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racines

Il ne faut pas oublier d’où l’on vient. Ou plutôt, il faut savoir d’où l’on vient pour pouvoir l’oublier. Je n’appartenais pas à une terre, mais à une histoire, dont je devais connaître le début pour en écrire la fin.

Auteur: Bamberger Vanessa

Info: Alto Braco

[ envol ]

 

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existence

Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance, nous nous démenons, rescapés qui essaient de l’oublier. La peur de la mort n’est que la projection dans l’avenir d’une peur qui remonte à notre premier instant.

Auteur: Cioran Emil Michel

Info: De l'inconvénient d'être né

[ encombrement ] [ responsabilité ]

 

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antisémitisme

Moi, je courais – cela, je ne l’oublierai jamais, car c’était la preuve de l’incroyable manque d’instinct des nationaux-socialistes – main dans la main avec Madame Heidegger, qui avait l’air, alors, de ces jeunes filles des mouvements de jeunesse, et qui en faisait d’ailleurs probablement partie. Comme elle n’avait absolument aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler un Juif (et je ne pouvais pas vraiment cacher que je l’étais), elle commença, pendant que nous dévalions ainsi la pente, à parler du national-socialisme, en me demandant si je ne voulais pas, moi aussi, adhérer à ce mouvement. "Regardez-moi donc ! lui dis-je, et vous verrez que je suis de ceux que vous voulez exclure." Je dis seulement "exclure" car, naturellement, il ne pouvait pas être question de dire "avilir", encore moins "liquider".

Auteur: Anders Günther Stern

Info: Et si je suis désespéré... pages 19-20

[ théorie générale-cas particulier ]

 

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isolement

J’étais alors seul la plupart du temps, la vie conjugale et la vie dans les bois n’ayant pas fait bon ménage. Outre ma propre personne, je disposais de quatre chiens, de deux traîneaux, d’un harnais et de raquettes, de quelques livres et j’avais ma passion pour cette région. J’étais bien décidé à apprendre tout ce que je pouvais afin de me préparer à une longue vie dans les bois.
Pendant un temps, je posai mes pièges le long de la Tanana et sur les anciens chemins jouxtant Richardson et Tenderfoot, pas trop loin de chez moi. Sur le moment, j’en fus pour mes peines, malgré toutes ces expéditions et toutes ces recherches, tous ces regards perplexes scrutant la neige. Malgré tout, j’en tirai une leçon. J’appris à lire une piste animale, l’empreinte laissée sur la neige par la patte, l’aile ou la queue. D’une certaine façon, étrange et intuitive, c’était comme si je m’initiais à une langue étrangère où le moindre détail, le moindre accent avait une signification particulière. Cette langue m’amenait pas à pas dans un monde que j’avais, me semblait-il, connu naguère avant de l’oublier – un monde rempli d’ombres, hanté par les visions encore à moitié présentes du passé. J’y trouvais mes marques, plus ou moins certain – même si j’étais seul, loin de tout ce qui avait entouré mon enfance – que j’étais là où je devais être, à faire ce que je devais faire.

Auteur: Haines John Meade

Info: Vingt-cinq ans de solitude : Mémoires du Grand Nord

[ chasse ] [ nature ]

 

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manifestation signifiante

La notion de masque veut dire que le désir se présente sous une forme ambiguë qui ne nous permet justement pas d’orienter le sujet par rapport à tel ou tel objet de la situation. C’est un intérêt du sujet dans la situation comme telle, c’est-à-dire dans la relation de désir. [...]

[La] reconnaissance [du désir] tend à se faire jour, cherche sa voie, mais [...] ne se manifeste que par la création de ce que nous avons appelé le masque, qui est quelque chose de fermé. Cette reconnaissance du désir, c’est une reconnaissance par personne, qui ne vise personne, puisque personne ne peut la lire jusqu’au moment où quelqu’un commence d’en apprendre la clef. Cette reconnaissance se présente sous une forme close à l’autre. Reconnaissance du désir, donc, mais reconnaissance par personne.

