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humour

Avant de le renvoyer chez lui, le directeur de l'asile voulut cependant soumettre le fou, désormais guéri, à une épreuve. L'ayant fait appeler, il lui demanda :
- Voyons un peu. Vous voici redevenu un homme normal ; imaginez que vous héritez d'un patrimoine de nombreux millions, qu'en feriez-vous ?
Le fou répondit d'un ton assuré :
- Je m'achèterais une fronde.
Déconcerté, mais non encore résigné à la défaite, le directeur insista :
- Allons, réfléchissez avant de répondre. J'ai parlé de nombreux millions. Une fronde ne coûte que quelques francs. Voyons, réfléchissez un peu, que feriez-vous de ces millions ?
Cette fois, le fou répondit :
- Je me marierai
- Ah ! bravo, voilà qui est bien parlé. Vous vous marierez, et alors que feriez vous ?
- Je me marierais à l'église et puis je partirais avec ma femme en voyage de noces.
- Où cela ?
- A Paris.
- Excellent choix. Et que feriez-vous en arrivant à Paris ?
- J'irais dans un hôtel avec ma femme.
- Fort bien. Et puis ?
- Je m'enfermerais avec elle dans une chambre.
- Et que feriez-vous dans cette chambre ?
- Je déshabillerais ma femme. Je lui enlèverais d'abord sa robe, puis sa combinaison, ensuite son soutien-gorge, sa culotte, ses souliers, et puis ses bas et finalement ses jarretières.
- Et alors ?
- Alors, avec ses jarretières, je ferais une fronde.

Auteur: Moravia Alberto

Info: L'attention

[ histoire courte ] [ idée fixe ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

helvète

LEO, etc La politique, dans ce pays, n'existe pas... Ici on gère. Du moins jusqu'à y'pas longtemps. Parce que quand elle pointe le bout de son nez (voir la pantalonnade de la LEO), c'est pour nous présenter les conflits des petits intérêts particuliers. Ceux de magistrats et de fonctionnaires à la vue étroite, dotés de perspectives mentales et de représentation typiques de suisses sourds au monde qui bascule, marinant dans cette certitude "d'avoir de la marge". Alors qu'ils ne sont que de petits robots, façonnés par un système toujours plus nécrosant et nécrosé, au point d'être devenus eux-mêmes les plus aptes à une auto censure au-delà de l'absurde ( Ils ne s'en rendent plus compte de rien, résignés....). La LEO n'est que l'avant garde des réalités grotesques que le futur nous préserve. Dans un monde où le taux de base des banques centrales est quasiment à zéro alors que le rendement du 2e pilier est au-dessus de 6, on se demande où sont passés les cerveaux. Ceux du bon sens et de la prévoyance, car pour ce qui est de cette dernière, dans ce pays, elle est morte : vue de l'esprit. Un esprit ancien, plus capable de s'adapter. Le monde va si vite, ma bonne dame ! Primes perso d'assurances à 320.-/mois, population toujours plus âgée, dans un canton qui a augmenté son cheptel de 14 000 personnes l'an passé. Au-secours, je suis Vaudois, Suisse... Européen.... Sortez-moi de là !

Auteur: Mg

Info: 8 mars 2014

[ finances ] [ inquiétude ] [ surpopulation ]

 

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parabole

Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.

Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d'un fantassin romain.

Mais la monstrueuse bête n'était pas un poids inerte; au contraire, elle enveloppait et opprimait l'homme de ses muscles élastiques et puissants; elle s'agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture et sa tête fabuleuse surmontait le front de l'homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l'ennemi.

Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.

Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.

Et le cortège passa à côté de moi et s'enfonça dans l'atmosphère de l'horizon, à l'endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.

Et pendant quelques instants je m'obstinai à vouloir comprendre ce mystère; mais bientôt l'irrésistible Indifférence s'abattit sur moi, et j'en fus plus lourdement accablé qu'ils ne l'étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.

