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vengeance

Lucie : Non, je pense que le truc le plus recherché (et méchant)que j'ai jamais fait, c'était cet été.
Lucie : J'ai été serveuse pendant un mois. Franchement, même si la plupart des personnes que j'ai servi étaient correctes, on rencontre de temps en temps de beaux enfoirés.
Antoine : Tu m'étonnes... Qu'est ce qui c'était passé?
Lucie : Un mec débarque avec une dizaine de personnes, ils sont restés 2 heures, et il était juste insupportable.
Antoine : Genre?
Lucie : Genre il m'agrippait quand il voulait demander quelque chose, il se plaignait continuellement, il a du renvoyer la moitié des plats en cuisine... Il y avait une autre serveuse qui était pratiquement en larmes à la fin de son repas.
Lucie : Le truc, c'est que les gens peuvent se comporter comme des bouffons si ils sont prêts à en assumer les conséquences. Parce qu'un jour, ils vont tomber sur une psychopathe comme moi qui leur fera payer.
Antoine : Qu'est ce que t'as fait ??
Lucie : Il a payé par carte (et a laissé 2,5 euros de pourboire sur une addition de plus de 200, mais passons) et avait un nom assez inhabituel.
Lucie : Je le note quelque part, et quelques jours plus tard je cherche sur FB. Bingo, il est sur une des photos, je connais son prénom.
Lucie : Je vais chercher un numéro de téléphone dans les pages blanches. L'appel s'est déroulé à peu près comme ça :
Lucie : "Allo?" (voix de femme)
Lucie : "Hmmmmm euuuuh... je pourrais parler à ***?"
Lucie : "Il n'est pas là. Qui est à l'appareil?"
Lucie : "C'est Tiffany, qui êtes-vous?"
Lucie : "Sa femme."
Lucie : "SA FEMME???? HA LE CONNARD!!!!!" *Raccroche*
Antoine : ...
Antoine : Tu es vraiment flippante, tu sais? Brillante... Mais terrifiante.

Auteur: Internet

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[ dialogue-web ]

 

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ambivalence

Elle n'est pas heureuse, la vie, à Raïssa. Dans les rues, les gens marchent en se tordant les mains, disputent les enfants qui pleurent, s'appuient aux parapets des fleuves en prenant leurs tempes entre leurs mains ; le matin, ils émergent d'un mauvais rêve et en commencent un autre. Dans les ateliers où à chaque instant on se tape à coups de marteau sur les doigts et se pique avec une aiguille, sur les colonnades de chiffres tordus des registres de négociants et de banquiers, devant les verres vides rangés sur le zinc des bistrots, c'est un moindre mal quand les têtes se penchent en t'épargnant des regards torves. Dans les maisons, c'est pire, et il n'est pas nécessaire d'y entrer pour le savoir : l'été, les fenêtres retentissent de disputes et de bris de vaisselle. Et pourtant, à Raïssa, à tout moment, un enfant rit à sa fenêtre, en voyant un chien sauter sur un auvent pour mordre dans le morceau de polenta qu'un maçon à lâché du haut d'un échafaudage, en s'exclamant : "Mon trésor, laisse-moi plonger !" à l'adresse d'une jeune hôtelière qui soulève un plat de ragoût sous sa pergola, contente de le servir au marchand de parapluies qui fête une bonne affaire, l'ombrelle de dentelle blanche avec quoi  va se pavaner aux courses une grande dame amoureuse d'un officier qui lui a souri alors qu'il sautait la dernière haie, heureux lui-même mais plus heureux encore son cheval qui volait par-dessus les obstacles voyant voler dans le ciel un francolin, heureux oiseau libéré de sa cage par un peintre heureux de l'avoir peint plume à plume, tacheté de rouge et de jaune, dans une miniature, à cette page du livre où le philosophe dit : "Même à Raïssa, ville triste, court un fil invisible qui par instants réunit un être vivant à un autre et se défait, puis revient se tendre entre des points en mouvement, dessinant de nouvelles figures rapides, si bien qu'à chaque seconde la ville malheureuse contient une ville heureuse sans même qu'elle le sache."

Auteur: Calvino Italo

Info: Villes invisibles

[ cité imaginaire ]

 

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biographie

La notice du Monde, en regard de sa tribune, nous présente Alain Badiou (1937-…) comme "philosophe, dramaturge et romancier, professeur émérite à l’Ecole normale supérieure". En fait, il est surtout un bourgeois et un héritier, un "fils de" - en l’occurrence de Marguerite et Raymond, déjà, tous deux, normaliens supérieurs. Le fils Badiou ne sort pas des faubourgs mais de la mairie de Toulouse, dirigée par son père entre 1944 et 1958. Entre ses sept et vingt-et-un ans. Cela crée un habitus du pouvoir et de ses pompes. Sa manie mathématique, il l’a également héritée de son père, lui-même agrégé, comme il en a hérité son adhésion au PSU et son entrée à Normale Sup. Au fond, et c’est son trait le moins répulsif, Badiou est un bon fils et un bon élève qui pense mériter son élévation – par son travail, son application, sa rigueur, sa fidélité aux préceptes reçus et assimilés. Un fanatique consciencieux, inflexible et bénin comme un frère inquisiteur ou un fonctionnaire du Parti. Il est notable qu’il n’élève pas la voix dans les débats "au sein du peuple", confiant dans la toute-puissance de l’argument, puisque son argument possède la toute-puissance de la vérité. Ses sentences d’extermination, il les réserve à "l’ennemi", de même qu’il se réserve la distinction entre l’ami et l’ennemi, en fonction de son interprétation des textes : De la contradiction (1937) et De la juste solution des contradictions au sein du peuple (1957). Gare, simplement, à ne pas glisser d’un camp à l’autre, en s’opposant par exemple à ses exégèses. S’il faut brûler des corps pour sauver des âmes, l’intellectuel aux mains blanches, aux petits yeux plissés, aux lèvres minces et serrées, au ton docte et posé, fera brûler des corps ; fidèle en cela au texte qui lui en donne le pouvoir. Au texte qui lui donne le pouvoir. Il pense sincèrement être le premier de sa promo en marxisme et il aurait trouvé affreusement injuste de ne pas gravir tous les degrés du cursus honorum, maître-assistant à la fac de Reims, professeur à l’université de Vincennes, puis à Normale Sup, etc.

