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états-unis

La mère semble être décidément, en Amérique, l’élément différencié de la famille. Les dessous de la culture américaine sont véritablement des abîmes : les hommes sont devenus un troupeau de moutons et les femmes jouent aux loups féroces, aussi loin bien sûr que s’étendent les limites de la famille. Je me demande s’il y a vraiment eu au monde des conditions de culture semblables. Je ne crois vraiment pas. 

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Dans la "Correspondance Jung-Freud, tome 1 : 1906-1909", trad. de l'allemand et de l'anglais par Ruth Fivaz-Silbermann, éd. Gallimard, 1975, lettre du 8 novembre 1909

[ considérations anthropologiques ] [ pré-féminisme ] [ anima-animus ]

 

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progrès technologique

On en vient à penser que si la pensée rationnelle semble avoir donné un recul supplémentaire à l’homme – quelque chose qui serait au-delà de la prudence de l’instinct – on va ici en arrière. Tout ça parce que la culture de l’Epic Fail*, alliée aux procédés neuro-linguistiques (PNL) mis en oeuvre dans les techniques de gamification font directement appel aux pulsions de nos cerveaux reptiliens… et puis mammaliens… On pourra éventuellement voir ici une régression de "l’intelligence distanciée", cette intégration de l'humain au réel de Gaïa. Un éloignement.

Auteur: Mg

Info: mars 2019. *Captage de l’attention en utilisant de courtes séquences efficaces, drolatiques ou autre, comme pour les émissions genre vidéos-gag... l'effet de caisse de résonance du web et des réseaux sociaux faisant le reste.

[ limite anthropologique ]

 
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ignorance

Le plus inquiétant dans le développement scientifico-technologique ne tient pas aux dangers externes toujours mis en avant, aussi immenses soient-ils : pollutions, dérèglements divers et variés, catastrophes écologiques. Mais à un risque interne : le véritable vertige, c’est le risque d’involution que porte en elle la puissance rationnelle quand, au lieu de civiliser l’inconscient, c’est-à-dire l’infantile en nous, au lieu d’apprivoiser les fantasmes, elle se met à leur service. La rationalité, produit tardif de la culture, se fait instrument de pulsions archaïques – ces puissances obscures avec lesquelles les êtres humains avaient jusque-là, vaille que vaille, appris et réussi à composer afin de faire vivre sujets et sociétés.

Auteur: Rey Olivier

Info: Dans "Une folle solitude", page 171

[ aveuglement ] [ pensée magique ] [ autosatifaction ] [ limite anthropologique ] [ facilité ] [ gamification ] [ progrès ] [ fuite en avant consumériste ]

 
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horizon anthropologique

L’expérience ne porte jamais que sur des faits particuliers et déterminés, ayant lieu en un point défini de l’espace et en un moment également défini du temps ; du moins, tels sont tous les phénomènes qui peuvent être l’objet d’une constatation expérimentale dite "scientifique" (et c’est là ce qu’entendent aussi les spirites). Cela est assez ordinairement reconnu, mais on se méprend peut-être plus aisément sur la nature et la portée des généralisations auxquelles l’expérience peut légitimement donner lieu (et qui la dépassent d’ailleurs considérablement) : ces généralisations ne peuvent porter que sur des classes ou des ensembles de faits, dont chacun, pris à part, est tout aussi particulier et aussi déterminé que celui sur lequel on a fait les constatations dont on généralise ainsi les résultats, de sorte que ces ensembles ne sont indéfinis que numériquement, en tant qu’ensembles, non quant à leurs éléments. Ce que nous voulons dire, c’est ceci : on n’est jamais autorisé à conclure que ce qu’on a constaté en un certain lieu de la surface terrestre se produit semblablement en tout autre lieu de l’espace, ni qu’un phénomène que l’on a observé dans une durée très limitée est susceptible de se prolonger pendant une durée indéfinie ; naturellement, nous n’avons pas ici à sortir du temps et de l’espace, ni à considérer autre chose que des phénomènes, c’est-à-dire des apparences ou des manifestations extérieures.

