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épuration mentale

L’homme moderne est l’esclave de la modernité : il n’est point de progrès qui ne tourne à sa plus complète servitude. Le confort nous enchaîne. La liberté de la presse et les moyens trop puissants dont elle dispose nous assassinent de clameurs imprimées, nous percent de nouvelles à sensations. La publicité, un des plus grands maux de ce temps, insulte nos regards, falsifie toutes les épithètes, gâte les paysages, corrompt toute qualité et toute critique, exploite l’arbre, le roc, le monument et confond sur les pages que vomissent les machines, l’assassin, la victime, le héros, le centenaire du jour et l’enfant martyr.

Tout ceci nous vise au cerveau. Il faudra bientôt construire des cloîtres rigoureusement isolés, où ni les ondes, ni les feuilles n’entreront ; dans lesquels l’ignorance de toute politique sera préservée et cultivée. On y méprisera la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste, de répétitions, de nouveauté et de crédulité. C’est là qu’à certains jours on ira, à travers les grilles, considérer quelques spécimens d’hommes libres.

Auteur: Valéry Paul

Info: Regards sur le monde actuel, 1931

[ propagande ] [ idéologie ] [ détoxification ] [ silence ] [ recentrage ]

 

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acceptation

L’angoisse, évidemment, ne s’apprend pas. On la provoquerait ? c’est possible : je n’y crois guère. On peut en agiter la lie… Si quelqu’un avoue de l’angoisse, il faut montrer le néant de ses raisons. Il imagine l’issue de ses tourments : s’il avait plus d’argent, une femme, une autre vie… La niaiserie de l’angoisse est infinie. Au lieu d’aller à la profondeur de son angoisse, l’anxieux babille, se dégrade et fuit. Pourtant l’angoisse était sa chance : il fut choisi dans la mesure de ses pressentiments. Mais quel gâchis s’il élude : il souffre autant et s’humilie, il devient bête, faux, superficiel. L’angoisse éludée fait d’un homme un jésuite agité, mais à vide. [...]
Oubli de tout. Profonde descente dans la nuit de l’existence. Supplication infinie de l’ignorance, se noyer d’angoisse. Se glisser au-dessus de l’abîme et dans l’obscurité achevée en éprouver l’horreur. Trembler, désespérer, dans le froid de la solitude, dans le silence éternel de l’homme (sottise de toute phrase, illusoires réponses des phrases, seul le silence insensé de la nuit répond). [...]
Sentiment de complicité dans : le désespoir, la folie, l’amour, la supplication. Joie inhumaine, échevelée, de la communication, car désespoir, folie, amour, pas un point de l’espace vide qui ne soit désespoir, folie, amour et encore : rire, vertige, nausée, perte de soi jusqu’à la mort.

Auteur: Bataille Georges

Info: L'expérience intérieure, p. 48

[ plongée ] [ affres ] [ illusion ]

 
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question

Nous devons à présent nous faire une raison. A l’issue d’un long combat, la croyance, aujourd’hui, l’emporte sur la connaissance. Un peu partout, dans notre monde, le recrutement des scientifiques se fait de plus en plus malaisé, les étudiants délaissent les sciences – sauf en Chine sans doute, et en Inde. Et partout, ailleurs et ici, les croyances (de toutes sortes) se multiplient, se durcissent, nous encerclent, nous envahissent, nous attaquent.
Est-ce un bien ? Un mal ? Est-ce, comme pour d’autres modes de vie, une évolution passagère et indifférente ? Dur à dire.
Nous pensions nous diriger – nous ; l’Occident, les modernes, les évolués, les éclairés – tant bien que mal, siècle après siècle, et surtout dans les trois derniers, vers plus de clarté, plus de force, plus de compréhension des choses et des êtres, plus de maîtrise même ; nous nous trompions. L’obscurité marchait sans cesse à nos côtés, aussi rapide, plus rapide peut-être, que la lumière. L’éducation de tous, que nous jugions indispensable, s’effritait. Elle nous semblait de plus en plus inadaptée, vieillotte, comme un instrument de musique dont nous ne reconnaîtrions plus les accords. Du même coup, l’obscurité et sa sœur l’ignorance prospéraient, surtout depuis une cinquantaine d’années, et aussi leur proche cousine, la violence. Mais nous ne voulions pas, et nous ne pouvions pas, pendant longtemps, les voir.
En France, à la fin du XXe siècle, même si cela nous étonne, le nombre d’analphabètes était plus élevé que cent ans plus tôt. Et sans doute, aujourd’hui, ne cesse-t-il de croître, comme croît la population. Ailleurs aussi ? Nous ne le savons pas, mais c’est probable.

