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"Ils profitent de notre pauvreté" : derrière le boom des intelligences artificielles génératives, le travail caché des petites mains de l'IA 

(Photo : 
Une masse d'hommes et de femmes invisibles, partout dans le monde, analysent des quantités colossales de données pour améliorer, caratériser et contextualiser les intelligences artificielles. )

La création d'algorithmes tels que ChatGPT ou Midjourney nécessite des quantités colossales de données, analysées par des humains. Des "annotateurs" indispensables mais souvent précaires, faiblement rémunérés et maintenus dans l'ombre.

"Des descriptions graphiques de viol, d'inceste, de nécrophilie... C'était ça tous les jours."  En 2021, Mophat Okinyi doit relire chaque jour plusieurs centaines de textes fournis à l'entreprise de traitement de données Sama par un client inconnu, pour entraîner un modèle d'intelligence artificielle (IA). L'objectif : préciser au logiciel ce qui pose problème dans ces textes, pour qu'il ne le reproduise pas.

Un travail rémunéré 21 000 shillings kenyans par mois (environ 150 euros) pour les employés du bas de l'échelle dont Mophat contrôlait l'activité. Cela a laissé chez lui des traces à vie. "Encore aujourd'hui, ça affecte mes relations avec ma famille, mes proches", explique l'analyste qualité kenyan. La mission qu'il décrit rappelle l'horreur à laquelle sont souvent confrontés les modérateurs des réseaux sociaux et répondait en fait, comme il le découvrira plus tard, à une commande de la start-up à la pointe de l'IA à l'origine de ChatGPT : OpenAI.

Le cas de Mophat Okinyi, extrême sous certains aspects, n'est pas non plus un exemple isolé, car derrière les grands discours de révolution technique se cache une masse de travailleurs invisibles dont les rangs se comptent en centaines de millions, selon des estimations. "On n'est pas du tout en train de créer des programmes qui se passent de l'humain, résume Antonio Casilli, professeur à l'Institut polytechnique de Paris. L'IA demande une quantité de travail humain énorme et absolument indispensable, dans toute la chaîne de production".

La majorité de cette masse humaine est très loin des grands patrons ou des ingénieurs renommés. Elle est constituée d'une armada de travailleurs anonymes éclatée à travers le monde, du Venezuela à Madagascar en passant par des camps de réfugiés au Liban et des prisons finlandaises. Des petites mains qui construisent le futur clic après clic, souvent dans un secret et une précarité bien gardés.

Cliquer encore et encore

Le prix de cette modernité ? Aux Philippines, entre 1,50 et 3 dollars par "tâche". C'est ce que la plateforme de travailleurs indépendants Remotasks verse en moyenne à Eduardo* pour placer, clic par clic, pixel par pixel, les contours qui délimitent sur une image un panneau de signalisation. Puis un véhicule. Puis un buisson. Une "tâche" qui lui prend en général une heure ou moins et qu'il répète inlassablement, huit heures par jour, six jours par semaine. Ces images serviront ensuite à entraîner des algorithmes d'analyse vidéo, par exemple pour les voitures autonomes ou la surveillance algorithmique. "C'est un travail intéressant", assure à franceinfo le jeune Philippin, qui travaille sur la plateforme depuis un peu plus de trois ans. Tout le monde ne sera pas du même avis, mais sans lui, l'appareil photo de votre smartphone aurait beaucoup de mal à identifier un visage, et la conduite semi-autonome de Tesla serait encore un rêve de science-fiction. Et vous-même y avez déjà contribué.

Que ce soit en laissant un "j'aime" sur Facebook ou en identifiant les images contenant une voiture dans un test captcha, vos retours participent à entraîner des algorithmes gratuitement depuis des années. Mais pour créer les IA qui ont bluffé le monde ces derniers mois, comme ChatGPT ou Midjourney, il faut des milliards d'exemples. Des données qui doivent souvent être "annotées", autrement dit accompagnées de commentaires, pour que la machine reproduise les catégories d'analyse de l'humain : faire comprendre que "ce tas de pixels est un enfant", que "cette phrase est fausse" ou que "cet élément évoque des comportements illégaux et ne doit pas être reproduit".

Et l'entraînement ne s'arrête jamais. "C'est un peu comme des athlètes, compare Antonio Casilli. Il faut constamment les entraîner, les adapter, les vérifier". Il s'agit d'évaluer les réponses, en soumettant aux IA des exemples toujours plus précis ou adaptés au nouveau contexte culturel. Autant de tâches qu'il est actuellement impossible d'automatiser.

"Ce n'est pas suffisant, mais c'est déjà quelque chose"

Astro* est l'un de ces nouveaux "entraîneurs d'IA". L'entrepreneur originaire de Tanzanie, qui a récemment terminé ses études de linguistique en France, réalise des tâches en indépendant à temps partiel via la plateforme Appen. "Il faut parfois isoler un visage dans une photo, dire si une image devrait apparaître dans la rubrique Souvenirs de Google Photos, si un texte est factuel ou non, créer des questions/réponses de culture générale...", explique-t-il à franceinfo. Il doit pour cela suivre des règles souvent très détaillées ("Cinquante pages à apprendre par cœur !"), au point d'en devenir parfois obscures. A la clé : 16 dollars de l'heure sur ses projets actuels. "Plus tu travailles, plus tu gagnes", explique l'indépendant. Mais encore faut-il être sélectionné pour participer au projet.

A l'autre bout du spectre, des entreprises embauchent des annotateurs en interne, notamment pour des tâches qui nécessitent une expertise précise. Mais pour nombre d'entre elles, la solution la plus rentable est souvent la sous-traitance : à des entreprises dans d'autres pays qui embauchent des annotateurs localement, comme Sama, ou encore à des plateformes comme Remotasks, Appen ou Toloka, qui transfèrent les missions à des travailleurs indépendants payés à la "micro-tâche".

"Ces travailleurs sont souvent recrutés dans des pays à faibles revenus, et géopolitiquement instables." Antonio Casilli, professeur à l'Institut polytechnique de Paris

A ces critères, Antonio Casilli ajoute des taux d'éducation et d'équipement informatique importants, l'existence d'une industrie de centres d'appels ou des relations fortes avec une ancienne puissance coloniale. Plusieurs noms de pays reviennent souvent : les Philippines, Madagascar, le Kenya, le Venezuela, le Pakistan…

Dans ces pays, un tel travail représente souvent un filet de sécurité précieux. "Ce n'est pas une source de travail fixe ou suffisante, mais c'est au moins quelque chose, résume Maria*. La crise économique au Venezuela a forcé beaucoup d'entre nous à quitter le marché du travail", raconte à franceinfo l'ingénieure industrielle, qui s'est lancée sur Remotasks à la faveur du confinement, en 2020. Après avoir suivi une formation, elle travaille aujourd'hui trois jours par semaine sur la plateforme, à raison de 10 heures par jour.

Pour quel salaire ? "Les tâches de catégorisation données par Remotasks au Venezuela peuvent prendre seulement quelques minutes et être payées 11 centimes de dollar, détaille Maria. D'autres beaucoup plus complexes peuvent durer huit heures ou plus, comme l'annotation de vidéos ou de données lidar, et être payées 10 dollars." Mais tout dépend du pays et de la difficulté de la tâche. Un "eldorado" relatif qui attire, y compris parfois des mineurs qui mentent sur leur âge pour rejoindre ces plateformes de micro-tâches, raconte le site spécialisé Wired. 

Précarité et dépendance

Mais ces espoirs ne suffisent pas à en faire un emploi de rêve. Même si une tâche peut être payée correctement par rapport au marché local, les travailleurs du clic déplorent souvent la différence de traitements entre les pays. "Les entreprises profitent de notre pauvreté", estime Andry*, annotateur à Madagascar, pour qui "un agent en Inde ou au Maroc sera mieux payé que nous". Le mode de calcul des rémunérations n'est jamais précisément expliqué.

"Il y a clairement une forme de néo-colonialisme."

Antonio Casilli, professeur à l'Institut polytechnique de Paris

Pour gagner des sommes correctes, les indépendants doivent être disponibles à toute heure du jour et de la nuit et s'adapter à des projets aux durées variables. "Sur Appen, les tâches arrivent à l'heure américaine, donc vers 21 heures en France", explique par exemple Astro*. "Sur une autre plateforme, j'ai reçu une tâche vendredi vers 19 heures, j'ai travaillé 45 heures sur le week-end, j'ai gagné 1 200 euros", résume Astro, qui dit apprécier le travail de nuit. 

Ce que certains voient comme une "opportunité professionnelle" peut aussi se transformer en piège. En Chine, des établissements promettent à leurs étudiants une formation en "IA" ou en "Big data", mais les forcent à annoter des images toute la journée pour un salaire inférieur au minimum légal, raconte le média Rest of World. Cette pratique n'est pas spécifique à la Chine, assure Antonio Casilli, qui cite également l'exemple de Madagascar.

"L'IA ne peut pas être éthique si elle est entraînée de façon immorale"

A qui profite ce travail souvent ingrat, parfois à la frontière de l'éthique ? Difficile de le savoir : l'industrie baigne dans un épais voile de secret, et comme dans le cas de Mophat Okinyi, les annotateurs indépendants savent rarement à qui sont destinées les données qu'ils traitent. "Je sais que le client est au Japon, mais c'est tout. On ne nous a rien dit sur eux", note Eduardo* à propos d'une de ses missions d'annotation, fournie par Remotasks aux Philippines.

"Les entreprises d'IA expliquent que si elles étaient pleinement transparentes sur leurs besoins en données, cela pourrait donner des indices sur leurs projets en cours et influencer les réponses des contributeurs", résume Antonio Casilli d'un ton sceptique. "Elles veulent échapper à leurs responsabilités", assène Mophat Okinyi, qui ne savait pas que son travail servirait à OpenAI avant la fin anticipée du contrat, à la demande de Sama, en mars 2022. 

"Si les annotateurs savaient qu'ils travaillent pour une entreprise qui génère des centaines de millions de dollars comme OpenAI, ils n'accepteraient pas des salaires si bas." Mophat Okinyi, ex-analyste qualité chez Sama

Ce travail peut-il être organisé de manière à satisfaire tout le monde, géants de la tech comme travailleurs du clic ? "Il faut plus de transparence, les entreprises basées à San Francisco doivent prendre leurs responsabilités", réclame Mophat Okinyi. Il s'est associé à 150 travailleurs du secteur de l'annotation et de la modération des plateformes pour créer l'Union des modérateurs de contenus du Kenya, qui devrait être autorisée "dans les deux mois", et a cofondé l'ONG Techworker Community Africa pour militer en faveur de meilleurs pratiques. "L'IA ne peut pas être éthique si elle est entraînée de façon immorale, en exploitant des gens en difficulté économique et sur des données volées", assène-t-il.

"Beaucoup de gens ne savent pas qu'il y a de l'humain derrière l'IA. Il faudrait que ce soit plus connu, et mieux payé." Astro, annotateur de données

Pour Antonio Casilli, il faut commencer par oublier l'idée que l'IA est seulement une prouesse d'ingénieurs ou d'entrepreneurs. " Nous sommes tous en quelque sorte les producteurs de ces IA, parce que ce sont nos données qui servent à les entraîner, mais nous ne sommes pas reconnus comme tels. Tant qu'on continuera à penser que l'IA est seulement l'affaire de Sam Altman, on aura un problème."

* Les prénoms suivis d'un astérisque ont été modifiés.

Auteur: Internet

Info: Francetvinfo.fr - Luc Chagnon, 9 avril 2024

[ texte-image ] [ homme-machine ] [ données intelligentes ] [ enrichies ] [ nord-sud ] [ domination économique ] [ data augmenté ] [ bases sémantiques ] [ post-colonialisme ]

 

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philosophie

Tout le monde a une théorie sur ce qui se passe dans notre monde. Mais beaucoup sont partielles, ou fragmentaires, ou trop simples – attribuant trop d'importance au "capitalisme", au "mondialisme", à "l'opportunisme" ou aux "conséquences imprévues". Nous devons continuer à essayer de donner un sens à l'ensemble du scénario.

Commençons par quelques grandes hypothèses sur ce qui se passe. L'hypothèse de René Guénon, esquissée pour la première fois vers 1930, était que toutes les civilisations possèdent des pouvoirs spirituels et temporels et incorporent donc en quelque sorte une tension entre les deux : mais que, pour la première fois dans l'histoire, notre modernité, à partir de  1500, a placé le temporel au-dessus de l'Eternel, le matériel au-dessus du spirituel : en bref, 'l'état' au-dessus de 'l'église'.  On a vu quelques hypothèses connexes proposées en même temps : comme celle de Julien Benda selon laquelle les clercs, ou intellectuels, avaient déplacé leur préoccupation : ainsi l'immense valeur qu'ils avaient toujours attribuée aux choses non mondaines était maintenant attribuée aux choses mondaines. C'est-à-dire que les intellectuels étaient maintenant corrompus, en quelque sorte suivistes de profits sales.

Un ami américain a récemment attiré mon attention sur certains des écrits récents d'un romancier et essayiste, Paul Kingsnorth . A l'origine anticapitaliste, il se croyait à gauche, et se retrouve aujourd'hui plus ou moins à droite. Son hypothèse est que le déclin du christianisme dans notre civilisation – déclin de l'éternel et du spirituel – coïncide et a probablement été causé par la montée de ce qu'il nomme "mythe du progrès". Le progrès, c'est la conviction que le monde, ce monde, va mieux. Ce mythe est le genre de chose que nous pouvons associer à Francis Bacon ou John Stuart Mill, ou encore Bayle, Mandeville, Voltaire, Smith, Hegel, Comte, Marx - plus ou moins tout le monde des XVIIe au XIXe siècles, sauf pour des gens un peu plus pointus comme Bossuet ou Maistre, aussi pour Burke à la toute fin de sa vie. Kingsnorth construit une vision très efficace de l'histoire sur cette hypothèse, ce qui lui permet d'expliquer pourquoi gauchistes et corporatistes s'accordent si bien aujourd'hui. Tous, dit-il, veulent du progrès. Ils contribuent tous à ce qu'il appelle la Machine.

Acceptons ces deux hypothèses. Mais je dois en ajouter un troisième, qui ajoute une complication interne à la deuxième, et rend ainsi l'ensemble du scénario un peu plus dynamique. Cela peut même expliquer pourquoi il y a tant de confusion sur ce qui s'est passé. L'hypothèse est qu'il n'y a jamais eu un seul "mythe du progrès" : la puissance du mythe du progrès était qu'il contenait un contradiction interne, comme les traducteurs de Hegel ont eu l'habitude de la nommer : une division intérieure.  Deux positions rivales en désaccord sur le comment alors même qu'elles étaient d'accord sur le quoi . Le quoi étant un présupposé absolu - quelque chose de si fondamental qu'il n'a jamais été remis en question par aucune des parties. Comme c'est toujours le cas, le désaccord au premier plan détournait l'attention de l'accord plus profond qui dominait tout à l'arrière-plan.

Ce sur quoi ils étaient d'accord, c'est que des progrès se produisaient et devaient se produire . Ce sur quoi ils n'étaient pas d'accord, c'était comment cela devait se passer. Je simplifie bien sûr ici, mais simplifier un argument en deux positions est bien moins simple que de le simplifier en une position.

D'un côté il y avait l'argument selon lequel des progrès étaient en cours, que cela nous plaise ou non. Cela se produisait à travers ce qu'Adam Smith appelait la main invisible, ou ce que Samuel Johnson appelait la concaténation secrète, ce que nous appelons parfois maintenant la loi des conséquences imprévues. C'est le processus par lequel de nombreux humains, à la poursuite de leurs propres intérêts individuels, ont contribué à l'émergence d'un bien qu'aucun n'avait jamais voulu, et qu'aucun n'avait anticipé, mais qui pouvait être compris rétrospectivement.

De l'autre côté, il y avait l'argument selon lequel le progrès ne se produirait que si nous adoptions les bonnes croyances rationnelles, les bonnes vues éclairées ( iberté, égalité, fraternité, etc.), et si nous nous efforcions d'imposer au monde les politiques ou les schémas suggéré par les bonnes croyances rationnelles et les bonnes vues éclairées. Il s'agissait de mettre l'accent sur la planification plutôt que sur les conséquences imprévues : et la planification ne pouvait être efficace que si elle était effectuée par ceux au pouvoir. Ainsi, les puissants devaient être subjugués par les experts de l'illumination.

La différence entre ces deux positions est que l'une y voit un processus inconscient , l'autre y voit une impulsion consciente. Ces deux positions ont dominé le débat politique deux siècles durant : d'une part, les uns ont privilégié les marchés et l'activité privée indépendante et apparemment (mais pas réellement ou finalement) égoïste, et d'autre part, un caméralisme, un colbertisme ou un comtisme de la planification scientifique. et l'activité publique collective.

En pratique, bien sûr, les deux ont été mélangées, ont reçu des noms variés, et certaines personnes qui ont commencé d'un côté pour se retrouver de l'autre : pensez à la dérive de John Stuart Mill ou de TH Green du libéralisme au socialisme ; mais considérez également la dérive de Kingsley Amis, Paul Johnson et John Osborne dans l'autre sens. Décoller tout cela est un boulôt de dingue : il faut peut-être le laisser aux historiens qui ont la patience de le faire. Mais les historiens ont tendance à embrouiller les choses... Alors tout ça mérite quelques explications : et l'expliquer dans l'abstrait, comme je le fais ici, permet certainement d'expliquer pourquoi les libéraux ont parfois été d'un côté ou de l'autre, et pourquoi les conservateurs sont tout aussi chimériques. 

Le point de cette hypothèse est de dire que toute la politique des deux derniers siècles fut dominée par des arguments sur la question de savoir si le progrès aurait lieu dans l'observance ou dans la violation, pour ainsi dire : s'il devrait être théorisé consciemment et ensuite imposée par une politique prudente, ou si il devait survenir sans planification délibérée de telle manière que seuls les historiens ultérieurs pourraient le comprendre pleinement. Mais tout ça est terminé. Nous sommes maintenant à l'étape suivante.

Cela s'explique en partie par le fait que, comme le dit Kingsnorth, le mythe du progrès - bien qu'il ne soit pas entièrement mort - parait pratiquer ses derniers rites. Il est sans doute en difficulté depuis les années 1890, a été secoué par la Première Guerre mondiale ; mais il a subi ses chocs récents depuis les années 1970, avec la pollution, la surpopulation, la stagflation, l'ozone, le dioxyde de carbone, les prêts hypothécaires à risque, etc. Pour l'instant les mondialistes ne savent pas exactement comment concilier le cercle du désir de "progrès" (ou, du moins comment être "progressiste") tout en faisant simultanément promotion de la "durabilité". Si nous avons un mythe en ce moment c'est sûrement le mythe de la durabilité. Peut-être que les mondialistes et les localistes comme Kingsnorth constateront que, bien qu'ils soient en désaccord sur beaucoup de choses - COVID-19, par exemple - ils sont d'accord sur la durabilité.