Auteur: Baudelaire Charles

Info: "Chacun sa chimère" du recueil Petits poëmes en prose

[ inconscient ] [ servitude ] [ fatalité ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

révolution française

Un gentilhomme, nommé M. de Châtaubrun, avait été condamné à mort par le tribunal révolutionnaire; il avait été mis sur le fatal tombereau et conduit au lieu de l'exécution. Après la Terreur, il est rencontré parmi de ses amis, qui pousse un cri d'étonnement, ne peut croire ses yeux, et lui demande l'explication d'une chose si étrange. Il la lui donna, et je la tiens de son ami. Il fut conduit au supplice avec vingt autres malheureuses victimes. Après douze ou quinze exécutions, une partie de l'horrible instrument se brisa ; on fit venir un ouvrier pour le réparer. Le condamné était avec les autres victimes, auprès de l'échafaud, les mains liées derrière le dos. La réparation fut longue. Le jour commençait à baisser; la foule très-nombreuse des spectateurs était occupée du travail qu'on faisait à la guillotine bien plus que des victimes qui attendaient la mort; tous, et les gendarmes eux-mêmes, avaient les yeux fixés sur l'échafaud. Résigné, mais affaibli, le condamné se laissait aller sur les personnes qui étaient derrière lui. Pressées par le poids de son corps, elles lui firent place machinalement; d'autres firent de même, toujours occupées du spectacle qui captivait toute leur attention. Insensiblement il se trouva dans les derniers rangs de la foule, sans l'avoir cherché, sans y avoir pensé. L'instrument rétabli, les supplices recommencèrent; on en pressait fin. Une nuit sombre dispersa les bourreaux et les spectateurs. Entraîné par la foule, il fut d'abord étonné de sa situation; mais il conçut bientôt l'espoir de se sauver. Il se rendit aux Champs-Elysées; là, il s'adressa à un homme qui lui parut être un ouvrier. Il lui dit, en riant, que des camarades avec qui il badinait lui avaient attaché les mains derrière le dos et pris son chapeau, en lui disant de l'aller chercher. Il pria cet homme de couper les cordes. L'ouvrier avait un couteau et les coupa, en riant, du tour qu'on lui racontait. M. de Châtaubrun lui proposa de le régaler dans un des cabarets qui sont aux Champs-Elysées. Pendant ce petit repas, il paraissait attendre que ses camarades vinssent lui rendre son chapeau. Ne les voyant pas arriver, il pria son convive de porter un billet à un de ses amis, qu'il voulait prier de lui apporter un chapeau, parce qu'il ne voulait pas traverser les rues la tête nue. Il ajoutait que cet ami lui apporterait de l'argent, et que ses camarades avaient pris sa bourse en jouant avec lui. Ce brave homme crut tout ce que lui disait M. de Châtaubrun se chargea du billet, et revint une demi-heure après avec, cet ami.

Auteur: Vaublanc Vincent-Marie Viénot comte de

Info: Mémoires

[ évasion ] [ anecdote ]

 

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nocturne

L’impénétrable obscurité enserrait le navire de si près qu’il semblait qu’en allongeant la main par-dessus bord on pourrait toucher quelque substance surnaturelle. Cela produisait un effet de terreur inconcevable et de mystère inexprimable. Les rares étoiles au ciel jetaient une lumière indistincte sur le navire seul, sans le moindre miroitement sur l’eau, sous forme de rais séparés perçant une atmosphère transformée en suie. C’était une chose que je n’avais jamais vue auparavant, et qui ne donnait aucune indication sur la direction d’où viendrait n’importe quel changement, comme une menace se refermant sur nous de toutes parts.

Il n’y avait toujours personne à la barre. L’immobilité de toutes choses était absolue. Si l’air était devenu noir, rien ne prouvait que la mer ne fût pas devenue compacte. Il ne servait à rien de regarder dans une direction quelconque, à la recherche du moindre signe, en spéculant sur la proximité de l’instant critique. Le moment venu, l’obscurité submergerait silencieusement la faible clarté des étoiles tombant sur le navire, et la fin de toutes choses viendrait sans un soupir, un mouvement ou un murmure quelconque, et tous nos cœurs cesseraient de battre comme des pendules que l’on n’a pas remontées.

