Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 347
Temps de recherche: 0.0461s

abrutissement

A cette heure, les gens sont chez eux dans ce coin de Bretagne, à regarder leur bonne télévision ruisselante de lots, de fric et de voyages autour du monde à gagner. De nos jours, c'est ça l'aventure, l'ultime : la téloche. Tu peux y décrocher du flouze, une chambre à coucher, une bagnole, des bijoux certifiés avec des rubis et des émeraudes pur fruit d'une valeur de deux mille balles ! Elle t'envoie en cure aux Antilles, à Dache ! On te fournit des fiancées d'un soir ! Des oeuvres d'art galvanisées !
Elle te prend en charge. Si t'es joueur, tu peux ramasser le pactole. Suffit que tu répondes bien à des questions perfides telles que "combien fait dix fois douze" ou "quelle est la capitale du Dannemark" et tu gagnes le canard, décroche la timbale. C'est la fée Marjolaine, la télé ; l'enchanteur Merlin ou Bouygues ; elle relègue lotto et tiercé, petit à petit. On vit d'elle, par elle, pour elle. L'ogresse nous a pris possession. Elle nous fait rêver avec ses ricaneries et bander avec ses films X. Nous enniaise, nous embobeline, bandelette, pétrifie.
Mais un jour viendra où l'homme sortira de l'asservissement. Il brisera les tubes cathodiques à coups de hache ! Il grimpera scier l'antenne de la tour Eiffel ! Les animateurs se laisseront pousser la barbe, pour ne pas être reconnus ; on les contraindra à porter une étoile rouge avec "T.V." écrit dessus en gothique ! Le sursaut se produira, j'annonce haut et fort. Juste les très vieillards et les grabataires auront encore droit à visionner un peu. On retrouvera la campagne, la pluie, les fleurs, la baise, bref, la liberté !

Auteur: Dard Frédéric

Info: Au bal des rombières

[ TV ]

 

Commentaires: 0

psycho-sociologie

Par l’intermédiaire de la lutte contre le père et la mère, en tant que cibles personnelles d’amour et d’agression, la jeune génération entrait dans la vie sociale avec des impulsions, des idées, des besoins qui, dans une large mesure, lui appartenaient en propre. Par conséquent, la formation du surmoi, la modification répressive des instincts, la renonciation et la sublimation étaient des expériences très personnelles. Justement à cause de ça, leur adaptation laissait des cicatrices douloureuses, et la vie sous le principe de rendement conservait encore une sphère de non-conformisme privé.



Maintenant, sous le règne des monopoles culturels, économiques et politiques, la formation du surmoi adulte semble sauter l’étape de l’individualisation : l’unité génétique devient directement une unité sociale. L’organisation répressive des instincts semble être collective et le moi semble être prématurément socialisé par tout un système d’agents et d’agences extra-familiaux. Dès le niveau pré-scolaire, les "bandes", la radio et la télévision fixent le modèle du conformisme et de la rébellion ; les incartades commises par rapport à ce modèle sont punies non pas tant à l’intérieur de la famille qu’à l’extérieur et contre elle. Les experts des mass-media transmettent les valeurs exigées : ils offrent une parfaite éducation de l’efficacité, de la ténacité, de la personnalité, de la rêverie et du sentimentalisme. Contre une telle éducation, la famille n’est plus capable de lutter. Dans la lutte entre les générations, les rôles semblent être inversés : le fils a une connaissance meilleure ; il représente le principe de réalité la plus moderne, contre les formes paternelles désuètes. Le père, premier objet d’agression dans la situation œdipienne, apparaît maintenant comme un but d’agression plutôt inadéquat. Son autorité comme dispensateur de la richesse, de l’habileté et de l’expérience se trouve considérablement réduite. 

