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alerte

Ramón Castaños époussetait le comptoir quand il perçut au loin un cri aigu. Il tendit l'oreille et ne discerna que la rumeur de la matinée. Il pensa qu'il s'agissait d'une de ces nombreuses gélinottes qui peuplaient le bois. Il poursuivit sa besogne. Il s’apprêtait à nettoyer une étagère lorsque le cri jaillit de nouveau, cette fois proche et clair. Suivi d'un autre et d'un troisième. Ramón délaissa l'étagère et, d'un bond, sauta par-dessus le comptoir. Il sortit pour voir ce qu'il se passait. On était dimanche, de bon matin : personne, alors que les cris se répétaient, de plus en plus frénétiques. Il remonta la rue et distingua à quelque distance trois enfants qui couraient en braillant :
- Y'a une morte ! Y'a une morte !
Ramón s'avança vers eux, en arrêta un tandis que les deux autres s'égayaient dans le village.
- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il.
- On l'a tuée ! On l'a tuée ! brama le gamin.
- Qui ? Où ça ?
Sans répondre le garçon repartit dans la direction d'où il était venu. Ramon le suivit. Ils s'élancèrent le long du sentier qui conduisait à la rivière jusqu'à ce qu'ils débouchent dans un champ de sorgho.

Auteur: Arriaga Guillermo

Info: Un doux parfum de mort

[ alarme ] [ progressive ]

 

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persécution

[Au restaurant de l’Essighauss à Brême] Comme Freud avait commandé du vin, il eut la surprise et la "satisfaction" de voir que Jung buvait copieusement. C’était la première fois qu’il consommait de l’alcool depuis qu’il s’était engagé à faire abstinence en entrant au Burghölzli en 1901, comme Bleuler (et avant lui, Forel) l’exigeait de tous ses médecins assistants.

Tout à coup – le vin peut-être, ou l’énervement du voyage – Freud se mit à transpirer abondamment. Sur le point de s’évanouir, il s’arrêta de manger et dit à Jung qu’il lui faudrait boire tout seul. Freud mit son malaise sur le compte du saumon et du manque de sommeil de la nuit précédente, mais pour Jung cet état était directement lié à la conversation qu’il venait d’avoir sur les Moorleichen, les "cadavres des marais", des corps momifiés qu’on avait retrouvés dans la tourbe des marais du Nord de l’Allemagne et de la Suède. […]

Jung était persuadé que cet épisode de la matinée faisait un bon sujet de conversation pour le déjeuner, quand Freud l’interrompit soudain : "Que vous importent ces cadavres ? avait-il lancé. Ne vaudrait-il pas mieux que vous admettiez souhaiter ma mort ?" Là-dessus, il tomba en syncope. La même chose devait se produire à quelques années de là, et cette fois encore, il accuserait Jung d’avoir commis "un acte de résistance envers le père", de nourrir envers lui un "désir de mort". 

Auteur: Bair Deirdre

Info: Dans "Jung", trad. de l’anglais par Martine Devillers-Argouarc’h, éd. Flammarion, Paris, 2007, pages 248-249

[ insoutenable ] [ hors-circuit ] [ anecdote ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

littérature

J'aime la nuit avec passion. Je l'aime comme on aime son pays ou sa maîtresse, d'un amour instinctif, profond, invincible. Je l'aime avec tous mes sens, avec mes yeux qui la voient, avec mon odorat qui la respire, avec mes oreilles qui en écoutent le silence, avec toute ma chair que les ténèbres caressent. Les alouettes chantent dans le soleil, dans l'air bleu, dans l'air chaud, dans l'air léger des matinées claires. Le hibou fuit dans la nuit, tache noire qui passe à travers l'espace noir, et, réjoui, grisé par la noire immensité, il pousse son cri vibrant et sinistre.
Le jour me fatigue et m'ennuie. Il est brutal et bruyant. Je me lève avec peine, je m'habille avec lassitude, je sors avec regret, et chaque pas, chaque mouvement, chaque geste, chaque parole, chaque pensée me fatigue comme si je soulevais un écrasant fardeau.
Mais quand le soleil baisse, une joie confuse, une joie de tout mon corps m'envahit. Je m'éveille, je m'anime. A mesure que l'ombre grandit, je me sens tout autre, plus jeune, plus fort, plus alerte, plus heureux. Je la regarde s'épaissir, la grande ombre douce tombée du ciel : elle noie la ville, comme une onde insaisissable et impénétrable, elle cache, efface, détruit les couleurs, les formes, étreint les maisons, les êtres, les monuments de son imperceptible toucher.
Alors j'ai envie de crier de plaisir comme les chouettes, de courir sur les toits comme les chats ; et un impétueux, un invincible désir d'aimer s'allume dans mes veines.

