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interactions

L'épigénétique, l'hérédité au-delà de l'ADN
Des mécanismes ne modifiant pas notre patrimoine génétique jouent un rôle fondamental dans le développement de l'embryon. Ils pourraient expliquer comment l'environnement induit des changements stables de caractères, voire des maladies, éventuellement héritables sur plusieurs générations.

L'épigénétique, c'est d'abord cette idée que tout n'est pas inscrit dans la séquence d'ADN du génome. "C'est un concept qui dément en partie la "fatalité" des gènes", relève Michel Morange, professeur de biologie à l'ENS. Plus précisément, "l'épigénétique est l'étude des changements d'activité des gènes - donc des changements de caractères - qui sont transmis au fil des divisions cellulaires ou des générations sans faire appel à des mutations de l'ADN", explique Vincent Colot, spécialiste de l'épigénétique des végétaux à l'Institut de biologie de l'Ecole normale supérieure (ENS-CNRS-Inserm, Paris).

Est-ce la fin de l'ère du "tout-ADN", qui a connu son apogée vers l'an 2000 avec les grandes manoeuvres du séquençage du génome humain ? "L'organisme reste construit à partir de ses gènes, même si l'activité de ceux-ci peut être modulée", tempère Michel Morange.

Mais le séquençage des génomes l'a révélé avec éclat : la connaissance seule de la séquence de l'ADN ne suffit pas à expliquer comment les gènes fonctionnent. C'était pourtant prévisible : si cette connaissance suffisait, comment expliquer que malgré leur génome identique, les différents types de cellules d'un individu développent des caractères aussi différents que ceux d'un neurone, d'une cellule du foie, des muscles ou de la peau ?

L'épigénétique répond en partie à cette interrogation - mais elle en soulève de nombreuses autres. "Le cadre classique de l'épigénétique, c'est le développement de l'embryon et la différenciation des cellules de l'organisme", indique Vincent Colot. Mais ses enjeux concernent également la médecine et la santé publique... et les théories sur l'évolution. Elle jette le soupçon sur l'environnement, qui pourrait moduler l'activité de certains de nos gènes pour modifier nos caractères, voire induire certaines maladies qui pourraient être transmis(es) à la descendance.

La première question, cependant, est celle de la définition de ce fascinant concept. Un certain flou persiste, même chez les scientifiques. "Ces ambiguïtés tiennent au fait que le terme a été introduit à plusieurs reprises dans l'histoire de la biologie, avec à chaque fois un sens différent", raconte Michel Morange, qui est aussi historien des sciences. Précurseur absolu, Aristote invente le terme "épigenèse" - de épi-, "au-dessus de", et genèse, "génération" - vers 350 avant notre ère.

"Observant des embryons de poulet, Aristote découvre que les formes ne préexistent pas dans le germe, mais sont, au contraire, progressivement façonnées au cours du développement embryonnaire", rapporte Edith Heard, qui dirige une équipe (Institut Curie-Inserm-CNRS) sur l'épigénétique du développement des mammifères. Une vision admirablement prémonitoire, qui ne se verra confirmée qu'avec l'invention du microscope à la fin du XVIIe siècle.

Quant au mot "épigénétique", il apparaît en 1942 : on le doit au généticien anglais Conrad Waddington, qui s'attache à comprendre le rôle des gènes dans le développement. Comment s'opère le passage du génotype (l'ensemble des gènes) au phénotype (l'ensemble des caractères d'un individu) ? A l'époque, on ignorait que l'ADN est le support de l'hérédité. Mais les liens entre génotype et phénotype se précisent peu à peu, à mesure qu'on découvre la structure des gènes et leur mode de régulation. Une étape décisive est franchie avec les travaux de François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff, Prix Nobel en 1965 : ils montrent l'importance d'un facteur de l'environnement (la présence d'un sucre, le lactose) dans le contrôle de l'expression d'un gène et la détermination d'un caractère (la capacité de la bactérie E. coli à utiliser le lactose comme source d'énergie).

Le concept d'épigénétique tombe ensuite en relative déshérence, pour renaître dans les années 1980 avec son sens moderne. "Un chercheur australien, Robin Holliday, observe dans des cellules en culture des changements de caractères qui sont transmis au fil des divisions cellulaires, relate Vincent Colot. Mais ces changements semblaient trop fréquents pour pouvoir être causés par des mutations de l'ADN." Holliday découvre le rôle, dans cette transmission, de certaines modifications de l'ADN qui n'affectent pas la séquence des "nucléotides", ces lettres qui écrivent le message des gènes.

Plus largement, on sait aujourd'hui que les gènes peuvent être "allumés" ou "éteints" par plusieurs types de modifications chimiques qui ne changent pas la séquence de l'ADN : des méthylations de l'ADN, mais aussi des changements des histones, ces protéines sur lesquelles s'enroule l'ADN pour former la chromatine. Toutes ces modifications constituent autant de "marques épigénétiques". Elles jalonnent le génome en des sites précis, modulant l'activité des gènes localisés sur ces sites.

Quelle est la stabilité de ces marques épigénétiques ? La question est centrale. Certaines sont très transitoires, comme les marques qui régulent les gènes liés aux rythmes du jour et de la nuit. "Au moins 15 % de nos gènes sont régulés d'une façon circadienne : leur activité oscille sur un rythme de 24 heures. Il s'agit de gènes qui gouvernent notre métabolisme, assurant par exemple l'utilisation des sucres ou des acides gras", indique Paolo Sassone-Corsi, qui travaille au sein d'une unité Inserm délocalisée, dirigée par Emiliana Borrelli à l'université de Californie (Irvine). "Pour réguler tant de gènes d'une façon harmonieuse, il faut une logique commune. Elle se fonde sur des processus épigénétiques qui impliquent des modifications des histones."

D'autres marques ont une remarquable pérennité. "Chez un individu multicellulaire, elles peuvent être acquises très tôt lors du développement, sous l'effet d'un signal inducteur, rapporte Vincent Colot. Elles sont ensuite transmises au fil des divisions cellulaires jusque chez l'adulte - bien longtemps après la disparition du signal inducteur." Les marques les plus stables sont ainsi les garantes de "l'identité" des cellules, la vie durant. Comme si, sur la partition d'orchestre de l'ADN du génome - commune à toutes les cellules de l'organisme -, chaque instrument - chaque type de cellule - ne jouait que la partie lui correspondant, n'activant que les gènes "tagués" par ces marques.

Un des plus beaux exemples de contrôle épigénétique chez les mammifères est "l'inactivation du chromosome X". "Ce processus a lieu chez toutes les femelles de mammifères, qui portent deux exemplaires du chromosome X, explique Edith Heard. L'inactivation d'un des deux exemplaires du X, au cours du développement précoce, permet de compenser le déséquilibre existant avec les mâles, porteurs d'un seul exemplaire du X."

Si l'inactivation du X est déficiente, l'embryon femelle meurt très précocement. Cette inactivation est déclenchée très tôt dans le développement de l'embryon, "dès le stade "4 cellules" chez la souris et un plus tard pour l'espèce humaine, puis elle est stabilisée par des processus épigénétiques tout au long de la vie", poursuit Edith Heard. Par ailleurs, son équipe vient de publier un article dans Nature mis en ligne le 11 avril, montrant que les chromosomes s'organisent en "domaines", à l'intérieur desquels les gènes peuvent être régulés de façon concertée, et sur lesquels s'ajoutent des marques épigénétiques.

Les enjeux sont aussi médicaux. Certaines "épimutations", ou variations de l'état épigénétique normal, seraient en cause dans diverses maladies humaines et dans le vieillissement. Ces épimutations se produisent par accident, mais aussi sous l'effet de facteurs environnementaux. Le rôle de ces facteurs est très activement étudié dans le développement de maladies chroniques comme le diabète de type 2, l'obésité ou les cancers, dont la prévalence explose à travers le monde.

Les perspectives sont également thérapeutiques, avec de premières applications qui voient le jour. "Les variations épigénétiques sont finalement assez plastiques. Elles peuvent être effacées par des traitements chimiques, ce qui ouvre d'immenses perspectives thérapeutiques. Cet espoir s'est déjà concrétisé par le développement de premières "épidrogues" pour traiter certains cancers", annonce Edith Heard.