Auteur: Guénon René

Info: Dans "L'erreur spirite", Editions traditionnelles, 1952, pages 152-153

[ science ] [ limites ] [ efficacité relative ] [ expérimentation ]

 
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anthropocentrisme

Dans mes conférences et mes conversations, j'ai toujours subordonné mon pragmatisme à ce que j'ai appelé l'anthropomorphisme, au sein duquel trois propositions sont proéminentes (je les énonce volontairement de façon vague pour aller vite).
1. Les facultés de l'homme, comme celles de n'importe quel animal, sont assez bien adaptées aux besoins de sa vie ; et d'une manière générale il est suffisamment immergé et submergé dans les conceptions du pragmatique (je ne dis pas du pratique) qu'aucune conception, directe ou indirecte, ne peut être conçue d'une perspective extérieure, et ces mots mêmes que j'écris, avec toutes les autres affirmations et négations sur les "limites de la connaissance humaine" n'ont pas beaucoup de sens, sauf dans la mesure où ils se prétendent incompétents les uns par rapport aux autres. Mais par la même, leur seul sens, le "déni" des limites est la règle d'or.
2. "L'homme n'a atteint aucune connaissance qui ne soit ni mécanique ni anthropologique." (Studies in Logic, 1882, p. 181). Ses idéaux les moins imparfaits doivent donc prendre forme humaine ; et sa compréhension la moins fausse de ce qui se cache derrière l'Univers est le théisme - ou plutôt une religion théiste.
3. Les instincts humains doivent être implicitement reconnus dans leur propre sphère. "Toute connaissance humaine, jusqu'aux plus hautes sphères de la science, n'est que le développement de son instinct animal inné" (Ibid.). Mais il est possible que la raison se trompe plus souvent qu'elle ne le devrait.

Auteur: Peirce Charles Sanders

Info: Letters to F. C. S. Schiller, 23.05.1905

[ limitation ] [ point de vue humain ] [ langage quête ]

 

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système économique

Dans un régime libéral, le contrôle social n’est plus politique mais juridique : il s’agit de se conformer à un corpus de normes distantes. Une première conséquence de ce bouleversement concerne les limites de la surveillance. Dans un monde divisé selon des lignes politiques, la surveillance est nécessairement limitée, à une zone géographique et à une communauté données. Tant que des distinctions proprement politiques subsistent, l’idée d’une surveillance mondiale [...] est un non-sens. Une mondialisation du contrôle n’est possible qu’après l’abolition des frontières politiques et leur remplacement par des normes juridiques abstraites, à vocation supposément universelle. En cela, seul un cadre de pensée libéral peut s’accommoder d’une mondialisation du contrôle social.

Deuxièmement, l’essor d’un contrôle social de nature juridique s’accompagne d’un changement de nature de l’espace public. Traditionnellement, l’accès à l’espace public était régulé par des facteurs politiques. [...] Ce sont donc toujours les appartenances qui ouvrent ou non l’accès à l’espace public. [...] C’est parce qu’une unité politique existe au préalable que l’on peut, ex post, laisser certaines latitudes aux hommes. A l’inverse, dès lors que le libéralisme a délégitimé les appartenances politiques, celles-ci ne constituent plus une base viable pour réguler l’accès à l’espace public. Cela ne veut néanmoins pas dire que l’accès à l’espace public devient totalement libre, mais que les restrictions changent de nature : elles sont désormais juridiques. Pour accéder à l’espace public, l’homme doit montrer sa conformité à une norme extérieure, plus ou moins abstraite. [...]