Auteur: PMO Pièces et main-d'oeuvre

Info: Dans "Alain Badiou nous attaque", page 38

[ vacherie ] [ origines ] [ castes ] [ France ]

 
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révélation mystique

Au-dessus de lui, vaste, s’étendait à l’infini le dôme céleste, plein d’étoiles calmes et scintillantes. Du zénith à l’horizon apparaissait la voie lactée, encore indistincte. Une nuit fraîche et calme jusqu’à l’immobilité enveloppait la terre. Les tours blanches et les coupoles dorées de la cathédrale brillaient sur le saphir du ciel. Les somptueuses fleurs d’automne des parterres autour de la maison s’étaient endormies jusqu’au matin. Le silence de la terre semblait se fondre dans celui du ciel, le mystère de la terre rejoindre celui des étoiles... Aliocha, debout, regardait et brusquement, comme fauché, il tomba à terre.

Il ne savait pas pourquoi il étreignait la terre, il ignorait pourquoi il avait irrésistiblement envie de la baiser, de la baiser, tout entière, mais il la baisait en pleurant, en sanglotant, en l’arrosant de ses larmes, et il jurait éperdument de l’aimer, de l’aimer à tout jamais. "Arrose la terre des larmes de ta joie et aime ces larmes..." ces paroles retentirent dans son âme. Pourquoi pleurait-il ? Oh, il pleurait, dans son extase, même sur ces étoiles qui scintillaient vers lui de l’infini, et il "n’avait pas honte de ce paroxysme". Comme si les fils de tous ces innombrables mondes de Dieu convergeaient d’un coup dans son âme, et elle vibrait "au contact des autres mondes". Il aurait voulu pardonner à tous et pour tout, demander pardon, oh ! pas pour lui, mais pour tous, pour tous et tout, "pour moi d’autres le font", entendit-il de nouveau retentir dans son âme. Mais d’instant en instant, il sentait plus nettement et d’une façon en quelque sorte tangible descendre dans son âme quelque chose d’aussi ferme et immuable que cette voûte céleste. Une idée prenait possession de son esprit, cette fois pour la vie et à tout jamais. Il était tombé à terre faible adolescent et il se releva ferme combattant pour toute sa vie, il en eut conscience et le sentit soudain, au moment même de son extase. Et jamais, plus jamais Aliocha ne put oublier cet instant. "Quelqu’un a visité mon âme à cette heure !" disait-il plus tard en croyant fermement à ses paroles...

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: Dans "Les Frères Karamazov", volume 2, traduction d'Elisabeth Guertik, le Cercle du bibliophile, pages 48-49

[ métanoïa ] [ renouveau ] [ rédemption ]

 
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famille

Le soir, lorsque son papa rentre à la maison et qu’il s’aperçoit que la maman est en train de crier dans la cuisine, il rouspète : "Quand je t’ai épousée, tu n’étais pas comme ça." La maman devient blanche, bat des cils : le papa est très vilain. A dîner, il y a la soupe de légumes que les enfants détestent : "J’aime pas ça", dit le petit garçon. La maman remplit une cuillère de potage et l’avance vers l’enfant : il pince les lèvres et secoue la tête, il tache la nappe ; son papa le réprimande, mais la maman pose la main sur la tête de son fils, pour le défendre contre ce père qui gronde ; elle demande qu’on emporte la soupe, qu’on n’en parle plus, qu’on serve plutôt un bifteck pour son enfant, un peu de morue pour elle et pour son mari, agrémentée de beaucoup de pommes de terre pour le papa. Après quelques bouchées, le mari éloigne le plat, repousse le pain, sa serviette tombe par terre et, tandis qu’il boit, il murmure : "Ma mère faisait cuire la morue dans du lait." Sa femme voit qu’il lorgne le bifteck de son fils : "Ma parole, il serait capable d’arracher la nourriture de la bouche de son fils", se dit-elle en lui lançant un regard méprisant. Elle aussi a envie de viande, elle aussi déteste la morue, mais avec ce qu’il gagne ! – comme il ne cesse de le lui répéter chaque fois qu’elle veut acheter une rose pour la placer dans un vase au milieu de la table ou deux bonbons pour le petit. Cependant, elle fait un effort ; elle coupe la moitié du bifteck dans l’assiette de son fils et, d’un ton tout à fait naturel, elle lance : "Donnes-en un peu à papa." L’enfant ne bronche pas, son père rougit, la mère recoupe la viande très lentement au même endroit où elle l’a déjà coupée et, finalement, l’homme dit ce que tous s’attendaient qu’ils disent : "Non, non, il en a plus besoin que moi." Ce mari et cette femme s’aiment vraiment, et ils aiment vraiment leur enfant, c’est pour cela qu’ils se sont si souvent du mal : ils se mortifient, et ils s’imaginent qu’ils doivent faire des sacrifices, ils ont une fausse idée de l’amour et ne font qu’aggraver la situation.

Auteur: Masino Paola

Info: Dans "La Massaia", pages 98-99

[ sentiments ] [ repas ] [ description ] [ tensions ]

 

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cité imaginaire

Quand on arrive à Fillide, on est heureux de voir combien de ponts différents traversent les canaux : ponts en dos d'âne, ponts couverts, ponts sur piliers, ponts sur bateaux, ponts suspendus, ponts à parapets percés ; combien de fenêtres différentes s'ouvrent sur les rues : à meneaux, mauresques, en lance, en pointe, à lunettes ou à rosaces ; combien de types de pavés recouvrent le sol : pavés, dalles, bardeaux, tuiles bleues et blanches. En tout point, la ville offre des surprises à l'œil : une touffe de cabestans dépassant des murs de la forteresse, les statues de trois reines sur une étagère, un dôme à oignons avec trois petits oignons collés sur la flèche. "Heureux celui qui a un jour Fillide sous les yeux et qui n'a jamais fini de voir les choses qu'il contient", vous exclamez, avec le regret de devoir quitter la ville après l'avoir seulement effleurée du regard.