Auteur: Maupassant Guy de

Info: La nuit

[ obscurité ]

 

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légistes américains

Pendant ces matinées d'oisiveté - elles étaient nombreuses -, Callahan savourait sa liberté. Il avait terminé ses études de droit depuis vingt ans et la plupart de ses anciens condisciples étaient astreints à des semaines de soixante-dix heures et à la pression continuelle des cabinets-usines juridiques.

Il n'avait tenu que deux ans dans le privé. Recruté dès qu'il avait eu son diplôme en poche par un énorme cabinet de Washington composé de deux cents juristes, il s'était retrouvé dans un réduit aménagé en bureau, où il avait passé les six premiers mois à rédiger des requêtes.

Puis on lui avait imposé un travail à la chaîne consistant à répondre douze heures par jour à des interrogatoires sur les dispositifs intra-utérins et à en facturer seize. On lui avait dit que, s'il parvenait à accomplir en dix ans le travail des vingt prochaines années, il pourrait être promu associé à l'âge de trente-cinq ans.

Comme il avait envie de vivre au-delà de cinquante ans, Callahan avait renoncé à ce travail de forçât du secleur privé. Après une maîtrise en droit, il était entré dans l’enseignement. Il se levait tard, travaillait cinq heures par jour, écrivait de loin en loin un article et profitait de la vie. Sans charges de famille, son salaire annuel de soixante-dix mille dollars suffisait amplement pour payer son duplex, sa Porsche et tout l'alcool dont il avait besoin.

Si la mort devait le prendre jeune, ce serait à cause du whisky, non du travail.

Auteur: Grisham John

Info: L'affaire Pélican

[ forçats judiciaires ] [ procéduriers professionnels ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

réputation prison

Ce qui me fit rêver, ce n'était pas l'affaire elle-même qui, somme toute, avait tout d'une opérette, mais les énigmatiques sinuosités de la vie qu'elle devait mener plus tard. Lorsque la platitude de ma propre existence me pesait, je rêvais toujours à la désinvolture de ma tante, à ses jours aussi solitaires et périlleux qu'un numéro de funambule.

Quel sort fut réservé à la "scandaleuse" ? Elle fut bientôt oubliée. Elle eut alors le sentiment d'avoir été rayée de son propre passé. Car ce qu'elle avait été s'était dissous dans la mémoire des autres, quoique ce qu'elle était à présent eût toujours été à la merci de celle des journaux : quand elle était en présence des autres, ils pensaient à ce qu'elle avait été plutôt qu'à ce qu'elle était devenue. De plus, maintenant, elle-même se tournait avec une telle intensité vers ce qu'elle avait été, alors que ce qu'elle avait été n'était plus tourné vers ce qu'elle était devenue.

Les multiples lèvres qui ont murmuré sur son compte, les oreilles innombrables qui ont été tendues vers elle, les millions d'yeux qui ont dévoré ses photos, il est impossible qu'ils n'aient pas fini par influer sur la vie de Haruko. Elle n'avait plus d'autre choix que de vivre comme ils l'espéraient ou comme ils le redoutaient. Elle ne pouvait plus vivre à sa guise.

Pourtant, n'y avait-il pas une autre manière de vivre pour elle ? Qui ne fût ni attendue ni inattendue. Une façon de vivre violente, propre à elle seule. C'est de ça que je rêvais et à quoi j'aspirais pour elle.