D’autre part, en tant que c’est un désir de reconnaissance, c’est autre chose que le désir. D’ailleurs, on nous le dit bien – ce désir est un désir refoulé. C’est pour cela que notre intervention ajoute quelque chose de plus à la simple lecture. Ce désir est un désir que le sujet exclut en tant qu’il veut le faire reconnaître. Comme désir de reconnaissance, c’est un désir peut-être, mais en fin de compte, c’est un désir de rien. C’est un désir qui n’est pas là, un désir rejeté, exclu.

Ce double caractère du désir inconscient qui, en l’identifiant à son masque, en fait autre chose que quoi que ce soit qui soit dirigé vers un objet, nous ne devons jamais l’oublier.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre V", "Les formations de l'inconscient (1957-1958)", éditions du Seuil, 1998, pages 326-327

[ demande ] [ voilé ] [ résorption leurrante ]

 
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inspiration

Lorsque je suis pour ainsi dire tout à fait moi-même, complètement seul et de bonne humeur, comme lorsque je voyage en voiture, que je fais une promenade après un bon repas ou que, la nuit, je ne peux dormir, c'est dans ces moments que mes idées coulent le mieux et en plus grande quantité. D’où elles viennent et comment elles viennent, je l’ignore; je ne peux pas non plus en forcer la venue. Les délicieuses qui me plaisent, je les garde en mémoire et j’ai l’habitude, à ce qu’on m’a dit, de les fredonner pour moi-même. Si je poursuis, je trouve bientôt de quelle façon je pourrais apprêter tel ou tel morceau – comme pour en faire un bon plat en quelque sorte – afin qu’il réponde agréablement aux règles du contrepoint, aux particularités des divers instruments, etc.

Tout ceci enflamme mon âme et, à condition qu'on ne me dérange pas, mon sujet s’élargit, s’ordonne, se définit, et au bout d’un moment quelquefois assez long, le tout se retrouve presque complété, achevé dans mon esprit, de sorte que je peux l’embrasser d’un seul regard comme un beau tableau ou une belle statue. Dans mon imagination, je n’entends pas les différentes parties à la suite l’une de l’autre, mais je les entends toutes à la fois, en quelque sorte. Toute cette invention, toute cette création se produit dans un rêve agréable et plein d’entrain. Mais le meilleur, c’est encore d’entendre le tout ensemble. Ce qui a été créé ainsi, je peux difficilement l’oublier, et c’est là le plus beau don pour lequel je doive remercier mon divin Créateur.

Auteur: Mozart Wolfgang Amadeus

Info: In P.E. Vernon, Ed, Creativity: Selected Readings (Penguin).

[ musique classique ] [ composition ] [ création ]

 

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politique

Pas que je dise que le capitalisme ne serve à rien. Non. Le capitalisme sert justement à quelque chose et nous ne devrions pas l’oublier. C’est les choses qu’il fait qui ne servent à rien, mais ça c’est une toute autre affaire. C’est justement son problème.

Enfin, ce sur quoi il s’appuie - et c’est une grande force - devrait s’éclairer. Elle joue dans le même sens que celui que je vous disais tout à l’heure, elle va contre le pouvoir. Elle est d’une autre nature. Et elle donne au pouvoir de grands embarras.

Là aussi, c’est évidemment nachträglich, c’est après coup qu’il faut voir le sens de ce qui se passe. Le capitalisme a tout à fait changé les habitudes du pouvoir. Elles sont peut­-être devenues plus abusives, mais enfin, elles sont changées.

Le capitalisme a introduit ceci, qu’on n’avait jamais vu, ce qu’on appelle le pouvoir libéral.

Il y a des choses très simples dont après tout je ne peux parler que d’expérience très personnelle.

Observez ceci : de mémoire d’historien on n’a jamais entendu parler d’organe de gouvernement qu’on quitte en donnant sa démission.

Là où des pouvoirs authentiques, sérieux, subsistants, existent, on ne donne pas sa démission, parce que c’est très grave comme conséquence. Ou alors c’est une simple façon de s’exprimer, on donne sa démission, mais on vous abat à la sortie.