Il était impossible de se débarrasser de ce sentiment d’irrévocabilité. La quiétude qui m’envahit était comme un avant-goût d’annihilation. Elle m’apporta une sorte de réconfort, comme si mon âme s’était soudainement résignée à une éternité d’immobilité aveugle.

Seul l’instinct du marin survivait entier à ma dissolution morale. Je descendis l’échelle vers le gaillard d’arrière. La lueur des étoiles sembla s’effacer avant que j’atteignisse ce point, mais quand je demandai calmement : "Vous êtes là, garçons ?" mes yeux distinguèrent des formes obscures qui se dressaient autour de moi, très peu nombreuses, très indistinctes ; et une voix parla : "On est tous là, capitaine." Une autre rectifia anxieusement :

"Tous ceux qui peuvent être bons à quelque chose, capitaine."

Les deux voix étaient très calmes et assourdies, sans caractéristique particulière d’empressement ou de découragement. Des voix très prosaïques. "Nous devons essayer de carguer la grand-voile", dis-je. Les ombres s’écartèrent de moi sans un mot. Ces hommes étaient les fantômes d’eux-mêmes, et leurs poids sur un cordage ne pouvait être plus que le poids d’une poignée de fantômes. En vérité, si jamais voile fut carguée par la force pure de l’esprit, ce dut être cette voile-là, car à proprement parler, il ne restait pas suffisamment de muscles pour cette tâche à bord du navire, et à plus forte raison dans notre misérable groupe sur le pont. Bien sûr, je mis moi-même la première main à l’ouvrage. Ils errèrent faiblement après moi d’un cordage à l’autre, haletant et trébuchant. Ils peinèrent comme des Titans. Il nous fallut une heure au moins, et tout ce temps l’univers noirci ne produisit aucun son. 

Auteur: Conrad Joseph Teodor Korzeniowski

Info: La ligne d'ombre. Chapitre V. Trad de l’anglais,  Florence Herbulot.

[ maritime ] [ équipage ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

Gaule

Ce dont je m'étonne le plus chez les Français, c'est leur adresse à savoir se retourner et passer immédiatement d'une occupation à une autre, d'un état à un autre, même tout à fait hétérogène. De la sorte, il arriva que les émigrés qui se réfugièrent en Allemagne pendant la révolution, surent si bien supporter les humbles revirements de fortune, et que beaucoup d'entre eux, pour gagner leur subsistance, furent capables de se créer un métier à l'improviste. Ma mère m'a raconté souvent qu'à cette époque un marquis français s'était établi dans notre ville comme cordonnier, et qu'il faisait les meilleurs souliers de dames, des bottines de maroquin et des mules de satin; il travaillait gaiement, en sifflant les chansons les plus amusantes, et oubliant toute son ancienne splendeur. Un gentilhomme allemand aurait peut-être, dans les mêmes circonstances, eu également recours au métier de cordonnier, mais il ne se serait pas à coup sûr résigné aussi gaiement à son sort de cuir, et il se serait en tout cas mis à confectionner des chaussures d'hommes, de lourdes bottes à éperons, des bottes de militaires ou de chasseurs, qui pussent lui rappeler son ancien état de chevalier. Quand les Français passèrent le Rhin, notre marquis fut forcé d'abandonner a boutique, et il chercha un refuge dans une autre ville, je crois à Cassel, où il devint le meilleur tailleur; oui, sans apprentissage il émigrait ainsi d'un métier à un autre, et y gagnait tout de suite la maîtrise, ce qui pourrait paraître incompréhensible à un Allemand, non-seulement à un Allemand de la noblesse, mais aussi au plus simple fils de la roture.
Après la chute de l'empereur, le brave homme revint, avec des cheveux gris, mais un coeur invariablement jeune, dans sa patrie, où il prit une mine si altière et si nobiliaire, et porta de nouveau le nez si haut, qu'on eût dit qu'il n'avait jamais manié l'alène ou l'aiguille. C'est une erreur de prétendre, à l'égard des émigrés, qu'ils n'avaient rien appris et rien oublié; au contraire, ils avaient oublié tout ce qu'ils avaient appris.
Les héros de la période guerrière de Napoléon, lorsqu'ils furent congédiés ou mis à la demi-solde, se jetèrent également avec la plus grande habileté dans les occupations industrielles de la paix, et chaque fois que j'entrais aux bureaux de mon éditeur Delloye, je ne pouvais assez m'étonner de voir l'ancien colonel assis maintenant en qualité de libraire devant son pupitre, entouré de plusieurs vieux grognards à moustaches blanches, qui avaient aussi combattu sous l'empereur en braves soldats, mais qui servaient maintenant chez leur ancien camarade comme teneurs de livres ou caissiers, bref, comme commis.
On peut tout faire d'un Français, et chacun d'eux se croit habile à tout. Le plus joyeux poète dramatique se métamorphose soudain, comme par un coup de théâtre, en ministre, en général, en fondateur de religions, et même en bon Dieu.

