Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 60
Temps de recherche: 0.0585s

économie politique

Vous posez la question du libéralisme. Il y a un malentendu total à propos d’Adam Smith et de sa main invisible. Les grands économistes prix Nobel se sont réunis – si j’ai bon souvenir c’était en 2006 – ils se sont réunis à Kirkcaldy, qui est le lieu de naissance de M. Adam Smith, et ils s’étaient cotisés pour mettre un grand buste d’Adam Smith sur la place. M. Alan Greenspan qui à l’époque était encore à la tête de la Federal Reserve – la banque centrale américaine – a fait un splendide discours qu’on retient certainement parce que c’est un discours qui nous expliquait que toute crise d’ordre financier était impossible. On était en 2006. Ce monsieur n’était pas un imbécile – il n’est toujours pas un imbécile, il vit toujours [c’est toujours vrai : il a 97 ans] – mais c’est un Libertarien, comme on dit, radical. C’est quelqu’un qui est convaincu que la main invisible d’Adam Smith règle absolument tout. Quand il a été accusé – c’était dans les derniers jours du mois de septembre ou peut-être dans les premiers du mois d’octobre, juste après l’effondrement – quand il a été interpellé devant le sénat américain, il a fait une référence assez obscure au fait que les banquiers n’avaient pas suivi leur intérêt et qu’il n’aurait pas pu prévoir ça. C’était une référence à la main invisible d’Adam Smith qui dit la chose suivante : " Il ne faut pas demander au boucher, au brasseur, au boulanger de veiller tous à l’intérêt général. Ils veilleront à l’intérêt général bien plus sûrement en s’occupant – de manière assez égoïste – de leurs propres affaires ".

À quoi répondait Adam Smith quand il a dit ça ? C’était une réflexion encore – il était Écossais mais, bien entendu, il s’exprimait dans le cadre de la Grande-Bretagne à l’époque – c’était encore une contribution au grand débat qui durait depuis la révolution, la Révolution anglaise [1642-1651], la révolte contre le roi Charles Ier, dirigée par Olivier Cromwell. Que se passe-t-il ? Un général remplace la royauté, on se débarrasse ensuite [de son fils qui lui a succédé] et on ré-instaure la royauté [en 1660]. Alors, dans toute la période qui suit, grand débat en Grande-Bretagne : où faut-il mettre le seuil ? Où faut-il arrêter le pouvoir de l’État sur les citoyens pour respecter au mieux la liberté des citoyens individuels ? Donc, débat qui dure depuis pratiquement un siècle au moment où Adam Smith pose la question. Dans son livre majeur La richesse des nations publié en 1776, il répond toujours à cette question : que le roi ne s’occupe pas trop de la vie individuelle des citoyens ! Le système va fonctionner de manière spontanée, bien mieux que si on réglait une société uniquement par injonctions venant d’en-haut.

M. Adam Smith, il faut bien le dire, c’est quelqu’un qu’on appellerait " de gauche " aujourd’hui : il fait des remarques extrêmement déplaisantes sur les patrons et est très très positif sur les ouvriers. Quand la Révolution française éclate en France, il est l’un des rares en Grande-Bretagne à prendre parti officiellement pour la Révolution française. Il meurt très rapidement – si j’ai bon souvenir, il meurt en 1790 – mais c’est quelqu’un qui se situerait maintenant à l’extrême-gauche s’il fallait le situer. Quand les grands banquiers de Wall Street vont dévoiler un buste en son honneur à Kirkcaldy, dans sa ville natale, il y a là un énorme malentendu.

La question à laquelle il répondait, c’était celle de la Révolution anglaise. Ce n’était pas une réflexion sur le libéralisme ou même sur l’ultra-libéralisme qui conduit maintenant à dire que, à la limite, il faudrait que l’État ne s’occupe plus que d’une seule chose, c’est la propriété privée, et pour le reste, il faut laisser les initiatives aux individus. Vous savez que il y a en particulier des Libertariens qui sont, je dirais, la forme ultime de l’ultra-libéralisme, des gens comme M. Rothbard aux États-Unis qui prônait que même la défense nationale soit assurée simplement par l’initiative individuelle : " S’il y a des gens qui ont de l’argent et qui veulent qu’on protège le pays, eh bien pourquoi ne le mettraient-ils pas à disposition ? " C’est la position qu’on appelait au début du XIXe siècle " l’État veilleur de nuit " : l’État doit s’occuper uniquement de veiller, peut-être même pas à la sécurité nationale, mais à la défense de la propriété.

Auteur: Jorion Paul

Info: Conférence de l’hôtel de ville du 29 novembre 2018 à Saint-Étienne : " Se débarrasser du capitalisme est une question de survie " En réponse à une question de la salle, au sujet du penseur ultra-libéral Murray Rothbard

[ historique ] [ absurde ] [ relativité ] [ inversion ] [ renversement ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

pression industrielle

Ainsi, depuis un an ou deux, je me pose des questions. Je ne les pose pas seulement à moi-même. Je les pose aussi à des collègues et, tout particulièrement depuis plusieurs mois, six mois peut-être, je profite de toutes les occasions pour rencontrer des scientifiques, que ce soit dans les discussions publiques comme celle-ci ou en privé, pour soulever ces questions. En particulier : "Pourquoi faisons-nous de la recherche scientifique ?" Une question qui est pratiquement la même peut-être, à longue échéance du moins, que la question : "Allons-nous continuer la recherche scientifique ?"

La chose extraordinaire est de voir à quel point mes collègues sont incapables de répondre à cette question. En fait, pour la plupart d’entre eux, cette question est simplement si étrange, si extraordinaire, qu’ils se refusent même de l’envisager. En tout cas, ils hésitent énormément à donner une réponse quelle qu’elle soit. Lorsqu’on parvient à arracher une réponse dans les discussions publiques ou privées, ce qu’on entend généralement c’est, par ordre de fréquence des réponses : "La recherche scientifique ? J’en fais parce que ça me fait bien plaisir, parce que j’y trouve certaines satisfactions intellectuelles." Parfois, les gens disent : "Je fais de la recherche scientifique parce qu’il faut bien vivre, parce que je suis payé pour cela."

Mais tout ceci, finalement ne répond pas à la question : "A quoi sert socialement la recherche scientifique ?" Parce que, si elle n’avait comme but que de procurer du plaisir, disons à une poignée de mathématiciens ou d’autres scientifiques, sans doute la société hésiterait à y investir des fonds considérables – en mathématiques ils ne sont pas très considérables, mais dans les autres sciences, ils peuvent l’être. La société hésiterait aussi sans doute à payer tribut à ce type d’activité ; tandis qu’elle est assez muette sur des activités qui demandent peut-être autant d’efforts, mais d’un autre type, comme de jouer aux billes ou des choses de ce goût-là. On peut développer à l’extrême certaines facilités, certaines facultés techniques, qu’elles soient intellectuelles, manuelles ou autres, mais pourquoi y a-t-il cette valorisation de la recherche scientifique ? C’est une question qui mérite d’être posée.

En parlant avec beaucoup de mes collègues, je me suis aperçu au cours de l’année dernière qu’en fait cette satisfaction que les scientifiques sont censés retirer de l’exercice de leur profession chérie, c’est un plaisir… qui n’est pas un plaisir pour tout le monde ! Je me suis aperçu avec stupéfaction que pour la plupart des scientifiques, la recherche scientifique était ressentie comme une contrainte, comme une servitude. Faire de la recherche scientifique, c’est une question de vie ou de mort en tant que membre considéré de la communauté scientifique. La recherche scientifique est un impératif pour obtenir un emploi, lorsqu’on s’est engagé dans cette voie sans savoir d’ailleurs très bien à quoi elle correspondait. Une fois qu’on a son boulot, c’est un impératif pour arriver à monter en grade. Une fois qu’on est monté en grade, à supposer même qu’on soit arrivé au grade supérieur, c’est un impératif pour être considéré comme étant dans la course. On s’attend à ce que vous produisiez. Mais pourquoi y a-t-il cette valorisation de la recherche scientifique ? C’est une question qui mérite d’être posée.

[...]

Un autre aspect de ce problème qui dépasse les limites de la communauté scientifique, de l’ensemble des scientifiques, c’est le fait que ces hautes voltiges de la pensée humaine se font aux dépens de l’ensemble de la population qui est dépossédée de tout savoir. En ce sens que, dans l’idéologie dominante de notre société, le seul savoir véritable est le savoir scientifique, la connaissance scientifique, qui est l’apanage sur la planète de quelques millions de personnes, peut-être une personne sur mille. Tous les autres sont censés "ne pas connaître" et, en fait, quand on parle avec eux, ils ont bien l’impression de "ne pas connaître". Ceux qui connaissent sont ceux qui sont là-haut, dans les hautes sciences : les mathématiciens, les scientifiques, les très calés, etc. Donc, je pense qu’il y a pas mal de commentaires critiques à faire sur ce plaisir que nous retourne la science et sur ses à-côtés. Ce plaisir est une sorte de justification idéologique d’un certain cours que la société humaine est en train de prendre et, à ce titre, je pense même que la science la plus désintéressée qui se fait dans le contexte actuel, et même la plus éloignée de l’application pratique, a un impact extrêmement négatif.