     Au lieu de cela, vous vous arrêtez à Fillide et y passez le reste de vos jours. Bientôt la ville s'efface de vos yeux, les rosaces, les statues sur les étagères, les coupoles s'effacent. Comme tous les habitants de Fillide, vous suivez des lignes en zigzag d'une rue à l'autre, vous distinguez les zones de soleil et les zones d'ombre, une porte ici, un escalier là, un banc où poser son panier, une bosse où votre pied trébuchera si vous ne faites pas attention. Tout le reste de la ville est invisible. Fillide est un espace dans lequel des chemins sont tracés entre des points suspendus dans le vide, le chemin le plus court pour atteindre la tente de ce marchand en évitant la porte de ce créancier. Tes pas courent après ce qui n'est pas à l'extérieur de tes yeux mais à l'intérieur, enfoui et effacé : si entre deux portiques l'un continue à paraître plus gai c'est parce que c'est celui où une fille aux larges manches brodées est passée il y a trente ans, ou c'est seulement parce qu'il reçoit de la lumière à une certaine heure comme ce portique dont tu ne te souviens plus où il était.

     Des millions d'yeux lèvent les yeux sur les fenêtres du pont des cabestans et c'est comme s'ils défilaient sur une page blanche. De nombreuses villes comme Fillide échappent aux regards, à moins que vous ne les preniez par surprise.

Auteur: Calvino Italo

Info: Villes invisibles

[ baroque ]

 

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femmes-hommes

Il ouvre un oeil, glisse la main sur sa cuisse et dit, sa plaisanterie habituelle, quand je pense que cette belle bouche, qui me dit des mots si doux, si raffinés me fait des choses si, si... Elle lui décoche une grimace. - Comment peux-tu faire ces choses ? Dit-il avec un sourire de ravissement. Explique. - Elle se défend, c'est le jeu, il joue, il la provoque, elle se défend et le traite d'affreux menteur avec des accents de menteuse qui joue, il hausse les yeux comme dans l'extase d'une réminiscence, elle dit d'accord, la main droite posée cérémonieusement sur l'épaule gauche, image de la sainteté même, mais alors écoute bien... et pardonne, si tu peux.
D'abord, si l'on se penche sur la verge, c'est qu'il y a envie de l'emboucher. L'envie générale.
Il faudrait pouvoir expliquer ce que c'est que cette envie générale d'emboucher la verge et tout ce qui s'ensuit. Non, ce qui s'ensuit n'apparaît pas encore. D'abord l'envie générale. On se frotte un peu contre le corps de l'autre pour qu'elle bande ; "elle", c'est l'objet du désir. Pas une femme. Ça n'est pas une histoire de femmes. Encore que la douceur de la peau de la verge a quelque chose qui rappelle la douceur des peaux de femmes, des lèvres de femmes.
Elle vient de donner ces dernières précisions en se tournant vers un public imaginaire.
- Le membre est peut-être déjà prêt. L'envie générale cependant ne permet pas à coup sûr de commencer avec enthousiasme. Il y a d'abord un instant de lassitude qui suit le premier contact. Comment, se dit-on, tenir plus de quelques minutes, ne pas se lasser, à répéter toujours le même geste lent, la même langue allant, le même mouvement ?
Il y a, c'est certain, un premier instant d'inquiétude que seuls les ans permettent d'adoucir : on finit par savoir que le plaisir viendra. Mais il y a cet instant. Parce qu'on passe consciencieusement ses lèvres et sa langue sur quelques centimètres de peau, douce, certes, mais quelques centimètres, et - vers le public - quels centimètres ! Si contraignants, loin d'être page blanche dont la surface plane se prête à tous les desseins, ce sont centimètres définitifs et imposants. Rien de moins propice, semble-t-il, aux jeux de l'imagination que ces centimètres-là. Pourtant, diras-tu, il pourrait bien exister certains rapports... décisifs, entre la forme de la bouche et celle de l'objet... Certes, certes. Mais ici l'affaire, sais-tu bien, n'est pas conditionnée par la facilité ou par le plus ou moins d'aisance que la bouche trouve à emboucher.
A cet instant de lassitude, cet instant d'inquiétude que les ans permettent d'adoucir, on pensait encore. On se préoccupait de l'axe, de la profondeur de la langue. Technique. Non qu'il faille proscrire la technique, rien de plus funeste que le romantisme, en toutes choses et en celle-là, mais l'enthousiasme...
- Je bande.
- Mais l'enthousiasme ne vient que plus tard, qu'après l'instant de lassitude. Instant qui peut être, note bien, fort court. Le passage se fait très vite ; soudain les lèvres sont prises d'un feu sacré. Exaltation, joie, enthousiasme ! Enfin lis les vieux Grecs et tu sauras ce qu'il en est de l'enthousiasme. La chose a été largement décrite, rien de neuf là-dessous, une histoire de Muses, l'enthousiasme enfin !
Ponctué d'un hochement sec et doctoral du menton. Rien à ajouter.
- Maintenant il faudrait pourtant dire ce que c'est que cet enthousiasme des lèvres autour de la verge, cet état, rien de romantique, qui permet de dépasser la technique, ce pur plaisir des lèvres et des mains, l'assurance du plaisir donné, l'intime communication avec la jouissance de quelqu'un d'autre.
- Je bande.

