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bourse

Ce qui me rappelle une histoire qui s'est passée un vendredi d'octobre 1987. Ce matin-là, tous les médias avaient annoncé que le plus grand krach boursier des six dernières décennies venait de commencer. Petit à petit, des milliers de gens venus de tous les coins de New-York confluèrent sur Wall Street. Sans trop comprendre, les policiers observaient cette masse immobile levant le nez au ciel. Jusqu'à ce que l'affaire s'éclaircisse. Tous attendaient que les premiers brokers désespérés se jettent par les fenêtres. Les images de 1929 étaient dans toutes les mémoires, et nul ne voulait rater l'événement en direct. La dépression des uns fait la joie morbide des autres. Certes, une crise financière n'aurait pas amélioré le sort des petites gens, du moins ne voulaient-ils pas rater le spectacle consolateur des maudits yuppies s'écrasant sur le bitume. La foule attendit longtemps sans que rien ne se passe. Et peu à peu, une rumeur circula: il n'allait rien se passer. Personne n'allait se défenestrer. Car depuis que la climatisation existe, il n'est plus possible d'ouvrir aucune fenêtre à Wall Street. Le petit peuple déçu rentra chez lui. Probablement pensèrent-ils: Foutre, même les joies les plus simples de l'existence sont gâchées par la technique moderne.

Auteur: Paoli Guillaume

Info: cofondateur des Chômeurs heureux, Ne vous laissez pas aller!, conférence à la Volksbühne à Berlin dans le cadre du cycle, capitalisme et dépression, mars 2001

 

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noyade

Je ne sais pas combien de temps je restai à l'eau ce matin-là. Je me rappelle la force du courant glacial de la fin d'automne, et la lumière grise. Je me souviens d'avoir été frôlé par quelque chose d'immense et de froid, sans doute s'agissait-il d'un tronc immergé, mais, à ce jour, un doute enfantin subsiste encore en moi. Je n'eus pas la force d'avoir peur. Je m'enlisai peu à peu dans un état second, entre la poigne engourdissante du froid et le rythme lent mais répété de mes brasses, et même les histoires terrifiantes des vieux pêcheurs quittèrent rapidement mon esprit. Les brumes m'environnaient, j'étais seul, perdu sur le flot incertain de limbes blanc. L'aube devait poindre, mais la lumière, au lieu de lever le voile, ne faisait que l'épaissir. Ma petite réserve d'énergie ne tarda pas à faire défaut. Je dérivais davantage que je ne nageais, crachotant parfois. Le froid et la fatigue anesthésiaient, nourrissaient une indifférence croissante et dangereuse. Envolées les pensées de loyauté envers Brindille et la colère revêche à l'intention de Hesse. Il n'y avait plus que l'abîme liquide, un gouffre glacial et sans fond au bord duquel je me tenais en équilibre précaire, quelque part entre la chaleur palpitante de ma propre chair et l'appel pressant de la fosse. C'était un combat inégal, je savais que je le perdais, et cela m'était de plus en plus égal.

Auteur: Dewdney Patrick

Info: L'enfant de poussière

[ agonie ] [ lutte ]

 

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maladie

Depuis trente ans, chaque matin il lui préparait son thé. Celui de la boîte rouge décorée d'un Ganesh, le dieu indien à tête d'éléphant, protecteur des voyageurs qui s'aventurent en pays inconnu et des écrivains, avec sa défense brisée qui lui servit de plume pour écrire Le Mahâbhârata. Thé vert, quatre doses de gingembre, trois clous de girofle, deux bâtons de cannelle, quelques cosses de cardamome, des grains de poivre noir. Son mélange à elle, souvenir de ses voyages en Inde. Parmi les boîtes de thé pour les différents moments de la journée, dans le petit meuble en bois blanc grillagé rempli d'épices, il ne se trompait jamais. Chaque matin, il dosait, ébouillantait la théière et l'appelait pour partager cet instant unique. Mais ce matin-là, il est arrivé près d'elle, hagard et désespéré, portant toutes les boîtes dans ses bras : "C'est lequel, je ne sais plus ?"
Lors des catastrophes aériennes on recherche désespérément "les boîtes noires" qui vont fournir des indices, mots, cris, graphiques. Ces traces lisibles par les spécialistes du décodage. Elles contiennent tout ce qu'il faut pour expliciter les circonstances de l'accident et ainsi autoriser à trancher les responsabilités, trouver les coupables, juger. Toutes ces révélations qui vont permettre aux familles de commencer "le travail du deuil".
Pour elle, c'est une boîte rouge, la boîte de Pandore qui a libéré en même temps que ses senteurs exotiques l'angoisse d'un à-venir inconnu et innommable. Elle connaît exactement la date et l'heure. Ce matin- là, elle a "su". L'intuition fulgurante que rien ne serait donc jamais plus comme avant. Déchirure entrevue vite pansée de déni et de refus.

