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USA

Est-ce que Washington nous tuera tous?
Saviez-vous que Washington maintient 450 ICBM [missiles balistiques intercontinentaux] nucléaires en alerte instantanée? Washington pense que cela nous met en sécurité. Le raisonnement, si on peut appeler cela de la raison, est qu'en étant capables de tirer en quelques minutes, personne n'essaiera d'attaquer les États-Unis avec des armes nucléaires. Les missiles états-uniens sont en mesure de faire ce qu'ils doivent avant que les missiles de l'ennemi puissent atteindre les États-Unis pour détruire les nôtres.
Si cela vous fait vous sentir en sécurité, vous avez besoin de lire le livre d'Éric Schlosser, Command and Control.
Le problème avec les alertes instantanées est qu'elles peuvent faire des erreurs, des lancements accidentels et plus probablement non autorisés. Schlosser fait l'histoire de quasi lancements d'attaques qui auraient pu apporter un Armaggedon au monde.
Dans Catalyst, une publication de l'Union of Concerned Scientists [Union des scientifiques concernés], Elliott Negin raconte l'histoire du lieutenant-colonel soviétique Stanislav Petrov. Juste après minuit, en 1983, le système satellitaire d'alerte précoce de l'Union soviétique a déclenché l'alarme parce que 4 ICBM états-uniens se dirigeaient vers l'Union soviétique.
Le colonel Petrov était censé informer le dirigeant soviétique, qui aurait eu huit à dix minutes pour décider s'il lançait une attaque en représailles. Qui sait ce qu'il aurait décidé. Au lieu de quoi, le colonel Petrov a fait appel à son jugement. Il n'y avait pas de raison pour que les États-Unis attaquent l'Union soviétique. En plus, Petrov a raisonné qu'une attaque américaine impliquerait des centaines d'ICBM, peut-être des milliers. Il a vérifié si le radar au sol soviétique avait détecté l'entrée des ICBM, et il ne l'avait pas fait. Petrov a donc décidé que c'était une fausse alerte, et s'est assis dessus.
Il s'est avéré que le système d'alerte précoce avait pris par erreur un reflet de lumière solaire sur les nuages pour des missiles. C'était de justesse, ils ont eu chaud, mais Negin rapporte qu'une puce d'ordinateur abîmée et une carte de circuit mal installée sont parmi les coupables qui pourraient déclencher une guerre nucléaire. En d'autres termes, les sources de fausses alertes sont nombreuses.
Maintenant, venons-en à aujourd'hui. Imaginez un officier américain en train de surveiller le système d'alerte précoce des États-Unis. Pendant 15 ans, cet officier a entendu de la propagande de guerre, accompagnée des invasions et des bombardements de huit pays par les États-Unis. Les avertissements terroristes et les alertes à la sécurité abondent, tout comme les appels de politiciens américains et israéliens à larguer des bombes atomiques sur l'Iran. Les médias l'ont convaincu que la Russie avait envahi l'Ukraine et qu'elle est sur le point d'envahir les États baltes et la Pologne. Des troupes américaines et des blindés ont été dépêchés sur la frontière russe. On parle d'armer l'Ukraine. Poutine est dangereux et menace de la guerre atomique, amenant ses bombardiers stratégiques tout près de nos frontières et faisant exécuter des exercices nucléaires. L'officier américain vient d'entendre sur Fox News un général appeler à nouveau à tuer les Russes. Les Républicains l'ont convaincu qu'Obama vend l'Amérique à l'Iran, avec l'avertissement du sénateur Tom Cotton que la conséquence sera la guerre nucléaire. Nous serons tous tués parce qu'il y a un musulman à la Maison Blanche.
Pourquoi n'y a-t-il personne pour soutenir l'Amérique, s'étonne l'officier américain patriote, juste au moment où l'alarme se déclenche: ICBM entrants. Est-ce que c'est des Russes ou des Iraniens? Est-ce qu'Israël n'avait pas raison, après tout? Un programme d'armement nucléaire iranien caché? Ou Poutine a-t-il décidé que les États-Unis font obstacle à sa reconstruction de l'Empire soviétique, dont les médias américains affirment que c'est l'objectif de Poutine? Il n'y a aucun espace pour la réflexion dans l'esprit de l'officier américain. Il a été mis en alerte immédiate par la propagande incessante que les Américains appellent information. Il transmet l'avertissement.
Le conseiller néocon russophobe d'Obama à la Sécurité nationale: "Vous ne pouvez pas laisser Poutine continuer avec ça !" "Ce pourrait être une fausse alerte", réplique le président nerveux et agité. "Vous, espèce de lavette libérale! Ne savez-vous pas que Poutine est dangereux!? Pressez sur le bouton!"
Et c'est là que va le monde.
Considérons la russophobie extrême suscitée chez les Américains par le ministère de la Propagande, la diabolisation de Vladimir Poutine - le nouvel Hitler, Vlad l'Empaleur - la création propagandiste de la menace russe, le désir fou des néocons d'une hégémonie états-unienne mondiale, la haine de la Russie et de la Chine en tant que rivaux émergents capables d'exercer un pouvoir indépendant, la perte du statut de puissance américaine universelle et de liberté d'action unilatérale. Au milieu de ces émotions et de ces esprits influencés non par des faits mais par de la propagande, de l'orgueil et de l'idéologie, il y a une grande chance pour que la réponse de Washington à une fausse alerte provoque la fin de la vie sur la terre.
Quelle confiance avez-vous en Washington? Combien de fois Washington - et en particulier les fous néocons - ont-ils eu tort?
Vous rappelez-vous la guerre de trois semaines en Irak, du gâteau, qui coûterait $70 milliards et serait payée par les revenus du pétrole irakien? Aujourd'hui, le coût se monte à $3 000 milliards et augmente encore, et après douze ans, l'État islamique radical contrôle la moitié du pays. Pour payer les guerres, les Républicains veulent privatiser, c'est-à-dire s'emparer de la sécurité sociale et de Medicare.
Vous vous souvenez de la mission accomplie en Afghanistan? Douze ans plus tard, les talibans contrôlent de nouveau le pays et Washington, après avoir assassiné des femmes, des enfants, des funérailles, des mariages, des anciens dans les villages et des enfants jouant au foot, a été chassé par quelques milliers de talibans légèrement armés.
Les frustrations provoquées par ces défaites se sont accumulées à Washington et dans l'armée. Le mythe est que nous avons perdu parce que nous n'avons pas engagé toute notre force. Nous avons été intimidés par l'opinion mondiale ou par ces maudits manifestants étudiants, ou empêchés de vaincre par quelque président lâche, une lavette libérale qui n'utilise pas toute notre puissance. Pour la droite, la rage est un mode de vie.
Les néocons croient ardemment que l'Histoire a choisi l'Amérique pour diriger le monde, et ici nous avons été vaincus par la guérilla vietnamienne, par les tribus afghanes, par les fondamentalistes islamiques, et maintenant Poutine a envoyé ses missiles pour achever le travail.
Le fou de la Maison Blanche, quel qu'il soit, pressera sur le bouton.
La situation se détériore, elle ne s'améliore pas. Les Russes, espérant quelque signe d'intelligence en Europe, contredisent les mensonges antirusses de Washington. Le contraire exact de sa propre propagande, Washington l'appelle propagande russe. Washington a ordonné au Broadcasting Board of Governors, une agence gouvernementale, dirigée par Andrew Lack, un ancien directeur de NBC News, de contrer une prétendue - mais inexistante - Armée de trolls du Kremlin, qui gueule plus fort que les presstitués occidentaux et perpétue un dialogue prorusse sur Internet. Au cas où vous ne vous en souviendriez pas, Lack est l'idiot qui a déclaré que RT était une organisation terroriste. En d'autres termes, de l'avis de Lack, celui qu'il peut imposer, quelqu'un qui dit la vérité est un terroriste.
Lack incarne bien le point de vue de Washington sur la véracité des récits: si cela ne sert pas la propagande de Washington, ce n'est pas vrai. C'est du terrorisme.
Lack espère contrôler RT par l'intimidation: en effet, il a dit à RT de se taire et de dire ce que nous voulons qu'ils disent, sinon nous vous fermerons comme organisation terroriste. Nous pourrions même arrêter vos employés américains comme instigateurs et complices de terrorisme.
Pour contrer une Russie revancharde et son armée de trolls sur Internet, le régime d'Obama distribue $15 400 000 à ce fou de Lack pour discréditer chaque déclaration véridique publiée sur les versions en anglais des médias russes. Cette somme, évidemment, va augmenter considérablement. Bientôt elle se comptera en milliards de dollars, tandis que des Américains sont expulsés de leurs maisons et envoyés en prison à cause de leurs dettes.
Dans sa demande d'argent, Lack, qui semble manquer de toutes les qualités humaines, dont l'intelligence, l'intégrité et la moralité, a justifié sa requête, qui sera honorée, de recevoir l'argent durement gagné des Américains dont le niveau de vie baisse, par l'affirmation rocambolesque que la Russie "menace ses voisins et, par extension, les États-Unis et leurs alliés occidentaux".
Lack promet de faire encore plus: "Les médias internationaux états-uniens sont maintenant tenus de réfuter la propagande russe et d'influencer les esprits des Russes et des russophones dans l'ancienne Union soviétique, en Europe et dans le monde." Lack va faire de la propagande contre la Russie à l'intérieur de la Russie.
Évidemment, les organisations de la CIA - le National Endowment for Democracy et Radio Free Europe/Radio Liberty - seront enrichies par cette campagne de propagande antirusse et l'appuieront sans réserve.
Donc l'appel de l'Union of Concerned Scientists à la coopération avec la Russie pour mettre les ICBM hors statut d'alerte immédiate a peu de chances de se concrétiser. Comment les tensions nucléaires peuvent-elles se réduire lorsque Washington construit des tensions aussi rapidement qu'il peut? Le ministère de la Propagande à Washington a portraituré Poutine comme Oussama Ben Laden, comme Saddam Hussein, des personnages diaboliques, des épouvantails qui effraient des Américains moutonniers à qui on a bourré le crâne. La Russie est transformée en al-Qaida avide de lancer une nouvelle attaque contre le World Trade Center et de faire déferler l'Armée rouge (de nombreux Américains pensent que la Russie est toujours communiste) sur l'Europe.
Gorbatchev était une ruse. Il a trompé le vieil acteur de cinéma [Reagan]. Les Américains trompés sont des cibles faciles, et voici qu'arrivent les ICBM. Les vues folles des politiciens américains, des militaires et des gens sont incapables de saisir la vérité ou de reconnaître la réalité.
Les médias américains propagandistes et les néoconservateurs fous ont amené l'humanité sur le chemin de la destruction.
L'Union of Concerned Scientists, dont je suis membre, a besoin de reprendre ses esprits. Il est impossible de travailler à une réduction de la menace nucléaire aussi longtemps qu'un camp fait tout pour diaboliser l'autre. La diabolisation de la Russie et de son dirigeant par les New York Times, Washington Post, CNN, Fox News, et le reste du ministère de la Propagande américaine, par la quasi totalité de la Chambre et du Sénat, et par la Maison Blanche, rend impossible la réduction de la menace de guerre nucléaire.
Le peuple américain et le monde entier doivent comprendre que la menace à la vie sur terre réside à Washington et que jusqu'à ce que Washington ait fondamentalement et totalement changé, cette menace restera comme la pire menace à la vie sur la terre. Le réchauffement climatique peut disparaître en un instant dans l'hiver nucléaire.

Auteur: Paul Craig Roberts

Info: 16 avril 2015

[ parano ] [ oppression ] [ guerre atomique ]

 

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Un pas de géant pour une machine à jouer aux échecs

Le succès stupéfiant d’AlphaZero, un algorithme d’apprentissage profond, annonce une nouvelle ère de la compréhension – une ère qui, en ce qui concerne les humains, qui pourrait ne pas durer longtemps. Début décembre, des chercheurs de DeepMind, la société d’intelligence artificielle appartenant à la société mère de Google, Alphabet Inc. ont diffusé une dépêche depuis les zones avancées du monde des échecs.