Auteur: Grothendieck Alexandre

Info: Allons-nous continuer la recherche ? 27 janvier 1972

[ éthique ] [ intérêts financiers ] [ discours dominant ] [ déshumanisante ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

christianisme-protestantisme

Luther n’était pas encore Luther, déjà il abhorrait, nous l’avons vu, dans l’auteur de l’Enchiridion l’intelligence claire qui se glorifie de sa clarté, la raison ennemie du mystère et de toutes ces choses obscures que perçoit l’intuition. Il a dit un jour un mot saisissant, qu’on trouve dans le recueil de Cordatus [Tischreden, W., III, p. 264, no 3316]. Il date du printemps de 1533 : "Il n’est pas d’article de foi, si bien confirmé soit-il par l’Évangile, dont ne sache se moquer un Érasme, je veux dire la Raison". — Ab Erasmo, id est a ratione ; voilà le secret d’une haine atroce, d’une de ces haines recuites et hallucinantes dont les hommes de Dieu ont le secret : cette haine du péché incarné dans le voisin et qui conduit jusqu’aux vœux homicides. En ces années-là, les recueils de Tischreden le prouvent surabondamment : Luther radotait de fureur contre Érasme. Et qu’il ait consenti, lui qu’aucune considération ne savait retenir quand un flot de sang lui montait du cœur au cerveau, qu’il ait consenti pendant tant et tant de mois à tenir presque cachée cette haine furieuse ; qu’en avril 1524 encore, il ait écrit "au roi de l’amphibologie", à ce "serpent", une longue lettre pour lui mettre une dernière fois le marché en mains : "Ne publie pas de livre contre moi, je n’en publierai pas contre toi" — en vérité, parmi tous les hommages qu’a reçus de son vivant le grand humaniste, je n’en sais pas de plus beau et, venant d’un tel ennemi, si fort de son triomphe, qui trahisse plus d’involontaire respect.

Mais enfin, il fallut bien que le duel s’engageât ? Ce fut Érasme qui le premier croisa le fer. Ce fut lui, pour des raisons aujourd’hui bien connues, qui publia le 1er septembre 1524 sa fameuse diatribe sur le libre arbitre. Le choix seul du sujet témoignait, une fois de plus, de sa haute et vive intelligence critique. Luther ne s’y trompa point. Il tint à le proclamer très haut dans les premières lignes de sa réplique [W., XVIII, p. 602] : "Toi, tu ne me fatigues pas avec des chicanes à côté, sur la papauté, le purgatoire, les indulgences et autres niaiseries qui leur servent à me harceler. Seul tu as saisi le nœud, tu as mordu à la gorge. Merci, Érasme !" Cette réplique de Luther, son traité Du serf arbitre, ne parut du reste qu’à l’extrême fin de 1525, le 31 décembre. Et c’est seulement en septembre de la même année, un an après l’attaque, que Luther se mit à la composer. L’adversaire était redoutable et si intrépide fût-on, on ne pouvait pas ne pas être intimidé à la pensée de l’affronter. Mais, dès que Luther se fut décidé à écrire, la pensée coula avec une force, une abondance, une violence irrésistibles. C’est que, ce qui était en jeu, c’était toute sa conception de la religion.

On l’a bien dit : au lieu d’intituler leurs deux écrits Du libre arbitre et Du serf arbitre, les deux antagonistes auraient pu leur donner ces titres : De la religion naturelle et De la religion surnaturelle. Entre l’omnipotence de Dieu et l’initiative de l’homme, libre à un semi-rationaliste comme Érasme de négocier un compromis et d’accepter sans émoi que soit battu en brèche ce sentiment véhément de la toute-puissance irrationnelle de Dieu en qui Luther voyait, lui, l’unique, l’indispensable garant de sa certitude subjective du salut. L’auteur du Serf arbitre ne pouvait s’attarder à semblables besognes. Ne voyant pas le moyen de concilier avec l’affirmation du libre arbitre sa foi personnelle dans la toute-puissance absolue de Dieu ; se révoltant à l’idée que la volonté humaine pût limiter en quoi que ce soit la volonté divine et la supplanter — par une démarche conforme à son génie, il se porta d’un coup aux extrêmes. Il nia le libre arbitre purement et simplement. Il proclama, une fois de plus, que tout ce qui arrivait à l’homme, y compris son salut, n’était que l’effet de cette cause absolue et souveraine, à l’action irrésistible et continue : Dieu, le Dieu "qui opère tout en tous". Et ce n’était pas là, pour Luther, une thèse philosophique, étayée d’arguments rationnels, mais le cri spontané d’un croyant qui confessait sa foi "à pleine bouche et sans mettre une feuille devant" ; c’était la protestation passionnée d’un chrétien "qui ne voulait pas vendre son cher petit Jésus" et qui, toujours prisonnier de ses expériences, ayant toujours à l’esprit "ces angoisses spirituelles et ces naissances divines, ces morts et ces enfers" à travers quoi il avait cherché et trouvé son Dieu, ne rencontrait la paix libératrice que dans l’abandon total, l’abdication sans réserves de sa volonté propre entre les mains du guide souverain.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 172-173

[ théologie ] [ opposition ] [ différence ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

communisme

Les théories de Marx sont assez bien connues pour ne nécessiter qu’un résumé. Il commence par définir la valeur des marchandises en tant que fonction du travail nécessaire pour les produire. Ce travail, source de la dignité du travailleur, est la seule marchandise qu’il puisse vendre. Une fois que le capitaliste a acheté assez de travail pour satisfaire ses propres besoins, il exploite le travailleur – par l’oppression directe ou par les améliorations indirectes de la productivité – pour en tirer un profit. Ce profit s’accumule, rendant les capitalistes de plus en plus puissants, jusqu’à ce que la classe moyenne ait été absorbée dans la classe des travailleurs, et que toute cette masse misérable et dégradée se révolte et engendre le socialisme. Pour Marx, ce processus était à la fois nécessaire et inévitable, et c’est pourquoi il vantait le capitalisme et l’État bourgeois, dont il pensait qu’ils préparaient les conditions pour le mode de production supérieur du socialisme. C’est aussi la raison pour laquelle il vouait un culte à la production elle-même, la machinerie de la société, à laquelle il estimait que l’homme devait se soumettre jusqu’au jour où elle cesserait de le détruire. Ensuite, selon Marx, tous les antagonismes sociaux se seraient magiquement arrêtés.

[...]

Pour Marx, l’histoire était une machine téléologique, ou orientée vers la finalité, visant à une société sans classe à laquelle les divers antagonismes que renferme la société devaient inévitablement aboutir. Un tel paradis n’était pas fondamentalement différent du paradis judéo-chrétien standard, promis, mais constamment différé, qu’il rejetait. À cette fin, Marx vantait continuellement le développement du capitalisme – même s’il aboutissait à l’extrême déchéance des travailleurs. Marx défendait l’insistance de David Ricardo sur la production pour la production, sans considération pour l’humanité, comme étant "absolument juste". Suivant le nationalisme quasi fasciste de Hegel, pour qui l’individu était un moyen "subordonné" et consommable au service d’une fin étatique, il a fait l’éloge du saccage de l’Inde par l’Angleterre, écrivant dans son essai "La domination britannique en Inde" que l’empire anglais était "l’outil inconscient de l’histoire" et que nous pouvions regretter les crimes des Britanniques ou l’effondrement d’un empire ancien, mais que nous avions la consolation de savoir que cette torture grotesque finirait par "nous apporter un plaisir plus grand". Il était pareillement sanguinaire concernant la colonisation des États-Unis par l’Europe. De tels événements étaient des étapes nécessaires dans le processus historique linéaire, soumis à des lois, envers lequel il était engagé.

[...]

ce qui se passe en réalité ne correspond simplement pas aux prédictions de Marx. Par exemple, il avait la conviction que la paupérisation du prolétariat l’amènerait à se révolter contre l’oppression capitaliste. Pour autant que nous le sachions, cela n’a pas eu lieu et ne s’annonce pas ; l’homme intègre le monde capitaliste dans un état de soumission qui ne fait qu’empirer tandis que la pauvreté l’abrutit et l’affaiblit (particulièrement dans le tiers-monde), que le professionnalisme l’estropie et le désoriente, que la technologie le domestique, le distrait et l’endort avec les compensations qui lui sont offertes par l’État providence – un mécanisme quasi socialiste qui résonne parfaitement avec l’autoreproduction du capitalisme.