Le dernier défi de l'épigénétique, et non des moindres, renvoie aux théories de l'évolution. "Alors que le génome est très figé, l'épigénome est bien plus dynamique", estime Jonathan Weitzman, directeur du Centre épigénétique et destin cellulaire (université Paris-Diderot-CNRS). "L'épigénome pourrait permettre aux individus d'explorer rapidement une adaptation à une modification de l'environnement, sans pour autant graver ce changement adaptatif dans le génome", postule le chercheur. L'environnement jouerait-il un rôle dans la genèse de ces variations adaptatives, comme le croyait Lamarck ? Reste à le démontrer. Epigénétique ou non, le destin est espiègle : le laboratoire qu'anime Jonathan Weitzman n'a-t-il pas été aléatoirement implanté... dans le bâtiment Lamarck ? Internet,

Auteur: Internet

Info: Rosier Florence, https://www.lemonde.fr/sciences/ 13 avril 2012

[ interférences ] [ mutation acquise ]

 

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homme-animal

CAPACITÉS COGNITIVES DU DAUPHIN

Au-delà de leur physiologie cérébrale, les dauphins font preuve de capacités extrêmement rares dans le domaine animal. Comme les humains, les dauphins peuvent imiter, aussi bien sur le mode gestuel que sur le mode vocal, ce qui est soi est déjà exceptionnel. Si certains oiseaux peuvent imiter la voix, ils n’imitent pas les attitudes. Les singes, de leur côté, imitent les gestes et non les mots. Le dauphin est capable des deux. Les dauphins chassent les poissons et se nourrissent d’invertébrés, mais ils usent pour ce faire de techniques complexes et variables, acquises durant l’enfance grâce à l’éducation. L’usage des outils ne leur est pas inconnu : un exemple frappant de cette capacité est la façon dont deux dauphins captifs s’y sont pris pour extraire une murène cachée dans le creux d’un rocher à l’intérieur de leur bassin. L’un d’eux a d’abord attrapé un petit poisson scorpion très épineux, qui passait dans le secteur, et l’ayant saisi dans son rostre, s’en est servi comme d’un outil pour extraire la murène de sa cachette. S’exprimant à propos de leur intelligence, le Dr Louis M.Herman, Directeur du Kewalo Basin Marine Mammal Laboratory de l’Université d’Hawaii, note que les dauphins gardent en mémoire des événements totalement arbitraires, sans le moindre rapport avec leur environnement naturel et sans aucune incidence biologique quant à leur existence.

Recherches sur le langage des dauphins

Beaucoup d’humains trouvent intrigante l’idée de communiquer avec d’autres espèces. A cet égard, le dauphin constitue un sujet attractif, particulièrement dans le domaine du langage animal, du fait de ses capacités cognitives et de son haut degré de socialisation. Dès le début des années soixante, c’est le neurologue John Lilly qui, le premier, s’est intéressé aux vocalisations des cétacés. Les recherches de Lilly se poursuivirent durant toute une décennie, tout en devenant de moins en moins conventionnelles. Le savant alla même jusqu’à tester les effets du L.S.D. sur les émissions sonores des dauphins et dut finalement interrompre ses recherches en 1969, lorsque cinq de ses dauphins se suicidèrent en moins de deux semaines. Malheureusement, nombre de découvertes ou de déclarations de John Lilly sont franchement peu crédibles et ont jeté le discrédit sur l’ensemble des recherches dans le domaine du langage animal. De ce fait, ces recherches sont aujourd’hui rigoureusement contrôlées et très méticuleuses, de sorte que les assertions des scientifiques impliquées dans ce secteur restent désormais extrêmement réservées.

Louis Herman est sans doute l’un des plus importants chercheurs à mener des études sur la communication et les capacités cognitives des dauphins. Son instrument de travail privilégié est la création de langues artificielles, c’est-à-dire de langages simples crées pour l’expérience, permettant d’entamer des échanges avec les dauphins. Louis Herman a surtout concentré ses travaux sur le phénomène de la "compréhension" du langage bien plus que sur la "production" de langage, arguant que la compréhension est le premier signe d’une compétence linguistique chez les jeunes enfants et qu’elle peut être testée de façon rigoureuse. En outre, la structure grammaticale qui fonde les langages enseignés s’inspire le plus souvent de celle de l’anglais. Certains chercheurs ont noté qu’il aurait été mieux venu de s’inspirer davantage de langues à tons ou à flexions, comme le chinois, dont la logique aurait parue plus familière aux cétacés. Dans les travaux d’Herman, on a appris à deux dauphins, respectivement nommés Akeakamai (Ake) et Phoenix, deux langues artificielles. Phoenix a reçu l’enseignement d’un langage acoustique produit par un générateur de sons électroniques. Akeakamai, en revanche, a du apprendre un langage gestuel (version simplifiée du langage des sourds-muets), c’est-à-dire visuel. Les signaux de ces langues artificiels représentent des objets, des modificateurs d’objet (proche, loin, gros, petit, etc.) ou encore des actions. Ni les gestes ni les sons ne sont sensés représenter de façon analogique les objets ou les termes relationnels auxquels ils se réfèrent. Ces langages utilisent également une syntaxe, c’est-à-dire des règles de grammaire simples, ce qui signifie que l’ordre des mots influe sur le sens de la phrase. Phoenix a appris une grammaire classique, enchaînant les termes de gauche à droite (sujet-verbe-complément) alors que la grammaire enseignée à Ake allait dans l’autre sens et exigeait de sa part qu’elle voit l’ensemble du message avant d’en comprendre le sens correctement. Par exemple, dans le langage gestuel de Ake, la séquence des signaux PIPE-SURFBOARD-FETCH ("tuyau – planche à surf – apporter") indiquait l’ordre d’amener la planche de surf jusqu’au tuyau, alors que SURFBOARD-PIPE-FETCH ("planche-tuyau- rapporter") signifiait qu’il fallait, au contraire, amener le tuyau jusqu’ à la planche de surf. Phoenix et Ake ont ainsi appris environ 50 mots, lesquels, permutés l’un avec l’autre au sein de séquences courtes, leur permirent bientôt de se servir couramment de plus de mille phrases, chacune produisant une réponse neuve et non apprise.

Compte tenu de l’influence possible de la position dans l’espace des expérimentateurs sur l’expérimentation, les lieux d’apprentissage et les entraîneurs se voyaient changés de session en session. Dans le même temps, des observateurs "aveugles", qui ne connaissaient pas les ordres et ne voyaient pas les entraîneurs, notaient simplement le comportement des dauphins, afin de vérifier ensuite qu’il correspondait bien aux commandes annoncées. Les entraîneurs allaient jusqu’à porter des cagoules noires, afin de ne révéler aucune expression ou intention faciale et se tenaient immobiles, à l’exception des mains. Les dauphins se montrèrent capables de reconnaître les signaux du langage gestuels aussi bien lorsqu’il étaient filmés puis rediffusés sur un écran vidéo que lorsque ces mêmes signes étaient exécutés à l’air libre par l’entraîneur. Même le fait de ne montrer que des mains pâles sur un fond noir ou des taches de lumière blanche reproduisant la dynamique des mains, a largement suffi aux dauphins pour comprendre le message ! Il semble donc que les dauphins répondent davantage aux symboles abstraits du langage qu’à tout autre élément de la communication.

Par ailleurs, si les dauphins exécutent aisément les ordres qu’on leur donne par cette voie gestuelle, ils peuvent également répondre de façon correcte à la question de savoir si un objet précis est présent ou absent, en pressant le levier approprié (le clair pour PRESENT, le sombre pour ABSENT). Ceci démontre évidement leur faculté de "déplacement mental", qui consiste à manipuler l’image d’objets qui ne se trouvent pas dans les environs. Des expériences additionnelles ont conduit à préciser comment le dauphin conçoit l’étiquetage des objets, comment il les qualifie de son point de vue mental. "Nous avons constaté" nous apprend Louis Herman, "qu’au regard du dauphin, le signe CERCEAU n’est pas seulement le cerceau précis utilisé dans le cadre de cette expérience précise, c’est plutôt TOUT OBJET DE GRANDE TAILLE PERCE D’UN GRAND TROU AU MILIEU. Un seul concept général associe donc pour le dauphin les cerceaux ronds, carrés, grands et petits, flottants ou immergés, que l’on utilise généralement lors de la plupart des expériences". Parmi les choses que le Dr Herman estime n’avoir pu enseigner aux dauphins, il y a le concept du "non" en tant que modificateur logique. L’ordre de "sauter au-dessus d’une non-balle" indique en principe que le dauphin doit sauter au-dessus de n’importe quoi, sauf d’une balle ! Mais cela n’est pas compris, pas plus, affirme toujours Herman, que le concept de "grand" ou de "petit".

Communication naturelle chez les dauphins

On sait que les dauphins émettent de nombreux sifflements, de nature très diverse. La fonction de la plupart d’entre eux demeure toujours inconnue mais on peut affirmer aujourd’hui que la moitié d’entre eux au moins constitue des "signatures sifflées". Un tel signal se module dans une fourchette de 5 à 20 kilohertz et dure moins d’une seconde. Il se distingue des autres sifflements - et de la signature de tous les autres dauphins – par ses contours particuliers et ses variations de fréquences émises sur un temps donné, ainsi que le montrent les sonogrammes. Les jeunes développent leur propre signature sifflée entre l’âge de deux mois et d’un an. Ces sifflements resteront inchangés douze ans au moins et le plus souvent pour la durée entière de la vie de l’animal. Par ailleurs, au-delà de leur seule fonction nominative, certains des sifflements du dauphin apparaissent comme de fidèles reproductions de ceux de leurs compagnons et servent manifestement à interpeller les autres par leur nom. Lorsqu’ils sont encore très jeunes, les enfants mâles élaborent leur propre signature sifflée, qui ressemble fort à celle de leur mère. En revanche, les jeunes femelles doivent modifier les leurs, précisément pour se distinguer de leur mère.

