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traquenard

Des fourmis qui construisent un piège
Les fourmis divisent le travail selon l'âge, utilisant les individus les plus vieux comme constructeurs de piège. Une espèce de fourmis féroces amazoniennes a été observé en train de construire un piège raffiné dans lequel la proie malchanceuse est étirée comme une victime de torture médiévale, avant d'être lentement coupée en morceaux.
Avec adresse et patience, la fourmi ouvrière Allomerus decemarticulatus coupe les poils de la tige de la plante qu'elle habite, et emploie de minuscules fibres pour construire un piège spongieux, rapporte le magazine Nature. Cet exploit technologique ingénieux n’a été observé que chez une autre espèce de fourmi selon les chercheurs français.
Les fourmis enlèvent donc des poils pour dégager un chemin sous la tige de la plante, tout en laissant quelques poils en forme de "piliers" sur lesquels la plate-forme mortelle reposera. Utilisant les poils de la plante qu'ils ont moissonnée, les fourmis construisent alors la plate-forme elle-même, en la liant et la renforçant avec un mycète spécial. Quand elles ont terminé la plateforme elles perforent des trous le long de sa surface, chacun juste assez grand pour pouvoir y passer la tête. Puis des centaines de fourmis ouvrières montent dans la chambre et attendent, cachées à l'intérieur de la plate-forme mâchoire inférieure juste à l'intérieur du trou, a proie à venir" raconte le co-auteur Jerome Orivel de l'université de Toulouse. Qui a les pattes assez minces pour passer dans les trous soigneusement préparés aura un destin malheureux s'il entre dans ce piège. Il n'y a aucune limite à leur ambition - elles essayent de capturer n'importe quel mammouth du monde des insectes. "Elles attraperont presque tout ce qui ira sur ce piège" poursuit le Dr Orivel " et elles le saisiront n'importe comment - par les jambes, antennes, etc."
Une fois la proie bien fixée par les mâchoires qui tiennent ses extrémités, elle est étirée au-dessus de la plate-forme, comme lors d’un antique sacrifice aux dieux. Une masse de fourmis ouvrières vient alors à l'intérieur du piège pour la piquer vigoureusement et causer sa paralysie. Une fois la créature entièrement immobilisée ou morte, les fourmis la portent à leur nid où elles la démembrent pour pouvoir la porter à l'intérieur. " Les petits insectes sont immédiatement démembrés et transporté au nid dit le Dr Orivel. Mais les plus grands peuvent rester sur le piège jusqu'à 12 heures. En résumé elles essayent d'attraper tout animal du monde des insectes - à condition qu'il ait les pattes fines…. Le succès dépendant donc des types d'insectes avec des pattes plus petites que les trous -, les chenilles, par exemple, n'ont aucune chance d’être attaquées."

Auteur: Fortean Times

Info: 29 avril 2005

[ guet-apens ] [ chasse ]

 

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sensibilité médiévale

Evoquons devant nous les contemporains de François Rabelais, leurs violences et leurs caprices, leur peu de défense contre les impressions du dehors, l’extraordinaire mobilité de leur humeur, cette étonnante promptitude à s’irriter, à s’injurier, à tirer l’épée, puis à s’embrasser et à se cajoler : tout ce qui nous explique tant de querelles pour rien, d’accusations atroces de vol et de plagiat, d’appels à la justice de Dieu et des hommes – à quoi sans intervalles succèdent d’affreux coups d’encensoir, et les plus folles comparaisons avec Homère, Pindare, Virgile et Horace. Produits naturels d’une vie toute en contrastes. Et bien plus marquée que nous ne saurions l’imaginer. Contrastes du jour et de la nuit, ignorés de nous dans nos demeures électrifiées ; contrastes de l’hiver et de l’été, adoucis pour nous, en temps normal, par mille inventions : ils en subissaient eux, la rigueur et la nécessité, à peu près sans atténuation, et pendant des semaines et des mois. Egalisation des conditions de vie, égalisation des humeurs : les deux se suivent et se conditionnent. Mais pareillement nos nerfs se sont blasés. Nous avons trop mangé de fruits – de ces fruits dont nous gardons, comme dit la Bible, "les dents agacées". Eux ? Ce n’étaient point des blasés, Dieu non ; et pour ne retenir que cet exemple, comme ils étaient sans défense contre l’attaque violente et souveraine des sons ! Pensons toujours à ce passage des Contes d’Eutrapel où Noël Du Fail nous décrit l’effet, sur les hommes de son temps, du célèbre chœur descriptif de Clément Janequin, la Bataille de Marignan. Personne qui échappât aux prises de cette musique puissante et puérile avec ses "bruits de bataille" en harmonie imitative, personne qui, exalté par les sons, « ne regardât si son épée tenoit à son fourreau, et ne se haussât sur ses orteils pour se rendre plus bragard et de la riche taille..."

Simples gens, qui se livraient sans contrôle. Mais nous nous refoulons.

[...] Voici qui déjà nous avertit qu’entre les façons de sentir, de penser, de parler des hommes du XVIe siècle et les nôtres – il n’y a pas vraiment de commune mesure. Nous enchaînons : ils laissent flotter. Des générations, depuis le XVIIe siècle et Descartes, ont inventorié pour nous, analysé, organisé l’espace. Elles nous ont dotés d’un monde bien arrêté où chaque chose et chaque être a ses frontières parfaitement délimitées. Des générations, depuis la même époque, ont travaillé à faire du temps, de plus en plus précisément mesuré, le cadre rigide de nos activités. Tout ce grand travail, au XVIe siècle, commençait à peine. Ses résultats n’avaient point encore, par voie de conséquence, engendré en nous le besoin impérieux d’une certaine logique, d’une certaine cohérence, d’une certaine unité.

Auteur: Febvre Lucien

Info: "Le problème de l'incroyance au 16e siècle", éditions Albin Michel, Paris, 1968, pages 99-100

[ état d'esprit ] [ contextualisation ] [ exacerbée ] [ incompréhensibilité moderne ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

moyen âge

Chez les historiens médiévistes, qui en restent les principaux utilisateurs, la notion de féodalité renvoie schématiquement à trois usages différents. Un usage traditionnel (François-Louis Ganshof, Robert Boutruche), politique et juridique, désigne par féodalité les liens féodo-vassaliques, c'est-à-dire les relations hiérarchisées internes à l’aristocratie, fondées sur la fidélité (manifestée par le serment, auquel s'ajoute parfois le rituel de l'hommage), l'échange de services (la protection, l'aide et le conseil) et la possession partagée d'un fief (à la fois bien foncier et ensemble de droits seigneuriaux), entre seigneurs et vassaux. Cette organisation de la classe dominante constituerait la caractéristique majeure de la société européenne médiévale, pour certains dès l'époque carolingienne, pour d'autres plus tard, à l'âge justement désigné comme féodal. C'est cet usage traditionnel de la notion qui a fait l'objet du plus grand nombre de critiques, d'abord de la part d'historiens plus sensibles à la primauté du rapport de domination seigneurial sur les paysans (Rodney Hilton, Georges Duby, Robert Fossier), ensuite de la part d'historiens influencés par l'anthropologie et plus attentifs aux modalités non féodales de la régulation sociale à l'échelle des sociétés locales (Fredric Cheyette, Patrick Geary, Stephen White, Dominique Barthélemy) ou aux solidarités coutumières à l'échelle des royaumes (Susan Reynolds). Un deuxième usage, plus large et plus fréquent depuis les travaux de Marc Bloch et Georges Duby recourt au terme féodalité ou à l'expression société féodale pour définir une société où la domination sur la terre et les hommes est exercée à l'échelle locale au profit d'une aristocratie à la fois foncière et guerrière, laïque et ecclésiastique, à l'écart de toute souveraineté de type étatique. Dans ce cadre, la féodalité au sens traditionnel n'est plus que l'un des instruments de la reproduction de la domination aristocratique parmi d'autres, telles que la guerre vicinale, la culture de la faide (vendetta entre familles) ou l'élaboration de systèmes de représentations spécifiques comme "l'idéologie des trois ordres” clergé, noblesse et Tiers état . Un troisième usage (Guy Bois, Ludolf Kuchenbuch. Chris Wickham), souvent d'inspiration marxiste, emploie indifféremment féodalité ou féodalisme pour caractériser un régime social fondé sur l'appropriation du surproduit paysan par la classe aristocratique (laïque et ecclésiastique) à travers le grand domaine puis la seigneurie. Dans ce cadre aussi la féodalité au sens traditionnel est généralement considérée comme la principale modalité de redistribution de la "rente seigneuriale" au sein du groupe dominant (Pierre Bonnassie). Des considérations chronologiques variées sont associées à chacune de ces conceptions de la féodalité, les unes englobant l'ensemble de la période médiévale. de la chute de l'Empire romain à l'avènement des États modernes (tantôt situé aux XIVe- XVIe siècles, tantôt repoussé au XVIIIe siècle), les autres une période plus restreinte censée correspondre à la dissolution maximale de l'autorité publique entre l’effondrement de l’Empire carolingien et le renouveau monarchique capétien au XIIe siècle.

