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objet d'investissement

Qu’est-ce qui différencie le deuil de la mélancolie ?

Pour le deuil, il est tout fait certain que sa longueur, sa difficulté, tient à la fonction métaphorique des traits conférés à l’objet de l’amour, en tant qu’ils sont des privilèges narcissiques. […] Freud insiste bien sur ce dont il s’agit – le deuil consiste à identifier la perte réelle, pièce à pièce, morceau par morceau, signe à signe, élément grand I à élément grand I, jusqu'à épuisement. Quand cela est fait, fini. […]

L'affaire ne commence à devenir sérieuse qu'à partir du pathologique, c’est-à-dire de la mélancolie. L'objet y est, chose curieuse, beaucoup moins saisissable pour être certainement présent, et pour déclencher des effets infiniment plus catastrophiques, puisqu'ils vont jusqu'au tarissement de ce que Freud appelle le sentiment le plus fondamental, celui qui vous attache à la vie.

[…] Quels traits se laissent-ils voir d'un objet si voilé, masqué, obscur ? Le sujet ne peut s’attaquer à aucun des traits de cet objet que l’on ne voit pas, mais nous analystes, […] nous pouvons en identifier quelques-uns à travers ceux qu'il vise comme étant ses propres caractéristiques à lui. Je ne suis rien, je ne suis qu’une ordure.

Remarquez qu'il ne s'agit jamais de l'image spéculaire. Le mélancolique ne vous dit pas qu'il a mauvaise mine, ou qu'il a une sale gueule, ou qu'il est tordu, mais qu'il est le dernier des derniers, qu'il entraîne des catastrophes pour toute sa parenté, etc. Dans ses accusations, il est entièrement dans le domaine du symbolique. Ajoutez-y l'avoir - il est ruiné. Cela n’est-il pas fait pour vous mettre sur la voie ?

[…] Il s'agit de ce que j'appellerais, non pas le deuil ni la dépression au sujet de la perte d'un objet, mais un remords d'un certain type, déclenché par un dénouement qui est de l'ordre du suicide de l'objet. Un remords donc, à propos d'un objet qui est entré à quelque titre dans le champ du désir, et qui, de son fait, ou de quelque risque qu'il a couru dans l'aventure, a disparu.

[…] La voie vous est tracée par Freud, quand il vous indique que déjà dans le deuil normal la pulsion que le sujet retourne contre soi pourrait bien être une pulsion agressive à l’endroit de l’objet. Sondez ces remords dramatiques quand ils adviennent. Vous verrez peut-être qu’il revient ici contre le sujet une puissance d’insultes qui peut être parente de celle qui se manifeste dans la mélancolie. Vous en trouverez la source dans ceci – cet objet, s’il a été jusqu’à se détruire, ce n’était donc pas la peine d’avoir pris avec lui tant de précautions, ce n’était donc pas la peine de m’être détourné pour lui de mon vrai désir.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, livre VIII - Le transfert" pages 458-459

[ arbitraire ] [ généalogie du signe ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

rupture

Ma tendre mademoiselle Beadnell,
Vos sentiments vous permettront sans doute mieux d'imaginer, bien mieux que n'importe quelle tentative de ma part, le déchirement qu'a été d'emprunter le chemin que j'ai désormais choisi de prendre. Cette direction que je prends ne pourrait pas être plus contraire à celle de mes désirs et de mes sentiments. Malgré tout, elle se dévoile être un peu plus chaque jour la seule et l'unique voie qui s'offre à moi.
Nos rencontres n'ont récemment été guère plus que des manifestations de cruelle indifférence d'un côté et de l'autre, elles n'ont conduit qu'à nourrir le chagrin d'une relation qui depuis longtemps est devenue plus que désespérée. Conscient que je m'étais embarqué dans une quête qui depuis longtemps était désespérée - et persévérer dans cette voie n'aurait pu que me ridiculiser - j'ai pris la décision de vous rendre ce cadeau que j'ai reçu de vous il y a peu (et que j'ai toujours eu, voire que j'ai, en haute estime en comparaison à tout ce que je peux posséder) ainsi que d'autres souvenirs dans lesquels j'inclus nos dernières lettres. Je suis certain que vous apprécierez de les recevoir puisque, tenant compte de nos situations respectives, tout cela ne pourrait être mieux qu'entre vos mains.
Dois-je dire que rien n'est plus éloigné de mon intention que de vous blesser avec ces quelques lignes qui accompagnent ce petit paquet ? Je suis certainement la dernière personne au monde qui pourrait se comporter ainsi. Il me semble que ce n'est pas le moment pour ce type de jeu frivole, délibéré et calculé. [...] Ce serait mesquin et malvenu de ma part que de conserver un de vos cadeaux ou bien de garder même une seule ligne de votre souvenir ou une quelconque marque de votre affection.
J'ai une seule chose à ajouter, et je le dis à ma décharge. Pour moi, le fruit de notre passion a sans nul doute été la mélancolie. J'ai vu apparaître au fil de notre correspondance les marques d'une totale désolation et de malheur apparaître. Grâce à Dieu je parle en mon nom et peux m'enorgueillir du mérite d'avoir toujours agi avec vous de manière juste, claire et honorable, et ce tout au long de nos échanges.
Sous une couche d'amabilité ou bien au travers d'un comportement totalement distinct d'un jour à l'autre, j'ai toujours été le même. J'ai toujours agi sans réserve et sans jamais prétendre atteindre ce que je ne pouvais accomplir. Je ne vous ai jamais laissé espérer ce que je ne pouvais combler. Jamais je n'ai pris le rôle d'une oreille attentive dans le seul but d'arriver à mes fins et je crois que jamais je ne le pourrai (bien que Dieu sache que c'est peu probable que l'occasion se présente à moi). [...]
Je n'ai rien fait qui eut été susceptible de vous blesser. Et si j'ai dit (bien que je ne le crois pas possible) quelque chose qui ait pu avoir cet effet la, la seule chose que je puisse faire et de vous demander de vous mettre à ma place et une explication s'offrira à vous, une explication bien plus claire que celle que je pourrais vous offrir.
Acceptez ce qui suit avec toute la valeur que cela comporte, et je crois que rien au monde ne pourrait me rendre plus content, ni plus vrai, que de vous savoir, vous l'objet de mon premier et dernier amour, heureuse. Si vous arrivez à le devenir comme je pense que vous pouvez l'être, alors vous serez en possession de toutes les bénédictions que ce monde puisse vous donner. C.D.