Auteur: Huguenin Cécile

Info: Alzheimer mon amour

[ mémoire ] [ vieillesse ] [ oubli ]

 

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cité imaginaire

On peut parler de la cité de Dorothée de deux manières : dire que quatre tours d'aluminium s'élèvent sur ses murs flanquant sept portes du pont-levis printanier qui traverse les douves dont l'eau alimente quatre canaux verts qui traversent la ville et la divisent en neuf quartiers, chacun de trois cents maisons et sept cents cheminées ; et tenir compte du fait que les filles à marier de chaque quartier sont mariées à des jeunes hommes d'autres quartiers et que leurs familles échangent les biens que chacun possède à titre privé : des bergamotes, des œufs d'esturgeon, des astrolabes, des améthystes... Faites des calculs sur la base de ces chiffres jusqu'à ce que vous sachiez tout ce que vous voulez savoir sur la ville dans le passé, dans le présent et dans l'avenir ; ou bien dites comme le chamelier qui m'y a conduit : "Je suis arrivé là dans ma prime jeunesse, un matin, beaucoup de gens vaquaient hativement dans les rues vers la place du marché, les femmes avaient de belles dents et vous regardaient droit dans les yeux, trois soldats sur une estrade jouaient de la clarinette, partout autour tournaient des roues et remuaient des inscriptions colorées. Avant cela, je n'avais connu que le désert et les routes des caravanes. Ce matin-là, à Dorotea, j'ai senti qu'il n'y avait aucun bien dans l'existence qu'on ne pouvait pas attendre. Au cours des années suivantes, mes yeux sont retournés contempler les étendues du désert et les traces des caravanes, mais je sais maintenant que ce n'est qu'un des nombreux chemins qui se sont ouverts à moi ce matin-là à Dorotea.

Auteur: Calvino Italo

Info: Villes invisibles

[ initiatique ]

 

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oser

Deux routes divergeaient dans un bois jaune,
Et je regrettai de ne pouvoir prendre les deux
Et, unique voyageur, je suis resté longtemps
Et ai regardé aussi loin que possible
Là où ils se fondent dans les sous-bois ;

Puis j'ai pris l'autre, tout aussi bien,
Peut-être la meilleure alternative,
Parce qu'herbeux il voulait être pris ;
Bien que comme passages de cet endroit
Je les percevais comme similaires,

Donc ce matin-là, ils se présentaient égaux
Dans leurs feuilles sombres, aucune trace de pas.
Oh, j'ai gardé le premier pour un autre jour !
Maintenant sachant qu'une voie mène à une autre,
Je doutais pouvoir y revenir un jour.

Je devrai le dire avec un soupir
Quelque part, à des âges et des âges d'ici :
Deux routes divergeaient dans un bois, et je...
J'ai pris le moins fréquenté,
Et ça a fait toute la différence.

*******

Two roads diverged in a yellow wood,
And sorry I could not travel both
And be one traveler, long I stood
And looked down one as far as I could
To where it bent in the undergrowth;

Then took the other, as just as fair,
And having perhaps the better claim,
Because it was grassy and wanted wear;
Though as for that the passing there
Had worn them really about the same,

And both that morning equally lay
In leaves no step had trodden black.
Oh, I kept the first for another day!
Yet knowing how way leads on to way,
I doubted if I should ever come back.

I shall be telling this with a sigh
Somewhere ages and ages hence:
Two roads diverged in a wood, and I—
I took the one less traveled by,
And that has made all the difference.

Auteur: Frost Robert

Info: Selected Poems. The Road Not Taken. Trad Mg

[ risquer ] [ choisir ] [ hasard ]

 
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homme-végétal

Ce matin-là de 1966, après avoir travaillé durant plusieurs heures sur le polygraphe, Cleve Backster décide de faire une pause et d'arroser les plantes de son bureau.

Étant un individu curieux, il se demande si en accrochant les électrodes à l'une des plantes il pourrait déterminer la rapidité à laquelle l'eau se déplace dans la tige. le résultat l'étonna, la résistance électrique de la feuille du Dracaena s'accrut au lieu de diminuer, et le diagramme afficha un tracé à la baisse, tout le contraire de ce à quoi il s'attendait. Chez un humain, cette chute du tracé indique de la fatigue ou de l'ennui.

Poussant plus loin son investigation, Cleve Backster alla chercher des allumettes pour brûler la feuille placée sous électrode. Au moment même où il émit cette intention, le stylo enregistreur du polygraphe s'est brusquement déplacé jusqu'en haut de la feuille de papier graphique. Aucun mot n'avait pourtant été prononcé, juste cette intention de le faire…

Pour Cleve Backster cette excitation spectaculaire représenta une observation de grande valeur, car, en retirant sa menace par le simple fait de ranger les allumettes dans le tiroir, le tracé redevint calme…

Sa curiosité, qui a ouvert une porte immense sur le mystère, l'a amené à poursuivre ses recherches sur la communication du vivant pendant quarante ans malgré les critiques du monde scientifique qui rejeta, voire ridiculisa, ses résultats.

Cleve Backster a pourtant étudié cette "perception primaire" des plantes sur un plan rigoureusement scientifique en démontrant, par des expériences reproductibles, que tout le règne du vivant, que ce soit l'homme, une plante, une bactérie, un animal, était relié à l'univers, d'une façon intime et immédiate, par cette "énergie pensive". Malgré cela les scientifiques ont continué de balayer du revers de la main la fonction psi des plantes.

