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voyage
D'accord, Plaisance (*) n'est pas Singapour ; les différences sont nombreuses et non négligeables. Toutefois, tandis que, dans l'omnibus fatigué, je traversais l'après-midi de plus en plus nocturne, et transitais par des lieux inconnus, probablement pseudonymes, comme Alexandrie et Broni (*), je ne pouvais pas ne pas éprouver une impression d'inconnu, d'exotique, d'étranger. Je m'étais déjà trouvé à Plaisance, en un temps reculé, dans des aubes inhospitalières, lorsque j'enseignais des choses fausses dans une école de cette province ; et, de nombreuses années plus tard, j'y étais revenu à la recherche de quelque trace de Wiligelmo (**) sur l'abside de la cathédrale. Mais il y avait un point fondamental, une extranéité jamais surmontée : à Plaisance, je n'avais jamais mangé. Or une ville dans laquelle on ne fait pas l'expérience de la nourriture est, comment dire ? un mariage non consommé. On n'est pas apparenté ; si l'on se croise, on ne se salue même pas. Cette fois-ci, j'allais vraiment à Plaisance, j'allais y manger et y dormir. Cette perspective était excitante.
Auteur:
Manganelli Giorgio
Années: 1922 - 1990
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: homme de lettres
Continent – Pays: Europe - Italie
Info:
"Italies excentriques", éd. Le Promeneur, p.15 - (*) Piacenza, Alessandria et Broni : villes italiennes ; (**) Wiligelmo : sculpteur italien du 12e siècle
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nouveauté
]
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comparaison
]
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souvenirs
]
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absence de familiarité
]
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repas
]
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ancrage
]
extraits littéraires
Pour autant que le passé est transmis comme tradition, il fait autorité. Pour autant que l'autorité se présente historiquement, elle devient tradition. Walter Benjamin savait que la rupture de la tradition et la perte de l'autorité survenues à son époque étaient irréparables, et il concluait qu'il lui fallait découvrir un style nouveau de rapport au passé. En cela, il devint maître le jour où il découvrit qu'à la transmissibilité du passé, s'était substituée sa "citabilité", à son autorité cette force inquiétante de s'installer par bribes dans le présent et de l'arracher à cette 'fausse paix' qu'il devait à une complaisance béate. "Les citations, dans mon travail, sont comme des voleurs de grands chemins qui surgissent en armes et dépouillent le promeneur de ses convictions" (Schriften, I, 571). Cette découverte de la fonction moderne de la citation selon Benjamin ... était née ... d'un désespoir relatif au présent et d'un désir de détruire le présent. Par conséquent, la force de la citation "n'est pas de conserver, mais de purifier, d'arracher du contexte, de détruire" (Schriften, II, 192).
Auteur:
Arendt Hannah
Années: 1906 - 1975
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: F
Profession et précisions: philosophe et femme de lettre
Continent – Pays: Europe - Allemagne
Info:
Walter Benjamin 1892-1940, pp. 82-83. Force de la citation quand toute tradition et autorité sont perdues
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idées
]
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réflexion transgénérationnelle
]
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citation s'appliquant à ce logiciel
]
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philosophie
]
soliloque
Délivré de toutes les passions terrestres qu’engendre le tumulte de la vie sociale, mon âme s’élancerait fréquemment au-dessus de cet atmosphère, et commercerait d’avance avec les intelligences célestes dont elle espère aller augmenter le nombre dans peu de temps. Les hommes se garderont, je le sais [,] de me rendre un si doux asile où ils n’ont pas voulu me laisser. Mais ils ne m’empêcheront pas du moins de m’y transporter chaque jour sur les ailes de l’imagination, et d’y goûter durant quelques heures le même plaisir que si je l’habitais encore. Ce que j’y ferais de plus doux serait d’y rêver à mon aise. En rêvant que j’y suis ne fais-je pas la même chose ? Je fais même plus ; à l’attrait d’une rêverie abstraite et monotone je joins des images charmantes qui la vivifient. Leurs objets échappaient souvent à mes sens dans mes extases, et maintenant plus ma rêverie est profonde plus elle me les peint vivement. Je suis souvent plus au milieu d’eux et plus agréablement que quand j’y étais réellement. Le malheur est qu’à mesure que l’imagination s’attiédit cela vient avec plus de peine et ne dure pas si longtemps. Hélas, c’est quand on commence à quitter sa dépouille qu’on en est le plus offusqué !