Auteur: Marcuse Herbert

Info: Dans "Eros et civilisation", trad. de l'anglais par Jean-Guy Nény et Boris Fraenkel, éditions de Minuit, Paris, 1963, pages 91-92

[ évolution ] [ économie psychologique ] [ identifications ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

songe

Hervey de Saint-Denys raconte comment, à l'âge de treize ans, il eut l'idée de reproduire un rêve curieux qu'il avait fait la nuit précédente. Il fut assez content du résultat et commença un album dans lequel il consigna tous ses rêves. Il nota qu'il était de plus en plus à même de s'en souvenir, si bien qu'au bout de 6 mois il n'en n'oubliait pratiquement plus aucun. Mais il finit par être si absorbé par cette entreprise qu'il n'était plus capable de penser à autre chose et qu'il en eut des maux de tête - aussi dut il y renoncer quelques temps. Il s'y remit par la suite et continua de noter ses rêves tout au long des 20 années suivantes. Il dit n'avoir jamais omis de noter un seul rêve durant toute cette période, remplissant ainsi 22 cahiers de notes avec ses rêves de 1946 nuits. Hervey décrit les étapes successives de l'entrainement auquel il se livra pour parvenir à diriger ses rêves. D'abord, quelques mois après le début de son exploration, il était devenu conscient qu'il était en train de rêver. Puis il fut capable de se réveiller à volonté pour noter ses rêves intéressants. Plus tard encore, il fut capable de se concentrer à volonté sur telle partie du rêve qu'il souhaitait explorer plus profondément. Enfin il fut capable de diriger au moins une partie de ses rêves, tout en reconnaissant certaines limites à cette maitrise. Pour donner un seul exemple, Hervey souhaitait rêver de sa propre mort et dirigea son rêve de façon à se trouver au sommet d'une tour d'où il se jetterait - mais il se trouva rêvant qu'il était dans le foule des spectateurs regardant un homme qui venait de se jeter du sommet d'une tour.

Auteur: Ellenberger Henri-Frédéric

Info: Histoire de la découverte de l'inconscient

[ contrôle ] [ rêve lucide ]

 

Commentaires: 0

dévotes

C’est à elles, en effet, qu’il faut faire remonter la moisissure qui envahit les églises et les chapelles du pays. Elles sont en effet arrivées à diriger les prêtres et non à être dirigées par eux. Et cela se conçoit : elles seules donnent de l’argent, remplissent les églises et occupent les prêtres. Les hommes assidus aux offices sont rares et par le phénomène que j’expliquais au commencement, ils sont d’une mentalité spéciale, ce sont de vieux enfants de chœur. Ils ont le même état de cervelle, les mêmes goûts que les femmes.
Ils ont poussé de toutes leurs forces aux dévotionnettes, aux saint Antoine de Padoue, aux Expedit, aux prières vocales communes des chapelets. Voyez-les le dimanche à la messe. Il n’en est pas trois qui sachent quelle est la messe du jour, qui la suivent. Ils lisent des prières en français, pendant que le prêtre officie, tout comme les femmes. C’est une chose incroyable que le clergé n’ait pas réagi contre ces pratiques et n’ait pas enseigné à ces gens les premiers éléments de la liturgie. Mais non, il s’est laissé, lui-même, influencer par cette clientèle, il a abondé dans son sens ; de là, ces prônes vraiment creux et puérils, nigauderies, ces ponts-neufs, dans un style assisté, ces sermons fades, aux périodes prévues, ces appels perpétuels au Sacré-Cœur ; cette rage de chanter au lieu des hymnes de l’Eglise, de bas cantiques.
Ils se sont efféminés, dévirilisés avec leur clientèle qui a déteint sur eux. A force de ne fréquenter que ces gens-là, les prêtres qui étaient peut-être intelligents à leurs débuts, sont devenus nigauds. Ils ont fait du catholicisme on ne sait quoi, ils ont dénaturé la religion, en la sucrant. Ce n’est plus un sentiment d’âme, une substance nutritive et cordiale, c’est de la confiture de cerise.

Auteur: Huysmans Joris-Karl

Info: Dans "Les rêveries d'un croyant grincheux", pages 26-27

[ décadence ] [ mièvre ] [ édulcorée ] [ bigotes ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

histoire de la psychanalyse

Freud est parti d’une conception du système nerveux selon laquelle il tend toujours à retourner à un point d’équilibre. C’est de là qu’il est parti, parce que c’était alors une nécessité qui s’imposait à l’esprit de tout médecin de cet âge scientifique, s’occupant du corps humain.