Auteur: Cannone Belinda

Info: L'adieu à Stefan Zweig

[ fellation ] [ excitation ] [ sensualité ]

 

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amélioration

Le progrès est devenu le moyen de l'aliénation
Cela fait des décennies, sinon un siècle ou deux, que des gens cherchent le mot, l'ont "sur le bout de la langue", qu'il leur échappe, leur laissant une vive et chagrine frustration - sans le mot, comment dire la chose ?
Comment donner et nommer la raison du désarroi, de la révolte, du deuil et pour finir du découragement et d'une indifférence sans fond. Comme si l'on avait été amputé d'une partie du cerveau : amnésie, zone blanche dans la matière grise.
La politique, en tout cas la politique démocratique, commence avec les mots et l'usage des mots ; elle consiste pour une part prépondérante à nommer les choses et donc à les nommer du mot juste, avec une exactitude flaubertienne. Nommer une chose, c'est former une idée. Les idées ont des conséquences qui s'ensuivent inévitablement.
La plus grande part du travail d'élaboration de la novlangue, dans 1984, consiste non pas à créer, mais à supprimer des mots, et donc des idées - de mauvaises idées, des idées nocives du point du vue du Parti -, et donc toute velléité d'action en conséquence de ces mots formulant de mauvaises idées.
Nous sommes tombés sur "regrès", il y a fort peu de temps, un bon et vieux mot de français, tombé en désuétude comme on dit, bon pour le dictionnaire des obsolètes qui est le cimetière des mots. Et des idées. Et de leurs conséquences, bonnes ou mauvaises. Un mot "oublié" ?
Difficile de croire que le mot "regrès", antonyme du "progrès" ait disparu par hasard de la langue et des têtes. Le mouvement historique de l'idéologie à un moment quelconque du XIXe siècle a décidé que désormais, il n'y aurait plus que du progrès, et que le mot de regrès n'aurait pas plus d'usage que la plus grande part du vocabulaire du cheval aujourd'hui disparu avec l'animal et ses multiples usages qui entretenaient une telle familiarité entre lui et l'homme d'autrefois.
Ainsi les victimes du Progrès, de sa rançon et de ses dégâts, n'auraient plus de mot pour se plaindre. Ils seraient juste des arriérés et des réactionnaires : le camp du mal et des maudits voués aux poubelles de l'histoire. Si vous trouvez que l'on enfonce des portes ouvertes, vous avez raison. L'étonnant est qu'il faille encore les enfoncer.
Place au Tout-Progrès donc. Le mot lui-même n'avait à l'origine nulle connotation positive. Il désignait simplement une avancée, une progression. Même les plus acharnés progressistes concéderont que l'avancée - le progrès - d'un mal, du chaos climatique, d'une épidémie, d'une famine ou de tout autre phénomène négatif n'est ni un petit pas ni un grand bond en avant pour l'humanité. Surtout lorsqu'elle se juge elle-même, par la voix de ses autorités scientifiques, politiques, religieuses et morales, au bord du gouffre.
Ce qui a rendu le progrès si positif et impératif, c'est son alliance avec le pouvoir, énoncée par Bacon, le philosophe anglais, à l'aube de la pensée scientifique et rationaliste moderne : "Savoir c'est pouvoir". Cette alliance dont la bourgeoisie marchande et industrielle a été l'agente et la bénéficiaire principale a conquis le monde. Le pouvoir va au savoir comme l'argent à l'argent. Le pouvoir va au pouvoir.
Le progrès est l'arme du pouvoir sur les sans pouvoirs
Et c'est la leçon qu'en tire Marx dans La Guerre civile en France. Les sans pouvoirs ne peuvent pas se "réapproprier" un mode de production qui exige à la fois des capitaux gigantesques et une hiérarchie implacable. L'organisation scientifique de la société exige des scientifiques à sa tête : on ne gère pas cette société ni une centrale nucléaire en assemblée générale, avec démocratie directe et rotation des tâches. Ceux qui savent, décident, quel que soit l'habillage de leur pouvoir.
Contrairement à ce que s'imaginait Tocqueville dans une page célèbre, sur le caractère "providentiel" du progrès scientifique et démocratique, entrelacé dans son esprit, le progrès scientifique est d'abord celui du pouvoir sur les sans pouvoirs.
Certes, une technicienne aux commandes d'un drone, peut exterminer un guerrier viriliste, à distance et sans risque. Mais cela ne signifie aucun progrès de l'égalité des conditions. Simplement un progrès de l'inégalité des armements et des classes sociales.
C'est cette avance scientifique qui a éliminé des peuples multiples là-bas, des classes multiples ici et prolongé l'emprise étatique dans tous les recoins du pays, de la société et des (in)dividus par l'emprise numérique.
Chaque progrès de la puissance technologique se paye d'un regrès de la condition humaine et de l'émancipation sociale. C'est désormais un truisme que les machines, les robots et l'automation éliminent l'homme de la production et de la reproduction. Les machines éliminent l'homme des rapports humains (sexuels, sociaux, familiaux) ; elles l'éliminent de lui-même. A quoi bon vivre ? Elles le font tellement mieux que lui.
Non seulement le mot de "Progrès" - connoté à tort positivement - s'est emparé du monopole idéologique de l'ère technologique, mais cette coalition de collabos de la machine, scientifiques transhumanistes, entrepreneurs high tech, penseurs queers et autres avatars de la French theory, s'est elle-même emparé du monopole du mot "Progrès" et des idées associées. Double monopole donc, et double escroquerie sémantique.
Ces progressistes au plan technologique sont des régressistes au plan social et humain. Ce qu'en langage commun on nomme des réactionnaires, des partisans de la pire régression sociale et humaine. Cette réaction politique - mais toujours à l'avant-garde technoscientifique - trouve son expression dans le futurisme italien (Marinetti) (1), dans le communisme russe (Trotsky notamment), dans le fascisme et le nazisme, tous mouvements d'ingénieurs des hommes et des âmes, visant le modelage de l'homme nouveau, de l'Ubermensch, du cyborg, de l'homme bionique, à partir de la pâte humaine, hybridée d'implants et d'interfaces.
Le fascisme, le nazisme et le communisme n'ont succombé que face au surcroît de puissance technoscientifique des USA (nucléaire, informatique, fusées, etc.). Mais l'essence du mouvement, la volonté de puissance technoscientifique, s'est réincarnée et amplifiée à travers de nouvelles enveloppes politiques.
Dès 1945, Norbert Wiener mettait au point la cybernétique, la " machine à gouverner " et " l'usine automatisée ", c'est-à-dire la fourmilière technologique avec ses rouages et ses connexions, ses insectes sociaux-mécaniques, ex-humains. Son disciple, Kevin Warwick, déclare aujourd'hui : " Il y aura des gens implantés, hybridés et ceux-ci domineront le monde. Les autres qui ne le seront pas, ne seront pas plus utiles que nos vaches actuelles gardées au pré. " (2)
Ceux qui ne le croient pas, ne croyaient pas Mein Kampf en 1933. C'est ce techno-totalitarisme, ce " fascisme " de notre temps que nous combattons, nous, luddites et animaux politiques, et nous vous appelons à l'aide.
Brisons la machine.