Troisièmement, la formalisation du contrôle social a des implications sociologiques voire anthropologiques. Traditionnellement, lorsque le contrôle social est informel, reflétant les valeurs d’un groupe, il est aisé d’en intérioriser le contenu, qui devient partie intégrante de l’éthique personnelle et des traditions communautaires. [...] La situation est toute différente dans le monde libéral moderne. Le contrôle social est purement extérieur, et ne peut donc pas être intériorisé. Il est bien davantage perçu comme arbitraire, et ne joue aucun rôle intégrateur à une communauté. Il ouvre simplement des portes pour des individus indistincts. Sur le temps long, le rapport que les hommes entretiennent aux institutions de contrôle est donc tout différent. Il n’y a aucun rapport intime à celles-ci, mais au contraire le sentiment d’une absence de sens qui caractérise les grandes machines bureaucratiques et techniques. Le progrès dans l’abstraction du contrôle est in fine facteur de déshumanisation.

Auteur: Travers Guillaume

Info: Dans "La société de surveillance, stade ultime du libéralisme", La nouvelle librairie, Paris, 2021, pages 61 à 64

[ globlisation ] [ virtualisation ] [ déracinement ]

 

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querelle du filioque

La source la plus claire de la notion de pardon que le christianisme développera pendant des siècles remonte, dans les Évangiles, à saint Paul et à saint Luc. Comme tous les principes de base de la chrétienté, elle sera développée chez saint Augustin, mais c’est chez saint Jean Damascène (au VIIIe siècle) qu’on trouvera une hypostase de la "bienveillance du père" (eudoxia), de la "tendre miséricorde" (eusplankhna) et de la "condescendance" (le Fils s’abaisse jusqu’à nous)(synkatabasis). A rebours, ces notions peuvent être interprétées comme préparant la singularité du christianisme orthodoxe jusqu’au schisme de Per Filium/Filioque.

Un théologien semble avoir profondément déterminé la foi orthodoxe qui s’exprime puissamment chez Dostoïevski et donne à l’expérience intérieure propre à ses romans cette intensité émotionnelle, ce pathos mystique si surprenants pour l’Occident. Il s’agit de saint Syméon le Nouveau Théologien (999-1022). [...] Saint Syméon comprend la Trinité comme une fusion des différences que sont les trois personnes, et l’énonce intensément à travers la métaphore de la lumière.

Lumière et hypostases, unité et apparition : telle est la logique de la Trinité byzantine. Elle trouve immédiatement, chez Syméon, son équivalent anthropologique : "Comme il est impossible qu’il existe un homme avec parole ou esprit sans âme, ainsi il est impossible de penser le Fils avec le Père sans le Saint-Esprit [...]. Car ton propre esprit, de même que ton âme, est dans ton intelligence, et toute ton intelligence est dans tout ton verbe, et tout ton verbe est dans tout ton esprit, sans séparation et sans confusion. C’est l’image de Dieu en nous." Dans cette voie, le croyant se défie en fusionnant avec le Fils et avec l’Esprit : "Je te rends grâce que sans confusion, sans changement, tu te sois fait un seul Esprit avec moi, bien que tu sois Dieu par-dessus tout, tu sois devenu pour moi tout en tout."

Nous touchons ici l’ "originalité de l’orthodoxie". Elle aboutira, à travers maintes controverses institutionnelles et politiques, au schisme accompli au XIe siècle et achevé avec la prise de Constantinople par les Latins en 1204. Sur le plan proprement théologique, c’est Syméon plus que Photius qui formule la doctrine orientale Per Filium opposée au Filioque des Latins. Insistant sur l’Esprit, il affirme l’identité de la vie dans l’Esprit et de la vie dans le Christ, cette pneutamologie puissante trouvant dans le Père son origine. Toutefois, une telle instance paternelle n’est pas simplement un principe d’autorité ou une cause mécanique simple : dans le Père, l’Esprit perd son immanence et s’identifie au royaume de Dieu défini à travers des métamorphoses germinales, florales, nutritives et érotiques qui connotent, par-delà l’énergétisme cosmique souvent considéré spécifique à l’Orient, la fusion ouvertement sexuelle avec la Chose aux limites du nommable.