Mais il y a quelque chose à ajouter, une quatrième hypothèse, et c'est vraiment l'hypothèse suprême. J'ai dit que pendant quelques siècles, il y avait la planification contre le laissez-faire , ou la conscience contre les conséquences imprévues - les deux essayant de trouver comment rendre le monde, ce monde, meilleur. Mais il y a autre chose. La quatrième hypothèse est que certains personnages du début du XIXe siècle entrevoyaient que les deux positions pouvaient se confondre. Hegel était l'une de ces figures ; même Marx. Il y en eut d'autres; qui sont nombreux maintenant. Fusion qui signifiait quelque chose comme ce qui suit :

Jusqu'à présent, nous avons fait l'erreur de penser que le bien peut être imposé consciemment - généralement par le biais de préceptes religieux - mais nous avons découvert, grâce à Mandeville, Smith et les économistes, que le bien peut être obtenu par des conséquences involontaires. Ce qui ne signifie cependant pas que nous devrions adopter une politique de laissez-faire : au contraire, maintenant que nous comprenons les conséquences imprévues , nous savons comment fonctionne tout le système inconscient du monde, et puisque nous savons comment intégrer notre connaissance de ceci dans notre politique, nous pouvons enfin parvenir à un ordre mondial scientifique et moral ou probant et justifié parfait.

Est-ce clair? Les Lumières écossaises ont créé l'expert empirique, qui a fusionné avec le progressiste conscient moralement assuré, pour devenir l'espoir du monde. Sans doute, la plupart d'entre nous ont abandonné les fantasmes hégéliens et marxistes de "fin de l'histoire" ou d'"émancipation", mais je pense que l'ombre de ces fantasmes a survécu et s'est achevée dans le récent majoritarisme scientifique et moral, si clairement vu depuis que le COVID-19 est arrivé dans le monde.

Si j'ai raison à propos de cette quatrième hypothèse, cela explique pourquoi nous sommes si confus. Nous ne pouvons pas donner un sens à notre situation en utilisant le vieux langage du "collectivisme" contre "l'individualisme". Le fait est qu'à notre époque post-progressiste, les experts se sentent plus justifiés que jamais pour imposer à chacun un ensemble de protocoles et de préceptes "fondés sur des preuves" et "moralement justifiés". Plus justifiés parce que combinant la connaissance de la façon dont les choses fonctionnent individuellement (par la modélisation et l'observation de processus inconscients ou de conséquences imprévues) avec la certitude sur ce qu'il est juste de faire collectivement (étant donné que les vieux fantasmes de progrès ont été modifiés par une idéologie puritaine et contraignante de durabilité et de survie, ajoutée de diversité, d'équité et d'inclusion - qui sert d'ailleurs plus d'impulsion de retenue que d'anticipation d'une émancipation du marxisme)

Ce n'est pas seulement toxique mais emmêlé. Les niveaux d'hypocrisie et d'auto-tromperie impliqués dans cela sont formidables. Les mondialistes ont une doctrine à toute épreuve dans leur politique durable qui sauve le monde, ou "durabilité". Elle est presque inattaquable, puisqu'elle s'appuie sur les plus grandes réalisations des sciences naturelles et morales. Tout ça bien sûr alimenté par une ancienne cupidité acquisitive, mais aussi par le sentiment qu'il faut offrir quelque chose en échange de leur manque de privilèges à ceux qui ont besoin d'être nivelés ; et tout ça bien sûr rend le monde meilleur, "sauve" la planète, dorant les cages des déshérités et les palais des privilégiés de la même laque d'or insensée.

Peut-être, comme l'entrevoient Guenon et Kingsnorth – également Delingpole et Hitchens – la vérité est-elle que nous devons réellement remonter à travers toute l'ère de la durabilité et l'ère du progrès jusqu'à l'ère de la foi. Certes, quelqu'un ou quelque chose doit forcer ces "élites" à se soumettre à une vision supérieure : et je pense que la seule façon de donner un sens à cela pour le moment est d'imaginer qu'une église ou un prophète ou un penseur visionnaire puisse abattre leur État - la laïcité corporate-, leur montrer que leur foi n'est qu'une idéologie servant leurs intérêts, et qu'ils doivent se soumettre à une doctrine authentiquement fondée sur la grâce,  apte à admettre la faute, l'erreur, voire le péché. Cela ne se ferait pas par des excuses publiques ou une démonstration politique hypocrite, mais en interrogeant leurs propres âmes.

Je suis pas certain que c'est ce qui arrivera, ni même que cela devrait arriver (ou que cela pourrait arriver) : mais c'est certainement le genre de chose qui doit arriver. Autrement dit, c'est le genre de chose que nous devrions imaginer arriver. Ce qui se passera sera soit du genre Oie Blanche ancienne, soit peut-être un événement inattendu style "Black Swan" (pas nécessairement une bonne chose : nous semblons trop aimer la crise en ce moment). Mais, de toute façon, une sensibilité réactionnaire semble être la seule capable de manifester une quelconque conscience de ce qui se passe.

Pour clarifier, permettez-moi d'énoncer à nouveau les quatre hypothèses sur ce phénomène :

1. A travers toutes les époques, il y a eu un équilibre entre spiritualité et  sécularisation. Dans notre modernité, la sécularité est dominante. Il n'y a que ce monde.

2. Depuis environ trois siècles, nous croyons que ce monde s'améliore et devrait s'améliorer. C'est le "mythe du progrès".

3. Il y a toujours eu des désaccords sur le progrès : certains pensaient qu'il était le fruit du hasard et de l'intérêt individuel ; d'autres pensaient qu'il ne pouvait être que le résultat d'une conception délibérée.

4. Nous ne devons pas ignorer qu'il y a eu une fusion très intelligente de ces deux positions : une fusion qui ne s'est pas évanouie avec l'évanouissement du "mythe du progrès" mais qui survit pour soutenir la politique étrange et nouvelle de ce que nous pourrions appeler le "mythe de la durabilité". Cette fusion est extrêmement condescendante et sûre d'elle-même car elle associe la certitude scientifique de ce qui s'est passé inconsciemment pour améliorer le monde à la certitude morale de ce qui devrait maintenant être fait consciemment pour améliorer le monde. Elle semble réunir individu et collectif d'une manière qui est censée rendre impossible tout renoncement.

 

Auteur: Alexander James

Info: Daily Skeptic. Quatre hypothèses sur l'élite mondiale laïque-corporatiste, 20 février 2023. Trad Mg, avec DeePL

[ état des lieux ]

 

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multi-milliardaires

DE LA SURVIE DES PLUS RICHES
Quand des patrons de fonds d'investissement new-yorkais font appel à un spécialiste de la société de l'information, afin d'améliorer leurs chances de survie après l'Évènement qui détruira le monde tel que nous le connaissons.

AVERTISSEMENT, CECI N'EST PAS UNE FICTION
L’année dernière, j’ai été invité à donner une conférence dans un complexe hôtelier d’hyper-luxe face à ce que je pensais être un groupe d’une centaine de banquiers spécialisés dans l’investissement. On ne m’avait jamais proposé une somme aussi importante pour une intervention - presque la moitié de mon salaire annuel de professeur - et délivrer mes visions sur "l’avenir de la technologie".

Je n’ai jamais aimé parler du futur. Ce genre de séance d’échange se termine fatalement par un interrogatoire, à l’occasion duquel on me demande de me prononcer sur les dernières "tendances" technologiques, comme s’il s’agissait d’indicateurs boursiers pour les investisseurs : blockchain, impression 3D, CRISPR. L’audience s’y préoccupe généralement moins des technologies en elles-mêmes et de leurs implications, que de savoir si elles méritent ou non que l’on parie sur elles, en mode binaire. Mais l’argent ayant le dernier mot, j’ai accepté le boulot.

À mon arrivée, on m’a accompagné dans ce que j’ai cru n’être qu’une vulgaire salle technique. Mais alors que je m’attendais à ce que l’on me branche un microphone ou à ce que l’on m’amène sur scène, on m’a simplement invité à m’asseoir à une grande table de réunion, pendant que mon public faisait son entrée : cinq gars ultra-riches - oui, uniquement des hommes - tous issus des plus hautes sphères de la finance internationale. Dès nos premiers échanges, j’ai réalisé qu’ils n’étaient pas là pour le topo que je leur avais préparé sur le futur de la technologie. Ils étaient venus avec leurs propres questions.

Ça a d’abord commencé de manière anodine. Ethereum ou Bitcoin ? L’informatique quantique est-elle une réalité ? Lentement mais sûrement, ils m’ont amené vers le véritable sujet de leurs préoccupations.

Quelle sera la région du monde la plus épargnée par la prochaine crise climatique : la nouvelle Zélande ou l’Alaska ? Est-ce que Google construit réellement un nouveau foyer pour le cerveau de Ray Kurzweil ? Est-ce que sa conscience survivra à cette transition ou bien mourra-t-elle pour renaître ensuite ? Enfin, le PDG d’une société de courtage s’est inquiété, après avoir mentionné le bunker sous-terrain dont il achevait la construction : "Comment puis-je conserver le contrôle de mes forces de sécurité, après l’Événement ?"

L’Évènement. Un euphémisme qu’ils employaient pour évoquer l’effondrement environnemental, les troubles sociaux, l’explosion nucléaire, le nouveau virus impossible à endiguer ou encore l’attaque informatique d’un Mr Robot qui ferait à lui seul planter tout le système.

Cette question allait nous occuper durant toute l’heure restante. Ils avaient conscience que des gardes armés seraient nécessaires pour protéger leurs murs des foules en colère. Mais comment payer ces gardes, le jour où l’argent n’aurait plus de valeur ? Et comment les empêcher de se choisir un nouveau leader ? Ces milliardaires envisageaient d’enfermer leurs stocks de nourriture derrière des portes blindées aux serrures cryptées, dont eux seuls détiendraient les codes. D’équiper chaque garde d’un collier disciplinaire, comme garantie de leur survie. Ou encore, si la technologie le permettait à temps, de construire des robots qui serviraient à la fois de gardes et de force de travail.

C’est là que ça m’a frappé. Pour ces messieurs, notre discussion portait bien sur le futur de la technologie. Inspirés par le projet de colonisation de la planète Mars d’Elon Musk, les tentatives d’inversion du processus du vieillissement de Peter Thiel, ou encore les expériences de Sam Altman et Ray de Kurzweil qui ambitionnent de télécharger leurs esprits dans de super-ordinateurs, ils se préparaient à un avenir numérique qui avait moins à voir avec l’idée de construire un monde meilleur que de transcender la condition humaine et de se préserver de dangers aussi réels qu’immédiats, comme le changement climatique, la montée des océans, les migrations de masse, les pandémies planétaires, les paniques identitaires et l’épuisement des ressources. Pour eux, le futur de la technologie se résumait à une seule finalité : fuir.

Il n’y a rien de mal aux visions les plus follement optimistes sur la manière dont la technologie pourrait bénéficier à l’ensemble de la société humaine. Mais l’actuel engouement pour les utopies post-humaines est d’un tout autre ordre. Il s’agit moins d’une vision de la migration de l’ensemble de notre espèce vers une nouvelle condition humaine, que d’une quête pour transcender tout ce qui nous constitue : nos corps, notre interdépendance, la compassion, la vulnérabilité et la complexité. Comme l’indiquent maintenant depuis plusieurs années les philosophes de la technologie, le prisme transhumaniste réduit trop facilement la réalité à un conglomérat de données, en concluant que "les humains ne sont rien d’autre que des centres de traitement de l’information".

L’évolution humaine s’apparente alors à une sorte de jeu vidéo labyrinthique, dont les heureux gagnants balisent le chemin de la sortie pour leurs partenaires les plus privilégiés. S’agit-il de Musk, Bezos, Thiel… Zuckerberg ? Ces quelques milliardaires sont les gagnants présupposés d’une économie numérique régie par une loi de la jungle qui sévit dans le monde des affaires et de la spéculation dont ils sont eux-mêmes issus.

Bien sûr, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Il y a eu une période courte, au début des années 1990, où l’avenir numérique apparaissait fertile, enthousiasmant, ouvert à la création. La technologie y devenait le terrain de jeu de la contre-culture, qui vit là l’opportunité de créer un futur plus inclusif, mieux réparti et pro-humain. Mais les intérêts commerciaux n’y ont vu pour leur part que de nouveaux potentiels pour leurs vieux réflexes. Et trop de technologues se sont laissés séduire par des IPO (introduction en bourse) chimériques. Les futurs numériques s’en retrouvèrent envisagés sous le même prisme que le cours de la bourse ou du coton, dans ce même jeu dangereux de paris et de prédictions. Ainsi, la moindre étude documentaire, le moindre article ou livre blanc publié sur ce thème n’étaient plus interprété que comme un nouvel indice boursier. Le futur s’est transformé en une sorte de scénario prédestiné, sur lequel on parie à grands renforts de capital-risque, mais qu’on laisse se produire de manière passive, plus que comme quelque chose que l’on crée au travers de nos choix présents et de nos espoirs pour l’espèce humaine.

Ce qui a libéré chacun d’entre nous des implications morales de son activité. Le développement technologique est devenu moins une affaire d’épanouissement collectif que de survie individuelle. Pire, comme j’ai pu l’apprendre à mes dépens, le simple fait de pointer cette dérive suffisait à vous désigner d’emblée comme un ennemi rétrograde du marché, un ringard technophobe.

Et plutôt que de questionner la dimension éthique de pratiques qui exploitent et appauvrissent les masses au profit d’une minorité, la majorité des universitaires, des journalistes et des écrivains de science fiction ont préféré se focaliser sur des implications plus abstraites et périphériques : "Est-il juste qu’un trader utilise des drogues nootropiques ? Doit-on greffer des implants aux enfants pour leur permettre de parler des langues étrangères? Les véhicules intelligents doivent-ils privilégier la sécurité des piétons ou celle de leurs usagers? Est-ce que les premières colonies martiennes se doivent d’adopter un modèle démocratique? Modifier son ADN, est-ce modifier son identité ? Est-ce que les robots doivent avoir des droits ?".

Sans nier le côté divertissant de ces questions sur un plan philosophique, force est d’admettre qu’elles ne pèsent pas lourd face aux vrais enjeux moraux posés par le développement technologique débridé, au nom du capitalisme pratiqué par les multinationales. Les plateformes numériques ont modifié un marché déjà fondé sur l’exploitation (Walmart) pour donner naissance à un successeur encore plus déshumanisant (Amazon). La plupart d’entre-nous sommes conscients de ces dérives, rendues visibles par la recrudescence des emplois automatisés, par l’explosion de l’économie à la tâche et la disparition du commerce local de détails.

Mais c’est encore vis-à-vis de l’environnement et des populations les plus pauvres que ce capitalisme numérique désinhibé produit ses effets les plus dévastateurs. La fabrication de certains de nos ordinateurs et de nos smartphones reste assujettie au travail forcé et à l’esclavage. Une dépendance si consubstantielle que Fairphone, l’entreprise qui ambitionnait de fabriquer et de commercialiser des téléphones éthiques, s’est vue obligée de reconnaître que c’était en réalité impossible. Son fondateur se réfère aujourd’hui tristement à ses produits comme étant "plus" éthiques.

Pendant ce temps, l’extraction de métaux et de terres rares, conjuguée au stockage de nos déchets technologiques, ravage des habitats humains transformés en véritables décharges toxiques, dans lesquels es enfants et des familles de paysans viennent glaner de maigres restes utilisables, dans l’espoir de les revendre plus tard aux fabricants.

Nous aurons beau nous réfugier dans une réalité alternative, en cachant nos regards derrière des lunettes de réalité virtuelle, cette sous-traitance de la misère et de la toxicité n’en disparaîtra pas pour autant. De fait, plus nous en ignorerons les répercussions sociales, économiques et environnementales, plus elles s’aggraveront. En motivant toujours plus de déresponsabilisation, d’isolement et de fantasmes apocalyptiques, dont on cherchera à se prémunir avec toujours plus de technologies et de business plans. Le cycle se nourrit de lui-même.

Plus nous adhérerons à cette vision du monde, plus les humains apparaitront comme la source du problème et la technologie comme la solution. L’essence même de ce qui caractérise l’humain est moins traité comme une fonctionnalité que comme une perturbation. Quels que furent les biais idéologiques qui ont mené à leur émergence, les technologies bénéficient d’une aura de neutralité. Et si elles induisent parfois des dérives comportementales, celles-ci ne seraient que le reflet de nos natures corrompues. Comme si nos difficultés ne résultaient que de notre sauvagerie constitutive. À l’instar de l’inefficacité d’un système de taxis locaux pouvant être "résolue" par une application qui ruine les chauffeurs humains, les inconsistances contrariantes de notre psyché pouvait être corrigée par une mise à jour digitale ou génétique.

Selon l’orthodoxie techno-solutionniste, le point culminant de l’évolution humaine consisterait enfin à transférer notre conscience dans un ordinateur, ou encore mieux, à accepter la technologie comme notre successeur dans l’évolution des espèces. Comme les adeptes d’un culte gnostique, nous souhaitons atteindre la prochaine phase transcendante de notre évolution, en nous délestant de nos corps et en les abandonnant, avec nos péchés et nos problèmes.

Nos films et nos productions télévisuelles continuent d’alimenter ces fantasmes. Les séries sur les zombies dépeignent ainsi une post-apocalypse où les gens ne valent pas mieux que les morts vivants - et semblent en être conscients. Pire, ces projections fictives invitent les spectateurs à envisager l’avenir comme une bataille à somme nulle entre les survivants, où la survie d’un groupe dépend mécaniquement de la disparition d’un autre. Jusqu’à la série Westworld, basée sur un roman de science-fiction dans lequel les robots deviennent fous et qui clôt sa seconde saison sur une ultime révélation : les êtres humains sont plus simples et plus prévisibles que les intelligences artificielles qu’ils ont créées. Les robots y apprennent que nous nous réduisons, tous autant que nous sommes, à quelques lignes de code et que notre libre arbitre n’est qu’une illusion. Zut ! Dans cette série, les robots eux-mêmes veulent échapper aux limites de leurs corps et passer le reste de leurs vies dans une simulation informatique.

Seul un profond dégoût pour l’humanité autorise une telle gymnastique mentale, en inversant ainsi les rôles de l’homme et de la machine. Modifions-les ou fuyons-les, pour toujours.

Ainsi, nous nous retrouvons face à des techno-milliardaires qui expédient leurs voiture électriques dans l’espace, comme si ça symbolisait autre chose que la capacité d’un milliardaire à assurer la promotion de sa propre compagnie. Et quand bien même quelques élus parviendraient à rallier la planète Mars pour y subsister dans une sorte de bulle artificielle - malgré notre incapacité à maintenir des telles bulles sur Terre, malgré les milliards de dollars engloutis dans les projets Biosphère - le résultat s’apparenterait plus à une espèce de chaloupe luxueuse réservée une élite qu’à la perpétuation de la diaspora humaine.

Quand ces responsables de fonds d’investissement m’ont interrogé sur la meilleure manière de maintenir leur autorité sur leurs forces de sécurité "après l’Évènement", je leur ai suggéré de traiter leurs employés du mieux possible, dès maintenant. De se comporter avec eux comme s’il s’agissait des membres de leur propre famille. Et que plus ils insuffleraient cette éthique inclusive à leur pratiques commerciales, à la gestion de leurs chaînes d’approvisionnement, au développement durable et à la répartition des richesses, moins il y aurait de chances que "l’Événement" se produise. Qu’ils auraient tout intérêt à employer cette magie technologique au service d’enjeux, certes moins romantiques, mais plus collectifs, dès aujourd’hui.

