Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 27
Temps de recherche: 0.0347s

pressentiment

Et peu importe que ce matin-là Hélène ait vu ou non, parmi la foule hurlante, les Juifs accroupis, à quatre pattes, forcés de nettoyer les trottoirs sous le regard amusé des passants. Peu importe qu'elle ait ou non assisté à ces scènes ignobles où on leur fit brouter de l’herbe. Sa mort traduit seulement ce qu'elle ressentit, le grand malheur, la réalité hideuse, son dégoût pour un monde qu'elle vit se déployer dans sa nudité meurtrière. Car au fond, le crime était déjà là, dans les petits drapeaux, dans les sourires des jeunes filles, dans tout ce printemps perverti. Et jusque dans les rires, dans cette ferveur déchaînée, Hélène Kuhner dut sentir la haine et la jouissance. Elle a dû entrevoir - en un raptus terrifiant -, derrière ces milliers de silhouettes, de visages, des millions de forçats. Et elle a deviné, derrière la liesse effrayante, la carrière de granit de Mauthausen. Alors, elle s'est vue mourir. Dans le sourire des jeunes filles de Vienne, le 12 mars 1938, au milieu des cris de la foule, dans l’odeur fraîche des myosotis, au cœur de cette allégresse bizarre, de toute cette ferveur, elle dut éprouver un noir chagrin.

Auteur: Vuillard Eric

Info: L'ordre du jour

[ prescience ] [ entre deux guerres ] [ prémonition ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

anticipation

Il y a de très fortes chances pour qu’en 1980 des machines géantes construisent des maisons en quelques jours ; les conducteurs d’automobiles pourront jouer aux cartes avec leurs passagers, car ils se dirigeront par radar ; nous irons, d’ailleurs, en vacances en hélicoptère, et, de même qu’aujourd’hui on déboulonne des rails, peut-être verrons-nous l’herbe pousser sur nos grandes routes. Nous pouvons prévoir aussi avec certitude que notre vie quotidienne sera transformée par l’utilisation de l’énergie solaire ; que nous voyagerons par fusée d’un continent à l’autre. Le cancer sera peut-être vaincu grâce à la télévision. Le journal s’imprimera directement à domicile, par un procédé semblable à celui de nos téléscripteurs. On se nourrira d’algues et des légumes pousseront dans des usines. Paris dans 25 ans : des gratte-ciel de 200 mètres au milieu d’îlots de verdure. L’avion atomique pourra voler 6 mois sans toucher terre. La transformation du globe. Des gulf-stream artificiels pour réchauffer les pôles. Le Sahara deviendra un jardin. De l’usine "presse-bouton" au "fonctionnaire électronique". L’ "ère des loisirs" replacera l’homme devant ses problèmes les plus essentiels. La seconde révolution industrielle qui se prépare – l’automation – le libérera plus complètement. Des machines commanderont aux machines. L’homme n’aura plus à se servir que de son cerveau.

Auteur: Lacôme Pierre-François

Info: Dans "Le futur sans fiction, notre vie dans 25 ans", publié en 1958

[ idéalisation ] [ progrès ] [ espoirs ] [ futur-ancien ] [ vingtième siècle ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

interdépendance

Je vais plutôt vous raconter l’histoire d’un ver qui fait des choses incroyables. C’est un parasite de la vache. Ses oeufs se développent dans la bouse de vache. Problème : comment s’y prendre, si vous êtes un ver dans une bouse de vache, pour retourner dans une vache et boucler ainsi votre cycle vital ? Eh bien, voici une merveille de la nature. D’abord les oeufs sont mangés par des escargots dans lesquels ils se développent. Les larves se retrouvent dans la bave d’escargot dont les fourmis raffolent… À peu près la moitié des vermisseaux nouveau-nés se retrouvent ainsi dans l’estomac des fourmis. Et là, que font-ils ? Ils essaient de percer la paroi de l’estomac et cherchent à se frayer un chemin jusqu’au cerveau de la fourmi ! À peine un pour cent y parvient. Mais c’est suffisant. Celui qui y arrive modifie alors le comportement de la fourmi de telle sorte qu’elle n’ait plus désormais en tête qu’une seule idée : grimper dans l’herbe (ce que les fourmis ne font pas d’habitude), augmentant ainsi ses chances d’être broutée par une vache… À ce moment-là, la vie du ver se termine, car il n’a plus qu’à faire des oeufs dans la vache, lesquels atterriront dans une bouse de vache. J’appelle cela de l’altruisme profond…

Auteur: Stoppard Tom

Info: Au cœur du problème

[ animaux ] [ insectes ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

nature

Non mais quelle chimie !

