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agonie

Parfois Charlotte avait une crise particulièrement douloureuse, et Willard accusait son fils de ne pas vouloir qu'elle aille mieux. Il frappait le garçon, lui donnait des coups de pied puis, plus tard, était envahi de remords. Parfois, il semblait à Arvin que son père s'excusait chaque jour auprès de lui. Au bout d'un moment, il arrêta d'y faire attention et accepta les coups, les mots blessants et les regrets qui allaient avec comme un simple élément de la vie qu'ils menaient désormais. La nuit, ils continuaient à prier jusqu'à ce que leurs voix s'éteignent, puis rentraient titubants de fatigue à la maison et buvaient de l'eau tiède dans le seau du puits, sur le comptoir de la cuisine, avant de s'écrouler sur leur lit, épuisés. Pourtant Charlotte était de plus en plus maigre, se rapprochait de la mort. Quand il lui arrivait d'émerger du sommeil de la morphine, elle suppliait Willard d'arrêter cette folie, de la laisser partir en paix. Mais il n'était pas prêt à renoncer. Si quelque chose qu'il avait en lui était nécessaire, qu'il en soit ainsi. A tout moment, il espérait que l'esprit de Dieu allait descendre et la guérir, et quand la deuxième semaine de juillet arriva à sa fin, il put trouver un peu de réconfort dans le fait qu'elle avait déjà duré plus longtemps que le docteur l'avait prédit.

Auteur: Pollock Donald Ray

Info: Le Diable, tout le temps

[ libération ] [ délivrance ]

 

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gratitude

Un lieu où règne la douleur est terre sainte. On comprendra un jour ce que cela veut dire. Jusque-là, on ne saura rien de la vie. Quand, de ma prison, on m'amena entre deux policiers, devant le tribunal des faillites, Robbie attendait dans le sinistre et long couloir afin de pouvoir, devant toute la foule, qu'un geste si simple et si charmant réduisit au silence, soulever gravement son chapeau tandis que, menottes aux mains et tête basse, je passais devant lui. Des hommes sont allés au ciel pour de moindres actes que celui-ci.
(...) Je ne lui ai jamais soufflé mot de ce qu'il avait fait. Jusqu'à présent, j'ignore s'il sait que j'ai eu conscience de son geste. Ce n'est pas là une chose pour laquelle on puisse exprimer des remerciements conventionnels avec des mots conventionnels. Je la conserve dans le sanctuaire de mon coeur. Je la garde là comme un dette secrète que, je suis heureux de le penser, je ne pourrai jamais payer.
Alors que la sagesse ne m'était d'aucun secours, que la philosophie demeurait stérile, que les sentences et les phrases de ceux qui cherchaient à me consoler me laissaient dans la bouche un goût de cendre, le souvenir de ce petit geste d'amour, silencieux et charmant, a descellé pour moi le puits de la pitié, a fait fleurir le désert comme un rose, m'a arraché à l'amertume de la solitude et de l'exil pour me mettre en harmonie avec le grand coeur blessé du monde.

Auteur: Wilde Oscar

Info: De profundis ; La Ballade de la geôle de Reading

[ reconnaissance ]

 

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vision supportable

C’est pourtant l’énigme du poil qui permet d’approcher celle du visage, condamné à demeurer œuf sans le fouillis des traits – cheveux, rides, veines – qui en dessinent l’arborescence et en rendent supportable la nudité désertique. Pendu "entre les pierres et les astres", le visage peut certes s’enorgueillir des deux luminaires que sont les yeux. Mais pour des raisons que la vie élucidera peu à peu, Artaud se méfie du regard, trop docile messager d’un Esprit contre les perversions duquel il conduira une guerre sans merci. Il est clair que le poil n’appartient pas, comme le regard, à l’Esprit. Plus encore, ce qui fascine Artaud dans le poil, c’est sa nature vibratile, tout comme celle du cil : "Cet esprit tu pus le fixer sur moins de choses encore que la naissance d’un cil" (I, 141). Plus tard, à l’asile de Rodez, Artaud s’interrogera à nouveau sur le mystère du vol de l’abeille, et sur celui d’un "soupir cilé". Sans l’ombrement vibratile des cils, le regard ne serait qu’un puits mort. Sans l’animation des poils et autres veinures, le visage n’offrirait que l’apparence vide d’un œuf et ne serait qu’un "champ de mort", comme le dira Artaud dans l’un de ses derniers textes, parmi les plus poignants : "Le visage humain porte en effet une espèce de mort perpétuelle sur son visage / dont c’est au peintre justement à le sauver / en lui rendant ses propres traits […] Le seul Van Gogh a su tirer d’une tête humaine un portrait qui soit la fusée explosive du battement d’un cœur éclaté."

