement avec un certain enthousiasme (alors que certains spécialistes de l’éducation ont montré que l’essentielle des applications d’apprentissage de la lecture ne permettaient pas de dépasser le niveau de l’apprentissage de l’alphabet, en tout cas n’étaient pas suffisantes pour apprendre à lire seul) et en n’ayant de cesse de nous mettre en garde sur les risques que le numérique fait porter à la lecture profonde, Maryanne Wolf semble avoir fait un grand écart qui ne nous a pas aidés à y voir plus clair.

Après la langue et le langage : la cognition

Pour l’ingénieur et philosophe Christian Fauré, membre de l’association Ars Industrialis. "l’organologie générale" telle que définit par Ars Industrialis et le philosophe Bernard Stiegler, organisateur de ces rencontres, vise à décrire et analyser une relation entre 3 types d' "organes" qui nous définissent en tant qu’humain : les organes physiologiques (et psychologiques), les organes techniques et les organes sociaux.

"Nos organes physiologiques n’évoluent pas indépendamment de nos organes techniques et sociaux", rappelle Christian Fauré. Dans cette configuration entre 3 organes qui se surdéterminent les uns les autres, le processus d’hominisation semble de plus en plus porté, "transporté" par l’organe technique. Car dans un contexte d’innovation permanente, le processus d’hominisation, ce qui nous transforme en hommes, est de plus en plus indexé par l’évolution de nos organes techniques. La question est de savoir comment nos organes sociaux, psychologiques et physiologiques vont suivre le rythme de cette évolution. A l’époque de l’invention des premiers trains, les gens avaient peur d’y grimper, rappelle le philosophe. On pensait que le corps humain n’était pas fait pour aller à plus de 30 km à l’heure.

L’évolution que nous connaissons se produit via des interfaces entre les différents organes et c’est celles-ci que nous devons comprendre, estime Christian Fauré. Quel est le rôle des organes techniques et quels sont leurs effets sur nos organes sociaux et physiologiques ?L’écriture a longtemps été notre principal organe technique. Parce qu’elle est mnémotechnique, elle garde et conserve la mémoire. Par son statut, par les interfaces de publication, elle rend public pour nous-mêmes et les autres et distingue le domaine privé et le domaine public. Or l’évolution actuelle des interfaces d’écriture réagence sans arrêt la frontière entre le privé et le public. Avec le numérique, les interfaces de lecture et d’écriture ne cessent de générer de la confusion entre destinataire et destinateur, entre ce qui est privé et ce qui est public, une distinction qui est pourtant le fondement même de la démocratie, via l’écriture publique de la loi. Avec le numérique, on ne sait plus précisément qui voit ce que je publie… ni pourquoi on voit les messages d’autrui.

La question qui écrit à qui est devenue abyssale, car, avec le numérique, nous sommes passés de l’écriture avec les machines à l’écriture pour les machines. L’industrie numérique est devenue une industrie de la langue, comme le soulignait Frédéric Kaplan. Et cette industrialisation se fait non plus via des interfaces homme-machine mais via de nouvelles interfaces, produites par et pour les machines, dont la principale est l’API, l’interface de programmation, qui permet aux logiciels de s’interfacer avec d’autres logiciels.

Le nombre d’API publiée entre 2005 et 2012 a connu une croissance exponentielle, comme l’explique ProgrammableWeb qui en tient le décompte. Désormais, plus de 8000 entreprises ont un modèle d’affaire qui passe par les API. "Le web des machines émerge du web des humains. On passe d’un internet des humains opéré par les machines à un internet pour les machines opéré par les machines. L’API est la nouvelle membrane de nos organes techniques qui permet d’opérer automatiquement et industriellement sur les réseaux."

Ecrire directement avec le cerveau

Le monde industriel va déjà plus loin que le langage, rappelle Christian Fauré sur la scène des Entretiens du Nouveau Monde industriel. "Nous n’écrivons plus. Nous écrivons sans écrire, comme le montre Facebook qui informe nos profils et nos réseaux sociaux sans que nous n’ayons plus à écrire sur nos murs. Nos organes numériques nous permettent d’écrire automatiquement, sans nécessiter plus aucune compétence particulière. Et c’est encore plus vrai à l’heure de la captation de données comportementales et corporelles. Nos profils sont renseignés par des cookies que nos appareils techniques écrivent à notre place. Nous nous appareillons de capteurs et d’API "qui font parler nos organes". Les interfaces digitales auxquelles nous nous connectons ne sont plus des claviers ou des écrans tactiles… mais des capteurs et des données." Les appareillages du Quantified Self sont désormais disponibles pour le grand public. La captation des éléments physiologique s’adresse à nos cerveaux, comme l’explique Martin Lindstrom dans Buy.Ology. "Nous n’avons même plus besoin de renseigner quoi que ce soit. Les capteurs le font à notre place. Pire, le neuromarketing semble se désespérer du langage. On nous demande de nous taire. On ne veut pas écouter ce que l’on peut dire ou penser, les données que produisent nos capteurs et nos profils suffisent." A l’image des séries américaines comme Lie to Me ou the Mentalist où les enquêteurs ne s’intéressent plus à ce que vous dites. Ils ne font qu’observer les gens, ils lisent le corps, le cerveau. "L’écriture de soi n’est plus celle de Foucault, les échanges entre lettrés. On peut désormais s’écrire sans savoir écrire. Nous entrons dans une époque d’écriture automatique, qui ne nécessite aucune compétence. Nous n’avons même plus besoin du langage. L’appareillage suffit à réactualiser le connais-toi toi-même  !"