Auteur: Carrière Jean-claude

Info: Croyance

[ nord-sud ] [ décadence ] [ rationalisme ]

 

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discours scientifique

Laisse donc là cette Science,

Laisse là cette outrecuidance,

Garde toy bien de ce poison,

Conserve entiere ta raison,

Que ta vertu soit toute tienne,

Et qu’aprez tout il te souvienne

Qu’en un bon Livre il est escript

Bien heureux les pauvres d’esprit.

Que toute la sagesse humaine

Est aussy folle qu’elle est vaine :

Et que si nos premiers Parens

Fussent demeurez ignorans

Sans donner au diable creance,

Nous serions tous dans l’innocence…

Non, je n’ayme point ceste estude

Qui promet une certitude,

Et ne donne que fiction

Qu’erreur, et que presomption ;

En un mot, je hay la Science :

Mais j’ayme la belle Ignorance ;

J’ayme ceste divinité

Qui me donne la liberté

De tout penser et de tout dire…

La debonnaire conscience,

La simple et facile creance,

Sont les plus communes vertus,

Dont les sujets sont revestus.

Ils ne cognoissent point le vice,

Ils vivent sans nul artifice,

Et dans leur sagesse occupez

Ils endurent d’estre trompez.

L’impie et perfide heresie

Vient elle de leur fantaisie ?

Les troubles et les factions

Sont ce de leurs inventions ?

Non, non, par leurs obeissances,

Ils recognoissent les Puissances,

Qui disposent de leur destin,

Et vont tousjours leur grand chemin…

Ce peu suffit, comme je pense,

À te faire aymer l’ignorance

Et rejetter de ton esprit

Ce que les Docteurs ont escript

Pour le tourment de qui se fie

À leur vaine philosophie.

Quittant donc là tous ces fatras

Allons, d’Alibray, de ce pas

Avec Lambert et Benserrade

Chez le Bon-Puis faire grillade ;

C’est là que par un art divin

Dans une bouteille de vin

Nous estoufferons la memoire

De la science et de la gloire,

Et que nous rendrons triomphans

Et l’ignorance et les enfans.

Auteur: Le Pailleur Jacques

Info: A Monsieur d’Alibray, pour reponse à plusieurs sonnets qu’il luy avoit envoyez par lesquels il luy demandoit son sentiment de l’opinion de Galilée touchant le mouvement de la terre

[ religion ] [ relativisation ] [ mise à distance ] [ imaginaire ] [ simplicité ]

 
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sagesse

Je condamne l’ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu’on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l’éducation de l’enfant.

Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire.

Il apprendrait que les hommes se sont entretués dans des guerres qui n’ont jamais fait que produire d’autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil.

On lui apprendrait assez du passé pour qu’il se sente relié aux hommes qui l’ont précédé, pour qu’il les admire là où ils méritent de l’être, sans s’en faire des idoles, non plus que du présent ou d’un hypothétique avenir.

On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie. ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts.

On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n’osent plus donner dans ce pays.

En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celle du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d’avance certains odieux préjugés.

On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs.

Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu’on ne le fait.