Auteur: Internet

Info: critique de "L'intelligence émotionnelle des plantes" de Cleve Backster, sur le blog de Florinette

[ télépathie ] [ parapsychologie ]

 
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LSD

"J’avais pris ma pilule à onze heures. Une heure et demie plus tard, j’étais assis dans mon cabinet de travail, contemplant attentivement un petit vase en verre. Le vase ne renfermait que trois fleurs - une rose Belle-de-Portugal, largement épanouie, d’un rose-coquillage, avec un soupçon, à la base de chaque pétale, d’une teinte plus chaude, plus enflammée ; un gros oeillet magenta et crème ; et, violet pâle à l’extrémité de sa tige brisée, le bouton fier et héraldique d’un iris. Fortuit et provisoire, le petit bouquet violait toutes les règles du bon goût traditionnel. Au déjeuner, ce matin-là, j’avais été frappé de la dissonance vive de ses couleurs. Mais la question n’était plus là. Je ne regardais plus, à présent, une disposition insolite de fleurs. Je voyais ce qu’Adam avait vu le matin de sa création - le miracle, d’instant en instant, de l’existence dans sa nudité.
"Est-ce agréable ?" demanda quelqu’un. (Pendant cette partie de l’expérience, toutes les conversations étaient enregistrées au moyen d’une machine à dicter, et j’ai pu me rafraîchir la mémoire quant à ce qui a été dit.)
Ni agréable, ni désagréable. "Cela est, sans plus." Istigkeit – n’était-ce pas là le mot dont maître Eckhart aimait à se servir ? Le fait d’être. L’Être de la philosophie platonicienne, – sauf que Platon semble avoir commis l’erreur énorme et grotesque de séparer l’Être du devenir, et de l’identifier avec l’abstraction mathématique de l’idée. Jamais il n’avait pu voir, le pauvre, un bouquet de fleurs brillant de leur propre lumière intérieure, et quasi frémissantes sous la pression de la signification dont elles étaient chargées ; jamais il n’avait pu percevoir que ce que signifiaient d’une façon aussi intense la rose, l’iris et l’oeillet, ce n’était rien de plus, et rien de moins, que ce qu’ils étaient une durée passagère qui était pourtant une vie éternelle, un périr perpétuel qui était en même temps un Être pur, un paquet de détails menus et uniques dans lesquels, par quelque paradoxe ineffable et pourtant évident en soi, se voyait la source divine de toute existence.
Je continuai à regarder les fleurs, et dans leur lumière vivante, il me sembla déceler l’équivalent qualitatif d’une respiration - mais d’une respiration sans retours à un point de départ, sans reflux récurrents, mais seulement une coulée répétée d’une beauté à une beauté rehaussée, d’une profondeur de signification à une autre, toujours de plus en plus intense. Des mots tels que Grâce et que Transfiguration me vinrent à l’esprit, et c’était cela, bien entendu, entre autres, qu’ils représentaient. Mes yeux passèrent de la rose à l’oeillet, et de cette incandescence plumeuse aux banderoles lisses d’améthyste sentimentale qui étaient l’iris. La Vision de Béatitude, Sat Chit Ananda, la Félicité de l’Avoir-Conscience, - pour la première fois je comprenais, non pas au niveau verbal, non pas par des indications rudimentaires ou à distance, mais d’une façon précise et complète, à quoi se rapportaient ces syllabes prodigieuses. Et je me souvins alors d’un passage que j’avais lu dans l’un des essais de Suzuki. "Qu’est-ce que le Corps-Dharma du Buddha ?" (Le Corps-Dharma du Buddha est une autre façon de dire : l’Esprit, l’Être, le Vide, la Divinité.) Cette question est posée dans un monastère Zen, par un novice plein de sérieux et désorienté. Et, avec la prompte incohérence de l’un des Frères Marx, le Maître répond : "La haie au fond du jardin." - "Et l’homme qui se rend compte de cette vérit" demande le novice, d’un ton dubitatif, "qu’est-il, lui, si j’ose poser cette question ?" Groucho lui applique sur les épaules un coup vigoureux de son bâton, et répond : "Un lion aux cheveux d’or."

Ce n’avait été, lorsque je l’avais lu, qu’une absurdité vaguement grosse de quelque sens caché. Maintenant, c’était clair comme le jour, aussi évident qu’un théorème d’Euclide. Bien entendu, le Corps-Dharma du Buddha, c’était la haie au fond du jardin. En même temps, et non moins manifestement, c’était ces fleurs, c’était toute chose qu’il me plaisait – ou plutôt, qu’il plaisait au non-moi béni et délivré pour un instant de mon étreinte étouffante – de regarder. Les livres, par exemple, dont étaient tapissés les murs de mon cabinet. Comme les fleurs, ils luisaient, quand je les regardais, de couleurs plus vives, d’une signification plus profonde. Des livres rouges, semblables à des rubis ; des livres émeraude ; des livres reliés en jade blanche ; des livres d’agate, d’aigue-marine, de topaze jaune ; des livres de lapis-lazuli dont la couleur était si intense, si intrinsèquement pleine de sens, qu’ils me semblaient être sur le point de quitter les rayons pour s’imposer avec plus d’insistance encore à mon attention."