J’appelle ça des endroits où le pouvoir est sérieux. L’idée de considérer comme un progrès, et encore libéral, les institutions où, quand quelqu’un a bien saboté tout ce qu’il avait à faire pendant trois ou six mois et s’est révélé un incapable,

il n’a qu’à donner sa démission et il ne lui arrive rien.

Au contraire, on lui dit d’attendre pour qu’il revienne la prochaine fois : ça veut quand même dire quoi ?

On n’a jamais vu ça à Rome, enfin ! Aux endroits où c’était sérieux ! On n’a jamais vu un consul donner sa démission, ni un tribun du peuple ! C’est à proprement parler, inimaginable. Ça veut simplement dire que le pouvoir est ailleurs.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 19 mars 1969

[ discours capitaliste ] [ nom-du-père ] [ ordre symbolique ] [ destitution ]

 

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mutation économique

Cormac McCarthy a intitulé un des ses romans No Country for Old Men, qu’on pourrait traduire par : pas de place ici pour les hommes à l’ancienne. Le remplacement des hommes à l’ancienne par les nouveaux consommateurs s’est opéré partout dans ce qu’on appelle le monde "développé", à des moments et à des vitesses variables. En Europe, une bonne partie de l’Italie est demeurée longtemps en marge du mouvement. La "modernisation", dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, n’en a été que plus spectaculaire. Pasolini a été témoin de l’entrée brusque et massive du petit peuple italien dans l’univers de la consommation – événement qui a aussi signifié sa destruction en tant que peuple. Au début des années 1960, Pasolini a tourné L’Evangile selon saint Matthieu dans des villages du sud de l’Italie. Il avait le sentiment que les personnes qui vivaient là étaient très semblables à celles qui vivaient en Palestine il y a deux millénaires. Dix ans plus tard, il s’est rendu compte qu’un tel tournage n’aurait plus été possible : les visages des habitants de ces villages étaient devenus des visages de personnes qui regardaient la télévision. Pasolini a été bouleversé par ce basculement anthropologique. Pour lui, "le fossé entre l’univers de la consommation et le monde paléo-industriel est encore plus profond et total que le fossé entre le monde paléo-industriel et le monde préindustriel". Pasolini qualifie donc de paléo-industriel le monde qui va de la révolution industrielle à l’entrée dans la société de consommation. Pour exprimer la même idée que Pasolini en d’autres termes : il y a moins de distance entre le paysan des Travaux et les Jours et l’ouvrier de Germinal qu’entre l’ouvrier de Germinal et le consommateur contemporain. Pasolini nous aide ainsi à percevoir, à prendre conscience de ce fossé gigantesque, ordinairement négligé, précisément parce qu’il est si gigantesque que la pensée peine à l’enjamber.

[...]

Pasolini a vécu l’avènement du consumérisme comme une catastrophe anthropologique. Le consumérisme allant de pair avec le règne de ce qu’on appelle le capitalisme, il a une critique virulente du capitalisme. Pour cette raison, il a été classé et s’est classé lui-même résolument à gauche. Pour autant, la locution "homme de gauche" me semble, concernant Pasolini, inappropriée. Kundera a remarqué que ce qui "unit les gens de gauche de tous les temps et de toutes les tendances", c’est l’idée de la Grande Marche en avant qui, malgré tous les obstacles, nous achemine vers la fraternité, l’égalité, la justice, le bonheur universel : "La dictature du prolétariat ou la démocratie ? Le refus de la société de consommation ou l’augmentation de la production ? La guillotine ou l’abolition de la peine de mort ? Ça n’a aucune importance. Ce qui fait d’un homme de gauche un homme de gauche ce n’est pas telle ou telle théorie, mais sa capacité à intégrer n’importe quelle théorie dans le kitsch appelé Grande Marche." Pasolini n’était pas de ceux qui refusaient la société de consommation parce qu’à son époque, la Grande Marche supposait le rejet de la société de consommation ; il refusait la société de consommation parce qu’il la trouvait monstrueuse – refus qui, dans la période qui va de l’après-guerre aux années 1970, le plaçait à gauche.