Ces différences reflètent sans doute celles qui existent dans les modes de vie des femelles et des mâles. Puisque les filles élèvent leur propre enfant au sein du groupe maternel, un sifflement distinct est donc indispensable pour pouvoir distinguer la maman de la grand mère. La signature sifflée masculine, presque identique à celle de la mère, permet tout au contraire d’éviter l’inceste et la consanguinité. Le psychologue James Ralston et l’informaticien Humphrey Williams ont découvert que la signature sifflée pouvait véhiculer bien plus que la simple identité du dauphin qui l’émet. En comparant les sonogrammes des signatures sifflées durant les activités normales et lors de situations stressantes, ils découvrirent que la signature sifflée, tout en conservant sa configuration générale, pouvait changer en termes de tonalité et de durée et transmettre ainsi des informations sur l’état émotionnel de l’animal. Les modifications causé par cet état émotionnel sur les intonations de la signature varient en outre selon les individus. Les dauphins semblent donc utiliser les sifflement pour maintenir le contact lorsqu’ils se retrouvent entre eux ou lorsqu’ils rencontrent d’autres groupes, mais aussi, sans doute, pour coordonner leur activités collectives. Par exemple, des sifflements sont fréquemment entendus lorsque le groupe entier change de direction ou d’activité.

De son côté, Peter Tyack (Woods Hole Oceanographic Institute) a travaillé aux côtés de David Staelin, professeur d’ingénierie électronique au M.I.T., afin de développer un logiciel d’ordinateur capable de détecter les "matrices sonores" et les signaux répétitifs parmi le concert de couinements, piaulements et autres miaulements émis par les dauphins. Une recherche similaire est menée par l’Université de Singapore (Dolphin Study Group). Avec de tels outils, les chercheurs espèrent en apprendre davantage sur la fonction précise des sifflements.

Dauphins sociaux

Les observations menées sur des individus sauvages aussi bien qu’en captivité révèlent un très haut degré d’ordre social dans la société dauphin. Les femelles consacrent un an à leur grossesse et puis les trois années suivantes à élever leur enfant. Les jeunes s’éloignent en effet progressivement de leur mère dès leur troisième année, restant près d’elle jusqu’à six ou dix ans ! – et rejoignent alors un groupe mixte d’adolescents, au sein duquel ils demeurent plusieurs saisons. Parvenus à l’âge pleinement adulte, vers 15 ans en moyenne, les mâles ne reviennent plus que rarement au sein du "pod" natal. Cependant, à l’intérieur de ces groupes d’adolescents, des liens étroits se nouent entre garçons du même âge, qui peuvent persister la vie entière. Lorsque ces mâles vieillissent, ils ont tendance à s’associer à une bande de femelles afin d’y vivre une paisible retraite. Bien que les dauphins pratiquent bien volontiers la promiscuité sexuelle, les familles matriarcales constituent de fortes unités de base de la société dauphin. Lorsqu’une femelle donne naissance à son premier enfant, elle rejoint généralement le clan de sa propre mère et élève son delphineau en compagnie d’autres bébés, nés à la même saison. La naissance d’un nouveau-né donne d’ailleurs souvent lieu à des visites d’autres membres du groupe, mâles ou femelles, qui s’étaient séparés de leur mère depuis plusieurs années. Les chercheurs ont également observé des comportements de "baby-sitting", de vieilles femelles, des soeurs ou bien encore d’autres membres du groupe, voire même un ancien mâle prenant alors en charge la surveillance des petits. On a ainsi pu observer plusieurs dauphins en train de mettre en place une véritable "cour de récréation", les femelles se plaçant en U et les enfants jouant au milieu ! (D’après un texte du Dr Poorna Pal)

Moi, dauphin.

Mais qu’en est-il finalement de ce moi central au coeur de ce monde circulaire sans relief, sans couleurs constitué de pixels sonores ? C’est là que les difficultés deviennent insurmontables tant qu’un "contact" n’aura pas été vraiment établi par le dialogue car le "soi" lui-même, le "centre de la personne" est sans doute construit de façon profondément différente chez l’homme et chez le dauphin. H.Jerison parle carrément d’une "conscience collective". Les mouvements de groupe parfaitement coordonnés et quasi-simultanés, à l’image des bancs de poissons ou des troupeaux de gnous, que l’on observe régulièrement chez eux, suppose à l’évidence une pensée "homogène" au groupe, brusquement transformé en une "personne plurielle". On peut imaginer ce sentiment lors d’un concert de rock ou d’une manifestation, lorsqu’une foule entière se tend vers un même but mais ces attitudes-là sont grossières, globales, peu nuancées. Toute autre est la mise à l’unisson de deux, trois, cinq (les "gangs" de juvéniles mâles associés pour la vie) ou même de plusieurs centaines de dauphins ensemble (de formidables "lignes de front" pour la pêche, qui s’étendent sur des kilomètres) et là, bien sûr, nous avons un comportement qui traduit un contenu mental totalement inconnu de nous. On sait que lorsqu’un dauphin voit, tout le monde l’entend. En d’autres termes chaque fois qu’un membre du groupe focalise son faisceau de clicks sur une cible quelconque, l’écho lui revient mais également à tous ceux qui l’entourent. Imaginons que de la même manière, vous regardiez un beau paysage. La personne qui vous tournerait le dos et se tiendrait à l’arrière derrière vous pourrait le percevoir alors aussi bien que vous le faites. Cette vision commune, qui peut faire croire à de la télépathie, n’est pas sans conséquence sur le contenu mental de chaque dauphin du groupe, capable de fusionner son esprit à ceux des autres quand la nécessité s’en fait sentir. Ceci explique sans doute la formidable capacité d’empathie des dauphins mais aussi leur fidélité "jusqu’à la mort" quand il s’agit de suivre un compagnon qui s’échoue. Chez eux, on ne se sépare pas plus d’un ami en détresse qu’on ne se coupe le bras quand il est coincé dans une portière de métro ! En d’autres circonstances, bien sûr, le dauphin voyage seul et il "rassemble" alors sa conscience en un soi individualisé, qui porte un nom, fait des choix et s’intègre dans une lignée. Il en serait de même pour l’homme si les mots pouvaient faire surgir directement les images qu’ils désignent dans notre cerveau, sans passer par le filtre d’une symbolisation intermédiaire. Si quelqu’un me raconte sa journée, je dois d’abord déchiffrer ses mots, les traduire en image et ensuite me les "représenter". Notre système visuel étant indépendant de notre système auditif, un processus de transformation préalable est nécessaire à la prise de conscience du message. Au contraire, chez le dauphin, le système auditif est à la fois un moyen de communication et un moyen de cognition "constructiviste" (analyse sensorielle de l’environnement). La symbolisation n’est donc pas nécessaire aux transferts d’images, ce qui n’empêche nullement qu’elle puisse exister au niveau des concepts abstraits. Quant à cette conscience fusion-fission, cet "ego fluctuant à géométrie variable", ils préparent tout naturellement le dauphin à s’ouvrir à d’autres consciences que la sienne. D’où sans doute, son besoin de nous sonder, de nous comprendre et de nous "faire" comprendre. Un dauphin aime partager son cerveau avec d’autres, tandis que l’homme vit le plus souvent enfermé dans son crâne. Ces êtres-là ont décidément beaucoup à nous apprendre...

Auteur: Internet

Info: http://www.dauphinlibre.be/dauphins-cerveau-intelligence-et-conscience-exotiques

[ comparaisons ] [ mimétisme ] [ sémiotique ] [ intelligence grégaire ]

 

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auto-programmation

Pieuvres et calmars modifient et corrigent (édit en anglais) leur ARN, tout en laissant l'ADN intact. Des changements qui pourraient expliquer l'intelligence et la flexibilité des céphalopodes dépourvus de coquille

De nombreux écrivains se plaignent lorsqu'un rédacteur  vient éditer et donc modifier leur article, mais les conséquences de la modification d'un seul mot ne sont généralement pas si graves.

Ce n'est pas le cas des instructions génétiques pour la fabrication des protéines. Même une petite modification peut empêcher une protéine de faire son travail correctement, ce qui peut avoir des conséquences mortelles. Ce n'est qu'occasionnellement qu'un changement est bénéfique. Il semble plus sage de conserver les instructions génétiques telles qu'elles sont écrites. À moins d'être une pieuvre.

Les pieuvres sont comme des extraterrestres qui vivent parmi nous : elles font beaucoup de choses différemment des animaux terrestres ou même des autres créatures marines. Leurs tentacules flexibles goûtent ce qu'ils touchent et ont leur esprit propre. Les yeux des pieuvres sont daltoniens, mais leur peau peut détecter la lumière par elle-même. Les pieuvres sont des maîtres du déguisement, changeant de couleur et de texture de peau pour se fondre dans leur environnement ou effrayer leurs rivaux. Et plus que la plupart des créatures, les pieuvres font gicler l'équivalent moléculaire de l'encre rouge sur leurs instructions génétiques avec un abandon stupéfiant, comme un rédacteur en chef déchaîné.

Ces modifications-éditions concernent l'ARN, molécule utilisée pour traduire les informations du plan génétique stocké dans l'ADN, tout en laissant l'ADN intact.