Auteur: Yourcenar Marguerite

Info: Les yeux ouverts, 1984

[ instructions ] [ pédagogie ] [ appartenance ]

 

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société techno-scientifique-marchande

Dans le nouvel esprit des catastrophes, il n’y a rien à craindre pourvu qu’on s’adapte. Nous voici face au nouvel avatar de la raison catastrophique, raison qui nous trouve toujours de bonnes raisons de tirer parti du pire. Aussi pandémique soit-elle, la résilience n’est pourtant pas une simple rhétorique. C’est avant tout une technologie du consentement dont la finalité est d’amener les populations en situation de désastre à consentir au et par le “progrès” technique ; à consentir aux nuisances en rendant incontournable, voire nécessaire, le fait de “vivre avec” le désastre ; à consentir à la participation à travers la cogestion des dégâts avec les pouvoirs publics ; à consentir encore à l’ignorance en désapprenant à être affecté, en renonçant à notre santé notamment, notre désir de vérité aussi ; à consentir, enfin, à devenir les cobayes de conditions de vie dégradées induites par le désastre. […]

C’est pourquoi la cogestion avec les populations rendues optimistes par la grâce de la joie agissante constitue un pilier des rhétoriques de résilience. Elle participe de l’élaboration du consentement au désastre et à ses suites. Il s’agit de donner naissance à un micro-entrepreneuriat des décombres. Car en transformant les victimes en acteurs, le statut même de victime est dilué dans la cogestion des dégâts, tandis que celui du désastre l’est dans la promesse de l’avènement d’un “nouveau départ” garanti par la résilience et fondé sur l’adaptation-soumission. Naît ainsi la confusion entre l’accomplissement du sujet et les nécessités que lui impose sa survie en milieu catastrophique. […]

Enquêter sur les déterminants de la survie pour mieux la paramétrer et en élaborer les outils thérapeutiques en conséquence : voilà l’activité scrupuleusement menée par les “techno-bigots” de la résilience, cette métaphysique étatique du malheur. Non seulement cela revient-il à ne jamais condamner les causes qui poussent de plus en plus de gens à être engloutis dans ce qui n’est plus qu’une survie, mais cela concourt-il aussi à sa planification plutôt qu’à vivifier le désir de prendre de la distance vis-à-vis de la condition de survivant. Seule l’émancipation, consistant précisément à aller à l’encontre de l’identification du sujet à cette condition, peut mettre fin à la dangereuse entreprise de désocialisation de la catastrophe et de la réalité du malheur – usurpation visant à les soustraire à toute forme d’explication sociale tout en les exhortant à marcher d’un pas unifié derrière l’appel à l’endurance – pour enfin cesser de faire du désastre le pendant inéluctable du progrès au point d’en faire sa source. En finir avec la perpétuation du mythe d’un malheur vertueux rendant inapte toute tentative de s’y opposer.

Auteur: Ribault Thierry

Info: "En réponse aux résiliothérapeutes et leur métaphysique du malheur", Socialter n°48 octobre-novembre 2021

[ déresponsabilisation ] [ endoctrinement ] [ malléabilité ] [ psychothérapie instrument du pouvoir ]

 

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inconnaissance

J’ai lu l’écriture de l’homme. J’ai vagabondé à travers ses pages, j’ai feuilleté ses idées. Je sais jusqu’où allèrent les peuples et combien les mena loin la tentation de l’esprit. Certains souffrirent pour inventer des formules, d’autres pour engendrer des héros ou pour figer l’ennui dans la foi. Tous dépensèrent leurs richesses parce qu’ils redoutaient le spectre du vide. Et quand ils ne crurent plus à rien, quand la vitalité ne soutint plus la flammèche des tromperies fécondes, ils se livrèrent aux délices du déclin, aux langueurs d’un esprit épuisé.

Ce qu’ils m’ont enseigné – une curiosité dévorante m’entraînait dans les méandres du devenir – n’est qu’eau morte où se reflètent les charognes de la pensée. Tout ce que je sais, je le dois aux fureurs de l’ignorance. Lorsque tout ce que j’ai appris disparaît, alors, nu, le monde nu devant moi, je commence à tout comprendre.

Je fus le compagnon des sceptiques d’Athènes, des écervelés de Rome, des saints de l’Espagne, des penseurs nordiques et des poètes britanniques aux ferveurs brumeuses – le débauché des passions inutiles, le zélateur vicieux et délaissé de toutes les inspirations.