Les guerres mondiales ont beaucoup détruit. Mais ces destructions étaient somme toute peu de chose en comparaison des ravages perpétrés, après 1945, par trois décennies de modernisation intensive des modes de vie, des modes de production, des villes, des campagnes, des âmes, de tout. Nulle trace, chez Pasolini, d’une quelconque idéalisation du passé. Mais s’il estimait la révolution nécessaire, ce n’était pas pour se débarrasser du "vieux monde" comme d’une immondice, c’était pour amener ce qui, dans le passé, était déjà là, mais à l’état entravé, opprimé, à son épanouissement, à sa pleine fécondité. Pour Pasolini, la société de consommation avait ceci de terrifiant que, au contraire de celles qui l’avaient précédée, elle ne se contentait pas d’entraver ou d’opprimer, mais détruisait. Elle prétendait libérer, et répandait la dévastation.

De son vivant, Pasolini a été en butte à nombre d’attaques venues de la gauche "progressiste". Un billet le résume, adressé par un lecteur de ses chroniques dans l’hebdomadaire Tempo : "Pier Paolo, tu es un réactionnaire et un conservateur." À quoi Pasolini répond : "Toi, tu es de gauche, d’extrême gauche, plus à gauche entre tous, et pourtant tu es un fasciste : tu es fasciste parce que tu es bête, autoritaire, incapable d’observer la réalité, esclave de quelques principes qui te semblent si inébranlablement justes qu’ils sont devenus une foi (horrible chose, lorsqu’elle ne s’accompagne pas de la charité : autrement dit, d’un rapport concret, vivant et réaliste avec l’histoire)." Après la mort de Pasolini, la gauche a préféré l’oublier, ou l’embaumer, et adhérer à la société de consommation. On a vu se mettre en place, entre droite et gauche, ce que Jean-Claude Michéa appelle un régime d’alternance unique, où les camps prétendument opposés rivalisent en furie modernisatrice. On comprend que dans ce contexte, Pasolini soit passé de mode. Mais c’est précisément pour cela qu’il a quelque chose à nous dire.

Auteur: Rey Olivier

Info: https://linactuelle.fr/index.php/2019/02/08/olivier-rey-pasolini-consumerisme/

[ préjugé politique ] [ mondialisation ] [ TV ] [ abrutissement ]

 

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néo-darwinisme

Pour décoder la manipulation ou le marketing viral : la mémétique

Qu’y a-t-il de commun entre un drapeau de pirates, la chanson Happy birthday to you, un crucifix, des sigles courants (TV, USA, WC...), un jeu de Pokémon, un panneau stop, une histoire belge bien connue et le logo de Nike ? Ce sont des mèmes. C’est à dire des “entités réplicatives d’informations”, autrement dit des codes culturels qui, par imitation ou contagion, transmettent des solutions inventées par une population. Quand vous faites du marketing viral ou du lobbying, quand la télévision manipule votre “temps de cerveau humain disponible” à des fins commerciales ou idéologiques, vous êtes sans le savoir dans le champ de la mémétique comme M. Jourdain était dans celui de la prose.

La vraie vie n’est pas seulement faite de ce qu’on apprend à l’école ou à l’université... Les relations entre spécialités sont au moins aussi utiles que l’approfondissement d’une expertise spécifique... Ce n’est pas parce qu’une discipline n’a pas (encore) de reconnaissance académique qu’elle n’est pas sérieuse... Surtout quand la connaissance évolue plus vite que les mentalités, quand le fossé se creuse entre théorie et pratique, quand l’académisme dépend de normes formelles ou de chasses gardées plus que du progrès de la civilisation... La mémétique en est un bon exemple qui, malgré sa valeur scientifique et son utilité sociale, est méprisée comme ont pu l’être ses ancêtres darwiniens. Dommage, car si elle était mieux connue, nous serions moins faciles à manipuler.

LA MÉMÉTIQUE, C’EST SÉRIEUX !