Auteur: Heine Heinrich

Info: Lutèce

[ comparaison ] [ Allemagne ] [ métamorphose ]

 

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couple de poivrots

[...] et je me rappelle de toi bourrée sur le lit

dans cette chambre d’hôtel minable

avec personne aux côtés de qui vivre excepté moi,

quel enfer laborieux ça a dû

être, se coltiner

un jeune poivrot de dix ans ton cadet

qui faisait les cent pas en caleçon

cherchant des noises aux dieux sourds

et éclatant des verres contre les murs.



tu t’es certainement retrouvée au mauvais endroit

au mauvais moment,

ton mariage agonisant sur des carrelages

crasseux

et toi

qui te faisais tringler par un

crétin barbu terrorisé par la

vie, résigné devant l’adversité, cette

chose

qui faisait les cent pas, roulait une cigarette mouillée

avec son haleine de rat, et qui

s’arrêtait pour

ouvrir une autre bouteille de vin

bon marché.



les rivières mortes de nos vies,

des cœurs comme des pierres.



verse le sang rouge du vin.

jure, grogne, gémis, chante

dans cette chambre d’hôtel minable.



toi au réveil... "Hank ?"

"ouais... ici... qu’est-ce que tu veux

putain ?"

"bon dieu, file-moi à boire... "



le gâchis

malgré tout le courage

de se prêter au jeu.



comment on va payer le loyer en retard ?

je trouverai un boulot.

tu trouveras un boulot.

ouais, aucune chance. aucune foutue

chance

de toute façon, une quantité de vin suffisante vous évite

de penser.



je casse un grand verre de vin contre le

mur.

le téléphone sonne.

c’est encore le réceptionniste :

"M. Chinaski, je dois vous prévenir... "



"AH, VA PRÉVENIR LA CHATTE A TA MERE !"



le téléphone qui claque.

la puissance.

je suis un homme

tu m’aimes bien, tu aimes ça.

et, j’ai aussi un cerveau, je te l’ai

toujours dit.



"Hank ?"

"ouais ?"

"combien de bouteilles il nous reste ?"

"3."

"bien."



les cent pas, les yeux dans le vide, cherchant

à vivre.

le poison pleure des souvenirs lumineux.



4e étage d’un hôtel de seconde zone, les fenêtres

ouvertes sur la ville de l’enfer, le souffle précieux

des pigeons solitaires.



toi, bourrée sur le lit, moi jouant au miracle,

des bouchons de bouteilles de vin et des cendriers remplis.

c’est comme si tout le monde était mort, tout le monde est

mort avec la tête sur les épaules,

à nous de surmonter la gesticulation du

néant.



regarde-moi en caleçon et maillot de corps,

les pieds en sang bardés d’éclats de verre,



il y a toujours une issue possible avec

3 bouteilles

au garage.