Dans cette dynamique, l’Église elle-même apparaît comme un soma pneumatikon, un "mystère", plus qu’une institution à l’image des monarchies.

Cette identification extatique des trois hypostases entre elles et du croyant avec la Trinité ne conduit pas à la conception d’une autonomie du Fils (ou du croyant), mais à une appartenance pneumatologique de chacun aux autres, que traduit l’expression Per Filium (l’Esprit descend du Père par le Fils) opposée au Filioque (l’Esprit descend du Père et du Fils).

Il a été impossible, à l’époque, de trouver la rationalisation de ce mouvement mystique interne à la Trinité et à la foi, où, sans perdre sa valeur de personne, l’Esprit fusionne avec les deux autres pôles et, du même coup, leur confère, au-delà de leur valeur d’identité ou d’autorité distinctes, une profondeur abyssale, vertigineuse, certainement aussi sexuelle, dans laquelle se logera l’expérience psychologique de la perte et de l’extase. Le nœud borroméen que Lacan a utilisé comme métaphore de l’unité et de la différence entre le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique permet peut-être de penser cette logique, si tant est qu’il soit nécessaire de la rationaliser. Or, précisément, tel ne semblait pas être le propos des théologiens byzantins du XI au XIIIe siècles, préoccupés de décrire une nouvelle subjectivité post-antique plutôt que de la soumettre à la raison existante. En revanche, les Pères de l’Église latine, plus logiciens, et qui venaient de découvrir Aristote (alors que l’Orient en était nourri et ne cherchait plus qu’à s’en différencier), ont logifié la Trinité en voyant en Dieu une essence intellectuelle simple articulable en dyades : le Père engendre le Fils ; le Père et le Fils en tant qu’ensemble font procéder l’Esprit. Développée par la syllogistique d’Anselme de Cantorbury au concile de Bari en 1098, cette argumentation du Filioque sera reprise et développée par Thomas d’Aquin. Elle aura l’avantage d’asseoir d’une part l’autorité politique et spirituelle de la papauté, d’autre part l’autonomie et la rationalité de la personne du croyant identifié à un Fils ayant pouvoir et prestige à égalité avec le Père. Ce qui est ainsi gagné en égalité et donc en performance et en historicité, est peut-être perdu au niveau de l’expérience de l’identification, au sens d’une instabilité permanente de l’identité.

Auteur: Kristeva Julia

Info: Dans "Soleil noir", éditions Gallimard, 1987, pages 218 à 222

[ influence ] [ psychanalyse ]

 
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Gaule 2023

Marianne : Comment avez-vous perçu le mouvement social de contestation à la réforme des retraites ?

E.T. :
 Je suis allé en manifestation. Du mouvement de contestation, j'ai constaté la masse, l’énergie, la jeunesse. Je tiens à dire ce que je pense de la responsabilité des uns et des autres concernant le désordre actuel, tout d'abord. Pour moi – je dis bien pour moi – mais ça sera aux juristes de trancher, il est clair qu'en faisant passer une réforme des retraites en loi de finances rectificative et par l'article 49.3, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne sont sortis de la Constitution, du moins de l'esprit de la Constitution. Ce sera au Conseil constitutionnel de le dire. Mais il n'est pas certain que j'accepte l'avis du Conseil constitutionnel, s’il valide Macron-Borne.

J'ai vu les commentaires, le soir, sur BFM TV, LCI et d'autres, où l’on parlait de feux de poubelle. Pour moi, 100 % de la responsabilité de ces feux de poubelle incombe au président de la République française et la question de savoir si ce sont plus les black blocks ou les manifestants qui les ont allumés ne m'intéresse pas.

Pourquoi Emmanuel Macron entretiendrait-il ce désordre ?