Auteur: PMO

Info:

[ décadence ]

 

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père-fille

Notre pauvre enfant, Annie, née à Gower St le 2 mars 1841 est décédée à Malvern le 23 avril 1851 à midi. J'écris ces quelques pages, car je pense que dans les années à venir, si nous vivons, les impressions que je viens d'écrire me rappelleront plus vivement ses principales caractéristiques. De quelque point de vue que je la regarde, le trait principal de son caractère qui s'impose immédiatement à moi est sa joie de vivre tempérée par deux autres caractéristiques, à savoir sa sensibilité, qui aurait pu facilement passer inaperçue aux yeux d'un étranger, et sa grande affection. Sa joie et son esprit animal rayonnaient sur tout son visage et rendaient chacun de ses mouvements élastiques, pleins de vie et de vigueur. C'était un plaisir et une joie de la voir. Son cher visage se dresse maintenant devant moi, comme elle avait l'habitude de descendre les escaliers en courant avec une pincée de tabac à priser volée pour moi, son attitude entière rayonnant du plaisir de donner du plaisir. Même lorsqu'elle jouait avec ses cousins et que sa joie se transformait presque en turbulence, un seul regard de ma part, non pas de mécontentement (car je remercie Dieu de n'en avoir presque jamais jeté sur elle), mais de manque de sympathie, modifiait pendant quelques minutes toute sa physionomie. Cette sensibilité au moindre reproche la rendait très facile à gérer et très bonne : elle n'avait presque jamais besoin d'être prise en défaut et n'était jamais punie de quelque manière que ce soit. Sa sensibilité e manifesta très tôt dans la vie, en pleurant amèrement sur toute histoire un tant soit peu mélancolique, ou en se séparant d'Emma, même pour un court laps de temps. Une fois, alors qu'elle était très jeune, elle s'est exclamée "Oh Mamma, que ferions-nous si tu venais à mourir".

L'autre point de son caractère, qui rendait sa joie de vivre et son esprit si délicieux, était sa forte affection, qui était d'une nature très attachante et caressante. Lorsqu'elle était encore un bébé, cela se manifestait par le fait qu'elle ne pouvait jamais se passer de toucher Emma lorsqu'elle était au lit avec elle, et dernièrement, lorsqu'elle était mal en point, elle caressait pendant un certain temps l'un des bras d'Emma. Lorsqu'elle était très malade, le fait qu'Emma s'allonge à côté d'elle semblait l'apaiser d'une manière tout à fait différente de ce qu'elle aurait fait pour n'importe lequel de nos autres enfants. De même, elle passait presque toujours une demi-heure à arranger mes cheveux, à les "rendre", comme elle disait, "beaux", ou à lisser, le pauvre chéri, mon col ou mes manchettes, bref à me caresser. Elle aimait être embrassée ; en fait, chaque expression de son visage rayonnait d'affection et de bonté, et toutes ses habitudes étaient influencées par sa disposition affectueuse.

Outre sa gaieté ainsi tempérée, elle était dans ses manières remarquablement cordiale, franche, ouverte, d'un naturel direct et sans aucune nuance de réserve. Tout son esprit était pur et transparent. On avait l'impression de la connaître parfaitement et de pouvoir lui faire confiance : J'ai toujours pensé que, quoi qu'il arrive, nous aurions eu dans notre vieillesse au moins une âme aimante, que rien n'aurait pu changer. Elle était généreuse, belle et sans méfiance dans toute sa conduite ; elle était exempte d'envie et de jalousie ; elle avait bon caractère et n'était jamais passionnée. Elle était donc très populaire dans toute la maison, les étrangers l'aimaient et l'appréciaient rapidement. La manière même dont elle serrait la main de ses connaissances témoignait de sa cordialité.

Sa silhouette et son apparence étaient clairement influencées par son caractère : ses yeux brillaient, elle souriait souvent, son pas était élastique et ferme, elle se tenait droite et rejetait souvent la tête un peu en arrière, comme si elle défiait le monde dans sa joie de vivre. Pour son âge, elle était très grande, pas mince et forte. Ses cheveux étaient d'un beau brun et longs ; son teint légèrement brun ; ses yeux, gris foncé ; ses dents grandes et blanches. Le Daguerrotype lui ressemble beaucoup, mais l'expression lui fait entièrement défaut : ayant été fait deux ans plus tard, son visage s'était allongé et était devenu plus beau. Tous ses mouvements étaient vigoureux, actifs et généralement gracieux : llorsque nous faisions le tour du chemin de sable ensemble, bien que je marche vite, elle avait souvent l'habitude de me précéder en pirouettant de la manière la plus élégante, son cher visage brillant tout le temps, avec les sourires les plus doux.

De temps en temps, elle avait une attitude coquette envers moi, dont le souvenir est charmant : elle utilisait souvent un langage exagéré, et lorsque je la questionnais en exagérant ce qu'elle avait dit, je revois clairement le petit mouvement de tête et l'exclamation "Oh Papa, quelle honte". - Elle avait un intérêt vraiment féminin pour l'habillement et était toujours soignée : une satisfaction non dissimulée, échappant en quelque sorte à toute teinte de vanité, rayonnait sur son visage lorsqu'elle avait mis la main sur un ruban ou un mouchoir gai de sa mère. Un jour, elle s'est habillée d'une robe de soie, d'un bonnet, d'un châle et de gants d'Emma, ressemblant à une petite vieille femme, mais avec sa couleur exacerbée, ses yeux pétillants et ses sourires bridés, elle était, je m'en rappelle, tout à fait charmante.

Elle admirait cordialement les plus jeunes enfants ; combien de fois l'ai-je entendue déclarer avec emphase. "Quel petit canard cette Betty, n'est-ce pas ?