Auteur: Bonardel Françoise

Info: Dans "Antonin Artaud ou la fidélité à l'infini", éd. Pierre-Guillaume de Roux, Paris, 2014, page 67

[ laideur originelle ] [ physionomie ] [ art pictural ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

nature

Non mais quelle chimie !

Penser que les vents ne sont pas porteurs d’infection,

Penser qu’il n’y a pas de tromperie au ressac couleur jade translucide de l’océan qui me caresse de sa poursuite amoureuse,

Penser que je peux sans crainte lui laisser me lécher le corps par toutes ses langues,

Penser qu’il ne menacera pas ma santé de toutes ces fièvres qui ont fait dépôt en lui,

Penser que son hygiène est indéfiniment assurée,

Penser que la gorgée d’eau prise au puits a vraiment bon goût,

Penser que les mûres ont un parfum juteusement sucré,

Penser que les pommes des vergers, les oranges des orangeraies, les melons, le raisin, les pêches, les prunes ne m’empoisonneront pas,

Penser que quand je me couche dans l’herbe je n’attraperai pas de maladie,

Même s’il y a de fortes chances pour que le plus petit brin d’herbe provienne de ce qui fut naguère contagion microbienne.



Puis voici que la Terre me terrorise par son calme sa patience

Tant elle fait naître de choses douces de matières corrompues,

Tant elle tourne innocemment sur son axe immaculé dans le défilé inexorable de ses cadavres infectieux,

Tant elle distille de vents exquis à partir d’infusions de puanteur fétide,

Tant elle renouvelle dans une totale indifférence la somptuaire prodigalité de ses moissons annuelles,

Tant elle offre de matières divines aux humains en échange de tant de déchets qu’elle reçoit d’eux en retour.

Auteur: Whitman Walt

Info: Dans "Feuilles d'herbe", L'automne et ses ruisseaux, traduction Jacques Darras, éditions Gallimard, 2002, pages 494-495

[ danger ] [ comestible ] [ risques ] [ bon-mauvais ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

scène de séparation

Devant la paisible résistance d’Ulrich, son premier sentiment fut d’avoir vieilli. Elle eut honte de sa situation piteuse et obscène, à demi nue sur ce divan, en butte à tous les outrages. Sans plus hésiter, elle se redressa et saisit ses vêtements. Mais le bruissement froufroutant des calices dans lesquels elle se glissait n’induisit pas Ulrich au repentir. Bonadea sentit sur ses yeux le picotement douloureux de l’impuissance. "C’est un rustre, il m’a offensée exprès !" se redisait-elle. Puis, comme une constatation : "Il ne fait pas un pas !" Et à chaque cordon qu’elle nouait, à chaque crochet qu’elle fermait, elle s’enfonçait plus avant dans le profond puits noir d’une souffrance depuis longtemps oubliée, celle de l’enfant qui se sent abandonné. L’obscurité paraissait alentour. Le visage d’Ulrich s’offrait comme dans une lumière définitive, il se détachait avec rudesse et dureté sur l’ombre du chagrin. "Comment ai-je bien pu aimer ce visage ?" se demanda Bonadea ; mais au même instant, elle sentit toute sa poitrine se crisper sur ces mots : "Perdu pour toujours !" 

Ulrich, qui devinait confusément la résolution qu’elle avait prise de ne plus revenir, ne fit rien pour l’en empêcher. Alors Bonadea, plantée evant le miroir, lissa ses cheveux d’un geste violent, mit son chapeau et attacha sa voilette. Maintenant que la voilette lui cachait le visage, tout était consommé ; le moment était solennel comme une condamnation à mort, ou comme quand la serrure d’une malle se ferme bruyamment. Il ne l’embrasserait plus, il ne devinerait pas qu’il perdait ainsi la dernière occasion de le faire !

Aussi, prise de pitié, était-elle tout près de lui sauter au cou, et d’y pleurer toutes ses larmes.