Auteur:
Rousseau Jean-Jacques
Années: 1712 - 1778
Epoque – Courant religieux: préindustriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Suisse
Info:
Les Rêveries du promeneur solitaire. Fin de la cinquième promenade
[
monologue intérieur
]
flâneurs
Un jour, je lis dans un livre de poche, trouvé par hasard dans la bibliothèque de mes parents, les contes du vide parfait de Lie-Tseu. L'un de ces contes évoque la promenade et affirme qu'il existe deux sortes de promeneurs : ceux qui se promènent pour se distraire et ceux qui se promènent pour méditer. Les uns se concentrent sur les paysages qu'ils traversent et tentent de ne faire plus qu'un avec eux ; les autres se tournent vers eux-mêmes, oublieux du monde extérieur, dans un effort de concentration maximum.
Mais il existe une troisième voie, précise le conteur taoïste : "Le promeneur parfait marche sans savoir où il va, regarde sans se rendre compte de ce qu'il voit. Aller partout et regarder tout dans cette disposition mentale, voilà la promenade et la contemplation parfaites."
En lisant ce conte, je pense que c'est peut-être cela que je cherche dans les petites rues anonymes de l'0asis. Marcher sans but, regarder sans vraiment voir, être nulle part en particulier et cependant atteindre une forme de plénitude. Est-ce donc cela la " vie parfaite " : errer, se laisser porter au hasard sans se perdre, atteindre un rythme - celui qu'évoque Lie-Tseu - et le préserver le plus longtemps possible ?
Auteur:
Oudghiri Rémy
Années: 197? -
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: sociologue
Continent – Pays: Europe - France
Info:
La société très secrète des marcheurs solitaires
[
attention flottante
]
bien-être
Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l’homme. Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante. Tout change autour de nous. Nous changeons nous-mêmes et nul ne peut s’assurer qu’il aimera demain ce qu’il aime aujourd’hui. Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères. Profitons du contentement d’esprit quand il vient ; gardons-nous de l’éloigner par notre faute, mais ne faisons pas des projets pour l’enchaîner, car ces projets-là sont de pures folies. J’ai peu vu d’hommes heureux, peut-être point ; mais j’ai souvent vu des cœurs contents, et de tous les objets qui m’ont frappé c’est celui qui m’a le plus contenté moi-même. Je crois que c’est une suite naturelle du pouvoir des sensations sur mes sentiments internes. Le bonheur n’a point d’enseigne extérieure (de marque apparente) ; pour le connaître il faudrait lire dans le cœur de l’homme heureux ; mais le contentement se lit dans les yeux, dans le maintien, dans l’accent, dans la démarche et semble se communiquer à celui qui l’aperçoit. Est-il une jouissance plus douce que de voir un peuple entier se livrer à la joie un jour de fête, et tous les cœurs s’épanouir aux rayons expansifs du plaisir qui passe rapidement, mais vivement, à travers les nuages de la vie ?
Auteur:
Rousseau Jean-Jacques
Années: 1712 - 1778
Epoque – Courant religieux: préindustriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Suisse
Info:
Rêveries du promeneur solitaire, 1782
[
contentement
]
[
rapports humains
]
[
masques
]
morale de la forme
Rien n'est plus déréglé que le roman, en ce sens qu'il n'a pas de règles de confection valables de façon générale ; mais, en même temps, rien n'est davantage dominé par le complexe de la norme. Le roman ne peut épouser que lui-même, et ce mariage est monogame, comme il sied à un monothéiste. Mais il y a plus. Le roman est l'Hérode des récits. Il ne peut se dérouler qu'en tuant sans cesse de possibles récits, comme ce Juggernaut (*) qui écrasait les fidèles ; et c'est ce qui fait que les récits se mettent en travers du cours du roman. Quand Don Abondio (**) rencontre les sbires, il doit passer sur le cadavre du récit des sbires - de quoi se sont-ils parlé en venant à cette bifurcation ? - et sur le cadavre du récit qui voulait naître autour de cette petite chapelle peinte d'âmes du purgatoire ; et, peu après, cet "On raconte que le prince de Condé" n'est-il pas l'aveu d'un récit nié, necatus (***) ? En somme, on ne peut écrire un roman qu'en renonçant aux minuscules et répétitives hérésies des récits ; aux monstruosités éphémères ; aux perversions hâtives ; aux notations pour un délire. Non pas qu'un roman ne puisse être un délire hérétique, monstrueux, pervers ; mais l'hérésie constante se transforme en orthodoxie ; la monstruosité qui perdure se solidifie en une mutation heureusement réalisée ; la perversion accueillie et acceptée devient convenable et comme il faut ; et le délire donne lieu, après trois chapitres, à un nouveau langage, d'une grammaire et d'un lexique robustes.