Un an plus tôt, le 5 décembre 2017, l’équipe avait stupéfié ce monde des échecs en annonçant AlphaZero, un algorithme d’apprentissage machine qui maîtrisait non seulement les échecs mais aussi le shogi, ou échecs japonais, et le Go. L’algorithme a commencé sans aucune connaissance des jeux hormis leurs règles de base. Il a ensuite joué contre lui-même des millions de fois et a appris par essais et erreurs. Il a suffi de quelques heures pour que l’algorithme devienne le meilleur joueur, humain ou ordinateur, que le monde ait jamais vu.

Les détails des capacités d’AlphaZero et de son fonctionnement interne ont maintenant été officiellement examinés par des pairs et publiés dans la revue Science ce mois-ci. Le nouvel article aborde plusieurs critiques graves à l’égard de l’allégation initiale (entre autres choses, il était difficile de dire si AlphaZero jouait l’adversaire qu’il s’était choisi, une entité computationnelle nommée Stockfish, en toute équité). Considérez que ces soucis sont maintenant dissipés. AlphaZero ne s’est pas amélioré davantage au cours des douze derniers mois, mais la preuve de sa supériorité s’est bien renforcée. Il fait clairement montre d’un type d’intellect que les humains n’ont jamais vue auparavant, et que nous allons avoir à méditer encore longtemps.

Les échecs par ordinateur ont fait beaucoup de chemin au cours des vingt dernières années. En 1997, le programme de jeu d’échecs d’I.B.M., Deep Blue, a réussi à battre le champion du monde humain en titre, Garry Kasparov, dans un match en six parties. Rétrospectivement, il y avait peu de mystère dans cette réalisation. Deep Blue pouvait évaluer 200 millions de positions par seconde. Il ne s’est jamais senti fatigué, n’a jamais fait d’erreur de calcul et n’a jamais oublié ce qu’il pensait un instant auparavant.

Pour le meilleur et pour le pire, il a joué comme une machine, brutalement et matériellement. Il pouvait dépasser M. Kasparov par le calcul, mais il ne pouvait pas le dépasser sur le plan de la pensée elle-même. Dans la première partie de leur match, Deep Blue a accepté avec avidité le sacrifice d’une tour par M. Kasparov pour un fou, mais a perdu la partie 16 coups plus tard. La génération actuelle des programmes d’échecs les plus forts du monde, tels que Stockfish et Komodo, joue toujours dans ce style inhumain. Ils aiment à capturer les pièces de l’adversaire. Ils ont une défense d’acier. Mais bien qu’ils soient beaucoup plus forts que n’importe quel joueur humain, ces "moteurs" d’échecs n’ont aucune réelle compréhension du jeu. Ils doivent être instruits explicitement pour ce qui touche aux principes de base des échecs. Ces principes, qui ont été raffinés au fil de décennies d’expérience de grands maîtres humains, sont programmés dans les moteurs comme des fonctions d’év

aluation complexes qui indiquent ce qu’il faut rechercher dans une position et ce qu’il faut éviter : comment évaluer le degré de sécurité du roi, l’activité des pièces, la structure dessinée par les pions, le contrôle du centre de l’échiquier, et plus encore, comment trouver le meilleur compromis entre tous ces facteurs. Les moteurs d’échecs d’aujourd’hui, inconscients de façon innée de ces principes, apparaissent comme des brutes : extrêmement rapides et forts, mais sans aucune perspicacité.

Tout cela a changé avec l’essor du machine-learning. En jouant contre lui-même et en mettant à jour son réseau neuronal au fil de son apprentissage, AlphaZero a découvert les principes des échecs par lui-même et est rapidement devenu le meilleur joueur connu. Non seulement il aurait pu facilement vaincre tous les maîtres humains les plus forts – il n’a même pas pris la peine d’essayer – mais il a écrasé Stockfish, le champion du monde d’échecs en titre par ordinateur. Dans un match de cent parties contre un moteur véritablement impressionnant, AlphaZero a remporté vingt-huit victoires et fait soixante-douze matchs nuls. Il n’a pas perdu une seule partie.

Le plus troublant, c’est qu’AlphaZero semblait être perspicace. Il a joué comme aucun ordinateur ne l’a jamais fait, intuitivement et magnifiquement, avec un style romantique et offensif. Il acceptait de sacrifier des pions et prenait des risques. Dans certaines parties, cela paralysait Stockfish et il s’est joué de lui. Lors de son attaque dans la partie n°10, AlphaZero a replacé sa reine dans le coin du plateau de jeu de son propre côté, loin du roi de Stockfish, pas là où une reine à l’offensive devrait normalement être placée.

Et cependant, cette retraite inattendue s’avéra venimeuse : peu importe comment Stockfish y répondait, ses tentatives étaient vouées à l’échec. C’était presque comme si AlphaZero attendait que Stockfish se rende compte, après des milliards de calculs intensifs bruts, à quel point sa position était vraiment désespérée, pour que la bête abandonne toute résistance et expire paisiblement, comme un taureau vaincu devant un matador. Les grands maîtres n’avaient jamais rien vu de tel. AlphaZero avait la finesse d’un virtuose et la puissance d’une machine. Il s’agissait du premier regard posé par l’humanité sur un nouveau type prodigieux d’intelligence.

Lorsque AlphaZero fut dévoilé pour la première fois, certains observateurs se sont plaints que Stockfish avait été lobotomisé en ne lui donnant pas accès à son livre des ouvertures mémorisées. Cette fois-ci, même avec son livre, il a encore été écrasé. Et quand AlphaZero s’est handicapé en donnant dix fois plus de temps à Stockfish qu’à lui pour réfléchir, il a quand même démoli la bête.

Ce qui est révélateur, c’est qu’AlphaZero a gagné en pensant plus intelligemment, pas plus vite ; il n’a examiné que 60 000 positions par seconde, contre 60 millions pour Stockfish. Il était plus avisé, sachant ce à quoi on devait penser et ce qu’on pouvait ignorer. En découvrant les principes des échecs par lui-même, AlphaZero a développé un style de jeu qui "reflète la vérité profonde" du jeu plutôt que "les priorités et les préjugés des programmeurs", a expliqué M. Kasparov dans un commentaire qui accompagne et introduit l’article dans Science.

La question est maintenant de savoir si l’apprentissage automatique peut aider les humains à découvrir des vérités similaires sur les choses qui nous tiennent vraiment à coeur : les grands problèmes non résolus de la science et de la médecine, comme le cancer et la conscience ; les énigmes du système immunitaire, les mystères du génome.

Les premiers signes sont encourageants. En août dernier, deux articles parus dans Nature Medicine ont exploré comment l’apprentissage automatique pouvait être appliqué au diagnostic médical. Dans l’un d’entre eux, des chercheurs de DeepMind se sont associés à des cliniciens du Moorfields Eye Hospital de Londres pour mettre au point un algorithme d’apprentissage profond qui pourrait classer un large éventail de pathologies de la rétine aussi précisément que le font les experts humains (l’ophtalmologie souffre en effet d’une grave pénurie d’experts à même d’interpréter les millions de scans ophtalmologiques effectués chaque année en vue d’un diagnostic ; des assistants numériques intelligents pourraient apporter une aide énorme).

L’autre article concernait un algorithme d’apprentissage machine qui décide si un tomodensitogramme (CT scan) d’un patient admis en urgence montre des signes d’un accident vasculaire cérébral (AVC), ou d’une hémorragie intracrânienne ou encore d’un autre événement neurologique critique. Pour les victimes d’AVC, chaque minute compte ; plus le traitement tarde, plus le résultat clinique se dégrade. (Les neurologistes ont ce sombre dicton: "time is brain"). Le nouvel algorithme a étiqueté ces diagnostics et d’autres diagnostics critiques avec une précision comparable à celle des experts humains – mais il l’a fait 150 fois plus rapidement. Un diagnostic plus rapide pourrait permettre aux cas les plus urgents d’être aiguillés plus tôt, avec une vérification par un radiologiste humain.

Ce qui est frustrant à propos de l’apprentissage machine, cependant, c’est que les algorithmes ne peuvent pas exprimer ce qu’ils pensent. Nous ne savons pas pourquoi ils marchent, donc nous ne savons pas si on peut leur faire confiance. AlphaZero donne l’impression d’avoir découvert quelques principes importants sur les échecs, mais il ne peut pas partager cette compréhension avec nous. Pas encore, en tout cas. En tant qu’êtres humains, nous voulons plus que des réponses. Nous voulons de la perspicacité. Voilà qui va créer à partir de maintenant une source de tension dans nos interactions avec ces ordinateurs.

De fait, en mathématiques, c’est une chose qui s’est déjà produite depuis des années. Considérez le problème mathématique du "théorème des quatre couleurs", qui défie de longue date les cerveaux des mathématiciens. Il énonce que, sous certaines contraintes raisonnables, toute carte de pays contigus puisse toujours être coloriée avec seulement quatre couleurs, en n’ayant jamais deux fois la même couleur pour des pays adjacents.

Bien que le théorème des quatre couleurs ait été prouvé en 1977 avec l’aide d’un ordinateur, aucun humain ne pouvait vérifier toutes les étapes de la démonstration. Depuis lors, la preuve a été validée et simplifiée, mais il y a encore des parties qui impliquent un calcul de force brute, du genre de celui employé par les ancêtres informatiques d’AlphaZero qui jouent aux échecs. Ce développement a gêné de nombreux mathématiciens. Ils n’avaient pas besoin d’être rassurés que le théorème des quatre couleurs était vrai ; ils le croyaient déjà. Ils voulaient comprendre pourquoi c’était vrai, et cette démonstration ne les y a pas aidés.

Mais imaginez un jour, peut-être dans un avenir pas si lointain, où AlphaZero aura évolué vers un algorithme de résolution de problèmes plus général ; appelez-le AlphaInfinity. Comme son ancêtre, il aurait une perspicacité suprême : il pourrait trouver de belles démonstrations, aussi élégantes que les parties d’échecs qu’AlphaZero jouait contre Stockfish. Et chaque démonstration révélerait pourquoi un théorème était vrai ; l’AlphaInfinity ne vous l’enfoncerait pas juste dans la tête avec une démonstration moche et ardue.

Pour les mathématiciens et les scientifiques humains, ce jour marquerait l’aube d’une nouvelle ère de perspicacité. Mais ça ne durera peut-être pas. Alors que les machines deviennent de plus en plus rapides et que les humains restent en place avec leurs neurones fonctionnant à des échelles de temps de quelques millisecondes, un autre jour viendra où nous ne pourrons plus suivre. L’aube de la perspicacité humaine peut rapidement se transformer en crépuscule.

Supposons qu’il existe des régularités ou des modèles plus profonds à découvrir – dans la façon dont les gènes sont régulés ou dont le cancer progresse ; dans l’orchestration du système immunitaire ; dans la danse des particules subatomiques. Et supposons que ces schémas puissent être prédits, mais seulement par une intelligence bien supérieure à la nôtre. Si AlphaInfinity pouvait les identifier et les comprendre, cela nous semblerait être un oracle.

Nous nous assiérions à ses pieds et écouterions attentivement. Nous ne comprendrions pas pourquoi l’oracle a toujours raison, mais nous pourrions vérifier ses calculs et ses prédictions par rapport aux expériences et aux observations, et confirmer ses révélations. La science, cette entreprise de l’homme qui le caractérise par-dessus tout, aurait réduit notre rôle à celui de spectateurs, bouches bées dans l’émerveillement et la confusion.

Peut-être qu’un jour, notre manque de perspicacité ne nous dérangerait plus. Après tout, AlphaInfinity pourrait guérir toutes nos maladies, résoudre tous nos problèmes scientifiques et faire arriver tous nos autres trains intellectuels à l’heure avec succès. Nous nous sommes assez bien débrouillés sans trop de perspicacité pendant les quelque 300.000 premières années de notre existence en tant qu’Homo sapiens. Et nous ne manquerons pas de mémoire : nous nous souviendrons avec fierté de l’âge d’or de la perspicacité humaine, cet intermède glorieux, long de quelques milliers d’années, entre un passé où nous ne pouvions rien appréhender et un avenir où nous ne pourrons rien comprendre.