Auteur: Huxley Aldous

Info: Les portes de la perception

[ drogue ] [ spiritualité ]

 
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trickster

Les mondes multiples d'Hugh Everett

Il y a cinquante ans, Hugh Everett a conçu l'interprétation de la mécanique quantique en l'expliquant par des mondes multiples, théorie dans laquelle les effets quantiques engendrent d'innombrables branches de l'univers avec des événements différents dans chacune. La théorie semble être une hypothèse bizarre, mais Everett l'a déduite des mathématiques fondamentales de la mécanique quantique. Néanmoins, la plupart des physiciens de l'époque la rejetèrent, et il dût abréger sa thèse de doctorat sur le sujet pour éviter la controverse. Découragé, Everett quitta la physique et travailla sur les mathématiques et l'informatique militaires et industrielles. C'était un être émotionnellement renfermé et un grand buveur. Il est mort alors qu'il n'avait que 51 ans, et ne put donc pas voir le récent respect accordé à ses idées par les physiciens.

Hugh Everett III était un mathématicien brillant, théoricien quantique iconoclaste, puis ensuite entrepreneur prospère dans la défense militaire ayant accès aux secrets militaires les plus sensibles du pays. Il a introduit une nouvelle conception de la réalité dans la physique et a influencé le cours de l'histoire du monde à une époque où l'Armageddon nucléaire semblait imminent. Pour les amateurs de science-fiction, il reste un héros populaire : l'homme qui a inventé une théorie quantique des univers multiples. Pour ses enfants, il était quelqu'un d'autre : un père indisponible, "morceau de mobilier assis à la table de la salle à manger", cigarette à la main. Alcoolique aussi, et fumeur à la chaîne, qui mourut prématurément.

L'analyse révolutionnaire d'Everett a brisé une impasse théorique dans l'interprétation du "comment" de la mécanique quantique. Bien que l'idée des mondes multiples ne soit pas encore universellement acceptée aujourd'hui, ses méthodes de conception de la théorie présagèrent le concept de décohérence quantique - explication moderne du pourquoi et comment la bizarrerie probabiliste de la mécanique quantique peut se résoudre dans le monde concret de notre expérience. Le travail d'Everett est bien connu dans les milieux de la physique et de la philosophie, mais l'histoire de sa découverte et du reste de sa vie l'est relativement moins. Les recherches archivistiques de l'historien russe Eugène Shikhovtsev, de moi-même et d'autres, ainsi que les entretiens que j'ai menés avec les collègues et amis du scientifique décédé, ainsi qu'avec son fils musicien de rock, révèlent l'histoire d'une intelligence radieuse éteinte trop tôt par des démons personnels.

Le voyage scientifique d'Everett commença une nuit de 1954, raconte-t-il deux décennies plus tard, "après une gorgée ou deux de sherry". Lui et son camarade de classe de Princeton Charles Misner et un visiteur nommé Aage Petersen (alors assistant de Niels Bohr) pensaient "des choses ridicules sur les implications de la mécanique quantique". Au cours de cette session Everett eut l'idée de base fondant la théorie des mondes multiples, et dans les semaines qui suivirent, il commença à la développer dans un mémoire. L'idée centrale était d'interpréter ce que les équations de la mécanique quantique représentent dans le monde réel en faisant en sorte que les mathématiques de la théorie elle-même montrent le chemin plutôt qu'en ajoutant des hypothèses d'interprétation aux mathématiques existantes sur le sujet. De cette façon, le jeune homme a mis au défi l'establishment physique de l'époque en reconsidérant sa notion fondamentale de ce qui constitue la réalité physique. En poursuivant cette entreprise, Everett s'attaqua avec audace au problème notoire de la mesure en mécanique quantique, qui accablait les physiciens depuis les années 1920.

En résumé, le problème vient d'une contradiction entre la façon dont les particules élémentaires (comme les électrons et les photons) interagissent au niveau microscopique quantique de la réalité et ce qui se passe lorsque les particules sont mesurées à partir du niveau macroscopique classique. Dans le monde quantique, une particule élémentaire, ou une collection de telles particules, peut exister dans une superposition de deux ou plusieurs états possibles. Un électron, par exemple, peut se trouver dans une superposition d'emplacements, de vitesses et d'orientations différentes de sa rotation. Pourtant, chaque fois que les scientifiques mesurent l'une de ces propriétés avec précision, ils obtiennent un résultat précis - juste un des éléments de la superposition, et non une combinaison des deux. Nous ne voyons jamais non plus d'objets macroscopiques en superposition. Le problème de la mesure se résume à cette question : Comment et pourquoi le monde unique de notre expérience émerge-t-il des multiples alternatives disponibles dans le monde quantique superposé ? Les physiciens utilisent des entités mathématiques appelées fonctions d'onde pour représenter les états quantiques. Une fonction d'onde peut être considérée comme une liste de toutes les configurations possibles d'un système quantique superposé, avec des nombres qui donnent la probabilité que chaque configuration soit celle, apparemment choisie au hasard, que nous allons détecter si nous mesurons le système. La fonction d'onde traite chaque élément de la superposition comme étant également réel, sinon nécessairement également probable de notre point de vue. L'équation de Schrödinger décrit comment la fonction ondulatoire d'un système quantique changera au fil du temps, une évolution qu'elle prédit comme lisse et déterministe (c'est-à-dire sans caractère aléatoire).