Le mème est à la culture ce que le gène est à la nature. L’Oxford English Dictionary le définit comme un élément de culture dont on peut considérer qu’il se transmet par des moyens non génétiques, en particulier par l’imitation. Il a pour habitat ou pour vecteur l’homme lui-même ou tout support d’information. Dans les années 1970, des chercheurs de différentes disciplines s’interrogeaient sur la possible existence d’un équivalent culturel de l’ADN*. C’est en 1976, dans Le gène égoïste, que l’éthologiste Richard Dawkins baptisa le mème à partir d’une association entre gène et mimesis (du grec imitation), suggérant aussi les notions de mémoire, de ressemblance (du français même), de plus petite unité d’information. “Bref, un mot génial, bien trouvé, imparable. Un pur réplicateur qui s’ancre davantage dans votre mémoire chaque fois que vous essayez de l’oublier !” (Pascal Jouxtel).

La mémétique applique à la culture humaine des concepts issus de la théorie de l’évolution et envisage une analogie entre patrimoines culturels et génétique : il y a variation (mutation), sélection et transmission de codes culturels qui sont en concurrence pour se reproduire dans la société. Cette réplication a un caractère intra- et inter-humain. Elle dépend de la capacité du mème à se faire accepter : vous l’accueillez, l’hébergez, le rediffusez parce que vous en tirez une gratification aux yeux d’autrui, par exemple en termes d’image (vous avez le 4x4 vu à la télé), de rareté (il a une carte Pikatchu introuvable) ou autre avantage relationnel (petits objets transactionnels attractifs). Elle est stimulée par les technologies de l’information, qui renforcent le maillage des flux échangés et les accélèrent : la réplication est plus forte par les mass media (cf. les codes véhiculés par les émissions de téléréalité) et sur les réseaux (SMS ou Internet) que dans une société moins médiatisée où les flux sont moins foisonnants. 

On ne démontrera pas en quelques lignes la valeur ou l’intérêt de cette science, mais un ouvrage le fait avec talent : Comment les systèmes pondent, de P. Jouxtel (Le Pommier, Paris, 2005). On se bornera ici à extraire de ce livre un complément de définition : “la mémétique revendique une forme d’autonomie du pensé par rapport au penseur, d’antériorité causale des flux devant les structures, et se pose entre autres comme une science de l’auto-émergence du savoir par compétition entre les niveaux plus élémentaires de la pensée... Transdisciplinaire par nature, la mémétique est une branche extrême de l’anthropologie sociale croisée avec des résultats de l’intelligence artificielle, des sciences cognitives et des sciences de la complexité. Elle s’inscrit formellement dans le cadre darwinien tout en se démarquant des précédentes incursions de la génétique dans les sciences humaines classiques, comme la sociobiologie ou la psychologie évolutionniste, et s’oppose radicalement à toute forme vulgaire de darwinisme social”.

RESTER DANS LE JEU, JOUER À CÔTÉ OU AGIR SUR LE JEU ?

Jouxtel veut aussi promouvoir en milieu francophone une théorie qui y est un peu suspecte, coupable d’attaches anglo-saxonnes, masi qui pourtant trouve ses racines dans notre héritage culturel : autonomie du pensé, morphogenèse (apparition spontanée de formes élémentaires), évolution darwinienne dans la sphère immatérielle des concepts (Monod)... Le rejet observé en France tient aussi au divorce qu’on y entretient entre sciences sociales et sciences naturelles ou à la méfiance vis-à-vis de certains aspects de l’algorithme évolutionnaire (mutation, sélection, reproduction), en particulier “on fait une confusion terrible en croyant que la sélection s’applique aux gens alors qu’elle ne s’applique qu’aux règles du jeu”. De fait, cette forme d’intégration de la pensée s’épanouit mieux dans des cultures favorisant l’ouverture et les échanges que dans celles qui s’attachent à délimiter des territoires cloisonnés. Mais conforter notre fermeture serait renoncer à exploiter de précieuses ressources. Renoncer aussi à apporter une contribution de la pensée en langue française dans un champ aussi stratégique. Donc également renoncer à y exercer une influence.