Auteur: Mishima Yukio

Info: Une matinée d'amour pur. Nouvelles. Haruko

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

décor estival

Courant à toutes jambes sur le sentier, j'arrivai devant la maison délabrée. La végétation visible se limitait à un vieil orme près de la porte ; le côté jusque-là invisible du toit avait perdu presque toutes ses tuiles ; par en dessous, des chrysanthèmes sauvages croissaient, leurs fleurs blanches pointées vers le ciel ; autour de la maison, il y avait notamment de nombreuses touffes de lespédezas d'été couleur pourpre, mais si on regardait bien, on apercevait aussi, le long du chemin qui menait du portail à l'entrée, un bosquet de rosiers qui, privés de soins, ne portaient plus qu'un peu de fleurs chétives et une abondance de feuilles. Je m'aperçus que la porte en chêne, humide et lourde, était entrouverte. C'est de là que s'échappait le son de l'harmonium comme un fil à tisser, tandis que, dans les fleurs des champs (où l'on voyait aussi des lys tigrés), des araignées, des abeilles et des scarabées se reposaient comme s'ils étaient morts ; le silence de l'après-midi où, dans une accalmie momentanée, ne bruissaient même pas les branches de l'orme, ce silence d'un après-midi d'été où tout était doré et sans ombre, mais qui, en soi, faisait penser à minuit, on aurait dit que la musique de l'harmonium le rendait encore plus pesant avec ses multiples broderies. De plus, au son de l'orgue se mêlait une voix, discrète comme un papillon. C'était comme une petite truite qui frétille dans le ruissellement de la musique, avec ses écailles scintillantes ; je ne distinguais aucun des mots, mais il était évident que c'était la voix d'une très belle jeune fille....

Auteur: Mishima Yukio

Info: Une matinée d'amour pur. Traduction Ryôji Nakamura et René de Ceccatty. 304 pages Gallimard 2005

[ littérature ] [ enchevêtrement ] [ nature ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

déclaration d'amour

Baden, 1er septembre 1834
Voila huit jours que je suis parti et je ne t'ai pas encore écrit. J'attendais un moment de calme, il n'y en a plus. Je voulais t'écrire doucement, tranquillement par une belle matinée, te remercier de l'adieu que tu m'as envoyé, il est si bon, si triste, si doux : ma chère âme, tu as un coeur d'ange. Je voudrais te parler seulement de mon amour, ah ! Georges, quel amour ! Jamais homme n'a aimé comme je t'aime. Je suis perdu, vois-tu, je suis noyé, inondé d'amour; je ne sais plus si je vis, si je mange, si je marche, si je respire, si je parle ; je sais que je t'aime. Ah! Si tu as eu toute ta vie une soif de bonheur inextinguible, si c'est un bonheur d'être aimé, si tu ne l'as jamais demandé au ciel, oh ! toi, ma vie, mon bien, ma bien-aimée, regarde le soleil, les fleurs, la verdure, le monde ! tu es aimée, dis-toi, cela autant que Dieu peut être aimé par ses lévites, par ses amants, par ses martyrs ! Je t'aime, Ô ma chair et mon sang ! Je meurs d'amour, d'un amour sans fin, sans nom, insensé, désespéré, perdu ! Tu es aimée, adorée, idolâtrée jusqu'à en mourir ! Et non, je ne guérirai pas. Et non, je n'essaierai pas de vivre ; et j'aime mieux cela, et mourir en t'aimant vaut mieux que de vivre. Je me soucie bien de ce qu'ils en diront. Ils disent que tu as un autre amant. Je le sais bien, j'en meurs, mais j'aime, j'aime, j'aime. Qu'ils m'empêchent d'aimer !