[...]

Nous nous trouvons maintenant dans l’impasse que Bakounine avait prédite et vers laquelle Marx et ses nombreux disciples nous ont dirigés, où ceux qui nous oppriment ne sont plus principalement les rois ou les capitalistes, mais les experts professionnels et techniques, et l’ahurissante supermachine qu’ils dirigent. Le pouvoir militaire et le pouvoir usufruitier des rois et des capitalistes existent toujours, mais ils ont été supplantés par le pouvoir de gestion des techniciens (qui, comme l’a démontré leur acceptation universelle des confinements et de la dernière phase biofasciste du système, sont aussi heureux que l’étaient les capitalistes et les rois de voir les classes ouvrières brutalement disciplinées) et le pouvoir d’absorption de la réalité de l’inculture virtuelle et du monde construit pour la servir.

Tout cela explique pourquoi Marx méprisait la classe sociale la moins touchée par l’industrialisation, à savoir la paysannerie. Marx (comme Platon) n’avait aucun intérêt pour les leçons que la nature sauvage pouvait offrir à l’homme, et préconisait en réalité la fin de la production rurale à petite échelle. Il souhaitait qu’on applique à l’agriculture "les méthodes modernes, telles que l’irrigation, le drainage, le labourage à la vapeur, le traitement chimique et ainsi de suite…" et qu’on cultive la terre "à grande échelle", dans ce que nous appellerions aujourd’hui une ferme "monoculturale". En fin de compte, l’extermination de la nature biodiverse et des vies conscientes de ceux qu’elle nourrissait ne le concernait pas vraiment, comme elle ne concerne pas ceux qui, malgré leur pompeuse rhétorique "écoresponsable", sont toujours engagés dans la destruction de l’autosuffisance et de l’indépendance rurale.

Auteur: Allen Darren

Info: https://expressiveegg.org/2022/11/05/adieu-monsieur-marx/

[ critique ] [ historique ]

 
Commentaires: 2
Ajouté à la BD par Coli Masson

visionnaires

Le philosophe publie Autodafés : l’art de détruire les livres (Presses de la Cité), qui rassemble ses analyses publiées dans le Point sur quelques penseurs hétérodoxes récents.

Il paraît que des abonnés se seraient retirés de cette excellente revue qu’est Front Populaire au prétexte de la position très lucide et humainement irréfutable de Michel Onfray en faveur de la vaccination.

Je n’ai pas la prétention de les faire revenir mais j’aimerais au moins tenter ma chance parce que Michel Onfray vient de publier aux Presses de la Cité un étincelant essai, qui est aussi un pamphlet dévastateur, dont le titre Autodafés, et le sous-titre : L’art de détruire les livres, révèlent bien la substance.

Celle-ci consiste à dénoncer la manière dont des ouvrages capitaux pour la compréhension de la société et du monde, géniaux à cause de l’anticipation des dangers, salubres pour la révélation des horreurs ignorées ou occultées par l’idéologie, ont été longtemps interdits, censurés, étouffés pour la simple et triste raison qu’ils disaient tous la vérité.

Qu’on en juge : Simon Leys pour les Habits neufs du président Mao, Soljenitsyne et l’Archipel du Goulag, Paul Yonnet contre un certain antiracisme dans Voyage au centre du malaise français, Samuel Huntington prophétisant Le Choc des civilisations, la mise à bas du mythe d’un islam civilisateur de l’Occident dans Aristote au mont Saint-Michel de Sylvain Gouguenheim et enfin, sous la direction de Catherine Meyer, Le Livre noir de la psychanalyse la ridiculisant.

Exercices de démolition

Michel Onfray ne se contente pas de décrire brillamment le bienfaisant scandale que ces bombes ont créé lors de leur publication mais, avec une cruauté jouissive, accable le milieu germanopratin, un mélange prétendument progressiste de philosophes égarés, d’écrivains énamourés, de journalistes perdus, de sociologues confus et d’idéologues aveugles parce qu’ils souhaitaient plus que tout être aveuglés. Pour qui est familier de l’univers de Michel Onfray et de son style qui s’adapte au genre que son infinie curiosité aborde, on devine avec quelle talentueuse et acerbe impétuosité il s’est livré dans ces exercices de démolition qui sont un régal.

Lorsqu’il regrette qu’il n’y ait jamais eu “le Nuremberg du marxisme-léninisme”, il déplore, selon une magnifique formule, que “les atrocités léninistes, trotskistes, staliniennes, bénéficient d’une extraterritorialité morale” avec la jurisprudence qui s’ensuit : on peut avoir pensé, voulu et validé le pire dans l’extrême gauche sous toutes ses latitudes et avec les honteuses complaisances qu’il est facile d’imaginer, ce ne sera jamais “un obstacle dirimant pour faire carrière”! Contrairement à ceux de l’autre bord extrême, nazis, fascistes, pétainistes, franquistes et autres, soutiens de régimes autoritaires, qui, et “c’est heureux”, seront stigmatisés à vie.

Ce qu’énonce Michel Onfray est une évidence mais son expression fait tellement peur qu’il faut lui savoir gré de la proclamer. De même d’ailleurs qu’il ne faut pas manquer d’un vrai courage intellectuel pour affirmer le délétère et malfaisant compagnonnage, malgré les apparences cherchant à sauver la mise de tel ou tel, entre Marx, Lénine, Staline et Trotski.

Michel Onfray blacklisté par France Inter

À lire Autodafés, il ne faut plus que Michel Onfray s’indigne, ou même s’étonne, de ne pas être convié sur certaines radios, par exemple France Inter où le vrai pluralisme et l’authentique liberté intellectuelle sont aussi absents que l’esprit de ses humoristes. Comment l’espace médiatique incriminé, qui n’aura aucun mal à se reconnaître, pourrait-il, avec une tolérance qui serait proche du masochisme, accueillir à bras ouverts, à intelligence curieuse, Michel Onfray qui a dressé un fulgurant acte d’accusation contre les turpitudes d’une époque où de manière indigne on vilipendait des héros de la vérité pour lesquels la littérature était un moyen de se sauver et de nous protéger.

J’aime aussi particulièrement que Autodafés batte en brèche la réputation de narcissisme et d’autarcie que des malintentionnés, des ignorants lui ont faite alors que son livre démontre le contraire. Puisqu’il le consacre à défendre des causes détachées de l’actualité, fondamentales parce qu’elles ont eu des enjeux de haute portée historique, philosophique et politique, et des personnalités qui ont honoré la pensée, le courage, la liberté et la vérité. Je n’imagine pas BHL – et de fait je ne l’ai jamais vu adopter une telle posture – se dépenser dans tous les sens du terme pour de tels combats ne rapportant rien médiatiquement et politiquement, seulement destinés à réparer des injustices anciennes, à promouvoir d’autres écrivains que lui, à rappeler leurs audaces qui n’étaient pas celles (à couvert) des champs de bataille mais infiniment plus périlleuses puisqu’elles avaient pour ennemi essentiel l’immense et étouffante chape d’idéologies que la bienséance interdisait de questionner.

Pourtant ces auteurs, que Michel Onfray a mis à l’honneur, l’ont fait et il convenait qu’avec superbe ils soient sublimés et leurs adversaires dégradés.

J’entends déjà le reproche : encore Michel Onfray, toujours Michel Onfray ! Ce n’est pas ma faute s’il a écrit Autodafés. Je ne pouvais pas me passer de lui rendre cet hommage, lui qui a su si bien se mettre au service du génie intrépide de quelques autres.