Auteur: Gauvard Claude

Info: Dictionnaire de l'historien

[ tour d'horizon ] [ sociologie ] [ pouvoirs ]

 

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ontologie linguistique

En 1867, Charles Sanders Peirce, alors âgé de vingt-huit ans, publie On a New List of Categories (1.545-1.559). Dans ce texte étonnant, il esquisse le fondement métaphysique d'une philosophique séméiotique et il entreprend l'élaboration d'une définition et d'une classification scientifique des signes. Le texte commence par une étude de la substance et de l'être et Peirce y formule l'hypothèse de l'existence des trois catégories fondamentales de l'être, qu'il nommera ultérieurement Priméité, Secondéité et Tiercéité, et grâce auxquelles il définit le representamen.

Un representamen est une relation triadique dans laquelle un fondement est relié à un objet par le biais d'un interprétant. La définition peircéenne du representamen est intentionnellement formelle et générale. Peirce prétendait alors que la sémiotique était une science de base et qu'elle constituait le fondement de la logique, de la psychologie et de la sociologie. Dans ses écrits ultérieurs, il a indiqué qu'il préférait utiliser le mot "signe" pour désigner les representamen dont la pensée et l'action humaines sont les interprétants. Comme il existe trois types de representamen ou de relations-signe, il s'ensuit qu'il existe trois sciences séméiotiques subsidiaires. Premièrement la grammaire formelle qui est l'étude des fondements des signes étudié en eux-mêmes et indépendamment de leurs relations avec leurs objets ou leurs interprétants. Deuxièmement la logique ou critique qui est l'étude de la relation des signes à leurs objets. Troisièmement la rhétorique formelle qui est l'étude de la relation des signes et de leurs interprétants.

Peirce a repris ces termes à la philosophie grecque et à la philosophie médiévale, mais il est évident qu'il a anticipé sur la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. C'est également dans cet article de 1867 que Peirce a introduit la tripartition des signes en "indice", "icône" et "symbole". Il tient la séméiotique pour une science première par rapport à la logique et il considère qu'elle constitue une base pour la logique des termes, des propositions et des arguments. La séméiotique fonde également les trois formes de raisonnement qu'on utilise dans les sciences : hypothèse, déduction et induction. A la même époque que cet article sur les catégories, Peirce a écrit et publié toute une série d'articles particulièrement brillants dans lesquels il a développé sa théorie de manière plus détaillée, et dégagé plus complètement ses applications à l'étude de la logique, de l'histoire et de la méthodologie des sciences.

Il a également appliqué cette séméiotique à la psychologie et à la théorie des sociétés. L'homme est un signe. En fait l'homme est un signe extérieur, un signe dans le monde. Le corps de l'homme et ses actions constituent le médium matériel de l'homme-signe, tout comme l'encre et les sons constituent le médium matériel du langage. Les sensations et les émotions sont des "mots constitutionnels" (2.426, 5.291). Pendant les six années qui suivirent, Peirce en vint à penser que l'homme est un dialogue de signes, dans lequel le doute pose les questions tandis que les actions et les croyances sont les interprétants. Ces croyances et ces actions seront ultérieurement traduites en une conversation avec la société des signes. Peirce a esquissé une théorie de l'éthique dans laquelle ce sont des normes séméiotiques qui régissent la communauté en expansion où cette conversation a lieu.

Auteur: Savan David

Info: La séméiotique de Charles S. Peirce. https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1980_num_14_58_1844. Les références entre parenthèses qui suivent les citations renvoient au volume et au numéro de paragraphe des Collected Papers de Peirce, sélectionnés et présentés par Paul Weiss et Charles Hartsone, et publiés par Harvard University Press en 8 volumes, 1932- 1954. Trad : F. Peraldi

[ communication ] [ pouvoir sémantique ] [ sémiotique ]

 

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races monades

"Pour nous qui travaillons dans un contexte zoösémiotique, il n'y a qu'une seule manière pour se frayer une issue dans ce maquis" (Sebeok, 2001, pp. 78 & 193n6).

Le réalisme ne suffit pas. Cette voie des choses a été essayée et s'est avérée insuffisante, même si elle ne l'est pas autant que la voie des idées.  Car le long de la Voie des signes, nous constatons que le "réalisme scolaire", comme l'a souligné Peirce ("ou une approximation proche de cela"), bien qu'insuffisant, fait partie de l'essence de l'entreprise. La seule façon d'atteindre au minimum ce réalisme (au sens du "réalisme scolastique" , c'est-à-dire tel que Peirce l'a correctement défini) c'est de garantir, au sein de l'expérience, une distinction non seulement entre signes et objets (les premiers étant considérés comme des "signes"), mais aussi entre les idées et les objets (les seconds étant considérés comme des "idées"). La seule façon d'atteindre le réalisme dans le sens minimaliste requis (au sens du "réalisme scolastique", tel que Peirce l'a défini) est de garantir, au sein de l'expérience, une distinction non seulement entre les signes et les objets (les premiers étant présupposés à la possibilité des seconds), mais aussi entre les objets et les choses. Le terme "choses" faisant ici référence à une dimension de l'expérience du monde objectif qui  ne se réduit pas seulement à l'expérience que nous en avons, mais qui est en outre connaissable en tant que telle au sein d'une objectivité via une discrimination, dans des cas particuliers, pour identifier ce qui marque la différence entre ens reale et ens rationis dans la nature des objets expérimentés. De cette façon (et pour cette raison), le "module minimal mais suffisant de traits distinctifs du  +,  -  ou 0, diversement multipliés dans des systèmes zoösémiotiques avancés, qui restent pourtant entièrement perceptifs par nature, est bien loin des modèles cosmiques extrêmement complexes que Newton ou Einstein ont, a des époques données, offert à l'humanité." (Sebeok, 1995, p. 87, ou 2001, p. 68).

Et la seule façon d'établir une différence entre les choses expérimentées en tant qu'objets à travers leur relation avec nous et les choses comprises, réellement ou prospectivement, en tant que choses en elles-mêmes, ou indépendamment d'une telle relation cognitive, c'est à travers un système de modélisation capable de discerner, grâce à des processus expérimentaux, une différence entre les aspects de l'objet donnés dans l'expérience et ces mêmes aspects donnés en dehors de l'expérience particulière.

Tels sont les termes tranchants de Sebeok, pour dire  que la distinction entre les objets et les choses dépend d'un système de modélisation, un Innenwelt, qui a parmi ses composants biologiquement déterminés un composant biologiquement sous-déterminé, composant que Sebeok nomme "langage". Grâce à ce dernier nous pouvons modéliser la différence entre les "apparences" au sens objectif et la "réalité" au sens scolaire, et proposer des expériences pour tester le modèle, conduisant à son extension, son raffinement ou son abandon, selon les particularités du cas. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait un genre d'Umwelt - spécifiquement humain - pour que l'esprit soit en contact avec la réalité dans ce sens scolastique*. Car la réalité au sens scolastique n'a pas besoin d'être envisagée pour être rencontrée objectivement.

L'idée de réalité, nous le verrons bientôt, n'est rien d'autre qu'un composant représentatif d'une sorte d'Umwelt, ici spécifiquement humain. Mais le contenu objectif de cette idée (non pas formellement prescrite comme tel, mais "matériellement" au sens scolastique) fait partie de l'Umwelt de tout animal.

Sebeok aimait citer Jacob sur ce point : "Quelle que soit la manière dont un organisme étudie son environnement, la perception qu'il en a doit nécessairement refléter ce qu'on appelle la réalité et, plus précisément, les aspects de la réalité qui sont directement liés à son propre comportement. Si l'image qu'un oiseau obtient des insectes dont il a besoin pour nourrir sa progéniture ne reflète pas au moins certains aspects de la réalité, alors il n'y a plus de progéniture. Si la représentation qu'un singe construit de la branche sur laquelle il veut sauter n'a rien à voir avec la réalité, il n'y a plus de singe.  Et si ce point ne s'appliquait pas à nous-mêmes, nous ne serions pas ici pour en discuter." (Jacob, 1982, p. 56)

Auteur: Deely John

Info: The Quasi-Error of the External World an essay for Thomas A. Sebeok, in memoriam. *Ce que Peirce nomme " réalisme scolastique ", au vu de sa provenance médiévale dans la reconnaissance explicite du contraste entre l'ens reale et l'ens rationis (Le mental et le réel dans le formalisme scotiste du XVIe siècle), je l'appelle "réalisme hardcore", en raison de la continuité de la notion médiévale de l'ens reale avec le ον dont parlait Aristote en tant que grand-père de la scolastique. Ainsi, le réalisme pur et dur signifie qu'il existe une dimension de l'univers de l'être qui est indifférente à la pensée, à la croyance et au désir humains, de sorte que, si par exemple je crois que l'âme survit à la destruction de mon corps et que j'ai tort, quand mon corps disparaît mon âme aussi - ou, à l'inverse, si je crois que la mort du corps est aussi la fin de mon esprit ou de mon âme et que j'ai tort, lorsque mon corps se désintègre, mon âme continue à vivre, et je devrai faire le point en conséquence. Ou bien, pour donner un exemple plus historique, depuis l'époque d'Aristote jusqu'à au moins celle de Copernic, les meilleures preuves, arguments, et opinions de toutes sortes soutenaient que le soleil se déplace par rapport à la terre, alors qu'en réalité, depuis le début. c'était la terre qui bougeait par rapport au soleil, et si le soleil bougeait aussi, ce n'était pas par rapport à la terre