Mon optimisme les a fait sourire, mais pas au point de les convaincre. Éviter la catastrophe ne les intéressait finalement pas, persuadés qu’ils sont que nous sommes déjà trop engagés dans cette direction. Malgré le pouvoir que leur confèrent leurs immenses fortunes, ils ne veulent pas croire en leur propre capacité d’infléchir sur le cours des événements. Ils achètent les scénarios les plus sombres et misent sur leur argent et la technologie pour s’en prémunir - surtout s’ils peuvent disposer d’un siège dans la prochaine fusée pour Mars.

Heureusement, ceux d’entre nous qui n’ont pas de quoi financer le reniement de leur propre humanité disposent de meilleures options. Rien nous force à utiliser la technologie de manière aussi antisociale et destructive. Nous pouvons nous transformer en individus consommateurs, aux profils formatés par notre arsenal de plateformes et d’appareils connectés, ou nous pouvons nous souvenir qu’un être humain véritablement évolué ne fonctionne pas seul.

Être humain ne se définit pas dans notre capacité à fuir ou à survivre individuellement. C’est un sport d’équipe. Quel que soit notre futur, il se produira ensemble.

Auteur: Rushkoff Douglas

Info: Quand les riches conspirent pour nous laisser derrière. Avec l’accord de l’auteur, traduction de Céleste Bruandet, avec la participation de Laurent Courau

[ prospective ] [ super-riches ] [ oligarques ]

 

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biophysique

Lorsque le biologiste Tibor Gánti est décédé le 15 avril 2009, à l'âge de 75 ans, il était loin d'être connu. Une grande partie de sa carrière s'est déroulée derrière le rideau de fer qui a divisé l'Europe pendant des décennies, entravant les échanges d'idées.

Mais si les théories de Gánti avaient été plus largement connues à l'époque communiste, il pourrait aujourd'hui être acclamé comme l'un des biologistes les plus novateurs du XXe siècle. En effet, il a conçu un modèle d'organisme vivant le plus simple possible, qu'il a appelé le chimiotone ( Chemoton ) , et qui permet d'expliquer l'apparition de la vie sur Terre.

Pour les astrobiologistes qui s'intéressent à la vie au-delà de notre planète, le chimiotactisme offre une définition universelle de la vie, qui n'est pas liée à des substances chimiques spécifiques comme l'ADN, mais plutôt à un modèle d'organisation global.

"Il semble que Ganti a réfléchi aux fondements de la vie plus profondément que quiconque", déclare le biologiste Eörs Szathmáry, du Centre de recherche écologique de Tihany, en Hongrie.

Les débuts de la vie

Il n'existe pas de définition scientifique commune de la vie, mais ce n'est pas faute d'avoir essayé : Un article de 2012 a recensé 123 définitions publiées. Il est difficile d'en rédiger une qui englobe toute la vie tout en excluant tout ce qui n'est pas vivant et qui possède des attributs semblables à ceux de la vie, comme le feu et les voitures. De nombreuses définitions indiquent que les êtres vivants peuvent se reproduire. Mais un lapin, un être humain ou une baleine ne peuvent se reproduire seuls.

En 1994, un comité de la NASA a décrit la vie comme "un système chimique autonome capable d'une évolution darwinienne". Le mot "système" peut désigner un organisme individuel, une population ou un écosystème. Cela permet de contourner le problème de la reproduction, mais à un prix : l'imprécision.

(Photo : un cercle cellule contenant un autre cercle cellule en train de se dédoubler) 

Fonctionnement du chimiotactisme. Ce modèle théorique de la forme de vie la plus simple nécessite trois mécanismes interdépendants :

a) un cycle métabolique, pour transformer la nourriture en énergie

b)  la réplication des gabarits, pour la reproduction du modèle ;

c) une membrane, pour délimiter l'organisme.

Avec ce processus en 5 phases

1 Les molécules sont absorbées de l'environnement par le métabolisme

2 Le cycle métabolique produit d'abord des éléments pour renforcer sa menbrane

3  Le cylce métabolique use des molécules pour constituer sa réplique

4  La réplique produit une substance chimique qui est un composant clé de la membrane.

5 Les parties non utilisées des molécules sont éjectée à l'extérieur de la menbrane principale

Mais Tibor Ganti avait proposé une autre voie deux décennies plus tôt.

Il était né en 1933 dans la petite ville de Vác, dans le centre de la Hongrie. Ses débuts ayant été marqués par des conflits. La Hongrie s'est alliée à l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, mais en 1945, son armée a été vaincue par l'Union soviétique. Le régime totalitaire dominera l'Eurasie orientale pendant des décennies, la Hongrie devenant un État satellite, comme la plupart des autres pays d'Europe de l'Est.

Fasciné par la nature des êtres vivants, Gánti a étudié l'ingénierie chimique avant de devenir biochimiste industriel. En 1966, il a publié un livre sur la biologie moléculaire intitulé Forradalom az Élet Kutatásában, ou Révolution dans la recherche sur la vie, qui est resté pendant des années un manuel universitaire dominant, en partie parce qu'il n'y en avait pas beaucoup d'autres. L'ouvrage posait la question de savoir si la science comprenait comment la vie était organisée et concluait que ce n'était pas le cas.

En 1971, Gánti aborda le problème de front dans un nouveau livre, Az Élet Princípiuma, ou Les principes de la vie. Publié uniquement en hongrois, ce livre contient la première version de son modèle de chimiotactisme, qui décrit ce qu'il considère comme l'unité fondamentale de la vie. Toutefois, ce premier modèle d'organisme était incomplet et il lui a fallu trois années supplémentaires pour publier ce qui est aujourd'hui considéré comme la version définitive, toujours en hongrois, dans un document qui n'est pas disponible en ligne.

L'année du miracle

Globalement, 1971 a été une année faste pour la recherche sur l'origine de la vie. Outre les travaux de Gánti, la science a proposé deux autres modèles théoriques importants.

Le premier est celui du biologiste théoricien américain Stuart Kauffman, qui soutient que les organismes vivants doivent être capables de se copier eux-mêmes. En spéculant sur la manière dont cela aurait pu fonctionner avant la formation des cellules, il s'est concentré sur les mélanges de produits chimiques.

Supposons que le produit chimique A entraîne la formation du produit chimique B, qui entraîne à son tour la formation du produit chimique C, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'un élément de la chaîne produise une nouvelle version du produit chimique A. Après un cycle, il existera deux copies de chaque ensemble de produits chimiques. Si les matières premières sont suffisantes, un autre cycle produira quatre copies et continuera de manière exponentielle.

Kauffman a appelé un tel groupe un "ensemble autocatalytique" et il a soutenu que de tels groupes de produits chimiques auraient pu constituer la base de la première vie, les ensembles devenant plus complexes jusqu'à ce qu'ils produisent et utilisent une série de molécules complexes, telles que l'ADN.

Dans la seconde idée, le chimiste allemand Manfred Eigen a décrit ce qu'il a appelé un "hypercycle", dans lequel plusieurs ensembles autocatalytiques se combinent pour en former un seul plus grand. La variante d'Eigen introduit une distinction cruciale : Dans un hypercycle, certains des produits chimiques sont des gènes et sont donc constitués d'ADN ou d'un autre acide nucléique, tandis que d'autres sont des protéines fabriquées sur mesure en fonction des informations contenues dans les gènes. Ce système pourrait évoluer en fonction des changements - mutations - dans les gènes, une fonction qui manquait au modèle de Kauffman.

Gánti était arrivé indépendamment à une notion similaire, mais il l'a poussée encore plus loin. Selon lui, deux processus clés doivent se dérouler dans chaque organisme vivant. Premièrement, il doit construire et entretenir son corps, c'est-à-dire qu'il a besoin d'un métabolisme. Deuxièmement, il doit disposer d'une sorte de système de stockage de l'information, tel qu'un ou plusieurs gènes, qui peuvent être copiés et transmis à la descendance.

La première version du modèle de Gánti consistait essentiellement en deux ensembles autocatalytiques aux fonctions distinctes qui se combinaient pour former un ensemble autocatalytique plus important, ce qui n'est pas si différent de l'hypercycle d'Eigen. Cependant, l'année suivante, Gánti a été interrogé par un journaliste qui a mis en évidence une faille importante. Gánti supposait que les deux systèmes étaient basés sur des produits chimiques flottant dans l'eau. Or, laissés à eux-mêmes, ils s'éloigneraient les uns des autres et le chimiotone "mourrait".

La seule solution était d'ajouter un troisième système : une barrière extérieure pour les contenir. Dans les cellules vivantes, cette barrière est une membrane composée de substances chimiques ressemblant à des graisses, appelées lipides. Le chimiotone devait posséder une telle barrière pour se maintenir, et Gánti en a conclu qu'il devait également être autocatalytique pour pouvoir se maintenir et croître.

Voici enfin le chimiotone complet, le concept de Gánti de l'organisme vivant le plus simple possible : gènes, métabolisme et membrane, tous liés. Le métabolisme produit des éléments de construction pour les gènes et la membrane, et les gènes exercent une influence sur la membrane. Ensemble, ils forment une unité autoreproductible : une cellule si simple qu'elle pourrait non seulement apparaître avec une relative facilité sur Terre, mais qu'elle pourrait même rendre compte de biochimies alternatives sur des mondes extraterrestres.

Un modèle oublié

"Gánti a très bien saisi la vie", déclare le biologiste synthétique Nediljko Budisa, de l'université du Manitoba à Winnipeg, au Canada. "Sa lecture a été une révélation. Cependant, Budisa n'a découvert le travail de Gánti que vers 2005. En dehors de l'Europe de l'Est, l'ouvrage est resté obscur pendant des décennies, avec seulement quelques traductions anglaises sur le marché.

Le chimiotactisme est apparu en anglais en 1987, dans un livre de poche avec une traduction assez approximative, explique James Griesemer, de l'université de Californie, à Davis. Peu de gens l'ont remarqué. Szathmáry a ensuite donné au chimiotone une place de choix dans son livre de 1995, The Major Transitions in Evolution, coécrit avec John Maynard Smith. Cela a conduit à une nouvelle traduction anglaise du livre de Gánti de 1971, avec du matériel supplémentaire, publiée en 2003. Mais le chimiotone est resté dans une niche, et six ans plus tard, Gánti est mort.

Dans une certaine mesure, Gánti n'a pas aidé son modèle à s'imposer : il était connu pour être un collègue difficile. Selon Szathmáry, Gánti était obstinément attaché à son modèle, et paranoïaque de surcroît, ce qui le rendait "impossible à travailler".

Mais le plus gros problème du modèle chimiotactique est peut-être que, dans les dernières décennies du XXe siècle, la tendance de la recherche était de supprimer la complexité de la vie au profit d'approches de plus en plus minimalistes.

Par exemple, l'une des hypothèses les plus en vogue aujourd'hui est que la vie a commencé uniquement avec l'ARN, un proche cousin de l'ADN.

Comme son parent moléculaire plus célèbre, l'ARN peut porter des gènes. Mais l'ARN peut aussi agir comme une enzyme et accélérer les réactions chimiques, ce qui a conduit de nombreux experts à affirmer que la première vie n'avait besoin que d'ARN pour démarrer. Cependant, cette hypothèse du monde de l'ARN a été repoussée, notamment parce que la science n'a pas trouvé de type d'ARN capable de se copier sans aide - pensons aux virus à ARN comme le coronavirus, qui ont besoin de cellules humaines pour se reproduire.

D'autres chercheurs ont soutenu que la vie a commencé avec des protéines et rien d'autre, ou des lipides et rien d'autre. Ces idées sont très éloignées de l'approche intégrée de Gánti.

Un véritable chimiotactisme ?

Cependant, les scientifiques de ce siècle ont inversé la tendance. Les chercheurs ont désormais tendance à mettre l'accent sur la façon dont les substances chimiques de la vie fonctionnent ensemble et sur la manière dont ces réseaux coopératifs ont pu émerger.

Depuis 2003, Jack Szostak, de la Harvard Medical School, et ses collègues ont construit des protocellules de plus en plus réalistes : des versions simples de cellules contenant une série de substances chimiques. Ces protocellules peuvent croître et se diviser, ce qui signifie qu'elles peuvent s'autoreproduire.

En 2013, Szostak et Kate Adamala, alors étudiante, ont persuadé l'ARN de se copier à l'intérieur d'une protocellule. De plus, les gènes et la membrane peuvent être couplés : lorsque l'ARN s'accumule à l'intérieur, il exerce une pression sur la membrane extérieure, ce qui encourage la protocellule à s'agrandir.

Les recherches de Szostak "ressemblent beaucoup à celles de Gánti", déclare Petra Schwille, biologiste synthétique à l'Institut Max Planck de biochimie de Martinsried, en Allemagne. Elle souligne également les travaux de Taro Toyota, de l'université de Tokyo au Japon, qui a fabriqué des lipides à l'intérieur d'une protocellule, de sorte que celle-ci puisse développer sa propre membrane.

L'un des arguments avancés contre l'idée d'un chimiotone comme première forme de vie est qu'il nécessite un grand nombre de composants chimiques, notamment des acides nucléiques, des protéines et des lipides. De nombreux experts ont estimé qu'il était peu probable que ces substances chimiques soient toutes issues des mêmes matériaux de départ au même endroit, d'où l'attrait d'idées simples comme celle du monde de l'ARN.

Mais des biochimistes ont récemment trouvé des preuves que toutes les substances chimiques clés de la vie peuvent se former à partir des mêmes matériaux de départ simples. Dans une étude publiée en septembre, des chercheurs dirigés par Sara Szymkuć, alors à l'Académie polonaise des sciences à Varsovie, ont compilé une base de données à partir de décennies d'expériences visant à fabriquer les éléments chimiques de base de la vie. En partant de six produits chimiques simples, comme l'eau et le méthane, Szymkuć a découvert qu'il était possible de fabriquer des dizaines de milliers d'ingrédients clés, y compris les composants de base des protéines et de l'ARN.

Aucune de ces expériences n'a encore permis de construire un chimiotone fonctionnel. C'est peut-être simplement parce que c'est difficile, ou parce que la formulation exacte de Gánti ne correspond pas tout à fait à la façon dont la première vie a fonctionné. Quoi qu'il en soit, le chimiotone nous permet de réfléchir à la manière dont les composants de la vie fonctionnent ensemble, ce qui oriente de plus en plus les approches actuelles visant à comprendre comment la vie est apparue.

Il est révélateur, ajoute Szathmáry, que les citations des travaux de Gánti s'accumulent rapidement. Même si les détails exacts diffèrent, les approches actuelles de l'origine de la vie sont beaucoup plus proches de ce qu'il avait à l'esprit - une approche intégrée qui ne se concentre pas sur un seul des systèmes clés de la vie.

"La vie n'est pas une protéine, la vie n'est pas un ARN, la vie n'est pas une bicouche lipidique", explique M. Griesemer. "Qu'est-ce que c'est ? C'est l'ensemble de ces éléments reliés entre eux selon la bonne organisation.


Auteur: Internet

Info: https://www.nationalgeographic.com, 14 déc. 2020, par Michael Marshall

[ origine du vivant ] [ mécanisme ] [ matérialisme ]

 

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Dauphins : cerveau, conscience et intelligence

Les scientifiques rassemblés à San Diego, Californie, à l'occasion du Congrès annuel de l'Association Américaine pour l'Avancement de la Science, en ce mois de février 2010, ont conclu que le dauphin était un mammifère aussi évolué et intelligent que l’humain. Pour confirmer leurs assertions, ils se fondent notamment sur le développement phénoménal de son lobe frontal, siège de la pensée consciente et sur sa capacité que partagent seulement les grands singes et les éléphants de se reconnaître dans un miroir.

Ils insistent aussi sur le fait que le dauphin Tursiops Truncatus, (mais que sait-on des autres cétacés, de leur langage, de leurs cultures si riches et si variées?.) dispose du plus gros cerveau du monde, après celui de l’Homme, selon la théorie du coefficient encéphalique. Méfiance : celle-ci ne tient cependant pas compte des circonvolutions du cortex, largement plus nombreuses chez le cachalot ou d'autres cétacés que chez l'Homme. A la seule aune de ce coefficient, le singe Saïmiri nous dépasserait tous !

Par ailleurs, le carburant du cerveau, c’est le glucose, et à ce niveau, Dauphins et Humains partagent un métabolisme quasiment identique. De telles capacités cognitives, selon les scientifiques de San Diego où, rappelons-le, se trouve également le principal centre de dressage des dauphins militaires aux USA – pose un grave problème éthique quant à la détention forcée en delphinarium de ces remarquables cétacés. Ce point a été évoqué.

Notons que la sur-évolution des cétacés, un espèce née trente millions d'années avant JC, alors que nous ne totalisons au compteur que 160.000 ans en tant qu'Homo Sapiens, selon les dernières données de Pascal Picq, ne se situe pas seulement au niveau de la pensée consciente.

I. L’INTELLIGENCE DES DAUPHINS EN QUESTION

A quel niveau, la barre ?

De vigoureux débats ont régulièrement lieu à propos de l’intelligence du dauphin, où se retrouvent et s’opposent globalement trois opinions : Il y a ceux qui mettent la barre très haut. Ils pensent - peut-être à raison – que les dauphins sont dotés de pouvoirs paranormaux, et transcendent de très loin toutes nos possibilités mentales. Par exemple, pour Jim Nollman, la pensée cachalot étant produite par un cerveau cinq fois plus puissant que le nôtre est forcément cinq fois plus complexe et donc inaccessible à notre compréhension.

Sur un mode nettement moins rationnel et plus égoïste, la mouvance New Age tend à considérer les dauphins comme des extraterrestres arrivant de Sirius pour apporter un message au Monde et servir aux progrès des Hommes. C’est de cette mouvance, malheureusement, qu’est issue la mode des Dolphin Assisted Therapy (DAT) et l’on peut donc craindre que ces idéologies ne servent avant tout à favoriser l’expansion de ce marché.

Il y a ceux qui mettent la barre très bas. Et ceux-là très clairement, ont reçu pour mission de justifier les captures pour les delphinariums ou les massacres des baleines. On lira ainsi avec stupéfaction certaines études réductrices qui ramènent le cerveau du cétacé aux dimensions de celui du hérisson ou tendent à prétendre que les baleines ne sont finalement que de gros "bovidés de la mer", stupides, indolentes et presque insensibles. De même, toute la galaxie de chercheurs et vétérinaires vendus à l’industrie du delphinarium déclarera d’une seule voix que l’intelligence du dauphin ne dépasse guère celle du chien.

Et il y a ceux qui tentent de faire la part des choses... Et notamment d’aborder de manière objective une série de d’études scientifiques ou d’observations de terrain convergentes. En regroupant ces recherches, en les collationnant, en les mettant en perspectives, il devient alors très difficile de croire que les cétacés puissent n’être que des "toutous marins"…

Le frein de l’anthropocentrisme

La disqualification systématique des compétences cognitives des cétacés n’est pourtant pas le fait de seuls baleiniers ou des "dolphin trainers". Certains cétologues et associations (Anne Collet, Greenpeace) adoptent cette position, affirment-ils, par souci d’objectivité. En fait, il semble surtout qu’une sorte de terreur sacrée les saisisse devant l’effondrement de l’un des derniers dogmes inexpugnables du canon scientifique : "l’Homme, mesure de toutes choses, image de Dieu sur terre, est seul doté de conscience et de langage".

"En traçant une limite stricte entre l’Homme et la Bête" ajoute Keith Thomas, "le but principal de nos théoriciens modernes était surtout de justifier la chasse, la domestication, l’ingestion de la chair d’un animal mort, la vivisection – qui devint une pratique scientifique courante dès le 19 ème siècle - et l’extermination à large échelle de la vermine et des prédateurs".