Ce qui m'étonne le plus, moi, c'est que c'est un désordre qui ne sert à rien. En général, quand on gouverne par le désordre pour faire se lever le parti de l’ordre, c’est qu’on veut consolider un pouvoir fragile, ou bien pour reprendre le pouvoir. Mais Macron avait le pouvoir. La vérité de ce projet de réforme des retraites, en dehors du fait qu’il est injuste et incohérent, c’est qu’il est insignifiant et inutile par rapport aux problèmes réels de la société française.

Il y en a deux : la désindustrialisation et la chute du niveau de vie, liée à l’inflation. La question qui se pose et ce qu’il faut analyser vraiment, c’est la raison de cette mise en désordre de la France par son président, pour rien. Était-ce pour mener à bien un projet néolibéral, appelé "réformateur" ? Ou est-ce que c’est un problème lié à la personnalité de Macron lui-même ?

Commençons par l’hypothèse d’une réforme pensée comme juste par Macron. Vous la jugez néolibérale ?

La réalité du monde occidental, qui entre en guerre, c’est que le néolibéralisme, en tant qu’idéologie économiste active transformant la planète, est en train de mourir parce que ses effets ultimes se révèlent. La mortalité augmente aux États-Unis, et donc, logiquement, l’espérance de vie baisse. Les États-Unis ont perdu leur base industrielle, comme l’Angleterre. Le contexte historique général en ce moment, dans le monde américain, est plutôt aux réflexions sur le retour de l’État entrepreneur.

Macron avait pourtant engagé un tournant néo-protectionniste avec le Covid…

Non ! Je pense que Macron est néolibéral archaïque, et donc en grand état de déficit cognitif. Quand il parle de protectionnisme, il n’est même pas capable de dire s’il s’agit de protectionnisme national ou européen. Mais si tu ne fixes pas d’échelle, tu ne parles de rien. Quand il parle de réindustrialisation, il n’est pas capable de voir que la réindustrialisation implique deux actions simultanées. D’abord, l’investissement direct de l’État dans l’économie. C’est ça qui serait important actuellement, pas la réforme des retraites. Et puis des mesures de protection des secteurs qu’on refonde, par exemple dans les médicaments, dans la fabrication de tel ou tel bien essentiel à la sécurité informatique, alimentaire et énergétique de la France.

C’est d’ailleurs l’une des choses stupéfiantes dans ce débat sur les retraites : les politiques légifèrent – croient-ils – sur des perspectives à long terme d’équilibre. Ils spéculent sur des années de travail qui vont couvrir des décennies pour la plupart des gens, sans se poser la question de ce qui restera, non pas comme argent, comme signes monétaires, mais comme bien réels produits pour servir ces retraites en 2050 ou 2070.

Les retraites sont menacées, c’est vrai, mais par la désindustrialisation. Quel que soit le système comptable, si la France ne produit plus rien le niveau des retraites réelles de tout le monde va baisser. En dehors du fait qu'il a déjà commencé à baisser avec l'inflation.

Notre élite économique fait, selon vous, une fois de plus fausse route.

Notre président et les gens autour de lui, une sorte de pseudo-intelligentsia economico-politique, sont hors du monde. À une époque, on savait que pour faire la guerre, il fallait des biens industriels, des ingénieurs, des ouvriers. On redécouvre aujourd’hui à Washington et à Londres que tout ça n’existe plus assez ! Les faucons néoconservateurs croyaient qu’on pouvait faire la guerre à la Russie avec des soldats ukrainiens et à la Chine en prime, grâce au travail d’ouvriers… chinois ! La réalité du néolibéralisme, c'est qu’il a tout détruit au cœur même de son Empire. Le vrai nom du néolibéralisme, c'est "nihilisme économique". Je me souviens de phrases prophétiques de Margaret Thatcher disant "There is no such thing as society ", ou "There is no alternative" (TINA). Ces idioties ne sortent pas du libéralisme britannique, de John Locke ou d'Adam Smith, mais bien plutôt du nihilisme russe du XIXe siècle.