Auteur: Dickens Charles

Info: Lettre du 18 mars 1833 à son premier amour, lui ne plait pas à la famille bourgeoise de sa fiancée. Echec qui donna à Twain la rage de vaincre les obstacles et devenir le grand auteur qu'on connait

 

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émoi

Les émotions et leurs expressions ont-elles varié à travers le temps? Exprimait-on de la même manière la joie au Moyen-Age qu’aujourd’hui? La colère et la douleur? Après leurs très remarquées Histoire du corps et Histoire de la virilité, parues au Seuil, les historiens Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et GV dirigent cette fois une ambitieuse et passionnante Histoire des émotions en trois volumes.

Cette somme d’articles réunit les meilleurs spécialistes mais s’adresse à un large public et se lit comme un formidable récit. Les premiers volumes paraissent aujourd’hui. Ils nous emmènent de l’Antiquité au Moyen Age, et jusqu’à la veille de la Révolution. Le troisième, qui couvrira la période moderne, est annoncé pour 2017. GV revient sur cette passionnante évolution.

- Le Temps: En vous lisant, on découvre que les émotions sont culturellement construites et varient selon les époques…

- GV :
 L’émotion est un phénomène central par lequel nous pouvons préciser les univers culturels et sociaux. Dans cette étude collective, nous avons traversé le temps, de la Grèce antique à l’époque contemporaine. Mais nous avons aussi cherché à dessiner une géographie de l’émotionnel au sein d’une même société. Au XVIIe siècle, par exemple, le monde populaire n’a pas le même régime émotionnel que celui de la cour… Dans l’Antiquité non plus. Prenez Sénèque. Lorsqu’il décrit l’univers émotionnel de la romanité, il dit que l’homme libre, le citoyen, maîtrise ses émotions. Ce qui est moins le cas, selon lui, de la femme, encore moins de l’esclave ou du barbare. Il établit donc une gradation entre la fermeté et la trop grande sensibilité. Il dessine une hiérarchie.

– Comment évolue la notion d’émotion à travers l’histoire?

– Le mot n’apparaît en français qu’au XVIe siècle. D’abord, on décrit essentiellement l’émotion par des caractéristiques physiques. Pour parler d’un tremblement de terre, on dira que "la Terre a reçu de l’émotion". Au XVIIe, il y a une centration sur les "humeurs corporelles" ou les "esprits". La tristesse est ainsi décrite comme le reflux des humeurs vers l’intérieur du corps. Mais bientôt on ne se satisfait plus de ces images "physiques". L’univers psychique se construit, avec ses logiques et ses spécificités…

On assiste au développement d’une délicatesse progressive, dans la seconde moitié du XVIIe siècle. L’histoire des émotions se lit aussi à travers les mots employés. "Emotion" et "passion" sont d’abord synonymes. Puis "émotion" prend la notion de "choc". Enfin, la notion de "sentiment" se crée, beaucoup plus douce, obscure et fermée.

– Est-ce que notre époque ose exprimer ses émotions?

– L’homme se montre beaucoup plus qu’auparavant susceptible d’être sensible, à l’écoute, et atteint par l’autre. C’est le propre des sociétés compassionnelles, qui sont aussi victimaires. Nous sommes en empathie. D’un autre côté, l’attention à l’autre fait que l’on reste sur sa réserve, pour ne pas le troubler. Par exemple, ceux qui ont connu l’atrocité des camps de concentration ont eu du mal à témoigner de leurs souffrances à leurs proches. On pourrait parler d’un système schizophrénique: il faut montrer sa compassion, mais si on le fait trop, on court le risque de troubler l’autre.