Elle était très adroite, faisant tout proprement avec ses mains : elle apprenait facilement la musique, et j'en suis sûr, en observant son visage quand elle écoutait les autres jouer, qu'elle avait un goût prononcé pour la musique. Elle avait un certain goût pour le dessin, et pouvait copier les visages très joliment. Elle dansait bien et aimait beaucoup cela. Elle aimait la lecture, mais ne manifestait aucun goût particulier. Elle avait une habitude singulière qui, je présume, aurait fini par se transformer en une activité quelconque, à savoir un grand plaisir à chercher des mots ou des noms dans les dictionnaires, les annuaires, les gazetiers et, dans ce dernier cas, à trouver les lieux sur la carte : de même, elle prenait un intérêt étrange à comparer mot à mot deux éditions du même livre ; et encore, elle passait des heures à comparer les couleurs de n'importe quel objet avec un de mes livres, dans lequel toutes les couleurs sont classées et nommées.

Sa santé s'est légèrement détériorée pendant environ neuf mois avant sa dernière maladie ; mais elle ne lui a donné qu'occasionnellement un de l'inconfort : dans ces moments-là, elle n'a jamais été le moins du monde fâchée, irritable ou impatiente ; c'était merveilleux de voir, à mesure que l'inconfort passait, avec quelle rapidité ses esprits élastiques lui rendaient sa gaieté et son bonheur. Pendant la dernière courte maladie, sa conduite fut tout simplement angélique ; elle ne s'est jamais plainte, ne s'est jamais énervée, a toujours eu de la considération pour les autres et a été reconnaissante de la manière la plus douce et la plus pathétique pour tout ce qui a été fait pour elle. Lorsqu'elle était si épuisée qu'elle pouvait à peine parler, elle louait tout ce qu'on lui donnait, et disait qu'un thé "était merveilleusement bon". Lorsque je lui ai donné de l'eau, elle m'a dit : "Je vous remercie beaucoup" ; et je crois que ce sont là les derniers mots précieux que ses chères lèvres m'ont jamais adressés.

Mais en regardant en arrière, c'est toujours l'esprit de joie qui se dresse devant moi comme son emblème et sa caractéristique : elle semblait formée pour vivre une vie de bonheur : ses esprits étaient toujours retenus par une sensibilité, une peur de déplaire à ceux qu'elle aimait, et son tendre amour ne cessait jamais de se manifester par des caresses et tous les autres petits actes d'affection.

Nous avons perdu la joie du ménage et le réconfort de notre vieillesse : elle devait savoir à quel point nous l'aimions ; oh, si elle pouvait maintenant savoir à quel point nous aimons encore et aimerons toujours son cher visage joyeux, profondément et tendrement. Bénédictions pour elle.

Le 30 avril 1851

Auteur: Darwin Charles

Info: Il a écrit ce mémorial pour sa fille une semaine après sa mort

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consumérisme

La pornographie c’est ce à quoi ressemble la fin du monde
"Cinquante nuances de Grey", le livre comme le film, est une glorification du sadisme qui domine quasiment tous les aspects de la culture américaine et qui repose au coeur de la pornographie et du capitalisme mondial. Il célèbre la déshumanisation des femmes. Il se fait le champion d’un monde dépourvu de compassion, d’empathie et d’amour. Il érotise le pouvoir hypermasculin à l’origine de l’abus, de la dégradation, de l’humiliation et de la torture des femmes dont les personnalités ont été supprimées, dont le seul désir est de s’avilir au service de la luxure mâle. Le film, tout comme "American Sniper", accepte inconditionnellement un monde prédateur où le faible et le vulnérable sont les objets de l’exploitation tandis que les puissants sont des demi-dieu violents et narcissiques. Il bénit l’enfer capitaliste comme naturel et bon.

"La pornographie", écrit Robert Jensen, "c’est ce à quoi ressemble la fin du monde."

Nous sommes aveuglés par un fantasme auto-destructeur. Un éventail de divertissements et de spectacles, avec les émissions de télé "réalité", les grands évènements sportifs, les médias sociaux, le porno (qui engrange au moins le double de ce que génèrent les films hollywoodiens), les produits de luxe attirants, les drogues, l’alcool et ce Jésus magique, nous offre des issues de secours — échappatoires à la réalité — séduisantes. Nous rêvons d’être riches, puissants et célèbres. Et ceux que l’on doit écraser afin de construire nos pathétiques petits empires sont considérés comme méritants leurs sorts. Que la quasi-totalité d’entre nous n’atteindra jamais ces ambitions est emblématique de notre auto-illusionnement collectif et de l’efficacité de cette culture submergée par manipulations et mensonges.

Le porno cherche à érotiser le sadisme. Dans le porno les femmes sont payées pour répéter les mantras "Je suis une chatte. Je suis une salope. Je suis une pute. Je suis une putain. Baise moi violemment avec ta grosse bite." Elles demandent à être physiquement abusées. Le porno répond au besoin de stéréotypes racistes dégradants. Les hommes noirs sont des bêtes sexuelles puissantes harcelant les femmes blanches. Les femmes noires ont une soif de luxure brute, primitive. Les femmes latinos sont sensuelles et ont le sang chaud. Les femmes asiatiques sont des geishas dociles, sexuellement soumises. Dans le porno, les imperfections humaines n’existent pas. Les poitrines siliconées démesurées, les lèvres pulpeuses gonflées de gel, les corps sculptés par des chirurgiens plastiques, les érections médicalement assistées qui ne cessent jamais et les régions pubiennes rasées — qui correspondent à la pédophilie du porno — transforment les exécutants en morceaux de plastique. L’odeur, la transpiration, l’haleine, les battements du cœur et le toucher sont effacés tout comme la tendresse. Les femmes dans le porno sont des marchandises conditionnées. Elles sont des poupées de plaisir et des marionnettes sexuelles. Elles sont dénuées de leurs véritables émotions. Le porno n’a rien à voir avec le sexe, si on définit le sexe comme un acte mutuel entre deux partenaires, mais relève de la masturbation, une auto-excitation solitaire et privée d’intimité et d’amour. Le culte du moi — qui est l’essence du porno — est au cœur de la culture corporatiste. Le porno, comme le capitalisme mondial, c’est là où les êtres humains sont envoyés pour mourir.