Auteur: Bilger Philippe

Info: Causeur, 2 sept 2021. Michel Onfray revient sur quelques crimes de la pensée

[ épuration ] [ damnatio memoriae ] [ baillonnés ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

écriture

Le maître du roman policier Jussi Adler-Olsen confronte le Danemark à un des épisodes les plus sordides de son histoire moderne dans Dossier 64. Entretien avec un écrivain qui place le polar au service du devoir de mémoire.
Étaient-ils bien connus au Danemark, les sordides événements de la petite île de Sprogø, demande-t-on d’emblée à Jussi Adler-Olsen? "Well, disons qu’ils le sont maintenant", répond-il sans totalement parvenir à voiler la pointe de fierté qui teinte sa voix. Comprendre : les enquêtes du trio formé de Mørck, Assad et Rose, équipe spécialisée dans les cold cases (les cas non résolus), sont à ce point populaires qu’elles ont le pouvoir de transformer n’importe quel chapitre obscur ou oublié de l’histoire en sujet d’actualité. "Je suis heureux que plusieurs journalistes aient donné la parole à ces femmes depuis la parution du roman."
De 1922 à 1961, ce sont des milliers de femmes qui auront été isolées de force sur cette île alors accessible seulement par bateau, "un vrai Alcatraz", dit Adler-Olsen. Filles-mères, adolescentes à la santé mentale fragile, drop-outs en tous genres; ces jeunes marginales seront pour la plupart stérilisées, avec la bénédiction de l’État, afin de stopper la dissémination des "mauvais gènes" dont elles sont porteuses. De l’eugénisme pur déguisé en maintien de la paix sociale. Représentante fictionnelle de ces victimes dans le quatrième tome des enquêtes du département V, Nette verra son passé la happer de plein fouet, comme un boomerang rappliquant depuis une autre vie, malgré les nombreux efforts qu’elle avait déployés depuis la fin de son internement pour reléguer aux oubliettes ce sombre épisode de son existence.
"Quand j’étais jeune, la majorité des Danois ne savaient pas ce qui se passait sur cette île, se rappelle l’écrivain. Mon père, psychiatre, avait travaillé dans une des institutions chargées d’évaluer les femmes envoyées là-bas. J’avais 7 ou 8 ans quand il m’a parlé de cette île que nous voyions au loin quand nous passions en ferry-boat. Mon père discutait de tout très ouvertement, c’était tout un personnage, et il m’avait dit : “Les femmes qui sont enfermées sur cette île n’ont commis aucun crime, elles y sont seulement parce qu’elles ont peut-être couché à gauche, à droite.” Ça le rendait très honteux que certains de ses collègues aient usé de leurs pouvoirs pour mettre à l’écart des gens qu’ils jugeaient indésirables."
On aura compris que, pour Adler-Olsen, le polar peut et doit servir plus que le simple et pur objectif du divertissement. Intrigue haletante et devoir de mémoire ne sont pas mutuellement exclusifs, semble-t-il répéter tout au long de ce Dossier 64, dont on tourne fébrilement les pages comme il se doit, bien qu’en prenant peu à peu la mesure de cette horreur, jusque-là occultée par l’histoire officielle. Lire le souffle court, les fesses sur le bout de son siège, n’équivaut pas forcément à lire idiot.
Déterrer ce chapitre sombre du Danemark permet aussi à l’auteur de fustiger en douce la montée de l’extrême droite, qui tente de légitimer sa haine de l’étranger dans un discours sécuritaire. Parler du passé pour souligner ce que le présent a de dégoûtant, si vous préférez. "Je ne dirais pas que le Parti populaire danois [qui prône des frontières plus étanches à l’immigration] est un parti d’extrême droite, mais il tente tranquillement de changer notre définition de ce qui est acceptable dans le débat public et de ce qui ne l’est pas, note-t-il. Ce ne sont pas des fascistes à proprement parler, ils ne font pas que du mauvais, mais on peut voir les Chemises noires se profiler entre les lignes de leurs idées."
Hommage au père d’Adler-Olsen, Dossier 64 se lit donc aussi comme une mise en garde adressée à ses compatriotes danois. "Certaines de ces femmes vivent toujours et n’ont jamais été compensées par l’État, déplore-t-il. Je ne répéterai jamais assez que ce genre d’abominations ne doit jamais, jamais se reproduire. Mon livre est peut-être une sorte de mince compensation."
L’autre Mørck
"Je pense que le thème commun à toutes les histoires que je raconte, c’est l’abus de pouvoir."
Il n’y a qu’un pas à franchir entre cette analyse et le passé de Jussi Adler-Olsen, qui a vu, des ses yeux vu, la dureté de nombreuses institutions de santé mentale, dans lesquelles il a vécu avec sa famille et son psychiatre de père. "C’était des endroits merveilleux où grandir, entourés de lacs et de forêt", lance-t-il comme pour briser le cliché d’une enfance sinistre peuplée de personnages inquiétants. "Il y avait beaucoup de garçons de mon âge, on jouait au football ensemble, on organisait des carnavals. Mon père me disait au sujet des patients : “Tu dois réaliser qu’ils ont déjà été comme toi et moi, à une certaine époque.” J’ai appris très tôt à voir derrière la façade des gens et à me méfier de l’abus de pouvoir, ce qui me sert aujourd’hui quand j’écris des livres. Mon père était gentil, mais ils étaient nombreux les médecins sans empathie qui traitaient les patients comme de la merde."
Et Jussi Adler-Olsen, jamais à court d’anecdotes, de remonter jusqu’à l’origine du nom de son antihéros, le plus bourru des enquêteurs attachants, Carl Mørck. "J’avais 5 ou 6 ans et cet homme, qui était devenu complètement fou après avoir tué sa femme, est devenu mon meilleur ami. Il était très gentil… si on exclut le fait qu’il avait tué sa femme. Mon père disait, pour dédramatiser la situation : “Ils se battaient sa femme et lui comme chien et chat. Il était le chien et il a gagné.” La médication l’avait rendu raisonnable à nouveau. Je me promenais partout avec lui dans l’institution. Il s’appelait Mørck."
Quant aux critiques qui reprochent à Adler-Olsen d’avoir dépeint à trop gros traits son personnage du docteur Curt Wad, leader d’extrême droite, il réplique : "Hitler, W. Bush, Mussolini, Berlusconi se comportaient tous comme des caricatures, vous savez".
Roman sur le passé qui revient hanter le présent comme un cadavre qui remonterait à la surface d’une mer étale, Dossier 64 rappelle que le spectre de l’horreur guette toujours, même quand le soleil brille. "En temps normal, le Danemark, comme le Canada j’imagine, est un des plus merveilleux endroits où vivre. Et c’est précisément pour cette raison qu’il ne faut pas oublier, qu’il faut prendre soin de notre climat social. Tout ça est très fragile."

Auteur: Tardif Dominic

Info: Jussi Adler-Olsen : Le polar et la mémoire, https://revue.leslibraires.ca, 07/04/2014

[ jeunesse ]

 

Commentaires: 0

compromission

En mai 68 mai et dans le sillage de l’événement sont apparus de nouveaux thèmes portant sur la sexualité, l’éducation des enfants, la psychiatrie, la culture, qui sont venus interpeller les schémas de la lutte des classes et les idéologies de l’extrême gauche traditionnelle. Le gauchisme culturel naît précisément dans ce cadre et c’est lui qui va le premier déplacer l’axe central de la contestation vers les questions sociétales, à la manière de l’époque, c’est-à-dire de façon radicale et délibérément provocatrice. Il est ainsi devenu le vecteur d’une révolution culturelle qui a mis à mal l’orthodoxie des groupuscules d’extrême-gauche, avant de concerner l’ensemble de la gauche et de se répandre dans la société. Quand on étudie la littérature gauchiste de l’immédiat après-Mai, on est frappé de retrouver nombre de thèmes du gauchisme culturel d’aujourd’hui, mais, en même temps, ces derniers semblent bien mièvres et presque banalisés en regard de la rage dont faisaient preuve les révolutionnaires de l’époque. Leur remise en question radicale a concerné bien des domaines dont nous ne pouvons rendre compte dans le cadre limité de cet article 34. Mais il suffit d’évoquer ce qu’il en fut en matière de mœurs et de sexualité au début des années 1970 pour mieux cerner le fossé qui nous sépare du présent. Le désir était alors brandi comme une arme de subversion de l’ordre établi qui devait faire sauter tous les interdits, les tabous et les barrières. Il s’agissait de faire tomber tous les masques, en pourchassant les justifications et les refoulements au cœur même des discours les plus rationnels et les plus savants. Être "authentique", c’était oser, si l’on peut dire, regarder le désir en face et ne plus craindre d’exprimer en toute liberté le chaos que l’on porte en soi. C’est sans doute pour cette raison que sur le front du désir la classe ouvrière a pu apparaître muette à beaucoup.

Les religions juives et chrétiennes, la "morale bourgeoise", l’idéologie, le capitalisme réprimaient le désir, il s’agissait alors ouvertement de tout mettre à bas pour le libérer. Le mariage et la famille n’échappaient pas à un pareil traitement. Ils étaient considérés comme un dispositif central dans ce vaste système de répression, la cellule de base du système visant à castrer et à domestiquer le désir en le ramenant dans les credo de la normalité. Les lesbiennes et les gays revendiquaient clairement leur différence en n’épargnant pas les " hétéro-flics", la "virilité fasciste", le patriarcat. Il était alors totalement exclu de se marier et de rentrer dans le rang.