Auteur: Strogatz Steven

Info: Infinite Powers : How Calculus Reveals the Secrets of the Universe, dont cet essai est adapté sur le blog de Jorion

[ singularité ]

 
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La conscience du Dauphin
Bien entendu, les modèles du monde ne manqueront pas de différer selon le degré où les systèmes sensoriels périphériques diffèrent.
Le travail du cerveau est en effet, au moins en partie, de construire une réalité cohérente à partir de données sensorielles spécifiques, réalité qui constitue d’ailleurs la seule connue par celui qui l’expérimente au détriment de toutes les autres.
Dans le cas du dauphin, le système nerveux est celui d’un herbivore retourné à la mer, il y a quelques millions d’années, et ne diffère donc pas fondamentalement de celui de n’importe quel autre grand mammifère.
Le monde physique en revanche, au sein duquel il évolue, nous poserait à nous, humains, d’impossibles défis. C’est pourquoi les cétacés ont développé tout à la fois des formes physiques mieux adaptées au milieu marin mais surtout tout un outillage sensoriel susceptible des les aider à survivre dans un monde humide, froid et obscur, où règnent de fortes pressions.
Faire l’expérience d’une telle subjectivité est par définition une tâche impossible. Même entre époux, entre amis, entre enfants et parents, cette connaissance ne peut s’acquérir que par le biais maladroit du discours mais jamais nous ne pourrons accéder au "goût du monde" d’une autre espèce que la nôtre.
Il se fait heureusement que nos organes sensoriels et nos structures cérébrales sont des outils communs à tous les êtres humains, ce qui nous permet de fonder l’illusion d’un univers de formes stables et tangibles, dont l’existence fait l’unanimité mais que nous sommes les seuls à percevoir comme telles.
En revanche, nous sommes génétiquement incapables de nous figurer un monde filtré par d’autres sens que les nôtres, de la même manière qu’il nous est impossible de visualiser un cube en quatre dimensions ou simplement le monde des abeilles….
"Pouvez-vous imaginer l’expérience que représente le fait d’être sans cesse corrélé à une boussole solaire ?" nous demande le neurologue H.Jerison à ce propos "L’information consiste en la triangulation des objets externes relativement à un observateur (le je) et au soleil comme point de référence. Si cette réaction devait être représentée en terme de perception, on pourrait dire que l’abeille ou la fourmi ressent de manière constante l’existence des points cardinaux au sein d’un monde tridimensionnel de type euclidien. Si notre système sensoriel était celui des hyménoptères, c’est cela la seule réalité que nous pourrions percevoir.
L’intégration de deux points de référence, le soi et le soleil, plutôt qu’un seul soi unitaire en tant qu’origine et centre d’un monde périphérique, doit certainement mener à d’autres perspectives sur les dimensions fondamentales de la réalité. Il est intéressant d’imaginer les catégories additionnelles que Kant aurait pu reconnaître en tant qu’à priori si nous avions été équipés d’un tel système de navigation!"
Les expériences de Louis Herman nous apprennent que les dauphins partagent tout de même les mêmes dimensions que nous : le haut, le bas, la gauche la droite, devant, derrière, tout cela existe chez eux mais il semble qu’ils ignorent la nuance entre les adjectifs "grand" et "petit" et qu’ils construisent leurs phrases selon un mode syntaxique particulier. Ces expériences, profondément anthropocentristes, n’offrent qu’un pâle reflet d’un monde mental autrement plus riche et foisonnant en liberté, comme le montre avec bien plus d’éclat le très étrange langage delphinien mis à jour par le chercheur russe Vladimir Markov, mais elles sont à tout le moins significatives de la nature d’une conscience "autre" qui ne s’appuie pas sur nos paramètres.
Les sens et l’Umwelt
Imaginons un instant ce que pourrait être "l’Umwelt" d’un dauphin.
Au centre d’un réseau d’informations sensorielles qu’il ré-organise sans cesse en tant qu’images du monde, pulse un noyau de conscience conscient de lui-même.
La vision
Le monde visuel du dauphin peut être comparé à celui des espèces-proies, non prédatrices, comme le lapin ou le chevreuil, en ce sens que les champs visuels de ses yeux latéraux couvrent ensemble 360° mais qu’ils ne se chevauchent pas ou très peu.
L’absence de fibres non-croisées dans le chiasma optique suggère une plus large indépendance dans le contrôle des yeux et dans l’usage de l’information qu’ils fournissent, par rapport à ce que l’on observe chez les autres mammifères. Chacun des yeux est capable de mouvements propres, indépendants de ceux de l’autre œil et une certaine focalisation frontale peut donc être obtenue.
On peine cependant à imaginer un monde dans lequel le Soi se trouve ainsi de manière constante au centre d’un champ visuel circulaire de 360°.
Le nôtre, comme on le sait, se réduit à un cône de 120°.
Notre Soi se place juste derrière le front et les yeux, en vis-à-vis de l’objet focalisé par notre regard binoculaire et dans la ligne de fuite du cône, c’est-à-dire à peu près sur la glande pinéale. On comprend mieux dès lors la fausse intuition de René Descartes.
Incapables de distinguer le vert du rouge, les yeux des dauphins n’en sont pas moins d’une sensibilité extrême à l’instar des yeux de chat, percent l’obscurité et peuvent, d’une simple torsion de la rétine, adapter leur vision aux fonds marins ou à l’air libre. Par contre, le sens du relief leur est impossible, puisqu’ils ne sont pas binoculaires.
La "quasi-olfaction"
Le goût et l’odorat sont absents en tant que tels, remplacés par la "quasi-olfaction" qui consiste à filtrer une certaine quantité d’eau au travers de l’évent et à en goûter le parfum. Un tel sens est fondamental : le dauphin s’en sert pour repérer les femelles en rut autant que pour sentir les fèces de son groupe, nuage diffus de couleur foncée expulsé de manière régulière et qui donne à l’ensemble social une "odeur" propre.
Le toucher et le sens proprioceptif
Quiconque a jamais caressé la peau satinée d’un tursiops sait à quel point ce tissu est sensible, doux et fragile. Le sens du toucher joue lui aussi un rôle essentiel dans la vie de ces mammifères nus, qui n’aiment rien tant que de rester collés les uns contre les autres et d’échanger les caresses les plus voluptueuses.
Au niveau plus profond du sens proprioceptif, la différence avec nos perceptions s’accroît cependant encore davantage : "L’Umwelt des dauphins se fonde comme tout autre sur les caractéristiques de leur environnement" déclare Jerison, "et cet univers mental représente très certainement une adaptation cognitive optimale aux exigences environnementales du monde aquatique. A cet égard, l’un des traits principaux de cet univers marin – considéré depuis notre point de vue – est notamment l’absence d’une plate-forme stable tel que les mammifères l’éprouvent en se tenant sur la terre ferme".
Ce point est important, car le sol sur lequel nous nous tenons, le rôle essentiel de la gravité dans les adaptations anatomiques de la plupart des mammifères occupe une place centrale au plan biologique mais ne sont que rarement notées au niveau de la conscience vigile. Notre intuition s’épuise en revanche lorsque nous tentons d’imaginer les adaptations perceptuelles chez certaines espèces dont les données sensorielles sont profondément différentes des nôtres, et cela d’autant plus que nous ne sommes même pas conscients de notre propre spécificité sensorielle. Les informations relatives aux forces gravitationnelles qui s’exercent sur nos corps jouent également un rôle-clé chez le dauphin, mais d’une autre manière.
Celui-ci s’oriente en effet en "s’informant" régulièrement de la position de son corps par rapport aux fonds marins, à la surface de l’eau ou à la place du soleil au moment de l’observation.
Bien que les dauphins ne disposent d’aucun sol référentiel en guise de plate-forme fixe, mais qu’ils possèdent en revanche un degré de liberté dans les trois dimensions plus important que le nôtre, le sens de l’orientation spatiale est certainement fondamental pour eux. On peut imaginer ce que les cétacés ressentent en pensant à ces appareils d’entraînement destinés aux astronautes afin de les préparer à l’apesanteur.
Ces instruments sont de gigantesques balançoires, disposant de six degrés de liberté et permettant aux candidats pour l’espace de contrôler au mieux les diverses rotations possibles de leur axe corporel aussi bien que les mouvements de propulsion linéaire.
Si nous étions dauphins, nous nous trouverions dans un monde un peu semblable à celui d’un vol spatial à gravité zéro. Il est intéressant de noter à ce propos que l’expérience de l’apesanteur a crée chez les astronautes divers problèmes liés à cet environnement, telles que nausées, vertiges, migraines, etc. mais qu’elles n’ont cependant jamais altéré leur perception "juste" des choses.
Rappelons aussi, sans nous y étendre, à quel point la gestuelle constitue un mode de communication privilégié chez les dauphins : les degrés de liberté dont leur corps dispose leur a permis d’élaborer un véritable vocabulaire d’attitudes : ventre en l’air, en oblique, corps groupés par faisceaux, rostre au sol, caudale haute, inclinée, etc., le tout agrémenté ou non d’émissions de bulles et de vocalisations.
L’audition
Mais de tous les sens dont dispose le dauphin, c’est certainement l’audition qui est le plus développé et qui atteint des capacités discriminatoires sans aucun équivalent connu. Ce système sensoriel s’est transformé au cours des millénaires en écholocation, tout à la fois outil de connaissance (le monde externe "vu" par le son) et moyen de communication (le monde interne transmis par le langage). Cette convergence fonctionnelle ne manque pas d’entraîner des conséquences étonnantes !
D’après Harry J. Jerison : "Si le spectre auditif des dauphins est plus large que le nôtre de plusieurs octaves dans les fréquences les plus élevées, la caractéristique principale de ce système auditif est bien évidemment l’écholocation. Celle-ci pourrait contribuer à conférer au monde des dauphins une dimension inhabituelle, dépassant largement les perceptions élémentaires relatives aux événements survenant à distance. En tant qu’adaptation sensori-motrice, l’écholocation partage en effet certaines caractéristiques similaires à celles du langage humain".
Rappelons brièvement en quoi consiste cette vision acoustique d’un type inusité. Le dauphin émet en permanence – dès lors qu’il se déplace et cherche sa route activement – une série de "sons explosés" extrêmement brefs (moins d’une seconde d’émission continue). Ces "clicks" ne sont pas des sons purs mais des "bruits", d’inextricables petits paquets d’ondes situés sur des fréquences de 120 à 130 Khz et d’une puissance frisant parfois les 220 décibels. Ils retentissent sous l’eau comme une grêle de minuscules coups secs et nets enchaînés l’un à l’autre en de courtes séquences.
Les clicks sont émis sous forme d’un large faisceau, qui balaie par intermittence le sol sablonneux à la façon d’un projecteur. On peut donc dire que la nuit ou sous une certaine profondeur, le dauphin ne voit que lorsqu’il éclaire le paysage de ses éclairs sonores. Les informations reçues, assez grossières, concernent l’aspect du fond marin ou une masse importante, bateau ou autre cétacé.
Supposons à présent qu’un poisson soit repéré dans ce champ de vision "stroboscopique". Puisqu’il fait nuit, l’œil ne peut confirmer l’image en mode visuel.
Lorsque la chasse commence, le dauphin resserre alors le rayon de son biosonar et le dédouble en deux faisceaux.
Plus précis, mieux ciblés les trains de click bombardent le poisson sous tous ses angles et peuvent même pénétrer dans son corps en renvoyant l’image de ses organes internes.
Les deux trains de clicks sont produits presque simultanément, l’un à 20° à gauche de la ligne du rostre et l’autre à 20° sur la droite. Les deux rayons se chevauchent au point focal (0°) et fournissent une "visiaudition" de type, cette fois, binoculaire.
Un intervalle de 80 millièmes de seconde sépare l’émission de chacun des faisceaux, de sorte qu’en calculant le léger retard d’un écho par rapport à l’autre, le dauphin peut estimer la profondeur de champ et la distance qui le sépare de chaque élément de l’objet observé.
Se rapprochant de sa proie à toute vitesse, le dauphin n’a de cesse que de conserver le contact avec elle et multiplie la fréquence et l’intensité de ses trains de clicks, comme pour maintenir le "projecteur" allumé presque en continu.
Les ondes à haute fréquence ont une portée plus courte mais fournissent en revanche une bien meilleure définition des détails. En nageant, le dauphin opère un mouvement de balayage avec la tête avant d’obtenir une image complète de sa cible, que ses organes visuels conforteront par ailleurs.
S’il veut obtenir davantage de détails encore sur son contenu, le dauphin la bombardera alors sa cible à bout portant, d’un faisceau de clicks aussi fin et précis qu’un rayon laser.
Celui-ci pénètre la matière et en estime la densité avec une incroyable précision : la nature d’un métal (zinc plutôt que cuivre) ou des variations de l’épaisseur d’un tube de l’ordre d’un millième de millimètres sont alors parfaitement perçus par cette échographie biologique.
Une telle "vision acoustique" nous sera à tout jamais inimaginable, comme la couleur rouge l’est pour l’aveugle. Néanmoins, au prix d’une comparaison grossière, on peut mettre en parallèle la pluie d’échos que perçoivent les cétacés avec les pixels que l’œil humain perçoit sur un écran de télévision. Les pixels dessinent très rapidement une image en se succédant l’un à l’autre et laissent sur la rétine du téléspectateur une série de rémanences qui figurent le mouvement et les formes. Une scène visuelle est ainsi décodée à partir d’une séquence de taches ultra rapides surgissant sur l’écran. De la même manière, une expérience éidétique similaire est sans doute générée par les données discrètes de l’écholocation (clicks).
L’information pourrait être alors parfaitement comparable à celle que l’on obtient grâce au bombardement de photons dans le système visuel, à ceci près qu’elle parviendrait par un autre canal, en l’occurrence le canal auditif.