… Et puis, revenu de tout cela, ce fut moi que je retrouvai. Je me remis en route sans eux, explorateur de mon ignorance. Quiconque fait le tour de l’histoire retombe durement en lui-même. Lorsque s’achève le labeur de ses pensées, l’homme, plus seul qu’auparavant, sourit innocemment à la virtualité.

Ce ne sont pas les exploits temporels qui te mettront sur le chemin de ton accomplissement. Affronte l’instant, ne redoute pas la fatigue, ce ne sont pas les hommes qui t’initieront aux mystères gisant dans ton ignorance. Le monde se tapit en elle. Écoute-la sans parler, tu y entendras tout. Il n’existe ni vérité ni erreur, ni objet ni fantasme. Prête l’oreille au monde qui couve quelque part en toi et qui est, sans avoir besoin de se montrer. Tout réside en toi, la place y est vaste pour les continents de la pensée.

Rien ne nous précède, rien ne nous côtoie, rien ne nous succède. L’isolement d’une créature est l’isolement de toutes. L’être est un jamais absolu.

Qui pourrait être dénué de fierté au point de tolérer quoi que ce soit en dehors de lui ? Avant toi retentirent des chants, après toi continuera la poésie des nuits – cela, as-tu la force de le supporter ?

Si, dans la débâcle du temps, dans le miracle d’une présence, je ne vois pas se faire et se défaire le monde vivant, alors ce que je fus et que je suis n’approche même pas le frisson d’une ombre d’étonnement.

Auteur: Cioran Emil Michel

Info: Bréviaire des vaincus (17)

[ monadisme ]

 
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moraline littéraire

M. Zola est le Christophe Colomb, le Vasco de Gama, le Magellan, le grand Albuquerque du Lieu Commun. Il équipe une flotte de trois cents navires et presse une armée navale de trente mille hommes téméraires pour découvrir que "tout n'est pas rose dans la vie", qu’on n'est pas toujours jeune" ou que "l’argent ne fait pas le bonheur". — Ce continent m’appartient ! s’écrie-t-il alors, en piaffant de son pied vainqueur, et il déploie, au nom du Positivisme, l’étendard couleur de bran des documentaires. Le Lieu Commun s’échappe sans interruption de ce Découvreur conquérant, comme l’eau des sources miraculeuses. Dans les livres effroyablement copieux qui précédèrent la trilogie dont il nous offre aujourd’hui le premier chant, les lieux communs, toujours canalisés avec méthode, avaient coulé dans les diverses vallées de l’Amour, du Rêve, de la Politique, de la Crapule, de l’Art, de la Haute Noce, du Haut Commerce, de la Vie rustique, de la Finance ou de la Guerre ; car le fleuve jaune avait paru former un delta, aux embouchures innombrables. Lourdes, sujet religieux, est le grand estuaire et les autres bras n’ont plus l’air de rien. Il ne fallait pas moins que les Pyrénées pour lancer sur nous ce torrent de rinçures philosophiques et humanitaires : "La foi aveugle, — l’obéissance sans examen, — le total abandon de la raison, — la foi qui étouffe le torturant besoin de la vérité, — les phénomènes prouvés qui démolissent les dogmes, — la dévotion étroite, — le miracle par suggestion, — la volonté de croire, — la tristesse de ne plus croire, — la divine ignorance, — la dévorante illusion de l’amour divin, — les exagérations !!! — le bonheur par la foi qui est dans l’ignorance et le mensonge, — les prêtres qui ne sont plus des hommes, — les prêtres châtrés, — le suicide volontaire, la vie libre et virile du dehors" ; etc., etc., etc. Je vous dis qu’il n’en a pas raté un seul. Tout ce qui se débagoule de plus médiocre, de plus bête, de plus ignare, de plus malpropre chez les commis-voyageurs ou dans les bas feuilletons anticléricaux rédigés pour des cordonniers impies ; tous les résidus des vieilles opinions fétides, vomies autrefois par les renégats eux-mêmes, goulûment réavalées par des cuistres abominables et revomies à longs flots dans la gueule des derniers chiens du Matérialisme ; — M. Zola les a recueillis comme de très-précieux condiments et les a jetés à brassées dans son chaudron. Et des phrases telles que celles-ci : "L’histoire ne retourne pas en arrière, l’humanité ne peut revenir à l’enfance. — L’inexpliqué seul constitue le miracle. — À quoi bon croire aux dogmes ? ne suffit-il pas de pleurer et d’aimer ?" Enfin, il y en a six cents pages ! Il est vrai que les habitués de cette cuisine peuvent, sans déchet notable, se contenter de lire avec le couteau à papier. Je l’ai dit plus haut, on y rencontre trop de vieilles connaissances et les pourceaux même se lassent de ne jamais obtenir d’excréments nouveaux.