Auteur: Musil Robert

Info: Dans "L'homme sans qualités", tome 1, trad. Philippe Jaccottet, éditions du Seuil, 1957, page 199

[ pensées contradictoires ] [ humiliation ] [ couple ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

écrivain-sur-écrivain

...Bounine, prix Nobel en 1933, n'aimait pas du tout Dostoïevski. Il y a une espèce d'opposition extra-textuelle entre ces deux personnages, il n'a pas du tout apprécié Crime et Châtiment, ni les Frères Karamazov, il trouvait que c'était trop russe, qu'il y avait trop d'émotions, trop d'exhibitionnisme psychologique, etc. Ça se discute, entre nous soit dit. Mais je voudrais vous citer juste un passage où ils s'opposent d'une façon claire. C'est un exemple assez intéressant d'un affrontement indirect entre deux grands de la littérature. Tolstoï et Dostoïevski ne se sont jamais affrontés de cette façon-là; Bounine et Dostoïevski, si. Il dit cela en substance. Tout se passe, l'action se passe avant la première guerre mondiale, les tranchées sont remplies de cadavres, les villes bombardées, ça c'est un peu le contexte extérieur de la nouvelle : " Et vous, pleurez-vous lorsque vous lisez que les Turcs ont égorgé cent mille Arméniens, que les Allemands ont infecté les puits avec le bacille de la peste, que les cadavres putréfiés sont entassés dans les tranchées, que les aviateurs ont lâché les bombes, des bombes sur Nazareth? N'importe quelle ville, Paris ou Londres, se lamente-t-elle d'avoir été construite sur des squelettes humains et d'avoir prospéré dans la barbarie la plus féroce et la plus banale envers ce qui est convenu d'appeler son prochain? En fin de compte, il n'y eut qu'un seul Raskolnikov pour se torturer, et cela en raison de sa lâcheté personnelle, voulu par son néfaste créateur, lui qui fourre le Christ dans tous ses romans de boulevard". C'est terrible ce qu'il dit de Dostoïevski, "les romans de boulevard". D'ailleurs ce n'était pas si faux : il donnait la forme, à ses romans (Dostoïevski), une forme de romans de boulevard, mais le contenu dépassait allègrement ce projet initial.

Auteur: Andrei Makine

Info: Littérature: les avatars de l'absolu, lecture délivrée a Harvard University en Avril 2000

[ . ]

 

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évacuation

Il s'agit d'accès de prurit des paupières, se reproduisant sous forme de névralgies paroxistiques formidables, intolérables, revenant à heures fixes, vers trois heures du matin, et dont le soulagement s'obtint partiellement par les affusions chaudes, mais entièrement grâce à l'emploi seul de pilules de Mousnette (quinine et aconitine). Or, ces incidents s'étant reproduits à de rares intervalles pendant 15 à 18 jours, le fait coïncida en particulier, certain jour, avec l'existence d'une lymphangite faciale, tronco-valvulaire ulcéro-oblitérante, allant du lobule de l'oreille à la racine du nez. Quatre puits valvulaires ulcérés donnaient issue à des bouchons stéate-pierreux grisâtres, la lymphine ne cédant que lorsque le massage effectué vers l'oreille libérait le cours efférent du vaisseau.

Ce fut un trait de lumière. Je massai doucement les régions malaires et sous-oculaires. Une dizaine de petits bouchons obturateurs commencèrent à sourdre de la peau ; puis l'oeil se mit à pleurer, à rougir avec une vive cuisson sous l'influence du reflux de graisse fondue, et de fins graviers provenant des capillaires les plus ténus désobstrués. Un lavage à l'eau chaude, et la guérison était parfaite.

Inutile d'insister sur l'importance de pareille constatation. Voici donc comment et pourquoi le massage peut, et à lui seul, guérir certaines névralgies. Et d'un autre côté, voici des troubles névralgiques et circulatoires, nettement dûs à l'oblitération des lymphatiques efférents de la région. Le mécanisme est complexe. Peut-être y a-t-il compression des terminaisons par l'embacle ?...

Mais il y avait surtout ceci : l'"égoût du quartier" était obstrué, (c'est-à-dire le réseau lymphatique de la région), la vidange des produits de désassimilation était arrêté, le liquide sanguin nutritif parvenait aux cellules nerveuses et glandulaires ciliaires, mais les échanges moléculaires nutritifs se faisaient au moyen d'une humeur souillée, non dépurée, surchargée de tous ses déchets (acide sarcolactique, etc...)

La surprise sur le fait de la génèse intime d'une névralgie, de la filiation des actes morbides qui la constituent, comporte d'intéressantes déductions philosophiques, en médecine.

Le "nescio quid divini" est réduit au minimum, car voilà la physicochimie biologique suffisant presque à l'explication.