[...] Freud a tenté d’édifier sur cette base une théorie du fonctionnement du système nerveux, en montrant que le cerveau opère comme organe-tampon entre l’homme et la réalité, comme organe d’homéostat. Et il vient alors buter, il achoppe, sur le rêve. Il s’aperçoit que le cerveau est une machine à rêver. Et c’est dans la machine à rêver qu’il retrouve ce qui y était déjà depuis toujours et dont on ne s’était pas aperçu, à savoir que c’est au niveau du plus organique et du plus simple, du plus immédiat et du moins maniable, au niveau du plus inconscient, que le sens et la parole se révèlent et se développent dans leur entier.

D’où la révolution complète de sa pensée, et le passage à la Traumdeutung. On dit qu’il abandonne une perspective physiologisante pour une perspective psychologisante. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il découvre le fonctionnement du symbole comme tel, la manifestation du symbole à l’état dialectique, à l’état sémantique, dans ses déplacements, les calembours, les jeux de mots, rigolades fonctionnant toutes seules dans la machine à rêver. [...] C’est un tournant tel qu’il n’a pas su du tout ce qui lui arrivait. Il a fallu qu’il parcoure encore vingt ans d’une existence déjà très avancée au moment de cette découverte, pour pouvoir se retourner sur ses prémisses, et tâcher de retrouver ce que ça veut dire sur le plan énergétique. Voilà ce qui lui a imposé l’élaboration nouvelle de l’au-delà du principe du plaisir et de l’instinct de mort.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre II", "Le moi dans la théorie de Freud", pages 109-110

[ historique ] [ deuxième topique ]

 
Commentaires: 2
Ajouté à la BD par Coli Masson

usine

Il y a deux facteurs, dans cet esclavage : la vitesse et les ordres. La vitesse : pour y "arriver", il faut répéter mouvement après mouvement à une cadence qui, étant plus rapide que la pensée, interdit de laisser cours non seulement à la réflexion, mais même à la rêverie. Il faut, en se mettant devant sa machine, tuer son âme pour 8 heures par jour, sa pensée, ses sentiments, tout. Est-on irrité, triste ou dégoûté, il faut ravaler, refouler tout au fond de soi, irritation, tristesse ou dégoût : ils ralentiraient la cadence. Et la joie de même. Les ordres : depuis qu’on pointe en entrant jusqu’à ce qu’on pointe en sortant, on peut à chaque moment recevoir n’importe quel ordre. Et toujours il faut se taire et obéir. L’ordre peut être pénible ou dangereux à exécuter, ou même inexécutable ; ou bien deux chefs donner des ordres contradictoires ; ça ne fait rien : se taire et plier. Adresser la parole à un chef – même pour une chose indispensable – c’est toujours, même si c’est un brave type (même les braves types ont des moments d’humeur) s’exposer à se faire rabrouer ; et quand ça arrive, il faut encore se taire. Quant à ses propres accès d’énervement et de mauvaise humeur, il faut les ravaler ; ils ne peuvent se traduire ni en paroles ni en gestes, car les gestes sont à chaque instant déterminés par le travail. Cette situation fait que la pensée se recroqueville, se rétracte, comme la chair se rétracte devant un bistouri. On ne peut pas être "conscient". [...]

Et à travers tout ça, un sourire, une parole de bonté, un instant de contact humain ont plus de valeur que les amitiés les plus dévouées parmi les privilégiés grands ou petits. Là seulement on sait ce que c’est que la fraternité humaine. Mais il y en a peu, très peu.