[ solipsisme de l'espèce ] [ représentations ] [ concepts ] [ tiercités ] [ échelles de grandeur ] [ réel partagé ]

 

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sémiotique postmoderne

Le dossier actualisé

La prise de conscience que l'expérience humaine, étant avant tout une expérience animale, ne commence pas simplement avec l'ens reale mais avec un monde d'objets qui sont normalement (au moins dans les temps historiques, sinon préhistoriques) constitués de façon prédominante par l'entia rationis (et incluent l'entia realia formellement reconnue comme telle seulement comme une dimension virtuelle et indistincte de ses particularités) n'est pas sans précédent dans l'histoire de la philosophie. Mais la thématisation intégrale de cette prise de conscience est sans précédent, on peut donc dire qu'elle constitue l'essence de la postmodernité dans la mesure où nous devons la concevoir comme une époque philosophique distincte dans le sillage du développement philosophique principal qui va de Descartes au XVIIe siècle à Wittgenstein et Husserl au vingtième siècle. Heidegger a souligné la nécessité d'une telle thématisation sous la rubrique classique de l'"être", mais il n'est allé que jusqu'à poser la question à laquelle la sémiotique commence à répondre. Pourquoi, se demandait-il, dans les termes d'une intersémioticité qui résonne avec celle de von Uexküll, que les humains expérimentent les êtres comme présents à portée de main plutôt que prêt-à-l'emploi, ce qui est plus "proche" de nous et tout à fait comment les êtres sont donnés en grande proximités pour la plupart?  La réponse se trouve dans la différence, dans ce qui est distinctif, d'un Umwelt vécu sur la base d'un Innenwelt ayant le langage comme composante dans sa formation de représentations.  

Le monde extérieur est une espèce de représentation spécifiquement humaine. La quasi-erreur provient de la confusion systématique entre objets et "choses", ce qui conduit à une confusion de la "réalité extérieure". (comme c'est devenu habituel dans la philosophie) avec la notion plus fondamentale d'ens reale, qui n'est pas identique au "monde extérieur", ni le point de départ en tant que tel de la connaissance spécifique à l'espèce humaine, mais simplement une dimension reconnaissable vécue dans son objectivité. Le "monde extérieur" ne se trouve pas en dessous ou en dehors de la pensée et du langage, comme ont a eu tendance à imaginer, mais il est précisément donné, dans quelque mesure que ce soit, au sein de l'expérience objective, comme nous l'a appris la sémiotique dès les 30 premières années. 

Sebeok aimait citer, tout en la réévaluant constamment, l'affirmation de Bohr selon laquelle "Nous sommes suspendus dans le langage de telle manière que nous ne pouvons pas dire ce qui est en haut et ce qui est en bas" (French & Kennedy, 1985, p.302). Selon moi, c'est une affirmation dont la justesse et son interprétation la meilleure dépendentent du fait que nous sommes des animaux linguistiques et pas seulement des animaux perceptifs comme je l'ai l'ai soutenu assez longuement (Deely, 2002). 

En tant qu'animaux linguistiques, nous pouvons prendre conscience non seulement de la différence entre une chose et un objet, entre le monde objectif et l'environnement physique, mais aussi de la différence entre les deux. 

Nous pouvons également prendre conscience du statut du langage en tant que système de signes, et de sa dépendance envers d'autres signes dans la constitution des objets. Ce sont ces objets et leurs interconnexions qui, ensemble, forment notre expérience de la "réalité" (jusqu'ici semblable à celle de n'importe quel autre animal) ; mais dans cette sphère d'expérience objective, grâce au langage, nous pouvons aussi nous faire une idée de la "réalité" par l'établissement d'un sens intelligible qui n'est pas simplement donné dans la perception, mais qui est atteint à travers la sensation.  Et avec cette idée ainsi fondée expérimentalement, peut-être seulement avec cette idée, que l'animal humain commence à s'éveiller à son humanité. Notre espèce est attirée par cet sortrie de l' aborigène pour se lancer sur la longue route de la philosophie et de la science, pour finalement rencontrer - assez tard dans ce périple - ce carrefour dont l'une des bifurcations est la Voie des Signes. À ce moment-là, l'animal humain se rend compte que, si tous les animaux et peut-être toute la nature sont sémiosiques, l'animal humain seul est un animal sémiotique ; et dans cette prise de conscience, que peu ou personne n'a fait plus que Sebeok, inaugure, en philosophie du moins, la culture intellectuelle postmoderne- en fait, elle prend  ici son envol. La quasi-erreur du monde extérieur n'a plus besoin de nous tromper ou de nous déconcerter, car sa nature et son origine ont été exposées par la clarification  même de cette ouverture de la Voie des Signes. Nous voyons maintenant que nous avons mis au jour  un chemin qui mène "partout dans la nature, y compris dans les domaines où les humains n'ont jamais mis les pieds ", mais aussi vers une compréhension de laquelle la sémiotique nous donne les moyens d'y tendre plus intégralement. Appelons cela l'horizon interprétatif postmoderne, peut-être même la "coïncidence de la communication avec l'être" (Petrilli & Ponzio, 2001, p. 54). C'est le cœur de la sémiotique, qui défend contre la modernité cette conviction médiévale que la science moderne n'a jamais totalement abandonnée, malgré les philosophes : ens et verum convertuntur, "lcommunication et être sont coextensifs". Être pour la nature, c'est être intelligible pour l'animal dont le destin est de comprendre.

Auteur: Deely John

Info: The Quasi-Error of the External World an essay for Thomas A. Sebeok, in memoriam, conclusion. Trad Mg

[ sémiotique vs sémantique ]

 

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homme-animal

Comment les pieuvres changent de couleur
Le morphing, c'était amusant. Rappelez-vous dans Terminator 2 les effets d'infographie qui permettaient au mauvais Terminator de prendre la forme et le visage de toute personne qu'il rencontrait ? La transformation à l'écran violait les règles non écrites de ce qui était prétendument possible de voir et procurait un plaisir profond et déchirant quelque part le fond du cerveau du spectateur. On pouvait presque sentir nos machines neurales se briser et se recoller les unes aux autres.
Dommage que l'effet soit devenu un cliché. De nos jours, on regarde une annonce télévisée ou un film de science-fiction et une voix intérieure dit : "Ho hum, juste un autre morph." Cependant, il y a un clip vidéo que je montre souvent aux élèves et à mes amis pour leur rappeler, ainsi qu'à moi-même, les effets de la transformation anatomique. Cette vidéo est tellement choquante que la plupart des téléspectateurs ne peuvent bien l'apprécier la première fois qu'ils la voient - alors ils demandent à la voir encore et encore et encore, jusqu'à ce que leur esprit se soit suffisamment adapté pour l'accepter.

La vidéo a été tournée en 1997 par mon ami Roger Hanlon alors qu'il faisait de la plongée sous-marine au large de l'île Grand Cayman. Roger est chercheur au Laboratoire de biologie marine de Woods Hole ; sa spécialité est l'étude des céphalopodes, une famille de créatures marines comprenant les poulpes, les calmars et les seiches. La vidéo est tournée alors qu'il nage vers le haut pour examiner un banal rocher recouvert d'algues en suspension. Soudain, étonnamment, un tiers de la roche et une masse enchevêtrée d'algues se transforme et révèle ce qu'elle est vraiment : les bras ondulants d'une pieuvre blanche brillante. Pour se protéger la créature projette de l'encre sur Roger et s'élance au loin, laissant Roger et le spectateur bouches bées.
La vedette de cette vidéo, Octopus vulgaris, est l'une des nombreuses espèces de céphalopodes capables de se métamorphoser, tout comme la pieuvre mimétique et la seiche géante australienne. Le truc est si bizarre qu'un jour j'ai suivi Roger dans l'un de ses voyages de recherche, juste pour m'assurer qu'il ne maquillait pas ça avec des trucages sophistiqués. À cette époque, j'étais accro aux céphalopodes. Mes amis ont dû s'adapter à mon obsession ; ils se sont habitués à mes fulgurances sur ces créatures. Je ne peux plus me résoudre à manger de calamars. En ce qui me concerne, les céphalopodes sont les créatures intelligentes les plus étranges sur Terre. Elles offrent le meilleur exemple de la façon dont des extraterrestres intelligents (s'ils existent) pourraient ètre vraiment différents de nous, et comment ils pourraient nous narguer avec des indices sur l'avenir potentiel de notre propre espèce.

Le morphing chez les céphalopodes fonctionne un peu de la même façon que dans l'infographie. Deux composantes sont impliquées : un changement dans l'image ou la texture visible sur la surface d'une forme et un changement dans la forme sous-jacente elle-même. Les "pixels" de la peau d'un céphalopode sont des organes appelés chromatophores. Ceux-ci peuvent se dilater et se contracter rapidement, et chacun est rempli d'un pigment d'une couleur particulière. Lorsqu'un signal nerveux provoque l'expansion d'un chromatophore rouge, le "pixel" devient rouge. Une série de mouvements nerveux provoque un déplacement de l'image - une animation - qui apparaît sur la peau du céphalopode. Quant aux formes, une pieuvre peut rapidement disposer ses bras pour en former une grande variété, comme un poisson ou un morceau de corail, et peut même soulever des marques sur sa peau pour ajouter de la texture.
Pourquoi se transformer pareillement ? L'une des raisons est le camouflage. (La pieuvre de la vidéo essaie probablement de se cacher de Roger.) Un autre est pour manger. Un des clips vidéo de Roger montre une seiche géante poursuivant un crabe. La seiche est principalement à corps mou, le crabe à armure. À l'approche de la seiche, le crabe, d'allure médiévale, prend une posture machiste, agitant ses griffes acérées vers le corps vulnérable de son ennemi.