Auteur: Internet

Info: http://www.dauphinlibre.be/dauphins-cerveau-intelligence-et-conscience-exotiques

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Le monde tel que l'imaginent ceux qui n'ont jamais vu. (I)
Depuis les opérations pratiquées par le chirurgien anglais Cheselden en 1728 sur des personnes atteintes de cataracte congénitale, redonner la vue aux aveugles ne tient plus du miracle biblique mais de la science - et les avancées extraordinaires que la médecine a effectuées dans ce domaine invitent à être optimistes pour l'avenir. Toutefois, la plupart des aveugles de naissance qui vivent aujourd'hui savent que ces progrès bénéficieront surtout aux générations futures et que, pour la majorité d'entre eux, ils quitteront ce monde sans en avoir rien vu. Pour autant, à en croire certains, il n'y a nullement là de quoi s'affliger :" Je ne regrette jamais de ne pas voir. Je vois autrement et puis je n'ai jamais vu avec les yeux, ça ne peut pas me manquer." affirme Sophie Massieu (36 ans, journaliste).
L'aveugle de naissance "ne sait pas ce qu'il perd", littéralement parlant, il n'a donc aucune raison de soupirer après un état qu'il n'a jamais connu. Ce n'est donc pas, dans son cas, sur le mode de la lamentation ou du regret lyrique qu'il faut entendre le mot "jamais", comme ce peut être le cas pour les aveugles tardifs qui restent longtemps hantés par leurs souvenirs de voyant... Non, pour l'aveugle-né, ce "jamais" fonctionne à la manière d'un levier, d'une faille où s'engouffre son imagination : à quoi peut ressembler ce monde visible dont tout le monde parle autour de lui ? Comment se représenter des notions proprement visuelles, telles que les couleurs, l'horizon, la perspective ? Toutes ces questions pourraient tenir en une seule : comment concevoir ce qu'est la vue sans voir ? Question qui a sa réciproque pour le voyant : comment se représenter ce que c'est que de ne pas voir pour quiconque a toujours vu ? Il y a là un défi lancé à l'imagination, défi d'autant plus difficile à relever que les repères auxquels chacun aura spontanément tendance à se référer seront tirés d'un univers perceptif radicalement différent de celui qu'on cherche à se représenter, et qu'ils risquent fort, par conséquent, de nous induire en erreur. Il n'est pas dit que ce fossé perceptif puisse être franchi par l'imagination - mais comme tout fossé, celui-ci appelle des passerelles : analogies puisées dans les autres sens ou dans le langage, efforts pour s'abstraire de ses automatismes de pensée - ce que Christine Cloux, aveugle de naissance, appelle une forme de "souplesse mentale"... L'enjeu, s'il est vital pour l'aveugle, peut sembler minime pour le voyant : que gagne-t-on à imaginer le monde avec un sens en moins ? On aurait tort de négliger l'intérêt d'une telle démarche intellectuelle, car s'interroger sur la perception du monde d'un aveugle de naissance, c'est remettre la nôtre en perspective, en appréhender le caractère relatif, mesurer à quel point nos représentations mentales dépendent de nos dispositions sensibles - enfin, c'est peut-être le moyen de prendre conscience des limites de notre point de vue et, le temps d'un effort d'imagination, de les dépasser...
Imaginer le monde quand on est enfant
Le jeune enfant voyant croit que les choses cessent d'exister dès lors qu'elles quittent son champ de vision : un moment très bref, dit-on, sépare le temps où il croit encore sa mère absente et celui où il la croit déjà morte. Qu'on s'imagine alors ce qu'il en est pour l'enfant aveugle de naissance... "J'avais peur de lancer un ballon, parce que je pensais qu'il allait disparaître. Mon monde s'arrêtait à un mètre, au-delà, pour moi, c'était le vide. "explique Natacha de Montmollin (38 ans, informaticienne de gestion). Comment être sûr que les objets continuent d'exister quand ils sont hors de portée, d'autant plus quand on ne les retrouve pas là où on les avait laissés ? Comment accorder sa confiance à monde aussi inconstant ? Un enfant aveugle de naissance aura nécessairement besoin de plus de temps qu'un enfant voyant pour trouver ses marques et pour comprendre le monde qui l'entoure.
Dans les premières années de sa vie, l'aveugle de naissance n'a pas conscience de son handicap... De fait, s'il ne vivait dans une société de voyants, il passerait toute sa vie sans se douter de l'existence du monde visible. Dans la nouvelle de H. G. Wells Le pays des aveugles, le héros, voyant débarqué dans une communauté d'aveugles qui vit repliée sur elle-même, découvre à ses dépens qu'on y traite ceux qui se prétendent doués de la vue non comme des dieux ou des rois, mais comme des fous, comme nous traitons ceux qui affirment voir des anges - pour le dire autrement : au royaume des aveugles de naissance, les borgnes seraient internés. C'est uniquement parce qu'il vit dans une société organisée par et pour des voyants que l'aveugle finit par contracter, avec le temps, le sentiment de sa différence. Cette découverte peut se faire de différentes manières : les parents peuvent, quand ils estiment leur enfant assez mûr, lui expliquer son infirmité ; l'enfant peut également la découvrir par lui-même, au contact des autres enfants. "On ne m'a jamais expliqué que j'étais aveugle, j'en ai pris conscience avec le temps, explique Sophie Massieu. Quand je jouais à cache-cache avec les autres enfants, je ne comprenais pas pourquoi j'étais toujours la première débusquée... Evidemment, j'étais toujours cachée sous une table, sans rien autour pour me protéger, je sautais un peu aux yeux..."
Le jeune aveugle de naissance finit donc par comprendre qu'il existe une facette de la réalité que les autres perçoivent mais qui lui demeure inaccessible. Dans un premier temps, cette "face du monde" doit lui paraître pour le moins abstraite et difficile à concevoir. Pour avoir un aperçu de l'effort d'imagination que cela exige, le voyant devrait tenter de se représenter une quatrième dimension de l'espace qui l'engloberait sans qu'il en ait conscience...
Il est inévitable que l'aveugle de naissance commence par se faire de certaines choses une représentation inexacte : ces "fourvoiements de l'imagination" constituent des étapes indispensables à l'élaboration de l'intelligence, qu'on soit aveugle ou non. En outre, ils peuvent avoir leur poésie. Un psychologue russe (cité par Pierre Villey dans son ouvrage Le monde des aveugles) mentionne l'exemple d'un jeune aveugle de naissance qui se représentait absolument tous les objets comme en mouvement, jusqu'aux plus immobiles : "pour lui les pierres sautent, les couleurs jouent et rient, les arbres se battent, gémissent, pleurent". Cette représentation peut prêter à sourire, mais après tout, la science et la philosophie ne nous ont-elles pas enseigné que l'immobilité du monde n'était qu'une illusion de la perception, découlant de l'incomplétude de notre point de vue ? A ce titre, l'imagination de ce garçon semblait lui avoir épargné certaines illusions dont l'humanité a eu tant de mal à se déprendre : par exemple, quoiqu'il ne sut rien du mouvement des corps célestes, on raconte que, lorsqu'on lui posa la question : "le soleil et la lune se meuvent-ils ?", il répondit par l'affirmative, sans aucune hésitation.
L'aveugle de naissance peut se représenter la plupart des objets en les palpant. Quand ceux-ci sont trop imposants, des maquettes ou des reproductions peuvent s'y substituer. "J'ai su comment était foutue la Tour Eiffel en ayant un porte-clefs entre les mains... " se souvient Sophie Massieu. Tant que l'objet demeure hors de sa portée, hors du champ de son expérience, il n'est pas rare que l'aveugle s'en fasse une image fantaisiste en se fondant sur la sonorité du mot ou par associations d'idées. Ce défaut n'est pas propre aux aveugles, et "chez chacun, l'imagination devance l'action des sens", pour reprendre l'expression de Pierre Villey. Mais ce défaut peut avoir des conséquences nettement plus fâcheuses chez l'aveugle de naissance, car s'il se contente de ces représentations inexactes et ne cherche pas à les corriger, il risque de méconnaître le monde qui l'entoure et de s'isoler dans un royaume fantasque construit selon les caprices de son imagination. L'aveugle-né n'a pas le choix : il doit s'efforcer de se représenter le monde le plus fidèlement possible, sous peine d'y vivre en étranger...
Imaginer les individus
Très tôt, l'aveugle va trouver des expédients pour se représenter le monde qui l'entoure, à commencer par les gens qu'il côtoie. Leur voix, pour commencer, constitue pour lui une mine d'informations précieuses : l'aveugle prête autant attention à ce que dit son interlocuteur qu'à la manière dont il le dit. La voix révèle un caractère, le ton une humeur, l'accent une origine... "On peut dire ce qu'on veut, mais notre voix parle de nous à notre insu." explique Christine Cloux (36 ans, informaticienne). Certains aveugles considèrent qu'il est beaucoup plus difficile de déguiser les expressions de sa voix que celles de son visage, et pour eux, c'est la voix qui est le miroir de l'âme : "Un monde d'aveugle aurait ses Lavater [auteur de"L'Art de connaître les hommes par la physionomie"]. Une phonognomie y tiendrait lieu de notre physiognomie." écrit Pierre Villey dans Le monde des aveugles. Mais à trop se fier au caractère révélateur d'une voix, l'aveugle s'expose parfois à de cruelles désillusions... Villey cite le cas d'une jeune aveugle qui s'était éprise d'une actrice pour le charme de sa voix : "Instruite des déportements peu recommandables de son idole elle s'écrie dans un naïf élan de désespoir : "Si une pareille voix est capable de mentir, à quoi pourrons-nous donc donner notre confiance ?".
De nombreux autres indices peuvent renseigner l'aveugle sur son interlocuteur : une poignée de main en dit long (Sophie Massieu affirme haïr "les poignées de main pas franches, mollasses...", qu'elle imagine comparables à un regard fuyant) ; le son des pas d'un individu peut renseigner sur sa corpulence et sa démarche ; les odeurs qu'il dégage peuvent donner de précieux renseignements sur son mode de vie - autant d'indices que le voyant néglige souvent, en se focalisant principalement sur les informations que lui fournit sa vue. Quant à l'apparence physique en elle-même, la perspicacité de l'aveugle atteint ici ses limites : "Il y a des choses qu'on sait par le toucher mais d'autres nous échappent : on a la forme du visage, mais on n'a pas la finesse des traits, explique Sophie Massieu. On peut toujours demander aux copines "tiens, il me plaît bien, à quoi il ressemble ?" Bon, il faut avoir des bonnes copines... " Certains aveugles de naissance sont susceptibles de se laisser influencer par les goûts de la majorité voyante : Jane Hervé mentionne la préférence d'une aveugle de naissance pour les blonds aux yeux bleus :"Je crois que les blonds sont beaux. Peut-être que c'est rare...". "D'une façon générale, je pense que la manière dont nous imaginons les choses que nous ne pouvons pas percevoir tient beaucoup à la manière dont on nous en parle, explique Sophie Massieu. Si la personne qui vous le décrit trouve ça beau, vous allez trouvez ça beau, si elle trouve ça moche, vous allez trouver ça moche...". De ce point de vue, l'aveugle dépend - littéralement - du regard des autres : "Mes amis et ma famille verbalisent beaucoup ce qu'ils voient, alors ils sont en quelque sorte mon miroir parlant..." confie Christine Cloux.
Imaginer l'espace
On a cru longtemps que l'étendue était une notion impossible à concevoir pour un aveugle. Platner, un médecin philosophe du siècle dernier, en était même arrivé à la conclusion que, pour l'aveugle-né, c'était le temps qui devait faire office d'espace : "Eloignement et proximité ne signifient pour lui que le temps plus ou moins long, le nombre plus ou moins grand d'intermédiaires dont il a besoin pour passer d'une sensation tactile à une autre.". Cette théorie est très poétique - on se prend à imaginer, dans un monde d'aveugles-nés, des cartes en relief où la place dévolue à chaque territoire ne serait pas proportionnelle à ses dimensions réelles mais à son accessibilité, au temps nécessaire pour le parcourir... Dans les faits, cependant, cette théorie nous en dit plus sur la manière dont les voyants imaginent le monde des aveugles que sur le contraire. Car s'il faut en croire les principaux intéressés, ils n'ont pas spécialement de difficulté à se figurer l'espace.
"Tout est en 3D dans ma tête, explique Christine Cloux. Si je suis chez moi, je sais exactement comment mon appartement est composé : je peux décrire l'étage inférieur sans y aller, comme si j'en avais une maquette. Vraiment une maquette, pas un dessin ou une photo. De même pour les endroits que je connais ou que j'explore : les gares, des quartiers en ville, etc. Plus je connais, plus c'est précis. Plus j'explore, plus j'agrandis mes maquettes et j'y ajoute des détails."La représentation de l'espace de l'aveugle de naissance se fait bien sous formes d'images spatiales, mais celles-ci n'en sont pas pour autant des images-vues : il faudrait plutôt parler d'images-formes, non visuelles, où l'aveugle projette à l'occasion des impressions tactiles. Pour décrire cette perception, Jane Hervé utilise une comparaison expressive :"les sensations successives et multiples constituent une toile impressionniste - tramée de mille touchers et sensations - suggérant la forme sentie, comme les taches d'or étincelant dans la mer composant l'Impression, soleil devant de Claude Monet."
A l'époque des Lumières, certains commentateurs, stupéfaits par les pouvoirs de déduction des aveugles, s'imaginaient que ceux-ci étaient capables de voir avec le bout de leurs doigts (ils étaient trompés, il faut dire, par certains aveugles qui prétendaient pouvoir reconnaître les couleurs d'un vêtement simplement en touchant son étoffe). Mais les aveugles de naissance eux-mêmes ne sont pas à l'abri de ce genre de méprises : Jane Hervé cite le cas d'une adolescente de 18 ans - tout à fait intelligente par ailleurs - qui pensait que le regard des voyants pouvait contourner les obstacles - exactement comme la main permet d'enserrer entièrement un petit objet pour en connaître la forme. Elle pensait également que les voyants pouvaient voir de face comme de dos, qu'ils étaient doués d'une vision panoramique : "Elle imaginait les voyants comme des Janus bifaces, maîtres du regard dans toutes les directions.". L'aveugle du Puiseaux dont parle Diderot dans sa Lettre sur les aveugles, ne sachant pas ce que voulait dire le mot miroir, imaginait une machine qui met l'homme en relief, hors de lui-même. Chacun imagine l'univers perceptif de l'autre à partir de son univers perceptif propre : le voyant croit que l'aveugle voit avec les doigts, l'aveugle que le voyant palpe avec les yeux. Comme dans la parabole hindoue où des individus plongés dans l'obscurité tentent de déduire la forme d'un éléphant en se fondant uniquement sur la partie du corps qu'ils ont touché (untel qui a touché la trompe prétend que l'éléphant a la forme d'un tuyau d'eau, tel autre qui a touché l'oreille lui prête la forme d'un éventail...) - semblablement les êtres humains imaginent un inconnu radical à partir de ce qu'ils connaissent, quand bien même ces repères se révèlent impropres à se le représenter.
Parmi les notions spatiales particulièrement difficiles à appréhender pour un aveugle, il y a la perspective - le fait que la taille apparente d'un objet diminue proportionnellement à son éloignement pour le sujet percevant. "En théorie je comprends ce qu'est la perspective, mais de là à parvenir à réaliser un dessin ou à en comprendre un, c'est autre chose - c'est d'ailleurs la seule mauvaise note que j'ai eu en géométrie, explique Christine Cloux. Par exemple, je comprends que deux rails au loin finissent par ne former qu'une ligne. Mais ce n'est qu'une illusion, car en réalité il y a toujours deux rails, et dans ma tête aussi. Deux rails, même très loin, restent deux rails, sans quoi le train va avoir des ennuis pour passer..." Noëlle Roy, conservatrice du musée Valentin Haüy, se souvient d'une aveugle âgée, qui, effleurant avec ses doigts une reproduction en bas-relief du tableau l'Angélus de Millet, s'était étonnée que les deux paysans au premier plan soient plus grands que le clocher dont la silhouette se découpe sur l'horizon. Quand on lui expliqua que c'était en vertu des lois de la perspective, les personnages se trouvant au premier plan et le clocher très loin dans la profondeur de champ, la dame s'étonna qu'on ne lui ait jamais expliqué cela... On peut se demander comment cette dame aurait réagi si, recouvrant l'usage de la vue suite à une opération chirurgicale, elle avait aperçu la minuscule silhouette d'un individu dans le lointain : aurait-elle pensé que c'était là sa taille réelle et que cet individu, s'approchant d'elle, n'en serait pas plus grand pour autant ? Jane Hervé cite le témoignage d'une aveugle de 62 ans qui a retrouvé la vue suite à une opération : "Tout était déformé, il n'y avait plus aucune ligne droite, tout était concave... Les murs m'emprisonnaient, les toitures des maisons paraissaient s'effondrer comme après un bombardement. Ce que je voyais ovale, je le sentais rond avec mes mains. Ce que je distinguais à distance, je le sentais sur moi. J'avais des vertiges permanents. "On peut s'imaginer le cauchemar que représente une perception du monde où la vision et la sensation tactile ne concordent pas, où les sens envoient au cerveau des signaux impossibles à concilier... D'autres aveugles de naissance, ayant recouvré l'usage de la vue suite à une opération, dirent avoir l'impression que les objets leur touchaient les yeux : ils eurent besoin de plusieurs jours pour saisir la distance et de plusieurs semaines pour apprendre à l'évaluer correctement. Cela nous rappelle que notre vision du monde en trois dimensions n'a rien d'innée, qu'elle résulte au contraire d'un apprentissage et qu'il y entre une part considérable de construction intellectuelle.