On peut mesurer les différences et le chemin parcouru depuis lors. Nous sommes passés d’une dynamique de transgression à une banalisation paradoxale qui entend jouer sur tous les plans à la fois: celui de la figure du contestataire de l’ordre établi, celui de la minorité opprimée, celui de la victime ayant des droits et exigeant de l’État qu’il satisfasse au plus vite ses revendications, celui du Républicain qui défend la valeur d’égalité, celui du bon père et de la bonne mère de famille…

Mais, en même temps, force est de constater que nombre de thèmes de l’époque font écho aux postures d’aujourd’hui. Il en est ainsi du culte des sentiments développé particulièrement au sein du MLF. Renversant la perspective du militantisme traditionnel, il s’agissait déjà de partir de soi, de son "vécu quotidien", de partager ce vécu avec d’autres et de le faire connaître publiquement. On soulignait déjà l’importance d’une parole au plus près des affects et des sentiments. Alors que l’éducation voulait apprendre à les dominer, il fallait au contraire ne plus craindre de se laisser porter par eux. Ils exprimaient une révolte à l’état brut et une vérité bien plus forte que celle qui s’exprime à travers la prédominance accordée à la raison. À l’inverse de l’idée selon laquelle il ne fallait pas mêler les sentiments personnels et la politique, il s’agissait tout au contraire de faire de la politique à partir des sentiments. Trois préceptes du MLF nous paraissent condenser le renversement qui s’opère dès cette période: "Le personnel est politique et le politique est personnel";  "Nous avons été dupés par l’idéologie dominante qui fait comme si “la vie publique” était gouvernée par d’autres principes que la vie privée”; "Dans nos groupes, partageons nos sentiments et rassemblons-les et voyons où ils nous mèneront. Ils nous mèneront aux idées puis à l’action". Ces préceptes condensent une nouvelle façon de faire de la "politique" qui fera de nombreux adeptes.

Resterait à tracer la genèse de ce curieux destin du gauchisme culturel jusqu’à aujourd’hui, la perpétuation de certains de ses thèmes et leur transformation. L’analyse de l’ensemble du parcours reste à faire, mais cette dernière implique à notre sens la prise en compte du croisement qui s’est opéré entre ce gauchisme de première génération avec au moins trois grands courants: le christianisme de gauche, l’écologie politique et les droits de l’homme. C’est dans la rencontre avec ces courants que le gauchisme culturel s’est pacifié, pris un côté boy-scout et faussement gentillet, et qu’il s’est mis à revendiquer des droits. Mais c’est surtout dans les années 1980 que le gauchisme culturel va recevoir sa consécration définitive dans le champ politique, plus précisément au tournant des années 1983-1984, au moment où la gauche change de politique économique sans le dire clairement et entame la "modernisation " Le gauchisme culturel va alors servir de substitut à la crise de sa doctrine et masquer un changement de politique économique mal assumé. À partir de ce moment, la gauche au pouvoir va intégrer l’héritage impossible de mai 68, faire du surf sur les évolutions dans tous les domaines, et apparaître clairement aux yeux de l’opinion comme étant à l’avant-garde dans le bouleversement des mœurs et de la "culture". Nous ne sommes pas sortis de cette situation.

Au terme de ce parcours qui rend compte des glissements opérés par la gauche et de l’influence du gauchisme culturel en son sein, il nous paraît possible de poser sans détour ce qui n’est plus tout à fait une hypothèse: nous assistons à la fin d’un cycle historique dont les origines remontent au XIXe siècle; la gauche a atteint son point avancé de décomposition, elle est passée à autre chose tout en continuant de faire semblant qu’il n’en est rien; il n’est pas sûr qu’elle puisse s’en remettre. Le gauchisme culturel, qui est devenu hégémonique à gauche et dans la société, a été un vecteur de cette décomposition et son antilibéralisme intellectuel, pour ne pas dire sa bêtise, est un des principaux freins à son renouvellement. La gauche est-elle capable de rompre clairement avec lui ? Rien n’est certain étant donné la prégnance de ses postures et de ses schémas de pensée.


Auteur: Le Goff Jean-Pierre

Info: "Du gauchisme culturel et de ses avatars" , Le Débat n° 176, septembre-octobre 2013, p.49-55.

[ hypocrisie ] [ détournement ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

infox

Avons-nous une information économique indépendante? Cet ouvrage est un guide sans complaisance pour comprendre l’était réel de l’économie — inflation, chômage, propriété, retraites, contenus sponsorisés — loin du chichi et du marketing.

Si vous avez fait le plein d’essence dernièrement, vous avez vu la pompe indiquer 130, voire 140 francs suivant la taille de votre réservoir. Pourtant, votre coût de la vie est mal reflété par les statistiques de l’inflation. Celle-ci était déjà une réalité de votre quotidien avant le Covid et avant la guerre en Ukraine, mais l’indice officiel ne vous renseignait que peu sur votre pouvoir d’achat.

L'immobilier s'est envolé

Depuis quelques années, vous avez sans doute constaté que les prix de l’immobilier ont fortement augmenté en Suisse. Vous aurez noté que certes, les taux hypothécaires s’affichent au plancher, à 1%, mais que les jeunes couples peinent à emprunter à la banque pour acquérir un bien à 1 million, s’ils gagnent moins de 180'000 francs. Peut-être avez-vous vu passer le fait qu’en Suisse, la part des ménages propriétaires de leur logement est tombée de 48% à 37% sur la décennie. Ailleurs, les problématiques sont similaires. En France, le logement ne pèse que 6% dans l’indice calculé par l’Insee, alors que chez une partie des locataires, la part des loyers est de 20% du budget et chez une partie des propriétaires, le remboursement des emprunts s’élève à 25% du budget.

Les primes maladies en forte hausse

Vous avez peut-être aussi vu que les primes maladie en Suisse se sont envolées (de 70%) alors même que l’inflation officielle était donnée à 0%, entre 2008 et 2018, et que les salaires n’ont pas été ajustés en conséquence. Vous avez peut-être cherché l’indice des primes maladie de la Confédération, calculé séparément, mais vous avez vu que même lui traduit mal l’impact beaucoup plus fort des hausses de primes sur les bas revenus que sur les hauts revenus, et que son utilité s’avère limitée.

Vous aurez peut-être vu que le nombre de ménages subventionnés pour payer l’assurance maladie a doublé depuis 1996, ce qui peut étonner dans un pays aussi riche que la Suisse. Le nombre de bénéficiaires a augmenté deux fois plus vite que la population, et le montant du subside moyen versé par assuré a triplé depuis 1996.

Et l'inflation, dans tout ça?

Une statistique de l’inflation qui, dans les pays développés, n’informe pas sur le coût de la vie, car elle exclut à peu près tout ce qui monte (assurances, logement, bourse, et dont l’indice étroit exclut l’alimentation et l’énergie): qu’est-ce que cela apporte, à part une image lustrée, peu en phase avec le quotidien de millions de ménages et peu propice à une adaptation des salaires?

Vous avez peut-être constaté que vos avoirs de 2ème pilier n’avaient pas beaucoup bénéficié de l’envolée phénoménale de la bourse ces dix dernières années. La priorité des caisses de pension a été d’alimenter les réserves pour longévité, et c’est tant mieux, mais ça met à mal le lieu commun qui veut que "quand la bourse monte, on est tous gagnants".

Les salariés, grands perdants du siècle

Vous saviez peut-être qu’à cotisations égales, les assurés d’aujourd’hui toucheront 30% moins de deuxième pilier que les générations précédentes. Et que la part de la population directement exposée à la bourse via des portefeuilles d’investissements ne dépasse pas les 10% aux Etats-Unis et probablement aussi en Europe, confirmant que la bourse n’est pas une richesse collective et que la stagnation des salaires a détérioré le pouvoir d’achat de ceux, largement majoritaires, qui dépendent exclusivement de ce revenu.

Peut-être avez-vous également noté que les chiffres du chômage en Suisse, donnés à 2,5%, n’incluent pas les inactifs et les fins de droit, sortis des statistiques, et ne tiennent pas compte du phénomène de sous-emploi, des CDD chez les jeunes ou du chômage des seniors, qui sont en nette hausse.

Dans cet ouvrage il est question de tous ces chiffres qui minimisent les aspects moins reluisants de notre économie, et dont j’observe la faible valeur informative depuis deux décennies de journalisme économique.

Les fake news économiques, un fléau moderne

Tout cela pour dire que la désinformation économique existe dans les pays développés. Les statistiques officielles sont aussi enjolivées, parfois: les déficits budgétaires européens ont été retouchés par tous les pays de l’UE, et pas seulement par la Grèce. On fait dire beaucoup de choses à une statistique de PIB, alors que sa croissance est souvent surestimée par une inflation calculée trop bas.

On publie le chiffre initial du PIB, puis sa version révisée et plus correcte vient plus tard ; mais seul le chiffre initial, souvent trop flatteur, sera largement diffusé. Un PIB devrait être complété par nombre d’indicateurs démographiques et de développement humain si l’on veut avoir une image réaliste de la performance d’un pays.

Du côté corporate, lorsqu’on lit un rapport annuel d’entreprise, on comprend vite que tant de transparence va nous noyer. Parfois, certains rapports annuels font 500 pages, et pourtant, l’essentiel n’y figure pas toujours, ou n’est pas facile à trouver. Les comptes de Credit Suisse ne disaient rien de l’exposition au fonds spéculatif Archegos, qui lui a valu une perte de 5 milliards.