Auteur: Bloy Léon

Info: Dans "Je m'accuse", sur Emile Zola

[ vacherie ] [ critique littéraire ] [ prêt-à-penser ]

 

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outil technologique

Là où manque l'occasion d'extérioriser un talent, continue Feuerbach, le talent manque aussi ; (là où il n’y a pas d’espace pour l’action, il n'y a pas non plus d’impulsion : l’espace est la condition fondamentale de la vie de l’esprit : où l’espace manque pour extérioriser une capacité, manque aussi la capacité elle-même, etc.) ; et par suite, en conséquence, chaque nouvel appareil ou machine électrique dont la commodité s’installe dans notre privauté ou l’organisation sociale fait la dispense d’une capacité, d’un talent, d’une faculté que nous possédions auparavant ; opère une diminution fatale, une soustraction : chaque progrès technique abêtit la partie correspondante de l'homme, ne lui en laissant que la rhétorique, ainsi que Michelstaedter le rédigeait en 1910 à la lueur d’une lampe à huile : tous les progrès de la civilisation sont autant de régressions de l'individu (et qui se suicidait le lendemain). Nous autres dont la vie se déroule au crépuscule de ce long désenchantement à quoi le principe de rationalisme étroit et positif nous a réduits – régression qui “est essentielle au développement conséquent de la domination”, précise Adorno dans une annotation au Meilleur des mondes – pourrions être les témoins étonnés de ce processus de déperdition parvenu à son terme, si nous n’en étions pas, en notre personne, aussi le résultat.

C’est par définition qu’une victime d’un rétrécissement de la conscience n’en est pas consciente ; (d’où l’intérêt de ces tests de dépistage précoce de l’ESB humaine ou de l’Alzheimer pour en informer l’usager pendant qu’il comprend encore ce qu’on lui dit).

Suivons néanmoins cette idée (que notre conscience est conditionnée par notre présence physique dans le monde, que c’est l’obligation d'être là en personne qui nous fait conscients ; et qu’aussi bien c’est seulement par la conscience que nous pouvons être là en personne) : les appareils et machines de la vie facile, de la satisfaction immédiate et sans peine ne nous dépouillent donc pas seulement des facultés, talents et capacités qu’ils remplacent, mais, en même temps que de la fatigue à les employer, de l'effort et de l'attention indispensables, de la contrainte d’être là en personne ; et donc aussi de la conscience de soi, qui était seulement à l’occasion de cet exercice.

& c'est ici que je vous prie de renouveler votre attention : quand, fatigué, on prend l’ascenseur pour gagner son étage, qu’on est transféré directement de la rue à l’étage, on a forcément moins conscience de rentrer chez soi (et l’on ne peut pas se rendre compte de combien c’en est peu un) ; et l’on n’est pas seulement privé du temps passé avec soi-même en montant l’escalier, et avec la fatigue, du plaisir d’y atteindre, mais aussi bien de l’emploi de ses jambes : de la faculté de rentrer chez soi par ses propres moyens.