Auteur:
Manganelli Giorgio
Années: 1922 - 1990
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: homme de lettres
Continent – Pays: Europe - Italie
Info:
in "Le bruit subtil de la prose", éd. du Promeneur, p. 37-38 - (*) Juggernaut : char de procession du dieu Krishna, dont on disait qu'il n'hésitait pas à écraser les fidèles qui se trouvait sur sa route ; (**) Don Abondio : personnage principal des "Fiancés" de Manzoni ; (***) necatus : qui a été tué (latin)
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littérature
]
[
narration
]
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sacrifice
]
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liberté narrative
]
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contraintes narratives
]
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écriture fermeture
]
citation s'appliquant à ce logiciel
Voyons FLP comme une sorte de "bibliothèque des idées". Mais, une bibliothèque, pour paraphraser Michel Melot, devrait être "une symphonie, pas un vacarme".
Pas ici. Dans les "Fils de la pensée" sont intégrés des concepts courts et des extraits plus longs, tous choisis et tagués avec une bonne dose de subjectivité.
Donc point d'ordre au-sens du livre avec un début et une fin. Encore moins du "chef-d'oeuvre arrêté", mais un agencement différent, correspondant à une quête - ou des quêtes -, croisées, comme dans une immense forêt des idées où, à force de passages du promeneur chercheur compilateur, commenceraient à se dessiner des pistes. Certaines rebattues donc bien marquées, parce que correspondants à des évidences de la pensée humaine (prenez les sentiers "mort" et "définitif" ou "mourir" et "libération"...) d'autres à peine marquées parce que plus orientées et définies (au hasard de ces percées forestières : "confort" et "abrutissement" ou "langage" et "limitation").
Quelques vieux sages, (certains jamais nés, d'autres peut-être morts temporairement) experts des ballades dans cette infinie sylve, fille des mots, phrases, paragraphes, chapitres... certains engloutis à jamais, comme avalés et assimilés par ces touffeurs végétale de syllabes, d'autres réfugiés dans des clairières qui n'existent plus, s'accordent cependant sur ce constat : "Trois sortes de quêtes sont possibles dans ces entrelacs". Par ordre d'importance : celle de la beauté qu'on déguste, celle de l'objet que l'on recherche pour un usage. Et la plus hasardeuse : celle de la vérité.
Les créateurs de ce monde de lettres préfèrent quand à eux les intoxiqués de formules et de littérature, explorateurs désintéressés, absorbés-distraits, au point qu'ils abandonneront quelques vivres, comme par mégarde, quelque part dans ce site jungle. Propositions ou appréciations... Tant ludiques que nutritives , comme autant d'indices nourriciers qui pourront étancher au passage quelque visiteur égaré sur les même sentes. Et l'aideront à vivre.
Auteur:
Mg
Années: 1958 - 20??
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: musicien, compilateur, sémioticien, directeur, guitariste, compositeur-chercheur, entrepreneur, astacologue, écrivain, imprimeur-éditeur-producteur, linguiste, père de famille, chansonnier, politicien très local, brocanteur, bûcheron, agent-couchettes...
Continent – Pays: Europe - Suisse
Info:
10 mai 2015. En hommage admiratif à "Le jardins aux sentiers qui bifurquent" de JL Borges.