Le XXe siècle, de manière caricaturale, c’est une montée de l’individualisme. Le fait d’être plus centré sur soi et plus attentif sur ce qui se passe à l’intérieur de soi, avec des phénomènes qui vont jusqu’à l’hypocondrie. Notre frontière devient plus fragile, on a l’impression d’être davantage bousculé… Plus le régime émotionnel monte, plus émerge en parallèle une insécurité diffuse. Nos sociétés sécrètent davantage d’anxiété qu’auparavant.

– A quoi s’ajoute la question du terrorisme et des attentats…

– C’est très frappant: nous sommes dans des sociétés qui tolèrent de moins en moins la violence, des sociétés "douces". Si la torture devait se pratiquer, elle devrait le faire sans laisser de traces physiques. Sinon, ce serait insupportable pour l’opinion. Mais les adversaires de cette société, que font-ils pour créer de la panique, de l’inquiétude? Ils montrent la violence, ils la multiplient sur les écrans. C’est un paradoxe. Nous voulons effacer la violence, mais nos ennemis la mettent en scène. Autre paradoxe, le terroriste, s’il entend incarner la terreur, ne doit pas afficher de sentiments. Il ne doit pas montrer qu’il peut être atteint, qu’il peut avoir peur. Cela soulève aussi la question du trauma, très importante aujourd’hui. Comment l’émotion peut voyager à l’intérieur de nous-même pour créer de la subversion. Notre époque s’en méfie.

– Si on ressent de plus en plus à l’époque moderne, il faut aussi apprendre à cacher ses émotions pour réussir…

– A l’époque de la royauté, la cour en est un magnifique exemple. Pour vous imposer dans ce système, il faut à tout prix cacher ce que vous éprouvez. Il faut conduire des tactiques du secret. La modernité crée cela. On ne montre pas, on calcule. Les vieux barons du Moyen Age n’y auraient rien compris. A leur époque, on devait manifester la douleur, les émotions, de manière violente.

– Justement, l’expression de la colère a-t-elle varié à travers les âges?

– Dans l’Antiquité et au Moyen Age, le pouvoir pouvait parfaitement exprimer sa colère de manière abrupte, tranchée, en l’imposant à autrui. Mais le pouvoir d’une société démocratique ne peut pas être colérique. Il doit négocier, car la colère apparaît comme la manifestation d’une non-maîtrise. De manière plus générale, on assiste à une stigmatisation plus aiguë de tout ce qui peut apparaître comme un débordement. La psychanalyse est passée par là. Tout ce qui fait émerger un inconscient perturbateur est considéré comme peu acceptable. Il faut être "cool". Une forme de maîtrise faite de sérénité, pas de rigidité.

– Qu’en est-il de l’expression du plaisir et de la jouissance?

– La première position chrétienne consiste à adopter une attitude très réservée vis-à-vis du plaisir. Se laisser aller à l’amour terrestre, c’est oublier l’amour divin. Mais, après Saint-Augustin, l’amour pour Dieu devient plus sensible. A la Renaissance, les poètes invitent à vivre les joies de l’instant, souvenez-vous de Ronsard. La modernité est en germe. Elle se traduira par le triomphe du présent et de la jouissance qu’il peut comporter. Aujourd’hui, la publicité en témoigne. Pour vendre un déodorant, on nous montre une femme qui exulte et danse sur une table, dans des gestes toujours harmonieux, mais exprimant un bonheur intense.

– Sur quels documents se base-t-on pour dresser une histoire des émotions?

– Sur toutes les représentations des émotions à travers l’art, la statuaire ou la peinture. Mais les textes littéraires sont également très importants. Les mémoires et les correspondances aussi, je pense aux lettres de Madame de Sévigné, qui mettent en scène de manière inusitée l’amour filial. La littérature médicale, quant à elle, nous apprend beaucoup sur la façon dont on prend en compte les tempéraments, pensez à la mélancolie. Enfin, la littérature juridique, sur le viol notamment, permet de définir le statut de la victime, la reconnaissance ou non de son émotion.

Pour l’Antiquité et le Haut Moyen Age, les traces laissées dans les tombes sont éclairantes. Nous publions un article de Bruno Dumézil, qui rappelle que l’on a retrouvé un instrument de musique dans la tombe d’un guerrier barbare. C’est le signe d’une sensibilité, qui va à l’encontre des idées reçues. Mais il est très difficile de coller au plus près de l’émotion ressentie. Nous travaillons sur les traces, les vestiges, les indices… Nous devons rester prudents. 

Auteur: Vigarello Georges

Info: Sur Letemps.ch. oct 2016. Interview de Julien Burri. A propos d'Histoire des émotions, vol 1. "De l’Antiquité aux Lumières", 552 p.; vol 2. "Des Lumières à la fin du XIXe siècle", 480 p. sous la direction d’Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, GV, Seuil.

[ larmes ] [ rapports humains ] [ pathos diachronique ] [ apparences ]

 

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Ajouté à la BD par miguel