Auteur: Weil Simone

Info: Lettre à Albertine Thévenon, Fin décembre 1935

[ vie mécanique ] [ soumission ] [ moment de grâce ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

dévouement individualiste

L’intellectualisation consiste en somme dans le processus de diffusion de l’abstraction intellectuelle dans le comportement d’être qui ne sont pas des intellectuels, mais qui y sont devenus réceptifs par la vulgarisation de la pensée idéologique. Cette abstraction renonce au raisonnement, au contact des actions concrètes, pour envisager les choses essentiellement sous l’angle des intentions vagues, des velléités et des fins indéterminées, en entretenant une sourde révolte contre un monde considéré comme débile, en tout cas insensible à la gravité des idées abstraites. Il en résulte une insatisfaction contestataire, souvent ensevelies dans des âmes dépitées face à l’incompréhension prétendue des autres, sous prétexte qu’ils seraient insensibles aux immenses malheurs d’un monde à sauver. L’imagination se dépouille de toute ironie pour devenir sérieuse et compassée, comme s’il fallait par exemple être à tout instant à l’écoute du Tiers Monde, à l’affût des conversations pour débusquer les ombres du racisme, prêt à manifester en faveur de la paix ou disposé à libérer le genre humain chaque fois d’une autre aliénation. L’événement le plus insignifiant est interprété comme déterminant pour le destin du monde. Tout se passe comme si on voulait nous condamner à une existence chagrine, dépourvue de tout humour et de toute gaîté. En fin de compte tout sentiment s’épuise dans un sentimentalisme militant et toute émotion dans une dramatisation sentencieuse. L’insatisfaction se traduit le plus souvent par un ténébreux mécontentement pour la profession qu’on occupe. En effet on se plaît à rêver d’une profession seconde, sous la forme par exemple d’une velléité de s’engager aux côtés des médecins sans frontières, sans aucune qualification dans le domaine de la santé, rien que pour jouer avec son désir indistinct de dévouement dans toutes sortes d’associations humanitaires, fraternelles ou soi-disant culturellement libératrices (féminisme, écologisme, etc.). La priorité écologique par exemple n’est pas donnée à une réflexion sur les conditions de la sauvegarde de la nature, mais à la manifestation rhétorique* préconisant cette sauvegarde.

Auteur: Freund Julien

Info: Politique et impolitique, page 11

[ popularisation ] [ erreur catégorielle ] [ amateurisme ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

urbanisme festif

Bien entendu, il n’y a pas davantage de plage, aujourd’hui, sur les bords de la Seine qu’il n’y en avait huit jours avant. L’important est de vérifier si les gens vont accepter d’y croire. Car tout cela n’a rien de futile. Ça s’appelle un programme. […] Contrairement à ce que l’on imagine, Paris n’est pas une enclave pittoresque où résisteraient les derniers adeptes du Parti du progrès universel et pluriel en difficulté. C’est un laboratoire. C’est un terrain d’expérience qui a l’avenir devant lui. Le maire nourrit d’amples ambitions. […] "Il faudra, déclare-t-il, qu’on puisse encore dire du bien dans trente ans de ce que nous décidons maintenant" (mais pourquoi faudrait-il attendre si longtemps pour en dire du mal ?). Ses grands projets se résument à couvrir tout ce que la sensibilité exquise de la modernité ne veut plus voir : périphériques, parkings, hangars de stockage, entrepôts du service municipal des Pompes funèbres. En gros, le réel. Delanoë le fourre sous dalle. Et, par-dessus, il plante tout ce qui fait rêver : murs d’escalade, squats d’artistes, promenades vertes, multiplexes créatifs, lieux d’éducation aux arts de la rue, espaces d’initiation à la musique hip-hop.

Et parasols.

Car il s’agit aussi de réconcilier le Parisien avec son fleuve. Il paraît que jusqu’alors le Parisien tournait le dos à la Seine, ses eaux noires moirées de mazout et ses courants d’air. De temps en temps, il s’accoudait aux parapets pour regarder un suicidé en train de gagner le large avec nonchalance. C’est tout ce qu’il avait comme distraction. Quel chemin parcouru depuis. Maintenant il peut bronzer en bordure de concept et s’initier à la fabrication des nœuds marins dans une station balnéaire non figurative où tout est stylisé, le sable, les pelouses, les oriflammes, les nœuds marins, les murs d’escalade, sa propre personne. Exactement comme dans un quartier piétonnier. Transformer les berges de la Seine en quartier piétonnier idéal, voilà l’exploit des plagistes de la Mairie de Paris. Je le sais, j’étais sur place le dimanche de l’ouverture du concept.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 3", Les Belles Lettres, Paris, 2002, page 450