Les scientifiques ne savent pas encore avec certitude pourquoi les pieuvres et d'autres céphalopodes sans carapace, comme les calmars et les seiches, sont des modificateurs aussi prolifiques. Les chercheurs se demandent si cette forme d'édition génétique a donné aux céphalopodes une longueur d'avance sur le plan de l'évolution (ou un tentacule) ou si cette capacité n'est qu'un accident parfois utile. Les scientifiques étudient également les conséquences que les modifications de l'ARN peuvent avoir dans diverses conditions. Certaines données suggèrent que l'édition pourrait donner aux céphalopodes une partie de leur intelligence, mais au prix d'un ralentissement de l'évolution de leur ADN.

"Ces animaux sont tout simplement magiques", déclare Caroline Albertin, biologiste spécialiste du développement comparatif au Marine Biological Laboratory de Woods Hole (Massachusetts). "Ils ont toutes sortes de solutions différentes pour vivre dans le monde d'où ils viennent. L'édition de l'ARN pourrait contribuer à donner à ces créatures un grand nombre de solutions aux problèmes qu'elles peuvent rencontrer.

(vidéo - Contrairement à d'autres animaux à symétrie bilatérale, les pieuvres ne rampent pas dans une direction prédéterminée. Des vidéos de pieuvres en train de ramper montrent qu'elles peuvent se déplacer dans n'importe quelle direction par rapport à leur corps, et qu'elles changent de direction de rampe sans avoir à tourner leur corps. Dans le clip, la flèche verte indique l'orientation du corps de la pieuvre et la flèche bleue indique la direction dans laquelle elle rampe.)

Le dogme central de la biologie moléculaire veut que les instructions pour construire un organisme soient contenues dans l'ADN. Les cellules copient ces instructions dans des ARN messagers, ou ARNm. Ensuite, des machines cellulaires appelées ribosomes lisent les ARNm pour construire des protéines en enchaînant des acides aminés. La plupart du temps, la composition de la protéine est conforme au modèle d'ADN pour la séquence d'acides aminés de la protéine.

Mais l'édition de l'ARN peut entraîner des divergences par rapport aux instructions de l'ADN, créant ainsi des protéines dont les acides aminés sont différents de ceux spécifiés par l'ADN.

L'édition modifie chimiquement l'un des quatre éléments constitutifs de l'ARN, ou bases. Ces bases sont souvent désignées par les premières lettres de leur nom : A, C, G et U, pour adénine, cytosine, guanine et uracile (la version ARN de la base ADN thymine). Dans une molécule d'ARN, les bases sont liées à des sucres ; l'unité adénine-sucre, par exemple, est appelée adénosine.

Il existe de nombreuses façons d'éditer des lettres d'ARN. Les céphalopodes excellent dans un type d'édition connu sous le nom d'édition de l'adénosine à l'inosine, ou A-to-I. Cela se produit lorsqu'une enzyme appelée ADAR2 enlève un atome d'azote et deux atomes d'hydrogène de l'adénosine (le A). Ce pelage chimique transforme l'adénosine en inosine (I).

 Les ribosomes lisent l'inosine comme une guanine au lieu d'une adénine. Parfois, ce changement n'a aucun effet sur la chaîne d'acides aminés de la protéine résultante. Mais dans certains cas, la présence d'un G à la place d'un A entraîne l'insertion d'un acide aminé différent dans la protéine. Ce type d'édition de l'ARN modifiant la protéine est appelé recodage de l'ARN.

Les céphalopodes à corps mou ont adopté le recodage de l'ARN à bras-le-corps, alors que même les espèces étroitement apparentées sont plus hésitantes à accepter les réécritures, explique Albertin. "Les autres mollusques ne semblent pas le faire dans la même mesure.

L'édition de l'ARN ne se limite pas aux créatures des profondeurs. Presque tous les organismes multicellulaires possèdent une ou plusieurs enzymes d'édition de l'ARN appelées enzymes ADAR, abréviation de "adénosine désaminase agissant sur l'ARN", explique Joshua Rosenthal, neurobiologiste moléculaire au Marine Biological Laboratory.

Les céphalopodes possèdent deux enzymes ADAR. L'homme possède également des versions de ces enzymes. "Dans notre cerveau, nous modifions une tonne d'ARN. Nous le faisons beaucoup", explique Rosenthal. Au cours de la dernière décennie, les scientifiques ont découvert des millions d'endroits dans les ARN humains où se produit l'édition.

Mais ces modifications changent rarement les acides aminés d'une protéine. Par exemple, Eli Eisenberg, de l'université de Tel Aviv, et ses collègues ont identifié plus de 4,6 millions de sites d'édition dans les ARN humains. Parmi ceux-ci, seuls 1 517 recodent les protéines, ont rapporté les chercheurs l'année dernière dans Nature Communications. Parmi ces sites de recodage, jusqu'à 835 sont partagés avec d'autres mammifères, ce qui suggère que les forces de l'évolution ont préservé l'édition à ces endroits.

(Encadré :  Comment fonctionne l'édition de l'ARN ?

Dans une forme courante d'édition de l'ARN, une adénosine devient une inosine par une réaction qui supprime un groupe aminé et le remplace par un oxygène (flèches). L'illustration montre une enzyme ADAR se fixant à un ARN double brin au niveau du "domaine de liaison de l'ARNdb". La région de l'enzyme qui interagit pour provoquer la réaction, le "domaine de la désaminase", est positionnée près de l'adénosine qui deviendra une inosine.)

Les céphalopodes portent le recodage de l'ARN à un tout autre niveau, dit Albertin. L'encornet rouge (Doryteuthis pealeii) possède 57 108 sites de recodage, ont rapporté Rosenthal, Eisenberg et leurs collègues en 2015 dans eLife. Depuis, les chercheurs ont examiné plusieurs espèces de pieuvres, de calmars et de seiches, et ont à chaque fois trouvé des dizaines de milliers de sites de recodage.

Les céphalopodes à corps mou, ou coléoïdes, pourraient avoir plus de possibilités d'édition que les autres animaux en raison de l'emplacement d'au moins une des enzymes ADAR, ADAR2, dans la cellule. La plupart des animaux éditent les ARN dans le noyau - le compartiment où l'ADN est stocké et copié en ARN - avant d'envoyer les messages à la rencontre des ribosomes. Mais chez les céphalopodes, les enzymes se trouvent également dans le cytoplasme, l'organe gélatineux des cellules, ont découvert Rosenthal et ses collègues (SN : 4/25/20, p. 10).

Le fait d'avoir des enzymes d'édition dans deux endroits différents n'explique pas complètement pourquoi le recodage de l'ARN chez les céphalopodes dépasse de loin celui des humains et d'autres animaux. Cela n'explique pas non plus les schémas d'édition que les scientifiques ont découverts.

L'édition de l'ARN amènerait de la flexibilité aux céphalopodes

L'édition n'est pas une proposition "tout ou rien". Il est rare que toutes les copies d'un ARN dans une cellule soient modifiées. Il est beaucoup plus fréquent qu'un certain pourcentage d'ARN soit édité tandis que le reste conserve son information originale. Le pourcentage, ou fréquence, de l'édition peut varier considérablement d'un ARN à l'autre ou d'une cellule ou d'un tissu à l'autre, et peut dépendre de la température de l'eau ou d'autres conditions. Chez le calmar à nageoires longues, la plupart des sites d'édition de l'ARN étaient édités 2 % ou moins du temps, ont rapporté Albertin et ses collègues l'année dernière dans Nature Communications. Mais les chercheurs ont également trouvé plus de 205 000 sites qui étaient modifiés 25 % du temps ou plus.

Dans la majeure partie du corps d'un céphalopode, l'édition de l'ARN n'affecte pas souvent la composition des protéines. Mais dans le système nerveux, c'est une autre histoire. Dans le système nerveux du calmar à nageoires longues, 70 % des modifications apportées aux ARN producteurs de protéines recodent ces dernières. Dans le système nerveux de la pieuvre californienne à deux points (Octopus bimaculoides), les ARN sont recodés trois à six fois plus souvent que dans d'autres organes ou tissus.

(Photo -  L'encornet rouge recode l'ARN à plus de 50 000 endroits. Le recodage de l'ARN pourrait aider le calmar à réagir avec plus de souplesse à son environnement, mais on ne sait pas encore si le recodage a une valeur évolutive. Certains ARNm possèdent plusieurs sites d'édition qui modifient les acides aminés des protéines codées par les ARNm. Dans le système nerveux de l'encornet rouge, par exemple, 27 % des ARNm ont trois sites de recodage ou plus. Certains contiennent 10 sites ou plus. La combinaison de ces sites d'édition pourrait entraîner la fabrication de plusieurs versions d'une protéine dans une cellule.)

Le fait de disposer d'un large choix de protéines pourrait donner aux céphalopodes "plus de souplesse pour réagir à l'environnement", explique M. Albertin, "ou leur permettre de trouver diverses solutions au problème qui se pose à eux". Dans le système nerveux, l'édition de l'ARN pourrait contribuer à la flexibilité de la pensée, ce qui pourrait expliquer pourquoi les pieuvres peuvent déverrouiller des cages ou utiliser des outils, pensent certains chercheurs. L'édition pourrait être un moyen facile de créer une ou plusieurs versions d'une protéine dans le système nerveux et des versions différentes dans le reste du corps, explique Albertin.