Auteur: Musset Alfred de

Info:

[ éloignement ]

 

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enfance

Puis je pensai à ma grand-mère. Elle croyait aux fantômes, souvent ils lui rendaient visite. La maison se trouvait dans un vieux verger au bout du village. Elle racontait ses visions tranquillement comme quelque chose de naturel. Les fantômes venaient tant le jour que la nuit, entraient simplement par la porte et la surprenaient dans ses activités quotidiennes à la ferme ou dans sa cuisine. Ils avaient l’air humain, mais étaient faits dans une substance plus légère, souvent ils ressemblaient à quelqu’un de la famille. Tout le monde croyait à ses histoires. Moi aussi. […]

"Il est passé par là, s’est arrêté ici, a ouvert le tiroir, a fait sonner les cuillères, mais n’a rien dérangé." J’adorais son sens du concret Ces événements avaient toujours leur temps et leur endroit propres. "Il était six heures, je venais de me réveiller, je m’étais assise sur le lit. Mais il est venu de l’alcôve, pas du couloir." Ces témoignages étaient totalement désintéressés, ne voulaient rien prouver ni rien promettre. J’y crois encore. Jamais depuis ce temps-là je ne fus confronté à des signes si simples et si directs. Face à l’extraordinaire, son seul compromis était de ponctuer ses récits de "qu’est-ce que j’ai eu peur" spontanés et rhétoriques. Car on ne voyait aucune peur. Ça sonnait plutôt comme "qu’est-ce que j’ai été surprise", "oh là là". Venant du passé, sa famille et ses amis ne faisaient rien d’autre que de lui rendre visite. Ils s’attardaient un peu à la fenêtre ou à côté du buffet blanc, puis repartaient, laissant derrière eux la porte entrouverte qu’il fallait refermer à cause des courants d’air. […]

Puis un jour, ma grand-mère décéda. Je me réveillai dans la pièce voisine de la sienne, et les tantes qui la veillaient me dirent : "Tu n’as plus ta grand-mère." Je l’aimais et cela me rendit triste. Elle était maintenant allongée, droite, le visage grave et sévère. J’étais près d’elle et regardais. Dans le silence de la matinée, j’entendais mes tantes s’affairer quelque part derrière moi, une matinée ordinaire de plus dans une maison à la campagne, et je sentis que cette mort, que peut-être même la mort, était quelque chose de, comment dire, un peu surfait. Je sentais que ma grand-mère n’était absente qu’un peu, quelle s’était discrètement faufilée hors de cette chambre et de ce monde pour aller dans un endroit pas très loin, quelle avait seulement rejoint ceux qui lui rendaient visite et que, si elle le voulait, elle viendrait comme eux avant. C’est-à-dire que je savais qu’elle était vivante. Seulement, elle n’avait pas pu prendre avec elle la silhouette qui reposait maintenant dans son lit. Elle n’en avait certainement pas besoin.

Auteur: Stasiuk Andrzej

Info: Dukla

[ grand-maman ] [ surnaturel ] [ mémé ] [ mamie ]

 
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question

Un homme s'est assis dans une station de métro de Washington DC et a commencé à jouer du violon par une froide matinée de janvier ; il a joué six morceaux de Bach pendant environ 45 minutes. Pendant ce temps, comme c'était l'heure de pointe, on estime que 1 100 personnes ont traversé la gare, la plupart se rendant au travail. 

Trois minutes se sont écoulées lorsqu'un homme d'âge moyen a remarqué le musicien, a ralenti et s'est arrêté quelques secondes, mais a ensuite continué sa route pour ne pas être en retard.

Une minute plus tard, le violoniste a reçu son premier dollar, une dame a jeté l'argent sans même s'arrêter et a continué son chemin.

Quelques minutes plus tard, quelqu'un s'est arrêté au mur pour l'écouter, mais en regardant l'horloge, il a repris sa marche. Il était clairement en retard pour le travail.

Celui qui a fait le plus attention était un garçon de 3 ans. Maman le tenait par la main, pressée, mais le garçon s'est arrêté pour regarder le violoniste. Finalement, maman l'a sorti avec plus de force et le garçon a continué à marcher, en tournant plusieurs fois la tête pour regarder le violoniste. Cette action a été répétée par plusieurs autres enfants. Tous les parents, sans exception, ont forcé les enfants à continuer.

Pendant les 45 minutes où le musicien a joué, seules 6 personnes se sont arrêtées un moment. Une vingtaine d'entre eux lui ont donné de l'argent mais ont continué à leur rythme normal. Il a pris environ 32 dollars. Quand il a arrêté de jouer et que le silence s'est installé, personne n'a remarqué. Personne n'a applaudi, et il n'y a eu aucun remerciement.