On trouve un peu partout – mais surtout dans le monde de l’édition francophone – de pitoyables gesticulations mentales visant à dénigrer, chaque fois que faire se peut, toute contestation de cette vérité première, aussi évidente que la course du soleil autour de la terre. Innombrables sont les études qui nient que la guenon Washoe, le bonobo Kanzi ou le perroquet Alex puissent parlent de vrais langages. Un article récent allait même jusqu’à contester la notion de "conscience de soi" chez l’animal non-humain et le fait que les expériences de reconnaissance face au miroir puissent avoir valeur de preuve en ce domaine.

Bref, pour beaucoup d’humanistes de la vieille école, la prééminence de l’être humain sur le plan de l’intellect est un dogme, une conviction d’ordre affectif presque désespérée, et non pas une certitude scientifique. L’anthropocentrisme qui fonde toute notre vision du monde nous rend, semble-t-il, incapable d’appréhender la possibilité d’une conscience autre, "exotique" selon le mot de H.Jerison, mais parfaitement complète, aboutie et auto-réflexive.

Pourtant, insiste Donald Griffin : "Il n’est pas plus anthropomorphique, au sens strict du terme, de postuler l’existence d’expériences mentales chez d’autres espèces animales, que de comparer leurs structures osseuses, leurs systèmes nerveux ou leurs anticorps avec ceux des humains".

TECHNOLOGIE ET INTELLIGENCE

Cerveau vaste et puissant que celui du dauphin, certes. Mais encore ? Qu’en fait-il ? C’est là l’ultime argument massue de notre dernier carré d’humanistes qui, très expressément, maintient la confusion entre Intelligence et Technologie. Or nous savons – nous ne pouvons plus nier – que d’autres types d’intelligences existent. On se reportera notamment au passionnant ouvrage de Marc Hauser "Wild Minds : what animals really think" (Allen Lane éditions, Penguin Press, London 2000) qui définit en termes clairs la notion "d’outillage mental". Même si de grands paramètres restent communs à la plupart des espèces psychiquement évoluées, dit en substance l’auteur (règle de la conservation des objets, cartes mentales pour s’orienter, capacité de numériser les choses, etc.), à chaque environnement correspond néanmoins une vision du monde, un mode de pensée propre, qui permet à l’individu de survivre au mieux.

Les écureuils sont capables de garder à l’esprit des cartes mentales d’une précision hallucinante, fondée sur des images géométriques. Les baleines chassent avec des rideaux de bulles, dont le réglage demande une grande concentration et une puissance de calcul peu commune. Les orques et les dauphins ne produisent rien, c’est vrai mais ils sont là depuis des millions d’années, ne détruisent pas leur biotope, vivent en belle harmonie, n’abandonnent pas leurs blessés, ne se font pas la guerre entre eux et dominaient tous les océans jusqu’à ce que l’Homme vienne pour les détruire. Toutes vertus généralement qualifiées de "sens moral" et qui révèlent un très haut degré de compréhension du monde.

Il en est de même pour l’être humain : technicien jusqu’au bout des doigts, champion incontesté de la manipulation d’objets et de chaînes de pensées, adepte des lignes droites, de la course et de la vitesse, il vit dans un monde à gravité forte qui le maintient au sol et lui donne de l’environnement une vision bidimensionnelle.

L’imprégnation génétique de nos modes de conscience est forte : nous avons gardé de nos ancêtres la structure sociale fission-fusion mâtinée de monogamie, la protection de nos "frontières" est toujours assurée, comme chez les autres chimpanzés, par des groupes de jeunes mâles familialement associés (frères, cousins puis soldats se battant pour la Mère Patrie), notre goût pour la science, le savoir et les découvertes n’est qu’une forme sublimée de la néophilie presque maladive que partagent tous les grands primates, et notre passion pour les jardins, les parcs, les pelouses bien dégagés et les "beaux paysages" vient de ce que ceux-ci évoquent la savane primitive, dont les grands espaces partiellement arborés nous permettaient autrefois de nous cacher aisément puis de courir sur la proie...

Mais bien sûr, l’homme est incapable de bondir de branche en branche en calculant son saut au plus juste, il est incapable de rassembler un banc de poissons diffus rien qu’en usant de sons, incapable de tuer un buffle à l’affût en ne se servant que de son corps comme arme, etc.

Ce n’est certes pas pour nous un titre de gloire que d’être les plus violents, les plus cruels, les plus astucieux, les plus carnivores, mais surtout les plus habiles et donc les plus polluants de tous les grands hominoïdes ayant jamais vécu sur cette planète, et cela du seul fait que nous n’avons pas su ou pas voulu renoncer à nos outils mentaux primordiaux ni à nos règles primitives.

Au-delà de nos chefs-d’oeuvre intellectuels – dont nous sommes les seuls à percevoir la beauté – et de nos créations architecturales si calamiteuses au niveau de l’environnement, la fureur primitive des chimpanzés est toujours bien en nous, chevillée dans nos moindres gestes et dans tous nos désirs : plus que jamais, le pouvoir et le sexe restent au centre des rêves de tous les mâles de la tribu...

De la Relativité Restreinte d’Einstein à la Bombe d’Hiroshima

Une dernière question se pose souvent à propos de l’intelligence des cétacés : représente-t-elle ou non un enjeu important dans le cadre de leur protection ?

Là encore, certaines associations s’indignent que l’on puisse faire une différence entre la tortue luth, le tamarin doré, le cachalot ou le panda. Toutes ces espèces ne sont-elles pas également menacées et leur situation dramatique ne justifie-t-elle pas une action de conservation d’intensité égale ? Ne sont-elles pas toutes des "animaux" qu’il convient de protéger ? Cette vision spéciste met une fois encore tous les animaux dans le même sac, et le primate humain dans un autre…

Par ailleurs, force est de reconnaître que l’intelligence prodigieuse des cétacés met un autre argument dans la balance : en préservant les dauphins et baleines, nous nous donnons une dernière chance d’entrer en communication avec une autre espèce intelligente. Il est de même pour les éléphants ou les grands singes mais le développement cognitif des cétacés semblent avoir atteint un tel degré que les contacts avec eux pourraient atteindre au niveau de vrais échanges culturels.

Les seuls animaux à disposer d’un outil de communication relativement similaire au nôtre c’est à dire transmis sur un mode syntaxique de nature vocale – sont en effet les cétacés. On pourrait certainement communiquer par certains signes et infra-sons avec les éléphants, par certains gestes-symboles et mimiques avec les chimpanzés libres, mais ces échanges ne fourniraient sans doute que des informations simples, du fait de notre incapacité à nous immerger complètement dans la subtilité de ces comportements non-verbaux. Tout autre serait un dialogue avec des dauphins libres qui sont, comme nous, de grands adeptes du "vocal labeling", de la désignation des choses par des sons, de l’organisation de ces sons en chaînes grammaticalement organisées et de la création de sons nouveaux pour désigner de nouveaux objets.

Cette possibilité, inouïe et jamais advenue dans l’histoire humaine, est pour nous l’un des principaux enjeux de la conservation des "peuples de la mer" véritables nations cétacéennes dont nous ne devinerons sans doute que très lentement les limites du prodigieux univers mental. Une telle révolution risque bien d’amener d’extraordinaires changements dans notre vision du monde.

Il n’est d’ailleurs pas impossible que notre pensée technologique nous rende irrémédiablement aveugle à certaines formes de réalité ou fermé à certains modes de fonctionnement de la conscience. Comme l’affirme Jim Nollman, il se peut en effet que les cachalots soient capables d’opérations mentales inaccessibles à notre compréhension.

Il se peut que leur cerveau prodigieusement développé les rende à même de percevoir, mettons, cinq ou six des onze dimensions fondamentales de l’univers (Lire à ce propos : "L’Univers élégant" de Brian Greene, Robert Laffont éditeur) plutôt que les quatre que nous percevons ? Quel aspect peut avoir l’océan et le ciel sous un regard de cette sorte ?

Si nous ne leur parlons pas, impossible à savoir.

On imagine la piètre idée qu’ont pu se faire les premiers colons anglais de ces yogis immobiles qu’ils découvraient au fond d’une grotte en train de méditer... Se doutaient-ils seulement à quoi ces vieux anachorètes pouvaient passer leur temps ? Avaient-ils la moindre idée du contenu des Upanishads ou des Shiva Sutras, la moindre idée de ce que pouvait signifier le verbe "méditer" pour ces gens et pour cette culture ?

Les baleines bleues, les cachalots, les cétacés les plus secrets des grands fonds (zyphius, mésoplodon) sont-ils, de la même manière, des sages aux pensées insondables nageant aux frontières d’autres réalités… et que nous chassons pour leur viande ?

On se souvient aussi du mépris profond que l’Occident manifestait jusqu’il y a peu aux peuples primitifs. Les Aborigènes d’Australie vivaient nus, n’avaient que peu d’outils et se contentaient de chasser. Stupides ? Eh bien non ! La surprise fut totale lorsque enfin, on pris la peine de pénétrer la complexité inouïe de leurs mythes, de leurs traditions non-écrites et de leur univers mental... notions quasi inaccessible à la compréhension cartésienne d’un homme "civilisé".

Auteur: Internet

Info: http://www.dauphinlibre.be/dauphins-cerveau-intelligence-et-conscience-exotiques

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consumérisme

La pornographie c’est ce à quoi ressemble la fin du monde
"Cinquante nuances de Grey", le livre comme le film, est une glorification du sadisme qui domine quasiment tous les aspects de la culture américaine et qui repose au coeur de la pornographie et du capitalisme mondial. Il célèbre la déshumanisation des femmes. Il se fait le champion d’un monde dépourvu de compassion, d’empathie et d’amour. Il érotise le pouvoir hypermasculin à l’origine de l’abus, de la dégradation, de l’humiliation et de la torture des femmes dont les personnalités ont été supprimées, dont le seul désir est de s’avilir au service de la luxure mâle. Le film, tout comme "American Sniper", accepte inconditionnellement un monde prédateur où le faible et le vulnérable sont les objets de l’exploitation tandis que les puissants sont des demi-dieu violents et narcissiques. Il bénit l’enfer capitaliste comme naturel et bon.

"La pornographie", écrit Robert Jensen, "c’est ce à quoi ressemble la fin du monde."

Nous sommes aveuglés par un fantasme auto-destructeur. Un éventail de divertissements et de spectacles, avec les émissions de télé "réalité", les grands évènements sportifs, les médias sociaux, le porno (qui engrange au moins le double de ce que génèrent les films hollywoodiens), les produits de luxe attirants, les drogues, l’alcool et ce Jésus magique, nous offre des issues de secours — échappatoires à la réalité — séduisantes. Nous rêvons d’être riches, puissants et célèbres. Et ceux que l’on doit écraser afin de construire nos pathétiques petits empires sont considérés comme méritants leurs sorts. Que la quasi-totalité d’entre nous n’atteindra jamais ces ambitions est emblématique de notre auto-illusionnement collectif et de l’efficacité de cette culture submergée par manipulations et mensonges.

Le porno cherche à érotiser le sadisme. Dans le porno les femmes sont payées pour répéter les mantras "Je suis une chatte. Je suis une salope. Je suis une pute. Je suis une putain. Baise moi violemment avec ta grosse bite." Elles demandent à être physiquement abusées. Le porno répond au besoin de stéréotypes racistes dégradants. Les hommes noirs sont des bêtes sexuelles puissantes harcelant les femmes blanches. Les femmes noires ont une soif de luxure brute, primitive. Les femmes latinos sont sensuelles et ont le sang chaud. Les femmes asiatiques sont des geishas dociles, sexuellement soumises. Dans le porno, les imperfections humaines n’existent pas. Les poitrines siliconées démesurées, les lèvres pulpeuses gonflées de gel, les corps sculptés par des chirurgiens plastiques, les érections médicalement assistées qui ne cessent jamais et les régions pubiennes rasées — qui correspondent à la pédophilie du porno — transforment les exécutants en morceaux de plastique. L’odeur, la transpiration, l’haleine, les battements du cœur et le toucher sont effacés tout comme la tendresse. Les femmes dans le porno sont des marchandises conditionnées. Elles sont des poupées de plaisir et des marionnettes sexuelles. Elles sont dénuées de leurs véritables émotions. Le porno n’a rien à voir avec le sexe, si on définit le sexe comme un acte mutuel entre deux partenaires, mais relève de la masturbation, une auto-excitation solitaire et privée d’intimité et d’amour. Le culte du moi — qui est l’essence du porno — est au cœur de la culture corporatiste. Le porno, comme le capitalisme mondial, c’est là où les êtres humains sont envoyés pour mourir.

Il y a quelques personnes à gauche qui saisissent l’immense danger de permettre à la pornographie de remplacer l’intimité, le sexe et l’amour. La majorité de la gauche pense que la pornographie relève de la liberté d’expression, comme s’il était inacceptable d’exploiter financièrement et d’abuser physiquement une femme dans une usine en Chine mais que le faire sur un lieu de tournage d’un film porno était acceptable, comme si la torture à Abu Ghraib — où des prisonniers furent humiliés sexuellement et abusés comme s’ils étaient dans un tournage porno — était intolérable, mais tolérable sur des sites de pornographies commerciaux.

Une nouvelle vague de féministes, qui ont trahi l’ouvrage emblématique de radicales comme Andrea Dworkin, soutiennent que le porno est une forme de libération sexuelle et d’autonomisation. Ces "féministes", qui se basent sur Michel Foucault et Judith Butler, sont les produits attardés du néolibéralisme et du postmodernisme. Le féminisme, pour eux, ne relève plus de la libération de la femme opprimée; il se définit par une poignée de femmes qui ont du succès, sont riches et puissantes — où, comme c’est le cas dans "cinquante nuances de grey", capables d’accrocher un homme puissant et riche. C’est une femme qui a écrit le livre "Cinquante nuances", ainsi que le scénario du film. Une femme a réalisé le film. Une femme dirigeante d’un studio a acheté le film. Cette collusion des femmes fait partie de l’internalisation de l’oppression et de la violence sexuelle, qui s’ancre dans le porno. Dworkin l’avait compris. Elle avait écrit que "la nouvelle pornographie est un vaste cimetière où la Gauche est allée mourir. La Gauche ne peut avoir ses prostituées et leurs politiques."

J’ai rencontré Gail Dines, l’une des radicales les plus prééminentes du pays, dans un petit café à Boston mardi. Elle est l’auteur de "Pornland: Comment le porno a détourné notre sexualité" (“Pornland: How Porn Has Hijacked Our Sexuality”) et est professeure de sociologie et d’études féminines à l’université de Wheelock. Dines, ainsi qu’une poignée d’autres, dont Jensen, dénoncent courageusement une culture aussi dépravée que la Rome de Caligula.

"L’industrie du porno a détourné la sexualité d’une culture toute entière, et dévaste toute une génération de garçons", nous avertit elle. "Et quand vous ravagez une génération de garçons, vous ravagez une génération de filles."

"Quand vous combattez le porno vous combattez le capitalisme mondial", dit-elle. "Les capitaux-risqueurs, les banques, les compagnies de carte de crédit sont tous partie intégrante de cette chaine alimentaire. C’est pourquoi vous ne voyez jamais d’histoires anti-porno. Les médias sont impliqués. Ils sont financièrement mêlés à ces compagnies. Le porno fait partie de tout ceci. Le porno nous dit que nous n’avons plus rien d’humains — limite, intégrité, désir, créativité et authenticité. Les femmes sont réduites à trois orifices et deux mains. Le porno est niché dans la destruction corporatiste de l’intimité et de l’interdépendance, et cela inclut la dépendance à la Terre. Si nous étions une société d’être humains entiers et connectés en véritables communautés, nous ne supporterions pas de regarder du porno. Nous ne supporterions pas de regarder un autre être humain se faire torturer."

"Si vous comptez accumuler la vaste majorité des biens dans une petite poignée de mains, vous devez être sûr d’avoir un bon système idéologique en place qui légitimise la souffrance économique des autres", dit elle. "Et c’est ce que fait le porno. Le porno vous dit que l’inégalité matérielle entre femmes et hommes n’est pas le résultat d’un système économique. Que cela relève de la biologie. Et les femmes, n’étant que des putes et des salopes bonnes au sexe, ne méritent pas l’égalité complète. Le porno c’est le porte-voix idéologique qui légitimise notre système matériel d’inégalités. Le porno est au patriarcat ce que les médias sont au capitalisme."

Pour garder excités les légions de mâles facilement ennuyés, les réalisateurs de porno produisent des vidéos qui sont de plus en plus violentes et avilissantes. "Extreme Associates", qui se spécialise dans les scènes réalistes de viols, ainsi que JM Productions, mettent en avant les souffrances bien réelles endurées par les femmes sur leurs plateaux. JM Productions est un pionnier des vidéos de "baise orale agressive" ou de "baise faciale" comme les séries "étouffements en série", dans lesquelles les femmes s’étouffent et vomissent souvent. Cela s’accompagne de "tournoiements", dans lesquels le mâle enfonce la tête de la femme dans les toilettes puis tire la chasse, après le sexe. La compagnie promet, "toutes les putes subissent le traitement tournoyant. Baise la, puis tire la chasse". Des pénétrations anales répétées et violentes entrainent des prolapsus anaux, une pathologie qui fait s’effondrer les parois internes du rectum de la femme et dépassent de son anus. Cela s’appelle le "rosebudding". Certaines femmes, pénétrées à de multiples reprises par nombre d’hommes lors de tournages pornos, bien souvent après avoir avalé des poignées d’analgésiques, ont besoin de chirurgie reconstructrices anales et vaginales. Les femmes peuvent être affectées par des maladies sexuellement transmissibles et des troubles de stress post-traumatique (TSPT). Et avec la démocratisation du porno — certains participants à des vidéos pornographiques sont traités comme des célébrités dans des émissions comme celles d’Oprah et d’Howard Stern — le comportement promu par le porno, dont le strip-tease, la promiscuité, le sadomasochisme et l’exhibition, deviennent chic. Le porno définit aussi les standards de beauté et de comportements de la femme. Et cela a des conséquences terribles pour les filles.

"On dit aux femmes qu’elles ont deux choix dans notre société", me dit Gail Dines. "Elles sont soit baisables soit invisibles. Être baisable signifie se conformer à la culture du porno, avoir l’air sexy, être soumise et faire ce que veut l’homme. C’est la seule façon d’être visible. Vous ne pouvez pas demander aux filles adolescentes, qui aspirent plus que tout à se faire remarquer, de choisir l’invisibilité."

Rien de tout ça, souligne Dines, n’est un accident. Le porno a émergé de la culture de la marchandise, du besoin de vendre des produits qu’ont les capitalistes corporatistes.