Lorsque l'homme et d'autres vertébrés ont des versions différentes d'une protéine, c'est souvent parce qu'ils possèdent plusieurs copies d'un gène. Doubler, tripler ou quadrupler les copies d'un gène "permet de créer tout un terrain de jeu génétique pour permettre aux gènes de s'activer et d'accomplir différentes fonctions", explique M. Albertin. Mais les céphalopodes ont tendance à ne pas dupliquer les gènes. Leurs innovations proviennent plutôt de l'édition.

Et il y a beaucoup de place pour l'innovation. Chez le calmar, les ARNm servant à construire la protéine alpha-spectrine comportent 242 sites de recodage. Toutes les combinaisons de sites modifiés et non modifiés pourraient théoriquement créer jusqu'à 7 x 1072 formes de la protéine, rapportent Rosenthal et Eisenberg dans le numéro de cette année de l'Annual Review of Animal Biosciences (Revue annuelle des biosciences animales). "Pour mettre ce chiffre en perspective, écrivent les chercheurs, il suffit de dire qu'il éclipse le nombre de toutes les molécules d'alpha-spectrine (ou, d'ailleurs, de toutes les molécules de protéines) synthétisées dans toutes les cellules de tous les calmars qui ont vécu sur notre planète depuis l'aube des temps.

Selon Kavita Rangan, biologiste moléculaire à l'université de Californie à San Diego, ce niveau de complexité incroyable ne serait possible que si chaque site était indépendant. Rangan a étudié le recodage de l'ARN chez le calmar californien (Doryteuthis opalescens) et le calmar à nageoires longues. La température de l'eau incite les calmars à recoder les protéines motrices appelées kinésines qui déplacent les cargaisons à l'intérieur des cellules.

Chez l'encornet rouge, l'ARNm qui produit la kinésine-1 comporte 14 sites de recodage, a découvert Mme Rangan. Elle a examiné les ARNm du lobe optique - la partie du cerveau qui traite les informations visuelles - et du ganglion stellaire, un ensemble de nerfs impliqués dans la génération des contractions musculaires qui produisent des jets d'eau pour propulser le calmar.

Chaque tissu produit plusieurs versions de la protéine. Rangan et Samara Reck-Peterson, également de l'UC San Diego, ont rapporté en septembre dernier dans un article publié en ligne sur bioRxiv.org que certains sites avaient tendance à être édités ensemble. Leurs données suggèrent que l'édition de certains sites est coordonnée et "rejette très fortement l'idée que l'édition est indépendante", explique Rangan. "La fréquence des combinaisons que nous observons ne correspond pas à l'idée que chaque site a été édité indépendamment.

L'association de sites d'édition pourrait empêcher les calmars et autres céphalopodes d'atteindre les sommets de complexité dont ils sont théoriquement capables. Néanmoins, l'édition de l'ARN offre aux céphalopodes un moyen d'essayer de nombreuses versions d'une protéine sans s'enfermer dans une modification permanente de l'ADN, explique M. Rangan.

Ce manque d'engagement laisse perplexe Jianzhi Zhang, généticien évolutionniste à l'université du Michigan à Ann Arbor. "Pour moi, cela n'a pas de sens", déclare-t-il. "Si vous voulez un acide aminé particulier dans une protéine, vous devez modifier l'ADN. Pourquoi changer l'ARN ?

L'édition de l'ARN a-t-elle une valeur évolutive ?

L'édition de l'ARN offre peut-être un avantage évolutif. Pour tester cette idée, Zhang et Daohan Jiang, alors étudiant de troisième cycle, ont comparé les sites "synonymes", où les modifications ne changent pas les acides aminés, aux sites "non synonymes", où le recodage se produit. Étant donné que les modifications synonymes ne modifient pas les acides aminés, les chercheurs ont considéré que ces modifications étaient neutres du point de vue de l'évolution. Chez l'homme, le recodage, ou édition non synonyme, se produit sur moins de sites que l'édition synonyme, et le pourcentage de molécules d'ARN qui sont éditées est plus faible que sur les sites synonymes.

"Si nous supposons que l'édition synonyme est comme un bruit qui se produit dans la cellule, et que l'édition non-synonyme est moins fréquente et [à un] niveau plus bas, cela suggère que l'édition non-synonyme est en fait nuisible", explique Zhang. Même si le recodage chez les céphalopodes est beaucoup plus fréquent que chez les humains, dans la plupart des cas, le recodage n'est pas avantageux, ou adaptatif, pour les céphalopodes, ont affirmé les chercheurs en 2019 dans Nature Communications.

Il existe quelques sites communs où les pieuvres, les calmars et les seiches recodent tous leurs ARN, ont constaté les chercheurs, ce qui suggère que le recodage est utile dans ces cas. Mais il s'agit d'une petite fraction des sites d'édition. Zhang et Jiang ont constaté que quelques autres sites édités chez une espèce de céphalopode, mais pas chez les autres, étaient également adaptatifs.

Si ce n'est pas si utile que cela, pourquoi les céphalopodes ont-ils continué à recoder l'ARN pendant des centaines de millions d'années ? L'édition de l'ARN pourrait persister non pas parce qu'elle est adaptative, mais parce qu'elle crée une dépendance, selon Zhang.

Zhang et Jiang ont proposé un modèle permettant de nuire (c'est-à-dire une situation qui permet des modifications nocives de l'ADN). Imaginez, dit-il, une situation dans laquelle un G (guanine) dans l'ADN d'un organisme est muté en A (adénine). Si cette mutation entraîne un changement d'acide aminé nocif dans une protéine, la sélection naturelle devrait éliminer les individus porteurs de cette mutation. Mais si, par chance, l'organisme dispose d'un système d'édition de l'ARN, l'erreur dans l'ADN peut être corrigée par l'édition de l'ARN, ce qui revient à transformer le A en G. Si la protéine est essentielle à la vie, l'ARN doit être édité à des niveaux élevés de sorte que presque chaque copie soit corrigée.

 Lorsque cela se produit, "on est bloqué dans le système", explique M. Zhang. L'organisme est désormais dépendant de la machinerie d'édition de l'ARN. "On ne peut pas la perdre, car il faut que le A soit réédité en G pour survivre, et l'édition est donc maintenue à des niveaux élevés.... Au début, on n'en avait pas vraiment besoin, mais une fois qu'on l'a eue, on en est devenu dépendant".

Zhang soutient que ce type d'édition est neutre et non adaptatif. Mais d'autres recherches suggèrent que l'édition de l'ARN peut être adaptative.

L'édition de l'ARN peut fonctionner comme une phase de transition, permettant aux organismes de tester le passage de l'adénine à la guanine sans apporter de changement permanent à leur ADN. Au cours de l'évolution, les sites où les adénines sont recodées dans l'ARN d'une espèce de céphalopode sont plus susceptibles que les adénines non éditées d'être remplacées par des guanines dans l'ADN d'une ou de plusieurs espèces apparentées, ont rapporté les chercheurs en 2020 dans PeerJ. Et pour les sites fortement modifiés, l'évolution chez les céphalopodes semble favoriser une transition de A à G dans l'ADN (plutôt qu'à la cytosine ou à la thymine, les deux autres éléments constitutifs de l'ADN). Cela favorise l'idée que l'édition peut être adaptative.

D'autres travaux récents de Rosenthal et de ses collègues, qui ont examiné les remplacements de A en G chez différentes espèces, suggèrent que le fait d'avoir un A modifiable est un avantage évolutif par rapport à un A non modifiable ou à un G câblé.

(Tableau :  Quelle est la fréquence de l'enregistrement de l'ARN ?

Les céphalopodes à corps mou, notamment les pieuvres, les calmars et les seiches, recodent l'ARN dans leur système nerveux sur des dizaines de milliers de sites, contre un millier ou moins chez l'homme, la souris, la mouche des fruits et d'autres espèces animales. Bien que les scientifiques aient documenté le nombre de sites d'édition, ils auront besoin de nouveaux outils pour tester directement l'influence du recodage sur la biologie des céphalopodes.

Schéma avec comparaison des nombre de sites de recodage de l'ARN chez les animaux

J.J.C. ROSENTHAL ET E. EISENBERG/ANNUAL REVIEW OF ANIMAL BIOSCIENCES 2023 )

Beaucoup de questions en suspens

Les preuves pour ou contre la valeur évolutive du recodage de l'ARN proviennent principalement de l'examen de la composition génétique totale, ou génomes, de diverses espèces de céphalopodes. Mais les scientifiques aimeraient vérifier directement si les ARN recodés ont un effet sur la biologie des céphalopodes. Pour ce faire, il faudra utiliser de nouveaux outils et faire preuve de créativité.

Rangan a testé des versions synthétiques de protéines motrices de calmars et a constaté que deux versions modifiées que les calmars fabriquent dans le froid se déplaçaient plus lentement mais plus loin le long de pistes protéiques appelées microtubules que les protéines non modifiées. Mais il s'agit là de conditions artificielles de laboratoire, sur des lames de microscope. Pour comprendre ce qui se passe dans les cellules, Mme Rangan aimerait pouvoir cultiver des cellules de calmar dans des boîtes de laboratoire. Pour l'instant, elle doit prélever des tissus directement sur le calmar et ne peut obtenir que des instantanés de ce qui se passe. Les cellules cultivées en laboratoire pourraient lui permettre de suivre ce qui se passe au fil du temps.