 

Auteur: Morel-Lavallée Victor-Auguste-François

Info: In "L'atmosphère celluleuse où sont logés nos organes est le véritable milieu intérieur", mémoire déposé pour concourir à un prix de l'Académie des sciences, en 1909

[ médecine ] [ évacuation ] [ recherche ] [ eurêka ] [ référence philosophique ] [ douleur ] [ induction ]

 
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Ajouté à la BD par Benslama

souffrance

Considérez la capacité du corps humain pour le plaisir. Parfois, il est agréable de manger, de boire, de voir, de toucher, de sentir, d'entendre, de faire l'amour. La bouche. Les yeux. Le bout des doigts, le nez. Les oreilles. Les parties génitales. Nos facultés de volupté (si vous voulez bien me pardonner l'expression) n'y sont pas exclusivement concentrées. Tout le corps est sensible au plaisir, mais par endroits il y a des puits d'où il peut être extrait en plus grande quantité. Mais pas inépuisablement. Combien de temps peut-on connaître le plaisir? Les Romains riches mangeaient à la satiété, puis purgeaient leurs ventres surchargés et mangeaient à nouveau. Mais ils ne pouvaient manger éternellement. Une rose est douce, mais le nez s'habitue à son parfum. Et qu'en est-il des plaisirs les plus intenses, des extases du sexe qui anéantissent la personnalité? Je ne suis plus un jeune homme; même si j'avais choisi de me débarrasser de mon célibat, j'aurais certainement perdu mon endurance, parvenant à bander en une demi-heures, là où c'était trois minutes autrefois. Et pourtant, si la jeunesse m'était pleinement restituée, et que je m'engageais à nouveau dans ce qui fut jadis mon plus grand plaisir - me faire faire une fellation par une nymphette à la bouche encore sanglante des précautions nécessaires - que se passerait-il alors? Et même si mon stock de prémenstruels anodontiques était sans fin? Sûrement qu'avec le temps je me lasserai.
Même si j'étais une femme, avec pouvoir d'enfiler orgasme sur orgasme comme des perles sur un collier, avec le temps, j'en aurais marre. Pensez-vous que Messaline, dans sa compétition avec une courtisane, connut autant de plaisir la première fois que la dernière? Impossible.
Pourtant, réfléchissez.
Pensez à la douleur.
Donnez-moi un centimètre cube de votre chair et je pourrais vous faire subir une douleur qui vous engloutira comme l'océan avale un grain de sel. Et vous serez toujours mûre pour elle, d'avant votre naissance jusqu'à votre mort, nous sommes toujours disponibles pour l'étreinte de la douleur. Faire l'expérience de la douleur n'exige aucune intelligence, aucune maturité, aucune sagesse, aucun lent travail des hormones dans le midi humide de nos entrailles. Nous sommes toujours prêts. Toute vie est mûre pour elle. Toujours.

Auteur: Aldapuerta Jesus Ignacio

Info: The Eyes: Emetic Fables from the Andalusian de Sade

[ loka-dhamma ] [ masochisme ] [ sexe ]

 

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rêve

Une certaine nuit d'été, après matines, ma mère, ayant reposé ses membres sur un banc excessivement étroit, fut bientôt accablée par le sommeil, et il lui sembla qu'elle sentait son âme sortir de son corps. Son âme, après avoir été conduite comme à travers une galerie, se trouva transportée au bord d'un puits. Lorsqu'elle s'en fut bien rapprochée, il sortit, du fond de ce puits, des ombres d'hommes, dont la chevelure paraissait rongée de teigne, et qui voulaient la saisir de leurs mains et l'entraîner dans le gouffre. Mais voici qu'une voix, se faisant entendre derrière cette femme toute tremblante et misérablement agitée par leur attaque, s'adressa à eux et leur cria: "Gardez-vous de toucher à cette femme." Chassées par cette voix, les ombres se replongèrent dans le puits. Ainsi délivrée, elle s'arrêta sur le bord, et tout à coup elle vit apparaître mon père devant elle, avec la figure qu'il avait dans sa jeunesse. L'ayant regardé bien attentivement, elle lui demanda d'une voix suppliante s'il était, en effet, cet homme qu'on appelait Everard (car c'est ainsi qu'il se nommait jadis); et celui-ci lui répondit négativement. Il n'est pas étonnant que l'esprit ait nié d'être distingué par le nom qu'il portait autrefois, quand il était homme; car un esprit ne doit faire à un esprit d'autre réponse que celle qui convient aux choses spirituelles. Or, il serait complètement absurde de croire que les esprits puissent réciproquement avoir connaissance de leurs noms, puisque dans ce cas nous ne devrions, dans la vie à venir, connaître que ceux qui ont été des nôtres. D'ailleurs, il n'est nullement nécessaire que les esprits aient des noms, eux pour qui toute vision, toute science même de vision est intérieure. Celui qui apparaissait à ma mère, ayant donc nié qu'il s'appelât ainsi qu'elle disait, et ma mère cependant n'en ayant pas moins la conviction que c'était lui-même, lui demanda en quel lieu il séjournait: il lui indiqua une place non loin de celle où ils étaient. Elle lui demanda encore comment il se trouvait. Lui alors, découvrant son bras et son flanc, lui montra l'un et l'autre tellement meurtris, tellement déchirés de nombreuses blessures, que celle qui le vit en éprouva une grande horreur et un violent ébranlement dans tout son corps.