Personne ne savait que ce violoniste était Joshua Bell, l'un des musiciens les plus talentueux. Il a joué certains des morceaux les plus élaborés jamais écrits sur un violon de 3,5 millions de dollars.

Deux jours avant de jouer à cette occasion, Joshua Bell a fait salle pleine dans un théâtre de Boston, où chaque siège coûte en moyenne 100 dollars.

C'est une histoire vraie, Joshua Bell a joué incognito dans une station de métro lors d'un événement organisé par le Washington Post qui faisait partie d'une expérience sociale sur la perception, les goûts et les priorités.

Lînterrogation était la suivante : dans un lieu ordinaire, à une heure inappropriée, sommes-nous capables de percevoir la beauté ? Nous arrêtons-nous pour apprécier ? Reconnaissons-nous le talent dans un contexte inattendu ?

L'une des conclusions possibles de cette expérience pourrait être la suivante : "Si nous ne prenons pas le temps de nous arrêter pour écouter l'un des meilleurs musiciens du monde jouer de la belle musique, combien d'autres choses manquons-nous ?"

Auteur: Anonyme

Info: sur info.fr, février 2022

[ beauté ] [ célébrité hommes-femmes ] [ femmes-par-homme ]

 
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éloge funèbre

Roland Jaccard a mis fin à ses jours hier, lundi 20 septembre. Nombre de ses amis ont reçu un courriel matinal indiquant qu’il était sur le point de partir, qu’il tirait sa révérence. Pour moi, c’était à 8h09. Avec pour objet "Une leçon de dandysme helvétique" et les phrases suivantes dans le corps du texte : "Tu es un des seuls à m’avoir compris! Amitiés vives !"

Roland m’a fait beaucoup d’honneur. Nous n’étions peut-être pas beaucoup à l’avoir compris, mais il y en avait tout de même quelques-uns. À l’avoir compris et à l’avoir aimé. J’ai trainé un vilain pressentiment, toute la matinée, mais j’étais face à des étudiants et je me suis promis de l’appeler dès la pause de midi. Deux coups de téléphone de Gil Mihaely puis d’Elisabeth Lévy m’ont indiqué que c’était devenu inutile.

J’ai été sidéré mais pas surpris. Sidéré parce que, tout de même, la mort d’un ami, d’une de ces amitiés littéraires transformée en affection réciproque avec le temps, c’est une espèce de bloc d’abîme au creux de l’âme et des tripes, un bloc d’abîme que connaissent tous ceux qui apprennent la disparition brutale d’un être cher. 

Mais je n’ai pas été surpris : qui connaissait Roland savait que le suicide était chez lui un thème récurrent, une obsession, une porte de sortie presque rassurante. Le suicide est cette liberté terrible des stoïciens, et il y avait du stoïcien chez Roland au-delà de son hédonisme élégant, résumé ainsi par Marc-Aurèle dans Pensées pour moi-même : "Il y a trop de fumée ici, je m’en vais". Le suicide, Roland connaissait : en leur temps son père et son grand-père avaient eux aussi choisi la nuit. Il écrivait dans "Les Carnets de mon père", un de ses "Billets du vaurien" qu’il donnait chaque semaine à Causeur : "Soyons francs : nous avons aimé vivre une fois, mais nous n’aimerions pas recommencer. C’était aussi l’opinion de mon père." C’est à 80 ans que son père avait tiré sa révérence. Roland a écrit et dit, souvent, qu’il n’avait pas l’intention de le dépasser en âge. Et de fait, il allait avoir 80 ans, le 22 septembre. Quand vous aimez quelqu’un, vous ne l’écoutez pas, ou vous ne voulez pas le croire. C’est oublier que derrière la désinvolture de Roland, derrière son élégante et éternelle dégaine d’adolescent filiforme, il était d’une terrible rigueur. Il n’épargnait personne de ses sarcasmes et surtout pas lui-même. Mais on se rassure comme on peut, quand on aime. Après tout, un de ses maîtres et amis, Cioran, n’avait-il pas dans toute son œuvre parlé du suicide comme seule solution rationnelle à l’horreur du monde sans jamais passer à l’acte ? 