Auteur: Bukowski Charles

Info: Dans "Tempête pour les morts et les vivants", au diable vauvert, trad. Romain Monnery, 2019, " les jours de gloire"

[ alcoolisme ] [ engueulades ] [ ennui ]

 

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difficulté de vivre

Un certain champ semble indispensable à la respiration mentale de l’homme moderne, celui où s’affirme son indépendance par rapport, non seulement à tout maître, mais aussi bien à tout dieu, celui de son autonomie irréductible comme individu, comme existence individuelle. C’est bien là quelque chose qui mérite en tous points d’être comparé à un discours délirant. C’en est un. Il n’est pas pour rien dans la présence de l’individu moderne au monde, et dans ses rapports avec ses semblables. [...]

Maintenant, comment ce discours peut-il être accordé non seulement avec le discours de l’autre, mais avec la conduite de l’autre, pour peu qu’il tende à la fonder abstraitement sur ce discours ? Il y a là un problème vraiment décourageant. Et les faits montrent qu’il y a à tout instant non pas seulement composition avec ce qu’effectivement chacun apporte, mais bien plutôt abandon résigné à la réalité. [...]

Assurément, nous avons, nous, beaucoup moins confiance dans le discours de la liberté, mais dès qu’il s’agit d’agir, et en particulier au nom de la liberté, notre attitude vis-à-vis de ce qu’il faut supporter de réalité, ou de l’impossibilité d’agir en commun dans le sens de cette liberté, a tout à fait le caractère d’un abandon résigné, d’une renonciation à ce qui est pourtant une partie essentielle de notre discours intérieur, à savoir que nous avons, non seulement certains droits imprescriptibles, mais que ces droits sont fondés sur certaines libertés premières, exigibles dans notre culture pour tout être humain. [...]

Chacun se pose à tout instant des problèmes qui ont d’étroits rapports avec ces notions de libération intérieure et de manifestation de quelque chose qui est inclus en soi. De ce point de vue, on arrive très vite à une impasse, étant donné que toute espèce de réalité vivante immergée dans l’esprit de l’aire culturelle du monde moderne tourne essentiellement en rond. C’est pourquoi on revient toujours sur le caractère borné, hésitant, de son action personnelle [...]. Chacun en reste au niveau d’une contradiction insoluble entre un discours, toujours nécessaire sur un certain plan, et une réalité, à laquelle, à la fois en principe et d’une façon prouvée par l’expérience, il ne se coapte pas. [...]

N'est-il pas manifeste que l’expérience analytique s’est engagée sur ce fait qu’en fin de compte, personne, dans l’état actuel des rapports interhumains dans notre culture, ne se sent à l’aise ? Personne ne se sent honnête à simplement avoir à faire face à la moindre demande de conseil, si élémentaire qu’elle soit, empiétant sur les principes. [...]

C’est précisément d’un renoncement de toute prise de parti sur le plan du discours commun, avec ses déchirements profonds, quant à l’essence des mœurs et au statut de l’individu dans notre société, c’est précisément de l’évitement de ce plan que l’analyse est partie. Elle s’en tient à un discours différent, inscrit dans la souffrance même de l’être que nous avons en face de nous, déjà articulé dans quelque chose qui lui échappe, ses symptômes et sa structure [...]. La psychanalyse ne se met jamais sur le plan du discours de la liberté, même si celui-ci est toujours présent, constant à l’intérieur de chacun, avec ses contradictions et ses discordances, personnel tout en étant commun, et toujours, imperceptiblement ou non, délirant. La psychanalyse vise ailleurs l’effet du discours à l’intérieur du sujet.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre III", "Les psychoses", éditions du Seuil, 1981, pages 212-215

[ objectif ] [ anti guide de conscience ] [ clivage ] [ décentrement ] [ moi-sujet ]

 

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