Il y a quelques personnes à gauche qui saisissent l’immense danger de permettre à la pornographie de remplacer l’intimité, le sexe et l’amour. La majorité de la gauche pense que la pornographie relève de la liberté d’expression, comme s’il était inacceptable d’exploiter financièrement et d’abuser physiquement une femme dans une usine en Chine mais que le faire sur un lieu de tournage d’un film porno était acceptable, comme si la torture à Abu Ghraib — où des prisonniers furent humiliés sexuellement et abusés comme s’ils étaient dans un tournage porno — était intolérable, mais tolérable sur des sites de pornographies commerciaux.

Une nouvelle vague de féministes, qui ont trahi l’ouvrage emblématique de radicales comme Andrea Dworkin, soutiennent que le porno est une forme de libération sexuelle et d’autonomisation. Ces "féministes", qui se basent sur Michel Foucault et Judith Butler, sont les produits attardés du néolibéralisme et du postmodernisme. Le féminisme, pour eux, ne relève plus de la libération de la femme opprimée; il se définit par une poignée de femmes qui ont du succès, sont riches et puissantes — où, comme c’est le cas dans "cinquante nuances de grey", capables d’accrocher un homme puissant et riche. C’est une femme qui a écrit le livre "Cinquante nuances", ainsi que le scénario du film. Une femme a réalisé le film. Une femme dirigeante d’un studio a acheté le film. Cette collusion des femmes fait partie de l’internalisation de l’oppression et de la violence sexuelle, qui s’ancre dans le porno. Dworkin l’avait compris. Elle avait écrit que "la nouvelle pornographie est un vaste cimetière où la Gauche est allée mourir. La Gauche ne peut avoir ses prostituées et leurs politiques."

J’ai rencontré Gail Dines, l’une des radicales les plus prééminentes du pays, dans un petit café à Boston mardi. Elle est l’auteur de "Pornland: Comment le porno a détourné notre sexualité" (“Pornland: How Porn Has Hijacked Our Sexuality”) et est professeure de sociologie et d’études féminines à l’université de Wheelock. Dines, ainsi qu’une poignée d’autres, dont Jensen, dénoncent courageusement une culture aussi dépravée que la Rome de Caligula.

"L’industrie du porno a détourné la sexualité d’une culture toute entière, et dévaste toute une génération de garçons", nous avertit elle. "Et quand vous ravagez une génération de garçons, vous ravagez une génération de filles."

"Quand vous combattez le porno vous combattez le capitalisme mondial", dit-elle. "Les capitaux-risqueurs, les banques, les compagnies de carte de crédit sont tous partie intégrante de cette chaine alimentaire. C’est pourquoi vous ne voyez jamais d’histoires anti-porno. Les médias sont impliqués. Ils sont financièrement mêlés à ces compagnies. Le porno fait partie de tout ceci. Le porno nous dit que nous n’avons plus rien d’humains — limite, intégrité, désir, créativité et authenticité. Les femmes sont réduites à trois orifices et deux mains. Le porno est niché dans la destruction corporatiste de l’intimité et de l’interdépendance, et cela inclut la dépendance à la Terre. Si nous étions une société d’être humains entiers et connectés en véritables communautés, nous ne supporterions pas de regarder du porno. Nous ne supporterions pas de regarder un autre être humain se faire torturer."

"Si vous comptez accumuler la vaste majorité des biens dans une petite poignée de mains, vous devez être sûr d’avoir un bon système idéologique en place qui légitimise la souffrance économique des autres", dit elle. "Et c’est ce que fait le porno. Le porno vous dit que l’inégalité matérielle entre femmes et hommes n’est pas le résultat d’un système économique. Que cela relève de la biologie. Et les femmes, n’étant que des putes et des salopes bonnes au sexe, ne méritent pas l’égalité complète. Le porno c’est le porte-voix idéologique qui légitimise notre système matériel d’inégalités. Le porno est au patriarcat ce que les médias sont au capitalisme."

Pour garder excités les légions de mâles facilement ennuyés, les réalisateurs de porno produisent des vidéos qui sont de plus en plus violentes et avilissantes. "Extreme Associates", qui se spécialise dans les scènes réalistes de viols, ainsi que JM Productions, mettent en avant les souffrances bien réelles endurées par les femmes sur leurs plateaux. JM Productions est un pionnier des vidéos de "baise orale agressive" ou de "baise faciale" comme les séries "étouffements en série", dans lesquelles les femmes s’étouffent et vomissent souvent. Cela s’accompagne de "tournoiements", dans lesquels le mâle enfonce la tête de la femme dans les toilettes puis tire la chasse, après le sexe. La compagnie promet, "toutes les putes subissent le traitement tournoyant. Baise la, puis tire la chasse". Des pénétrations anales répétées et violentes entrainent des prolapsus anaux, une pathologie qui fait s’effondrer les parois internes du rectum de la femme et dépassent de son anus. Cela s’appelle le "rosebudding". Certaines femmes, pénétrées à de multiples reprises par nombre d’hommes lors de tournages pornos, bien souvent après avoir avalé des poignées d’analgésiques, ont besoin de chirurgie reconstructrices anales et vaginales. Les femmes peuvent être affectées par des maladies sexuellement transmissibles et des troubles de stress post-traumatique (TSPT). Et avec la démocratisation du porno — certains participants à des vidéos pornographiques sont traités comme des célébrités dans des émissions comme celles d’Oprah et d’Howard Stern — le comportement promu par le porno, dont le strip-tease, la promiscuité, le sadomasochisme et l’exhibition, deviennent chic. Le porno définit aussi les standards de beauté et de comportements de la femme. Et cela a des conséquences terribles pour les filles.

"On dit aux femmes qu’elles ont deux choix dans notre société", me dit Gail Dines. "Elles sont soit baisables soit invisibles. Être baisable signifie se conformer à la culture du porno, avoir l’air sexy, être soumise et faire ce que veut l’homme. C’est la seule façon d’être visible. Vous ne pouvez pas demander aux filles adolescentes, qui aspirent plus que tout à se faire remarquer, de choisir l’invisibilité."

Rien de tout ça, souligne Dines, n’est un accident. Le porno a émergé de la culture de la marchandise, du besoin de vendre des produits qu’ont les capitalistes corporatistes.