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web
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présentation
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littérature
Un soir, après le repas, j'allai encore en hâte au bord du lac drapé de je ne sais plus très bien quelle mélancolie pluvieuse et sombre. Je m'assis sur un banc sous les branches dégagées d'un saule et ainsi, m'abandonnant à des pensées vagues, je voulus m'imaginer que je n'étais nulle part, une philosophie qui me procura un bien-être étrange et délicieux. L'image de la tristesse sur le lac, sous la pluie, était magnifique. Dans son eau chaude et grise tombait une pluie minutieuse et pour ainsi dire prudente. Mon vieux père avec ses cheveux blancs m'apparut en pensées, ce qui fit de moi un enfant timide et insignifiant, et le portrait de ma mère se mêla au doux et paisible murmure et à la caresse des vagues. Avec l'étendue du lac qui me regardait comme je le faisais moi-même, je découvris l'enfance qui me considérait elle aussi, comme avec de beaux yeux limpides et bons. Tantôt j'oubliais tout à fait où je me trouvais, tantôt je le savais de nouveau. Quelques promeneurs silencieux allaient et venaient tranquillement sur la rive, deux jeunes ouvrières s'assirent sur le banc voisin et commencèrent à bavarder et là-bas sur l'eau, là-bas sur le lac bien-aimé, où les larmes douces et sereines coulaient paisiblement, des amateurs de navigation voguaient encore dans des bateaux ou des barques, le parapluie ouvert au-dessus de leurs têtes, une image qui me fit rêver que j'étais en Chine ou au Japon ou dans un autre pays de poésie et de rêve. Il pleuvait si gentiment et si tendrement dans l'eau et il faisait si sombre. Toutes les pensées sommeillaient puis toutes les pensées étaient de nouveau en éveil. Un vapeur sortit sur le lac; ses lumières scintillaient à merveille dans l'eau lisse et gris argent du lac qui portait ce beau bateau comme s'il éprouvait de la joie à cette apparition féerique. La nuit tomba peu après, et avec elle l'aimable invitation à se lever du banc sous les arbres, à s'éloigner de la rive et à prendre le chemin du retour.
Auteur:
Walser Robert
Années: 1878 - 1956
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Suisse
Info:
Retour dans la neige, traduit de l'allemand par Golnaz Houchidar, 1999 pp. 94-95
[
crépuscule
]
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onirisme
]
existence
La vie est bonne par-dessus tout ; elle est bonne par elle-même ; le raisonnement n’y fait rien. On n’est pas heureux par voyage, richesse, succès, plaisir. On est heureux parce qu’on est heureux. Le bonheur, c’est la saveur même de la vie. Comme la fraise a goût de fraise, ainsi la vie a goût de bonheur.
Le soleil est bon ; la pluie est bonne ; tout bruit est musique. Voir, entendre, flairer, goûter, toucher, ce n’est qu’une suite de bonheurs. Même les peines, même les douleurs, même la fatigue, tout cela a une saveur de vie.
Exister est bon ; non pas meilleur qu’autre chose ; car exister est tout, et ne pas exister n’est rien. S’il n’en était pas ainsi, aucun vivant ne durerait, aucun vivant ne naîtrait. Pensez qu’une couleur est joie pour les yeux.
Agir est une joie. Percevoir est une joie aussi, et c’est la même. Nous ne sommes point condamnés à vivre ; nous vivons avidement. Nous voulons voir, toucher, juger ; nous voulons déplier le monde. Tout vivant est comme un promeneur du matin. Toutes ces choses qui s’étagent jusqu’à l’horizon, elles n’ont de sens que parce que je le veux. Autrement ce ne seraient que des chatouillements au fond de mes yeux.
Mais je me dis : voilà un sentier, des arbres ; cette ligne bleue, c’est une colline où je marcherai. Cela se voit bien au théâtre, où les décorateurs ne nous montrent qu’une toile avec des couleurs dessus ; mais, tout de suite, nous renvoyons les lointains à leur place ; nous tirons à nous les premiers plans. Pour le monde réel autour de nous, c’est la même chose. Le vaste ciel n’est que du bleu dans mes yeux ; mais je l’étale au-dessus de ma tête.
Voir, c’est vouloir voir. Vivre, c’est vouloir vivre.
Toute vie est un chant d’allégresse. Ils disent bien que Beethoven a vaincu la douleur ; mais ils n’expliquent pas du tout Beethoven par là ; n’importe vivant remporte la même victoire ; le mendiant aussi ; le chien aussi, sans doute.