Auteur: Guibert de Nogent

Info:

[ songe ]

 

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apprentissage du langage

[…] la maîtresse d’Helen Keller, Ann Sullivan, s’efforçait d’apprendre à son élève à communiquer à l’aide de signes, alors confondus à des signaux, en tapant d’une manière déterminée selon les cas, dans la paume de l’enfant. Elle voulait ainsi associer à la perception d’un signal la sensation d’un objet. Par exemple, elle plaçait la main droite d’Helen sous un jet d’eau fraîche, pendant que sur l’autre, elle frappait le signal convenu. Dans cette pratique, spontanément behaviouriste, le signe est conçu comme l’index de son référent, qu’il a pour fonction essentielle d’évoquer. On prouvera qu’on a compris ce qu’est un signe si l’on peut user de cet index pour désigner le référent, quand on en a besoin. Tout être capable d’un tel comportement sera réputé savoir "parler". Or, la difficulté étonnante à laquelle se heurta Ann Sullivan, est que la petite Helen, tout en étant à même de communiquer quelques-uns de ses besoins au moyen des signaux que sa maîtresse lui avait appris à utiliser, semblait néanmoins piétiner à la porte d’un monde interdit. Il y avait là pourtant tous les éléments d’une relation de communication : émetteur, récepteur, médium de transmission et code. Plus encore : cet ensemble fonctionnait, mais la petite Helen – elle avait alors six ans – ne savait toujours pas parler.

Le miracle se produisit le 5 avril 1887. Ann Sullivan s’efforçait inlassablement d’épeler le mot tasse dans la main d’Helen, puis lui en donnait une à tenir. "Elle versait ensuite de l’eau dans la tasse, y trempait le doigt de l’enfant, et attendait, espérant qu’Helen réagirait en épelant e-a-u". En vain. Etant descendue au jardin afin de distraire l’enfant, elle s’approcha avec elle d’un puits d’où le jardinier tirait un seau d’eau. Une dernière fois, elle lui mit la tasse dans la main, y fit couler un peu d’eau, et épela water, sur l’autre main, de plus en plus rapidement, cette eau qu’Helen aimait à faire couler sur sa main. Soudain l’enfant lâcha la tasse, et, pétrifiée, laissa une pensée envahir et illuminer son esprit : w-a-t-e-r ! w-a-t-e-r ! cette chose merveilleusement fraîche, cette chose amie, c’était w-a-t-e-r ! Elle venait de comprendre que toute chose a un nom, que toute chose peut être dite ou signifiée, que le signe énonce la chose, ou encore qu’il l’exprime, c’est-à-dire que le rapport qui unit la chose à son index n’est pas celui d’une association entre deux perceptions sensibles […] mais un rapport de représentation, en sorte que le signe w-a-t-e-r s’identifie à la chose merveilleuse tout en en demeurant distinct : il "tient lieu" de la chose. Dans un tel rapport de signification, les deux éléments mis en relation ne sont plus du même ordre. Ils sont bien perçus tous les deux comme deux réalités également sensibles, et de ce point de vue, rien ne permet de les distinguer. Pourtant, dans le rapport de signification, la présence sensible de l’un cesse de valoir pour elle-même, cesse d’être le signal de son existence, qui est ainsi occultée, et se trouve valoir pour l’existence d’un autre, dont elle tient la place. C’est là l’expérience fondamentale de la signification. Les deux éléments sensibles ne sont plus unis par une relation horizontale de juxtaposition, mais par une relation verticale, et purement intellectuelle, de lieutenance.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Histoire et théorie du symbole", éd. L'Harmattan, Paris, 2015, pages 125-126

[ sourd-muet-aveugle ] [ différence signe-signal ] [ invisible ] [ arrachement sémantique ] [ célèbre anecdote ] [ déclic ]

 

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