Auteur: Molard Arthur

Info: http://www.jeanmarcmeyrat.ch/blog/2011/05/12/le-monde-tel-que-limaginent-ceux-qui-nont-jamais-vu

[ réflexion ] [ vacuité ] [ onirisme ] [ mimétisme ] [ synesthésie ] [ imagination ]

 
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Nulle part où se cacher : Les collecteurs de données sont venus pour capter votre vie privée - et ils l'ont trouvée

La manière dont vos données sont stockées et partagées évolue et votre activité en ligne peut être utilisée pour vous catégoriser d'une manière qui modifie radicalement votre vie. Il existe des moyens de reprendre le contrôle.

Un vendredi de 2021, je suis entré dans un hôtel d'Exeter, au Royaume-Uni, à 17:57:35. Le lendemain matin, j'ai fait 9 minutes de route pour me rendre à l'hôpital le plus proche. J'y suis resté trois jours. Le trajet de retour, qui dure normalement 1 heure 15 minutes, a duré 1 heure 40 minutes. La raison de cette lenteur : mon tout nouveau bébé dormait à l'arrière.

Ce ne sont pas les détails d'un journal. Il s'agit plutôt de ce que Google sait de la naissance de ma fille, sur la base de mon seul historique de localisation.

Un aperçu des données de ce week-end révèle que ce n'est pas tout ce que les entreprises savent de moi. Netflix se souvient que j'ai regardé toute une série d'émissions de bien-être, dont Gilmore Girls et How to Lose a Guy in 10 Days (Comment perdre un homme en 10 jours). Instagram a enregistré que j'ai "aimé" un post sur l'induction du travail, puis que je ne me suis pas reconnectée pendant une semaine.

Et alors ? Nous savons tous maintenant que nous sommes suivis en ligne et que les données collectées sur nous sont à la fois granulaires et constantes. Peut-être aimez-vous que Netflix et Instagram connaissent si bien vos goûts en matière de cinéma et de mode.

Mais un nombre croissant d'enquêtes et de poursuites judiciaires révèlent un nouveau paysage du suivi en ligne dans lequel la portée des entreprises qui collectent des données est plus insidieuse que beaucoup d'entre nous ne le pensent. En y regardant de plus près, j'ai découvert que mes données personnelles pouvaient avoir une incidence sur tout, depuis mes perspectives d'emploi et mes demandes de prêt jusqu'à mon accès aux soins de santé. En d'autres termes, elles peuvent façonner ma vie quotidienne d'une manière dont je n'avais pas conscience. "Le problème est énorme et il y a toujours de nouvelles horreurs", déclare Reuben Binns, de l'université d'Oxford.

On pourrait vous pardonner de penser qu'avec l'introduction d'une législation comme le règlement général sur la protection des données (RGPD) - des règles de l'Union européenne mises en œuvre en 2018 qui donnent aux gens un meilleur accès aux données que les entreprises détiennent sur eux et limitent ce que les entreprises peuvent en faire - la confidentialité des données n'est plus un vrai problème. Vous pouvez toujours refuser les cookies si vous ne voulez pas être suivi, n'est-ce pas ? Mais lorsque je dis cela à Pam Dixon, du groupe de recherche à but non lucratif World Privacy Forum, elle se met à rire d'incrédulité. "Tu y crois vraiment ?" me dit-elle.

Les gratteurs de données

Des centaines d'amendes ont été infligées pour violation du GDPR, notamment à Google, British Airways et Amazon. Mais les experts en données affirment qu'il ne s'agit là que de la partie émergée de l'iceberg. Une étude réalisée l'année dernière par David Basin de l'ETH Zurich, en Suisse, a révélé que 95 % des sites web pourraient enfreindre les règles du GDPR. Même l'objectif de la législation visant à faciliter la compréhension des données que nous acceptons de fournir n'a pas été atteint. Depuis l'entrée en vigueur de la législation, les recherches montrent que les accords de confidentialité sont devenus plus compliqués, rein de moins. Et si vous pensiez que les bloqueurs de publicité et les réseaux privés virtuels (VPN) - qui masquent l'adresse IP de votre ordinateur - vous protégeaient, détrompez-vous. Bon nombre de ces services vendent également vos données.