Cette réforme des retraites à contretemps est guidée par un phénomène d'inertie, au nom d’une idéologie qui est en train de mourir. Le discours néolibéral est un discours de la rationalité économique, un discours de la rationalité des marchés qui va permettre de produire, en théorie, plus d'efficacité. Je vais vous dire l’état de mes recherches sur le nihilisme néolibéral : cette passion de détruire les cadres de sécurité établis au cours des siècles par les religions, les États et les partis de gauche. Le nihilisme néolibéral détruit la fécondité du monde avancé, la possibilité même d’un futur. Et vous allez être fier de cette France dont les néolibéraux rient.

Vous faites partie de ceux qui voient dans les indices de fécondité l'avenir de l'Occident…

La vérité historique fondamentale actuelle, c’est que la rationalité individualiste pure détruit la capacité des populations à se reproduire et des sociétés à survivre. Pour faire des enfants, particulièrement dans les classes moyennes qui veulent pour eux des études longues, il faut l’aide de la collectivité, il faut se projeter dans un avenir qui ne peut apparaître suffisamment sûr que grâce à l’État. Il faut donc sortir de la rationalité économique à court terme. Sans oublier que décider d’avoir un enfant, ce n’est être ni rationnel, ni parfois même raisonnable, mais vivant. Je sais qu'il y a des gens qui s'inquiètent de l'augmentation de la population mondiale, mais moi, je suis inquiet de la sous-fécondité de toutes les régions "avancées". Même les États-Unis, même l'Angleterre, sont tombés à 1,6 enfant par femme. L’Allemagne est à 1,5, le Japon est à 1,3. La Corée, chouchou des majorettes intellectuelles du succès économique, le pays de Samsung et d'une globalisation économique assumée, est à 0,8. … Le plus efficace économiquement est le plus suicidaire.

C'est là que la France redevient vraiment intéressante. Elle a deux caractéristiques. C'est d’abord le pays qui fait le moins bien ses "réformes", qui refuse le plus le discours de la rationalité économique. Dont l'État n'est jamais dégrossi comme le rêvent les idéologues du marché. Mais c'est aussi le seul pays avancé qui garde une fécondité de 1,8. C'est le pays qui, en ne voulant pas toutes ces réformes, a refusé la destruction de certaines des structures de protection des individus et des familles qui permettent aux gens de se projeter dans le futur et d'avoir des enfants. Une retraite jeune, ce sont aussi des grands-pères et des grands-mères utilisables pour des gardes d’enfants ! Désolé d’apparaître en être humain plutôt qu’en économiste ! La grandeur de la France, c'est son refus de la rationalité économique, son refus de la réforme. Ce qui fait de la France un pays génial, c'est son irrationalité économique. On saura si Macron a réussi s'il arrive à faire baisser la natalité française au niveau anglo-américain, au-delà de son cas personnel de non-reproduction.

Comment ce dernier peut-il alors imposer une telle réforme si c'est contre l'intérêt du pays ?

Pourquoi un président de la République en si grand état de déficit cognitif peut-il imposer cette réforme injuste, inutile et incohérente par un coup de force institutionnel ou même un coup d’État ? Parce qu’il agit dans un système sociopolitique détraqué que je qualifierais même de pathologique. Il y avait une organisation de la République qui reposait sur une opposition de la droite et de la gauche, permise par un mode de scrutin adapté : le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Il faisait qu’au premier tour, on choisissait son parti de droite préféré, son parti de gauche préféré. Au deuxième tour, les deux camps se regroupaient et on avait une très belle élection.

Tout a été dévasté par la nouvelle stratification éducative de la France. La montée de l’éducation supérieure a produit une première division en deux de la société entre les gens qui ont fait des études et ceux qui n’en ont pas fait. C’est le modèle qui s’impose partout dans le monde développé. Mais il y a une autre dimension qui, il faut l’avouer, n’a pas grand-chose à voir : le vieillissement de la population et l’apparition d’une masse électorale âgée, qui établissent un troisième pôle, les vieux, dont je suis. Cette société stratifiée et vieillie a accouché de trois pôles politiques qui structurent le système. Je simplifie jusqu’à la caricature : 1) les éduqués supérieurs mal payés, plutôt jeunes ou actifs, se sont dirigés vers Mélenchon ou la Nupes ; 2) les moins éduqués mal payés, plutôt jeunes et actifs, vers le RN ; 3) les vieux, derrière Macron.