Mais cette élégante mathématique semble contredire ce qui se passe lorsque les humains observent un système quantique, tel qu'un électron, avec un instrument scientifique (qui lui-même peut être considéré comme un système quantique). Car au moment de la mesure, la fonction d'onde décrivant la superposition d'alternatives semble s'effondrer en un unique membre de la superposition, interrompant ainsi l'évolution en douceur de la fonction d'onde et introduisant la discontinuité. Un seul résultat de mesure émerge, bannissant toutes les autres possibilités de la réalité décrite de manière classique. Le choix de l'alternative produite au moment de la mesure semble arbitraire ; sa sélection n'évolue pas logiquement à partir de la fonction d'onde chargée d'informations de l'électron avant la mesure. Les mathématiques de l'effondrement n'émergent pas non plus du flux continu de l'équation de Schrödinger. En fait, l'effondrement (discontinuité) doit être ajouté comme un postulat, comme un processus supplémentaire qui semble violer l'équation.

De nombreux fondateurs de la mécanique quantique, notamment Bohr, Werner Heisenberg et John von Neumann, se sont mis d'accord sur une interprétation de la mécanique quantique - connue sous le nom d'interprétation de Copenhague - pour traiter le problème des mesures. Ce modèle de réalité postule que la mécanique du monde quantique se réduit à des phénomènes observables de façon classique et ne trouve son sens qu'en termes de phénomènes observables, et non l'inverse. Cette approche privilégie l'observateur externe, le plaçant dans un domaine classique distinct du domaine quantique de l'objet observé. Bien qu'incapables d'expliquer la nature de la frontière entre le domaine quantique et le domaine classique, les Copenhagueistes ont néanmoins utilisé la mécanique quantique avec un grand succès technique. Des générations entières de physiciens ont appris que les équations de la mécanique quantique ne fonctionnent que dans une partie de la réalité, la microscopique, et cessent d'être pertinentes dans une autre, la macroscopique. C'est tout ce dont la plupart des physiciens ont besoin.

Fonction d'onde universelle. Par fort effet contraire, Everett s'attaqua au problème de la mesure en fusionnant les mondes microscopique et macroscopique. Il fit de l'observateur une partie intégrante du système observé, introduisant une fonction d'onde universelle qui relie les observateurs et les objets dans un système quantique unique. Il décrivit le monde macroscopique en mécanique quantique imaginant que les grands objets existent également en superpositions quantiques. Rompant avec Bohr et Heisenberg, il n'avait pas besoin de la discontinuité d'un effondrement de la fonction ondulatoire. L'idée radicalement nouvelle d'Everett était de se demander : Et si l'évolution continue d'une fonction d'onde n'était pas interrompue par des actes de mesure ? Et si l'équation de Schrödinger s'appliquait toujours et s'appliquait aussi bien à tous les objets qu'aux observateurs ? Et si aucun élément de superposition n'est jamais banni de la réalité ? A quoi ressemblerait un tel monde pour nous ? Everett constata, selon ces hypothèses, que la fonction d'onde d'un observateur devrait, en fait, bifurquer à chaque interaction de l'observateur avec un objet superposé. La fonction d'onde universelle contiendrait des branches pour chaque alternative constituant la superposition de l'objet. Chaque branche ayant sa propre copie de l'observateur, copie qui percevait une de ces alternatives comme le résultat. Selon une propriété mathématique fondamentale de l'équation de Schrödinger, une fois formées, les branches ne s'influencent pas mutuellement. Ainsi, chaque branche se lance dans un avenir différent, indépendamment des autres. Prenons l'exemple d'une personne qui mesure une particule qui se trouve dans une superposition de deux états, comme un électron dans une superposition de l'emplacement A et de l'emplacement B. Dans une branche, la personne perçoit que l'électron est à A. Dans une branche presque identique, une copie de la personne perçoit que le même électron est à B. Chaque copie de la personne se perçoit comme unique et considère que la chance lui a donné une réalité dans un menu des possibilités physiques, même si, en pleine réalité, chaque alternative sur le menu se réalise.

Expliquer comment nous percevons un tel univers exige de mettre un observateur dans l'image. Mais le processus de ramification se produit indépendamment de la présence ou non d'un être humain. En général, à chaque interaction entre systèmes physiques, la fonction d'onde totale des systèmes combinés aurait tendance à bifurquer de cette façon. Aujourd'hui, la compréhension de la façon dont les branches deviennent indépendantes et ressemblent à la réalité classique à laquelle nous sommes habitués est connue sous le nom de théorie de la décohérence. C'est une partie acceptée de la théorie quantique moderne standard, bien que tout le monde ne soit pas d'accord avec l'interprétation d'Everett comme quoi toutes les branches représentent des réalités qui existent. Everett n'a pas été le premier physicien à critiquer le postulat de l'effondrement de Copenhague comme inadéquat. Mais il a innové en élaborant une théorie mathématiquement cohérente d'une fonction d'onde universelle à partir des équations de la mécanique quantique elle-même. L'existence d'univers multiples a émergé comme une conséquence de sa théorie, pas par un prédicat. Dans une note de bas de page de sa thèse, Everett écrit : "Du point de vue de la théorie, tous les éléments d'une superposition (toutes les "branches") sont "réels", aucun n'est plus "réel" que les autres. Le projet contenant toutes ces idées provoqua de remarquables conflits dans les coulisses, mis au jour il y a environ cinq ans par Olival Freire Jr, historien des sciences à l'Université fédérale de Bahia au Brésil, dans le cadre de recherches archivistiques.