Nous commençons à peine à saisir l'ampleur et la complexité du paysage de la traque en ligne. Quelques grands noms - Google, Meta, Amazon et Microsoft - détiennent l'essentiel du pouvoir, explique Isabel Wagner, professeur associé de cybersécurité à l'université de Bâle, en Suisse. Mais derrière ces grands acteurs, un écosystème diversifié de milliers, voire de millions, d'acheteurs, de vendeurs, de serveurs, de traqueurs et d'analyseurs partagent nos données personnelles.

Qu'est-ce que tout cela signifie pour l'utilisateur lambda que je suis ? Pour le savoir, je me suis rendu chez HestiaLabs à Lausanne, en Suisse, une start-up fondée par Paul-Olivier Dehaye, mathématicien et lanceur d'alerte clé dans le scandale de l'utilisation des données de Facebook par la société de conseil politique Cambridge Analytica. Cette société a utilisé des données personnelles pour influencer l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2016. L'enquête de Dehaye sur Cambridge Analytica a montré de manière frappante à quel point l'influence des entreprises qui achètent et vendent des données est profonde. Il a créé HestiaLabs pour changer cette situation.

(Photo : Votre téléphone suit votre position même si les données mobiles sont désactivées)

Avant d'arriver, j'ai demandé mes données personnelles à diverses entreprises, un processus plus compliqué qu'il ne devrait l'être à l'ère du RGPD. Je rencontre Charles Foucault-Dumas, le chef de projet de HestiaLabs, au siège de l'entreprise - un modeste espace de co-working situé en face de la gare de Lausanne. Nous nous asseyons et téléchargeons mes fichiers dans son portail sur mesure.

Mes données s'étalent devant moi, visualisées sous la forme d'une carte de tous les endroits où je suis allé, de tous les posts que j'ai aimés et de toutes les applications qui ont contacté un annonceur. Dans les lieux que je fréquente régulièrement, comme la crèche de ma fille, des centaines de points de données se transforment en taches semblables à de la peinture. À l'adresse de mon domicile, il y a une énorme cible impossible à manquer. C'est fascinant. Et un peu terrifiant.

L'une des plus grandes surprises est de savoir quelles applications de mon téléphone contactent des entreprises tierces en mon nom. Au cours de la semaine écoulée, c'est un navigateur web que j'utilise parce qu'il se décrit comme "le respect de la vie privée avant tout" qui a été le plus grand contrevenant, en contactant 29 entreprises. Mais pratiquement toutes les applications de mon téléphone, du service d'épicerie au bloc-notes virtuel, étaient occupées à contacter d'autres entreprises pendant que je vaquais à mes occupations.

En règle générale, une entreprise qui souhaite vendre un produit ou un service s'adresse à une agence de publicité, qui se met en relation avec des plates-formes chargées de la diffusion des publicités, qui utilisent des échanges publicitaires, lesquels sont reliés à des plates-formes d'approvisionnement, qui placent les publicités sur les sites web des éditeurs. Chaque fois que vous ouvrez un site web ou que vous survolez momentanément un message sur un média social, cette machine - dont la valeur est estimée à 150 milliards de livres sterling par an - se met en marche.

Que partageaient exactement ces entreprises à mon sujet ? Pour le savoir, il faudrait que je fasse des demandes auprès de chacune d'entre elles. Et même avec celles que j'ai contactées avec l'aide de HestiaLabs, ce n'est pas toujours clair.

Prenons l'exemple d'Instagram. Il m'a fourni des données montrant qu'il a enregistré 333 "intérêts" en mon nom. Certains d'entre eux sont très éloignés de la réalité : le rugby, le festival Burning Man, la promotion immobilière, et même "femme à chats". Lecteur, je n'ai jamais eu de chat. Mais d'autres sont plus précis, et un certain nombre d'entre eux, sans surprise, sont liés au fait que je suis devenue parent, qu'il s'agisse de marques telles que Huggies et Peppa Pig ou de sujets tels que les berceaux et le sevrage pour bébés.

Je me demande comment ces données ont pu affecter non seulement mes achats, mais aussi la vie de ma fille. Son amour pour le cochon rose de dessin animé est-il vraiment organique, ou ces vidéos nous ont-elles été "servies" en raison des informations qu'Instagram a transmises à mon sujet ? Est-ce que les posts sur le sevrage dirigé par les bébés se sont retrouvés partout dans mon fil d'actualité - et ont donc influencé la façon dont ma fille a été initiée à la nourriture - par hasard, ou parce que j'avais été ciblée ? Je n'ai pas accès à cette chaîne de causes et d'effets, et je ne sais pas non plus comment ces divers "intérêts" ont pu me catégoriser pour d'éventuels spécialistes du marketing.

Il est pratiquement impossible de démêler l'écheveau complexe des transactions de données dans l'ombre. Les données personnelles sont souvent reproduites, divisées, puis introduites dans des algorithmes et des systèmes d'apprentissage automatique. En conséquence, explique M. Dixon, même avec une législation comme le GDPR, nous n'avons pas accès à toutes nos données personnelles. "Nous avons affaire à deux strates de données. Il y a celles qui peuvent être trouvées", dit-elle. "Mais il y a une autre strate que vous ne pouvez pas voir, que vous n'avez pas le droit légal de voir - aucun d'entre nous ne l'a."

Profilage personnel

Des rapports récents donnent un aperçu de la situation. En juin, une enquête de The Markup a révélé que ce type de données cachées est utilisé par les publicitaires pour nous classer en fonction de nos convictions politiques, de notre état de santé et de notre profil psychologique. Pourrais-je être considérée comme une "mère accro au portable", une "indulgente", une "facilement dégonflée" ou une "éveillée" ? Je n'en ai aucune idée, mais je sais qu'il s'agit là de catégories utilisées par les plateformes publicitaires en ligne.

Il est troublant de penser que je suis stéréotypée d'une manière inconnue. Une autre partie de moi se demande si cela a vraiment de l'importance. Je comprends l'intérêt d'une publicité qui tient compte de mes préférences, ou de l'ouverture de mon application de cartographie qui met en évidence des restaurants et des musées qui pourraient m'intéresser ou que j'ai déjà visités. Mais croyez-moi, il y a peu de façons de faire grimacer un expert en données plus rapidement qu'avec la désinvolture de ce compromis.

D'une part, l'utilisation de ces données va bien au-delà de la vente de publicité, explique M. Dixon. Quelque chose d'apparemment anodin comme le fait de faire des achats dans des magasins discount (signe d'un revenu inférieur) ou d'acheter des articles de sport (signe que vous faites de l'exercice) peut avoir une incidence sur tout, de l'attrait de votre candidature à l'université au montant de votre assurance maladie. "Il ne s'agit pas d'une simple publicité", précise M. Dixon. "Il s'agit de la vie réelle.

Une législation récente aux États-Unis a contraint certaines de ces entreprises à entrer dans la lumière. Le Vermont's 2018 Data Broker Act, par exemple, a révélé que les courtiers en données enregistrés dans l'État - mais qui sont également actifs ailleurs - vendent des informations personnelles à des propriétaires et des employeurs potentiels, souvent par l'intermédiaire de tierces parties. En juillet, le Bureau américain de protection financière des consommateurs a appris que cette deuxième strate cachée de données comprenait également des informations utilisées pour établir un "score de consommation", employé de la même manière qu'un score de crédit. "Les choses que vous avez faites, les sites web que vous avez visités, les applications que vous utilisez, tout cela peut alimenter des services qui vérifient si vous êtes un locataire convenable ou décident des conditions à vous offrir pour un prêt ou une hypothèque", explique M. Binns.

À HestiaLabs, je me rends compte que j'ai moi aussi été concrètement affectée, non seulement par les publicités que je vois, mais aussi par la façon dont les algorithmes ont digéré mes données. Dans les "inférences" de LinkedIn, je suis identifiée à la fois comme "n'étant pas un leader humain" et "n'étant pas un leader senior". Et ce, bien que j'aie dirigé une équipe de 20 personnes à la BBC et que j'aie été rédacteur en chef de plusieurs sites de la BBC auparavant - des informations que j'ai moi-même introduites dans LinkedIn. Comment cela peut-il affecter mes opportunités de carrière ? Lorsque j'ai posé la question à LinkedIn, un porte-parole m'a répondu que ces déductions n'étaient pas utilisées "de quelque manière que ce soit pour informer les suggestions de recherche d'emploi".

Malgré cela, nous savons, grâce à des poursuites judiciaires, que des données ont été utilisées pour exclure les femmes des annonces d'emploi dans le secteur de la technologie sur Facebook. En conséquence, le propriétaire de la plateforme, Meta, a cessé d'offrir cette option aux annonceurs en 2019. Mais les experts en données affirment qu'il existe de nombreuses solutions de contournement, comme le fait de ne cibler que les personnes ayant des intérêts stéréotypés masculins. "Ces préjudices ne sont pas visibles pour les utilisateurs individuels à ce moment-là. Ils sont souvent très abstraits et peuvent se produire longtemps après", explique M. Wagner.

À mesure que les données collectées sur notre vie quotidienne prolifèrent, la liste des préjudices signalés par les journaux ne cesse de s'allonger. Des applications de suivi de l'ovulation - ainsi que des messages textuels, des courriels et des recherches sur le web - ont été utilisés pour poursuivre des femmes ayant avorté aux États-Unis depuis que l'arrêt Roe v Wade a été annulé l'année dernière. Des prêtres ont été démasqués pour avoir utilisé l'application de rencontres gay Grindr. Un officier militaire russe a même été traqué et tué lors de sa course matinale, prétendument grâce à des données accessibles au public provenant de l'application de fitness Strava. La protection des données est censée prévenir bon nombre de ces préjudices. "Mais il y a manifestement une énorme lacune dans l'application de la loi", déclare M. Binns.

Le problème réside en partie d'un manque de transparence. De nombreuses entreprises s'orientent vers des modèles "préservant la vie privée", qui divisent les points de données d'un utilisateur individuel et les dispersent sur de nombreux serveurs informatiques, ou les cryptent localement. Paradoxalement, il est alors plus difficile d'accéder à ses propres données et d'essayer de comprendre comment elles ont été utilisées.

Pour sa part, M. Dehaye, de HestiaLabs, est convaincu que ces entreprises peuvent et doivent nous rendre le contrôle. "Si vous allez consulter un site web en ce moment même, en quelques centaines de millisecondes, de nombreux acteurs sauront qui vous êtes et sur quel site vous avez mis des chaussures dans un panier d'achat il y a deux semaines. Lorsque l'objectif est de vous montrer une publicité pourrie, ils sont en mesure de résoudre tous ces problèmes", explique-t-il. Mais lorsque vous faites une demande de protection de la vie privée, ils se disent : "Oh, merde, comment on fait ça ?".

Il ajoute : "Mais il y a un moyen d'utiliser cette force du capitalisme qui a résolu un problème dans une industrie de plusieurs milliards de dollars pour vous - pas pour eux".

J'espère qu'il a raison. En marchant dans Lausanne après avoir quitté HestiaLabs, je vois un homme qui s'attarde devant un magasin de couteaux, son téléphone rangé dans sa poche. Une femme élégante porte un sac Zara dans une main, son téléphone dans l'autre. Un homme devant le poste de police parle avec enthousiasme dans son appareil.

Pour moi, et probablement pour eux, ce sont des moments brefs et oubliables. Mais pour les entreprises qui récoltent les données, ce sont des opportunités. Ce sont des signes de dollars. Et ce sont des points de données qui ne disparaîtront peut-être jamais.

Reprendre le contrôle

Grâce aux conseils de M. Dehaye et des autres experts que j'ai interrogés, lorsque je rentre chez moi, je vérifie mes applications et je supprime celles que je n'utilise pas. Je supprime également certaines de celles que j'utilise mais qui sont particulièrement désireuses de contacter des entreprises, en prévoyant de ne les utiliser que sur mon ordinateur portable. (J'ai utilisé une plateforme appelée TC Slim pour me dire quelles entreprises mes applications contactent). J'installe également un nouveau navigateur qui (semble-t-il) accorde la priorité à la protection de la vie privée. Selon M. Wagner, les applications et les navigateurs open source et à but non lucratif peuvent constituer des choix plus sûrs, car ils ne sont guère incités à collecter vos données.