Non, décidément, malheureux comme les pierres mais pas surpris : lundi 13 septembre, après des mois d’absence puisqu’il avait décidé de revenir vivre dans sa ville natale, à Lausanne, depuis le début de la crise sanitaire, il était apparu à une réunion de rédaction suivie d’un pot célébrant le départ d’un des nôtres. Il paraît évident, maintenant, qu’il était venu nous dire au revoir ou plus précisément, car là encore on méconnait trop souvent à quel point celui qui faisait profession de cynisme aimait l’amitié, il avait voulu passer un peu de temps avec nous une dernière fois. De quoi ai-je parlé avec Roland pour ce qui était, sans que je le sache, une ultime rencontre ? Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal à m’en souvenir. Je voudrais vous dire qu’il avait donné des indices implicites, ce ne serait pas vrai. Il avait son flegme habituel, son sourire oriental, son exquise courtoisie d’homme qui a perdu depuis longtemps toute illusion mais qui n’en fait pas un drame, courtoisie héritée de cette civilisation naufragée de la Mitteleuropa à laquelle avait appartenu sa mère autrichienne.

Je voudrais tout de même souligner, maintenant, son importance dans le paysage intellectuel français. Il a écrit des livres essentiels sur la psychanalyse avec laquelle il entretenait des rapports ambigus comme avec tout le reste, notamment L’exil intérieur en 1975. Il y disait d’une autre manière, ce que Debord avait cerné dans La Société du Spectacle : l’impossibilité dans le monde moderne pour les êtres de rencontrer d’autres êtres, et pire encore l’impossibilité pour l’homme de coïncider avec lui-même. Il a été aussi une des plus belles plumes du Monde comme critique des essais et surtout un éditeur hors pair aux PUF où sa collection, "Perspectives critiques", présente un catalogue de rêve. On lui doit la découverte d’André Comte-Sponville mais il a aussi publié Clément Rosset ou Marcel Conche et a assuré, à travers plusieurs autres auteurs, les noces de la philosophie et de la littérature : on y trouve ainsi les inclassables et tellement talentueux Romain Slocombe et Frédéric Pajak.

Après, d’autres le réduiront sans doute à une légende qu’il a malicieusement entretenue dans ses journaux intimes dont le monumental Le Monde d’avant (1983-1988) paru au début de l’année dont nous avons rendu compte dans Causeur. Son amitié, jamais reniée, avec Matzneff malgré les brouilles, son goût pour les jeunes filles qui ressemblaient à son idole, Louise Brooks, ou qui venait de l’Empire du Levant. Sa manière de jauger et de juger les hommes à la manière dont ils jouaient au ping-pong et aux échecs. Une de ses grandes tristesses fut d’ailleurs la fermeture pour rénovation du Lutétia, où on pouvait le trouver tous les dimanches dans les salons où il vous mettait très rapidement échec et mat. 

Au-delà de son refus de la postérité, celle qui consiste à avoir des enfants comme celle qui nous fait survivre à notre propre mort en étant encore lu dans vingt ou trente ans, le nihiliste Roland était un homme étonnamment soucieux de transmettre. Il refusait de l’admettre, il disait que je le taquinais, mais pourtant il suffit d’ouvrir un de ses livres pour avoir envie de lire les auteurs dont il parle : Cioran, bien sûr mais aussi son cher Amiel ou encore Paul Nizon. J’en oublie, forcément.

Je ne sais pas où est Roland désormais. Il se riait de mon communisme comme de mon catholicisme qui revient avec l’âge. Il n’empêche, je suis content d’avoir ses livres dans ma bibliothèque. Je vais le relire. C’est encore la meilleure des prières en même temps que le plus beau des hommages que je peux lui rendre. Le plus consolant aussi, car nous allons être un certain nombre, à Causeur et ailleurs, à avoir besoin d’être consolé.

Auteur: Leroy Jérôme

Info: Causeur, 21 sept 2021

[ eulogie ] [ écrivain-sur-écrivain ]

 
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Ajouté à la BD par miguel