La seiche répond avec une performance psychédélique bizarre et ingénieuse. Des images étranges, des couleurs luxueuses et des vagues successives d'éclairs ondulent et filigranes sur sa peau. C'est si incroyable que même le crabe semble désorienté ; son geste menaçant est remplacé un instant par un autre qui semble exprimer "Heuuuuh ?" C'est à ce moment que la seiche frappe entre les fissures de l'armure.
Elle utilise l'art pour chasser ! Chez certains ingénieurs chercheurs cette même manoeuvre s'appelle "esbroufer". Éblouissez votre financier potentiel avec une démonstration de votre projet, puis foncez avant que la lueur ne s'estompe.
En tant que créatures intelligentes, les céphalopodes sont peut-être les plus "étranges" que nous connaissions ; voyez-les comme une répétition générale pour le jour lointain où nous pourrions rencontrer des ET's intelligents. Les chercheurs sur les céphalopodes adorent partager les dernières nouvelles sur les pieuvres intelligentes ou les histoires émouvantes de seiches qui impliquent souvent des évasions téméraires hors des aquariums. Dans une autre vidéo de Roger, une pieuvre sur un récif corallien traverse une dangereuse étendue ouverte entre les têtes de corail. L'animal prend la posture, le dessin et la coloration d'une tête de corail, puis se tient debout comme sur sur ses orteils en pointe et se déplace lentement en terrain découvert. Les seules choses qui bougent sont les bout des bras ; le reste de l'animal semble immobile. Mais voici la partie la plus intelligente : En eau peu profonde à midi, par une journée ensoleillée et agitée, les ombres intenses et la lumière balayent tout. Non seulement le "rocher en mouvement" les imite, mais il veille à ne pas dépasser la vitesse de ces effets lumineux, pleinement conscient de son apparence dans des conditions changeantes.

En tant que chercheur qui étudie la réalité virtuelle, je peux vous dire exactement quelle émotion m'envahit lorsque je regarde les céphalopodes se transformer : la jalousie. La réalité virtuelle, un environnement informatique et graphique immersif dans lequel un humain peut "entrer" et se transformer en diverses choses, n'est que pâle approximation de l'expérience. Vous pouvez avoir un corps virtuel, ou avatar, et faire des choses comme examiner vos mains ou vous regarder dans un miroir virtuel. D'ailleurs certains des premiers avatars expérimentaux étaient en fait aquatiques, dont un qui permettait à une personne d'habiter le corps d'un homard.

Le problème, c'est que pour se transformer, les humains doivent concevoir des avatars dans les moindres détails à l'avance. Nos outils logiciels ne sont pas encore assez flexibles pour nous permettre, en réalité virtuelle, de nous imaginer sous différentes formes. Pourquoi le voudrions-nous ? Considérez les avantages existants de notre capacité à créer des sons avec notre bouche. Nous pouvons faire de nouveaux bruits et imiter les bruits existants, spontanément et instantanément. Mais quand il s'agit de communication visuelle, nous sommes paralysés. Nous pouvons mimer, nous pouvons apprendre à dessiner et à peindre, ou utiliser des logiciels de conception graphique par ordinateur. Mais nous ne pouvons pas produire des images à la vitesse à laquelle nous pouvons les imaginer.

Nos capacités vocales font partie de ce qui a permis à notre espèce de développer via le langage parlé. De même, notre capacité à dessiner des images - ainsi que les structures cérébrales nécessaires - était pré-adaptative au langage écrit. Supposons que nous ayons la capacité de nous transformer à volonté : Quel genre de langage pourrait rendre cela possible ? Serait-ce la même vieille conversation, ou serions-nous capables de nous "dire" des choses nouvelles les uns aux autres ?

Par exemple, au lieu de dire "J'ai faim ; allons chasser le crabe", vous pourriez simuler votre propre transparence pour que vos amis puissent voir votre estomac vide, ou vous transformer en jeu vidéo sur la chasse au crabe pour que vous et vos compatriotes puissiez vous entraîner un peu avant la chasse réelle. J'appelle ça une communication post symbolique. Certaines personnes pensent que la capacité de morphing ne ferait que vous donner un nouveau dictionnaire qui correspondrait aux mêmes vieilles idées, avec des avatars à la place des mots, alors que d'autres, dont moi, pensent qu'il y aura des différences fondamentales.
Il y a une autre façon d'y penser. Si les céphalopodes évoluent un jour pour devenir des créatures intelligentes et développer des civilisations, que pourraient-elles faire de cette capacité à se transformer ? Serions-nous capables de communiquer avec elles ? Peut-être offrent-elles un substitut utile à la réflexion sur une façon dont les extraterrestres intelligents, où qu'ils soient, pourraient un jour se présenter à nous. En essayant de développer de nouvelles façons de communiquer en utilisant le morphing dans la réalité virtuelle, nous faisons au moins un peu pour nous préparer à cette possibilité. Nous, les humains, pensons beaucoup de nous-mêmes en tant qu'espèce ; nous avons tendance à supposer que la façon dont nous pensons est la seule façon de penser. Peut-être devrions-nous y réfléchir à deux fois.

Auteur: Lanier Jaron

Info: http://discovermagazine.com, April 02, 2006

[ prospective ]

 