Je commence également à éteindre mon téléphone plus souvent lorsque je ne l'utilise pas. En effet, votre téléphone suit généralement votre position même lorsque les données mobiles et le Wi-Fi sont désactivés ou que le mode avion est activé. De plus, en me connectant à mes préférences Google, je refuse d'enregistrer l'historique de mes positions, même si la nostalgie - pour l'instant - m'empêche de demander que toutes mes données antérieures soient supprimées.

Nous pouvons également réinitialiser notre relation avec le suivi en ligne en changeant notre façon de payer, explique Mme Dixon. Elle suggère d'utiliser plusieurs cartes de crédit et d'être "très prudent" quant au portefeuille numérique que nous utilisons. Pour les achats susceptibles de créer un signal "négatif", comme ceux effectués dans un magasin discount, il est préférable d'utiliser de l'argent liquide, si possible. M. Dixon conseille également de ne pas utiliser d'applications ou de sites web liés à la santé, si possible. "Ce n'est tout simplement pas un espace clair et sûr", dit-elle.

En réalité, quelles que soient les mesures que vous prenez, les entreprises trouveront toujours de nouveaux moyens de contourner le problème. "C'est un jeu où l'on ne peut que perdre", affirme M. Dehaye. C'est pourquoi la solution ne dépend pas des individus. "Il s'agit d'un véritable changement de société.

En réunissant suffisamment de voix individuelles, M. Dehaye pense que nous pouvons changer le système - et que tout commence par le fait que vous demandiez vos données. Dites aux entreprises : "Si vous vous dérobez, notre confiance est perdue"", déclare-t-il. "Et dans ce monde de données, si les gens ne font pas confiance à votre entreprise, vous êtes mort.

Auteur: Ruggeri Amanda

Info: https://blog.shiningscience.com/2023/08/nowhere-to-hide-data-harvesters-came.html, 26 août 2023

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auto-programmation

Pieuvres et calmars modifient et corrigent (édit en anglais) leur ARN, tout en laissant l'ADN intact. Des changements qui pourraient expliquer l'intelligence et la flexibilité des céphalopodes dépourvus de coquille

De nombreux écrivains se plaignent lorsqu'un rédacteur  vient éditer et donc modifier leur article, mais les conséquences de la modification d'un seul mot ne sont généralement pas si graves.

Ce n'est pas le cas des instructions génétiques pour la fabrication des protéines. Même une petite modification peut empêcher une protéine de faire son travail correctement, ce qui peut avoir des conséquences mortelles. Ce n'est qu'occasionnellement qu'un changement est bénéfique. Il semble plus sage de conserver les instructions génétiques telles qu'elles sont écrites. À moins d'être une pieuvre.

Les pieuvres sont comme des extraterrestres qui vivent parmi nous : elles font beaucoup de choses différemment des animaux terrestres ou même des autres créatures marines. Leurs tentacules flexibles goûtent ce qu'ils touchent et ont leur esprit propre. Les yeux des pieuvres sont daltoniens, mais leur peau peut détecter la lumière par elle-même. Les pieuvres sont des maîtres du déguisement, changeant de couleur et de texture de peau pour se fondre dans leur environnement ou effrayer leurs rivaux. Et plus que la plupart des créatures, les pieuvres font gicler l'équivalent moléculaire de l'encre rouge sur leurs instructions génétiques avec un abandon stupéfiant, comme un rédacteur en chef déchaîné.

Ces modifications-éditions concernent l'ARN, molécule utilisée pour traduire les informations du plan génétique stocké dans l'ADN, tout en laissant l'ADN intact.

Les scientifiques ne savent pas encore avec certitude pourquoi les pieuvres et d'autres céphalopodes sans carapace, comme les calmars et les seiches, sont des modificateurs aussi prolifiques. Les chercheurs se demandent si cette forme d'édition génétique a donné aux céphalopodes une longueur d'avance sur le plan de l'évolution (ou un tentacule) ou si cette capacité n'est qu'un accident parfois utile. Les scientifiques étudient également les conséquences que les modifications de l'ARN peuvent avoir dans diverses conditions. Certaines données suggèrent que l'édition pourrait donner aux céphalopodes une partie de leur intelligence, mais au prix d'un ralentissement de l'évolution de leur ADN.

"Ces animaux sont tout simplement magiques", déclare Caroline Albertin, biologiste spécialiste du développement comparatif au Marine Biological Laboratory de Woods Hole (Massachusetts). "Ils ont toutes sortes de solutions différentes pour vivre dans le monde d'où ils viennent. L'édition de l'ARN pourrait contribuer à donner à ces créatures un grand nombre de solutions aux problèmes qu'elles peuvent rencontrer.

(vidéo - Contrairement à d'autres animaux à symétrie bilatérale, les pieuvres ne rampent pas dans une direction prédéterminée. Des vidéos de pieuvres en train de ramper montrent qu'elles peuvent se déplacer dans n'importe quelle direction par rapport à leur corps, et qu'elles changent de direction de rampe sans avoir à tourner leur corps. Dans le clip, la flèche verte indique l'orientation du corps de la pieuvre et la flèche bleue indique la direction dans laquelle elle rampe.)

Le dogme central de la biologie moléculaire veut que les instructions pour construire un organisme soient contenues dans l'ADN. Les cellules copient ces instructions dans des ARN messagers, ou ARNm. Ensuite, des machines cellulaires appelées ribosomes lisent les ARNm pour construire des protéines en enchaînant des acides aminés. La plupart du temps, la composition de la protéine est conforme au modèle d'ADN pour la séquence d'acides aminés de la protéine.

Mais l'édition de l'ARN peut entraîner des divergences par rapport aux instructions de l'ADN, créant ainsi des protéines dont les acides aminés sont différents de ceux spécifiés par l'ADN.

L'édition modifie chimiquement l'un des quatre éléments constitutifs de l'ARN, ou bases. Ces bases sont souvent désignées par les premières lettres de leur nom : A, C, G et U, pour adénine, cytosine, guanine et uracile (la version ARN de la base ADN thymine). Dans une molécule d'ARN, les bases sont liées à des sucres ; l'unité adénine-sucre, par exemple, est appelée adénosine.

Il existe de nombreuses façons d'éditer des lettres d'ARN. Les céphalopodes excellent dans un type d'édition connu sous le nom d'édition de l'adénosine à l'inosine, ou A-to-I. Cela se produit lorsqu'une enzyme appelée ADAR2 enlève un atome d'azote et deux atomes d'hydrogène de l'adénosine (le A). Ce pelage chimique transforme l'adénosine en inosine (I).

 Les ribosomes lisent l'inosine comme une guanine au lieu d'une adénine. Parfois, ce changement n'a aucun effet sur la chaîne d'acides aminés de la protéine résultante. Mais dans certains cas, la présence d'un G à la place d'un A entraîne l'insertion d'un acide aminé différent dans la protéine. Ce type d'édition de l'ARN modifiant la protéine est appelé recodage de l'ARN.

Les céphalopodes à corps mou ont adopté le recodage de l'ARN à bras-le-corps, alors que même les espèces étroitement apparentées sont plus hésitantes à accepter les réécritures, explique Albertin. "Les autres mollusques ne semblent pas le faire dans la même mesure.

L'édition de l'ARN ne se limite pas aux créatures des profondeurs. Presque tous les organismes multicellulaires possèdent une ou plusieurs enzymes d'édition de l'ARN appelées enzymes ADAR, abréviation de "adénosine désaminase agissant sur l'ARN", explique Joshua Rosenthal, neurobiologiste moléculaire au Marine Biological Laboratory.

Les céphalopodes possèdent deux enzymes ADAR. L'homme possède également des versions de ces enzymes. "Dans notre cerveau, nous modifions une tonne d'ARN. Nous le faisons beaucoup", explique Rosenthal. Au cours de la dernière décennie, les scientifiques ont découvert des millions d'endroits dans les ARN humains où se produit l'édition.

Mais ces modifications changent rarement les acides aminés d'une protéine. Par exemple, Eli Eisenberg, de l'université de Tel Aviv, et ses collègues ont identifié plus de 4,6 millions de sites d'édition dans les ARN humains. Parmi ceux-ci, seuls 1 517 recodent les protéines, ont rapporté les chercheurs l'année dernière dans Nature Communications. Parmi ces sites de recodage, jusqu'à 835 sont partagés avec d'autres mammifères, ce qui suggère que les forces de l'évolution ont préservé l'édition à ces endroits.

(Encadré :  Comment fonctionne l'édition de l'ARN ?

Dans une forme courante d'édition de l'ARN, une adénosine devient une inosine par une réaction qui supprime un groupe aminé et le remplace par un oxygène (flèches). L'illustration montre une enzyme ADAR se fixant à un ARN double brin au niveau du "domaine de liaison de l'ARNdb". La région de l'enzyme qui interagit pour provoquer la réaction, le "domaine de la désaminase", est positionnée près de l'adénosine qui deviendra une inosine.)

Les céphalopodes portent le recodage de l'ARN à un tout autre niveau, dit Albertin. L'encornet rouge (Doryteuthis pealeii) possède 57 108 sites de recodage, ont rapporté Rosenthal, Eisenberg et leurs collègues en 2015 dans eLife. Depuis, les chercheurs ont examiné plusieurs espèces de pieuvres, de calmars et de seiches, et ont à chaque fois trouvé des dizaines de milliers de sites de recodage.

Les céphalopodes à corps mou, ou coléoïdes, pourraient avoir plus de possibilités d'édition que les autres animaux en raison de l'emplacement d'au moins une des enzymes ADAR, ADAR2, dans la cellule. La plupart des animaux éditent les ARN dans le noyau - le compartiment où l'ADN est stocké et copié en ARN - avant d'envoyer les messages à la rencontre des ribosomes. Mais chez les céphalopodes, les enzymes se trouvent également dans le cytoplasme, l'organe gélatineux des cellules, ont découvert Rosenthal et ses collègues (SN : 4/25/20, p. 10).

Le fait d'avoir des enzymes d'édition dans deux endroits différents n'explique pas complètement pourquoi le recodage de l'ARN chez les céphalopodes dépasse de loin celui des humains et d'autres animaux. Cela n'explique pas non plus les schémas d'édition que les scientifiques ont découverts.

L'édition de l'ARN amènerait de la flexibilité aux céphalopodes

L'édition n'est pas une proposition "tout ou rien". Il est rare que toutes les copies d'un ARN dans une cellule soient modifiées. Il est beaucoup plus fréquent qu'un certain pourcentage d'ARN soit édité tandis que le reste conserve son information originale. Le pourcentage, ou fréquence, de l'édition peut varier considérablement d'un ARN à l'autre ou d'une cellule ou d'un tissu à l'autre, et peut dépendre de la température de l'eau ou d'autres conditions. Chez le calmar à nageoires longues, la plupart des sites d'édition de l'ARN étaient édités 2 % ou moins du temps, ont rapporté Albertin et ses collègues l'année dernière dans Nature Communications. Mais les chercheurs ont également trouvé plus de 205 000 sites qui étaient modifiés 25 % du temps ou plus.

Dans la majeure partie du corps d'un céphalopode, l'édition de l'ARN n'affecte pas souvent la composition des protéines. Mais dans le système nerveux, c'est une autre histoire. Dans le système nerveux du calmar à nageoires longues, 70 % des modifications apportées aux ARN producteurs de protéines recodent ces dernières. Dans le système nerveux de la pieuvre californienne à deux points (Octopus bimaculoides), les ARN sont recodés trois à six fois plus souvent que dans d'autres organes ou tissus.

(Photo -  L'encornet rouge recode l'ARN à plus de 50 000 endroits. Le recodage de l'ARN pourrait aider le calmar à réagir avec plus de souplesse à son environnement, mais on ne sait pas encore si le recodage a une valeur évolutive. Certains ARNm possèdent plusieurs sites d'édition qui modifient les acides aminés des protéines codées par les ARNm. Dans le système nerveux de l'encornet rouge, par exemple, 27 % des ARNm ont trois sites de recodage ou plus. Certains contiennent 10 sites ou plus. La combinaison de ces sites d'édition pourrait entraîner la fabrication de plusieurs versions d'une protéine dans une cellule.)