"Dans l’Amérique d’après la seconde guerre mondiale, vous avez l’émergence d’une classe moyenne avec un revenu disponible", explique-t-elle. "Le seul problème c’est que ce groupe est né de parents qui ont connu la dépression et la guerre. Ils ne savaient pas comment dépenser. Ils ne savaient qu’économiser. Ce dont [les capitalistes] avaient besoin pour faire démarrer l’économie c’était de gens prêts à dépenser leur argent pour des choses dont ils n’avaient pas besoin. Pour les femmes ils ont créé les séries télévisées. Une des raisons pour lesquelles les maisons style-ranch furent développées, c’était parce que [les familles] n’avaient qu’une seule télévision. La télévision était dans le salon et les femmes passaient beaucoup de temps dans la cuisine. Il fallait donc diviser la maison de façon à ce qu’elles puissent regarder la télévision depuis la cuisine. Afin qu’elle puisse être éduquée". [Via la télévision]

"Mais qui apprenait aux hommes à dépenser leur argent?" continue-t-elle. "Ce fut Playboy [Magazine]. Ce fut le génie de Hugh Hefner. Il comprit qu’il ne suffisait pas de marchandiser la sexualité, mais qu’il fallait sexualiser les marchandises. Les promesses de Playboy n’étaient pas les filles où les femmes, c’était que si vous achetez autant, si vous consommez au niveau promu par Playboy, alors vous obtenez la récompense, qui sont les femmes. L’étape cruciale à l’obtention de la récompense était la consommation de marchandises. Il a incorporé le porno, qui sexualisait et marchandisait le corps des femmes, dans le manteau de la classe moyenne. Il lui a donné un vernis de respectabilité."

Le VCR, le DVD, et plus tard, Internet ont permis au porno de s’immiscer au sein des foyers. Les images satinées de Playboy, Penthouse et Hustler devinrent fades, voire pittoresques. L’Amérique, et la majeure partie du reste du monde, se pornifia. Les revenus de l’industrie du mondiale du porno sont estimés à 96 milliards de $, le marché des USA comptant pour environ 13 milliards. Il y a, écrit Dines, "420 millions de pages porno sur internet, 4.2 millions de sites Web porno, et 68 millions de requêtes porno dans les moteurs de recherches chaque jour."

Parallèlement à la croissance de la pornographie, il y a eu explosion des violences liées au sexe, y compris des abus domestiques, des viols et des viols en réunion. Un viol est signalé toutes les 6.2 minutes aux USA, mais le total estimé, qui prend en compte les assauts non-rapportés, est peut-être 5 fois plus élevé, comme le souligne Rebecca Solnit dans son livre "Les hommes m’expliquent des choses".

"Il y a tellement d’hommes qui assassinent leurs partenaires et anciennes partenaires, nous avons bien plus de 1000 homicides de ce type chaque année — ce qui signifie que tous les trois ans le nombre total de morts est la première cause d’homicides relevés par la police, bien que personne ne déclare la guerre contre cette forme particulière de terreur", écrit Solnit.

Pendant ce temps-là, le porno est de plus en plus accessible.

"Avec un téléphone mobile vous pouvez fournir du porno aux hommes qui vivent dans les zones densément peuplées du Brésil et de l’Inde", explique Dines. "Si vous avez un seul ordinateur portable dans la famille, l’homme ne peut pas s’assoir au milieu du salon et se masturber. Avec un téléphone, le porno devient portable. L’enfant moyen regarde son porno sur son téléphone mobile".

L’ancienne industrie du porno, qui engrangeait de l’argent grâce aux films, est morte. Les éléments de la production ne génèrent plus de profits. Les distributeurs de porno engrangent la monnaie. Et un distributeur, MindGeek, une compagnie mondiale d’informatique, domine la distribution du porno. Le porno gratuit est utilisé sur internet comme appât par MindGeek pour attirer les spectateurs vers des sites de pay-per-view (paye pour voir). La plupart des utilisateurs de ces sites sont des adolescents. C’est comme, explique Dines, "distribuer des cigarettes à la sortie du collège. Vous les rendez accrocs."

"Autour des âges de 12 à 15 ans vous développez vos modèles sexuels", explique-t-elle. "Vous attrapez [les garçons] quand ils construisent leurs identités sexuelles. Vous les marquez à vie. Si vous commencez par vous masturber devant du porno cruel et violent, alors vous n’allez pas rechercher intimité et connectivité. Les études montrent que les garçons perdent de l’intérêt pour le sexe avec de véritables femmes. Ils ne peuvent maintenir des érections avec des vraies femmes. Dans le porno il n’y a pas de "faire l’amour". Il s’agit de "faire la haine". Il la méprise. Elle le dégoute et le révolte. Si vous amputez l’amour vous devez utiliser quelque chose pour remplir le trou afin de garder le tout intéressant. Ils remplissent ça par la violence, la dégradation, la cruauté et la haine. Et ça aussi ça finit par être ennuyeux. Il faut sans cesse surenchérir. Les hommes jouissent du porno lorsque les femmes sont soumises. Qui est plus soumis que les enfants? La voie du porno mène inévitablement au porno infantile. Et c’est pourquoi des organisations qui combattent le porno infantile sans combattre le porno adulte font une grave erreur."

L’abus inhérent à la pornographie n’est pas remis en question par la majorité des hommes et des femmes. Regardez les entrées du film "cinquante nuances de grey", qui est sorti la veille de la saint valentin et qui prévoit d’engranger plus de 90 millions de $ sur ce week-end de quatre jours (avec la journée du président de ce lundi).

"La pornographie a socialisé une génération d’hommes au visionnage de tortures sexuelles’, explique Dines. Vous n’êtes pas né avec cette capacité. Vous devez être conditionné pour cela. Tout comme vous conditionnez des soldats afin qu’ils tuent. Si vous voulez être violent envers un groupe, vous devez d’abord le déshumaniser. C’est une vieille méthode. Les juifs deviennent des youpins. Les noirs des nègres. Les femmes des salopes. Et personne ne change les femmes en salope mieux que le porno."

Auteur: Hedges Christopher Lynn

Info: truthdig.com, 15 février 2015

[ vingt-et-unième siècle ]

 

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évolution technologique

Intelligence artificielle ou stupidité réelle ?

Bien que le battage médiatique augmente la sensibilisation à l'IA, il facilite également certaines activités assez stupides et peut distraire les gens de la plupart des progrès réels qui sont réalisés.
Distinguer la réalité des manchettes plus dramatiques promet d'offrir des avantages importants aux investisseurs, aux entrepreneurs et aux consommateurs.

L'intelligence artificielle a acquis sa notoriété récente en grande partie grâce à des succès très médiatisés tels que la victoire d'IBM Watson à Jeopardy et celle de Google AlphaGo qui a battu le champion du monde au jeu "Go". Waymo, Tesla et d'autres ont également fait de grands progrès avec les véhicules auto-propulsés. Richard Waters a rendu compte de l'étendue des applications de l'IA dans le Financial Times : "S'il y a un message unificateur qui sous-tend la technologie grand public exposée [au Consumer Electronics Show] .... c'est : "L'IA partout."

Les succès retentissants de l'IA ont également capturé l'imagination des gens à un tel point que cela a suscité d'autres efforts d'envergure. Un exemple instructif a été documenté par Thomas H. Davenport et Rajeev Ronanki dans le Harvard Business Review. Ils écrirent, "En 2013, le MD Anderson Cancer Center a lancé un projet ""Moon shot " : diagnostiquer et recommander des plans de traitement pour certaines formes de cancer en utilisant le système cognitif Watson d'IBM". Malheureusement, ce système n'a pas fonctionné et en 2017 le projet fut mis en veilleuse après avoir coûté plus de 62 millions de dollars sans avoir été utilisé pour les patients.

Waters a également abordé un autre message, celui des attentes modérées. En ce qui concerne les "assistants personnels à commande vocale", note-t-elle, "on ne sait pas encore si la technologie est capable de remplacer le smartphone pour naviguer dans le monde numérique autrement autrement que pour écouter de la musique ou vérifier les nouvelles et la météo".

D'autres exemples de prévisions modérées abondent. Generva Allen du Baylor College of Medicine et de l'Université Rice a avertit , "Je ne ferais pas confiance à une très grande partie des découvertes actuellement faites qui utilisent des techniques de machine learning appliquées à de grands ensembles de données". Le problème, c'est que bon nombre des techniques sont conçues pour fournir des réponses précises et que la recherche comporte des incertitudes. Elle a précisé : "Parfois, il serait beaucoup plus utile qu'ils reconnaissent que certains sont vraiment consolidés, mais qu'on est pas sûr pour beaucoup d'autres".

Pire encore, dans les cas extrêmes, l'IA n'est pas seulement sous-performante ; elle n'a même pas encore été mise en œuvre. Le FT rapporte, "Quatre jeunes entreprises européennes sur dix n'utilisent aucun programme d'intelligence artificielle dans leurs produits, selon un rapport qui souligne le battage publicitaire autour de cette technologie.

Les cycles d'attentes excessives suivies de vagues de déception ne sont pas surprenants pour ceux qui ont côtoyé l'intelligence artificielle pendant un certain temps. Ils savent que ce n'est pas le premier rodéo de l'IA. En effet, une grande partie du travail conceptuel date des années 1950. D'ailleurs, en passant en revue certaines de mes notes récentes je suis tombé sur une pièce qui explorait les réseaux neuronaux dans le but de choisir des actions - datant de 1993.

La meilleure façon d'avoir une perspective sur l'IA est d'aller directement à la source et Martin Ford nous en donne l'occasion dans son livre, Architects of Intelligence. Organisé sous la forme d'une succession d'entrevues avec des chercheurs, des universitaires et des entrepreneurs de premier plan de l'industrie, le livre présente un historique utile de l'IA et met en lumière les principaux courants de pensée.

Deux perspectives importantes se dégagent de ce livre.

La première est qu'en dépit des origines et des personnalités disparates des personnes interrogées, il existe un large consensus sur des sujets importants.

L'autre est qu'un grand nombre des priorités et des préoccupations des principales recherches sur l'IA sont bien différentes de celles exprimées dans les médias grand public.

Prenons par exemple le concept d'intelligence générale artificielle (AGI). Qui est étroitement lié à la notion de "singularité" ce point où l'IA rejoindra celle de l'homme - avant un dépassement massif de cette dernière. Cette idée et d'autres ont suscité des préoccupations au sujet de l'IA, tout comme les pertes massives d'emplois, les drones tueurs et une foule d'autres manifestations alarmantes.

Les principaux chercheurs en AI ont des points de vue très différents ; ils ne sont pas du tout perturbés par l'AGI et autres alarmismes.

Geoffrey Hinton, professeur d'informatique à l'Université de Toronto et vice-président et chercheur chez Google, dit : "Si votre question est : Quand allons-nous obtenir un commandant-docteur Data (comme dans Star Trek ) je ne crois pas que ce sera comme çà que ça va se faire. Je ne pense pas qu'on aura des programmes uniques et généralistes comme ça."

Yoshua Bengio, professeur d'informatique et de recherche opérationnelle à l'Université de Montréal, nous dit qu'il y a des problèmes très difficiles et que nous sommes très loin de l'IA au niveau humain. Il ajoute : "Nous sommes tous excités parce que nous avons fait beaucoup de progrès dans cette ascension, mais en nous approchant du sommet, nous apercevons d'autres collines qui s'élèvent devant nous au fur et à mesure".

Barbara Grosz, professeur de sciences naturelles à l'Université de Harvard : "Je ne pense pas que l'AGI soit la bonne direction à prendre". Elle soutient que la poursuite de l'AGI (et la gestion de ses conséquences) sont si loin dans l'avenir qu'elles ne sont que "distraction".

Un autre fil conducteur des recherches sur l'IA est la croyance que l'IA devrait être utilisée pour améliorer le travail humain plutôt que le remplacer.

Cynthia Breazeal, directrice du groupe de robots personnels du laboratoire de médias du MIT, aborde la question : "La question est de savoir quelle est la synergie, quelle est la complémentarité, quelle est l'amélioration qui permet d'étendre nos capacités humaines en termes d'objectifs, ce qui nous permet d'avoir vraiment un plus grand impact dans le monde, avec l'IA."

Fei-Fei Li, professeur d'informatique à Stanford et scientifique en chef pour Google Cloud dit lui : "L'IA en tant que technologie a énormément de potentiel pour valoriser et améliorer le travail, sans le remplacer".

James Manyika, président du conseil et directeur du McKinsey Global Institute, fait remarquer que puisque 60 % des professions ont environ un tiers de leurs activités qui sont automatisables et que seulement environ 10 % des professions ont plus de 90 % automatisables, "beaucoup plus de professions seront complétées ou augmentées par des technologies qu'elles ne seront remplacées".

De plus, l'IA ne peut améliorer le travail humain que si elle peut travailler efficacement de concert avec lui.

Barbara Grosz fait remarquer : "J'ai dit à un moment donné que 'les systèmes d'IA sont meilleurs s'ils sont conçus en pensant aux gens'". Je recommande que nous visions à construire un système qui soit un bon partenaire d'équipe et qui fonctionne si bien avec nous que nous ne nous rendions pas compte qu'il n'est pas humain".

David Ferrucci, fondateur d'Elemental Cognition et directeur d'IA appliquée chez Bridgewater Associates, déclare : " L'avenir que nous envisageons chez Elemental Cognition repose sur une collaboration étroite et fluide entre l'intelligence humaine et la machine. "Nous pensons que c'est un partenariat de pensée." Yoshua Bengio nous rappelle cependant les défis à relever pour former un tel partenariat : "Il ne s'agit pas seulement de la précision [avec l'IA], il s'agit de comprendre le contexte humain, et les ordinateurs n'ont absolument aucun indice à ce sujet."

Il est intéressant de constater qu'il y a beaucoup de consensus sur des idées clés telles que l'AGI n'est pas un objectif particulièrement utile en ce moment, l'IA devrait être utilisée pour améliorer et non remplacer le travail et l'IA devrait fonctionner en collaboration avec des personnes. Il est également intéressant de constater que ces mêmes leçons sont confirmées par l'expérience des entreprises.

Richard Waters décrit comment les implémentations de l'intelligence artificielle en sont encore à un stade assez rudimentaire.

Éliminez les recherches qui monopolisent les gros titres (un ordinateur qui peut battre les humains au Go !) et la technologie demeure à un stade très primaire .

Mais au-delà de cette "consumérisation" de l'IT, qui a mis davantage d'outils faciles à utiliser entre les mains, la refonte des systèmes et processus internes dans une entreprise demande beaucoup de travail.

Ce gros travail prend du temps et peu d'entreprises semblent présentes sur le terrain. Ginni Rometty, responsable d'IBM, qualifie les applications de ses clients d'"actes aléatoires du numérique" et qualifie nombre de projets de "hit and miss". (ratages). Andrew Moore, responsable de l'intelligence artificielle pour les activités de Google Cloud business, la décrit comme "intelligence artificielle artisanale". Rometty explique : "Ils ont tendance à partir d'un ensemble de données isolé ou d'un cas d'utilisation - comme la rationalisation des interactions avec un groupe particulier de clients. Tout ceci n'est pas lié aux systèmes, données ou flux de travail plus profonds d'une entreprise, ce qui limite leur impact."

Bien que le cas HBR du MD Anderson Cancer Center soit un bon exemple d'un projet d'IA "au clair de lune "qui a probablement dépassé les bornes, cela fournit également une excellente indication des types de travail que l'IA peut améliorer de façon significative. En même temps que le centre essayait d'appliquer l'IA au traitement du cancer, son "groupe informatique expérimentait l'utilisation des technologies cognitives pour des tâches beaucoup moins ambitieuses, telles que faire des recommandations d'hôtels et de restaurants pour les familles des patients, déterminer quels patients avaient besoin d'aide pour payer leurs factures, et résoudre les problèmes informatiques du personnel".

Dans cette entreprise, le centre a eu de bien meilleures expériences : "Les nouveaux systèmes ont contribué à accroître la satisfaction des patients, à améliorer le rendement financier et à réduire le temps consacré à la saisie fastidieuse des données par les gestionnaires de soins de l'hôpital. De telles fonctions banales ne sont peut-être pas exactement du ressort de Terminator, mais elles sont quand même importantes.

Optimiser l'IA dans le but d'augmenter le travail en collaborant avec les humains était également le point central d'une pièce de H. James Wilson et Paul R. Daugherty "HBRpiece". Ils soulignent : "Certes, de nombreuses entreprises ont utilisé l'intelligence artificielle pour automatiser leurs processus, mais celles qui l'utilisent principalement pour déplacer leurs employés ne verront que des gains de productivité à court terme. Grâce à cette intelligence collaborative, l'homme et l'IA renforcent activement les forces complémentaires de l'autre : le leadership, le travail d'équipe, la créativité et les compétences sociales de la première, la rapidité, l'évolutivité et les capacités quantitatives de la seconde".

Wilson et Daugherty précisent : "Pour tirer pleinement parti de cette collaboration, les entreprises doivent comprendre comment les humains peuvent le plus efficacement augmenter les machines, comment les machines peuvent améliorer ce que les humains font le mieux, et comment redéfinir les processus commerciaux pour soutenir le partenariat". Cela demande beaucoup de travail et cela va bien au-delà du simple fait de balancer un système d'IA dans un environnement de travail préexistant.

Les idées des principaux chercheurs en intelligence artificielle, combinées aux réalités des applications du monde réel, offrent des implications utiles. La première est que l'IA est une arme à double tranchant : le battage médiatique peut causer des distractions et une mauvaise attribution, mais les capacités sont trop importantes pour les ignorer.

Ben Hunt discute des rôles de la propriété intellectuelle (PI) et de l'intelligence artificielle dans le secteur des investissements, et ses commentaires sont largement pertinents pour d'autres secteurs. Il note : "L'utilité de la propriété intellectuelle pour préserver le pouvoir de fixation des prix est beaucoup moins fonction de la meilleure stratégie que la PI vous aide à établir, et beaucoup plus fonction de la façon dont la propriété intellectuelle s'intègre dans le l'esprit du temps (Zeitgeist) dominant dans votre secteur.

Il poursuit en expliquant que le "POURQUOI" de votre PI doit "répondre aux attentes de vos clients quant au fonctionnement de la PI" afin de protéger votre produit. Si vous ne correspondez pas à l'esprit du temps, personne ne croira que les murs de votre château existent, même si c'est le cas". Dans le domaine de l'investissement (et bien d'autres encore), "PERSONNE ne considère plus le cerveau humain comme une propriété intellectuelle défendable. Personne." En d'autres termes, si vous n'utilisez pas l'IA, vous n'obtiendrez pas de pouvoir de fixation des prix, quels que soient les résultats réels.

Cela fait allusion à un problème encore plus grave avec l'IA : trop de gens ne sont tout simplement pas prêts à y faire face.

Daniela Rus, directrice du laboratoire d'informatique et d'intelligence artificielle (CSAIL) du MIT déclare : "Je veux être une optimiste technologique. Je tiens à dire que je vois la technologie comme quelque chose qui a le potentiel énorme d'unir les gens plutôt que les diviser, et de les autonomiser plutôt que de les désolidariser. Mais pour y parvenir, nous devons faire progresser la science et l'ingénierie afin de rendre la technologie plus performante et plus utilisable." Nous devons revoir notre façon d'éduquer les gens afin de nous assurer que tous ont les outils et les compétences nécessaires pour tirer parti de la technologie.

Yann Lecun ajoute : "Nous n'aurons pas de large diffusion de la technologie de l'IA à moins qu'une proportion importante de la population ne soit formée pour en tirer parti ".

Cynthia Breazeal répéte : "Dans une société de plus en plus alimentée par l'IA, nous avons besoin d'une société alphabétisée à l'IA."

Ce ne sont pas non plus des déclarations creuses ; il existe une vaste gamme de matériel d'apprentissage gratuit pour l'IA disponible en ligne pour encourager la participation sur le terrain.