Les comptes d’UBS ne disaient pas un mot de l’exposition aux subprimes américains, qui a duré des années et a constitué une part majeure des profits du groupe. Chez la plupart des multinationales, beaucoup trop de pages technico-légales noient l’information pertinente des comptes, et encore plus de pages sur la responsabilité sociale et environnementale assomment le lecteur par un marketing qui confine dans certains cas au greenwashing. C’est pourquoi j’ai voulu attirer l’attention des lecteurs, à travers cet ouvrage ici résumé, sur les nombreuses imperfections de l’information économique et financière.

Comment bien s'informer aujourd'hui en matière économique?

De nombreux autres exemples sont abordés dans le livre, et notamment le cas des fuites des paradis fiscaux divulgués par des consortiums de journalistes sur la base de sources anonymes, la question du financement des médias et des conflits d’intérêts potentiels, la manipulation des cours de l’or et ses conséquences, les campagnes de désinformation orchestrées par des agences de propagande de plus en plus actives, l’essor du marketing et de la publicité qui ne pose nul problème en soi, sauf quand ces contenus pénètrent l’information économique indépendante, et aussi l’essor des entreprises en tant que médias, avec des moyens démultipliés, et la question de l’indépendance de l’information.

Comment bien s’informer aujourd’hui en matière économique? Cet ouvrage sans complaisance se veut un guide face à toutes ces façons qu’a l’information, dans les pays développés, de se brouiller, de se diluer, de s’embellir, de perdre son indépendance, son objectivité, son utilité sociale et son rôle au service de l’intérêt public. La politisation des chiffres et l’embellissement des statistiques officielles sont souvent masquées par l’extrême mathématisation des indices.

On croirait qu’il s’agit de sciences dures, apolitiques, alors qu’en réalité, derrière chaque chiffre, il y a des postulats et des choix de société. Mieux s’informer sur l’état réel de nos sociétés, recouper les informations, n’a jamais été aussi primordial. Après avoir lu cet ouvrage, vous ne prendrez plus les statistiques officielles ou les concepts à la mode pour argent comptant. Et c’est tout ce que je vous souhaite. 

Auteur: Zaki Myret

Info: Désinformation économique, février 2022, éditions Favre. https://www.blick.ch/

[ idées fausses ] [ hyperinflation ] [ contrevérités ] [ euphémismes ] [ pouvoir informationnel ] [ soft power financier ] [ Helvétie ] [ dissimulation ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

russie - occident

Publié il y a près d’un an, alors que l’invasion russe de l’Ukraine ne faisait que commencer, Le mage du Kremlin (Gallimard) a reçu à l’automne le prix de l’Académie française, et a manqué de très peu de remporter aussi le prix Goncourt.

Son auteur, Giuliano Da Empoli, Italo-suisse né en 1973, est le fils d’un conseiller politique blessé lors d’un attentat en 1986. Il a lui-même été conseiller politique pour Matteo Renzi. 

Politique-fiction

Depuis le succès de son livre, qui mêle politique et littérature, on voit régulièrement passer sa chevelure grisonnante sur les télévisions et les radios françaises. Avec son léger accent italien trainant, il y gratifie ses auditeurs de formules marquantes, comme, par exemple "j’ai l’habitude de dire que l’Italie est la Silicon Valley du populisme".

Le Russe Vladislav Sourkov, cofondateur du parti Russie unie, qui mena Vladimir Poutine au pouvoir, photographié ici en 2010. Photo : Wikimedia Commons.

L’ouvrage se penche sur un personnage énigmatique, Vadim Baranov, largement inspiré par Vladislav Sourkov, conseiller politique et idéologue de Vladimir Poutine depuis la fin des années 1990 jusqu’à sa prise de distance avec le Kremlin, en 2020. Au milieu des anciens du KGB, Sourkov, fan de John Lennon et du rappeur Tupac, détonnait quelque peu. En quelque sorte, il était l’un des derniers vestiges, sous l’ère Poutine, de la Russie hédoniste des années 1990, même s’il a lui aussi participé à la forte verticalisation du pouvoir. 

Un grand-père aristo, un père communiste

La part de fiction qu’ajoute Da Empoli semble se résumer à l’histoire d’amour compliquée de Baranov ("il n’existe pas une femme qui soit aussi précieuse que la vérité qu’elle nous révèle en nous faisant souffrir"), à sa solide culture classique, très française, pétrie de citations de Chamfort et de La Bruyère, et à sa généalogie. 

Baranov est le petit-fils d’un aristocrate excentrique, insolent à l’égard du pouvoir soviétique, qui "se serait fait pendre plutôt que de renoncer à un bon mot". Et le fils d’un apparatchik conformiste, qui a mené sa fronde à l’égard du paternel en adhérant totalement au régime communiste. "Je peux comprendre. C’est aussi une rébellion à sa façon. Quand tu grandis auprès d’un personnage tellement hors du commun, la seule révolte possible est le conformisme".

Quatre décennies de politique russe

Au tout début du roman, un narrateur français, de passage en Russie, échange avec un inconnu sur Twitter à coup d’allusions à Evgueni Zamiatine, auteur de science-fiction et compagnon de route très rapidement désillusionné de la Révolution de 1917. Un beau jour, il se laisse entrainer dans une grosse berline qui parcourt les kilomètres dans la forêt russe, avec une inquiétude montante au fil des heures : "La curiosité amusée qui m’avait habité jusque-là était en train de faire place à une certaine appréhension. En Russie, me disais-je, tout se passe en général très bien, mais quand les choses vont mal, elles vont vraiment très mal. À Paris, la pire chose qui puisse vous arriver c’est un restaurant surestimé, le regard méprisant d’une jolie fille, une amende. À Moscou, la gamme des expériences déplaisantes est considérablement plus vaste". Le narrateur se retrouve dans la riche demeure de Vadim Baranov et laisse débuter le long monologue de son hôte qui passe en revue quatre décennies de vie politique russe. Baranov raconte sa jeunesse soviétique et les paniers de victuailles réservés aux hauts fonctionnaires, puis la parenthèse libérale de la décennie 90, au cours de laquelle Baranov devient producteur d’une télévision plus trash encore que celle de l’Occident de la même époque, et l’ascension de Poutine, que l’oligarque Boris Berezovski vient dénicher dans les profondeurs du deep state. 

La première rencontre entre Poutine et Baranov, présentés l’un à l’autre par Berezovsky, est marquante : à ce moment-là, "le Tsar n’était pas encore le Tsar" ; c’est un fonctionnaire un peu terne, la main presque moite, à l’air un peu idiot. Bref, l’homme idéal selon Berezovsky (le vrai maître de la Russie de cette époque) pour donner un tour de vis au régime russe sans sacrifier pour autant les privilèges glanés par les oligarques. Avoir l’air un peu idiot n’a jamais été une mauvaise chose en politique : Louis-Napoléon Bonaparte avait volontiers joué ce jeu auprès des tenants de la droite de son époque, avant de ravir le pouvoir pendant plus de deux décennies. Juan Carlos avait également usé de la même stratégie auprès de Franco : "Faire l’idiot est une discipline fatigante, très dure pour les nerfs", confia-t-il plus tard. 

Berezovsky, capable, lui, de combiner à un haut niveau "intelligence pointue" et "stupidité abyssale", s’aperçoit mais un peu tard qu’il ne maîtrise plus du tout sa créature politique.

Hantises obsidionales et égo russes

Da Empoli parvient à se placer dans la tête du conseiller russe, à restituer les hantises obsidionales d’un pays qui se sent encerclé et qui a eu le sentiment d’être humilié par l’Occident pendant toutes les années 1990. On se souvient de la fameuse scène du fou rire de Clinton face à un Eltsine ivre mort et l’on se dit, nostalgiques, que le monde était globalement plus sûr quand nous étions coincés entre une Russie gouvernée par un alcoolique et une Amérique par un obsédé sexuel. Si la séquence a alimenté pendant des années le bêtisier des Enfants de la télé, elle a aussi mis plus bas que terre l’égo national russe. Lors de la première rencontre Poutine-Clinton, le nouveau président russe fixe tout de suite les nouvelles règles.  Baranov raconte : "Avec lui ce serait différent. Plus de claques dans le dos ni de gros rires. Clinton a été déçu, c’est évident. Il pensait que désormais tous les présidents russes seraient de braves portiers d’hôtels, gardiens des plus vastes ressources de gaz de la planète pour le compte de multinationales américaines. Pour une fois, lui et ses conseillers sont repartis un peu moins souriants que lorsqu’ils sont arrivés". Da Empoli restitue donc la mentalité du conseiller russe, sans entrer dans le jeu de la propagande russe. De toute façon, Baranov-Sourkov est un peu trop décalé, un peu trop occidental pour être totalement dupe de celle-ci.