Au printemps de 1956 le conseiller académique à Princeton d'Everett, John Archibald Wheeler, prit avec lui le projet de thèse à Copenhague pour convaincre l'Académie royale danoise des sciences et lettres de le publier. Il écrivit à Everett qu'il avait eu "trois longues et fortes discussions à ce sujet" avec Bohr et Petersen. Wheeler partagea également le travail de son élève avec plusieurs autres physiciens de l'Institut de physique théorique de Bohr, dont Alexander W. Stern. Scindages La lettre de Wheeler à Everett disait en autre : "Votre beau formalisme de la fonction ondulatoire reste bien sûr inébranlable ; mais nous sentons tous que la vraie question est celle des mots qui doivent être attachés aux quantités de ce formalisme". D'une part, Wheeler était troublé par l'utilisation par Everett d'humains et de boulets de canon "scindés" comme métaphores scientifiques. Sa lettre révélait l'inconfort des Copenhagueistes quant à la signification de l'œuvre d'Everett. Stern rejeta la théorie d'Everett comme "théologique", et Wheeler lui-même était réticent à contester Bohr. Dans une longue lettre politique adressée à Stern, il explique et défend la théorie d'Everett comme une extension, non comme une réfutation, de l'interprétation dominante de la mécanique quantique : "Je pense que je peux dire que ce jeune homme très fin, capable et indépendant d'esprit en est venu progressivement à accepter l'approche actuelle du problème de la mesure comme correcte et cohérente avec elle-même, malgré quelques traces qui subsistent dans le présent projet de thèse d'une attitude douteuse envers le passé. Donc, pour éviter tout malentendu possible, permettez-moi de dire que la thèse d'Everett ne vise pas à remettre en question l'approche actuelle du problème de la mesure, mais à l'accepter et à la généraliser."

Everett aurait été en total désaccord avec la description que Wheeler a faite de son opinion sur l'interprétation de Copenhague. Par exemple, un an plus tard, en réponse aux critiques de Bryce S. DeWitt, rédacteur en chef de la revue Reviews of Modern Physics, il écrivit : "L'Interprétation de Copenhague est désespérément incomplète en raison de son recours a priori à la physique classique... ainsi que d'une monstruosité philosophique avec un concept de "réalité" pour le monde macroscopique qui ne marche pas avec le microcosme." Pendant que Wheeler était en Europe pour plaider sa cause, Everett risquait alors de perdre son permis de séjour étudiant qui avait été suspendu. Pour éviter d'aller vers des mesures disciplinaires, il décida d'accepter un poste de chercheur au Pentagone. Il déménagea dans la région de Washington, D.C., et ne revint jamais à la physique théorique. Au cours de l'année suivante, cependant, il communiqua à distance avec Wheeler alors qu'il avait réduit à contrecœur sa thèse au quart de sa longueur d'origine. En avril 1957, le comité de thèse d'Everett accepta la version abrégée - sans les "scindages". Trois mois plus tard, Reviews of Modern Physics publiait la version abrégée, intitulée "Relative State' Formulation of Quantum Mechanics".("Formulation d'état relatif de la mécanique quantique.") Dans le même numéro, un document d'accompagnement de Wheeler loue la découverte de son élève. Quand le papier parut sous forme imprimée, il passa instantanément dans l'obscurité.

Wheeler s'éloigna progressivement de son association avec la théorie d'Everett, mais il resta en contact avec le théoricien, l'encourageant, en vain, à faire plus de travail en mécanique quantique. Dans une entrevue accordée l'an dernier, Wheeler, alors âgé de 95 ans, a déclaré qu' "Everett était déçu, peut-être amer, devant les non réactions à sa théorie. Combien j'aurais aimé continuer les séances avec lui. Les questions qu'il a soulevées étaient importantes." Stratégies militaires nucléaires Princeton décerna son doctorat à Everett près d'un an après qu'il ait commencé son premier projet pour le Pentagone : le calcul des taux de mortalité potentiels des retombées radioactives d'une guerre nucléaire. Rapidement il dirigea la division des mathématiques du Groupe d'évaluation des systèmes d'armes (WSEG) du Pentagone, un groupe presque invisible mais extrêmement influent. Everett conseillait de hauts responsables des administrations Eisenhower et Kennedy sur les meilleures méthodes de sélection des cibles de bombes à hydrogène et de structuration de la triade nucléaire de bombardiers, de sous-marins et de missiles pour un impact optimal dans une frappe nucléaire. En 1960, participa à la rédaction du WSEG n° 50, un rapport qui reste classé à ce jour. Selon l'ami d'Everett et collègue du WSEG, George E. Pugh, ainsi que des historiens, le WSEG no 50 a rationalisé et promu des stratégies militaires qui ont fonctionné pendant des décennies, notamment le concept de destruction mutuelle assurée. Le WSEG a fourni aux responsables politiques de la guerre nucléaire suffisamment d'informations effrayantes sur les effets mondiaux des retombées radioactives pour que beaucoup soient convaincus du bien-fondé d'une impasse perpétuelle, au lieu de lancer, comme le préconisaient certains puissants, des premières attaques préventives contre l'Union soviétique, la Chine et d'autres pays communistes.