Seulement, il arrive qu’on meurt ; et les causes qui font mourir sont plus ou moins visibles, mais leur effet est toujours le même. La vie n’a plus la saveur de la vie. Plaisir aussi bien que douleur, tout est frelaté ; l’action est comme une source tarie. Alors il est inévitable que le monde s’écroule faute d’action. Pour ceux qui ne veulent plus vivre, c’est bientôt la fin du monde. C’est ainsi qu’on meurt. Mourir, c’est renoncer.
Auteur:
Alain Émile Chartier dit
Années: 1868 - 1951
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: philosophe
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Propos d'un Normand (1906)
[
dégustation
]
[
bonheur
]
littérature prolétaire
tous ceux-là,
ventres mous des lettres
enseignant l’anglais à l’université
qui écrivent
de la poésie
sans jambes
sans tête
sans nombril
qui savent où postuler pour obtenir des
bourses
encore des bourses et
toujours plus de bourses
auxquels on doit toujours plus
de poésie
sans mains
sans cheveux
sans yeux
tous ceux-là,
ventres mous des lettres
ont trouvé une bonne planque
parvenant même à ce que des femmes
s’attachent à leurs âmes
d’andouilles
ceux-là,
font des voyages tous frais payés
dans les îles
en Europe
à Paris
le monde entier
dans le but
soit-disant
de rassembler
du matériau
(Mexico, ils s’y rendent juste à titre privé)
pendant que les prisons débordent
d’innocents égarés
pendant que les gros bras descendent
à la mine
pendant que les fils de pauvres
se font virer de boulots
ceux-là
ne se saliront ni les mains ni
leurs âmes
ceux-là,
ventres mous des lettres
intègrent des universités
se lisent leurs poèmes
entre eux
infligent leurs poèmes à
leurs étudiants
ceux-là
prétendent que la sagesse et
l’immortalité
contrôlent les rotatives
gras du bide
tandis qu’en prison se forment les rangs pour des moitiés de repas
pendant que 34 armoires à glace sont coincés dans une mine
ceux-là
embarquent sur un bateau pour une île de la mer du sud
afin d’assembler une anthologie
de petits poèmes
entre amis
et/ou
se pointent à des manifestations contre la guerre
sans même savoir
de quelle guerre
il s’agit
ventres mous des lettres
ils dressent une cartographie de notre
culture –
une division de zéro,
une multiplication de
grâce
dépourvue de sens
"Robert Hunkerford enseigne l’anglais à
S.U. Marié. 2 enfants, un chien.
il s’agit de son premier recueil de
vers. Il travaille actuellement à la
traduction des poèmes de
Vallejo. M. Hunkerford a été récompensé
l’année dernière par un prix Sol Stein."
ceux-là,
ventres mous des lettres
enseignant l’anglais à l’université
qui écrivent
de la poésie
sans cou
sans mains
sans couilles
voilà la manière, la méthode
et la raison pour laquelle les gens
ne comprennent pas
les rues
les vers
la guerre
ou
leurs mains sur la
table
notre culture se cache dans les rêves à dentelles de
nos classes d’anglais
dans les robes à dentelles de nos classes
d’anglais
Ce qu'il nous faut c'est
des cours de langue américaine
et des poètes sortis tout droit
des mines
des docks
des usines
des hôpitaux
des prisons
des bars
des bateaux
et des aciéries
des poètes américains,
déserteurs des armées
échappés des asiles de fous
déserteurs de femmes et de vies étouffantes ;
des poètes américains :
marchands de glace, commerciaux en cravate, distributeurs de journaux, manutentionnaires, chauffeurs-livreurs, maquereaux, liftiers, plombiers, dentistes, clowns, promeneurs de chevaux, meurtriers (on a entendu parler des victimes), barbiers, mécaniciens, garçons de café, groom, passeurs de drogue, boxeurs, barmen, des autres, des autres,
des autres
Tant que ceux-là n'arriveront pas
notre pays restera
mort en honteux.
Auteur:
Bukowski Charles
Années: 1920 - 1994
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Amérique du nord - Usa
Info:
Dans "Tempête pour les morts et les vivants", au diable vauvert, trad. Romain Monnery, 2019, "ventres mous des lettres"
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entre-soi
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dévitalisation
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excès de confort
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