M. Zhang explique qu'il teste son hypothèse de l'innocuité en amenant la levure à s'intéresser à l'édition de l'ARN. La levure de boulanger (Saccharomyces cerevisiae) ne possède pas d'enzymes ADAR. Mais Zhang a modifié une souche de cette levure pour qu'elle soit porteuse d'une version humaine de l'enzyme. Les enzymes ADAR rendent la levure malade et la font croître lentement, explique-t-il. Pour accélérer l'expérience, la souche qu'il utilise a un taux de mutation supérieur à la normale et peut accumuler des mutations G-A. Mais si l'édition de l'ARN peut corriger ces mutations, il est possible d'obtenir des résultats positifs. Mais si l'édition de l'ARN peut corriger ces mutations, la levure porteuse d'ADAR pourrait se développer mieux que celles qui n'ont pas l'enzyme. Et après de nombreuses générations, la levure pourrait devenir dépendante de l'édition, prédit Zhang.

Albertin, Rosenthal et leurs collègues ont mis au point des moyens de modifier les gènes des calmars à l'aide de l'éditeur de gènes CRISPR/Cas9. L'équipe a créé un calmar albinos en utilisant CRISPR/Cas9 pour supprimer, ou désactiver, un gène qui produit des pigments. Les chercheurs pourraient être en mesure de modifier les sites d'édition dans l'ADN ou dans l'ARN et de tester leur fonction, explique Albertin.

Cette science n'en est qu'à ses débuts et l'histoire peut mener à des résultats inattendus. Néanmoins, grâce à l'habileté des céphalopodes en matière d'édition, la lecture de cet article ne manquera pas d'être intéressante.

 

Auteur: Internet

Info: https://www.sciencenews.org/article/octopus-squid-rna-editing-dna-cephalopods, Tina Hesman Saey, 19 may 2023

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De quoi l'espace-temps est-il réellement fait ?

L'espace-temps pourrait émerger d'une réalité plus fondamentale. La découverte de cette réalité pourrait débloquer l'objectif le plus urgent de la physique

Natalie Paquette passe son temps à réfléchir à la manière de faire croître une dimension supplémentaire. Elle commence par de petits cercles, dispersés en tout point de l'espace et du temps - une dimension en forme de boucle, qui se referme sur elle-même. Puis on rétrécit ces cercles, de plus en plus petits, en resserrant la boucle, jusqu'à ce qu'une curieuse transformation se produise : la dimension cesse de sembler minuscule et devient énorme, comme lorsqu'on réalise que quelque chose qui semble petit et proche est en fait énorme et distant. "Nous réduisons une direction spatiale", explique Paquette. "Mais lorsque nous essayons de la rétrécir au-delà d'un certain point, une nouvelle et grande direction spatiale émerge à la place."

Paquette, physicien théoricien à l'université de Washington, n'est pas le seul à penser à cette étrange sorte de transmutation dimensionnelle. Un nombre croissant de physiciens, travaillant dans différents domaines de la discipline avec des approches différentes, convergent de plus en plus vers une idée profonde : l'espace - et peut-être même le temps - n'est pas fondamental. Au contraire, l'espace et le temps pourraient être émergents : ils pourraient découler de la structure et du comportement de composants plus fondamentaux de la nature. Au niveau le plus profond de la réalité, des questions comme "Où ?" et "Quand ?" n'ont peut-être aucune réponse. "La physique nous donne de nombreux indices selon lesquels l'espace-temps tel que nous le concevons n'est pas la chose fondamentale", déclare M. Paquette.

Ces notions radicales proviennent des derniers rebondissements de la chasse à la théorie de la gravité quantique, qui dure depuis un siècle. La meilleure théorie des physiciens sur la gravité est la relativité générale, la célèbre conception d'Albert Einstein sur la façon dont la matière déforme l'espace et le temps. Leur meilleure théorie sur tout le reste est la physique quantique, qui est d'une précision étonnante en ce qui concerne les propriétés de la matière, de l'énergie et des particules subatomiques. Les deux théories ont facilement passé tous les tests que les physiciens ont pu concevoir au cours du siècle dernier. On pourrait penser qu'en les réunissant, on obtiendrait une "théorie du tout".

Mais les deux théories ne s'entendent pas bien. Demandez à la relativité générale ce qui se passe dans le contexte de la physique quantique, et vous obtiendrez des réponses contradictoires, avec des infinis indomptés se déchaînant sur vos calculs. La nature sait comment appliquer la gravité dans des contextes quantiques - cela s'est produit dans les premiers instants du big bang, et cela se produit encore au cœur des trous noirs - mais nous, les humains, avons encore du mal à comprendre comment le tour se joue. Une partie du problème réside dans la manière dont les deux théories traitent l'espace et le temps. Alors que la physique quantique considère l'espace et le temps comme immuables, la relativité générale les déforme au petit déjeuner.

D'une manière ou d'une autre, une théorie de la gravité quantique devrait concilier ces idées sur l'espace et le temps. Une façon d'y parvenir serait d'éliminer le problème à sa source, l'espace-temps lui-même, en faisant émerger l'espace et le temps de quelque chose de plus fondamental. Ces dernières années, plusieurs pistes de recherche différentes ont toutes suggéré qu'au niveau le plus profond de la réalité, l'espace et le temps n'existent pas de la même manière que dans notre monde quotidien. Au cours de la dernière décennie, ces idées ont radicalement changé la façon dont les physiciens envisagent les trous noirs. Aujourd'hui, les chercheurs utilisent ces concepts pour élucider le fonctionnement d'un phénomène encore plus exotique : les trous de ver, connexions hypothétiques en forme de tunnel entre des points distants de l'espace-temps. Ces succès ont entretenu l'espoir d'une percée encore plus profonde. Si l'espace-temps est émergent, alors comprendre d'où il vient - et comment il pourrait naître de n'importe quoi d'autre - pourrait être la clé manquante qui ouvrirait enfin la porte à une théorie du tout.

LE MONDE DANS UN DUO DE CORDES

Aujourd'hui, la théorie candidate à la gravité quantique la plus populaire parmi les physiciens est la théorie des cordes. Selon cette idée, les cordes éponymes sont les constituants fondamentaux de la matière et de l'énergie, donnant naissance à la myriade de particules subatomiques fondamentales observées dans les accélérateurs de particules du monde entier. Elles sont même responsables de la gravité - une particule hypothétique porteuse de la force gravitationnelle, un "graviton", est une conséquence inévitable de la théorie.

Mais la théorie des cordes est difficile à comprendre : elle se situe dans un territoire mathématique que les physiciens et les mathématiciens ont mis des décennies à explorer. Une grande partie de la structure de la théorie est encore inexplorée, des expéditions sont encore prévues et des cartes restent à établir. Dans ce nouveau domaine, la principale technique de navigation consiste à utiliser des dualités mathématiques, c'est-à-dire des correspondances entre un type de système et un autre.

La dualité évoquée au début de cet article, entre les petites dimensions et les grandes, en est un exemple. Si vous essayez de faire entrer une dimension dans un petit espace, la théorie des cordes vous dit que vous obtiendrez quelque chose de mathématiquement identique à un monde où cette dimension est énorme. Selon la théorie des cordes, les deux situations sont identiques : vous pouvez aller et venir librement de l'une à l'autre et utiliser les techniques d'une situation pour comprendre le fonctionnement de l'autre. "Si vous gardez soigneusement la trace des éléments fondamentaux de la théorie, dit Paquette, vous pouvez naturellement trouver parfois que... vous pourriez faire croître une nouvelle dimension spatiale."

Une dualité similaire suggère à de nombreux théoriciens des cordes que l'espace lui-même est émergeant. L'idée a germé en 1997, lorsque Juan Maldacena, physicien à l'Institute for Advanced Study, a découvert une dualité entre une théorie quantique bien comprise, connue sous le nom de théorie des champs conforme (CFT), et un type particulier d'espace-temps issu de la relativité générale, appelé espace anti-de Sitter (AdS). Ces deux théories semblent très différentes : la CFT ne comporte aucune gravité, tandis que l'espace AdS intègre toute la théorie de la gravité d'Einstein. Pourtant, les mêmes mathématiques peuvent décrire les deux mondes. Lorsqu'elle a été découverte, cette correspondance AdS/CFT a fourni un lien mathématique tangible entre une théorie quantique et un univers complet comportant une gravité.

Curieusement, l'espace AdS dans la correspondance AdS/CFT comportait une dimension de plus que la CFT quantique. Mais les physiciens se sont délectés de ce décalage, car il s'agissait d'un exemple parfaitement élaboré d'un autre type de correspondance conçu quelques années plus tôt par les physiciens Gerard 't Hooft de l'université d'Utrecht aux Pays-Bas et Leonard Susskind de l'université de Stanford, connu sous le nom de principe holographique. Se fondant sur certaines des caractéristiques particulières des trous noirs, Gerard 't Hooft et Leonard Susskind soupçonnaient que les propriétés d'une région de l'espace pouvaient être entièrement "codées" par sa frontière. En d'autres termes, la surface bidimensionnelle d'un trou noir contiendrait toutes les informations nécessaires pour savoir ce qui se trouve dans son intérieur tridimensionnel, comme un hologramme. "Je pense que beaucoup de gens ont pensé que nous étions fous", dit Susskind. "Deux bons physiciens devenusdingues".