"Dans l’Amérique d’après la seconde guerre mondiale, vous avez l’émergence d’une classe moyenne avec un revenu disponible", explique-t-elle. "Le seul problème c’est que ce groupe est né de parents qui ont connu la dépression et la guerre. Ils ne savaient pas comment dépenser. Ils ne savaient qu’économiser. Ce dont [les capitalistes] avaient besoin pour faire démarrer l’économie c’était de gens prêts à dépenser leur argent pour des choses dont ils n’avaient pas besoin. Pour les femmes ils ont créé les séries télévisées. Une des raisons pour lesquelles les maisons style-ranch furent développées, c’était parce que [les familles] n’avaient qu’une seule télévision. La télévision était dans le salon et les femmes passaient beaucoup de temps dans la cuisine. Il fallait donc diviser la maison de façon à ce qu’elles puissent regarder la télévision depuis la cuisine. Afin qu’elle puisse être éduquée". [Via la télévision]

"Mais qui apprenait aux hommes à dépenser leur argent?" continue-t-elle. "Ce fut Playboy [Magazine]. Ce fut le génie de Hugh Hefner. Il comprit qu’il ne suffisait pas de marchandiser la sexualité, mais qu’il fallait sexualiser les marchandises. Les promesses de Playboy n’étaient pas les filles où les femmes, c’était que si vous achetez autant, si vous consommez au niveau promu par Playboy, alors vous obtenez la récompense, qui sont les femmes. L’étape cruciale à l’obtention de la récompense était la consommation de marchandises. Il a incorporé le porno, qui sexualisait et marchandisait le corps des femmes, dans le manteau de la classe moyenne. Il lui a donné un vernis de respectabilité."

Le VCR, le DVD, et plus tard, Internet ont permis au porno de s’immiscer au sein des foyers. Les images satinées de Playboy, Penthouse et Hustler devinrent fades, voire pittoresques. L’Amérique, et la majeure partie du reste du monde, se pornifia. Les revenus de l’industrie du mondiale du porno sont estimés à 96 milliards de $, le marché des USA comptant pour environ 13 milliards. Il y a, écrit Dines, "420 millions de pages porno sur internet, 4.2 millions de sites Web porno, et 68 millions de requêtes porno dans les moteurs de recherches chaque jour."

Parallèlement à la croissance de la pornographie, il y a eu explosion des violences liées au sexe, y compris des abus domestiques, des viols et des viols en réunion. Un viol est signalé toutes les 6.2 minutes aux USA, mais le total estimé, qui prend en compte les assauts non-rapportés, est peut-être 5 fois plus élevé, comme le souligne Rebecca Solnit dans son livre "Les hommes m’expliquent des choses".

"Il y a tellement d’hommes qui assassinent leurs partenaires et anciennes partenaires, nous avons bien plus de 1000 homicides de ce type chaque année — ce qui signifie que tous les trois ans le nombre total de morts est la première cause d’homicides relevés par la police, bien que personne ne déclare la guerre contre cette forme particulière de terreur", écrit Solnit.

Pendant ce temps-là, le porno est de plus en plus accessible.

"Avec un téléphone mobile vous pouvez fournir du porno aux hommes qui vivent dans les zones densément peuplées du Brésil et de l’Inde", explique Dines. "Si vous avez un seul ordinateur portable dans la famille, l’homme ne peut pas s’assoir au milieu du salon et se masturber. Avec un téléphone, le porno devient portable. L’enfant moyen regarde son porno sur son téléphone mobile".

L’ancienne industrie du porno, qui engrangeait de l’argent grâce aux films, est morte. Les éléments de la production ne génèrent plus de profits. Les distributeurs de porno engrangent la monnaie. Et un distributeur, MindGeek, une compagnie mondiale d’informatique, domine la distribution du porno. Le porno gratuit est utilisé sur internet comme appât par MindGeek pour attirer les spectateurs vers des sites de pay-per-view (paye pour voir). La plupart des utilisateurs de ces sites sont des adolescents. C’est comme, explique Dines, "distribuer des cigarettes à la sortie du collège. Vous les rendez accrocs."

"Autour des âges de 12 à 15 ans vous développez vos modèles sexuels", explique-t-elle. "Vous attrapez [les garçons] quand ils construisent leurs identités sexuelles. Vous les marquez à vie. Si vous commencez par vous masturber devant du porno cruel et violent, alors vous n’allez pas rechercher intimité et connectivité. Les études montrent que les garçons perdent de l’intérêt pour le sexe avec de véritables femmes. Ils ne peuvent maintenir des érections avec des vraies femmes. Dans le porno il n’y a pas de "faire l’amour". Il s’agit de "faire la haine". Il la méprise. Elle le dégoute et le révolte. Si vous amputez l’amour vous devez utiliser quelque chose pour remplir le trou afin de garder le tout intéressant. Ils remplissent ça par la violence, la dégradation, la cruauté et la haine. Et ça aussi ça finit par être ennuyeux. Il faut sans cesse surenchérir. Les hommes jouissent du porno lorsque les femmes sont soumises. Qui est plus soumis que les enfants? La voie du porno mène inévitablement au porno infantile. Et c’est pourquoi des organisations qui combattent le porno infantile sans combattre le porno adulte font une grave erreur."

L’abus inhérent à la pornographie n’est pas remis en question par la majorité des hommes et des femmes. Regardez les entrées du film "cinquante nuances de grey", qui est sorti la veille de la saint valentin et qui prévoit d’engranger plus de 90 millions de $ sur ce week-end de quatre jours (avec la journée du président de ce lundi).

"La pornographie a socialisé une génération d’hommes au visionnage de tortures sexuelles’, explique Dines. Vous n’êtes pas né avec cette capacité. Vous devez être conditionné pour cela. Tout comme vous conditionnez des soldats afin qu’ils tuent. Si vous voulez être violent envers un groupe, vous devez d’abord le déshumaniser. C’est une vieille méthode. Les juifs deviennent des youpins. Les noirs des nègres. Les femmes des salopes. Et personne ne change les femmes en salope mieux que le porno."

Auteur: Hedges Christopher Lynn

Info: truthdig.com, 15 février 2015

[ vingt-et-unième siècle ]

 

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