Si la société ne rattrape pas la réalité de l'IA, il y aura des conséquences.

Brezeal note : "Les craintes des gens à propos de l'IA peuvent être manipulées parce qu'ils ne la comprennent pas."

Lecun souligne : " Il y a une concentration du pouvoir. À l'heure actuelle, la recherche sur l'IA est très publique et ouverte, mais à l'heure actuelle, elle est largement déployée par un nombre relativement restreint d'entreprises. Il faudra un certain temps avant que ce ne soit utilisé par une plus grande partie de l'économie et c'est une redistribution des cartes du pouvoir."

Hinton souligne une autre conséquence : "Le problème se situe au niveau des systèmes sociaux et la question de savoir si nous allons avoir un système social qui partage équitablement... Tout cela n'a rien à voir avec la technologie".

À bien des égards, l'IA est donc un signal d'alarme. En raison de l'interrelation unique de l'IA avec l'humanité, l'IA a tendance à faire ressortir ses meilleurs et ses pires éléments. Certes, des progrès considérables sont réalisés sur le plan technologique, ce qui promet de fournir des outils toujours plus puissants pour résoudre des problèmes difficiles. Cependant, ces promesses sont également limitées par la capacité des gens, et de la société dans son ensemble, d'adopter les outils d'IA et de les déployer de manière efficace.

Des preuves récentes suggèrent que nous avons du pain sur la planche pour nous préparer à une société améliorée par l'IA. Dans un cas rapporté par le FT, UBS a créé des "algorithmes de recommandation" (tels que ceux utilisés par Netflix pour les films) afin de proposer des transactions pour ses clients. Bien que la technologie existe, il est difficile de comprendre en quoi cette application est utile à la société, même de loin.

Dans un autre cas, Richard Waters nous rappelle : "Cela fait presque dix ans, par exemple, que Google a fait trembler le monde de l'automobile avec son premier prototype de voiture autopropulsée". Il continue : "La première vague de la technologie des voitures sans conducteur est presque prête à faire son entrée sur le marché, mais certains constructeurs automobiles et sociétés de technologie ne semblent plus aussi désireux de faire le grand saut. Bref, ils sont menacés parce que la technologie actuelle est à "un niveau d'autonomie qui fait peur aux constructeurs automobiles, mais qui fait aussi peur aux législateurs et aux régulateurs".

En résumé, que vous soyez investisseur, homme d'affaires, employé ou consommateur, l'IA a le potentiel de rendre les choses bien meilleures - et bien pires. Afin de tirer le meilleur parti de cette opportunité, un effort actif axé sur l'éducation est un excellent point de départ. Pour que les promesses d'AI se concrétisent, il faudra aussi déployer beaucoup d'efforts pour mettre en place des infrastructures de systèmes et cartographier les forces complémentaires. En d'autres termes, il est préférable de considérer l'IA comme un long voyage plutôt que comme une destination à court terme.

Auteur: Internet

Info: Zero Hedge, Ven, 03/15/2019 - 21:10

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Gaule 2023

Marianne : Comment avez-vous perçu le mouvement social de contestation à la réforme des retraites ?

E.T. :
 Je suis allé en manifestation. Du mouvement de contestation, j'ai constaté la masse, l’énergie, la jeunesse. Je tiens à dire ce que je pense de la responsabilité des uns et des autres concernant le désordre actuel, tout d'abord. Pour moi – je dis bien pour moi – mais ça sera aux juristes de trancher, il est clair qu'en faisant passer une réforme des retraites en loi de finances rectificative et par l'article 49.3, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne sont sortis de la Constitution, du moins de l'esprit de la Constitution. Ce sera au Conseil constitutionnel de le dire. Mais il n'est pas certain que j'accepte l'avis du Conseil constitutionnel, s’il valide Macron-Borne.

J'ai vu les commentaires, le soir, sur BFM TV, LCI et d'autres, où l’on parlait de feux de poubelle. Pour moi, 100 % de la responsabilité de ces feux de poubelle incombe au président de la République française et la question de savoir si ce sont plus les black blocks ou les manifestants qui les ont allumés ne m'intéresse pas.

Pourquoi Emmanuel Macron entretiendrait-il ce désordre ?

Ce qui m'étonne le plus, moi, c'est que c'est un désordre qui ne sert à rien. En général, quand on gouverne par le désordre pour faire se lever le parti de l’ordre, c’est qu’on veut consolider un pouvoir fragile, ou bien pour reprendre le pouvoir. Mais Macron avait le pouvoir. La vérité de ce projet de réforme des retraites, en dehors du fait qu’il est injuste et incohérent, c’est qu’il est insignifiant et inutile par rapport aux problèmes réels de la société française.

Il y en a deux : la désindustrialisation et la chute du niveau de vie, liée à l’inflation. La question qui se pose et ce qu’il faut analyser vraiment, c’est la raison de cette mise en désordre de la France par son président, pour rien. Était-ce pour mener à bien un projet néolibéral, appelé "réformateur" ? Ou est-ce que c’est un problème lié à la personnalité de Macron lui-même ?

Commençons par l’hypothèse d’une réforme pensée comme juste par Macron. Vous la jugez néolibérale ?

La réalité du monde occidental, qui entre en guerre, c’est que le néolibéralisme, en tant qu’idéologie économiste active transformant la planète, est en train de mourir parce que ses effets ultimes se révèlent. La mortalité augmente aux États-Unis, et donc, logiquement, l’espérance de vie baisse. Les États-Unis ont perdu leur base industrielle, comme l’Angleterre. Le contexte historique général en ce moment, dans le monde américain, est plutôt aux réflexions sur le retour de l’État entrepreneur.

Macron avait pourtant engagé un tournant néo-protectionniste avec le Covid…

Non ! Je pense que Macron est néolibéral archaïque, et donc en grand état de déficit cognitif. Quand il parle de protectionnisme, il n’est même pas capable de dire s’il s’agit de protectionnisme national ou européen. Mais si tu ne fixes pas d’échelle, tu ne parles de rien. Quand il parle de réindustrialisation, il n’est pas capable de voir que la réindustrialisation implique deux actions simultanées. D’abord, l’investissement direct de l’État dans l’économie. C’est ça qui serait important actuellement, pas la réforme des retraites. Et puis des mesures de protection des secteurs qu’on refonde, par exemple dans les médicaments, dans la fabrication de tel ou tel bien essentiel à la sécurité informatique, alimentaire et énergétique de la France.

C’est d’ailleurs l’une des choses stupéfiantes dans ce débat sur les retraites : les politiques légifèrent – croient-ils – sur des perspectives à long terme d’équilibre. Ils spéculent sur des années de travail qui vont couvrir des décennies pour la plupart des gens, sans se poser la question de ce qui restera, non pas comme argent, comme signes monétaires, mais comme bien réels produits pour servir ces retraites en 2050 ou 2070.

Les retraites sont menacées, c’est vrai, mais par la désindustrialisation. Quel que soit le système comptable, si la France ne produit plus rien le niveau des retraites réelles de tout le monde va baisser. En dehors du fait qu'il a déjà commencé à baisser avec l'inflation.

Notre élite économique fait, selon vous, une fois de plus fausse route.

Notre président et les gens autour de lui, une sorte de pseudo-intelligentsia economico-politique, sont hors du monde. À une époque, on savait que pour faire la guerre, il fallait des biens industriels, des ingénieurs, des ouvriers. On redécouvre aujourd’hui à Washington et à Londres que tout ça n’existe plus assez ! Les faucons néoconservateurs croyaient qu’on pouvait faire la guerre à la Russie avec des soldats ukrainiens et à la Chine en prime, grâce au travail d’ouvriers… chinois ! La réalité du néolibéralisme, c'est qu’il a tout détruit au cœur même de son Empire. Le vrai nom du néolibéralisme, c'est "nihilisme économique". Je me souviens de phrases prophétiques de Margaret Thatcher disant "There is no such thing as society ", ou "There is no alternative" (TINA). Ces idioties ne sortent pas du libéralisme britannique, de John Locke ou d'Adam Smith, mais bien plutôt du nihilisme russe du XIXe siècle.

Cette réforme des retraites à contretemps est guidée par un phénomène d'inertie, au nom d’une idéologie qui est en train de mourir. Le discours néolibéral est un discours de la rationalité économique, un discours de la rationalité des marchés qui va permettre de produire, en théorie, plus d'efficacité. Je vais vous dire l’état de mes recherches sur le nihilisme néolibéral : cette passion de détruire les cadres de sécurité établis au cours des siècles par les religions, les États et les partis de gauche. Le nihilisme néolibéral détruit la fécondité du monde avancé, la possibilité même d’un futur. Et vous allez être fier de cette France dont les néolibéraux rient.

Vous faites partie de ceux qui voient dans les indices de fécondité l'avenir de l'Occident…

La vérité historique fondamentale actuelle, c’est que la rationalité individualiste pure détruit la capacité des populations à se reproduire et des sociétés à survivre. Pour faire des enfants, particulièrement dans les classes moyennes qui veulent pour eux des études longues, il faut l’aide de la collectivité, il faut se projeter dans un avenir qui ne peut apparaître suffisamment sûr que grâce à l’État. Il faut donc sortir de la rationalité économique à court terme. Sans oublier que décider d’avoir un enfant, ce n’est être ni rationnel, ni parfois même raisonnable, mais vivant. Je sais qu'il y a des gens qui s'inquiètent de l'augmentation de la population mondiale, mais moi, je suis inquiet de la sous-fécondité de toutes les régions "avancées". Même les États-Unis, même l'Angleterre, sont tombés à 1,6 enfant par femme. L’Allemagne est à 1,5, le Japon est à 1,3. La Corée, chouchou des majorettes intellectuelles du succès économique, le pays de Samsung et d'une globalisation économique assumée, est à 0,8. … Le plus efficace économiquement est le plus suicidaire.

C'est là que la France redevient vraiment intéressante. Elle a deux caractéristiques. C'est d’abord le pays qui fait le moins bien ses "réformes", qui refuse le plus le discours de la rationalité économique. Dont l'État n'est jamais dégrossi comme le rêvent les idéologues du marché. Mais c'est aussi le seul pays avancé qui garde une fécondité de 1,8. C'est le pays qui, en ne voulant pas toutes ces réformes, a refusé la destruction de certaines des structures de protection des individus et des familles qui permettent aux gens de se projeter dans le futur et d'avoir des enfants. Une retraite jeune, ce sont aussi des grands-pères et des grands-mères utilisables pour des gardes d’enfants ! Désolé d’apparaître en être humain plutôt qu’en économiste ! La grandeur de la France, c'est son refus de la rationalité économique, son refus de la réforme. Ce qui fait de la France un pays génial, c'est son irrationalité économique. On saura si Macron a réussi s'il arrive à faire baisser la natalité française au niveau anglo-américain, au-delà de son cas personnel de non-reproduction.

Comment ce dernier peut-il alors imposer une telle réforme si c'est contre l'intérêt du pays ?

Pourquoi un président de la République en si grand état de déficit cognitif peut-il imposer cette réforme injuste, inutile et incohérente par un coup de force institutionnel ou même un coup d’État ? Parce qu’il agit dans un système sociopolitique détraqué que je qualifierais même de pathologique. Il y avait une organisation de la République qui reposait sur une opposition de la droite et de la gauche, permise par un mode de scrutin adapté : le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Il faisait qu’au premier tour, on choisissait son parti de droite préféré, son parti de gauche préféré. Au deuxième tour, les deux camps se regroupaient et on avait une très belle élection.

Tout a été dévasté par la nouvelle stratification éducative de la France. La montée de l’éducation supérieure a produit une première division en deux de la société entre les gens qui ont fait des études et ceux qui n’en ont pas fait. C’est le modèle qui s’impose partout dans le monde développé. Mais il y a une autre dimension qui, il faut l’avouer, n’a pas grand-chose à voir : le vieillissement de la population et l’apparition d’une masse électorale âgée, qui établissent un troisième pôle, les vieux, dont je suis. Cette société stratifiée et vieillie a accouché de trois pôles politiques qui structurent le système. Je simplifie jusqu’à la caricature : 1) les éduqués supérieurs mal payés, plutôt jeunes ou actifs, se sont dirigés vers Mélenchon ou la Nupes ; 2) les moins éduqués mal payés, plutôt jeunes et actifs, vers le RN ; 3) les vieux, derrière Macron.

Ils sont les seuls à soutenir la réforme des retraites, d’ailleurs…

Ce système est dysfonctionnel, "détraqué", à cause de l’opposition viscérale entre les électorats contestataires de gauche et de droite, Nupes et RN. Ces deux électorats ont en commun leur niveau de vie, leur structure d’âge, mais sont séparés par l’éducation et par la question de la nation et de l’immigration. Cette fracture conduit à une incapacité des uns et des autres à se considérer comme mutuellement légitimes. Leur opposition permet à Macron et aux vieux de régner. Les retraités peuvent donc imposer une réforme des retraites qui ne les touche pas. Le problème, c’est qu’une démocratie ne peut fonctionner que si les gens opposés se considèrent comme certes différents, mais mutuellement légitimes.

La France vire-t-elle à la gérontocratie ?

On a enfermé les jeunes pour sauver les gens de ma génération. Comment la démocratie est-elle possible avec un corps électoral qui vieillit sans cesse ? Mais dénoncer un système gérontocratique ne suffit pas, d’un point de vue anthropologique en tout cas. Ce qu’il faut dénoncer, c’est une société qui ne peut survivre. Une société humaine ne peut pas se projeter dans l’avenir si on part du principe que les ressources doivent remonter vers les vieux plutôt que descendre vers les jeunes.

La question institutionnelle fondamentale, ce n’est pas tant le pouvoir disproportionné du président dans la conception de la Ve République, mais un système électoral inadapté dans un contexte où les deux forces d’opposition refusent d’exister l’une pour l’autre. Il y a deux solutions : la première est le passage au mode de scrutin proportionnel. Mais cela ne se produira pas car la gérontocratie en place a trop intérêt à ce que le système dysfonctionne. L’autre solution, c’est de trouver une voie politique qui permette le sauvetage de la démocratie : je propose un contrat à durée limitée réconciliant les électorats du Rassemblement national et de la Nupes pour établir le scrutin proportionnel.

Mais comment les réconcilier ?

Je considère vraiment que ce qui se passe est inquiétant. J’ai un peu de mal à imaginer que cela ne se termine pas mal. Il y a un élément d’urgence, et la simple menace de désistement implicite ou explicite entre les deux forces d’opposition calmerait beaucoup le jeu. Il ferait tomber le sentiment d’impunité de la bureaucratie qui nous gouverne.

Le problème fondamental n’est pas un problème entre appareils. Le problème fondamental est un problème de rejet pluriel. 1) L’électorat du Rassemblement national est installé dans son rejet de l’immigration, un concept qui mélange l’immigration réelle qui passe aujourd’hui la frontière et la descendance de l’immigration ancienne, les gosses d’origine maghrébine qui sont maintenant une fraction substantielle de la population française. 2) L’électorat de LFI et de la Nupes croit seulement exprimer un refus du racisme du RN mais il exprime aussi, à l’insu de son plein gré, un rejet culturel de l’électorat du RN. Il vit un désir à la Bourdieu de distinction. Simplifions, soyons brutal, il s’agit de sauver la République : il y a d’un côté une xénophobie ethnique et de l’autre une xénophobie sociale.

J’ai un peu de mal à imaginer que le sauvetage à court terme de la démocratie par l’établissement de la proportionnelle, via un accord à durée limitée entre Nupes et RN, puisse se passer d’un minimum de négociation sur la question du rapport à l’étranger. La seule négociation possible, la seule chose raisonnable d’ailleurs du point de vue de l’avenir du pays, c’est que les électeurs de la Nupes admettent que le contrôle des frontières est absolument légitime et que les gens du Rassemblement national admettent que les gens d’origine maghrébine en France sont des Français comme les autres. Sur cette base, à la fois très précise et qui admet du flou, on peut s’entendre.

Le contexte actuel reproduit-il celui de l’époque des Gilets jaunes ?

"La police tape pour Macron, mais vote pour Le Pen", disais-je en 2018 au moment des Gilets jaunes… Je m’inquiétais de la possibilité d’une collusion entre les forces de ce que j’appelais à l’époque l’aristocratie stato-financière et l’autoritarisme implicitement associé à la notion d’extrême droite. J’avançais le concept de macrolepénisme. Le Rassemblement national aujourd’hui est confronté à une ambivalence qu’il doit lever. Le contexte actuel reproduit le contexte de l’époque des Gilets jaunes, en effet : d’un côté le Rassemblement national passe des motions de censure contre la politique gouvernementale sur les retraites (et je trouve tout à fait immoral que LFI refuse de voter les motions du Rassemblement national sur ces questions), mais, d’un autre côté, c’est, comme d’habitude, la police qui cogne sur les manifestants, qui est utilisée par Macron, qui continue de voter à plus de 50 % pour le Rassemblement national ! J’ajoute que le choix par Marine Le Pen de l’opposition à la grève des éboueurs n’est pas de bon augure.

Le Rassemblement national ne peut pas rester dans cette ambiguïté : il suffirait d’un petit mot de modération de Marine Le Pen pour que le comportement de la police change. Ce que je dis est grave : en mode démocratique normal, une police doit obéir au ministre de l’Intérieur. Mais je ne vois pas pourquoi une police appliquerait aveuglément les consignes de violence d’un président qui est sorti de la Constitution. Nous avons besoin d’une réflexion approfondie des juristes. Il s’agit de protéger les institutions dans un contexte extrêmement bizarre. Le conflit entre jeunes manifestants et jeunes policiers nous ramène d’ailleurs à la question du rejet mutuel Nupes/RN. L’hostilité qu’encourage le gouvernement entre la police et les jeunes manifestants est une menace pour l’équilibre du pays. On ne peut pas vivre dans un pays avec deux jeunesses qui se tapent dessus. Il y a dans le style policier violent Macron-Borne-Darmanin quelque chose de pensé et de pervers.

Vous dites que la première raison de l’obstination du gouvernement pourrait venir de l’esprit de Macron directement…

J’ai parlé de système électoral, j’ai parlé de néolibéralisme. J’ai parlé du déficit cognitif néolibéral de Macron. Une autre chose doit être évoquée, non systémique, accidentelle, dont je n’aime pas parler mais dont on doit parler : une autre raison de la préférence de Macron pour le désordre et la violence est sans doute un problème de personnalité, un problème psychologique grave. Son rapport au réel n’est pas clair. On lui reproche de mépriser les gens ordinaires. Je le soupçonne de haïr les gens normaux. Son rapport à son enfance n’est pas clair. Parfois, il me fait penser à ces enfants excités qui cherchent la limite, qui attendent d’un adulte qu’il les arrête. Ce qui serait bien, ce serait que le peuple français devienne adulte et arrête l’enfant Macron.

La situation est extrêmement dangereuse parce que nous avons peut-être un président hors contrôle dans un système sociopolitique qui est devenu pathologique. Au-delà de toutes les théories, sophistiquées ou non, j’en appelle à tous les gens pacifiques, moraux et raisonnables, quel que soit leur niveau éducatif, leur richesse, leur âge, à tous les députés quel que soit leur parti, Renaissance compris, j’en appelle au Medef, aux pauvres, aux inspecteurs des finances, aux vieillards et aux oligarques de bonne volonté, pour qu’ils se donnent la main et remettent ce président sous contrôle. La France vaut mieux que ce bordel. 