Un dernier chapitre de la lutte pour la théorie d'Everett se joua également dans cette période. Au printemps 1959, Bohr accorda à Everett une interview à Copenhague. Ils se réunirent plusieurs fois au cours d'une période de six semaines, mais avec peu d'effet : Bohr ne changea pas sa position, et Everett n'est pas revenu à la recherche en physique quantique. L'excursion n'avait pas été un échec complet, cependant. Un après-midi, alors qu'il buvait une bière à l'hôtel Østerport, Everett écrivit sur un papier à l'en-tête de l'hôtel un raffinement important de cet autre tour de force mathématique qui a fait sa renommée, la méthode généralisée du multiplicateur de Lagrange, aussi connue sous le nom d'algorithme Everett. Cette méthode simplifie la recherche de solutions optimales à des problèmes logistiques complexes, allant du déploiement d'armes nucléaires aux horaires de production industrielle juste à temps en passant par l'acheminement des autobus pour maximiser la déségrégation des districts scolaires. En 1964, Everett, Pugh et plusieurs autres collègues du WSEG ont fondé une société de défense privée, Lambda Corporation. Entre autres activités, il a conçu des modèles mathématiques de systèmes de missiles anti-missiles balistiques et de jeux de guerre nucléaire informatisés qui, selon Pugh, ont été utilisés par l'armée pendant des années. Everett s'est épris de l'invention d'applications pour le théorème de Bayes, une méthode mathématique de corrélation des probabilités des événements futurs avec l'expérience passée. En 1971, Everett a construit un prototype de machine bayésienne, un programme informatique qui apprend de l'expérience et simplifie la prise de décision en déduisant les résultats probables, un peu comme la faculté humaine du bon sens. Sous contrat avec le Pentagone, le Lambda a utilisé la méthode bayésienne pour inventer des techniques de suivi des trajectoires des missiles balistiques entrants. En 1973, Everett quitte Lambda et fonde une société de traitement de données, DBS, avec son collègue Lambda Donald Reisler. Le DBS a fait des recherches sur les applications des armes, mais s'est spécialisée dans l'analyse des effets socio-économiques des programmes d'action sociale du gouvernement. Lorsqu'ils se sont rencontrés pour la première fois, se souvient M. Reisler, Everett lui a demandé timidement s'il avait déjà lu son journal de 1957. J'ai réfléchi un instant et j'ai répondu : "Oh, mon Dieu, tu es cet Everett, le fou qui a écrit ce papier dingue", dit Reisler. "Je l'avais lu à l'université et avais gloussé, le rejetant d'emblée." Les deux sont devenus des amis proches mais convinrent de ne plus parler d'univers multiples.

Malgré tous ces succès, la vie d'Everett fut gâchée de bien des façons. Il avait une réputation de buveur, et ses amis disent que le problème semblait s'aggraver avec le temps. Selon Reisler, son partenaire aimait habituellement déjeuner avec trois martinis, dormant dans son bureau, même s'il réussissait quand même à être productif. Pourtant, son hédonisme ne reflétait pas une attitude détendue et enjouée envers la vie. "Ce n'était pas quelqu'un de sympathique", dit Reisler. "Il apportait une logique froide et brutale à l'étude des choses... Les droits civils n'avaient aucun sens pour lui." John Y. Barry, ancien collègue d'Everett au WSEG, a également remis en question son éthique. Au milieu des années 1970, Barry avait convaincu ses employeurs chez J. P. Morgan d'embaucher Everett pour mettre au point une méthode bayésienne de prévision de l'évolution du marché boursier. Selon plusieurs témoignages, Everett avait réussi, puis il refusa de remettre le produit à J. P. Morgan. "Il s'est servi de nous", se souvient Barry. "C'était un individu brillant, innovateur, insaisissable, indigne de confiance, probablement alcoolique." Everett était égocentrique. "Hugh aimait épouser une forme de solipsisme extrême", dit Elaine Tsiang, ancienne employée de DBS. "Bien qu'il eut peine à éloigner sa théorie [des monde multiples] de toute théorie de l'esprit ou de la conscience, il est évident que nous devions tous notre existence par rapport au monde qu'il avait fait naître." Et il connaissait à peine ses enfants, Elizabeth et Mark. Alors qu'Everett poursuivait sa carrière d'entrepreneur, le monde de la physique commençait à jeter un regard critique sur sa théorie autrefois ignorée. DeWitt pivota d'environ 180 degrés et devint son défenseur le plus dévoué. En 1967, il écrivit un article présentant l'équation de Wheeler-DeWitt : une fonction d'onde universelle qu'une théorie de la gravité quantique devrait satisfaire. Il attribue à Everett le mérite d'avoir démontré la nécessité d'une telle approche. DeWitt et son étudiant diplômé Neill Graham ont ensuite publié un livre de physique, The Many-Worlds Interpretation of Quantum Mechanics, qui contenait la version non informatisée de la thèse d'Everett. L'épigramme "mondes multiples" se répandit rapidement, popularisée dans le magazine de science-fiction Analog en 1976. Toutefois, tout le monde n'est pas d'accord sur le fait que l'interprétation de Copenhague doive céder le pas. N. David Mermin, physicien de l'Université Cornell, soutient que l'interprétation d'Everett traite la fonction des ondes comme faisant partie du monde objectivement réel, alors qu'il la considère simplement comme un outil mathématique. "Une fonction d'onde est une construction humaine", dit Mermin. "Son but est de nous permettre de donner un sens à nos observations macroscopiques. Mon point de vue est exactement le contraire de l'interprétation des mondes multiples. La mécanique quantique est un dispositif qui nous permet de rendre nos observations cohérentes et de dire que nous sommes à l'intérieur de la mécanique quantique et que la mécanique quantique doive s'appliquer à nos perceptions est incohérent." Mais de nombreux physiciens avancent que la théorie d'Everett devrait être prise au sérieux. "Quand j'ai entendu parler de l'interprétation d'Everett à la fin des années 1970, dit Stephen Shenker, physicien théoricien à l'Université Stanford, j'ai trouvé cela un peu fou. Maintenant, la plupart des gens que je connais qui pensent à la théorie des cordes et à la cosmologie quantique pensent à quelque chose qui ressemble à une interprétation à la Everett. Et à cause des récents développements en informatique quantique, ces questions ne sont plus académiques."

