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existence

Ce jour est aujourd’hui passé, et bien d’autres, qui ont chacun marqué d’un coup ce visage où l’ombre d’un baiser effaçait un sourire. Des jours sont passés, qui revenaient toujours pour frapper la marque et la creuser, creuser la plaie saignante et la durcir en cicatrice. Des maladies, des morts, des guerres, qui burinaient sur la tendre face du printemps le pathétique soleil de l’été. Mais aussi revenait le bain en plein soleil, la coupe poissée de grappes ; toujours plus tard midi sonnait au crépuscule. L’ouragan noir d’automne qui flotte et roule, étendard de désastre, où l’éclair fend le ciel d’un gel irrémédiable, le frappa dans sa chair, et la chair de sa chair. Il souffrit, pour souffrir encore ; les saisons s’acharnaient sur lui pour le ployer sous leurs récoltes. Vinrent des maladies, des morts, des guerres, qui taillaient dans le doux visage du printemps les traits de marbre de l’hiver : il souffrit pour souffrir encore. Alors se leva un vent de tempête qui l’entraînait toujours plus vite ; il lui fallut quitter le toit de son enfance, et la maison de ses amours lui fut enlevée. Ses amis s’éloignèrent ; l’un après l’autre, ses fils prirent leur chemin. Chaque pas qu’il faisait l’enfonçait dans la nuit, ses souvenirs s’effacèrent ; il se tut. Il ne lui manquait que de périr, aussi dès le premier jour sa perte fut-elle inscrite dans son destin.

Le vieil arbre pourtant s’obstinait à fleurir ; il l’aimait. Les années avaient préservé leur tendresse comme si rien ne devait la vaincre ; mais chaque homme a son heure qu’il ne peut partager. Il resta seul, dans la débilité du vieillard, enfant sans mère, portant au flanc la déchirure par où s’était enfui l’amour de sa vie. Et la vie le fuyait ; enfin vaincu, il attendait que lui fût donné une grâce. Il mourut. Voici le seul héros et la seule aventure.

Auteur: Charbonneau Bernard

Info: Dans "Je fus", R&N Éditions, 2021, page 30

[ condition humaine ] [ expression poétique ] [ résumé ]

 

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Etats-Unis

À Los Angeles, vous ne serez jamais arrêté pour vagabondage si vous portez un polo fantaisie et des lunettes de soleil. Mais si vous avez le malheur d’avoir un peu de poussière aux chaussures et un tricot épais comme ces tricots qu’on porte dans les coins où il neige l’hiver, alors vous pouvez être sûr qu’ils ne vous rateront pas. Vous ne tarderez pas à vous faire coffrer. Alors un conseil les gars, trouvez-vous un polo, une paire de lunettes noires et des chaussures blanches si possible. Le genre étudiant. De toute manière, vous finirez par vous y mettre vous aussi. Avec le temps, quand vous aurez votre dose de "Times" et d’ "Examiner", vous vous y mettrez aussi à faire l’article sur le Sud ensoleillé. Vous mangerez des hamburgers toute l’année, année après année; vous serez là à croupir dans des chambres ou des appartements cradingues et infestés de bestioles, mais tous les matins vous verrez le beau soleil, le sempiternel ciel bleu, et les rues seront pleines de femmes que vous ne posséderez jamais, et les nuits chaudes semi-tropicales sentiront bon la romance que vous ne connaîtrez jamais, mais ça fait rien les gars, vous serez quand même au paradis, au pays du soleil.
Et les gens qui sont restés à la maison, vous pourrez toujours leur mentir et leur en mettre plein la vue, parce qu’ils ont horreur de la vérité de toute manière, ils ne veulent rien savoir; parce qu’ils veulent y aller aussi, au paradis, tôt ou tard. On ne la leur fait pas, à ceux qui sont restés derrière; faut bien vous mettre ça dans le crâne, les gars, ceux qui sont restés au pays savent comment c’est, la Californie. Après tout, ils lisent les journaux comme tout le monde et les magazines, les étals en sont pleins, à tous les coins de rue de l’Amérique. Ils les ont bien vues les maisons des vedettes de cinéma, en photo. On peut rien leur apprendre sur la Californie.

Auteur: Fante John

Info: Dans "Demande à la poussière

[ mirage ] [ misère ] [ american way of life ] [ west-coast ]

 