 

Auteur: Todd Emmanuel

Info: Marianne.net, 5 mars 2023, Interview Par Etienne Campion

 

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consumérisme

Comment réguler l’exploitation de notre attention ? Dans Les marchands d’attention (The Attention Merchants, 2017, Atlantic Books, non traduit), le professeur de droit, spécialiste des réseaux et de la régulation des médias, Tim Wu (@superwuster), 10 ans après avoir raconté l’histoire des télécommunications et du développement d’internet dans The Master Switch (où il expliquait la tendance de l’industrie à créer des empires et le risque des industries de la technologie à aller dans le même sens), raconte, sur 400 pages, l’histoire de l’industrialisation des médias américains et de la publicité de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. En passant d’une innovation médiatique l’autre, des journaux à la radio, de la télé à l’internet, Wu tisse une très informée histoire du rapport de l’exploitation commerciale de l’information et du divertissement. Une histoire de l’industrialisation des médias américains qui se concentre beaucoup sur leurs innovations et leurs modèles d’affaires, c’est-à-dire qui s’attarde à montrer comment notre attention a été convertie en revenus, comment nous avons été progressivement cédés à la logique du commerce – sans qu’on n’y trouve beaucoup à redire d’ailleurs.

"La compétition pour notre attention n’a jamais cherché à nous élever, au contraire."

Tout le long de cette histoire, Tim Wu insiste particulièrement sur le fait que la capture attentionnelle produite par les médias s’est faite par-devers nous. La question attentionnelle est souvent présentée comme le résultat d’une négociation entre l’utilisateur, le spectateur, et le service ou média qu’il utilise… mais aucun d’entre nous n’a jamais consenti à la capture attentionnelle, à l’extraction de son attention. Il souligne notamment que celle-ci est plus revendue par les médias aux annonceurs, qu’utilisée par les médias eux-mêmes. Il insiste également à montrer que cette exploitation vise rarement à nous aider à être en contrôle, au contraire. Elle ne nous a jamais apporté rien d’autre que toujours plus de contenus insignifiants. Des premiers journaux à 1 cent au spam publicitaire, l’exploitation attentionnelle a toujours visé nos plus vils instincts. Elle n’a pas cherché à nous élever, à nous aider à grandir, à développer nos connaissances, à créer du bien commun, qu’à activer nos réactions les plus instinctives. Notre exploitation commerciale est allée de pair avec l’évolution des contenus. Les journaux qui ont adopté le modèle publicitaire, ont également inventé des rubriques qui n’existaient pas pour mieux les servir : comme les faits divers, les comptes-rendus de procès, les récits de crimes… La compétition pour notre attention dégrade toujours les contenus, rappelle Tim Wu. Elle nous tourne vers "le plus tapageur, le plus sinistre, le plus choquant, nous propose toujours l’alternative la plus scandaleuse ou extravagante". Si la publicité a incontestablement contribué à développer l’économie américaine, Wu rappelle qu’elle n’a jamais cherché à présenter une information objective, mais plutôt à déformer nos mécanismes de choix, par tous les moyens possibles, même par le mensonge. L’exploitation attentionnelle est par nature une course contre l’éthique. Elle est et demeure avant tout une forme d’exploitation. Une traite, comme disait le spécialiste du sujet Yves Citton, en usant volontairement de ce vocabulaire marqué au fer.

Wu souligne que l’industrie des contenus a plus été complice de cette exploitation qu’autre chose. La presse par exemple, n’a pas tant cherché à contenir ou réguler la publicité et les revenus qu’elle générait, qu’à y répondre, qu’à évoluer avec elle, notamment en faisant évoluer ses contenus pour mieux fournir la publicité. Les fournisseurs de contenus, les publicitaires, aidés des premiers spécialistes des études comportementales, ont été les courtiers et les ingénieurs de l’économie de l’attention. Ils ont transformé l’approche intuitive et improvisée des premières publicités en machines industrielles pour capturer massivement l’attention. Wu rappelle par exemple que les dentifrices, qui n’existaient pas vraiment avant les années 20, vont prendre leur essor non pas du fait de la demande, mais bien du fait de l’offensive publicitaire, qui s’est attaquée aux angoisses inconscientes des contemporains. Plus encore que des ingénieurs de la demande, ces acteurs ont été des fabricants de comportements, de moeurs…

L’histoire de l’exploitation de notre attention souligne qu’elle est sans fin, que "les industries qui l’exploitent, contrairement aux organismes, n’ont pas de limite à leur propre croissance". Nous disposons de très peu de modalités pour limiter l’extension et la croissance de la manipulation attentionnelle. Ce n’est pas pour autant que les usagers ne se sont pas régulièrement révoltés, contre leur exploitation. "La seule dynamique récurrente qui a façonné la course des industries de l’attention a été la révolte". De l’opposition aux premiers panneaux publicitaires déposés en pleine ville au rejet de services web qui capturent trop nos données ou exploitent trop notre attention, la révolte des utilisateurs semble avoir toujours réussi à imposer des formes de régulations. Mais l’industrie de l’exploitation attentionnelle a toujours répondu à ces révoltes, s’adaptant, évoluant au gré des rejets pour proposer toujours de nouvelles formes de contenus et d’exploitation. Parmi les outils dont nous nous sommes dotés pour réguler le développement de l’économie de l’attention, Wu évoque trop rapidement le travail des associations de consommateurs (via par exemple le test de produits ou les plaintes collectives…) ou celui des régulateurs définissant des limites au discours publicitaire (à l’image de la création de la Commission fédérale du commerce américaine et notamment du bureau de la protection des consommateurs, créée pour réguler les excès des annonceurs, que ce soit en améliorant l’étiquetage des produits ou en interdisant les publicités mensongères comme celles, nombreuses, ventant des produits capables de guérir des maladies). Quant à la concentration et aux monopoles, ils ont également toujours été surveillés et régulés, que ce soit par la création de services publics ou en forçant les empires des médias à la fragmentation.

L’attention, un phénomène d’assimilation commercial et culturel L’invention du prime time à la radio puis à la télé a été à la fois une invention commerciale et culturelle, fusionnant le contenu au contenant, l’information/divertissement et la publicité en inventant un rituel d’attention collective massive. Il n’a pas servi qu’à générer une exposition publicitaire inédite, il a créé un phénomène social, une conscience et une identité partagée, tout en rendant la question de l’exposition publicitaire normale et sociale.

Dans la succession des techniques qu’ont inventés les médias de masse pour mobiliser et orienter les foules que décrit Tim Wu, on constate qu’une sorte de cycle semble se reproduire. Les nouvelles technologies et les nouveaux formats rencontrent des succès très rapides. Puis, le succès rencontre des résistances et les audiences se délitent vers de nouvelles techniques ou de nouveaux formats proposés par des concurrents. On a l’impression d’être dans une course poursuite où chaque décennie pourrait être représentée par le succès d’un support phare à l’image des 28 courts chapitres qui scandent le livre. L’essor de la télévision par exemple est fulgurant : entre 1950 et 1956 on passe de 9% à 72% des maisons équipées et à la fin des années 50, on l’a regarde déjà 5 heures par jour en moyenne. Les effets de concentration semblent très rapides… et dès que la fatigue culturelle pointe, que la nouveauté s’émousse, une nouvelle vague de propositions se développe à la fois par de nouveaux formats, de nouvelles modalités de contrôle et de nouveaux objets attentionnels qui poussent plus loin l’exploitation commerciale des publics. Patiemment, Wu rappelle la très longue histoire des nouveaux formats de contenus : la naissance des jeux, des journaux télé, des soirées spéciales, du sport, des feuilletons et séries, de la télé-réalité aux réseaux sociaux… Chacun ayant généré une nouvelle intrication avec la publicité, comme l’invention des coupures publicitaires à la radio et à la télé, qui nécessitaient de réinventer les contenus, notamment en faisant monter l’intrigue pour que les gens restent accrochés. Face aux outils de révolte, comme l’invention de la télécommande ou du magnétoscope, outils de reprise du contrôle par le consommateur, les industries vont répondre par la télévision par abonnement, sans publicité. Elles vont aussi inventer un montage plus rapide qui ne va cesser de s’accélérer avec le temps.

Pour Wu, toute rébellion attentionnelle est sans cesse assimilée. Même la révolte contre la communication de masse, d’intellectuels comme Timothy Leary ou Herbert Marcuse, sera finalement récupérée.

De l’audience au ciblage

La mesure de l’audience a toujours été un enjeu industriel des marchands d’attention. Notamment avec l’invention des premiers outils de mesure de l’audimat permettant d’agréger l’audience en volumes. Wu prend le temps d’évoquer le développement de la personnalisation publicitaire, avec la socio-géo-démographie mise au point par la firme Claritas à la fin des années 70. Claritas Prizm, premier outil de segmentation de la clientèle, va permettre d’identifier différents profils de population pour leur adresser des messages ciblés. Utilisée avec succès pour l’introduction du Diet Coke en 1982, la segmentation publicitaire a montré que la nation américaine était une mosaïque de goûts et de sensibilités qu’il fallait adresser différemment. Elle apporte à l’industrie de la publicité un nouvel horizon de consommateurs, préfigurant un ciblage de plus en plus fin, que la personnalisation de la publicité en ligne va prolonger toujours plus avant. La découverte des segments va aller de pair avec la différenciation des audiences et la naissance, dans les années 80, des chaînes câblées qui cherchent à exploiter des populations différentes (MTV pour la musique, ESPN pour le sport, les chaînes d’info en continu…). L’industrie du divertissement et de la publicité va s’engouffrer dans l’exploitation de la fragmentation de l’audience que le web tentera de pousser encore plus loin.

Wu rappelle que la technologie s’adapte à ses époques : "La technologie incarne toujours l’idéologie, et l’idéologie en question était celle de la différence, de la reconnaissance et de l’individualité". D’un coup le spectateur devait avoir plus de choix, plus de souveraineté… Le visionnage lui-même changeait, plus inattentif et dispersé. La profusion de chaînes et le développement de la télécommande se sont accompagnés d’autres modalités de choix comme les outils d’enregistrements. La publicité devenait réellement évitable. D’où le fait qu’elle ait donc changé, devenant plus engageante, cherchant à devenir quelque chose que les gens voudraient regarder. Mais dans le même temps, la télécommande était aussi un moyen d’être plus branché sur la manière dont nous n’agissons pas rationnellement, d’être plus distraitement attentif encore, à des choses toujours plus simples. "Les technologies conçues pour accroître notre contrôle sur notre attention ont parfois un effet opposé", prévient Wu. "Elles nous ouvrent à un flux de sélections instinctives et de petites récompenses"… En fait, malgré les plaintes du monde de la publicité contre la possibilité de zapper, l’état d’errance distrait des spectateurs n’était pas vraiment mauvais pour les marchands d’attention. Dans l’abondance de choix, dans un système de choix sans friction, nous avons peut-être plus perdu d’attention qu’autre chose.

L’internet a démultiplié encore, par de nouvelles pratiques et de nouveaux médiums, ces questions attentionnelles. L’e-mail et sa consultation sont rapidement devenus une nouvelle habitude, un rituel attentionnel aussi important que le prime time. Le jeu vidéo dès ses débuts a capturé toujours plus avant les esprits.

"En fin de compte, cela suggère aussi à quel point la conquête de l’attention humaine a été incomplète entre les années 1910 et les années 60, même après l’entrée de la télévision à la maison. En effet, même s’il avait enfreint la sphère privée, le domaine de l’interpersonnel demeurait inviolable. Rétrospectivement, c’était un territoire vierge pour les marchands d’attention, même si avant l’introduction de l’ordinateur domestique, on ne pouvait pas concevoir comment cette attention pourrait être commercialisée. Certes, personne n’avait jamais envisagé la possibilité de faire de la publicité par téléphone avant même de passer un appel – non pas que le téléphone ait besoin d’un modèle commercial. Ainsi, comme AOL qui a finalement opté pour la revente de l’attention de ses abonnés, le modèle commercial du marchand d’attention a été remplacé par l’un des derniers espaces considérés comme sacrés : nos relations personnelles." Le grand fournisseur d’accès des débuts de l’internet, AOL, a développé l’accès aux données de ses utilisateurs et a permis de développer des techniques de publicité dans les emails par exemple, vendant également les mails de ses utilisateurs à des entreprises et leurs téléphones à des entreprises de télémarketing. Tout en présentant cela comme des "avantages" réservés à ses abonnés ! FB n’a rien inventé ! "

La particularité de la modernité repose sur l’idée de construire une industrie basée sur la demande à ressentir une certaine communion". Les célébrités sont à leur tour devenues des marchands d’attention, revendant les audiences qu’elles attiraient, à l’image d’Oprah Winfrey… tout en transformant la consommation des produits qu’elle proposait en méthode d’auto-récompense pour les consommateurs.

L’infomercial a toujours été là, souligne Wu. La frontière entre divertissement, information et publicité a toujours été floue. La télé-réalité, la dernière grande invention de format (qui va bientôt avoir 30 ans !) promettant justement l’attention ultime : celle de devenir soi-même star.

Le constat de Wu est amer. "Le web, en 2015, a été complètement envahi par la malbouffe commerciale, dont une grande partie visait les pulsions humaines les plus fondamentales du voyeurisme et de l’excitation." L’automatisation de la publicité est le Graal : celui d’emplacements parfaitement adaptés aux besoins, comme un valet de chambre prévenant. "Tout en promettant d’être utile ou réfléchi, ce qui a été livré relevait plutôt de l’intrusif et pire encore." La télévision – la boîte stupide -, qui nous semblait si attentionnellement accablante, paraît presque aujourd’hui vertueuse par rapport aux boucles attentionnelles sans fin que produisent le web et le mobile.

Dans cette histoire, Wu montre que nous n’avons cessé de nous adapter à cette capture attentionnelle, même si elle n’a cessé de se faire à notre détriment. Les révoltes sont régulières et nécessaires. Elles permettent de limiter et réguler l’activité commerciale autour de nos capacités cognitives. Mais saurons-nous délimiter des frontières claires pour préserver ce que nous estimons comme sacré, notre autonomie cognitive ? La montée de l’internet des objets et des wearables, ces objets qui se portent, laisse supposer que cette immixtion ira toujours plus loin, que la régulation est une lutte sans fin face à des techniques toujours plus invasives. La difficulté étant que désormais nous sommes confrontés à des techniques cognitives qui reposent sur des fonctionnalités qui ne dépendent pas du temps passé, de l’espace ou de l’emplacement… À l’image des rythmes de montage ou des modalités de conception des interfaces du web. Wu conclut en souhaitant que nous récupérions "la propriété de l’expérience même de la vie". Reste à savoir comment…

Comment répondre aux monopoles attentionnels ?

Tim Wu – qui vient de publier un nouveau livre The Curse of Bigness : antitrust in the new Gilded age (La malédiction de la grandeur, non traduit) – prône, comme d’autres, un renforcement des lois antitrusts américaines. Il y invite à briser les grands monopoles que construisent les Gafam, renouvelant par là la politique américaine qui a souvent cherché à limiter l’emprise des monopoles comme dans le cas des télécommunications (AT&T), de la radio ou de la télévision par exemple ou de la production de pétrole (Standard Oil), pour favoriser une concurrence plus saine au bénéfice de l’innovation. À croire finalement que pour lutter contre les processus de capture attentionnels, il faut peut-être passer par d’autres leviers que de chercher à réguler les processus attentionnels eux-mêmes ! Limiter le temps d’écran finalement est peut-être moins important que limiter la surpuissance de quelques empires sur notre attention !

La règle actuelle pour limiter le développement de monopoles, rappelle Wu dans une longue interview pour The Verge, est qu’il faut démontrer qu’un rachat ou une fusion entraînera une augmentation des prix pour le consommateur. Outre, le fait que c’est une démonstration difficile, car spéculative, "il est pratiquement impossible d’augmenter les prix à la consommation lorsque les principaux services Internet tels que Google et Facebook sont gratuits". Pour plaider pour la fragmentation de ces entreprises, il faudrait faire preuve que leur concentration produit de nouveaux préjudices, comme des pratiques anticoncurrentielles quand des entreprises absorbent finalement leurs concurrents. Aux États-Unis, le mouvement New Brandeis (qui fait référence au juge Louis Brandeis acteur majeur de la lutte contre les trusts) propose que la régulation favorise la compétition.

Pour Wu par exemple, la concurrence dans les réseaux sociaux s’est effondrée avec le rachat par Facebook d’Instagram et de WhatsApp. Et au final, la concurrence dans le marché de l’attention a diminué. Pour Wu, il est temps de défaire les courtiers de l’attention, comme il l’explique dans un article de recherche qui tente d’esquisser des solutions concrètes. Il propose par exemple de créer une version attentionnelle du test du monopoleur hypothétique, utilisé pour mesurer les abus de position dominante, en testant l’influence de la publicité sur les pratiques. Pour Tim Wu, il est nécessaire de trouver des modalités à l’analyse réglementaire des marchés attentionnels.

Dans cet article, Wu s’intéresse également à la protection des audiences captives, à l’image des écrans publicitaires des pompes à essence qui vous délivrent des messages sans pouvoir les éviter où ceux des écrans de passagers dans les avions… Pour Wu, ces nouvelles formes de coercition attentionnelle sont plus qu’un ennui, puisqu’elles nous privent de la liberté de penser et qu’on ne peut les éviter. Pour lui, il faudrait les caractériser comme un "vol attentionnel". Certes, toutes les publicités ne peuvent pas être caractérisées comme telles, mais les régulateurs devraient réaffirmer la question du consentement souligne-t-il, notamment quand l’utilisateur est captif ou que la capture cognitive exploite nos biais attentionnels sans qu’on puisse lutter contre. Et de rappeler que les consommateurs doivent pouvoir dépenser ou allouer leur attention comme ils le souhaitent. Que les régulateurs doivent chercher à les protéger de situations non consensuelles et sans compensation, notamment dans les situations d’attention captive ainsi que contre les intrusions inévitables (celles qui sont augmentées par un volume sonore élevé, des lumières clignotantes, etc.). Ainsi, les publicités de pompe à essence ne devraient être autorisées qu’en cas de compensation pour le public (par exemple en proposant une remise sur le prix de l’essence)…

Wu indique encore que les réglementations sur le bruit qu’ont initié bien des villes peuvent être prises pour base pour construire des réglementations de protection attentionnelle, tout comme l’affichage sur les autoroutes, également très réglementé. Pour Tim Wu, tout cela peut sembler peut-être peu sérieux à certain, mais nous avons pourtant imposé par exemple l’interdiction de fumer dans les avions sans que plus personne aujourd’hui n’y trouve à redire. Il est peut-être temps de prendre le bombardement attentionnel au sérieux. En tout cas, ces défis sont devant nous, et nous devrons trouver des modalités pour y répondre, conclut-il.

Auteur: Guillaud Hubert

Info: 27 décembre 2018, http://internetactu.blog.lemonde.fr

[ culture de l'epic fail ] [ propagande ] [ captage de l'attention ]

 

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interrogation

Pourquoi cet univers ? Un nouveau calcul suggère que notre cosmos est typique.

Deux physiciens ont calculé que l’univers a une entropie plus élevée – et donc plus probable – que d’autres univers possibles. Le calcul est " une réponse à une question qui n’a pas encore été pleinement comprise ".

(image : Les propriétés de notre univers – lisse, plat, juste une pincée d’énergie noire – sont ce à quoi nous devrions nous attendre, selon un nouveau calcul.)