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religions

Luther était-il antisémite ?
Paru en 1543, "Des Juifs et de leurs mensonges" est traduit pour la première fois en français. Le texte, resté jusqu'à présent inédit en français, est un brûlot contre les Juifs, alors que le fondateur de la Réforme avait d'abord pris leur défense. Comment expliquer ce revirement? Et quelles en furent les conséquences?
- BibliObs. L'antisémitisme de Luther est régulièrement évoqué, mais on ne disposait pas en France de la traduction de son principal libelle sur le sujet: "Des juifs et de leurs mensonges". Qu'y a-t-il exactement dans ce texte?
- Pierre Savy. Comme l'indique le titre du livre, il s'agit de dénoncer les "mensonges" des Juifs, à commencer par le mensonge le plus scandaleux aux yeux de Luther, car il porte sur le trésor précieux entre tous que les Juifs ont reçu de Dieu: la Bible. La tradition chrétienne affirme, en tout cas jusqu'au XXe siècle, que la lecture juive de la Bible juive (l'"Ancien Testament") est fausse parce que, plus ou moins délibérément, elle refuse la lecture christologique de la Bible, qui permet de voir dans ces textes l'annonce de la venue de Jésus comme messie.
C'est donc un livre contre le judaïsme et "contre les Juifs", sans aucun doute, mais il n'est pas adressé aux Juifs: Luther met en garde les "Allemands", c'est-à-dire les chrétiens de son temps, contre une politique de tolérance à l'égard des communautés juives.
Il dénonce les "vantardises" des Juifs (leur lignage, le lien qu'ils entendent instaurer avec Dieu par la circoncision, la détention de la Loi et leur droit sur une terre) et s'efforce par un travail exégétique d'établir le caractère messianique de Jésus. Il expose les soi-disant "calomnies" juives sur Jésus et Marie, colportant au passage diverses superstitions médiévales, par exemple les crimes rituels prétendument perpétrés par les Juifs.
Dans la dernière partie du volume, la plus souvent citée, il appelle à faire cesser les agissements condamnables des Juifs: l'usure, qui vide le pays de ses richesses, le blasphème, les nuisances diverses. Pour cela, il prône une politique d'éradication violente (il conseille ainsi à de nombreuses reprises d'incendier les synagogues), voire l'expulsion, même si ce mot n'est pas présent dans le livre de Luther : "Il faut que nous soyons séparés d'eux et
- Dans quel contexte Luther en vient-il à écrire de telles choses?
- Le livre est publié en 1543, trois ans avant la mort du réformateur. On est loin des débuts flamboyants de sa vie: il avait publié les fameuses "thèses" qui avaient lancé la Réforme en 1517, et ses plus grands textes dans les années 1520. "Des Juifs et de leurs mensonges" s'inscrit dans les années de consolidation et de structuration par Luther d'une Église et d'une société protestantes.
Ce sont aussi des années d'inquiétude face à l'apparition de déviances internes à la Réforme, comme les anabaptistes ou les sabbatariens, qui ont poussé la relecture de l'Ancien Testament jusqu'à observer, par exemple, le repos du shabbat. Ces sectes, dont l'Église de Dieu et l'Église adventiste du Septième jour sont les héritières contemporaines, Luther les considère comme "judaïsantes".
Au même moment, la saison des expulsions des Juifs d'Europe occidentale s'achève: il n'y en reste plus guère, sinon dans les ghettos d'Italie et dans quelques localités du monde germanique. Ce traité et deux autres non moins anti-judaïques de la même année 1543, "Du nom ineffable et de la lignée du Christ" et "Des dernières paroles de David", illustrent ce que la plupart des biographes a décrit comme un revirement dans l'attitude de Luther à l'égard des Juifs.
D'abord plutôt bienveillant envers eux et convaincu de sa capacité de les convertir (il écrit "Que Jésus-Christ est né juif" en 1523, un traité autrement plus sympathique que "Des Juifs et de leurs mensonges"), il s'oppose aux persécutions dont ils sont l'objet. Il est même accusé de "judaïser". Mais son objectif reste la conversion et il finit par en rabattre, déçu qu'il est par leur obstination dans leur foi. En vieillissant, il développe une haine obsessionnelle contre les Juifs, il parle souvent d'eux dans ses "Propos de table" et, trois jours avant de mourir, il prêche encore contre eux.
- Quelle est la place de cet antisémitisme dans la pensée de Luther?
- On pourrait répondre en faisant valoir que, matériellement, les pages antisémites de Luther constituent une part réduite de son oeuvre, il est vrai très abondante; et qu'elles ne sont pas plus violentes que celles où il vise d'autres groupes qui font eux aussi l'objet de sa haine ("papistes", princes, fanatiques, Turcs, etc.). Mais cela ne répond pas vraiment sur le fond.
On pourrait répondre aussi, et ce serait déjà un peu plus convaincant, qu'un luthéranisme sans antisémitisme est bien possible: des millions de luthériens en donnent l'exemple chaque jour. L'antisémitisme n'est donc pas central dans l'édifice théologique luthérien. Néanmoins, les choses sont plus compliquées: sans être inexpugnable, l'hostilité au judaïsme se niche profondément dans la pensée de Luther.
Comme les catholiques de son temps, Luther considère comme une infâme déformation rabbinique l'idée d'une Loi orale (le Talmud) comme pendant indispensable de la Loi écrite. Comme eux encore, il campe sur des positions prosélytes et, partant, potentiellement, intolérantes. Comme eux enfin, il manie de lourds arguments théologiques contre les Juifs s'obstinant à rester juifs (caducité de l'Alliance, annonce de Jésus comme Messie, etc.).
Mais, en tant que fondateur du protestantisme, son conflit avec le judaïsme se noue plus spécifiquement autour de la question chrétienne du salut. Pour les catholiques, je suis sauvé par mes "oeuvres", c'est-à-dire mes bonnes actions. C'est le fondement théologique de l'activité caritative de la papauté, qui permet d'acheter son salut à coups de donations, de messes, d'indulgences.
Au contraire, Luther, en s'appuyant notamment sur Paul, développe une théologie de la grâce, qui inverse le lien de causalit : l'amour de Dieu m'est donné sans condition, et c'est précisément ce qui doit m'inciter à agir de façon charitable. Or, dans "Des Juifs et de leurs mensonges", Luther range les Juifs du côté des catholiques, en quoi il se trompe, car la perspective juive se soucie en réalité fort peu du salut et de la rédemption. Cette critique contre le judaïsme est forte: s'agit-il cependant d'antisémitisme? Je ne le crois pas.
Le problème se niche peut-être plutôt dans cette capacité de violence et de colère du réformateur, dans sa véhémente affirmation d'une parole persuadée de détenir la vérité et de devoir abolir l'erreur. Concernant les Juifs, cela conduit Luther à remettre en cause les équilibres anciens trouvés par l'Église romaine et, plus généralement, à attaquer la tradition de tolérance (avec toutes les ambiguïtés de ce mot) de l'Occident, qui, depuis plus de mille ans, puisait à la fois au droit romain, à la politique des papes et aux principaux textes chrétiens.
À côté de désaccords théologiques, par exemple sur les oeuvres, la foi et la grâce, il y a chez Luther cette approche radicale, désireuse de rupture, de rationalité et d'homogénéisation. Cette approche est une des formes possibles de la modernité occidentale. On pourrait dire que c'est la face sombre des Lumières, et il me semble qu'on en trouve la trace dès Luther.
Truie : La "truie des Juifs", ou "truie juive" (en allemand Judensau), est un motif antisémite classique au Moyen Âge, figurée notamment sur un bas-relief de l'église de la ville de Wittemberg (où Luther prêcha). Elle représente des Juifs en contact obscène avec une truie, et entend dénoncer ainsi la bestialité des Juifs et le lien intime qu'ils entretiennent avec les porcs. L'image revient à vingtaine de reprises dans "Des Juifs et de leurs mensonges".
- Quels ont été les effets de l'ouvrage de Luther sur le protestantisme et sur l'histoire allemande ?
- Sur le moment même, il n'a que peu d'effets: bien des expulsions sont prononcées sans que l'on ait besoin pour cela de ses recommandations. On a toutefois connaissance de mesures adoptées dans son sillage dans le Neumark, en Saxe ou encore en Hesse.
En outre, si sa réception et ses usages furent importants à l'époque de sa publication, y compris avec quelques condamnations par des contemporains de Luther, il semble que, passé le XVIe siècle, cette partie de l'oeuvre du théologien a en fait été assez oubliée. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les trois traités antijudaïques sont publiés de loin en loin isolément. Leur retour sur le devant de la scène commence dans les années 1830-1840 et c'est en 1920 que l'édition de Weimar qui fait référence achève de les rendre visibles.
On peut toutefois défendre que la présence d'une haine si forte dans une oeuvre si lue ne peut qu'avoir de lourds effets. Pour ainsi dire, avec "Des Juifs et de leurs mensonges", le vers est dans le fruit : l'antisémitisme est durablement légitimé. Avec lui, s'enclenche une certaine modernité allemande, qui n'est bien sûr ni toute l'Allemagne, ni toute la modernité. Que l'on songe aux accusations portées par Emmanuel Levinas contre la conscience philosophique occidentale et sa volonté totalisante.
Dans une telle perspective, Luther prendrait place dans la généalogie d'un universalisme devenu criminel, qui passerait par les Lumières et déboucherait sur la constitution d'un "problème" posé par les Juifs, perçus comme faisant obstacle à l'avènement de l'universel "illimité" ou "facile".
Je reprends ici la thèse proposée par Jean-Claude Milner dans "les Penchants criminels de l'Europe". Pour Milner, ce que les universalistes (adeptes d'une lecture plus ou moins sécularisée des épîtres de Paul) ne supportent pas dans le judaïsme, c'est le principe de filiation. Et en effet, ce principe est copieusement attaqué par Luther, dont on sait l'importance qu'il accordait à Paul.
Pour autant, peut-on inscrire Luther dans la succession des penseurs qui, à force d'universalisme "facile", ont fini par fabriquer le "problème juif" et ouvert la voie à la "solution finale" ? Circonstance aggravante pour le réformateur, c'est dans les années 1930-1940 que ses textes antisémites ont été le plus souvent cités - en un sens favorable, puisqu'il s'agit de récupérations par les nazis. L'une des plus célèbres récupérations est celle de Julius Streicher, directeur de "Der Stürmer" et vieux compagnon de Hitler, lorsqu'il déclara au procès de Nuremberg (1946) :
en fin de compte, [Luther] serait aujourd'hui à [sa] place au banc des accusés si ["Des Juifs et de leurs mensonges"] avait été versé au dossier du procès.
Autre indice frappant : la carte du vote nazi et celle du protestantisme au début des années 1930 se recoupent parfaitement, et, pourrait-on dire, terriblement. Pour autant, il paraît injuste de voir là de véritables effets de l'oeuvre de Luther. Dans la tradition antisémite de l'Allemagne, aujourd'hui bien évidemment interrompue, Luther joue un rôle, sans doute, mais il est difficile d'en faire la pesée.
L'historien Marc Bloch prononça une mise en garde fameuse contre l'"idole des origines", ce commencement "qui suffit à expliquer". Dans une généalogie, les crimes des générations postérieures ne sont pas imputables aux ancêtres. Bien responsable de ce qu'il a écrit, et qui l'accable, Luther ne l'est pas de la suite de l'histoire, surtout si cinq siècles le séparent de cette "suite" dramatique.

Auteur: Savy Pierre

Info: propos recueillis par Eric Aeschimann, Des Juifs et de leurs mensonges, par Martin Luther, éditions Honoré Champion, 212

[ Europe ]

 

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épistémologie

Le premier chapitre de l’ouvrage montre que la période grecque est déterminante pour les développements ultérieurs de la connaissance, elle a posé certains principes fondamentaux qui seront discutés jusqu’à nos jours. En synthétisant les apports de penseurs grecs d’Héraclite et Parménide, de Socrate à Platon, Aristote et Épicure, Martine Bocquet pointe qu’à cette époque le signe (séméïon) est secondaire, il est considéré comme un signe de la nature que l’on peut interpréter (symptôme de maladies, foudre, etc.). Il s’oppose au mot qui, lui, repose sur une relation conventionnelle. Martine Bocquet montre qu’Aristote est important pour la sémiotique, de Deely en particulier. Réaffirmant l’importance du rapport sensible au monde, face à Platon, il a placé le séméïon au fondement de la connaissance et orienté ses recherches vers la relation comme catégorie discursive (pp. 33-45), notion qui sera au cœur des discussions des scoliastes.