[ virtualisation ] [ refoulement ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

littérature

Un soir, après le repas, j'allai encore en hâte au bord du lac drapé de je ne sais plus très bien quelle mélancolie pluvieuse et sombre. Je m'assis sur un banc sous les branches dégagées d'un saule et ainsi, m'abandonnant à des pensées vagues, je voulus m'imaginer que je n'étais nulle part, une philosophie qui me procura un bien-être étrange et délicieux. L'image de la tristesse sur le lac, sous la pluie, était magnifique. Dans son eau chaude et grise tombait une pluie minutieuse et pour ainsi dire prudente. Mon vieux père avec ses cheveux blancs m'apparut en pensées, ce qui fit de moi un enfant timide et insignifiant, et le portrait de ma mère se mêla au doux et paisible murmure et à la caresse des vagues. Avec l'étendue du lac qui me regardait comme je le faisais moi-même, je découvris l'enfance qui me considérait elle aussi, comme avec de beaux yeux limpides et bons. Tantôt j'oubliais tout à fait où je me trouvais, tantôt je le savais de nouveau. Quelques promeneurs silencieux allaient et venaient tranquillement sur la rive, deux jeunes ouvrières s'assirent sur le banc voisin et commencèrent à bavarder et là-bas sur l'eau, là-bas sur le lac bien-aimé, où les larmes douces et sereines coulaient paisiblement, des amateurs de navigation voguaient encore dans des bateaux ou des barques, le parapluie ouvert au-dessus de leurs têtes, une image qui me fit rêver que j'étais en Chine ou au Japon ou dans un autre pays de poésie et de rêve. Il pleuvait si gentiment et si tendrement dans l'eau et il faisait si sombre. Toutes les pensées sommeillaient puis toutes les pensées étaient de nouveau en éveil. Un vapeur sortit sur le lac; ses lumières scintillaient à merveille dans l'eau lisse et gris argent du lac qui portait ce beau bateau comme s'il éprouvait de la joie à cette apparition féerique. La nuit tomba peu après, et avec elle l'aimable invitation à se lever du banc sous les arbres, à s'éloigner de la rive et à prendre le chemin du retour.

Auteur: Walser Robert

Info: Retour dans la neige, traduit de l'allemand par Golnaz Houchidar, 1999 pp. 94-95

[ crépuscule ] [ onirisme ]

 

Commentaires: 0

crépuscule

C'était souffrir assurément que d'être réduit à passer la nuit dans la rue, et c'est ce qui m'est arrivé plusieurs fois à Lyon. J'aimais mieux employer quelques sous qui me restaient à payer mon pain que mon gîte, parce qu'après tout je risquais moins de mourir de sommeil que de faim. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, dans ce cruel état, je n'étais ni inquiet ni triste. Je n'avais pas le moindre souci sur l'avenir, et j'attendais les réponses que devait recevoir mademoiselle du Châtelet, couchant à la belle étoile, et dormant étendu par terre ou sur un banc, aussi tranquillement que sur un lit de roses. Je me souviens même d'avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville, dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. Il avait fait très chaud ce jour-là ; la soirée était charmante ; la rosée humectait l'herbe flétrie ; point de vent, une nuit tranquille ; l'air était frais sans être froid ; le soleil, après son coucher, avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexion rendait l'eau couleur de rose ; les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols qui se répondaient de l'un à l'autre. Je me promenais dans une sorte d'extase, livrant mes sens et mon coeur à la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d'en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade, sans m'apercevoir que j'étais las. Je m'en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d'une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse ; le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ; un rossignol était précisément au-dessus de moi : je m'endormis à son chant ; mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage. Il était grand jour : mes yeux, en s'ouvrant, virent l'eau, la verdure, un paysage admirable.

Auteur: Rousseau Jean-Jacques

Info: Les Confessions, livre IV.

[ vagabondage ]

 

Commentaires: 0