Penser que les vents ne sont pas porteurs d’infection,

Penser qu’il n’y a pas de tromperie au ressac couleur jade translucide de l’océan qui me caresse de sa poursuite amoureuse,

Penser que je peux sans crainte lui laisser me lécher le corps par toutes ses langues,

Penser qu’il ne menacera pas ma santé de toutes ces fièvres qui ont fait dépôt en lui,

Penser que son hygiène est indéfiniment assurée,

Penser que la gorgée d’eau prise au puits a vraiment bon goût,

Penser que les mûres ont un parfum juteusement sucré,

Penser que les pommes des vergers, les oranges des orangeraies, les melons, le raisin, les pêches, les prunes ne m’empoisonneront pas,

Penser que quand je me couche dans l’herbe je n’attraperai pas de maladie,

Même s’il y a de fortes chances pour que le plus petit brin d’herbe provienne de ce qui fut naguère contagion microbienne.



Puis voici que la Terre me terrorise par son calme sa patience

Tant elle fait naître de choses douces de matières corrompues,

Tant elle tourne innocemment sur son axe immaculé dans le défilé inexorable de ses cadavres infectieux,

Tant elle distille de vents exquis à partir d’infusions de puanteur fétide,

Tant elle renouvelle dans une totale indifférence la somptuaire prodigalité de ses moissons annuelles,

Tant elle offre de matières divines aux humains en échange de tant de déchets qu’elle reçoit d’eux en retour.

Auteur: Whitman Walt

Info: Dans "Feuilles d'herbe", L'automne et ses ruisseaux, traduction Jacques Darras, éditions Gallimard, 2002, pages 494-495

[ danger ] [ comestible ] [ risques ] [ bon-mauvais ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

chronos

Dans le tiroir inférieur de la commode, je retrouve une lettre arrivée ici, une première fois, voilà vingt-six ans. Une lettre affolée, qui respire encore quand elle arrive pour la seconde fois.

Une maison a cinq fenêtres : par quatre d’entre elles, le jour brille avec calme et félicité. La cinquième fait face à un ciel noir, à l’orage et à la tempête. Je suis à la cinquième fenêtre. La lettre.

Parfois il existe un abîme entre le mardi et le mercredi, mais vingt six ans peuvent défiler en un instant. Le temps n’est pas une distance en ligne droite, mais plutôt un labyrinthe, et quand on s’appuie au mur, au bon endroit, on peut entendre des pas précipités et des voix, on peut s’entendre passer, là, de l’autre côté.

Cette lettre n’a-t-elle jamais eu de réponse ? Je n’en sais plus rien, c’était il y a si longtemps déjà. Les innombrables seuils de l’océan ont poursuivis leur marche. Le cœur a continué à bondir, de seconde en seconde, comme un crapaud dans l’herbe humide d’une nuit d’août.

Les lettres sans réponses s’amassent là-haut, comme les cirrostratus qui annoncent la tourmente. Elles ternissent les rayons du soleil. Je répondrai un jour. Un jour, lorsque je serais mort et que j’arriverai enfin à me concentrer. Ou du moins assez loin d’ici pour arriver à me retrouver. Quand je viens d’atterrir dans la grande ville et quand je longe la 125e Rue, dans le vent qui balaie la rue des ordures en fête. Moi qui aime tant flâner et me perdre dans la foule, un T majuscule dans la masse du texte sans fin.

Auteur: Tranströmer Tomas

Info: "Répondre aux lettres", in Baltiques: Œuvres complètes 1954-2004, Poche 2004 , trad Jacques Outin

[ épistoles ] [ relativité ] [ correspondance ] [ procastination ]

 
Commentaires: 2
Ajouté à la BD par miguel

pendaison

Et il se retourna et s’en alla.

          Descendant les collines il vit très clairement

Deux images dans son esprit : celle de la mort de Fawn

Avec la gorge tranchée, l’autre de lui-même qui s’était pendu,

Et il devait choisir. D’une nature honnête,

Il choisit la seconde et se pendit avec une bride en crins

Sous une poutre de la grange.

          Il n’aura plus jamais à

Brailler à la recherche de la vérité, la vérité, bien qu’elle fût

venimeuse,

Ni à sentir deux mille ans d’instruction s’affaisser sous ses pieds

Comme un plancher pourri. Il ne sentira plus le vent,

Ni le goût de la pluie, ni ne verrait à nouveau la beauté suprême de l’année, cette tempête venant du sud-est

La semaine de Noël ou du Nouvel An, quand le vent s’acharne contre le toit comme un homme vertueux

Tire son épouse infidèle par les cheveux

Du lit jusqu’à la porte, et quand sous les rugissements du ciel bleu-noir l’océan

Noir enflamme tout de son écume blanche,

Et que pas un oiseau ne vole. Ferguson ne verra pas

Ces deux goélands voler au-dessus du feu d’une soirée d’avril

Sur le genou de la montagne. L’herbe fraîche et maculée de sang,

Les veaux hurlent, les hommes sont épuisés et brutaux, le whisky est bu,

Et dans le crépuscule bleuâtre deux goélands aux ailes arquées en faux

Dérivent au-dessus de la beauté rougeoyante du feu,

Raillant, et étirant leur cou : puis quelqu’un lève les yeux

Et se fend d’une étrange pensée. Ce ne sera pas Ferguson.