Ils sont les seuls à soutenir la réforme des retraites, d’ailleurs…

Ce système est dysfonctionnel, "détraqué", à cause de l’opposition viscérale entre les électorats contestataires de gauche et de droite, Nupes et RN. Ces deux électorats ont en commun leur niveau de vie, leur structure d’âge, mais sont séparés par l’éducation et par la question de la nation et de l’immigration. Cette fracture conduit à une incapacité des uns et des autres à se considérer comme mutuellement légitimes. Leur opposition permet à Macron et aux vieux de régner. Les retraités peuvent donc imposer une réforme des retraites qui ne les touche pas. Le problème, c’est qu’une démocratie ne peut fonctionner que si les gens opposés se considèrent comme certes différents, mais mutuellement légitimes.

La France vire-t-elle à la gérontocratie ?

On a enfermé les jeunes pour sauver les gens de ma génération. Comment la démocratie est-elle possible avec un corps électoral qui vieillit sans cesse ? Mais dénoncer un système gérontocratique ne suffit pas, d’un point de vue anthropologique en tout cas. Ce qu’il faut dénoncer, c’est une société qui ne peut survivre. Une société humaine ne peut pas se projeter dans l’avenir si on part du principe que les ressources doivent remonter vers les vieux plutôt que descendre vers les jeunes.

La question institutionnelle fondamentale, ce n’est pas tant le pouvoir disproportionné du président dans la conception de la Ve République, mais un système électoral inadapté dans un contexte où les deux forces d’opposition refusent d’exister l’une pour l’autre. Il y a deux solutions : la première est le passage au mode de scrutin proportionnel. Mais cela ne se produira pas car la gérontocratie en place a trop intérêt à ce que le système dysfonctionne. L’autre solution, c’est de trouver une voie politique qui permette le sauvetage de la démocratie : je propose un contrat à durée limitée réconciliant les électorats du Rassemblement national et de la Nupes pour établir le scrutin proportionnel.

Mais comment les réconcilier ?

Je considère vraiment que ce qui se passe est inquiétant. J’ai un peu de mal à imaginer que cela ne se termine pas mal. Il y a un élément d’urgence, et la simple menace de désistement implicite ou explicite entre les deux forces d’opposition calmerait beaucoup le jeu. Il ferait tomber le sentiment d’impunité de la bureaucratie qui nous gouverne.

Le problème fondamental n’est pas un problème entre appareils. Le problème fondamental est un problème de rejet pluriel. 1) L’électorat du Rassemblement national est installé dans son rejet de l’immigration, un concept qui mélange l’immigration réelle qui passe aujourd’hui la frontière et la descendance de l’immigration ancienne, les gosses d’origine maghrébine qui sont maintenant une fraction substantielle de la population française. 2) L’électorat de LFI et de la Nupes croit seulement exprimer un refus du racisme du RN mais il exprime aussi, à l’insu de son plein gré, un rejet culturel de l’électorat du RN. Il vit un désir à la Bourdieu de distinction. Simplifions, soyons brutal, il s’agit de sauver la République : il y a d’un côté une xénophobie ethnique et de l’autre une xénophobie sociale.

J’ai un peu de mal à imaginer que le sauvetage à court terme de la démocratie par l’établissement de la proportionnelle, via un accord à durée limitée entre Nupes et RN, puisse se passer d’un minimum de négociation sur la question du rapport à l’étranger. La seule négociation possible, la seule chose raisonnable d’ailleurs du point de vue de l’avenir du pays, c’est que les électeurs de la Nupes admettent que le contrôle des frontières est absolument légitime et que les gens du Rassemblement national admettent que les gens d’origine maghrébine en France sont des Français comme les autres. Sur cette base, à la fois très précise et qui admet du flou, on peut s’entendre.