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sensibilité médiévale

Evoquons devant nous les contemporains de François Rabelais, leurs violences et leurs caprices, leur peu de défense contre les impressions du dehors, l’extraordinaire mobilité de leur humeur, cette étonnante promptitude à s’irriter, à s’injurier, à tirer l’épée, puis à s’embrasser et à se cajoler : tout ce qui nous explique tant de querelles pour rien, d’accusations atroces de vol et de plagiat, d’appels à la justice de Dieu et des hommes – à quoi sans intervalles succèdent d’affreux coups d’encensoir, et les plus folles comparaisons avec Homère, Pindare, Virgile et Horace. Produits naturels d’une vie toute en contrastes. Et bien plus marquée que nous ne saurions l’imaginer. Contrastes du jour et de la nuit, ignorés de nous dans nos demeures électrifiées ; contrastes de l’hiver et de l’été, adoucis pour nous, en temps normal, par mille inventions : ils en subissaient eux, la rigueur et la nécessité, à peu près sans atténuation, et pendant des semaines et des mois. Egalisation des conditions de vie, égalisation des humeurs : les deux se suivent et se conditionnent. Mais pareillement nos nerfs se sont blasés. Nous avons trop mangé de fruits – de ces fruits dont nous gardons, comme dit la Bible, "les dents agacées". Eux ? Ce n’étaient point des blasés, Dieu non ; et pour ne retenir que cet exemple, comme ils étaient sans défense contre l’attaque violente et souveraine des sons ! Pensons toujours à ce passage des Contes d’Eutrapel où Noël Du Fail nous décrit l’effet, sur les hommes de son temps, du célèbre chœur descriptif de Clément Janequin, la Bataille de Marignan. Personne qui échappât aux prises de cette musique puissante et puérile avec ses "bruits de bataille" en harmonie imitative, personne qui, exalté par les sons, « ne regardât si son épée tenoit à son fourreau, et ne se haussât sur ses orteils pour se rendre plus bragard et de la riche taille..."

Simples gens, qui se livraient sans contrôle. Mais nous nous refoulons.

[...] Voici qui déjà nous avertit qu’entre les façons de sentir, de penser, de parler des hommes du XVIe siècle et les nôtres – il n’y a pas vraiment de commune mesure. Nous enchaînons : ils laissent flotter. Des générations, depuis le XVIIe siècle et Descartes, ont inventorié pour nous, analysé, organisé l’espace. Elles nous ont dotés d’un monde bien arrêté où chaque chose et chaque être a ses frontières parfaitement délimitées. Des générations, depuis la même époque, ont travaillé à faire du temps, de plus en plus précisément mesuré, le cadre rigide de nos activités. Tout ce grand travail, au XVIe siècle, commençait à peine. Ses résultats n’avaient point encore, par voie de conséquence, engendré en nous le besoin impérieux d’une certaine logique, d’une certaine cohérence, d’une certaine unité.

Auteur: Febvre Lucien

Info: "Le problème de l'incroyance au 16e siècle", éditions Albin Michel, Paris, 1968, pages 99-100

[ état d'esprit ] [ contextualisation ] [ exacerbée ] [ incompréhensibilité moderne ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

désamour

J’ai cherché dans l’absence un remède à mes maux ;

J’ai fui les lieux charmants qu’embellit l’infidèle,

Caché dans ces forêts dont l’ombre est éternelle,

J’ai trouvé le silence, et jamais le repos.

Par les sombres détours d’une route inconnue

J’arrive sur ces monts qui divisent la nue :

De quel étonnement tous mes sens sont frappés !

Quel calme ! quels objets ! quelle immense étendue !

La mer paraît sans borne à mes regards trompés,

Et dans l’azur des cieux est au loin confondue.

Le zéphyr en ce lieu tempère les chaleurs,

De l’aquilon parfois on y sent les rigueurs,

Et tandis que l’hiver habite ces montagnes,

Plus bas l’été brûlant dessèche les campagnes.



Le volcan dans sa course a dévoré ces champs ;

La pierre calcinée atteste son passage :

L’arbre y croît avec peine, et l’oiseau par ses chants

N’a jamais égayé ce lieu triste et sauvage.

Tout se tait, tout est mort ; mourez, honteux soupirs,

Mourez importuns souvenirs

Qui me retracez l’infidèle ;

Mourez tumultueux désirs ;

Ou soyez volages comme elle.

Ces bois ne peuvent me cacher ;

Ici même, avec tous ses charmes,

L’ingrate encor me vient chercher ;

Et son nom fait couler des larmes

Que le temps aurait dû sécher.

O dieux ! ô rendez-moi ma raison égarée ;

Arrachez de mon cœur cette image adorée ;

Eteignez cet amour qu’elle vient rallumer,

Et qui remplit encor mon âme tout entière,

Ah ! l’on devrait cesser d’aimer

Au moment qu’on cesse de plaire.

Tandis qu’avec mes pleurs la plainte et les regrets

Coulent de mon âme attendrie,

J’avance, et de nouveaux objets

Interrompent ma rêverie.

Je vois naître à mes pieds ces ruisseaux différents

Qui, changés tout à coup en rapides torrents,

Traversent à grand bruit les ravines profondes,

Roulent avec leurs flots le ravage et l’horreur,

Fondent sur le rivage, et vont avec fureur

Dans l’océan troublé précipiter leurs ondes.

Je vois des rocs noircis, font le front orgueilleux

S’élève et va frapper les cieux.

Le temps a gravé sur leurs cimes

L’empreinte de la vétusté.

Mon œil rapidement porté

De torrents en torrents, d’abîmes en abîmes,

S’arrête épouvanté.