Les cosmologues ont passé des décennies à chercher à comprendre pourquoi notre univers est si étonnamment vanille. Non seulement il est lisse et plat à perte de vue, mais il s'étend également à un rythme toujours plus lent, alors que des calculs naïfs suggèrent que – à la sortie du Big Bang – l'espace aurait dû se froisser sous l'effet de la gravité et détruit par une énergie noire répulsive.

Pour expliquer la planéité du cosmos, les physiciens ont ajouté un premier chapitre dramatique à l'histoire cosmique : ils proposent que l'espace se soit rapidement gonflé comme un ballon au début du Big Bang, aplanissant toute courbure. Et pour expliquer la légère croissance de l’espace après cette première période d’inflation, certains ont avancé que notre univers n’est qu’un parmi tant d’autres univers moins hospitaliers dans un multivers géant.

Mais maintenant, deux physiciens ont bouleversé la pensée conventionnelle sur notre univers vanille. Suivant une ligne de recherche lancée par Stephen Hawking et Gary Gibbons en 1977, le duo a publié un nouveau calcul suggérant que la clarté du cosmos est attendue plutôt que rare. Notre univers est tel qu'il est, selon Neil Turok de l'Université d'Édimbourg et Latham Boyle de l'Institut Perimeter de physique théorique de Waterloo, au Canada, pour la même raison que l'air se propage uniformément dans une pièce : des options plus étranges sont concevables, mais extrêmement improbable.

L'univers " peut sembler extrêmement précis, extrêmement improbable, mais eux  disent : 'Attendez une minute, c'est l'univers préféré' ", a déclaré Thomas Hertog , cosmologue à l'Université catholique de Louvain en Belgique.

"Il s'agit d'une contribution nouvelle qui utilise des méthodes différentes de celles utilisées par la plupart des gens", a déclaré Steffen Gielen , cosmologue à l'Université de Sheffield au Royaume-Uni.

La conclusion provocatrice repose sur une astuce mathématique consistant à passer à une horloge qui tourne avec des nombres imaginaires. En utilisant l'horloge imaginaire, comme Hawking l'a fait dans les années 70, Turok et Boyle ont pu calculer une quantité, connue sous le nom d'entropie, qui semble correspondre à notre univers. Mais l’astuce du temps imaginaire est une manière détournée de calculer l’entropie, et sans une méthode plus rigoureuse, la signification de la quantité reste vivement débattue. Alors que les physiciens s’interrogent sur l’interprétation correcte du calcul de l’entropie, beaucoup le considèrent comme un nouveau guide sur la voie de la nature quantique fondamentale de l’espace et du temps.

"D'une manière ou d'une autre", a déclaré Gielen, "cela nous donne peut-être une fenêtre sur la microstructure de l'espace-temps."

Chemins imaginaires

Turok et Boyle, collaborateurs fréquents, sont réputés pour avoir conçu des idées créatives et peu orthodoxes sur la cosmologie. L’année dernière, pour étudier la probabilité que notre Univers soit probable, ils se sont tournés vers une technique développée dans les années 1940 par le physicien Richard Feynman.

Dans le but de capturer le comportement probabiliste des particules, Feynman a imaginé qu'une particule explore toutes les routes possibles reliant le début à la fin : une ligne droite, une courbe, une boucle, à l'infini. Il a imaginé un moyen d'attribuer à chaque chemin un nombre lié à sa probabilité et d'additionner tous les nombres. Cette technique de " l’intégrale du chemin " est devenue un cadre puissant pour prédire le comportement probable d’un système quantique.

Dès que Feynman a commencé à faire connaître l’intégrale du chemin, les physiciens ont repéré un curieux lien avec la thermodynamique, la vénérable science de la température et de l’énergie. C'est ce pont entre la théorie quantique et la thermodynamique qui a permis les calculs de Turok et Boyle.

La thermodynamique exploite la puissance des statistiques afin que vous puissiez utiliser seulement quelques chiffres pour décrire un système composé de plusieurs éléments, comme les milliards de molécules d'air qui s'agitent dans une pièce. La température, par exemple – essentiellement la vitesse moyenne des molécules d’air – donne une idée approximative de l’énergie de la pièce. Les propriétés globales telles que la température et la pression décrivent un "  macrostate " de la pièce.

Mais ce terme de un macro-état est un compte rendu rudimentaire ; les molécules d’air peuvent être disposées d’un très grand nombre de manières qui correspondent toutes au même macroétat. Déplacez un peu un atome d’oxygène vers la gauche et la température ne bougera pas. Chaque configuration microscopique unique est appelée microétat, et le nombre de microétats correspondant à un macroétat donné détermine son entropie.

L'entropie donne aux physiciens un moyen précis de comparer les probabilités de différents résultats : plus l'entropie d'un macroétat est élevée, plus il est probable. Il existe bien plus de façons pour les molécules d'air de s'organiser dans toute la pièce que si elles étaient regroupées dans un coin, par exemple. En conséquence, on s’attend à ce que les molécules d’air se propagent (et restent dispersées). La vérité évidente selon laquelle les résultats probables sont probables, exprimée dans le langage de la physique, devient la célèbre deuxième loi de la thermodynamique : selon laquelle l’entropie totale d’un système a tendance à croître.

La ressemblance avec l'intégrale du chemin était indubitable : en thermodynamique, on additionne toutes les configurations possibles d'un système. Et avec l’intégrale du chemin, vous additionnez tous les chemins possibles qu’un système peut emprunter. Il y a juste une distinction assez flagrante : la thermodynamique traite des probabilités, qui sont des nombres positifs qui s'additionnent simplement. Mais dans l'intégrale du chemin, le nombre attribué à chaque chemin est complexe, ce qui signifie qu'il implique le nombre imaginaire i , la racine carrée de −1. Les nombres complexes peuvent croître ou diminuer lorsqu’ils sont additionnés, ce qui leur permet de capturer la nature ondulatoire des particules quantiques, qui peuvent se combiner ou s’annuler.

Pourtant, les physiciens ont découvert qu’une simple transformation peut vous faire passer d’un domaine à un autre. Rendez le temps imaginaire (un mouvement connu sous le nom de rotation de Wick d'après le physicien italien Gian Carlo Wick), et un second i entre dans l'intégrale du chemin qui étouffe le premier, transformant les nombres imaginaires en probabilités réelles. Remplacez la variable temps par l'inverse de la température et vous obtenez une équation thermodynamique bien connue.

Cette astuce de Wick a conduit Hawking et Gibbons à une découverte à succès en 1977, à la fin d'une série éclair de découvertes théoriques sur l'espace et le temps.

L'entropie de l'espace-temps

Des décennies plus tôt, la théorie de la relativité générale d’Einstein avait révélé que l’espace et le temps formaient ensemble un tissu unifié de réalité – l’espace-temps – et que la force de gravité était en réalité la tendance des objets à suivre les plis de l’espace-temps. Dans des circonstances extrêmes, l’espace-temps peut se courber suffisamment fortement pour créer un Alcatraz incontournable connu sous le nom de trou noir.

En 1973, Jacob Bekenstein a avancé l’hérésie selon laquelle les trous noirs seraient des prisons cosmiques imparfaites. Il a estimé que les abysses devraient absorber l'entropie de leurs repas, plutôt que de supprimer cette entropie de l'univers et de violer la deuxième loi de la thermodynamique. Mais si les trous noirs ont de l’entropie, ils doivent aussi avoir des températures et rayonner de la chaleur.

Stephen Hawking, sceptique, a tenté de prouver que Bekenstein avait tort, en se lançant dans un calcul complexe du comportement des particules quantiques dans l'espace-temps incurvé d'un trou noir. À sa grande surprise, il découvrit en 1974 que les trous noirs rayonnaient effectivement. Un autre calcul a confirmé l'hypothèse de Bekenstein : un trou noir a une entropie égale au quart de la surface de son horizon des événements – le point de non-retour pour un objet tombant.

Dans les années qui suivirent, les physiciens britanniques Gibbons et Malcolm Perry, puis plus tard Gibbons et Hawking, arrivèrent au même résultat dans une autre direction . Ils ont établi une intégrale de chemin, additionnant en principe toutes les différentes manières dont l'espace-temps pourrait se plier pour former un trou noir. Ensuite, ils ont fait tourner le trou noir, marquant l'écoulement du temps avec des nombres imaginaires, et ont scruté sa forme. Ils ont découvert que, dans la direction du temps imaginaire, le trou noir revenait périodiquement à son état initial. Cette répétition semblable au jour de la marmotte dans un temps imaginaire a donné au trou noir une sorte de stase qui leur a permis de calculer sa température et son entropie.

Ils n’auraient peut-être pas fait confiance aux résultats si les réponses n’avaient pas correspondu exactement à celles calculées précédemment par Bekenstein et Hawking. À la fin de la décennie, leur travail collectif avait donné naissance à une idée surprenante : l’entropie des trous noirs impliquait que l’espace-temps lui-même était constitué de minuscules morceaux réorganisables, tout comme l’air est constitué de molécules. Et miraculeusement, même sans savoir ce qu’étaient ces " atomes gravitationnels ", les physiciens ont pu compter leurs arrangements en regardant un trou noir dans un temps imaginaire.

"C'est ce résultat qui a laissé une très profonde impression sur Hawking", a déclaré Hertog, ancien étudiant diplômé et collaborateur de longue date de Hawking. Hawking s'est immédiatement demandé si la rotation de Wick fonctionnerait pour autre chose que les trous noirs. "Si cette géométrie capture une propriété quantique d'un trou noir", a déclaré Hertog, "alors il est irrésistible de faire la même chose avec les propriétés cosmologiques de l'univers entier."

Compter tous les univers possibles

Immédiatement, Hawking et Gibbons Wick ont ​​fait tourner l’un des univers les plus simples imaginables – un univers ne contenant rien d’autre que l’énergie sombre construite dans l’espace lui-même. Cet univers vide et en expansion, appelé espace-temps " de Sitter ", a un horizon au-delà duquel l’espace s’étend si rapidement qu’aucun signal provenant de cet espace ne parviendra jamais à un observateur situé au centre de l’espace. En 1977, Gibbons et Hawking ont calculé que, comme un trou noir, un univers de De Sitter possède également une entropie égale au quart de la surface de son horizon. Encore une fois, l’espace-temps semblait comporter un nombre incalculable de micro-états.

Mais l’entropie de l’univers réel restait une question ouverte. Notre univers n'est pas vide ; il regorge de lumière rayonnante et de flux de galaxies et de matière noire. La lumière a provoqué une expansion rapide de l'espace pendant la jeunesse de l'univers, puis l'attraction gravitationnelle de la matière a ralenti les choses pendant l'adolescence cosmique. Aujourd’hui, l’énergie sombre semble avoir pris le dessus, entraînant une expansion galopante. "Cette histoire d'expansion est une aventure semée d'embûches", a déclaré Hertog. "Il n'est pas si facile d'obtenir une solution explicite."

Au cours de la dernière année, Boyle et Turok ont ​​élaboré une solution aussi explicite. Tout d'abord, en janvier, alors qu'ils jouaient avec des cosmologies jouets, ils ont remarqué que l'ajout de radiations à l'espace-temps de De Sitter ne gâchait pas la simplicité requise pour faire tourner l'univers par Wick.

Puis, au cours de l’été, ils ont découvert que la technique résisterait même à l’inclusion désordonnée de matière. La courbe mathématique décrivant l’histoire plus complexe de l’expansion relevait toujours d’un groupe particulier de fonctions faciles à manipuler, et le monde de la thermodynamique restait accessible. "Cette rotation de Wick est une affaire trouble lorsque l'on s'éloigne d'un espace-temps très symétrique", a déclaré Guilherme Leite Pimentel , cosmologiste à la Scuola Normale Superiore de Pise, en Italie. "Mais ils ont réussi à le trouver."

En faisant tourner Wick l’histoire de l’expansion en montagnes russes d’une classe d’univers plus réaliste, ils ont obtenu une équation plus polyvalente pour l’entropie cosmique. Pour une large gamme de macroétats cosmiques définis par le rayonnement, la matière, la courbure et une densité d'énergie sombre (tout comme une plage de températures et de pressions définit différents environnements possibles d'une pièce), la formule crache le nombre de microétats correspondants. Turok et Boyle ont publié leurs résultats en ligne début octobre.

Les experts ont salué le résultat explicite et quantitatif. Mais à partir de leur équation d’entropie, Boyle et Turok ont ​​tiré une conclusion non conventionnelle sur la nature de notre univers. "C'est là que cela devient un peu plus intéressant et un peu plus controversé", a déclaré Hertog.

Boyle et Turok pensent que l'équation effectue un recensement de toutes les histoires cosmiques imaginables. Tout comme l'entropie d'une pièce compte toutes les façons d'arranger les molécules d'air pour une température donnée, ils soupçonnent que leur entropie compte toutes les façons dont on peut mélanger les atomes de l'espace-temps et se retrouver avec un univers avec une histoire globale donnée. courbure et densité d’énergie sombre.

Boyle compare le processus à l'examen d'un gigantesque sac de billes, chacune représentant un univers différent. Ceux qui ont une courbure négative pourraient être verts. Ceux qui ont des tonnes d'énergie sombre pourraient être des yeux de chat, et ainsi de suite. Leur recensement révèle que l’écrasante majorité des billes n’ont qu’une seule couleur – le bleu, par exemple – correspondant à un type d’univers : un univers globalement semblable au nôtre, sans courbure appréciable et juste une touche d’énergie sombre. Les types de cosmos les plus étranges sont extrêmement rares. En d’autres termes, les caractéristiques étrangement vanille de notre univers qui ont motivé des décennies de théorie sur l’inflation cosmique et le multivers ne sont peut-être pas étranges du tout.

"C'est un résultat très intrigant", a déclaré Hertog. Mais " cela soulève plus de questions que de réponses ".

Compter la confusion

Boyle et Turok ont ​​calculé une équation qui compte les univers. Et ils ont fait l’observation frappante que des univers comme le nôtre semblent représenter la part du lion des options cosmiques imaginables. Mais c’est là que s’arrête la certitude.

Le duo ne tente pas d’expliquer quelle théorie quantique de la gravité et de la cosmologie pourrait rendre certains univers communs ou rares. Ils n’expliquent pas non plus comment notre univers, avec sa configuration particulière de parties microscopiques, est né. En fin de compte, ils considèrent leurs calculs comme un indice permettant de déterminer quels types d’univers sont préférés plutôt que comme quelque chose qui se rapproche d’une théorie complète de la cosmologie. "Ce que nous avons utilisé est une astuce bon marché pour obtenir la réponse sans connaître la théorie", a déclaré Turok.

Leurs travaux revitalisent également une question restée sans réponse depuis que Gibbons et Hawking ont lancé pour la première fois toute l’histoire de l’entropie spatio-temporelle : quels sont exactement les micro-états que compte l’astuce bon marché ?

"L'essentiel ici est de dire que nous ne savons pas ce que signifie cette entropie", a déclaré Henry Maxfield , physicien à l'Université de Stanford qui étudie les théories quantiques de la gravité.

En son cœur, l’entropie résume l’ignorance. Pour un gaz constitué de molécules, par exemple, les physiciens connaissent la température – la vitesse moyenne des particules – mais pas ce que fait chaque particule ; l'entropie du gaz reflète le nombre d'options.

Après des décennies de travaux théoriques, les physiciens convergent vers une vision similaire pour les trous noirs. De nombreux théoriciens pensent aujourd'hui que la zone de l'horizon décrit leur ignorance de ce qui s'y trouve, de toutes les façons dont les éléments constitutifs du trou noir sont disposés de manière interne pour correspondre à son apparence extérieure. (Les chercheurs ne savent toujours pas ce que sont réellement les microétats ; les idées incluent des configurations de particules appelées gravitons ou cordes de la théorie des cordes.)

Mais lorsqu’il s’agit de l’entropie de l’univers, les physiciens se sentent moins sûrs de savoir où se situe leur ignorance.

En avril, deux théoriciens ont tenté de donner à l’entropie cosmologique une base mathématique plus solide. Ted Jacobson , physicien à l'Université du Maryland réputé pour avoir dérivé la théorie de la gravité d'Einstein de la thermodynamique des trous noirs, et son étudiant diplômé Batoul Banihashemi ont explicitement défini l'entropie d'un univers de Sitter (vacant et en expansion). Ils ont adopté la perspective d’un observateur au centre. Leur technique, qui consistait à ajouter une surface fictive entre l'observateur central et l'horizon, puis à rétrécir la surface jusqu'à ce qu'elle atteigne l'observateur central et disparaisse, a récupéré la réponse de Gibbons et Hawking selon laquelle l'entropie est égale à un quart de la surface de l'horizon. Ils ont conclu que l’entropie de De Sitter compte tous les microétats possibles à l’intérieur de l’horizon.

Turok et Boyle calculent la même entropie que Jacobson et Banihashemi pour un univers vide. Mais dans leur nouveau calcul relatif à un univers réaliste rempli de matière et de rayonnement, ils obtiennent un nombre beaucoup plus grand de microétats – proportionnels au volume et non à la surface. Face à ce conflit apparent, ils spéculent que les différentes entropies répondent à des questions différentes : la plus petite entropie de De Sitter compte les microétats d'un espace-temps pur délimité par un horizon, tandis qu'ils soupçonnent que leur plus grande entropie compte tous les microétats d'un espace-temps rempli d'espace-temps. matière et énergie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’horizon. "C'est tout un shebang", a déclaré Turok.

En fin de compte, régler la question de savoir ce que comptent Boyle et Turok nécessitera une définition mathématique plus explicite de l’ensemble des microétats, analogue à ce que Jacobson et Banihashemi ont fait pour l’espace de Sitter. Banihashemi a déclaré qu'elle considérait le calcul d'entropie de Boyle et Turok " comme une réponse à une question qui n'a pas encore été entièrement comprise ".

Quant aux réponses plus établies à la question " Pourquoi cet univers ? ", les cosmologistes affirment que l’inflation et le multivers sont loin d’être morts. La théorie moderne de l’inflation, en particulier, est parvenue à résoudre bien plus que la simple question de la douceur et de la planéité de l’univers. Les observations du ciel correspondent à bon nombre de ses autres prédictions. L'argument entropique de Turok et Boyle a passé avec succès un premier test notable, a déclaré Pimentel, mais il lui faudra trouver d'autres données plus détaillées pour rivaliser plus sérieusement avec l'inflation.

Comme il sied à une grandeur qui mesure l’ignorance, les mystères enracinés dans l’entropie ont déjà servi de précurseurs à une physique inconnue. À la fin des années 1800, une compréhension précise de l’entropie en termes d’arrangements microscopiques a permis de confirmer l’existence des atomes. Aujourd'hui, l'espoir est que si les chercheurs calculant l'entropie cosmologique de différentes manières peuvent déterminer exactement à quelles questions ils répondent, ces chiffres les guideront vers une compréhension similaire de la façon dont les briques Lego du temps et de l'espace s'empilent pour créer l'univers qui nous entoure.

"Notre calcul fournit une énorme motivation supplémentaire aux personnes qui tentent de construire des théories microscopiques de la gravité quantique", a déclaré Turok. "Parce que la perspective est que cette théorie finira par expliquer la géométrie à grande échelle de l'univers."

 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Charlie Wood, 17 nov 2022

[ constante fondamentale ] [ 1/137 ]

 

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