Écrit avant le début de l’invasion russe, le livre n’avait évidemment pas anticipé le contexte actuel explosif. L’Ukraine n’est toutefois pas absente du roman, Baranov ayant observé attentivement la contestation ukrainienne des élections de 2004 autour d’une jeunesse rassemblée sur la place Maïdan et appuyée notamment par l’argent de Berezovsky. Cette subversion ukrainienne va inspirer directement le régime russe, qui va tenter de se mettre dans la poche tout ce que la Russie compte de marginaux et de subversifs, des bikers aux communistes en passant par l’extrême-droite, afin de maîtriser le mouvement. Baranov reçoit dans son bureau du Kremlin un certain Zaldostanov, chef d’un gang de motards. Baranov le met rapidement au service du pouvoir, grâce à une observation politique froide et clinique : "J’ai pu constater à plusieurs reprises que les rebelles les plus féroces sont parmi les sujets les plus sensibles à la pompe du pouvoir. Et plus ils grognent quand ils sont devant la porte, plus ils glapissent de joie une fois passé le seuil. Contrairement aux notables, qui cachent parfois des pulsions anarchiques sous l’habitude des dorures, les rebelles sont immanquablement éblouis comme les animaux sauvages face aux phares des routiers".

Porté par son écriture mais aussi par l’actualité, le livre connait un grand succès et a fait l’objet de plusieurs tirages depuis sa sortie. Un livre que l’auteur n’écrirait peut-être plus aujourd’hui. En décembre dernier, dans l’Express, il confiait : "il y a quelques années, Vladislav Sourkov m’apparaissait comme un personnage romanesque. C’était déjà un "méchant", mais il était aussi féru de théâtre d’avant-garde et présentait un profil atypique pour un homme de pouvoir. J’ai écrit Le Mage du Kremlin dans un autre contexte. Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, je n’en aurais plus envie… 



 

Auteur: Magellan Frédéric

Info: Causeur.fr, 20 février 2023. Giuliano Da Empoli n’écrirait plus “Le mage du Kremlin”, aujourd’hui

[ littérature ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

boomers vs wokes

Kompromat à la française - Pour avoir réussi un coup de maître – faire signer 50 artistes pour défendre Gérard Depardieu – Yannis Ezziadi est à son tour lynché. Cette affaire restera un cas d’école de la mécanique de la Terreur qui veut en finir avec toute singularité.



Pouvez-vous expliquer ces blagues ? Dans le brouhaha malveillant orchestré autour de la tribune de 50 artistes et assimilés pour Depardieu et de son auteur, notre ami Yannis Ezziadi, cette question que lui a adressée Marine Turchi dit la vérité la plus profonde de toute cette affaire (et de pas mal d’autres).



Dans le monde rêvé des néo-féministes en particulier et des wokistes en général, tout passe au hachoir de l’esprit de sérieux : l’art, la littérature, le sexe (abaissé à un ennuyeux pacte contractuel) et l’humour lui-même, prié de participer à la rééducation des masses boomeuses et dépravées.



Pour bien faire comprendre la dangerosité du gars, il me faut reproduire quelques-unes de ces plaisanteries citées à comparaître. Pour vous, c’est cadeau. D’abord, il y a cette citation de Courteline, postée en 2013 (les fouilleurs de poubelles numériques sont consciencieux):  L’homme est le seul mâle qui batte sa femelle. Il est donc le plus brutal des mâles, à moins que, de toutes les femelles, la femme soit la plus insupportable. Le petit malin (il avait 22 ans), avait assorti la citation de ce commentaire :  Je vais me faire lyncher, mais c’est tellement drôle.  Plus grave, car sortie du cerveau malade de l’auteur, cette blague de février 2021 : Pour les accusations de violences sexuelles, heureusement, ce ne sera pas comme pour le Covid. Une fois que la majorité des hommes aura été accusée de viol et d’inceste, ils seront peut-être protégés par l’immunité collective. C’est le seul espoir… Espoir fortement déçu. Si ça vous a fait marrer, votre compte est bon : vous êtes un défenseur des violences sexistes-et-sexuelles et un amateur de violences conjugales. Ou le contraire.



Vous avez le droit de rire, à condition que ce rire ne soit jamais traversé de mauvaises pensées. J’aimerais bien savoir à quoi sert l’humour s’il n’est pas le sauf-conduit de nos mauvaises pensées, le refuge du négatif. Si ça se trouve, nos mangeuses d’hommes n’ont jamais de mauvaises pensées. Les pauvres. Et pauvres de nous. Le règne de la positivité, du premier degré, de la transparence est ce qui s’apparente le plus au meilleur des mondes. C’est-à-dire à l’enfer.



Mais je reviens à mes moutons, en l’occurrence au bouc. Pour ceux qui l’ignorent, Marine Turchi, qui officie à Mediapart, est à la nouvelle terreur féministe ce que Vychinski était au stalinisme. Procureur implacable, elle est capable d’écouter des dizaines d’heure du Masque et la plume , pour révéler qu’on y a dit 32 fois salope ou entendu 41 blagues sexistes (les chiffres sont fantaisistes). Il faut lui reconnaître  une certaine conscience professionnelle. Turchi monte ses dossiers. Et bien sûr, elle donne la parole à l’accusé, parole qui se retrouve généralement noyée entre les témoignages accusatoires. Turchi exerce sa charge avec une certaine froideur, alors qu’Ariane Chemin, qui requiert au Monde, semble animée par la passion de nuire. Mais les deux, formées à l’école Plenel, ont le même talent pour construire et imposer un récit totalement fantasmé des faits qu’elles évoquent. En l’occurrence, elles ont réussi à faire passer l’initiative d’un franc-tireur baroque et flamboyant pour une opération d’extrême droite, orchestrée par "la galaxie Bolloré " pour faire main basse sur le monde de la culture – galaxie, ça vous a un petit air Guerre des étoiles, bien contre mal etc. Ces affabulations complotistes ont suffi à déclencher une chasse à l’homme.



Pour les historiens qui étudieront le totalitarisme sans goulag (analysé par Mathieu Bock-Côté dans son dernier livre) et se demanderont comment des peuples cultivés ont pu se laisser déposséder de leurs libertés sans la moindre contrainte militaire ou physique, l’affaire de la pétition Depardieu sera un cas d’école. Un modèle d’efficacité de la mécanique de la terreur.



Premier acte : panique au quartier général.



Cinquante-six artistes et producteurs dénoncent le lynchage de Depardieu. Un bras d’honneur à la loi du Milieu. Un artiste peut à la limite se taire (bien que cela soit parfois suspect). Mais s’il l’ouvre, il n’a qu’un droit : celui d’énoncer les poncifs du progressisme prêchi-prêcheur, en commençant par quelques génuflexions devant la révolution #metoo. S’il veut cocher toutes les cases, il peut lutter contre la loi scélérate sur les retraites (Bosser jusqu’à 63 ans, jamais !), dénoncer les crimes climatiques des riches et des ploucs, manifester (dans son salon) pour l’accueil des migrants. Cependant, s’il n’a pas le temps de dispenser sa compassion à tout-va, une cause contient toutes les autres, la lutte contre l’extrême droite. C’est la formule magique, la carte du Parti. Qui, en plus d’offrir à son détenteur la considération de France Inter lui permet de bosser.



Sans la sortie d’Emmanuel Macron, qui a déclaré quelques jours plus tôt que Depardieu faisait la fierté de la France, l’affaire en serait peut-être restée là. Du reste, sans l’encouragement présidentiel, les signataires auraient certainement été moins nombreux et moins titrés. Cette fois, il ne s’agit pas des sans-grades de l’intermittence du spectacle, ni de réacs estampillés, mais de stars. Certaines sont sur le retour ou en fin de carrière (ce qui permettra à d’élégants plumitifs de calculer l’âge moyen des signataires), d’autres sont inconnus, mais il y a aussi des comédiens bankables, dont les noms aident à monter un film.



C’est bien ce qui enrage le clergé médiatico-culturel, habitué à voir ses excommunications et proscriptions appliquées sans protestations. La volaille qui fait l’opinion sent le danger : sous peine de voir son pouvoir d’intimidation ébranlé, il lui faut frapper fort. On peut compter sur la police politique.



Acte II. On discrédite le message.



C’est simple : il n’y a qu’à saucissonner le texte en lui faisant dire ce qu’il ne dit pas – que Depardieu a tous les droits, y compris de cuissage. Peut-être y a-t-il des maladresses de rédaction, le texte n’établissant pas assez clairement la différence entre des accusations de viol et des blagues obscènes. Reste que 55 personnes l’ont signé en connaissance de cause – le seul à avoir longuement essayé d’introduire des modifications a été Yvan Attal qui, malgré ces désaccords, a maintenu sa signature. Des agents, des avocats l’ont lu, beaucoup ont dissuadé leurs clients de signer, d’autres ont approuvé des deux mains.