O nature ! qu’ici je ressens son empire !

J’aime de ce désert la sauvage âpreté ;

De tes travaux hardis j’aime la majesté ;

Oui, ton horreur me plaît, je frissonne et j’admire.



Dans ce séjour tranquille, aux regards des humains

Que ne puis-je cacher le reste de ma vie !

Que ne puis-je du moins y laisser mes chagrins !

Je venais oublier l’ingrate qui m’oublie,

Et ma bouche indiscrète a prononcé son nom ;

Je l’ai redit cent fois, et l’écho solitaire

De ma voix douloureuse a prolongé le son ;

Ma main l’a gravé sur la pierre ;

Au mien il est entrelacé.

Un jour, le voyageur sous la moussé légère,

De ces noms connus à Cythère

Verra quelque reste effacé.

Soudain il s’écriera : "Son amour fut extrême ;

Il chanta sa maîtresse au fond de ces déserts.

Pleurons sur ses malheurs et relisons les vers

Qu’il soupira dans ce lieu même."

Auteur: Parny Evariste Désiré de Forges vicomte de

Info: J'ai cherché, Élégies

[ imprégnation ] [ mélancolie ] [ poème ]

 

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grand nord

J’aurais préféré partir seul et couper tout de suite tout lien avec le monde. Deux cent kilomètres, c’est une longue distance à parcourir avec des cochers, à supporter leurs quintes de toux, leurs tentatives de conversation et leurs silences. Je serais bien parti pour Kaltio à bicyclette si Uggelvik n’avait pas jugé l’idée totalement insensée.

" On ne joue pas avec l’hiver, quoi qu’il se soit passé chez vous ", a-t-il déclaré.

C’est pourquoi je sais que j’ai l’air de ce que je suis : un fuyard pour qui presque plus rien n’a plus d’importance.

Au chaud sous la couverture du traîneau, je regarde le paysage recouvert de neige jusqu’à hauteur de cheville. Finis les fermes prospères, les champs et les lisières de forêt grignotées par les bûcherons. D’immenses espaces s’étendent derrière les arbres. Je les ai d’abord pris pour des cultures, mais il y pousse des pins rabougris et des arbrisseaux recroquevillés dans le froid. Au printemps, quand les canards, les grues cendrées et les pluviers reviendront, elles résonneront de l’incommensurable registre du désir de vivre. Je ne supporterais pas non plus, alors, de me trouver là.

Nous faisons halte, et le silence me bouche les oreilles. L’air écrasé par les nuages de neige avale les sons, j’ai du mal à entendre les rares paroles du cocher, bien que nous soyons assis face à face. Je pense plusieurs fois être devenu sourd, jusqu’à ce qu’il se racle la gorge ou que des étincelles jaillissent du feu de camp. J’avale à grandes gorgées l’amer café bouilli. Aurais-je le temps de faire la sieste ? Mais le cocher se lève bientôt, rince sa tasse dans la neige et va vérifier le harnais du cheval. Les partis métalliques cliquettent.

" Regardez ", dit-il.

Je termine mon café et obéis à l’injonction. Une souche grise se dresse dans la tourbière.

" Il y a un étang, là-bas. Poissonneux. "

Afin de secouer ma torpeur, je vais voir. Le gel a solidifié la tourbière, mais l’eau qui sort des mousses colore de noir l’empreinte de mes pas. Je m’arrête devant la souche. Derrière s’étend en effet un petit lac, un ovale où la neige est moins haute qu’alentour. La pointe du vieil arbre mort brisé à hauteur de poitrine a été sculptée en forme de nageoire. La surface est craquelée de rides verticales. Le bois est chaud et glissant.

Je retourne au traîneau où le cocher a déjà pris sa place. Je hoche le menton en direction du lac.

" Vous pouvez m’en dire plus ? "

Je me frotte les mains. Le bois y a laissé des traces huileuses.

" Non, je suis du village.

- Ce ne sont pas les habitants qui l’ont sculpté ?

- Ce n’est pas dans nos habitudes. Ce sont des Lapons.

- Le bois était bizarre, gras.

- Quelqu’un le nourrit s’en doute encore. C’est du saindoux, je pense, ils ont coutume de l’enduire. "

Je m’installe sous la couverture. Le cocher ordonne au cheval de se mettre en route. Les contours de son dos disparaissent peu à peu dans le crépuscule.

" Ca se dégage, constate-t-il par dessus son épaule. On arrivera avant la nuit à Sodankylä. "

Les nuages se déchirent et l’air fraîchit. Je tire ma chapka sur les oreilles. Une à une, les étoiles les plus hautes apparaissent, soleils sûrement déjà éteints, nous éclairant d’une lumière qui n’existe plus.

Je souffle sur mes moufles et gratte la glace de mes sourcils. Les patins du traîneau crissent, preuve que nous touchons encore terre. Le cosmos est clair et profond, paré d’argent et du vert d’une aurore boréale. Nous y flottons. Le monde entier flotte. La sculpture de bois se dresse dans les tourbières parce qu’il faut pouvoir s’appuyer sur quelque chose face à l’infini du ciel.

Auteur: Kytömäki Anni

Info: Gorge d'or

[ littérature ] [ crépuscule ] [ périple ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

biopouvoir

C’est d’ailleurs ce laboratoire P4 de Lyon qui assure les transferts de technologie et la formation des équipes chinoises, sous la houlette de l’Inserm, après le démarrage des travaux à Wuhan en 2011. Pourquoi la France transfère-t-elle des technologies aussi dangereuses ? D’abord pour des raisons sanitaires, afin d’ "aider les Chinois à bloquer H7N9, H5N1, SRAS ou un prochain coronavirus", explique un expert à l’AFP en 2014. Apparemment, il y a eu une petite complication.

Ensuite, pour rester dans la compétition mondiale. La santé, c’est la vitrine ; l’important, c’est la guerre : si la France ne va pas à Wuhan, d’autres iront. Enfin, par naïveté. Selon le même expert, les Français pensent que les Chinois respecteront l’accord : "L’accueil de Français à Wuhan est de nature à rassurer sur ce qui s’y passe". Là aussi, il y a eu une petite complication. [...]

[En 2013,] La représentante du techno-gratin dauphinois [Geneviève Fioraso] signe avec ses homologues chinois 11 accords de partenariat dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation. Elle assiste à la signature de protocoles d’accord entre l’Institut Pasteur de Shanghai et des partenaires, dont BioMérieux, représenté par son patron Alain Mérieux, ami de Jacques Chirac et élu RPR au conseil régional de Rhône-Alpes. [...]

Au printemps 2016, le premier train assurant la liaison Wuhan-Lyon parcourt le trajet en quinze jours. La Route de la soie transporte désormais des produits chimiques et des articles manufacturés de Chine, du vin et du matériel biotechnologique de France. [...]

Le 23 février 2017, le Premier ministre Bernard Cazeneuve se rend à Wuhan pour l’accréditation officielle du laboratoire. Le directeur du P4 lyonnais, Hervé Raoul, annonce une coopération avec une cinquantaine de chercheurs français, sous l’égide de l’Inserm. La France financera cette coopération à hauteur d’un million d’euros sur cinq ans. Le patron du labo de virologie lyonnais VirPath, Bruno Lina, se félicite de la disponibilité, à Wuhan, de singes pour tester des vaccins – sans les emmerdeurs de la cause animale. [...]

Cette ouverture n’enchante pas les Américains. Eux-mêmes construisent à tout va des laboratoires de haute sécurité sur leur territoire, passant de 465 à 1295 entre 2001 et 2014. La compétition avec la Chine s’accélère. Le biochimiste Richard Ebright, expert en biosécurité de la Rutgers University (New Jersey), rappelle en 2017 que "le SRAS s’est échappé de laboratoires de haute sécurité de Pékin à de multiples reprises". [...]

Inquiète, l’ambassade des États-Unis en Chine visite le laboratoire de Wuhan et envoie dès janvier 2018 des câbles alarmés au gouvernement américain. Les visiteurs font état de manquements de sécurité et d’un nombre insuffisant de techniciens formés ; ils recommandent de fournir une assistance aux Chinois. Ça, c’est l’histoire racontée par le Washington Post en avril 2020, donnant le beau rôle à des Américains empêtrés dans le Covid-19 comme des amateurs. Voilà des câbles diplomatiques ressortis à point nommé, dans la guerre froide sino-américaine. [...]

Qu’en est-il vraiment ? Demandez aux Chinois. En fait, les Américains sont plus impliqués dans le laboratoire de Wuhan qu’ils ne le laissent croire. Le partenariat franco-chinois battant de l’aile, ils s’engouffrent dans la brèche dès 2015 pour mener des collaborations scientifiques avec le labo P4. [...]

A l’occasion de sa visite d’État en Chine en janvier 2018, Emmanuel Macron signe malgré tout avec Xi Jinping des accors de coopération. Leur déclaration commune souligne : "la Chine et la France conduiront des recherches de pointe conjointes sur les maladies infectieuses et émergentes, en s’appuyant sur le laboratoire P4 de Wuhan".

C’est se leurrer sur le partenaire. D’après un fonctionnaire français cité par le journaliste Antoine Izambard dans son livre France Chine, les liaisons dangereuses :

"Nous leur avons demandé ce qu’étaient devenus les P3 et ils nous ont répondu que certains, situés dans une région proche de l’Himalaya, avaient gelé durant l’hiver et que d’autres avaient disparu. C’était assez déroutant".

Quant aux 50 chercheurs français attendus au P4 de Wuhan – cette coopération qui rassurait tant lors de la signature de l’accord – ils ne sont jamais venus. Le comité franco-chinois sur les maladies infectieuses ne s’est plus réuni depuis 2016. Les Chinois font ce qu’ils veulent, à l’abri des regards dans leur enceinte confinée.

Auteur: PMO Pièces et main-d'oeuvre

Info: Dans "Le règne machinal", éditions Service compris, 2021, pages 105 à 110

[ historique ] [ infectiologie ] [ orient-occident ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

refus

Jours, années, vies. Les arbres avaient perdu leurs parures multicolores. C’était ça : elle se trouvait pile à cette conjonction des trois boucles. L’entame du dernier quart. La journée avait dépassé sa dix-neuvième heure, l’hiver était là et Emma se préparait à fêter ses soixante et un ans. Anniversaire dont elle avait fait le symbolique début de l’hiver de sa vie.

Encore récemment elle avait le sentiment de commencer à jouir de la sérénité de son âge. Jusqu’à l’arrivée du gosse.

Emma l’albanaise n’en revenait pas.

Imaginez : vous êtes en charge du service psychiatrique d’un hôpital Suisse. On vous amène un petit garçon, noiraud aux cheveux ondulés, Jean-Sébastien. Enfant sans aucun problème apparent selon toutes les informations et surtout ses proches. Un gosse qui a été éduqué tout à fait correctement dans ce pays, dans son pays : la Suisse. Diagnostic du corps médical : anorexie mentale. Le gosse refuse de s’alimenter et même, surprise, a sa propre auto-évaluation, affirmée : je refuse de vivre mon général. Un credo presque annoncé avec humour.

Après quelques jours tout le personnel de l’immense hôpital en parlait. Une anorexie à neuf ans, c’était déjà exceptionnel, quoi qu’on commençait à en voir apparaître dans les statistiques occidentales, mais ce gosse avait une telle tranquillité, une conscience, comme si son regard et ses appréciations liquidaient d’un coup la raison d’être, l’existence même de la structure hospitalière. Et tout le reste. Une gifle pour le Monde. Pour tous. Les êtres humains. Un déni.

Le tapis de feuilles mortes rassemblées devant les escaliers par un jardinier l’obligea à faire un crochet. Elle lança un sourire à l’homme au balai qui le lui rendit.

Selon le garçonnet, la vie ne valait pas la peine d’être vécue, point. Et les bipèdes adultes de son espèce, malgré tous leurs efforts, n’y changeraient rien. L’amour conjugué de ses proches, les visites de ses camarades, l’abnégation souriante des infirmières, l’attention soutenue de la doctoresse en chef… rien n’avait pu infléchir sa décision. L’enfant au regard foncé répétait et déclinait en souriant :

- Je ne suis pas fait pour vivre.. je suis de trop, c’est évident…

Les infirmières comprenaient confusément que le gosse ne voyait pas pourquoi ce monde méritait encore d’être connu, exploré. C’était juste une non envie d’entrer en matière. Ses parents, elle secrétaire, lui mécanicien, n’avaient rien de particulier. Des gens simples, adorables. Le fiston l’assurait lui-même : il n’avait rien à leur reprocher, surtout pas de l’avoir amené à la vie, au contraire, surtout pas…. Son expérience restait irremplaçable. Il insistait : irremplaçable. Leur expliquant : vous n’y pouvez rien, mes amours, mes chéris… c’est comme ça. Il parvenait à même leur remonter le moral.

Dans le hall, l’hôtesse d’accueil lui adressa le salut matinal routinier derrière son grand vitrage.

Une semaine après l’arrivée du malade, un collègue d’Emma, Pierre B, vieux médecin, était venu trouver l’enfant sous un prétexte imaginaire. Quelques heures plus tard il prenait la doctoresse à part au détour d’un couloir :
- Je suis bouleversé, je reviens des Andes… ici les magasins, les rues, tout m’inspire une aversion irraisonnée. Les fêtes qui approchent, la foule des acheteurs, les corps pétant de cholestérol, le fric… C’est affreux, le seul endroit où je me sens mieux c’est ici, à l’hôpital. L’argent me gêne, il envahit tout… je ne vois plus des personnes, mais de petits amas de pognon, de mesquines solitudes feutrées, comme si les gens n’avaient pas besoin les uns des autres, comme s’il n’y avait plus de communauté…

La médecin chef lui répondit sur le ton de la plaisanterie, expliquant que ce n’était pas professionnel, qu’il fallait maîtriser ses émotions.

Elle se dirigeait vers la chambre du petit, ses pas étouffés par l’épais revêtement de linoléum gris. Emma, qui avait réussi, à force de volonté, à se faire sa place de médecin dans la société occidentale, se disait que dans son pays, en Albanie - elle y retournait chaque année - ce genre de syndrome n’apparaissait pas. Jamais. Encore moins chez des êtres si jeunes.

L’infirmière de garde lui indiqua que le petit venait de s’endormir.

Tous pouvaient observer, impuissants, les parents du môme déployer des trésors d’imagination pour essayer de le sortir de ce qu’ils voyaient comme une torpeur incompréhensible. Ils avaient proposé, l’air de rien, d’aller observer un volcan en éruption, d’affronter les cinquantièmes hurlants en catamaran…. Lui les remerciait d’un sourire. Il comprenait parfaitement la démarche, leur expliquait que d’autres que lui seraient enchantés d’aller suivre en direct les ébats amoureux des baleines au large de la Californie, ajoutant que ce devrait être facile d’emmener des enfants défavorisés jouer dans l’eau avec des dauphins. Pas lui.

***

Ce soir là, au sortir de son travail elle croisa la gérante du petit supermarché voisin, une femme d’âge mûr aux grands cheveux frisés, pleine d’ardeur, avec qui elle avait de bons rapports. Elle ne put s’empêcher de lui parler de l’enfant. La dame la transperça de son regard bleu. Deux vrilles sous la masse crépue.

- Mon Dieu, le pauvre chéri… il est trop intelligent….

Elle avait tout dit. Et puis elle rentra. Il fallait prendre le courrier, faire manger les enfants. Il faisait déjà nuit.

***

Le lendemain en fin de matinée la doctoresse quitta son service un peu plus tôt qu’à l’accoutumée, préoccupée. Elle était de plus en plus frustrée parce que depuis plusieurs jours le gamin sommeillait durant la journée alors qu’elle aurait vraiment voulu essayer de communiquer avec lui. Ce qui l’amena à couper la priorité à’un automobiliste, qui, après avoir ouvert sa vitre latérale lui lança, rigolard. "Je comprends maintenant pourquoi vous êtes passée devant un million de spermatozoïdes, vous êtes un hymne à la précipitation… à l’engouffrement". Elle se surprit à sourire, libérée pour un instant du monologue intérieur nourris par l’image du jeune être en train de se faner. Elle se sentait comme enceinte mentalement de lui. De cet homme. Oui, c’était bien un homme… puisqu’il était en fin de parcours, sur sa propre décision. Puisqu’il leur parlait autrement, couché dans son lit trop grand, comme une sorte d’enseignant cosmique, loin de leurs volontés absurdes de vouloir avoir une prise sur le réel. Il avait annoncé la couleur à son arrivée à l’hôpital :

- Je ne veux pas me soigner parce que plus je vais mal mieux je me porte.

Ainsi, après deux semaines d’hospitalisation il avait nettement faibli. Il fallait maintenant faire un effort d’attention pour le comprendre, lui parler doucement et distinctement. Lui restait imperturbable, ses grands yeux marrons brillants d’une sérénité de fer.

***

Emma avait accepté de dîner avec son ami Miguel, helvète de vieille souche, qu’elle appréciait pour cette raison mais aussi parce que son humour self destructeur l’amusait. Il l’accueillit, goguenard, après avoir brièvement jaugé la voiture qu’elle venait de s’acheter.

- Attention ! Je ne vais bientôt plus accepter de te voir, notre amitié va s’achever… regardes-toi un peu, tu es déjà plus Suisse que moi…. mon Dieu la bourgeoise ! J’ose pas t’imaginer dans dix piges ?
- Tu veux dire ?
- Que tu es de plus en plus organisée, aseptisée, maintenant presque riche…. Il ne te manque plus qu’un peu d’inhibition.. Peut-être aussi de réprobation dans l’attitude.
- T'es dur Miguel
- Tu sais bien que le succès et l’argent nous éloignent de l’essentiel.
- C’est quoi l’essentiel ?
- La vie
- Tu en es sûr ?

Elle ne lui parla pas du gosse.

***

De retour à l’hôpital elle aperçut Pierre B. en discussion avec les parents de Jean-Sébastien. Tous se firent un petit signe de loin. Elle monta dans son service, traversa les couloirs déserts pour aller le voir. Il somnolait et réagit mollement lorsqu’elle lui prit la main, esquissant une moue. Elle resta ainsi, assise sur le lit arrosé par l’éclairage crû.

Qui avait chanté un jour que la lumière ne fait pas de bruit ?

Son regard glissait sur les choses. Elle pensait à sa vie, à la vie. Pourquoi se retrouvait-elle médecin… dans ce pays ? Fourmi parmi les autres fourmis. Quelle était la société qui pouvait produire de tel effet sur ses petits ?… Sa pensée se fixa sur des connaissances côtoyées récemment ; une clique d’artistes quadra et quinquagénaires, presque tous issus de la bourgeoisie locale qui, malgré la mise en place de façades plus ou moins réussies, assorties de quelques petites excentricités d’habillement, représentaient pour elle la société dans laquelle elle vivait. Ils formaient un de ces clans ou les individus se rassemblent plutôt par crainte de la marginalité et de la solitude que par de réelles affinités. Sérail ou l’on se fait la bise comme les stars de la télévision ; pour marquer sa différence, son appartenance à un cercle qui serait plus humain, plus averti. Tels étaient donc les révoltés ?… Les artistes ?... quelles étaient donc leur réflexions ?. Assise sur le lit sa main autour de celle du gosse Emma se demandait s’il ne fallait pas voir chez eux une forme d’élitisme atroce, imbécile, destructeur, soumis aux conventions, aux diplômes, loin de la vie, la vraie, celle avec les excréments, les coups, le sang, les hurlements. Vivaient-ils réellement, ces gens encoconnés qu’elle avait vu ignorer ostensiblement ici une caissière édentée ou là un clodo en pleine cuite. Qui, lors des fêtes réunissant les familles, paraissaient tout de suite excédés par leurs enfants, comme s’ils ne les avaient pondus que par convention, par simple peur de la mort, par ennui. Dans son pays à elle la jeunesse était synonyme de joie, de plaisir.

… mais qu’ont-ils de différents des autres humains, somme toute... ne suis-je pas comme eux ?

Jean-Sébastien gardait les yeux fermés, la respiration régulière. Elle caressa doucement le maigre avant-bras que la perfusion prolongeait de manière incongrue.

***

Cette nuit là elle eut ce rêve : Il y avait, lors d’une grande réunion de diverses familles, une scène de discussion animée entre adultes. Les enfants présents - les siens y étaient, tout comme Jean-Sébastien - enthousiastes comme toujours amenaient continuellement des interruptions qui dérangent la continuité des phrases, si sérieuses, des adultes. Coupures qui, à la longue, entraînèrent quelques haussements de voix puis, finalement, l’enfermement de Jean-Sébastien dans une voiture. Il y eut alors un zoom arrière et les humains se transformèrent en arbres. C’étaient les mêmes individus mais qui en sapin, en hêtre, etc.. Et, dans un film accéléré, elle put alors contempler la nouvelle forêt ainsi formée endurer la douce agression des jeunes pousses qui, après s’être hardiment insinuées au pied des grands troncs, s’accrochaient ensuite au premières frondaisons, avant de vaillamment titiller les niveaux supérieurs et d’émerger au sommet pour faire partie de la Pangée. Voir le soleil.

Elle se retrouva assise sur son lit, en nage. Et l’enfant dans la voiture ?… Pourquoi ces plages temporelles mélangées ?… Pourquoi Jean-Sébastien n’avait-il plus cette volonté de monter, de toucher les crêtes… cette curiosité de la vie ?


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Les forces du gosse déclinaient doucement, implacablement. L’esprit imperturbable et sans tristesse il continuait de communiquer au maximum de ses possibilités, c’est à dire qu’à ce stade il ne faisait plus qu’acquiescer ou rejeter. Mais il observait. Emma, incrédule, attendait quelque chose. Elle ne savait pas exactement quoi : une forme de culpabilisation du gosse, des parents… de grands transports d’émotion avec la famille. De culpabilisation elle n’en vit point. Quand à l’émotion, il y en avait. Beaucoup. Mais tout le monde se maîtrisait.

On le sentait se détacher, comme un fruit. Le temps du silence mûrissait.

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Il y eut alors ce colloque, une journée/rencontre prévue de longue date où le professeur P., grande ponte allemand de pédopsychiatrie, fit état de l’augmentation sensible des cas d’anorexie chez les enfants en occident. Dans la continuité ils reçurent communication du travail d’une équipe de chercheurs Hindous où étaient explicitées la progression et l'incidence constante des problèmes psychiques de la jeunesse dans les sociétés industrielles. Un médecin psychiatre japonais vint ensuite parler des difficultés rencontrées dans son pays. On commençait à y voir de plus en plus de groupes de discussion sur Internet qui amenaient - et poussaient parfois - de jeunes nippons à se suicider ensemble. Puis il y eut ce rapport sur une maladie mystérieuse affectant plus de 400 enfants de requérants d'asile en Suède, issus la plupart du temps de l'ancienne union Soviétique et des états yougoslaves. Ces enfants tombaient dans une dépression profonde et perdaient la volonté de vivre. Pour finir une intervenante vint expliquer comment les résultats de son étude sociologique de la Suède montraient que la courbe des suicides était inversement proportionnelle aux difficultés économiques. En bref, lors de temps difficiles les gens se suicidaient moins….

Tout ce monde se retrouva ce soir là au milieu de la chaude et joviale l’atmosphère d’une brasserie pour un repas en commun bigarré qui concluait le colloque. Les participants à la conférence confabulèrent bruyamment de tout, sauf de problèmes professionnels. Emma aimait ce genre de brouhaha. Il était passé minuit quand elle rentra. Excitée par l’alcool elle se prépara un grand verre d’eau, prit la zappette et s’installa devant la télévision. Les informations présentaient un sujet sur les prévisions alarmistes quand au réchauffement de la planète. Apparut ensuite sur le plateau l’abbé X qui se faisait le porte-parole des voix innombrables dénonçant le petit nombre de riches - toujours plus riches - et celui, toujours plus grand, des pauvres - toujours plus pauvres. Puis ce fut l’interview d’un politicien qui exprima les craintes suscitées par le comportement paranoïaque de l’empire américain. La rubrique suivante montra une manifestation écologiste européenne. On pouvait y voir des manifestant défiler avec des pancartes qui disaient : "Ressources de la terre en danger " "Consommation galopante, Halte !". "Surpopulation, manque de contrôle !". Le journal se termina par les infos économiques et la progression boursière spectaculaire d’une entreprise pharmaceutique qui développait un médicament contre le diabète, maladie en constante progression chez l’individu moyen - trop gros - des populations américaines et européennes, phénomène qu’on voyait maintenant émerger en Asie. Tous les espoirs étaient permis pour la jeune entreprise.

Dans la salle de bain elle posa cette question muette à son reflet, dans la glace : - Jean-Sébastien entend-il la même mélodie du monde que toi ?

Son mari grogna légèrement lorsqu’elle lui imposa sa présence dans le lit, le forçant à se déplacer.


***


Elle démarrait fréquemment sa matinée par cette pensée de la tradition zen : "un jour, une vie". Après le départ des enfants pour l’école, elle pouvait profiter d’un petit printemps personnel réservé, enfance de sa journée. Moments d’énergie, de fraîcheur, d’optimisme. Tout ce que Jean-Sébastien aurait normalement du vivre en cette période matinale de son existence de jeune mammifère. Alors qu’en réalité il était comme avant d’aller se coucher. Certes son cycle d’existence, sa fin de vie coïncidaient avec la saison hivernale, mais pas avec la bonne synchronisation. Pas du tout.

Elle se confectionna un nouveau café.

Emma avait toujours perçu les mômes comme de grands initiés, dotés d’un sens aigu du mystère, au bénéfice de la fraîcheur de perception qu’ont les étrangers qui pénètrent une contrée inconnue. Confrontée à Jean-Sébastien elle en arrivait à se demander s’il n’avait apporté avec lui les souvenirs de quelque chose d’antérieur, les réminiscences d’une source fabuleuse. Quels pouvaient donc bien être ses critères de jugement ?… en avait-il ?… était-ce du pur instinct, du laisser aller ?. Il avait l’air si équilibré… Ou alors, était-ce diabolique ?… Non, il était trop jeune, trop dans le timing. Trop conscient.

Elle ne savait comment exprimer son sentiment. Ce garçon était comme au delà - ou en deçà - des mots. Un pur poète. Comme s’il avait affirmé que les bateaux ne flottent que depuis Archimède et que tout le monde ait acquiescé. Comme s’il avait décrété que le vent est créé par les arbres sans que personne n’en doute.

Elle voyait vivre ses enfants dans un monde qui n’était pas le sien, celui des grands. Ils n’avaient qu’un intérêt restreint pour la politique, la philosophie de la vie et de ce genre de choses. Leur occupation sérieuse principale c’était le jeu. En tout cas en apparence. Elle ne pouvait se résoudre à leur parler de Jean-Sébastien, d’abord pour garder sa vie privée intacte de ses activités professionnelles. Et puis quelle pouvait être la famille ou l’on aurait abordé de pareils sujets philosophique sérieusement, longuement et profondément, avec les enfants ?... Les siens posaient des questions certes, son mari et elles y répondaient, mais cela restait superficiel. Ces sujets intéressent les mômes mais leurs réflexions lui paraissaient trop courtes. Ou alors leurs forces de vies leurs interdisaient de s’arrêter sur ce genre de réflexions

Mais comment un gosse qui ne voyait plus la réalité avec aucun étonnement s’était-il forgé ?… D’où venaient ses certitudes ?… Était-ce possible qu’un de ses enfants un jour ?…

Elle rassembla ses affaire : sac, clefs, s’habilla. Il fallait en tout cas encore essayer. Encore.

***

Ce vingt décembre Jean-Sébastien dormait si profondément, en état comateux, qu’Emma invita ses parents à la cafétéria pour un café. La communication entre eux ne nécessitait presque plus de mots, artificielles constructions sans intérêt. Au réfectoire ils eurent à subir les activités sauvageonnes d’un groupe d’enfants. Jeunes excités, en mal de cette existence avérée que conforte la réaction témoin de grandes personnes prises en otage-spectateur-cible. Elles ressentit beaucoup de gratitude à l’endroit des emplâtres gesticulants et bruyants qui tentaient d’accaparer attention et champ de vision des adultes.

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Au milieu de tous ses questionnements, Emma eut l’honnêteté de s’avouer qu’elle l’admirait. Mais quel était son secret… Qui était ce vieux maître… ce fou ?… Elle ne parvenait pas à le voir comme un malade et ressentait même quelque chose qui ressemblait à de la reconnaissance. La jeune créature lui permettait de rétablir une sorte de connexion avec un infini qu’elle avait oublié, trop absorbée par sa vie, par ses obligations. La vitesse.

Le mioche lui dilatait la conscience.

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Jean-Sébastien mourut la veille de Noël.

Enfin pur esprit.

Auteur: Mg

Info: Jean-Sébastien. D'après une histoire vécue. 2002.

[ histoire courte ] [ automne ]

 
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