De même, dans la correspondance AdS/CFT, la CFT quadridimensionnelle encode tout ce qui concerne l'espace AdS à cinq dimensions auquel elle est associée. Dans ce système, la région entière de l'espace-temps est construite à partir des interactions entre les composants du système quantique dans la théorie des champs conforme. Maldacena compare ce processus à la lecture d'un roman. "Si vous racontez une histoire dans un livre, il y a les personnages du livre qui font quelque chose", dit-il. "Mais tout ce qu'il y a, c'est une ligne de texte, non ? Ce que font les personnages est déduit de cette ligne de texte. Les personnages du livre seraient comme la théorie [AdS] globale. Et la ligne de texte est la [CFT]."

Mais d'où vient l'espace de l'espace AdS ? Si cet espace est émergent, de quoi émerge-t-il ? La réponse est un type d'interaction spécial et étrangement quantique dans la CFT : l'intrication, une connexion à longue distance entre des objets, corrélant instantanément leur comportement de manière statistiquement improbable. L'intrication a beaucoup troublé Einstein, qui l'a qualifiée d'"action étrange à distance".

Connaîtrons-nous un jour la véritable nature de l'espace et du temps ?

 Pourtant, malgré son caractère effrayant, l'intrication est une caractéristique essentielle de la physique quantique. Lorsque deux objets interagissent en mécanique quantique, ils s'intriquent généralement et le resteront tant qu'ils resteront isolés du reste du monde, quelle que soit la distance qui les sépare. Dans des expériences, les physiciens ont maintenu l'intrication entre des particules distantes de plus de 1 000 kilomètres et même entre des particules au sol et d'autres envoyées vers des satellites en orbite. En principe, deux particules intriquées pourraient maintenir leur connexion sur des côtés opposés de la galaxie ou de l'univers. La distance ne semble tout simplement pas avoir d'importance pour l'intrication, une énigme qui a troublé de nombreux physiciens pendant des décennies.

Mais si l'espace est émergent, la capacité de l'intrication à persister sur de grandes distances n'est peut-être pas si mystérieuse - après tout, la distance est une construction. Selon les études de la correspondance AdS/CFT menées par les physiciens Shinsei Ryu de l'université de Princeton et Tadashi Takayanagi de l'université de Kyoto, l'intrication est ce qui produit les distances dans l'espace AdS en premier lieu. Deux régions d'espace proches du côté AdS de la dualité correspondent à deux composantes quantiques hautement intriquées de la CFT. Plus elles sont intriquées, plus les régions de l'espace sont proches les unes des autres.

Ces dernières années, les physiciens en sont venus à soupçonner que cette relation pourrait également s'appliquer à notre univers. "Qu'est-ce qui maintient l'espace ensemble et l'empêche de se désagréger en sous-régions distinctes ? La réponse est l'intrication entre deux parties de l'espace", déclare Susskind. "La continuité et la connectivité de l'espace doivent leur existence à l'intrication quantique-mécanique". L'intrication pourrait donc sous-tendre la structure de l'espace lui-même, formant la chaîne et la trame qui donnent naissance à la géométrie du monde. "Si l'on pouvait, d'une manière ou d'une autre, détruire l'intrication entre deux parties [de l'espace], l'espace se désagrégerait", déclare Susskind. "Il ferait le contraire de l'émergence. Il désémergerait."

Si l'espace est fait d'intrication, l'énigme de la gravité quantique semble beaucoup plus facile à résoudre : au lieu d'essayer de rendre compte de la déformation de l'espace de manière quantique, l'espace lui-même émerge d'un phénomène fondamentalement quantique. Susskind pense que c'est la raison pour laquelle une théorie de la gravité quantique a été si difficile à trouver en premier lieu. "Je pense que la raison pour laquelle elle n'a jamais très bien fonctionné est qu'elle a commencé par une image de deux choses différentes, [la relativité générale] et la mécanique quantique, et qu'elle les a mises ensemble", dit-il. "Et je pense que l'idée est qu'elles sont beaucoup trop étroitement liées pour être séparées puis réunies à nouveau. La gravité n'existe pas sans la mécanique quantique".

Pourtant, la prise en compte de l'espace émergent ne représente que la moitié du travail. L'espace et le temps étant si intimement liés dans la relativité, tout compte rendu de l'émergence de l'espace doit également expliquer le temps. "Le temps doit également émerger d'une manière ou d'une autre", déclare Mark van Raamsdonk, physicien à l'université de Colombie-Britannique et pionnier du lien entre intrication et espace-temps. "Mais cela n'est pas bien compris et constitue un domaine de recherche actif".

Un autre domaine actif, dit-il, consiste à utiliser des modèles d'espace-temps émergent pour comprendre les trous de ver. Auparavant, de nombreux physiciens pensaient que l'envoi d'objets à travers un trou de ver était impossible, même en théorie. Mais ces dernières années, les physiciens travaillant sur la correspondance AdS/CFT et sur des modèles similaires ont trouvé de nouvelles façons de construire des trous de ver. "Nous ne savons pas si nous pourrions le faire dans notre univers", dit van Raamsdonk. "Mais ce que nous savons maintenant, c'est que certains types de trous de ver traversables sont théoriquement possibles". Deux articles - l'un en 2016 et l'autre en 2018 - ont conduit à une rafale de travaux en cours dans ce domaine. Mais même si des trous de ver traversables pouvaient être construits, ils ne seraient pas d'une grande utilité pour les voyages spatiaux. Comme le souligne Susskind, "on ne peut pas traverser ce trou de ver plus vite qu'il ne faudrait à [la lumière] pour faire le chemin inverse."

Si les théoriciens des cordes ont raison, alors l'espace est construit à partir de l'intrication quantique, et le temps pourrait l'être aussi. Mais qu'est-ce que cela signifie vraiment ? Comment l'espace peut-il être "fait" d'intrication entre des objets, à moins que ces objets ne soient eux-mêmes quelque part ? Comment ces objets peuvent-ils s'enchevêtrer s'ils ne connaissent pas le temps et le changement ? Et quel type d'existence les choses pourraient-elles avoir sans habiter un espace et un temps véritables ?

Ces questions frisent la philosophie, et les philosophes de la physique les prennent au sérieux. "Comment diable l'espace-temps pourrait-il être le genre de chose qui pourrait être émergent ?" demande Eleanor Knox, philosophe de la physique au King's College de Londres. Intuitivement, dit-elle, cela semble impossible. Mais Knox ne pense pas que ce soit un problème. "Nos intuitions sont parfois catastrophiques", dit-elle. Elles "ont évolué dans la savane africaine en interagissant avec des macro-objets, des macro-fluides et des animaux biologiques" et ont tendance à ne pas être transférées au monde de la mécanique quantique. En ce qui concerne la gravité quantique, "Où sont les objets ?" et "Où vivent-ils ?" ne sont pas les bonnes questions à poser", conclut Mme Knox.

Il est certainement vrai que les objets vivent dans des lieux dans la vie de tous les jours. Mais comme Knox et bien d'autres le soulignent, cela ne signifie pas que l'espace et le temps doivent être fondamentaux, mais simplement qu'ils doivent émerger de manière fiable de ce qui est fondamental. Prenons un liquide, explique Christian Wüthrich, philosophe de la physique à l'université de Genève. "En fin de compte, il s'agit de particules élémentaires, comme les électrons, les protons et les neutrons ou, plus fondamental encore, les quarks et les leptons. Les quarks et les leptons ont-ils des propriétés liquides ? Cela n'a aucun sens... Néanmoins, lorsque ces particules fondamentales se rassemblent en nombre suffisant et montrent un certain comportement ensemble, un comportement collectif, alors elles agiront d'une manière qui ressemble à un liquide."

Selon Wüthrich, l'espace et le temps pourraient fonctionner de la même manière dans la théorie des cordes et d'autres théories de la gravité quantique. Plus précisément, l'espace-temps pourrait émerger des matériaux que nous considérons habituellement comme vivant dans l'univers - la matière et l'énergie elles-mêmes. "Ce n'est pas que nous ayons d'abord l'espace et le temps, puis nous ajoutons de la matière", explique Wüthrich. "Au contraire, quelque chose de matériel peut être une condition nécessaire pour qu'il y ait de l'espace et du temps. Cela reste un lien très étroit, mais c'est juste l'inverse de ce que l'on aurait pu penser à l'origine."