Le fait de disposer d'un large choix de protéines pourrait donner aux céphalopodes "plus de souplesse pour réagir à l'environnement", explique M. Albertin, "ou leur permettre de trouver diverses solutions au problème qui se pose à eux". Dans le système nerveux, l'édition de l'ARN pourrait contribuer à la flexibilité de la pensée, ce qui pourrait expliquer pourquoi les pieuvres peuvent déverrouiller des cages ou utiliser des outils, pensent certains chercheurs. L'édition pourrait être un moyen facile de créer une ou plusieurs versions d'une protéine dans le système nerveux et des versions différentes dans le reste du corps, explique Albertin.

Lorsque l'homme et d'autres vertébrés ont des versions différentes d'une protéine, c'est souvent parce qu'ils possèdent plusieurs copies d'un gène. Doubler, tripler ou quadrupler les copies d'un gène "permet de créer tout un terrain de jeu génétique pour permettre aux gènes de s'activer et d'accomplir différentes fonctions", explique M. Albertin. Mais les céphalopodes ont tendance à ne pas dupliquer les gènes. Leurs innovations proviennent plutôt de l'édition.

Et il y a beaucoup de place pour l'innovation. Chez le calmar, les ARNm servant à construire la protéine alpha-spectrine comportent 242 sites de recodage. Toutes les combinaisons de sites modifiés et non modifiés pourraient théoriquement créer jusqu'à 7 x 1072 formes de la protéine, rapportent Rosenthal et Eisenberg dans le numéro de cette année de l'Annual Review of Animal Biosciences (Revue annuelle des biosciences animales). "Pour mettre ce chiffre en perspective, écrivent les chercheurs, il suffit de dire qu'il éclipse le nombre de toutes les molécules d'alpha-spectrine (ou, d'ailleurs, de toutes les molécules de protéines) synthétisées dans toutes les cellules de tous les calmars qui ont vécu sur notre planète depuis l'aube des temps.

Selon Kavita Rangan, biologiste moléculaire à l'université de Californie à San Diego, ce niveau de complexité incroyable ne serait possible que si chaque site était indépendant. Rangan a étudié le recodage de l'ARN chez le calmar californien (Doryteuthis opalescens) et le calmar à nageoires longues. La température de l'eau incite les calmars à recoder les protéines motrices appelées kinésines qui déplacent les cargaisons à l'intérieur des cellules.

Chez l'encornet rouge, l'ARNm qui produit la kinésine-1 comporte 14 sites de recodage, a découvert Mme Rangan. Elle a examiné les ARNm du lobe optique - la partie du cerveau qui traite les informations visuelles - et du ganglion stellaire, un ensemble de nerfs impliqués dans la génération des contractions musculaires qui produisent des jets d'eau pour propulser le calmar.

Chaque tissu produit plusieurs versions de la protéine. Rangan et Samara Reck-Peterson, également de l'UC San Diego, ont rapporté en septembre dernier dans un article publié en ligne sur bioRxiv.org que certains sites avaient tendance à être édités ensemble. Leurs données suggèrent que l'édition de certains sites est coordonnée et "rejette très fortement l'idée que l'édition est indépendante", explique Rangan. "La fréquence des combinaisons que nous observons ne correspond pas à l'idée que chaque site a été édité indépendamment.

L'association de sites d'édition pourrait empêcher les calmars et autres céphalopodes d'atteindre les sommets de complexité dont ils sont théoriquement capables. Néanmoins, l'édition de l'ARN offre aux céphalopodes un moyen d'essayer de nombreuses versions d'une protéine sans s'enfermer dans une modification permanente de l'ADN, explique M. Rangan.

Ce manque d'engagement laisse perplexe Jianzhi Zhang, généticien évolutionniste à l'université du Michigan à Ann Arbor. "Pour moi, cela n'a pas de sens", déclare-t-il. "Si vous voulez un acide aminé particulier dans une protéine, vous devez modifier l'ADN. Pourquoi changer l'ARN ?

L'édition de l'ARN a-t-elle une valeur évolutive ?

L'édition de l'ARN offre peut-être un avantage évolutif. Pour tester cette idée, Zhang et Daohan Jiang, alors étudiant de troisième cycle, ont comparé les sites "synonymes", où les modifications ne changent pas les acides aminés, aux sites "non synonymes", où le recodage se produit. Étant donné que les modifications synonymes ne modifient pas les acides aminés, les chercheurs ont considéré que ces modifications étaient neutres du point de vue de l'évolution. Chez l'homme, le recodage, ou édition non synonyme, se produit sur moins de sites que l'édition synonyme, et le pourcentage de molécules d'ARN qui sont éditées est plus faible que sur les sites synonymes.

"Si nous supposons que l'édition synonyme est comme un bruit qui se produit dans la cellule, et que l'édition non-synonyme est moins fréquente et [à un] niveau plus bas, cela suggère que l'édition non-synonyme est en fait nuisible", explique Zhang. Même si le recodage chez les céphalopodes est beaucoup plus fréquent que chez les humains, dans la plupart des cas, le recodage n'est pas avantageux, ou adaptatif, pour les céphalopodes, ont affirmé les chercheurs en 2019 dans Nature Communications.

Il existe quelques sites communs où les pieuvres, les calmars et les seiches recodent tous leurs ARN, ont constaté les chercheurs, ce qui suggère que le recodage est utile dans ces cas. Mais il s'agit d'une petite fraction des sites d'édition. Zhang et Jiang ont constaté que quelques autres sites édités chez une espèce de céphalopode, mais pas chez les autres, étaient également adaptatifs.

Si ce n'est pas si utile que cela, pourquoi les céphalopodes ont-ils continué à recoder l'ARN pendant des centaines de millions d'années ? L'édition de l'ARN pourrait persister non pas parce qu'elle est adaptative, mais parce qu'elle crée une dépendance, selon Zhang.

Zhang et Jiang ont proposé un modèle permettant de nuire (c'est-à-dire une situation qui permet des modifications nocives de l'ADN). Imaginez, dit-il, une situation dans laquelle un G (guanine) dans l'ADN d'un organisme est muté en A (adénine). Si cette mutation entraîne un changement d'acide aminé nocif dans une protéine, la sélection naturelle devrait éliminer les individus porteurs de cette mutation. Mais si, par chance, l'organisme dispose d'un système d'édition de l'ARN, l'erreur dans l'ADN peut être corrigée par l'édition de l'ARN, ce qui revient à transformer le A en G. Si la protéine est essentielle à la vie, l'ARN doit être édité à des niveaux élevés de sorte que presque chaque copie soit corrigée.

 Lorsque cela se produit, "on est bloqué dans le système", explique M. Zhang. L'organisme est désormais dépendant de la machinerie d'édition de l'ARN. "On ne peut pas la perdre, car il faut que le A soit réédité en G pour survivre, et l'édition est donc maintenue à des niveaux élevés.... Au début, on n'en avait pas vraiment besoin, mais une fois qu'on l'a eue, on en est devenu dépendant".

Zhang soutient que ce type d'édition est neutre et non adaptatif. Mais d'autres recherches suggèrent que l'édition de l'ARN peut être adaptative.

L'édition de l'ARN peut fonctionner comme une phase de transition, permettant aux organismes de tester le passage de l'adénine à la guanine sans apporter de changement permanent à leur ADN. Au cours de l'évolution, les sites où les adénines sont recodées dans l'ARN d'une espèce de céphalopode sont plus susceptibles que les adénines non éditées d'être remplacées par des guanines dans l'ADN d'une ou de plusieurs espèces apparentées, ont rapporté les chercheurs en 2020 dans PeerJ. Et pour les sites fortement modifiés, l'évolution chez les céphalopodes semble favoriser une transition de A à G dans l'ADN (plutôt qu'à la cytosine ou à la thymine, les deux autres éléments constitutifs de l'ADN). Cela favorise l'idée que l'édition peut être adaptative.

D'autres travaux récents de Rosenthal et de ses collègues, qui ont examiné les remplacements de A en G chez différentes espèces, suggèrent que le fait d'avoir un A modifiable est un avantage évolutif par rapport à un A non modifiable ou à un G câblé.

(Tableau :  Quelle est la fréquence de l'enregistrement de l'ARN ?

Les céphalopodes à corps mou, notamment les pieuvres, les calmars et les seiches, recodent l'ARN dans leur système nerveux sur des dizaines de milliers de sites, contre un millier ou moins chez l'homme, la souris, la mouche des fruits et d'autres espèces animales. Bien que les scientifiques aient documenté le nombre de sites d'édition, ils auront besoin de nouveaux outils pour tester directement l'influence du recodage sur la biologie des céphalopodes.

Schéma avec comparaison des nombre de sites de recodage de l'ARN chez les animaux

J.J.C. ROSENTHAL ET E. EISENBERG/ANNUAL REVIEW OF ANIMAL BIOSCIENCES 2023 )

Beaucoup de questions en suspens

Les preuves pour ou contre la valeur évolutive du recodage de l'ARN proviennent principalement de l'examen de la composition génétique totale, ou génomes, de diverses espèces de céphalopodes. Mais les scientifiques aimeraient vérifier directement si les ARN recodés ont un effet sur la biologie des céphalopodes. Pour ce faire, il faudra utiliser de nouveaux outils et faire preuve de créativité.

Rangan a testé des versions synthétiques de protéines motrices de calmars et a constaté que deux versions modifiées que les calmars fabriquent dans le froid se déplaçaient plus lentement mais plus loin le long de pistes protéiques appelées microtubules que les protéines non modifiées. Mais il s'agit là de conditions artificielles de laboratoire, sur des lames de microscope. Pour comprendre ce qui se passe dans les cellules, Mme Rangan aimerait pouvoir cultiver des cellules de calmar dans des boîtes de laboratoire. Pour l'instant, elle doit prélever des tissus directement sur le calmar et ne peut obtenir que des instantanés de ce qui se passe. Les cellules cultivées en laboratoire pourraient lui permettre de suivre ce qui se passe au fil du temps.

M. Zhang explique qu'il teste son hypothèse de l'innocuité en amenant la levure à s'intéresser à l'édition de l'ARN. La levure de boulanger (Saccharomyces cerevisiae) ne possède pas d'enzymes ADAR. Mais Zhang a modifié une souche de cette levure pour qu'elle soit porteuse d'une version humaine de l'enzyme. Les enzymes ADAR rendent la levure malade et la font croître lentement, explique-t-il. Pour accélérer l'expérience, la souche qu'il utilise a un taux de mutation supérieur à la normale et peut accumuler des mutations G-A. Mais si l'édition de l'ARN peut corriger ces mutations, il est possible d'obtenir des résultats positifs. Mais si l'édition de l'ARN peut corriger ces mutations, la levure porteuse d'ADAR pourrait se développer mieux que celles qui n'ont pas l'enzyme. Et après de nombreuses générations, la levure pourrait devenir dépendante de l'édition, prédit Zhang.

Albertin, Rosenthal et leurs collègues ont mis au point des moyens de modifier les gènes des calmars à l'aide de l'éditeur de gènes CRISPR/Cas9. L'équipe a créé un calmar albinos en utilisant CRISPR/Cas9 pour supprimer, ou désactiver, un gène qui produit des pigments. Les chercheurs pourraient être en mesure de modifier les sites d'édition dans l'ADN ou dans l'ARN et de tester leur fonction, explique Albertin.

Cette science n'en est qu'à ses débuts et l'histoire peut mener à des résultats inattendus. Néanmoins, grâce à l'habileté des céphalopodes en matière d'édition, la lecture de cet article ne manquera pas d'être intéressante.

 

Auteur: Internet

Info: https://www.sciencenews.org/article/octopus-squid-rna-editing-dna-cephalopods, Tina Hesman Saey, 19 may 2023

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