Le chapitre deux montre l’évolution importante des notions de signe et de relation à la période latine médiévale et scolastique. Suivant l’étude de Deely, Martine Bocquet souligne le rôle d’Augustin d’Hippone. En traduisant le séméïon grec en signum, il a proposé la première formulation générale du signe qui subsume l’opposition entre nature et culture entre lesquelles il fonctionne comme une interface (p. 65, 68). Bien qu’elle demeure imparfaite, l’approche d’Augustin pose d’une part les fondements d’une théorie relationnelle de la connaissance ; d’autre part, en maintenant une distinction entre signe naturel (signum naturale, séméïon) et signe conventionnel (signum datum), elle ouvre sur une conception de la communication, tout à fait intéressante, engageant tous les êtres vivants (animaux, plantes) (p. 67, 69). D’une autre façon, la problématisation de la relation apparaît tout aussi importante à cette période. En distinguant, chez Aristote, la relatio secundum dici (relation transcendantale) — relation exprimée par le discours — et la relatio secundum esse (relation ontologique) — relation en tant qu’entité particulière (p. 70) — Boèce permet de concevoir l’existence de relations ontologiques, indépendantes de la pensée (p. 73) — fondamentales chez Poinsot, Peirce et Deely. Cette distinction aura son incidence puisqu’elle posera les termes de la querelle des universaux, tournant épistémologique majeur de l’histoire des connaissances.

Initiée par Pierre Abélard, la "querelle des universaux" est abordée par Martine Bocquet au chapitre trois et apparaît comme le point pivot de l’ouvrage (pp. 107-112) dans la mesure où elle aura une incidence sur le rapport au monde et à la connaissance. La dispute, qui porte sur la nature de l’objectivité et du statut de réalité des entités dépendantes ou non de la pensée, par le biais de la catégorie aristotélicienne de relation, et, par extension, de celle de signe, oppose les réalistes aux nominalistes.

Les penseurs dits "réalistes", parmi lesquels Thomas d’Aquin, Roger Bacon, Duns Scot, considèrent que le signe est constitué d’une relation indépendante de la pensée, dite ontologique, à la nature. Le traitement de Martine Bocquet montre clairement que Deely se retrouve dans la pensée de ces auteurs, dont il a avant tout souligné la contribution à la sémiotique de Peirce : (i) le signe subsume l’activité cognitive (pp. 80-81) (ii) la relation de signe est dans tous les cas triadique (p. 82), (iii) les signes se constituent de manière dynamique, ce qui leur permet d’agir (sémiosis) et de jouer un rôle dans l’expérience et la connaissance (pp. 83-86).

Martine Bocquet met particulièrement en évidence la pensée de Jean Poinsot (Jean de St-Thomas), en soulignant son influence sur Deely. L’originalité de ce dernier est d’avoir considéré Poinsot comme le précurseur d’une sémiotique voisine de celle de Peirce, plus ontologique encore. Pour le résumer en quelques points, Poinsot défend avant tout que la nature et la réalité du signe sont ontologiques (secundum esse), c’est-à-dire que le signe est une relation dont le véhicule est indifférent à ce qu’il communique (p. 102). Ce point est essentiel car il permet de doter le signe d’une nature proprement relationnelle : (i) il pointe vers autre chose (une autre réalité physique ou psychique), (ii) il permet d’articuler la subjectivité et l’intersubjectivité et (iii) opère la médiation entre les choses (indépendantes de la pensée) et les objets (dépendants de la pensée) (pp. 105-106) ; ce que la représentation, où l’objet pointe vers lui-même, n’autorise pas. Le point de vue de Poinsot est déterminant, car les nombreux retours vers sa pensée réalisés tout au long de l’ouvrage, montrent que c’est au prisme de ces principes que Deely réévaluait les pensées modernes.

De l’autre côté, les "nominalistes" comme Guillaume d’Ockham considèrent que la réalité est extra mentale, que seules les causes externes sont réelles, et qu’en conséquence, les relations intersubjectives n’existent que dans la pensée. Malgré l’intervention des successeurs d’Ockham qui, contrairement à celui-ci, admettront le signe, divisé en deux entités — signes instrumentaux (physiques, accessibles aux sens) et signes formels (concepts) — à partir de 1400 environ, les concepts (signes formels) seront considérés comme des représentations (p. 91). Martine Bocquet montre bien que le principe nominaliste, souvent simplifié, sera largement adopté par les sciences empiriques qu’il permettra de développer, mais cela, et c’est l’enjeu de la démarche de Deely, au détriment du rapport entre le monde et les sens.

Dans le quatrième chapitre consacré à la modernité, Martine Bocquet montre comment Deely a pointé les problèmes et les limites posés par l’héritage du nominalisme, en mettant notamment en perspective les travaux des empiristes (John Locke, David Hume), puis ceux de Kant, avec les propositions de Poinsot. Elle montre d’emblée que le rationalisme de Descartes, où la raison est indépendante et supérieure à la perception, conduira à renégocier la place de la perception dans la connaissance. En concevant les qualités des sens comme des images mentales, les modernes renversent l’ordre de la perception sensorielle reconnu par les scoliastes, les qualités sensorielles (couleurs, odeurs, sons) autrefois premières sont reléguées au second plan (p. 117). Les empiristes (John Locke, George Berkeley, David Hume) contribueront à considérer l’ensemble des sensations comme des images mentales, ils ne seront alors plus capables de s’extraire de la subjectivité (p. 121-124). À ce titre, Martine Bocquet porte à notre attention que Deely avait bien montré que l’empirisme et le rationalisme éludaient la description du phénomène de cognition.

L’approche de Kant apparaît dans l’ouvrage comme point culminant, ou synthèse, de la pensée moderne. En suivant les pas de Deely, Martine Bocquet prend le soin de mettre son travail en perspective avec la pensée de Poinsot, ce qui permet de réaffirmer sa pertinence dans le projet sémiotique de Deely. Kant a eu le mérite d’envisager des relations objectives. Toutefois, en limitant la cognition aux représentations, il la sépare de la signification, c’est-à-dire du supplément de sens contenu dans l’objectivité (au sens de Poinsot), et se coupe de l’expérience de l’environnement sensible qui permet à l’homme de connaître et de constituer le monde (pp. 130-131). Martine Bocquet insiste sur le fait que, selon Deely, la pensée kantienne est lourde de conséquences puisqu’en inversant les concepts d’objectivité et de subjectivité, elle enferme l’individu dans sa propre pensée (p. 134), reléguant la communication au rang d’illusion.

Le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré aux chercheurs post-modernes, qui ont marqué la fin du modernisme et opéré un retour vers le signe. On y trouve notamment les apports d’Hegel et de Darwin, entre autres, qui ont permis d’affirmer le rôle concret de la relation ontologique dans la cognition, et la prise des facultés cognitives avec l’environnement physique. Martine Bocquet consacre une grande partie du chapitre à la sémiotique en tant que discipline, ce qui lui permet de réaffirmer l’ancrage de Deely dans l’héritage peircien qui est ici clairement distingué des modèles de Saussure et Eco.

Martine Bocquet rappelle d’abord que la pensée de Peirce s’inspire des réalistes (d’Aquin, Duns Scot) et considère donc que les produits de la pensée sont bien réels, et non de simples constructions des sens. La sémiotique qu’il développe appréhende la signification comme un parcours de pensée dynamique entre expérience et cognition. Dans son modèle ternaire, présenté en détail, la relation de tiercité caractérise le fonctionnement de la cognition humaine depuis la perception d’indices jusqu’à la constitution d’un système de signification ; elle est propre à l’homme qui peut se référer à la réalité mais aussi évoquer des choses imaginées (p. 146). L’intérêt de ce modèle est de permettre d’envisager que les non-humains utilisent aussi des signes, possibilité envisagée par Peirce dans sa « grande vision », doctrine qui selon Bocquet fascine Deely. Ce projet consistait à étendre la sémiotique au vivant, considérant que l’action des signes est enracinée dans toutes les choses du monde. Il ouvre sur un vaste champ de recherche abordé en conclusion, sur lequel nous reviendrons.

Contrairement à la sémiotique peircienne, Bocquet montre que John Deely considère que la sémiologie de Saussure, reposant sur le signe linguistique, est limitée car elle ne s’occupe que des signes conventionnels, culturels. De ce fait, elle se montre non seulement incapable d’approcher le signe naturel mais elle court aussi le risque de faire de la réalité une construction de l’esprit (idéalisme). En dépit d’un substrat peircien partagé, la même critique sera adressée à la théorie des codes d’Eco puis, plus loin dans la conclusion de Martine Bocquet (pp. 171-172), au structuralisme (Greimas, Lévi-Strauss). En somme, ces sémiotiques sont très efficaces pour étudier les systèmes de signes spécifiquement humains, mais, enfermées dans le langage et la culture, elles sont incapables de traiter les signes naturels, toute tentative révèle leur idéalisme. À cet endroit, l’auteure met bien en évidence l’opposition irréductible entre, d’un côté, ces théories qui ne rendent compte ni du signe naturel ni de la reconnaissance des phénomènes de la nature, et de l’autre, la posture de Deely qui défend l’idée que les données des sens ne sont jamais déconnectées et que la perception comprend une structure d’objectivité car les relations sont réelles (p. 165). Finalement, au travers de l’ouvrage, Bocquet montre que Deely prônait un retour à l’universalité du signe.

La conclusion du livre indique que Deely plaçait le signe et la sémiotique au cœur d’une pensée postmoderne capable de rétablir le dialogue entre les sciences dures et les sciences de la communication. Ce dialogue répondrait à la nécessité de comprendre l’action des signes autant dans la nature que dans la culture. Pour concrétiser cela, Deely propose un retour au réalisme oublié des scoliastes latins pour réviser les théories des modernes afin de renouer le lien avec la nature, en tenant compte des entités dépendantes et indépendantes de la pensée (p. 168).

Cette posture s’inscrirait, selon Martine Bocquet, dans un projet sémioéthique au sein duquel l’homme prendrait conscience de ses responsabilités vis-à-vis de la nature. Finalement, la solution à adopter correspond à la "grande vision" de Peirce, introduite en amont, c’est-à-dire une doctrine des signes qui, d’une part, intègre l’ensemble de la connaissance humaine du sensoriel aux interactions sociales et à la culture et, d’autre part, étend la sémiotique à l’ensemble du monde vivant, considéré comme un réseau de significations entre humains et non-humains, et noué sur une relation ontologique présente dans toute chose (pp. 169-170). Mis en application dans les années 1960, ce projet a donné lieu à un ensemble de sémiotiques spécifiques étudiant aussi bien le vivant, comme la physiosémiotique, la phytosémiotique, la zoosémiotique, la biosémiotique, que l’homme avec l’anthroposémiotique. Nous soulignons que certaines de ces disciplines sont aujourd’hui émergentes pour répondre aux questions environnementales actuelles en termes de climat, de cohabitation entre espèces et d’habitabilité du monde.

La restitution des travaux de Deely par Martine Bocquet semble tout à fait pertinente pour les sciences de la communication. Tout d’abord, parce que la démarche historique de Deely invitant à réévaluer nos acquis au prisme de modèles plus anciens, parfois moins connus, est tout à fait d’actualité et nécessaire dans notre réseau de recherche pluridisciplinaire. Ensuite, du fait de la structure détaillée du livre de Martine Bocquet qui permettra autant aux étudiants qu’aux chercheurs de trouver une formulation des concepts et des problèmes qui sous-tendent encore le domaine de la communication.

D’autre part, le grand intérêt de l’ouvrage réside dans le parti pris épistémologique de la sémiotique de Deely. En adoptant la relation ontologique de Poinsot, présente en creux chez Peirce, Deely ouvre des perspectives importantes pour le champ des sciences de la communication puisqu’il attire notre attention sur un concept universel de signe capable de réaffirmer la place du sensible dans la communication et de problématiser les interactions entre humains et non-humains. À ce titre, la pensée de Deely rapportée par Martine Bocquet est tout à fait en phase avec la recherche de ces quinze dernières années où différentes disciplines ont cherché à étudier la signification au-delà des particularités entre humains mais aussi entre êtres vivants, soit en adoptant un point de vue ontologique soit en intégrant les sciences physiques ou cognitives. Citons par exemple la biosémiotique, la zoosémiotique mais aussi l’anthropologie de la nature de Philippe Descola, "l’anthropologie au-delà de l’humain" d’Eduardo Kohn, la sémiophysique de René Thom et Jean Petitot ou encore la sémiotique cognitive.

Auteur: Chatenet Ludovic

Info: résumé critique de : Martine Bocquet, Sur les traces du signe avec John Deely : une histoire de la sémiotique Limoges, Éditions Lambert Lucas, 2019, 200 p.

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compte-rendu de lecture

Les pépites de Charles S. Peirce

L’œuvre de Peirce est plutôt disparate, souvent dense et incontestablement précieuse. S’y inventent tout à la fois une notion très déterminée de l’épistémologie, une théorie de la vérité ou encore un rapport particulier à la logique. Entre autres.

Charles Sanders Peirce est un auteur que tout philosophe gagnerait à fréquenter, car il y trouverait, pour parler comme Russell, qui n’avait pourtant pas été tendre pour la théorie pragmatiste de la vérité, "des pépites d’or pur". Il est vrai qu’il faut pour cela s’armer de patience, car les obstacles à surmonter sont nombreux. Un peu comme Leibniz, Peirce est un polymathe, qui n’a jamais exercé de fonction universitaire durable et a laissé une œuvre très éclatée, composée d’une foule de petits textes, d’accès souvent difficile, entre lesquels il faut sans cesse naviguer. Il a adopté une morale terminologique propre à dissuader le lecteur le mieux disposé, pour traiter des sujets de surcroît le plus souvent très ardus. Une vue d’ensemble, comme celle offerte dans le présent ouvrage, est donc particulièrement bienvenue, même si elle se heurte à des difficultés dont l’auteur était bien conscient. Vouloir, en quelque trois cents pages, présenter à la fois la diversité des domaines abordés et la richesse des analyses élaborées tenait un peu de la gageure. Pour réussir, J.-M. Chevalier a choisi une écriture très dense et, faute de pouvoir le suivre dans tous les détails de son argumentation, il faut se contenter d’en prendre une vue on ne peut plus schématique.

Une épistémologie à inventer

Peirce est connu pour être le père du pragmatisme, mais l’auteur nous propose de voir aussi en lui l’inventeur de l’épistémologie. Ce faisant, il joue sur l’équivoque d’un mot qui, sous l’influence de l’anglais, ne signifie plus seulement philosophie des sciences, mais plus généralement théorie de la connaissance, le mot gnoséologie n’ayant jamais réussi à entrer dans l’usage. Si, au premier sens, l’affirmation est manifestement fausse, même dans le dernier cas elle ne va pas de soi, la théorie de la connaissance s’étant constituée, dès avant Peirce, en discipline bien établie (p. 10). Toutefois, entre l’Erkenntnistheorie des néo-kantiens et l’actuelle epistemology, il y a bien une rupture dont Peirce est l’un des principaux artisans, de sorte que l’épistémologie dont il sera question était bien alors "une discipline encore à inventer" (p. 9). La référence à Kant n’en est pas moins omniprésente. Comme pour ce dernier, il s’agit de rendre compte des conditions de possibilité de la connaissance, de sorte que la perspective transcendantale est conservée, mais sensiblement infléchie. Le rapport à Kant est en effet doublé d’un autre rapport, d’une tout autre nature, mais non moins important, à Mill. En cent ans, les sciences expérimentales avaient en effet connu un essor prodigieux et, sous l’influence de l’empirisme, on avait eu tendance à attribuer ce succès à l’induction. À la différence de Kant, il convenait donc d’adopter un point de vue historique et d’expliquer aussi le progrès des connaissances ; de même, contre Mill, il était urgent de constituer une nouvelle théorie de l’induction. Aussi l’auteur a choisi de prendre comme fil conducteur l’élaboration de cette pièce maîtresse de la nouvelle épistémologie (p. 6, 108), car, sans s’identifier, les deux tâches sont étroitement liées et mettent en particulier en valeur la place qu’occupe dans ces deux cas la logique.

L’examen de la question suit les quatre grandes périodes qui scandent la vie intellectuelle de Peirce : la recherche d’une méthode (1857-67) ; l’enquête en théorie et en pratique (1868-1884, la grande époque, où Peirce devient Peirce et pose les fondements du pragmatisme) ; lois de la nature et loi de l’esprit (1884-1902, l’audacieuse synthèse d’une métaphysique scientifique) ; pragmatisme et science normative (1902-1914, la remise en chantier du pragmatisme dans un cadre architectonique).

Peirce et la logique

Peirce est entré en philosophie, à l’âge de douze ans, "en tombant dans la marmite logique" (p. 15), et il tiendra pendant plus de quarante ans un logic notebook. Il a d’ailleurs laissé dans ce domaine des contributions de premier plan. Ainsi, il a découvert, indépendamment de Frege, et en même temps que lui, la théorie des quantificateurs ; mais cela n’intéresse que les logiciens et s’inscrit de plus dans une approche algébrique de la logique qui sera écartée au profit du logicisme ou de la théorie de la démonstration.

L’ouvrage insiste bien davantage sur l’élargissement considérable de l’idée de logique, qui aboutit à quelque chose de fort différent de ce qui s’enseigne sous ce nom aujourd’hui et qu’on a proposé d’appeler un socialisme logique (208). La logique est d’abord un art de penser et Peirce posera en "première règle de la logique" la maxime : "pour apprendre il faut désirer apprendre" (p. 210). De même, un lien étroit est établi entre logique et morale : "la pensée logique est la pensée morale" (p. 247) ; "pour être logiques, les hommes ne doivent pas être égoïstes" (p. 116 ; plus généralement, 114-119, 247-252)

Un autre trait caractéristique de Peirce est de maintenir les liens existants depuis Aristote entre logique et métaphysique ; et cela de deux façons. Il y a d’une part la théorie des catégories, présente dès le départ, sous l’influence de Kant. Très vite, elles prennent la forme d’une triade (priméité, secondéité et tiercéité) qui sert de trame à bien des constructions ultérieures. L’auteur montre bien que cette théorie occupe une place assez déconcertante pour que Peirce se soit vu obligé de "se défendre d’une tendance pathologique à la triadomanie" (p. 226). Plus classique, il y a aussi la question du réalisme et des universaux, qui témoigne d’une connaissance de la logique médiévale très rare à l’époque. Peirce abandonnera vite son nominalisme initial pour adhérer à un réalisme hautement revendiqué. Mais ce réalisme n’exclut pas un idéalisme à la Schelling : l’esprit n’est que de la matière assoupie (p. 199). Enfin, on retrouve la dimension morale de la logique, car la querelle des universaux n’est pas seulement spéculative : le nominalisme, qui ne reconnaît que les individus, est lié à l’individualisme, alors que le réalisme, qui reconnaît la réalité des genres, conduit à l’altruisme.

Fonder l’induction

Si les logiciens contemporains ignorent assez largement l’idée de logique inductive pour ne s’intéresser qu’à l’idée de conséquence valide, Aristote mettait pourtant déjà en parallèle induction et déduction. Quant à Peirce, son goût pour les schémas tripartites le conduit à introduire dès le début, à côté de celles-ci, une autre composante. Comme on l’a déjà signalé, Peirce se fait de la logique une idée très large. Pour lui, comme pour Descartes, logique est un peu synonyme de méthode. Elle doit en particulier rendre compte de la démarche des sciences expérimentales. Celles-ci utilisent la déduction (de l’hypothèse à ses conséquences), l’induction (on dit que ce sont des sciences inductives) ; mais cela ne suffit pas et déjà Comte, dans le Cours de philosophie positive, avait souligné l’intervention d’une troisième opération, qu’il appelait hypothèse, comme Peirce au début ; mais celui-ci pour souligner l’appartenance à la logique, parlera par la suite de rétroduction, ou d’abduction.

Pour comprendre la focalisation sur l’induction, il faut revenir au rapport qu’elle entretient avec l’épistémologie encore à inventer. Si l’induction est au cœur de la connaissance expérimentale, qui est à son tour, beaucoup plus que l’a priori, au cœur de la connaissance, alors l’épistémologie aura pour pièce maîtresse une théorie de l’induction. Le problème en effet ne porte pas seulement sur les conditions de possibilité de la connaissance. Il s’agit d’expliquer l’essor prodigieux des sciences expérimentales, l’efficacité de la connaissance. Dans le cadre transcendantal hérité de Kant, l’induction est pratiquement absente. De ce point de vue, la référence à Mill remplit une double fonction. L’auteur du System of Logic vient réveiller Peirce de son sommeil critique et lui rappeler que les sciences expérimentales seraient des sciences inductives. Mais il sert aussi de repoussoir, sa théorie de l’induction, et en particulier le fondement qu’il lui donnait, étant inacceptables. Peirce n’aura de cesse de trouver une solution qui ne fasse appel ni au sujet transcendantal, ni à l’uniformité de la nature et, preuve de l’importance qu’il accordait à la question, il en proposera d’ailleurs plusieurs.

La première, qui coïncide avec la naissance du pragmatisme, comprend deux composantes. De façon très novatrice, elle recourt massivement à la théorie des probabilités et aux statistiques, présentes dès les tout premiers travaux de Peirce, fidèle en cela à Boole, qui associait déjà logique et probabilité. L’approche était incontestablement féconde et Carnap rapprochera à son tour logique inductive et probabilité. Aussi l’auteur accorde une attention toute particulière aux développements extrêmement originaux consacrés à cet aspect. Mais simultanément, à un autre niveau, pour expliquer le succès de la connaissance, il faut mettre en place les concepts fondamentaux du pragmatisme entendu comme théorie de l’enquête et étude des différents moyens de fixer la croyance. L’accord entre ces deux composantes, approche statistique de l’induction et découverte de la vérité, va si peu de soi que Putnam a parlé à ce propos d’énigme de Peirce (p. 115) : pourquoi des fréquences, à long terme, devraient-elles guider des choix à court terme ?

La réponse mène au principe social de la logique, puisqu’elle opère un transfert psychologique de l’individu à la communauté. La conception fréquentiste ne pouvait attribuer de probabilité aux cas uniques. Pour résoudre la difficulté, Peirce propose d’interpréter chaque évènement possible comme le choix d’un membre de la communauté. Puisqu’il y a autant de choix que de membres, et que plusieurs membres peuvent faire le même choix, il devient possible de déterminer des fréquences. Le sujet transcendantal s’efface ainsi et cède la place à la cité savante : si la communauté agit conformément aux probabilités, elle connaîtra plus de succès que d’échec.

Avec le temps, la solution proposée en 1878 dans les Illustrations de la logique de la science s’avérera toutefois insatisfaisante et, après 1904, la reprise de la question obligera à remettre en chantier la théorie du pragmatisme. Tout commence par un mea culpa : "dans presque tout ce que j’ai publié avant le début de ce siècle j’ai plus ou moins mélangé hypothèse et induction" (p. 271). Alors que la première, en partant de l’expérience, contribue à la conclusion finale de l’enquête, l’induction, qui y retourne, ne fait qu’évaluer ce contenu. On remarquera que la place ainsi réservée à l’induction n’est pas du tout celle qu’on lui accorde d’ordinaire et qui veut que l’observation de différents cas isolés nous "soufflerait" la bonne explication. Ici, elle se borne à tester l’hypothèse, pour la valider ou l’invalider. Comme la déduction, elle augmente non pas nos connaissances, mais la confiance qu’on peut leur accorder. Les nouveaux développements sur la vraisemblance des tests empiriques conduisent à réviser toute la conception des probabilités, mais les effets de la confusion initiale s’étendent à la question des fondements. Sans disparaître, le besoin de fonder l’induction passe au second plan.

Pour l’épistémologue qui veut expliquer l’efficacité de la connaissance, l’abduction, c’est-à-dire la découverte de la bonne hypothèse, est une étape décisive et originale (p. 117). Ainsi, la démarche qui a conduit Kepler à rendre compte des mouvements célestes non plus par des cercles, mais par des ellipses ne relève ni de la déduction ni de l’induction. Dans cette dernière période, on assiste donc à une montée en puissance de l’abduction, qui a pour effet de distendre les liens entre logique et épistémologie. L’appartenance de l’abduction à la logique va en effet si peu de soi qu’il n’y a toujours pas de logique abductive. Alors que l’abduction a parfois été appelée inférence à la meilleure explication, il n’est pas sûr que la découverte de la bonne explication soit bien une inférence, au même titre que l’induction ou la déduction et on aurait plutôt tendance à l’attribuer au génie, à ce que les Allemands appellent Einsicht et les Anglais Insight. Peirce ira d’ailleurs dans ce sens quand il estimera que ce qui explique le succès de la connaissance, ce n’est pas tant la raison que l’instinct. L’esprit humain est le produit d’une sélection naturelle, ce qui fait qu’il est comme "accordé à la vérité des choses" (p. 274).

De cette brève présentation, il importe de souligner à quel point elle donne une image appauvrie et déformée de l’ouvrage. À regret, des pans entiers ont dû être passés sous silence. Ainsi, rien n’a été dit du rapport complexe de Peirce à la psychologie. La distinction établie entre le penser (l’acte, fait biologique contingent) et la Pensée (fait réel, objectif, idéal, la proposition des logiciens) lui permet de condamner le psychologisme, qui méconnaît cette distinction, tout en développant une théorie psychologique à laquelle l’auteur consacre de nombreuses pages. Rien n’a été dit non plus de la métaphysique scientifique décrite dans la troisième partie de l’ouvrage. Il en va de même encore de la sémiotique, à laquelle le nom de Peirce reste étroitement attaché, et qui est un peu à l’épistémologie ce que la philosophie du langage est à la philosophie de l’esprit. Un des grands mérites de l’ouvrage tient à la volonté de respecter les grands équilibres, et les tensions, à l’œuvre chez Peirce, et de faire sentir l’imbrication des différents thèmes. Le lecteur peut ainsi mesurer la distance entre ce qu’on retient d’ordinaire de Peirce et ce qu’on trouve dans ses écrits. À cet égard, l’ouvrage s’avère très précieux et même celui qui connaît déjà Peirce y trouvera à apprendre.

Cette qualité a toutefois un coût. La richesse de l’information s’obtient parfois au détriment de l’intelligibilité. À vouloir trop couvrir, il arrive que le fil directeur soit perdu de vue pour des considérations adventices, portant de surcroît sur des sujets souvent ardus, où il est facile de s’égarer. Sur cette épistémologie qui sert de sous-titre à l’ouvrage, le lecteur reste un peu sur sa faim. Au fur et à mesure, les différents matériaux de cette discipline à inventer sont mis en place, mais il aurait aimé les voir rassemblés, de façon à pouvoir se faire une idée de cette discipline en cours de constitution.

Ces quelques réserves ne doivent pas masquer l’intérêt considérable d’un ouvrage qui est le fruit d’une longue fréquentation de l’œuvre de Peirce. Les livres sur cet auteur ne sont pas si nombreux et celui-ci est incontestablement appelé à rendre de nombreux services. S’il n’est pas destiné à ceux qui ignoreraient tout du pragmatisme, il n’en constitue pas moins une introduction à une œuvre qu’on gagne à fréquenter. Pour quiconque veut travailler Peirce, c’est une véritable mine, à condition bien sûr de se donner la peine de chercher ces pépites dont parlait Russell.

Auteur: Bourdeau Michel

Info: A propos de : Jean-Marie Chevalier, "Peirce ou l’invention de l’épistémologie", Paris, Vrin, 2022, 313 p., 29 €. 20 octobre 2022

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