Mais il existe d'autres façons d'interpréter les dernières découvertes. La correspondance AdS/CFT est souvent considérée comme un exemple de la façon dont l'espace-temps pourrait émerger d'un système quantique, mais ce n'est peut-être pas vraiment ce qu'elle montre, selon Alyssa Ney, philosophe de la physique à l'université de Californie, à Davis. "AdS/CFT vous donne cette capacité de fournir un manuel de traduction entre les faits concernant l'espace-temps et les faits de la théorie quantique", dit Ney. "C'est compatible avec l'affirmation selon laquelle l'espace-temps est émergent, et une certaine théorie quantique est fondamentale." Mais l'inverse est également vrai, dit-elle. La correspondance pourrait signifier que la théorie quantique est émergente et que l'espace-temps est fondamental, ou qu'aucun des deux n'est fondamental et qu'il existe une théorie fondamentale encore plus profonde. L'émergence est une affirmation forte, dit Ney, et elle est ouverte à la possibilité qu'elle soit vraie. "Mais, du moins si l'on s'en tient à AdS/CFT, je ne vois toujours pas d'argument clair en faveur de l'émergence."

Un défi sans doute plus important pour l'image de la théorie des cordes de l'espace-temps émergent est caché à la vue de tous, juste au nom de la correspondance AdS/CFT elle-même. "Nous ne vivons pas dans un espace anti-de Sitter", dit Susskind. "Nous vivons dans quelque chose de beaucoup plus proche de l'espace de Sitter". L'espace de Sitter décrit un univers en accélération et en expansion, comme le nôtre. "Nous n'avons pas la moindre idée de la façon dont [l'holographie] s'y applique", conclut M. Susskind. Trouver comment établir ce type de correspondance pour un espace qui ressemble davantage à l'univers réel est l'un des problèmes les plus urgents pour les théoriciens des cordes. "Je pense que nous allons être en mesure de mieux comprendre comment entrer dans une version cosmologique de ceci", dit van Raamsdonk.

Enfin, il y a les nouvelles - ou l'absence de nouvelles - provenant des derniers accélérateurs de particules, qui n'ont trouvé aucune preuve de l'existence des particules supplémentaires prévues par la supersymétrie, une idée sur laquelle repose la théorie des cordes. Selon la supersymétrie, toutes les particules connues auraient leurs propres "superpartenaires", ce qui doublerait le nombre de particules fondamentales. Mais le Grand collisionneur de hadrons du CERN, près de Genève, conçu en partie pour rechercher des superpartenaires, n'en a vu aucun signe. "Toutes les versions vraiment précises de [l'espace-temps émergent] dont nous disposons se trouvent dans des théories supersymétriques", déclare Susskind. "Une fois que vous n'avez plus de supersymétrie, la capacité à suivre mathématiquement les équations s'évapore tout simplement de vos mains".

LES ATOMES DE L'ESPACE-TEMPS

La théorie des cordes n'est pas la seule idée qui suggère que l'espace-temps est émergent. La théorie des cordes "n'a pas réussi à tenir [ses] promesses en tant que moyen d'unir la gravité et la mécanique quantique", déclare Abhay Ashtekar, physicien à l'université d'État de Pennsylvanie. "La puissance de la théorie des cordes réside désormais dans le fait qu'elle fournit un ensemble d'outils extrêmement riche, qui ont été largement utilisés dans tout le spectre de la physique." Ashtekar est l'un des pionniers originaux de l'alternative la plus populaire à la théorie des cordes, connue sous le nom de gravité quantique à boucles. Dans la gravité quantique à boucles, l'espace et le temps ne sont pas lisses et continus, comme c'est le cas dans la relativité générale, mais ils sont constitués de composants discrets, ce qu'Ashtekar appelle des "morceaux ou atomes d'espace-temps".

Ces atomes d'espace-temps sont connectés en réseau, avec des surfaces unidimensionnelles et bidimensionnelles qui les réunissent en ce que les praticiens de la gravité quantique à boucle appellent une mousse de spin. Et bien que cette mousse soit limitée à deux dimensions, elle donne naissance à notre monde quadridimensionnel, avec trois dimensions d'espace et une de temps. Ashtekar compare ce monde à un vêtement. "Si vous regardez votre chemise, elle ressemble à une surface bidimensionnelle", dit-il. "Si vous prenez une loupe, vous verrez immédiatement qu'il s'agit de fils unidimensionnels. C'est juste que ces fils sont si denses que, pour des raisons pratiques, vous pouvez considérer la chemise comme une surface bidimensionnelle. De même, l'espace qui nous entoure ressemble à un continuum tridimensionnel. Mais il y a vraiment un entrecroisement par ces [atomes d'espace-temps]".

Bien que la théorie des cordes et la gravité quantique à boucles suggèrent toutes deux que l'espace-temps est émergent, le type d'émergence est différent dans les deux théories. La théorie des cordes suggère que l'espace-temps (ou du moins l'espace) émerge du comportement d'un système apparemment sans rapport, sous forme d'intrication. Pensez à la façon dont les embouteillages émergent des décisions collectives des conducteurs individuels. Les voitures ne sont pas faites de la circulation - ce sont les voitures qui font la circulation. Dans la gravité quantique à boucles, par contre, l'émergence de l'espace-temps ressemble davantage à une dune de sable en pente émergeant du mouvement collectif des grains de sable dans le vent. L'espace-temps lisse et familier provient du comportement collectif de minuscules "grains" d'espace-temps ; comme les dunes, les grains sont toujours du sable, même si les gros grains cristallins n'ont pas l'apparence ou le comportement des dunes ondulantes.

Malgré ces différences, gravité quantique à boucles et  théorie des cordes suggèrent toutes deux que l'espace-temps émerge d'une réalité sous-jacente. Elles ne sont pas non plus les seules théories proposées de la gravité quantique qui vont dans ce sens. La théorie de l'ensemble causal, un autre prétendant à une théorie de la gravité quantique, postule que l'espace et le temps sont également constitués de composants plus fondamentaux. "Il est vraiment frappant de constater que, pour la plupart des théories plausibles de la gravité quantique dont nous disposons, leur message est, en quelque sorte, que l'espace-temps relativiste général n'existe pas au niveau fondamental", déclare Knox. "Les gens sont très enthousiastes lorsque différentes théories de la gravité quantique s'accordent au moins sur quelque chose."

L'AVENIR DE L'ESPACE AUX CONFINS DU TEMPS

La physique moderne est victime de son propre succès. La physique quantique et la relativité générale étant toutes deux d'une précision phénoménale, la gravité quantique n'est nécessaire que pour décrire des situations extrêmes, lorsque des masses énormes sont entassées dans des espaces insondables. Ces conditions n'existent que dans quelques endroits de la nature, comme le centre d'un trou noir, et surtout pas dans les laboratoires de physique, même les plus grands et les plus puissants. Il faudrait un accélérateur de particules de la taille d'une galaxie pour tester directement le comportement de la nature dans des conditions où règne la gravité quantique. Ce manque de données expérimentales directes explique en grande partie pourquoi la recherche d'une théorie de la gravité quantique par les scientifiques a été si longue.

Face à l'absence de preuves, la plupart des physiciens ont placé leurs espoirs dans le ciel. Dans les premiers instants du big bang, l'univers entier était phénoménalement petit et dense - une situation qui exige une gravité quantique pour le décrire. Et des échos de cette époque peuvent subsister dans le ciel aujourd'hui. "Je pense que notre meilleure chance [de tester la gravité quantique] passe par la cosmologie", déclare Maldacena. "Peut-être quelque chose en cosmologie que nous pensons maintenant être imprévisible, qui pourra peut-être être prédit une fois que nous aurons compris la théorie complète, ou une nouvelle chose à laquelle nous n'avions même pas pensé."

Les expériences de laboratoire pourraient toutefois s'avérer utiles pour tester la théorie des cordes, du moins indirectement. Les scientifiques espèrent étudier la correspondance AdS/CFT non pas en sondant l'espace-temps, mais en construisant des systèmes d'atomes fortement intriqués et en observant si un analogue à l'espace-temps et à la gravité apparaît dans leur comportement. De telles expériences pourraient "présenter certaines caractéristiques de la gravité, mais peut-être pas toutes", déclare Maldacena. "Cela dépend aussi de ce que l'on appelle exactement la gravité".

Connaîtrons-nous un jour la véritable nature de l'espace et du temps ? Les données d'observation du ciel ne seront peut-être pas disponibles de sitôt. Les expériences en laboratoire pourraient être un échec. Et comme les philosophes le savent bien, les questions sur la véritable nature de l'espace et du temps sont très anciennes. Ce qui existe "est maintenant tout ensemble, un, continu", disait le philosophe Parménide il y a 2 500 ans. "Tout est plein de ce qui est". Parménide insistait sur le fait que le temps et le changement étaient des illusions, que tout partout était un et le même. Son élève Zénon a créé de célèbres paradoxes pour prouver le point de vue de son professeur, prétendant démontrer que le mouvement sur n'importe quelle distance était impossible. Leurs travaux ont soulevé la question de savoir si le temps et l'espace étaient en quelque sorte illusoires, une perspective troublante qui a hanté la philosophie occidentale pendant plus de deux millénaires.

Le fait que les Grecs de l'Antiquité aient posé des questions telles que "Qu'est-ce que l'espace ?", "Qu'est-ce que le temps ?", "Qu'est-ce que le changement ?" et que nous posions encore des versions de ces questions aujourd'hui signifie qu'il s'agissait des bonnes questions à poser", explique M. Wüthrich. "C'est en réfléchissant à ce genre de questions que nous avons appris beaucoup de choses sur la physique".

Auteur: Becker Adam

Info: Scientific American, février 2022

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