Google et Intel notamment investissent le champ des API neuronales et cherchent à créer un interfaçage direct entre le cerveau et le serveur. Le document n’est plus l’interface. Nous sommes l’interface !

"Que deviennent la démocratie et la Res Publica quand les données s’écrivent automatiquement, sans passer par le langage ? Quand la distinction entre le public et le privé disparaît ? Alors que jusqu’à présent, la compétence technique de la lecture et de l’écriture était la condition de la citoyenneté", interroge Christian Fauré.

Les capteurs et les interfaces de programmation ne font pas que nous quantifier, ils nous permettent également d’agir sur notre monde, comme le proposent les premiers jouets basés sur un casque électroencéphalographique (comme Mindflex et Star Wars Science The Force Trainer), casques qui utilisent l’activité électrique du cerveau du joueur pour jouer. Ces jouets sont-ils en train de court-circuiter notre organe physiologique ?

Mais, comme l’a exprimé et écrit Marianne Wolf, nous n’étions pas destinés à écrire. Cela ne nous a pas empêchés de l’apprendre. Nous sommes encore moins nés pour agir sur le réel sans utiliser nos organes et nos membres comme nous le proposent les casques neuronaux.

Quand on regarde les cartographies du cortex somatosensoriel on nous présente généralement une représentation de nous-mêmes selon l’organisation neuronale. Celle-ci déforme notre anatomie pour mettre en évidence les parties de celle-ci les plus sensibles, les plus connectés à notre cerveau. Cette représentation de nous est la même que celle que propose la logique des capteurs. Or, elle nous ressemble bien peu.

(Image extraite de la présentation de Christian Fauré : ressemblons à notre cortex somatosensoriel ?)

Que se passera-t-il demain si nous agissons dans le réel via des casques neuronaux ? La Science Fiction a bien sûr anticipé cela. Dans Planète interdite, le sous-sol de la planète est un vaste data center interfacé avec le cerveau des habitants de la planète qui ne donne sa pleine puissance que pendant le sommeil des habitants. "Ce que nous rappelle toujours la SF c’est que nos pires cauchemars se réalisent quand on interface l’inconscient à la machine, sans passer par la médiation de l’écriture ou du langage. Si la puissance du digital est interfacée et connectée directement aux organes physiologiques sans la médiation de l’écriture et du langage, on imagine alors à quel point les questions technologiques ne sont rien d’autre que des questions éthiques", conclut le philosophe.

Si on ne peut qu’être d’accord avec cette crainte de la modification du cerveau et de la façon même dont on pense via le numérique comme c’était le cas dans nombre d’interventions à cette édition des Entretiens du Nouveau Monde industriel, peut-être est-il plus difficile d’en rester à une dénonciation, comme l’a montré l’ambiguïté du discours de Maryanne Wolf. Si nous avons de tout temps utilisé des organes techniques, c’est dans l’espoir qu’ils nous libèrent, qu’ils nous transforment, qu’ils nous distinguent des autres individus de notre espèce et des autres espèces. Pour répondre à Christian Fauré, on peut remarquer que la SF est riche d’oeuvres qui montrent ou démontrent que l’augmentation de nos capacités par la technique était aussi un moyen pour faire autre chose, pour devenir autre chose, pour avoir plus de puissance sur le monde et sur soi. Il me semble pour ma part qu’il est important de regarder ce que les interfaces neuronales et les capteurs libèrent, permettent. Dans the Mentalist, pour reprendre la référence de Christian Fauré, ce sont les capacités médiumniques extraordinaires de l’enquêteur qui transforme son rapport au monde et aux autres. Si l’interfaçage direct des organes physiologique via des capteurs et des données produit de nouvelles formes de pouvoir, alors il est certain que nous nous en emparerons, pour le meilleur ou pour le pire. On peut légitimement le redouter ou s’en inquiéter, mais ça ne suffira pas à nous en détourner.

Qu’allons-nous apprendre en jouant de l’activité électrique de nos cerveaux ? On peut légitimement se demander ce que cela va détruire… Mais si on ne regarde pas ce que cela peut libérer, on en restera à une dénonciation sans effets.



 

Auteur: Guillaud Hubert

Info: https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2013/01/11/notre-cerveau-a-lheure-des-nouvelles-lectures/

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