Outre les enjeux de l’acceptation et des développements francophones de cette science, quels sont ceux de son utilisation ? De façon générale, ce sont des enjeux liés au libre-arbitre et à l’autonomie de la personne quand il s’agit de mettre en évidence les codages sous-jacents de comportements sociaux ou de pratiques culturelles. L’image du miroir éclaire cette notion : on peut rester dans la pièce en croyant que c’est là que se joue le jeu, ou passer derrière le miroir et découvrir d’autres dimensions - c’est ce que la mémétique nous aide à faire. De même dans le diaporama Zoom arrière (www.algoric.com/y/zoom.htm) où, après des images suggérant une perception de premier degré (scène du quotidien dans une cour de ferme), on découvre que la situation peut comporter d’autres dimensions... Plus précisément, pour illustrer l’utilité opérationnelle de la mémétique, on pourra regarder du côté des thèmes qui alimentent régulièrement cette chronique - innovation, marketing, communication stratégique, gouvernance... - autour de trois cas de figure : on peut jouer dans le jeu (idéal théorique souvent trahi par les joueurs), jouer à côté du jeu (égarés, tricheurs) ou agir sur le jeu (en changeant de niveau d’appréhension).

D’AUTRES DEGRÉS SUR LA PYRAMIDE DE MASLOW ?

Une analogie avec la pyramide de Maslow montre comment une situation peut être abordée à différents niveaux. Nos motivations varient sur une échelle de 1 (survie) à 5 (accomplissement) selon le contexte et selon notre degré de maturité. Ainsi, un marketing associé à l’argument mode ou paraître - voiture, téléphone, etc. - sera plus efficace auprès des populations visant les niveaux intermédiaires, appartenance et reconnaissance, que chez celles qui ont atteint le niveau 5. De même pour ce qui nous concerne ici : selon ses caractéristiques et son environnement, une personne ou un groupe prend plus ou moins de hauteur dans l’analyse d’une situation - or, moins on s’élève sur cette échelle, plus on est manipulable, surtout dans une société complexe et différenciée. Prenons par exemple la pétition de Philip Morris pour une loi anti-tabac. Quand j’invite un groupe à décoder cette initiative surprenante, j’obtiens des analyses plus ou moins distanciées, progressant de la naïveté (on y voit une initiative altruiste d’un empoisonneur repenti) à une approche de second degré (c’est un moyen d’empêcher les recours judiciaires de victimes du tabac) ou à une analyse affinée (lobbying de contre-feu pour faire obstacle à une menace plus grave). Plus on s’élève sur cette échelle, plus on voit de variables et plus on a de chances d’avoir prise sur le phénomène analysé. Une approche mémétique poursuivra la progression, par exemple en trouvant là des mèmes pondus par le “système pro-tabac” pour assurer sa descendance, à l’instar de ceux qu’il a pondus au cinéma pendant des années en faisant fumer les héros dans les films.

Il est facile de traiter au premier degré les attentats du 11 septembre 2001, par exemple en y voyant une victoire des forces de libération contre un symbole du libéralisme sauvage ou une attaque des forces du mal contre le rempart de la liberté - ce qui pour les mèmes revient au même car ce faisant, y compris avec des analyses un peu moins primaires, on alimente une diversion favorisant l’essor de macro-systèmes : “terrorisme international”, “capitalisme financier” ou autres. Ceux-ci dépassent les acteurs (Bush, Ben Laden...), institutions (Etat américain, Al-Qaida...) ou systèmes (démocratie, islamisme...), qui ne sont que des vecteurs de diffusion de mèmes dans un affrontement entre macro-systèmes.

QUAND CE DONT ON PARLE N’EST PAS CE DONT IL S’AGIT...