Le contexte actuel reproduit-il celui de l’époque des Gilets jaunes ?

"La police tape pour Macron, mais vote pour Le Pen", disais-je en 2018 au moment des Gilets jaunes… Je m’inquiétais de la possibilité d’une collusion entre les forces de ce que j’appelais à l’époque l’aristocratie stato-financière et l’autoritarisme implicitement associé à la notion d’extrême droite. J’avançais le concept de macrolepénisme. Le Rassemblement national aujourd’hui est confronté à une ambivalence qu’il doit lever. Le contexte actuel reproduit le contexte de l’époque des Gilets jaunes, en effet : d’un côté le Rassemblement national passe des motions de censure contre la politique gouvernementale sur les retraites (et je trouve tout à fait immoral que LFI refuse de voter les motions du Rassemblement national sur ces questions), mais, d’un autre côté, c’est, comme d’habitude, la police qui cogne sur les manifestants, qui est utilisée par Macron, qui continue de voter à plus de 50 % pour le Rassemblement national ! J’ajoute que le choix par Marine Le Pen de l’opposition à la grève des éboueurs n’est pas de bon augure.

Le Rassemblement national ne peut pas rester dans cette ambiguïté : il suffirait d’un petit mot de modération de Marine Le Pen pour que le comportement de la police change. Ce que je dis est grave : en mode démocratique normal, une police doit obéir au ministre de l’Intérieur. Mais je ne vois pas pourquoi une police appliquerait aveuglément les consignes de violence d’un président qui est sorti de la Constitution. Nous avons besoin d’une réflexion approfondie des juristes. Il s’agit de protéger les institutions dans un contexte extrêmement bizarre. Le conflit entre jeunes manifestants et jeunes policiers nous ramène d’ailleurs à la question du rejet mutuel Nupes/RN. L’hostilité qu’encourage le gouvernement entre la police et les jeunes manifestants est une menace pour l’équilibre du pays. On ne peut pas vivre dans un pays avec deux jeunesses qui se tapent dessus. Il y a dans le style policier violent Macron-Borne-Darmanin quelque chose de pensé et de pervers.

Vous dites que la première raison de l’obstination du gouvernement pourrait venir de l’esprit de Macron directement…

J’ai parlé de système électoral, j’ai parlé de néolibéralisme. J’ai parlé du déficit cognitif néolibéral de Macron. Une autre chose doit être évoquée, non systémique, accidentelle, dont je n’aime pas parler mais dont on doit parler : une autre raison de la préférence de Macron pour le désordre et la violence est sans doute un problème de personnalité, un problème psychologique grave. Son rapport au réel n’est pas clair. On lui reproche de mépriser les gens ordinaires. Je le soupçonne de haïr les gens normaux. Son rapport à son enfance n’est pas clair. Parfois, il me fait penser à ces enfants excités qui cherchent la limite, qui attendent d’un adulte qu’il les arrête. Ce qui serait bien, ce serait que le peuple français devienne adulte et arrête l’enfant Macron.

La situation est extrêmement dangereuse parce que nous avons peut-être un président hors contrôle dans un système sociopolitique qui est devenu pathologique. Au-delà de toutes les théories, sophistiquées ou non, j’en appelle à tous les gens pacifiques, moraux et raisonnables, quel que soit leur niveau éducatif, leur richesse, leur âge, à tous les députés quel que soit leur parti, Renaissance compris, j’en appelle au Medef, aux pauvres, aux inspecteurs des finances, aux vieillards et aux oligarques de bonne volonté, pour qu’ils se donnent la main et remettent ce président sous contrôle. La France vaut mieux que ce bordel. 



 

Auteur: Todd Emmanuel

Info: Marianne.net, 5 mars 2023, Interview Par Etienne Campion

 

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