Un des pionniers de la décohérence, Wojciech H. Zurek, chercheur au Los Alamos National Laboratory, a commente que "l'accomplissement d'Everett fut d'insister pour que la théorie quantique soit universelle, qu'il n'y ait pas de division de l'univers entre ce qui est a priori classique et ce qui est a priori du quantum. Il nous a tous donné un ticket pour utiliser la théorie quantique comme nous l'utilisons maintenant pour décrire la mesure dans son ensemble." Le théoricien des cordes Juan Maldacena de l'Institute for Advanced Study de Princeton, N.J., reflète une attitude commune parmi ses collègues : "Quand je pense à la théorie d'Everett en mécanique quantique, c'est la chose la plus raisonnable à croire. Dans la vie de tous les jours, je n'y crois pas."

En 1977, DeWitt et Wheeler invitèrent Everett, qui détestait parler en public, à faire une présentation sur son interprétation à l'Université du Texas à Austin. Il portait un costume noir froissé et fuma à la chaîne pendant tout le séminaire. David Deutsch, maintenant à l'Université d'Oxford et l'un des fondateurs du domaine de l'informatique quantique (lui-même inspiré par la théorie d'Everett), était là. "Everett était en avance sur son temps", dit Deutsch en résumant la contribution d'Everett. "Il représente le refus de renoncer à une explication objective. L'abdication de la finalité originelle de ces domaines, à savoir expliquer le monde, a fait beaucoup de tort au progrès de la physique et de la philosophie. Nous nous sommes irrémédiablement enlisés dans les formalismes, et les choses ont été considérées comme des progrès qui ne sont pas explicatifs, et le vide a été comblé par le mysticisme, la religion et toutes sortes de détritus. Everett est important parce qu'il s'y est opposé." Après la visite au Texas, Wheeler essaya de mettre Everett en contact avec l'Institute for Theoretical Physics à Santa Barbara, Californie. Everett aurait été intéressé, mais le plan n'a rien donné. Totalité de l'expérience Everett est mort dans son lit le 19 juillet 1982. Il n'avait que 51 ans.

Son fils, Mark, alors adolescent, se souvient avoir trouvé le corps sans vie de son père ce matin-là. Sentant le corps froid, Mark s'est rendu compte qu'il n'avait aucun souvenir d'avoir jamais touché son père auparavant. "Je ne savais pas quoi penser du fait que mon père venait de mourir, m'a-t-il dit. "Je n'avais pas vraiment de relation avec lui." Peu de temps après, Mark a déménagé à Los Angeles. Il est devenu un auteur-compositeur à succès et chanteur principal d'un groupe de rock populaire, Eels. Beaucoup de ses chansons expriment la tristesse qu'il a vécue en tant que fils d'un homme déprimé, alcoolique et détaché émotionnellement. Ce n'est que des années après la mort de son père que Mark a appris l'existence de la carrière et des réalisations de son père. La sœur de Mark, Elizabeth, fit la première d'une série de tentatives de suicide en juin 1982, un mois seulement avant la mort d'Everett. Mark la trouva inconsciente sur le sol de la salle de bain et l'amena à l'hôpital juste à temps. Quand il rentra chez lui plus tard dans la soirée, se souvient-il, son père "leva les yeux de son journal et dit : Je ne savais pas qu'elle était si triste."" En 1996, Elizabeth se suicida avec une overdose de somnifères, laissant une note dans son sac à main disant qu'elle allait rejoindre son père dans un autre univers. Dans une chanson de 2005, "Things the Grandchildren Should Know", Mark a écrit : "Je n'ai jamais vraiment compris ce que cela devait être pour lui de vivre dans sa tête". Son père solipsistiquement incliné aurait compris ce dilemme. "Une fois que nous avons admis que toute théorie physique n'est essentiellement qu'un modèle pour le monde de l'expérience, conclut Everett dans la version inédite de sa thèse, nous devons renoncer à tout espoir de trouver quelque chose comme la théorie correcte... simplement parce que la totalité de l'expérience ne nous est jamais accessible."

Auteur: Byrne Peter

Info: 21 octobre 2008, https://www.scientificamerican.com/article/hugh-everett-biography/. Publié à l'origine dans le numéro de décembre 2007 de Scientific American

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