Autre cas intéressant de réplicateurs : les traditionnelles chaînes de l’amitié, consistant à manipuler un individu en exploitant sa naïveté, avec un emballage rudimentaire mais très efficace auprès de celui qui manque d’esprit critique : si tu brises la chaîne les foudres du ciel s’abattront sur toi, si tu la démultiplies tu connaîtras le bonheur, ou au moins la prospérité. On n’y croit pas, mais on ne sait jamais... Internet leur a donné une nouvelle vie - nous avons tous des amis pourtant très fréquentables qui tombent dans le piège et essaient de nous y entraîner ! - et a affiné la perversité de la manipulation avec les hoax et autres virus. Le marketing viral utilise ces ressorts. La réplication peut se faire de façon plus subtile, voire insidieuse, par exemple avec des formes de knowledge management (KM) “de premier degré” - en bref : la mondialisation induit un impératif d’innovation ; on veut dépasser les réactions quantitatives et malthusiennes qui s’attaquent aux coûts car elles jettent le bébé avec l’eau du bain en détruisant aussi les gisements de valeur ; on va donc privilégier la rapidité d’adaptation à un environnement changeant, donc innover en permanence, donc mobiliser le savoir et la créativité, donc fonctionner en réseau. Si l’on continue à gravir des échelons, on s’aperçoit que cette approche réactive reste “dans le jeu” alors qu’on a besoin de prendre du recul par rapport au jeu lui-même pour le remettre en question, voire le réinventer. La mémétique éclaire la complexité de cet exercice difficile où il faut pouvoir changer de logique, de paradigme, pour aborder un problème au niveau des processus du jeu et non plus au niveau de ses contenus. Comme dans la communication stratégique.

Déjà dans le lobbying classique, on savait depuis longtemps que le juriste applique la loi, le lobbyiste la change : le premier reste dans le jeu, quitte à tout faire pour contourner le texte ou en changer l’interprétation, alors que le second, constatant que la situation a évolué, s’emploie à faire changer les règles, voire le jeu lui-même. De même dans les appels d’offres, où certains suivent le cahier des charges quand d’autres contribuent à le définir en agissant en amont. De même dans le lobby-marketing, par exemple quand on s’attache à changer la nature de la relation plus que son contenu ou sa forme, pour passer de solliciteur à sollicité : faire que mon interlocuteur me prie de bien vouloir lui vendre ce que précisément je veux lui vendre... comme est aussi supposé le faire tout bon enseignant qui, ne se bornant pas à transférer des savoirs, veut donner envie d’apprendre ! Déjà difficile pour un lobbyiste néophyte, ce changement de perspective n’est pas naturel dans un “monde de l’innovation” où l’on privilégie un “rationnel plutôt cerveau gauche” qui ne prédispose pas à décoder le jeu pour pouvoir le mettre en question et le réinventer. 

L’interpellation mémétique peut conduire très loin, notamment quand elle montre comment l’essor des réseaux favorise des réplications de mèmes qui ne nous sont pas nécessairement favorables. Elle peut ainsi contredire des impulsions “évidentes” en KM, à commencer par celle qui fait admettre que pour innover et “s’adapter” il faut fonctionner en réseau et en réseaux de réseaux. Avec un peu de recul mémétique, on pourra considérer qu’il s’agit moins de s’adapter au système que d’adapter le système, donc pas nécessairement de suivre la course aux réseaux subis mais d’organiser l’adéquation avec des réseaux choisis, voire maîtrisés...

Aux origines de la mémétique

La possibilité que la sphère des humanités s’ouvre au modèle darwinien n’est pas nouvelle. Sans remonter à Démocrite, on la trouve chez le biochimiste Jacques Monod, dans Le hasard et la nécessité. La notion de monde des idées (noosphère) a été introduite par l’anthropologue Pierre Teilhard de Chardin. Alan Turing et Johannes Von Neumann, pères de l’informatique moderne, ont envisagé que les lois de la vie s’appliquent aussi à des machines ou créatures purement faites d’information. L’épistémologie évolutionnaire de Friedrich Von Hayek en est une autre illustration. D’autres parentés sont schématisées dans la carte ci-dessous.

De façon empirique, au quotidien, on peut observer la séparation du fait humain d’avec la nature, ainsi que son accélération : agriculture, urbanisation et autres activités sont visibles de l’espace, émissions de radio et autres expressions y sont audibles ; nos traces sont partout, livres, codes de lois, arts, technologies, religions… Est-ce l’homme qui a propulsé la culture ou celle-ci qui l’a tiré hors de son origine animale ?

En fait, grâce à ses outils, l’homme a favorisé une évolution combinée, un partenariat, un entraînement mutuel entre le biologique et le culturel. André Leroi-Gourhan raconte la co-évolution de l’outil, du langage et de la morphologie. Claude Lévi-Strauss parle de l’autonomie de l’organisation culturelle, par-delà les différences ethniques. Emile Durkheim revendique l’irréductibilité du fait social à la biologie. Parallèlement, l’observation des sociétés animales démontre que la nature produit des phénomènes collectifs, abstraits, allant bien au-delà des corps. Selon certaines extensions radicales de la sociobiologie à l’homme, toutes nos capacités seraient codées génétiquement, donc toute pratique culturelle - architecture, droit, économie ou art - ne serait qu’un phénotype étendu de l’homme. La réduction des comportements à leurs avantages évolutionnaires biologiques s’est atténuée. Le cerveau est modulaire, le schéma général de ses modules est inscrit dans les gènes, mais on a eu du mal à admettre que leur construction puisse se faire sur la base de flux cognitifs, d’apports d’expériences. 

Il y a des façons d’agir ou de penser qui au fil du temps ont contribué à la survie de ceux qui étaient naturellement aptes à les pratiquer : la peur du noir, la capacité de déguiser ses motivations, le désir de paraître riche ; ou plus subtilement la tendance à croire à une continuation de la vie après la mort, à une providence qui aide, à une vie dans l’invisible ; ou même le réflexe intellectuel consistant à supposer un but à toute chose. Mais il existe des idées, des modes de vie, des techniques, bref des éléments de culture indépendants de l’ADN, qui se transmettent par des moyens non génétiques, en particulier par l’imitation : c’est la thèse de Susan Blackmore, pour qui, entre ces mèmes en compétition, la sélection se fait en fonction de leur “intérêt propre” et non de celui des gènes.

L’argument de Pascal Jouxtel s’inspire d’une formule de Luca Cavalli-Sforza : l’évolution naturelle de l’homme est terminée car tous les facteurs naturels de sélection sont sous contrôle culturel. Tout ce qui pourrait influencer la fécondité ou la mortalité infantile est maîtrisé ou dépend de facteurs géopolitiques, économiques ou religieux. En revanche, la culture continue à évoluer : lois, art, technologies, réseaux de communication, structures de pouvoir, systèmes de valeurs. Le grand changement, c’est que les mèmes évoluent pour leur propre compte, en exploitant le terrain constitué par les réseaux de cerveaux humains, mais indépendamment, et parfois au mépris des besoins de leurs hôtes biologiques. 

“Ce sont des solutions mémétiquement évoluées qui sont aujourd’hui capables de breveter un génome. Il en va de même des religions et des systèmes politiques qui tuent. La plus majestueuse de toutes ces solutions s’appelle Internet, le cerveau global... Tout ce qui relie les humains est bon pour les mèmes. Il est logique, dans la même optique, de coder de façon de plus en plus digitalisée tous les modèles qui doivent être transmis, stockés et copiés. C’est ainsi que le monde se transforme de plus en plus en un vaste Leroy-Merlin culturel, au sein duquel il devient chaque jour plus facile de reproduire du prêt-à-penser, du prêt-à-vivre, du prêt-à-être. A mesure que l’on se familiarise avec l’hypothèse méméticienne, il devient évident qu’elle invite à un combat, à une résistance et à un dépassement. Elle nous montre que des modèles peuvent se reproduire dans le tissu social jusqu’à devenir dominants sans avoir une quelconque valeur de vérité ou d’humanité. Elle nous pose des questions comme : que valent nos certitudes ? De quel droit pouvons-nous imposer nos convictions et notre façon de vivre ?... Comment puis-je dire que je pense ?” (P. Jouxtel, www.memetique.org). Et bien sûr : comment les systèmes pondent-ils ?

Auteur: Quentin Jean-Pierre

Info: Critique du livre de Pascal Jouxtel "comment les systèmes..."

[ sociolinguistique ] [ PNL ]

 

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