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ambivalence

Elle n'est pas heureuse, la vie, à Raïssa. Dans les rues, les gens marchent en se tordant les mains, disputent les enfants qui pleurent, s'appuient aux parapets des fleuves en prenant leurs tempes entre leurs mains ; le matin, ils émergent d'un mauvais rêve et en commencent un autre. Dans les ateliers où à chaque instant on se tape à coups de marteau sur les doigts et se pique avec une aiguille, sur les colonnades de chiffres tordus des registres de négociants et de banquiers, devant les verres vides rangés sur le zinc des bistrots, c'est un moindre mal quand les têtes se penchent en t'épargnant des regards torves. Dans les maisons, c'est pire, et il n'est pas nécessaire d'y entrer pour le savoir : l'été, les fenêtres retentissent de disputes et de bris de vaisselle. Et pourtant, à Raïssa, à tout moment, un enfant rit à sa fenêtre, en voyant un chien sauter sur un auvent pour mordre dans le morceau de polenta qu'un maçon à lâché du haut d'un échafaudage, en s'exclamant : "Mon trésor, laisse-moi plonger !" à l'adresse d'une jeune hôtelière qui soulève un plat de ragoût sous sa pergola, contente de le servir au marchand de parapluies qui fête une bonne affaire, l'ombrelle de dentelle blanche avec quoi  va se pavaner aux courses une grande dame amoureuse d'un officier qui lui a souri alors qu'il sautait la dernière haie, heureux lui-même mais plus heureux encore son cheval qui volait par-dessus les obstacles voyant voler dans le ciel un francolin, heureux oiseau libéré de sa cage par un peintre heureux de l'avoir peint plume à plume, tacheté de rouge et de jaune, dans une miniature, à cette page du livre où le philosophe dit : "Même à Raïssa, ville triste, court un fil invisible qui par instants réunit un être vivant à un autre et se défait, puis revient se tendre entre des points en mouvement, dessinant de nouvelles figures rapides, si bien qu'à chaque seconde la ville malheureuse contient une ville heureuse sans même qu'elle le sache."

Auteur: Calvino Italo

Info: Villes invisibles

[ cité imaginaire ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

philosophe-sur-philosophe

C'était dans l'intimité une compagne charmante et pleine d'esprit : elle maniait la plaisanterie sans mauvais goût et l'ironie sans méchanceté. Son érudition extraordinaire et si profondément assimilée qu'on la distinguait à peine de l'expression de sa vie intérieure donnait à sa conversation un attrait inoubliable. Elle avait cependant un grave défaut (ou une rare qualité, suivant le plan où on se place) : c'était de refuser toute concession aux nécessités ou aux convenances de la vie sociale. Elle disait toujours toute sa pensée à tout le monde en toutes circonstances. Cette sincérité, qui procédait avant tout d'un profond respect des âmes, lui valut bien des mésaventures, amusante pour la plupart, mais dont certaines faillirent tourner au tragique à une époque où toute vérité n'était pas bonne à crier sur les toits. 

Il n'est pas question d'établir ici le bilan des sources historiques de sa pensée et des influences qu'elle a pu subir. Indépendamment de l'Evangile dont elle se nourrissait tous les jours, elle avait une profonde vénération pour les grands textes hindous et taoïstes, pour Homère, les tragiques grecs, et surtout Platon qu'elle interprétait dans un sens foncièrement chrétien. Elle haïssait par contre Aristote en qui elle voyait le premier fossoyeur de la grande tradition mystique. Saint Jean de la Croix dans l'ordre religieux, Shakespeare, certains poètes mystiques anglais et Racine dans l'ordre littéraire marquèrent également son esprit. Parmi les contemporains, je ne vois guère que Paul Valéry et Koestler dans le Testament espagnol dont elle m’ait parlé avec une admiration sans mélange. Ses préférences comme ses exclusions, étaient abruptes et sans appel. Elle croyait fermement que la création vraiment géniale exigeait un niveau supérieur de spiritualité et qu'il n'était pas possible d'atteindre à l'expression parfaite sans avoir traversé de sévères purifications intérieures. Ce souci de pureté, d'authenticité intimes la rendait impitoyable pour tous les auteurs en qui elle croyait déceler la moindre recherche de l'effet, le plus léger élément d'insincérité ou de boursouflure : Corneille, Hugo, Nietzsche. Seul comptait pour elle le style parfaitement dépouillé, traduction de la nudité de l'âme.

Auteur: Thibon Gustave

Info: Préface à "La pesanteur et la grâce" de Simone Weil, Librairie Plon, 1988, pages 9-10

[ description ] [ portrait ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

étymologie

Quant à l’adjectif esôterikos, il semble apparaître d’abord dans les milieux aristotéliciens au Ier siècle après Jésus-Christ. L’une des premières attestations s’en trouve en effet dans un ouvrage assez caustique de Lucien de Samosate intitulé Philosophes à vendre (vers 166). A qui veut acheter un esclave, Lucien conseille d’en choisir un qui soit disciple d’Aristote ; ainsi, dit-il, on en aura deux pour le prix d’un : "un vu de l’extérieur, un autre vu de l’intérieur [...] souviens-toi de donner au premier le nom d’exotérique, au deuxième celui d’ésotérique". L’Ecole aristotélicienne en effet suivant peut-être les indications de son fondateur, distinguait dans les écrits du maître, deux sortes de textes : des ouvrages largement publiés (et aujourd’hui perdus) qu’elle qualifiait d’exotériques, et des traités beaucoup plus difficiles et peu diffusés en dehors de l’Ecole (les seuls qui nous soient parvenus) qu’elle appelait acroamatiques (ce qui signifie : relatifs à un enseignement oral). [...] [Le texte de Lucien] témoigne en outre d’un changement de terminologie : ce n’est plus acroamatique mais ésotérique qui est opposé à exotérique. Tout se passe comme si cet adjectif, qu’Aristote emploie au sens très profane d’ "extérieur" ou de "public", avait fini par susciter son double inversé. [...] Trente ans plus tard, le terme s’est imposé, comme le prouve Clément d’Alexandrie qui fournit, sous la forme d’un adjectif substantivé au neutre pluriel (ta esôterika, "les (livres) ésotériques"), la première attestation d’esôterikos, pris en un sens noble, et désignant la classe des écrits qu’Aristote réservait aux savants. Le terme, désormais acquis, ne connaîtra cependant jamais qu’une diffusion restreinte et quasi technique.

Quant au substantif "ésotérisme", tous les efforts pour en trouver des attestations remontant au XVIIIe siècle sont jusqu’ici demeurés vain. Dans l’état actuel des recherches, on peut admettre que le terme apparaît pour la première fois en 1828 sous la plume d’un historien français, Jacques Matter, dans son Histoire du gnosticisme et de son influence. C’est le socialiste mystique Pierre Leroux qui, vers 1840, en assurera la diffusion dans son célèbre ouvrage De l’Humanité pour qualifier la doctrine pythagoricienne.

Auteur: Borella Jean

Info: "Esotérisme guénonien et mystère chrétien", éditions l’Age d’Homme, Lausanne, 1997, pages 20-21

[ historique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

philosophe-sur-philosophe

En juin 1941 je recevais d'un ami dominicain le R.P. Perrin résidant alors à Marseille une lettre que je n'ai pas conservée, mais qui contenait en substance ceci : "Je connais ici une jeune fille israélite agrégée de philosophie et militante d'extrême gauche qui, exclue de l'université par les lois raciales, désirerait travailler quelque temps à la campagne comme fille de ferme. Une telle expérience aurait besoin à mon sens d'être contrôlé et je serais heureux que vous puissiez prendre cette jeune fille chez vous." Mon premier réflexe fut plutôt négatif. Puis le désir d'accueillir la proposition d'un ami et de ne pas écarter une âme que le destin plaçait sur ma route, ce halo de sympathies dû aux persécutions dont ils commençaient à être l'objet, qui entourait alors les juifs, et, brochant sur le tout, une certaine curiosité me firent revenir ensuite sur ce premier mouvement.

Quelques jours après, Simone Weil débarquait chez moi. Nos premiers contacts furent cordiaux, mais pénibles. Sur le plan concret, nous n'étions d'accord à peu près sur rien. Elle discutait à l'infini d'une voix inflexible et monotone et je sortais littéralement usé de ces entretiens sans issue. Je m'armai alors, pour la supporter, de patience et de courtoisie. Et puis, grâce au privilège de la vie commune, je constatais peu à peu que ce côté impossible de son caractère, loin d'être l'expression de sa nature profonde, ne traduisait guère que son moi extérieur et social. Les positions respectives de l'être et du paraître étaient retournées chez elles : contrairement à la plupart des hommes, elle gagnait infiniment à être connues dans une atmosphère d'intimité ; elle extériorisait, avec une spontanéité redoutable, le côté déplaisant de sa nature, mais il lui fallait beaucoup de temps, d'affection et de pudeur vaincue pour manifester ce qu'elle avait de meilleur. Elle commençait alors à s'ouvrir de toute son âme au christianisme ; un mysticisme sans bavure émanait d'elle : je n'ai jamais rencontré, dans un être humain, une telle familiarité avec les mystères religieux ; jamais le mot de surnaturel ne m'est apparu plus gonflé de réalité qu'à son contact.

Auteur: Thibon Gustave

Info: Préface à "La pesanteur et la grâce" de Simone Weil, Librairie Plon, 1988, pages 9-10

[ portrait ] [ description ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

christianisme

On reproche à la morale catholique et à la morale chrétienne, chose grave à une époque comme la nôtre, d’être en opposition avec la nature et avec les instincts naturels, d’être une morale mystique, ou encore une morale ascétique, quelques-uns disent une morale monastique. Nous voilà bien loin de la morale relâchée de tout à l’heure. Accusation plus grave encore et d’autant plus redoutable qu’elle est plus spécieuse, on va répétant, autour de nous, que la morale religieuse est une morale égoïste, une morale antisociale, qui donne pour but, à la vie de l’homme, son salut personnel.

En effet, le catholicisme, les Eglises chrétiennes en général, pour ne pas dire toutes les religions, avec l’islam et le bouddhisme, donnent comme but, à l’activité et à la piété du croyant, son salut personnel. Il se peut que, par là même, cette morale religieuse se trouve, à vos yeux, entachée d’une sorte d’égoïsme ; mais, faut-il le rappeler ? l’esprit humain n’est pas d’une logique telle que, dans ses actes, le chrétien en soit toujours à considérer la récompense qu’il espère obtenir. Cette morale religieuse qui s’inspire de la charité, non moins que de l’espérance, sommes-nous, vraiment, en droit de la déclarer inférieure ? Sommes-nous certains qu’elle soit moins efficace que la morale sans sanction de tels de nos philosophes ?

[…] Pouvons-nous soutenir que les âmes pieuses sont, moralement, inférieures aux autres ? Il se trouve, sans doute, parmi vous, plus d’une personne qui, ayant reçu une éducation religieuse, et ayant eu pleine foi dans sa religion, a été prise, plus tard, de l’esprit de doute. Je fais appel à leur conscience, et je leur demande si, le jour où elles ont cessé d’espérer en la vie éternelle, leur moralité inférieure en est devenue plus forte ou plus délicate.

Je poserai la même question, sous une autre forme : sommes-nous certains que, dans les écoles ou dans les familles où l’on a renoncé à transmettre à l’enfant la notion d’un Dieu invisible, partout présent, qui sait tout et qui voit tout, on ait élevé le niveau de la moralité de l’enfant ?

Auteur: Leroy-Beaulieu Anatole

Info: " Les doctrines de haine ", éditions Payot et Rivages, Paris, 2022, pages 203-204

[ critiques ] [ réfutation ] [ comparaison ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

gaz

Définition du pet en général : Le pet, que les Grecs nomment (prout, pet, gaz intestinal, la machine n'accepte pas les caractères !) les Latins, crepitus, l'ancien Saxon, purten ou furten, le haut Allemand, Fartzen, et l'Anglais, fart, est un composé de vents qui sortent tantôt avec bruit, et tantôt sourdement et sans en faire.
Il y a néanmoins des auteurs assez bornés et même assez téméraires pour soutenir avec absurdité, arrogance et opiniâtreté, malgré Calepino et tous les autres dictionnaires faits ou à faire, que le mot pet, proprement pris, c'est-à-dire dans son sens naturel, ne doit s'entendre que de celui qu'on lâche avec bruit ; et ils se fondent sur ce vers d'Horace qui ne suffit point pour donner l'idée complète du pet.
Nam disposa sonat quantum Vesica pepedi. (Sat. 8)
(" J'ai pété avec autant de tintamarre qu'en pourrait faire une vessie bien soufflée. ")
Mais qui ne sent pas qu'Horace, dans ce vers, a pris le mot pedere, péter, dans un sens générique ? Et qu'était-il besoin, pour faire entendre que le mot pedere signifie un son clair, qu'il se restreignît à expliquer l'espèce de pet qui éclate en sortant ? Saint-Évremond, cet agréable philosophe, avait une idée du pet bien différente de celle qu'en a pris le vulgaire : selon lui, c'était un soupir ; et il disait un jour à sa maîtresse devant laquelle il avait fait un pet :
" Mon coeur, outré de déplaisirs,
Était si gros de ses soupirs,
Voyant votre humeur si farouche,
Que l'un d'eux se voyant réduit
À n'oser sortir par la bouche,
Sortit par un autre conduit. "
Le pet est donc, en général, un vent renfermé dans le bas ventre, causé, comme les médecins le prétendent, par le débordement d'une pituite attiédie, qu'une chaleur faible a atténuée et détachée sans la dissoudre ; ou produite, selon les paysans et le vulgaire, par l'usage de quelques ingrédients venteux ou d'aliments de même nature. On peut encore le définir comme un air comprimé, qui, cherchant à s'échapper, parcourt les parties internes du corps, et sort enfin avec précipitation quand il trouve une issue que la bienséance empêche de nommer.

Auteur: Hurtaut Pierre-Thomas-Nicolas

Info: L'art de péter

[ vocabulaire ] [ flatulence ]

 

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anticipation

Cette anticipation démentie de notre auteur conduit à s'interroger sur la dimension prospective de la Science-Fiction, et sur la persistance de son intérêt même lorsque la vision est démentie par le déroulement de l'histoire. C'est une vieille question posée dès les premiers romans de Wells et ses essais prospectifs. Elle a été profondément renouvelée par les romans “réalistes” de John Brunner, l'Orbite déchiquetée, Tous à Zanzibar, Sur l'onde de choc et Le troupeau aveugle .

En plus d'un sens, le public y a répondu en continuant à lire avec enthousiasme des œuvres qui avaient, apparemment, perdu leur actualité. Le Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne a toujours des lecteurs, tout comme les Premiers hommes dans la Lune de Wells. Sous certaines conditions de présentation, une intrigue spéculative demeure passionnante comme si son lecteur pouvait se remettre dans les conditions d'ignorance qui rendaient possible l'énigme originelle. Peut-être s'agit-il même là d'un des traits importants de la Science-Fiction. Elle ne serait pas spéculation à partir d'un savoir, un au-delà du savoir positif en somme, comme affectent de s'en indigner certains scientifiques à propos de ses facilités, ou une ébauche de métaphysique comme s'en félicitent quelques philosophes. Mais elle serait un problème soulevé dans un cadre à peu près consistant et à laquelle l'auteur donne une ou plusieurs réponses à peu près logiques dans ce cadre. Sa vraisemblance est plus interne que contextuelle. Si le lecteur admet le problème, il va s'intéresser à la démarche de l'auteur dans l'exposition de ses propositions de réponse, allant jusqu'à faire abstraction de ses connaissances antérieures et admettant ce qui, en temps normal, lui aurait paru absolument inadmissible. Dans le cas d'un problème simple comme celui du voyage interstellaire, la question n'est donc pas de savoir si la solution proposée par l'auteur respecte ou non les limitations relativistes ni comment il les tourne ; elle n'est pas non plus tellement d'accepter que le voyage interstellaire soit possible sans trop s'inquiéter de ses moyens et d'explorer quelles en seraient les conséquences, ce qui est la définition la plus souvent donnée de la Science-Fiction ; mais elle est de voir quelle dramaturgie, quel style, l'auteur va adopter pour faire accepter sa solution.

Auteur: Klein Gérard

Info: In Préface d'Eon de Greg Bear

[ futur-ancien ] [ littérature ] [ être bon public ] [ lecteur docile ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

bovarysme

Elle avait été élevée par une mère athée, et dans une société de philosophes athées. Elle avait été tout juste une fois à l’église, pour se marier ; encore ne le voulait-elle pas. Depuis son mariage, elle lisait toutes sortes de livres. Rousseau et Mme de Staël lui tombèrent entre les mains : ceci fait époque, et prouve combien ces livres sont dangereux.

Elle lut d’abord l’Émile ; après quoi elle se crut le droit de bien mépriser intellectuellement toutes les jeunes femmes de sa connaissance. Notez bien qu’elle n’avait pas compris un mot de la métaphysique du vicaire savoyard.

Mais les phrases de Rousseau sont très travaillées, subtiles et très malaisées à retenir. Elle se contentait de risquer quelquefois une pointe de religiosité, pour faire effet, dans une société sans religiosité, et où il n’était pas plus question de ces choses que du roi de Siam.

Elle lut Corinne, c’est le livre qu’elle a le plus lu. Les phrases sont à l’effet et se retiennent bien. Elle s’en mit un bon nombre dans la tête. Le soir elle choisissait dans son salon les hommes jeunes et un peu bêtes, et, sans leur dire gare, elle leur répétait très proprement sa leçon du matin.

Quelques-uns y furent pris, ils la crurent une personne susceptible de passion, et lui rendirent des soins.

Cependant, elle n’avait amené là que les gens les plus communs et les plus niais de son salon ; elle n’était pas bien sûre que les autres ne se moquaient pas un peu d’elle. Le mari, tenu sans cesse hors de chez lui par ses affaires et d’ailleurs un bon homme, What then (que m’importe ?), ne s’apercevait pas, ou ne s’occupait en rien de ces coquetteries d’esprit.

Félicie lut la Nouvelle Héloïse. Elle trouva alors qu’il y avait dans son âme des trésors de sensibilité ; elle confia ce secret à sa mère et à un vieil oncle qui lui avait servi de père ; ils se moquèrent d’elle comme d’un enfant. Elle n’en persista pas moins à trouver qu’on ne pouvait vivre sans un amant, et sans un amant dans le genre de Saint-Preux.


Auteur: Stendhal

Info: De l'amour

[ rêveries romantiques ] [ romans à l'eau de rose ] [ vacheries ] [ moquerie ]

 

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empyrée

Un monde divin multiple, divisé par conséquent au-dedans de lui-même par la pluralité des êtres qui le composent ; des dieux dont chacun, ayant son nom propre, son corps singulier, connaît une forme d'existence limitée et particulière : cette conception n'a pas manqué de susciter, dans certains courants religieux marginaux, dans des milieux de sectes et chez des philosophes, interrogations, réserves ou refus. Ces réticences, qui se sont exprimées de façons fort diverses, procèdent d'une même conviction : la présence du mal, du malheur, de la négativité dans le monde tient au processus d'individuation auquel il a été soumis et qui a donné naissance à des êtres séparés, isolés, singuliers. La perfection, la plénitude, l'éternité sont les attributs de l'Être totalement unifié. Toute fragmentation de l'Un, tout éparpillement de l'Être, toute distinction de parties signifient que la mort entre en scène avec l'apparition conjointe d'une multiplicité d'existences individualisées et de la finitude qui nécessairement borne chacune d'elle. Pour accéder à la non-mort, pour s'accomplir dans la permanence de leur perfection, les dieux de l'Olympe devraient donc renoncer à leur corps singulier, se fondre dans l'unité d'un grand dieu cosmique ou s'absorber dans la personne du dieu morcelé, puis réunifié par Apollon, du Dionysos orphique, garant du retour à l'indistinction primordiale, de la reconquête d'une unité divine qui doit être retrouvée, après avoir été perdue.

En rejetant catégoriquement cette perspective pour placer l'accompli, le parfait, l'immuable, non dans la confusion de l'unité originelle, dans l'obscure indistinction du chaos, mais à l'inverse, dans l'ordre différencié d'un cosmos dont les parties et éléments constitutifs se sont peu à peu égarés, délimités, mis en place et où les puissances divines, d'abord incluses dans de vagues forces cosmiques, ont pris, à la troisième génération, leur forme définie et définitive de dieux célestes, vivant dans la lumière constante de l'éther, avec leur personnalité et leur figure particulières, leurs fonctions articulées les unes aux autres, leurs pouvoirs s'équilibrant et s'ajustant sous l'autorité inébranlable de Zeus, la Théogonie orthodoxe d'Hésiode donne à la nature corporelle des dieux son fondement théologique : si les dieux possèdent plénitude, perfection, inaltérabilité, c'est qu'au terme de ce progrès qui a conduit à l'émergence d'un cosmos stable, organisé, harmonieux, chaque personne divine a désormais son individualité clairement fixée.

Auteur: Vernant Jean-Pierre

Info: L'Individu, la mort, l'amour. Soi-même et l'autre en Grèce ancienne

[ déités ] [ divinités ] [ mythologie ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

portrait

Ladislav Klima, c’est d’abord une gueule cassée, une silhouette de spectre, un visage ravagé par la gnôle, des yeux fous et noirs sertis dans une ossature qui affleure un peu partout, comme si la mort caressait de l’intérieur cet écrivain tchèque connu seulement des amateurs de raretés littéraires un peu "edgy" - comme disent les instagrameuses. C’est aussi une légende, comme les auteurs de notices biographiques aiment parfois en concevoir à partir de quelques rumeurs engrossées par l’Histoire : une enfance perturbée en Bohème, un héritage dilapidé en bouteilles de rhum et en marathons saoûlographiques, puis une vie d’expédients et de métiers alimentaires qui fleurent bon l’absurde : Klima fut, dit-on, chauffeur de "locomobile à pomper l’eau", puis gardien d’une usine à l’abandon… une vie menée comme son œuvre, semée de nids-de-poule, de contradictions, d’engouements féroces … philosophe n’ayant jamais pondu qu’une seule œuvre véritable, qu’il nommera TOUT avec un sens très particulier de l’humilité… défenseur d’une sorte d’idéalisme schopenhauerien, Klima peut se voir comme une hybridation malfaisante de Cioran et de Dostoïevski… un programme chargé, donc, qui sent d’ici les vapeurs d’éthyle et la chaude-pisse. L’excellent éditeur La Différence avait eu la très bonne idée au début des années 2000 de traduire l’intégralité de ses pensées, notes et œuvres théâtrales : un impressionnant édifice de graphomanie, parfois absconse, mais toujours assez possédé. Quelques romans étaient restés en revanche impubliés en France, dont ce Roman Tchèque qui n’avait eu droit qu’à une traduction partielle, due à un manuscrit incomplet. Aujourd’hui de nouvelles notes ont été découvertes dans les papiers de l’auteur, permettant de compléter cette espèce de roman total, et de proposer une nouvelle traduction, tout à fait fréquentable. Le Roman Tchèque, sous couvert de pantalonnade politico-débraillée, résume bien toute la schizophrénie d’un auteur à la fois ambitieux et foutraque : ici, Klima tente d’écrire quelque chose qui se veut comme le roman terminal de son pays, mais qui n’est bien souvent que prétexte à une suite de digressions philosophiques et goguenardes, de parenthèses érotiques ou scatologiques, de spéculations cosmologiques fumeuses, une sorte de monologue génial, d’imprécation totale qui ne prend les atours du roman que pour mieux contagier les âmes… truculent, désordonné, Le Roman Tchèque se lit presque d’une traite, tant on est suspendu à la langue inventive et irrévérencieuse de Klima.

Auteur: Obregon Marc

Info: Le Roman Tchèque, Ladislav Klima. Editions du Canoé

[ critique ] [ personnage ]

 

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Ajouté à la BD par miguel