(Et c’est pourquoi ce sont des imbéciles ou des inconscients, ceux qui disent : c’est la même chose de recevoir des e-mails que des lettres dans la boîte au rez-de-chaussée : des malheureux surtout qui resteront toute leur existence dans l’ignorance de ce que c’est de remonter l’escalier dans la solitude de cette lettre qui n’est toujours pas venue, ou, enfin, un jour, qui est là avec son écriture dessus. Leur âme restera toujours vide de ces minutes-là, qui sont toute la clarté, toute la lumière, etc., “et nous restons sous leur emprise notre vie durant” ; de ces brefs moments “qui pourtant nous suffisent pour l’éternité” : par où notre existence est à elle-même sa propre éternité ; leur âme restera vide de cet escalier et un jour le néant les avalera comme se referme la porte automatique de l’ascenseur.)

Auteur: Bodinat Baudouin de pseudo

Info: La vie sur terre. Paris : Éditions de l’Encyclopédie des nuisances

[ critique ] [ réducteur d'expérience humaine ] [ appauvrissement sensible ] [ perte du poids de l'incarnation ]

 
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déresponsabilisation industrielle

Un documentaire consacré aux désastres de Tchernobyl et de Fukushima a été présenté par Arte le 26 avril dernier, lançant une pernicieuse invitation à "vivre avec" la contamination radioactive, "défi" que prétendent, en ces jours sombres, relever les missionnaires de l’accommodation à la vie en zones contaminées par la radioactivité.



L’"Initiative de Dialogue pour la réhabilitation des conditions de vie après l’accident de Fukushima", présentée dans ce film, a été pilotée par de supposés, et néanmoins dangereux experts à l’œuvre à Tchernobyl hier, à Fukushima aujourd’hui, et en France demain.



[...] Un des principaux objectifs − atteint − de ces programmes, a été d’évincer du terrain de Tchernobyl les initiatives de protection sanitaire développées par des médecins et des physiciens après l’accident de la centrale, et de ne pas ralentir, en conséquence, la détérioration continue de la santé des populations, faute d’apporter une véritable prophylaxie.



Les faits de traîtrise de Gilles Hériard-Dubreuil à l’encontre des spécialistes de santé du Belarus ne semblent toutefois pas avoir dissuadé la députée européenne Europe Écologie-Les Verts Michèle Rivasi et l’avocate Corinne Lepage, "antinucléaires" déclarées, de collaborer avec ce dernier, de le nommer "secrétaire" et "expert qualifié" de leur association européenne Nuclear Transparency Watch, qu’elles ont créée et qu’elles président depuis 2013, appelant à rien moins qu’"une implication systématique des citoyens et de la société civile dans la préparation et la réponse aux situations d’urgence nucléaire en Europe", situations dont on aura suffisamment compris qu’elles ne tarderont plus à "survenir".



[...] 



Voici leurs cinq recettes, qui, pour être bien concoctées, n’en sont pas moins empoisonnées de cette mort qui enverra les gens moisir à plat.



1. Inciter chacun à rester vivre dans les zones contaminées, tout en "optimisant" son exposition à la radioactivité à proportion du coût économique et social de sa protection. Ainsi, maximisent-ils le nombre de personnes contraintes de suivre un protocole de contrôle et de mesure permettant de survivre dans la contamination à moindre coût. À défaut de les soigner.



2. Considérer la réalité radioactive comme un problème psychologique. Il s’agit de transformer une réalité scientifique et sociale – la contamination radioactive et ses dégâts –, en phénomène faisant l’objet d’un "ressenti" individuel, lui-même tributaire de l’état mental, ou psychologique, de chacun.



Le rapport à la radioactivité ne relèverait ainsi que d’une gestion personnalisée de l’angoisse. À dire d’experts, ce ne serait alors plus la situation de contamination qui serait irrationnelle, mais la perception qu’on en aurait.



3. Recourir à un jargon d’"authenticité", pontifiant et illusoirement concret dans lequel les appels à l’autonomie, à la dignité, à la communauté et à l’humain ne font qu’emprunter à la théologie de pâles reflets de transcendance, afin de mieux assujettir l’individu au fonctionnement, ici du tout radioactif, ailleurs du tout sécurisé.



Or, conforter les gens dans le délire selon lequel ils sont des sujets autonomes dans la "gestion de leur contamination", alors qu’ils savent bien qu’il leur est seulement impossible de ne pas se plier aux rapports techno-sociaux dont ils sont prisonniers, c’est vouer à l’échec toute possibilité d’échappée.



On conditionne les populations à la cogestion du désastre, en les encourageant à stimuler, et a minima à simuler, les réflexes et les comportements induits par les modifications du monde environnant. Cette recherche de l’adaptation parfaite passe par l’intériorisation de toutes les formes de pressions que la contamination radioactive fait naître.



4. Promouvoir la résilience, nouvel horizon de l’homme adaptable, censé ne compter que sur lui-même et ses insondables capacités de "rebond". Au nom d’un relativisme pragmatique, d’un primat de "la vie quotidienne", ces médiateurs du désastre insufflent la défiance, voire la décrédibilisation, des connaissances scientifiques les moins contestables, distillent le doute et propagent l’ignorance sur les effets sanitaires de l’exposition durable aux dites "faibles doses" de rayonnement ionisant, tout en déplorant "la montée de la défiance des populations vis-à-vis des différentes sortes d’autorités."



Résilience aidant, c’est à nous qu’ils assignent ensuite la tâche de recoller les morceaux de ce qu’ils contribuent à détruire. Ils préconisent de remplacer les normes de protection par de simples recommandations destinées à faciliter l’action des individus. "Les gens passent ainsi de la résignation à la créativité", s’enthousiasme Jacques Lochard.



Ainsi, chacun n’aurait plus qu’à mobiliser ses propres réserves de résistance à l’irrésistible et devenir "partie prenante" de sa propre irradiation. On reconnaît là le choix de l’État japonais : maintenir les populations sur place et diminuer d’autant, à court terme du moins, le coût d’un accident nucléaire.



5. Banaliser la radioactivité, cet obstacle que l’on apprend à contourner au quotidien dans la recherche de "solutions" immédiates, ponctuelles et individuelles. La radioactivité ne poserait alors problème que dans la seule mesure où les pratiques de vie des habitants les amèneraient à la "croiser" sur le chemin de l’école, du travail, ou de la promenade.



Au Japon, se mène désormais une chasse quotidienne aux hotspots de contamination radioactive, réduits à des incidents facilement résolus en grattant le sol et en stockant la terre dans des sacs poubelle, ou en installant des rideaux de plomb aux fenêtres des chambres d’enfants afin d’"éviter la contamination venant de la forêt."



[...] 



Ces aménageurs de la vie mutilée, relayés par Arte et tant d’autres représentants d’instances étatiques ou associatives, telles que Nuclear Transparency Watch de Mmes Rivasi et Lepage, et M. Hériard-Dubreuil, défendent haut et fort l’irrationalité selon laquelle il existerait un entre-deux de la contamination, où l’exposition au rayonnement ne serait dangereuse qu’en principe, mais s’avèrerait inoffensive dans la réalité. Véritable irrationalité, cette extrême violence du "vivre avec" est une insulte aux survivants.



Il s’agirait donc d’endiguer l’horreur de la contamination en la coulant dans les formes pseudo-rationnelles d’un "tous ensemble, nous vaincrons la radioactivité" ? C’est à quoi se vouent ces prêcheurs de soumission en expliquant, sans foi ni loi, qu’on peut échapper au danger en s’y confrontant, qu’on peut gratter la terre, mais en croisant les doigts.



[...] Proclamant qu’il faut "gérer" sa peur, ils prétendent réduire à néant toute possibilité de mise en cause de la déraison nucléaire, enjoignant à chacun d’en tirer au contraire parti, plutôt que de se hasarder à en rechercher les responsables.



Il fallait dire ce qu’est l’objectif de ces rédempteurs du "vivre avec", qui n’en paieront pas le prix, eux qui ont choisi d’emplir les hôpitaux de malades plutôt que de rendre inhabitées des terres inhabitables.

Auteur: Internet

Info: 3 août 2016, https://sciences-critiques.fr/tchernobyl-fukushima-les-amenageurs-de-la-vie-mutilee/

[ sacrifice différé ] [ minimisation des conséquences ] [ propagande cynique ]

 
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