Auteur: Jeffers Robinson

Info: Dans "Mara ou Tu peux en vouloir au soleil", Préface, trad. de l’anglais (États-Unis) par Cédric Barnaud, éditions Unes, 2022, pages 54-55

[ suicide ] [ mélancolie ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

progression philosophique

Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant.



Il est maint fardeau pesant pour l’esprit, pour l’esprit patient et vigoureux en qui domine le respect : sa vigueur réclame le fardeau pesant, le plus pesant.



Qu’y a-t-il de pesant ? ainsi interroge l’esprit robuste ; et il s'agenouille comme le chameau et veut un bon chargement.



Qu’y a-t-il de plus pesant ! ainsi interroge l’esprit robuste, dites-le, ô héros, afin que je le charge sur moi et que ma force se réjouisse.



N’est-ce pas cela : s’humilier pour faire souffrir son orgueil ? Faire luire sa folie pour tourner en dérision sa sagesse ?



Ou bien est-ce cela : déserter une cause, au moment où elle célèbre sa victoire ? Monter sur de hautes montagnes pour tenter le tentateur ?



Ou bien est-ce cela : se nourrir des glands et de l’herbe de la connaissance, et souffrir la faim dans son âme, pour l’amour de la vérité ?



Ou bien est-ce cela : être malade et renvoyer les consolateurs, se lier d’amitié avec des sourds qui n’entendent jamais ce que tu veux ?



Ou bien est-ce cela : descendre dans l’eau sale si c’est l’eau de la vérité et ne point repousser les grenouilles visqueuses et les purulents crapauds ?



Ou bien est-ce cela : aimer qui nous méprise et tendre la main au fantôme lorsqu’il veut nous effrayer ?



L’esprit robuste charge sur lui tous ces fardeaux pesants : tel le chameau qui sitôt chargé se hâte vers le désert, ainsi lui se hâte vers son désert.



Mais au fond du désert le plus solitaire s’accomplit la seconde métamorphose : ici l’esprit devient lion, il veut conquérir la liberté et être maître de son propre désert.



Il cherche ici son dernier maître : il veut être l’ennemi de ce maître, comme il est l’ennemi de son dernier dieu ; il veut lutter pour la victoire avec le grand dragon.



Quel est le grand dragon que l’esprit ne veut plus appeler ni dieu ni maître ? "Tu dois", s’appelle le grand dragon. Mais l’esprit du lion dit : "Je veux."



"Tu dois" le guette au bord du chemin, étincelant d’or sous sa carapace aux mille écailles, et sur chaque écaille brille en lettres dorées : "Tu dois !"



Des valeurs de mille années brillent sur ces écailles et ainsi parle le plus puissant de tous les dragons : "Tout ce qui est valeur — brille sur moi."



Tout ce qui est valeur a déjà été créé, et c’est moi qui représente toutes les valeurs créées. En vérité il ne doit plus y avoir de "Je veux" ! Ainsi parle le dragon.



Mes frères, pourquoi est-il besoin du lion de l’esprit ? La bête robuste qui s’abstient et qui est respectueuse ne suffit-elle pas ?



Créer des valeurs nouvelles — le lion même ne le peut pas encore : mais se rendre libre pour la création nouvelle — c’est ce que peut la puissance du lion.



Se faire libre, opposer une divine négation, même au devoir : telle, mes frères, est la tâche où il est besoin du lion.



Conquérir le droit de créer des valeurs nouvelles — c’est la plus terrible conquête pour un esprit patient et respectueux. En vérité, c’est là un acte féroce, pour lui, et le fait d’une bête de proie.



Il aimait jadis le "Tu dois" comme son bien le plus sacré : maintenant il lui faut trouver l’illusion et l’arbitraire, même dans ce bien le plus sacré, pour qu’il fasse, aux dépens de son amour, la conquête de la liberté : il faut un lion pour un pareil rapt.



Mais, dites-moi, mes frères, que peut faire l’enfant que le lion ne pouvait faire ? Pourquoi faut-il que le lion ravisseur devienne enfant ?



L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation.



Oui, pour le jeu divin de la création, ô mes frères, il faut une sainte affirmation : l’esprit veut maintenant sa propre volonté, celui qui a perdu le monde veut gagner son propre monde.



Je vous ai nommé trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment l’esprit devient lion, et comment enfin le lion devient enfant.

Auteur: Nietzsche Friedrich

Info: Dans "Ainsi parlait Zarathoustra", Traduction par Henri Albert, Société du Mercure de France, 1903 (Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 9, p. 33-36)

[ métaphores animales ] [ allègement ] [ mouvement cyclique ] [ triade ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson