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déclaration d'amour

- Pourquoi tu m'aimes?
- Parce que quand tu traverses un passage piéton, tu sembles faire l'amour à la rue entière... et parce que tu sens le croissant chaud en te réveillant le matin...(...)parce que je me sens bien avec toi... parce que tu me fais rire... et que tu me respectes et que tu me fais pas chier aussi...parce que tu me stimules... que tu as de l'esprit...que tu es honnête... que j'aime tes yeux, ton cul, toucher le bas de ton visage et ta nuque, ton ventre, tes mains rêches, l'inclination de tes sourcils... parce que tu es la seule personne avec laquelle je ne joue pas un jeu... parce que tu es cochonne et impudique... forte et fragile... que tu te poses les bonnes questions... que tu me fais rêver à un monde idéal... que tu me donnes l'impression d'être quelqu'un de bien...et parce que contrairement à ce que tu crois, de toutes les les personnes que je connais, tu es la plus douée pour la vie...

Auteur: Peeters Frederik

Info: Pilules bleues

[ couple ]

 

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illumination

Elle voyait intensément tout ce qui l'entourait, les yeux clairs d'un petit enfant transporté dans un kangourou à hauteur de son visage à elle, la texture de la peau d'une vieille femme, la peinture écaillée autour du bouton du feu pour les piétons. Tous les bruits de la ville, la circulation, les voix, une sirène, et, au-dessus de tout cela, la douceur du ciel. Et ce fut alors que cela se produisit : mais qu'était cela ? Tous les bruits disparurent, tout mouvement cessa, comme si le monde ralentissait sur son axe, comme si le temps lui-même était suspendu. Et elle, au coeur de la cité, était au centre d'une immobilité et d'un silence absolus. C'était, pensa-t-elle après coup, comme si elle avait été transportée derrière le ciel. Comme si elle ne participait pas seulement au moment présent -- celui-ci, ici, maintenant -- mais qu'elle le voyait de très loin, dans le temps et dans l'espace. Tout ce qui l'entourait n'existait plus, avait cessé d'exister des milliers d'années plus tôt. Ce qu'elle voyait était une ombre ancienne ; l'immensité implacable de la ville n'était rien de plus qu'une étincelle. Quelque chose l'avait autorisée à jeter un regard derrière la réalité.

Auteur: Madden Deirdre

Info: Authenticité, p.327

[ littérature ]

 

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tourisme

Regarde tout ce que tu pourrais faire à travers ce vaste monde. Sillonner les voies piétonnes d’Athènes, de Rome ou d’Amsterdam. Tirer de l’argent à Venise. Utiliser ta carte Visa dans des billetteries de Barcelone. Louer une voiture à Pékin et la rendre à Conakry. Manger dans des McDo’ à Melbourne, à Hanoï ou à Tunis. Acheter des fringues à Saïgon. Envoyer des fax de Bagdad, de Vancouver, de Tobago. Visiter les magasins d’électronique de Karthoum, Jérusalem, Valparaiso, Lima, Saint-Pétersbourg, Philadelphie. Téléphoner de Dallas ou de Tripoli. Regarder la télé câblée à Singapour, Montevideo, Brisbane. […] Le globe-trotter du tertiaire est le destin maquereautant de la planète. La terre est la pute des Loisirs. Le parasite consommateur vient gicler dedans quand ça lui chante, il se l’envoie par tous les trous. Quand tu arrives quelque part, tu ne trouves plus un mètre carré qu’il n’ait pas enfilé mille fois. Il s’est tout tapé, il a tout liquidé, il s’est dégorgé sur les églises, il a giclé sur les châteaux, il s’est soulagé sur les tableaux. Il a déchargé, avec quel entrain, sur les fresques les plus rares, limé les plus vieux monuments, foutu les plus beaux paysages. Tout salopé ! Enfilé !

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "On ferme !" page 159

[ indifférenciation ] [ ennui ] [ consumérisme ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

extraterrestre

[...] Vers le même moment (22/09/1954 au soir - NDA), quelques piétons qui se trouvaient sur l'esplanade des Invalides, en plein Paris, virent arriver dans les même conditions et également disparaître dans les nuages deux autres petites boules lumineuses. Parmi les témoins, citons la célèbre actrice de cinéma Michèle Morgan. Les journalistes et les chansonniers se moquèrent d'elle quand elle raconta son observation, le lendemain, lui conseillant assez grossièrement de ne pas jouer à la ville le personnage de Jeanne d'Arc, célèbre par ses visions, et qu'il lui était arrivé d'incarner avec le talent qu'on sait. En dépit des sarcasmes, Michèle Morgan persista à affirmer qu'elle avait fort bien vu ce qu'elle avait vu : deux boules lumineuses arriver successivement à vive allure et monter à la verticale dans les nuages pour y disparaître. Elle rapporta en outre un aspect de l'incident très révélateur du point de vue psychologique. "Un vieux monsieur qui traversait l'esplanade non loin de moi aperçut lui aussi le phénomène. Il le contempla avec la même stupeur, puis me regarda, comprit que j'avais surpris sa curiosité, prit un air penaud et s'enfuit en toute hâte, de peur, évidemment, que je lui demande de confirmer un spectacle aussi absurde." On dit qu'en France le ridicule tue. Mais il arrive, semble-t-il, que la peur du ridicule provoque la fuite devant la vérité, qui est le comble du ridicule.

Auteur: Michel Aimé

Info: Mystérieux Objets Célestes, Ed. Arthaud, 1958, p.98

 

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vieillards

Pourtant, quand il réfléchissait à sa condition actuelle, le vieil homme était saisi du sentiment d'avoir été injustement condamné à la réclusion à perpétuité, pour une chose sur laquelle il n'avait aucune emprise. Le crime qu'il expiait ici était simplement d'être devenu vieux et improductif, aussi obsolète que le Minitel, aussi utile qu'un flacon de shampoing dans une prise d'otages. Ce que la communauté attendait des encombrants de sa génération, c'était qu'ils eussent la sagesse élémentaire de se retirer de la circulation et de se mettre sur une voie de garage, où ils ne gêneraient personne... De se ranger pudiquement et sans esclandre, si ce n’était pas trop leur demander et tant qu’ils conservaient un peu de dignité, à l’abri des regards. On épargnait le triste spectacle des vieux aux plus jeunes, comme on regroupait autrefois les ladres dans des léproseries. Ils étaient la poussière qu'on dissimulait sous le tapis, les scories et l'écume laissées sur le bord du monde par une société en ébullition permanente. Telle était la norme et, depuis toujours, Martial se pliait à ce que toutes les normes, les règles, les lois, exigeaient de lui. Martial Chaînard aurait été du genre à continuer de traverser les routes par les passages piétons après une apocalypse nucléaire. Il était comme ça. C'était quelqu'un d’accommodant, la docilité incarnée, et il avait longtemps cru qu'on l'appréciait pour cela, pour sa faculté à épouser la forme des moules, à se fondre dans le décor sans faire de vagues.

Auteur: Soulier Frédéric

Info: Epilogue

[ rejetés ] [ exclus ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

hygiénisme

Nous vivons l’âge du sucre sans sucre, des guerres sans guerre, du thé sans thé, des débats où tout le monde est d’accord pour que demain soit mieux qu’hier, et des procès où il faut réveiller les morts, de vrais coupables jugés depuis longtemps, pour avoir une chance de ne pas se tromper.

Si l’époque se révèle difficile à saisir, c’est à cause de tout ce qu’elle a éliminé de réel, sans arrêter de vouloir nous faire croire à la survie de sa réalité en simili. Il ne va plus rester grand-chose, si ça continue à ce train-là. Tout est certifié hypocalorique, la vie, la mort, les supposées idées, les livres, les conflits "propres" dans le Golfe, l’art, les pseudo passions, la prétendue information, les émissions.

On décrète des "journées sans tabac". Pourquoi pas des années sans femmes ? Des femmes garanties sans cholestérol ? Des idéologies sans matières grasses ?
Avec quoi pourrions-nous assouvir le besoin de négatif, en nous, depuis que le négatif a été décrété hors-la-loi, si ce n’est avec les dangers du passé ? Nous sommes bien trop fragiles, désormais, bien trop privés d’immunités pour nous offrir d’autres ennemis qu’à titre vraiment très posthume. Voilà le revers de notre bien-être. Nous ne pouvons plus nous affronter qu’à des événements archivés, peignés de multiples commentaires, rediffusés cinq fois par an, mieux pétrifiés que les voies piétonnes de nos centres-villes tétanisés. Plus de surprises autres qu’organisées. Même nos haines solidement justifiées donnent l’impression d’avoir été trouvées dans des réserves naturelles pour faune et flore en grand péril.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "L'empire du bien"

[ dénégation ] [ penchants obscurs ] [ édulcoré ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

urbanisme festif

Bien entendu, il n’y a pas davantage de plage, aujourd’hui, sur les bords de la Seine qu’il n’y en avait huit jours avant. L’important est de vérifier si les gens vont accepter d’y croire. Car tout cela n’a rien de futile. Ça s’appelle un programme. […] Contrairement à ce que l’on imagine, Paris n’est pas une enclave pittoresque où résisteraient les derniers adeptes du Parti du progrès universel et pluriel en difficulté. C’est un laboratoire. C’est un terrain d’expérience qui a l’avenir devant lui. Le maire nourrit d’amples ambitions. […] "Il faudra, déclare-t-il, qu’on puisse encore dire du bien dans trente ans de ce que nous décidons maintenant" (mais pourquoi faudrait-il attendre si longtemps pour en dire du mal ?). Ses grands projets se résument à couvrir tout ce que la sensibilité exquise de la modernité ne veut plus voir : périphériques, parkings, hangars de stockage, entrepôts du service municipal des Pompes funèbres. En gros, le réel. Delanoë le fourre sous dalle. Et, par-dessus, il plante tout ce qui fait rêver : murs d’escalade, squats d’artistes, promenades vertes, multiplexes créatifs, lieux d’éducation aux arts de la rue, espaces d’initiation à la musique hip-hop.

Et parasols.

Car il s’agit aussi de réconcilier le Parisien avec son fleuve. Il paraît que jusqu’alors le Parisien tournait le dos à la Seine, ses eaux noires moirées de mazout et ses courants d’air. De temps en temps, il s’accoudait aux parapets pour regarder un suicidé en train de gagner le large avec nonchalance. C’est tout ce qu’il avait comme distraction. Quel chemin parcouru depuis. Maintenant il peut bronzer en bordure de concept et s’initier à la fabrication des nœuds marins dans une station balnéaire non figurative où tout est stylisé, le sable, les pelouses, les oriflammes, les nœuds marins, les murs d’escalade, sa propre personne. Exactement comme dans un quartier piétonnier. Transformer les berges de la Seine en quartier piétonnier idéal, voilà l’exploit des plagistes de la Mairie de Paris. Je le sais, j’étais sur place le dimanche de l’ouverture du concept.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 3", Les Belles Lettres, Paris, 2002, page 450

[ virtualisation ] [ refoulement ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

écriture

Si je dis parfois qu'il y a tout dans Balzac, Stendhal, Dostoïevsky ou Tolstoï, je m'aperçois qu'il y a bien autre chose chez Rimbaud, Flaubert ou Valéry. Il ne s'agit plus pour moi de décrire, de déduire ou de conclure. Je répugne à l' "expliqué", comme au "raconté", comme au "romancé". Aussi n'ai-je aucune méthode de travail. J'ai plutôt ma façon de gravir la montagne qui sépare la vallée du papier blanchi du plateau des feuilles noircies. Mais ces pistes demeurent secrètes, même pour moi. Tout ce que je puis révéler, c'est que je voudrais, à mon tour, dire quelques mots de ce qui se passe entre notre âme et les choses, c'est que je voudrais comparaître à mon tour devant le suprême tribunal et connaître l'état de mon cœur. Sans doute, il y a une première prise de contact. Des matières, des images sûres, des odeurs irréfutables, des clartés péremptoires viennent à ma rencontre. J'en écris, soit. C'est un premier jet. J'installe ces couleurs de préface sur un large écran. Je tisse une toile. Le stade second consiste à percevoir plus loin, à m'arrêter devant le même spectacle, à me taire plus avant, à respirer plus profond devant la même émotion. Si j'avais quelque jeune disciple à former, je me contenterais probablement de lui murmurer ces seuls mots "Sensible. s'acharner à être sensible, infiniment sensible, infiniment réceptif. Toujours en état d'osmose. Arriver à n'avoir plus besoin de regarder pour voir. Discerner le murmure des mémoires, le murmure de l'herbe, le murmure des gonds, le murmure des morts. Il s'agit de devenir silencieux pour que le silence nous livre ses mélodies, douleur pour que les douleurs se glissent jusqu'à nous, attente pour que l'attente fasse enfin jouer ses ressorts. Écrire, c'est savoir dérober des secrets qu'il faut encore savoir transformer en diamants. Piste longuement l'expression qui mord et ramène-la de très loin, s'il le faut." Un de mes plus vieux ancêtres avait inventé quelque chose au Palais du Louvre et à la Fontaine des Innocents. Son arrière-petit-fils (il avait une bonne figure) avait inventé un Dictionnaire; mon aïeul avait réinventé sa trousse; mon père avait inventé son verre, ses émaux, sa palette, ses instruments, sa cuisson. Et moi, je cherche à continuer tant bien que mal, en y apportant mon équation de poète chimiste, la taillerie de mes pères…

Auteur: Fargue Léon-Paul

Info: Le Piéton de Paris. Paris, "Par ailleurs". Éditions Gallimard, 1932, 1939.

[ filiation ] [ chaîne ] [ méthode de création ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

multi-milliardaires

DE LA SURVIE DES PLUS RICHES
Quand des patrons de fonds d'investissement new-yorkais font appel à un spécialiste de la société de l'information, afin d'améliorer leurs chances de survie après l'Évènement qui détruira le monde tel que nous le connaissons.

AVERTISSEMENT, CECI N'EST PAS UNE FICTION
L’année dernière, j’ai été invité à donner une conférence dans un complexe hôtelier d’hyper-luxe face à ce que je pensais être un groupe d’une centaine de banquiers spécialisés dans l’investissement. On ne m’avait jamais proposé une somme aussi importante pour une intervention - presque la moitié de mon salaire annuel de professeur - et délivrer mes visions sur "l’avenir de la technologie".

Je n’ai jamais aimé parler du futur. Ce genre de séance d’échange se termine fatalement par un interrogatoire, à l’occasion duquel on me demande de me prononcer sur les dernières "tendances" technologiques, comme s’il s’agissait d’indicateurs boursiers pour les investisseurs : blockchain, impression 3D, CRISPR. L’audience s’y préoccupe généralement moins des technologies en elles-mêmes et de leurs implications, que de savoir si elles méritent ou non que l’on parie sur elles, en mode binaire. Mais l’argent ayant le dernier mot, j’ai accepté le boulot.

À mon arrivée, on m’a accompagné dans ce que j’ai cru n’être qu’une vulgaire salle technique. Mais alors que je m’attendais à ce que l’on me branche un microphone ou à ce que l’on m’amène sur scène, on m’a simplement invité à m’asseoir à une grande table de réunion, pendant que mon public faisait son entrée : cinq gars ultra-riches - oui, uniquement des hommes - tous issus des plus hautes sphères de la finance internationale. Dès nos premiers échanges, j’ai réalisé qu’ils n’étaient pas là pour le topo que je leur avais préparé sur le futur de la technologie. Ils étaient venus avec leurs propres questions.

Ça a d’abord commencé de manière anodine. Ethereum ou Bitcoin ? L’informatique quantique est-elle une réalité ? Lentement mais sûrement, ils m’ont amené vers le véritable sujet de leurs préoccupations.

Quelle sera la région du monde la plus épargnée par la prochaine crise climatique : la nouvelle Zélande ou l’Alaska ? Est-ce que Google construit réellement un nouveau foyer pour le cerveau de Ray Kurzweil ? Est-ce que sa conscience survivra à cette transition ou bien mourra-t-elle pour renaître ensuite ? Enfin, le PDG d’une société de courtage s’est inquiété, après avoir mentionné le bunker sous-terrain dont il achevait la construction : "Comment puis-je conserver le contrôle de mes forces de sécurité, après l’Événement ?"

L’Évènement. Un euphémisme qu’ils employaient pour évoquer l’effondrement environnemental, les troubles sociaux, l’explosion nucléaire, le nouveau virus impossible à endiguer ou encore l’attaque informatique d’un Mr Robot qui ferait à lui seul planter tout le système.

Cette question allait nous occuper durant toute l’heure restante. Ils avaient conscience que des gardes armés seraient nécessaires pour protéger leurs murs des foules en colère. Mais comment payer ces gardes, le jour où l’argent n’aurait plus de valeur ? Et comment les empêcher de se choisir un nouveau leader ? Ces milliardaires envisageaient d’enfermer leurs stocks de nourriture derrière des portes blindées aux serrures cryptées, dont eux seuls détiendraient les codes. D’équiper chaque garde d’un collier disciplinaire, comme garantie de leur survie. Ou encore, si la technologie le permettait à temps, de construire des robots qui serviraient à la fois de gardes et de force de travail.

C’est là que ça m’a frappé. Pour ces messieurs, notre discussion portait bien sur le futur de la technologie. Inspirés par le projet de colonisation de la planète Mars d’Elon Musk, les tentatives d’inversion du processus du vieillissement de Peter Thiel, ou encore les expériences de Sam Altman et Ray de Kurzweil qui ambitionnent de télécharger leurs esprits dans de super-ordinateurs, ils se préparaient à un avenir numérique qui avait moins à voir avec l’idée de construire un monde meilleur que de transcender la condition humaine et de se préserver de dangers aussi réels qu’immédiats, comme le changement climatique, la montée des océans, les migrations de masse, les pandémies planétaires, les paniques identitaires et l’épuisement des ressources. Pour eux, le futur de la technologie se résumait à une seule finalité : fuir.

Il n’y a rien de mal aux visions les plus follement optimistes sur la manière dont la technologie pourrait bénéficier à l’ensemble de la société humaine. Mais l’actuel engouement pour les utopies post-humaines est d’un tout autre ordre. Il s’agit moins d’une vision de la migration de l’ensemble de notre espèce vers une nouvelle condition humaine, que d’une quête pour transcender tout ce qui nous constitue : nos corps, notre interdépendance, la compassion, la vulnérabilité et la complexité. Comme l’indiquent maintenant depuis plusieurs années les philosophes de la technologie, le prisme transhumaniste réduit trop facilement la réalité à un conglomérat de données, en concluant que "les humains ne sont rien d’autre que des centres de traitement de l’information".

L’évolution humaine s’apparente alors à une sorte de jeu vidéo labyrinthique, dont les heureux gagnants balisent le chemin de la sortie pour leurs partenaires les plus privilégiés. S’agit-il de Musk, Bezos, Thiel… Zuckerberg ? Ces quelques milliardaires sont les gagnants présupposés d’une économie numérique régie par une loi de la jungle qui sévit dans le monde des affaires et de la spéculation dont ils sont eux-mêmes issus.

Bien sûr, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Il y a eu une période courte, au début des années 1990, où l’avenir numérique apparaissait fertile, enthousiasmant, ouvert à la création. La technologie y devenait le terrain de jeu de la contre-culture, qui vit là l’opportunité de créer un futur plus inclusif, mieux réparti et pro-humain. Mais les intérêts commerciaux n’y ont vu pour leur part que de nouveaux potentiels pour leurs vieux réflexes. Et trop de technologues se sont laissés séduire par des IPO (introduction en bourse) chimériques. Les futurs numériques s’en retrouvèrent envisagés sous le même prisme que le cours de la bourse ou du coton, dans ce même jeu dangereux de paris et de prédictions. Ainsi, la moindre étude documentaire, le moindre article ou livre blanc publié sur ce thème n’étaient plus interprété que comme un nouvel indice boursier. Le futur s’est transformé en une sorte de scénario prédestiné, sur lequel on parie à grands renforts de capital-risque, mais qu’on laisse se produire de manière passive, plus que comme quelque chose que l’on crée au travers de nos choix présents et de nos espoirs pour l’espèce humaine.

Ce qui a libéré chacun d’entre nous des implications morales de son activité. Le développement technologique est devenu moins une affaire d’épanouissement collectif que de survie individuelle. Pire, comme j’ai pu l’apprendre à mes dépens, le simple fait de pointer cette dérive suffisait à vous désigner d’emblée comme un ennemi rétrograde du marché, un ringard technophobe.

Et plutôt que de questionner la dimension éthique de pratiques qui exploitent et appauvrissent les masses au profit d’une minorité, la majorité des universitaires, des journalistes et des écrivains de science fiction ont préféré se focaliser sur des implications plus abstraites et périphériques : "Est-il juste qu’un trader utilise des drogues nootropiques ? Doit-on greffer des implants aux enfants pour leur permettre de parler des langues étrangères? Les véhicules intelligents doivent-ils privilégier la sécurité des piétons ou celle de leurs usagers? Est-ce que les premières colonies martiennes se doivent d’adopter un modèle démocratique? Modifier son ADN, est-ce modifier son identité ? Est-ce que les robots doivent avoir des droits ?".

Sans nier le côté divertissant de ces questions sur un plan philosophique, force est d’admettre qu’elles ne pèsent pas lourd face aux vrais enjeux moraux posés par le développement technologique débridé, au nom du capitalisme pratiqué par les multinationales. Les plateformes numériques ont modifié un marché déjà fondé sur l’exploitation (Walmart) pour donner naissance à un successeur encore plus déshumanisant (Amazon). La plupart d’entre-nous sommes conscients de ces dérives, rendues visibles par la recrudescence des emplois automatisés, par l’explosion de l’économie à la tâche et la disparition du commerce local de détails.

Mais c’est encore vis-à-vis de l’environnement et des populations les plus pauvres que ce capitalisme numérique désinhibé produit ses effets les plus dévastateurs. La fabrication de certains de nos ordinateurs et de nos smartphones reste assujettie au travail forcé et à l’esclavage. Une dépendance si consubstantielle que Fairphone, l’entreprise qui ambitionnait de fabriquer et de commercialiser des téléphones éthiques, s’est vue obligée de reconnaître que c’était en réalité impossible. Son fondateur se réfère aujourd’hui tristement à ses produits comme étant "plus" éthiques.

Pendant ce temps, l’extraction de métaux et de terres rares, conjuguée au stockage de nos déchets technologiques, ravage des habitats humains transformés en véritables décharges toxiques, dans lesquels es enfants et des familles de paysans viennent glaner de maigres restes utilisables, dans l’espoir de les revendre plus tard aux fabricants.

Nous aurons beau nous réfugier dans une réalité alternative, en cachant nos regards derrière des lunettes de réalité virtuelle, cette sous-traitance de la misère et de la toxicité n’en disparaîtra pas pour autant. De fait, plus nous en ignorerons les répercussions sociales, économiques et environnementales, plus elles s’aggraveront. En motivant toujours plus de déresponsabilisation, d’isolement et de fantasmes apocalyptiques, dont on cherchera à se prémunir avec toujours plus de technologies et de business plans. Le cycle se nourrit de lui-même.

Plus nous adhérerons à cette vision du monde, plus les humains apparaitront comme la source du problème et la technologie comme la solution. L’essence même de ce qui caractérise l’humain est moins traité comme une fonctionnalité que comme une perturbation. Quels que furent les biais idéologiques qui ont mené à leur émergence, les technologies bénéficient d’une aura de neutralité. Et si elles induisent parfois des dérives comportementales, celles-ci ne seraient que le reflet de nos natures corrompues. Comme si nos difficultés ne résultaient que de notre sauvagerie constitutive. À l’instar de l’inefficacité d’un système de taxis locaux pouvant être "résolue" par une application qui ruine les chauffeurs humains, les inconsistances contrariantes de notre psyché pouvait être corrigée par une mise à jour digitale ou génétique.

Selon l’orthodoxie techno-solutionniste, le point culminant de l’évolution humaine consisterait enfin à transférer notre conscience dans un ordinateur, ou encore mieux, à accepter la technologie comme notre successeur dans l’évolution des espèces. Comme les adeptes d’un culte gnostique, nous souhaitons atteindre la prochaine phase transcendante de notre évolution, en nous délestant de nos corps et en les abandonnant, avec nos péchés et nos problèmes.

Nos films et nos productions télévisuelles continuent d’alimenter ces fantasmes. Les séries sur les zombies dépeignent ainsi une post-apocalypse où les gens ne valent pas mieux que les morts vivants - et semblent en être conscients. Pire, ces projections fictives invitent les spectateurs à envisager l’avenir comme une bataille à somme nulle entre les survivants, où la survie d’un groupe dépend mécaniquement de la disparition d’un autre. Jusqu’à la série Westworld, basée sur un roman de science-fiction dans lequel les robots deviennent fous et qui clôt sa seconde saison sur une ultime révélation : les êtres humains sont plus simples et plus prévisibles que les intelligences artificielles qu’ils ont créées. Les robots y apprennent que nous nous réduisons, tous autant que nous sommes, à quelques lignes de code et que notre libre arbitre n’est qu’une illusion. Zut ! Dans cette série, les robots eux-mêmes veulent échapper aux limites de leurs corps et passer le reste de leurs vies dans une simulation informatique.

Seul un profond dégoût pour l’humanité autorise une telle gymnastique mentale, en inversant ainsi les rôles de l’homme et de la machine. Modifions-les ou fuyons-les, pour toujours.

Ainsi, nous nous retrouvons face à des techno-milliardaires qui expédient leurs voiture électriques dans l’espace, comme si ça symbolisait autre chose que la capacité d’un milliardaire à assurer la promotion de sa propre compagnie. Et quand bien même quelques élus parviendraient à rallier la planète Mars pour y subsister dans une sorte de bulle artificielle - malgré notre incapacité à maintenir des telles bulles sur Terre, malgré les milliards de dollars engloutis dans les projets Biosphère - le résultat s’apparenterait plus à une espèce de chaloupe luxueuse réservée une élite qu’à la perpétuation de la diaspora humaine.

Quand ces responsables de fonds d’investissement m’ont interrogé sur la meilleure manière de maintenir leur autorité sur leurs forces de sécurité "après l’Évènement", je leur ai suggéré de traiter leurs employés du mieux possible, dès maintenant. De se comporter avec eux comme s’il s’agissait des membres de leur propre famille. Et que plus ils insuffleraient cette éthique inclusive à leur pratiques commerciales, à la gestion de leurs chaînes d’approvisionnement, au développement durable et à la répartition des richesses, moins il y aurait de chances que "l’Événement" se produise. Qu’ils auraient tout intérêt à employer cette magie technologique au service d’enjeux, certes moins romantiques, mais plus collectifs, dès aujourd’hui.

Mon optimisme les a fait sourire, mais pas au point de les convaincre. Éviter la catastrophe ne les intéressait finalement pas, persuadés qu’ils sont que nous sommes déjà trop engagés dans cette direction. Malgré le pouvoir que leur confèrent leurs immenses fortunes, ils ne veulent pas croire en leur propre capacité d’infléchir sur le cours des événements. Ils achètent les scénarios les plus sombres et misent sur leur argent et la technologie pour s’en prémunir - surtout s’ils peuvent disposer d’un siège dans la prochaine fusée pour Mars.

Heureusement, ceux d’entre nous qui n’ont pas de quoi financer le reniement de leur propre humanité disposent de meilleures options. Rien nous force à utiliser la technologie de manière aussi antisociale et destructive. Nous pouvons nous transformer en individus consommateurs, aux profils formatés par notre arsenal de plateformes et d’appareils connectés, ou nous pouvons nous souvenir qu’un être humain véritablement évolué ne fonctionne pas seul.

Être humain ne se définit pas dans notre capacité à fuir ou à survivre individuellement. C’est un sport d’équipe. Quel que soit notre futur, il se produira ensemble.

Auteur: Rushkoff Douglas

Info: Quand les riches conspirent pour nous laisser derrière. Avec l’accord de l’auteur, traduction de Céleste Bruandet, avec la participation de Laurent Courau

[ prospective ] [ super-riches ] [ oligarques ]

 

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