A lire aussi, Dominique Labarrière: Affaire Depardieu: la bourgeoisie de farces et attrapes dans tous ses états



Que ce texte choque, c’est naturel, mais pas pour les raisons invoquées par les milices vigilantes qui sévissent dans les égouts numériques. Le scandale c’est que des artistes puissent adopter le point de vue de l’art plutôt que celui de la morale. Qu’ils affirment clairement que le génie de l’artiste leur importe plus que les agissements de l’homme – cela ne signifie pas que l’un excuse les autres. L’histoire retiendra-t-elle de Picasso qu’il a mal traité ses femmes ou été un artiste de génie ? La réponse à cette question dépendra de l’issue de la guerre idéologique entre les déconstructeurs et les héritiers. En attendant, ce ne sont pas des hommes déconstruits qui ont fait l’histoire de l’art. Ni l’histoire tout court.



Les maîtresses d’école[1] qui surveillent le débat public n’entendent rien à cette grammaire qui échappe aux cadres rigides structurant leur pensée. Elles se contentent de distribuer froncements de sourcils et coups de règles aux signataires. Ils n’ont pas un mot pour les victimes (qui sont en réalité des plaignantes), preuve qu’ils sont solidaires des agresseurs, violeurs et autres pédophiles. Ces premières sommations entraînent déjà quelques défections, sur le mode " J’avais mal lu " voire " J’ai signé sans lire ". Mais croyez-le bien je pense tous les jours aux violences contre les femmes.



Acte III. On brûle le messager.



Là, on ne rigole plus. La hauteur de l’affront exige une victime expiatoire. Après les préliminaires, se met en branle une mécanique proprement totalitaire, de celles qui broient les individus pour la bonne cause. Dans les sacristies médiatiques, on découvre avec fureur que le diablus ex machina de cette sorcellerie est un quasi inconnu (sauf pour les heureux lecteurs de Causeur et les afficionados). Voilà un type qui prétend avoir, avec ses petits bras, convaincu des vedettes comme Bertrand Blier, Carole Bouquet ou Pierre Richard de prendre la défense d’un homme que Le Monde et Mediapart ont pourtant condamné à la mort sociale.



Il faut lui donner une leçon, à lui et à tous ceux qui l’ont suivi. Leur faire passer l’envie de récidiver. On s’intéresse donc à sa personne, débitée en tranches avec encore plus de malveillance que son texte. De ce point de vue, l’article d’Ariane Chemin mérite la médaille d’or de la dégueulasserie journalistique. Avec quelques micro-bouts de vérité, elle dresse un portrait totalement mensonger intitulé : À la source de la tribune pour Depardieu, un comédien proche des sphères identitaires et réactionnaires. Non seulement il écrit dans Causeur, mensuel dépeint, selon les médias ou les jours, comme d’extrême droite, conservateur, ultra-conservateur ou réactionnaire, mais Chemin souligne qu’il est ami avec Sarah Knafo et Eric Zemmour et qu’il fait la fête avec votre servante. À l’évidence, pour Chemin, l’amitié ne saurait tolérer la divergence. Quant à nos fêtes, elle doit s’imaginer qu’on y récite des horreurs racistes et sexistes affublés de chapeaux pointus. Nous passons en effet d’excellentes soirées à rire, nous disputer, boire, manger, danser, chanter et rire encore. Tout ce rire, c’est suspect, chef. Surtout entre gens qui ne pensent pas la même chose.



Les articles d’Ezziadi sont passés à la même moulinette diffamatoire. Le texte magnifique dans lequel il démonte la mécanique complotiste qui lui a retourné le cerveau à l’âge de 18 ans devient une preuve à charge : le gars est un « dieudonniste repenti » (ce qui signifie dieudonniste toujours). Sa charge contre Jean-Paul Rouve qui joue Matzneff en monstre et se dit fier de ne rien comprendre à son personnage est présentée comme une défense de l’écrivain à nymphettes. Pour sa défense, Ezziadi cite Bruno Ganz qui, dans la Chute, campait un Hitler diablement humain et fut honoré pour cela. Certains en concluent sans doute qu’en prime, il est nazi. Son reportage sur l’islamisation rampante de Nangis, paisible ville de Seine et Marne fait de lui un adepte de " la théorie complotiste-extrême-droite du Grand remplacement " sans que quiconque se donne la peine de réfuter les faits qu’il décrit – et pour cause. Et quand il affirme, sur LCI, que les hommes ont peur, son interlocutrice, une péronnelle blonde à l’air méchant, le toise, semblant penser qu’ils ont bien raison d’avoir peur, toi le premier. Les ligues de vertu avaient fabriqué un monstre avec Depardieu. En une semaine, elles accouchent d’une nouvelle figure du mal et du mâle à abattre.



Acte IV. La litanie des autocritiques.



Pour nombre de signataires, la pression morale et financière est insupportable. Ils n’ont pas l’habitude des flots de haine et d’injures qui s’abattent sur eux. Leurs agents les engueulent, ils se font pourrir par leurs neveux woke lors des dîners de famille, des directeurs de théâtre, des producteurs, des diffuseurs, des réalisateurs menacent à mots couverts. Ils doivent lâcher l’ennemi du Parti sous peine d’être purgé avec lui. Certains, honteux de leur propre reculade, se retirent sur la pointe des pieds, parfois après avoir adressé en privé à Ezziadi un signe amical – je suis désolé mais je n’ai pas le choix. Jacques Weber pleurniche, écrivant curieusement que sa signature était un  " autre viol  " – son respect de la présomption d’innocence aura duré deux semaines. D’autres en rajoutent dans l’adoration de la Révolution, braillent comme des pourceaux, jurant qu’ils ont été trahis, manipulés, envoutés par un petit comploteur d’extrême droite. Puisque Le Monde le dit, il ne leur vient même pas à l’esprit de se poser une question. Comme me l’écrit Jonathan Siksou, " si Ariane Chemin ou BFM avait dit que Yannis était une table à roulettes ou un pélican, tout le monde le croirait ". Ils ont signé parce qu’ils croyaient que le vent avait tourné. Ils se replacent naturellement dans le sens du vent.



Le plus inquiétant est que la machine à détruire s’en prenne à un jeune homme qui n’a aucun pouvoir, sinon celui de son grand charme et du plaisir que ses amis prennent à sa compagnie. Contrairement aux consœurs qui peuvent encore briser des carrières et réduire des hommes au chômage sur la seule foi d’accusations (les femmes ne mentent jamais), Yannis Ezziadi ne peut nuire à personne. Il a effectivement monté son attentat contre la bienséance avec sa seule force de conviction. Il s’est pendu au téléphone, d’abord avec les amis, puis les amis d’amis, chacun des signataires a donné ses contacts, certains, dit « oui » puis « non » en fonction de leurs dîners de la veille.



Il n’est guère étonnant que ce dandy fantastiquement drôle qui peut pleurer de bonheur en écoutant un opéra ou en regardant une corrida enrage les vestales fanatiques de la religion des femmes et tous ceux qui, terrifiés, psalmodient derrière elles. Yannis Ezziadi possède quelque chose que ces esprits policiers haïssent parce qu’ils y ont renoncé. Cela s’appelle la liberté.



Epilogue. Le Parti a toujours raison.



Les tricoteuses féministes ont réduit au silence tous ceux qui auraient pu, qui auraient dû, se lever contre ce procès de Moscou. Beaucoup se taisent par peur d’être à leur tour soupçonnés, donc condamnés. On peut le comprendre mais ils ont tort. Pour peu qu’ils aient une sexualité vaguement débridée (quoique parfaitement légale), ils finiront, eux aussi, par être arrêtés un matin, même sans avoir jamais rien fait. Si toutes les stars de la tribune Depardieu avaient tenu bon et adressé un grand bras d’honneur aux maitres-chanteurs, le rapport de forces aurait changé. Un peu de courage ne nuit pas.



Oui, il y a des raisons d’avoir peur. L’inquisition a gagné une bataille. Si demain, plus personne n’ose sortir des clous de la bienséance, si nous acceptons docilement que Polanski, Depardieu et tant d’autres soient brûlés en place publique, que leurs œuvres soient bannies des écrans et des mémoires, elle règnera sur nos esprits. Quand on a peur de dire ce qu’on pense, on finit par avoir peur de penser.



[1] Des deux sexes mais le féminin pour tout le monde est ici parfaitement justifié

Auteur: Lévy Elisabeth

Info: Causeur, 4 janvier 2024

[ pouvoir sémantique ] [ Gaule ] [ parisianisme ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste