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chasseur

Les mains serrées sur son épais gourdin, Dakil tendit l'oreille. Le bruit sourd d'un galop résonnait dans le sous-bois. On ne discernait rien encore au travers des fourrés. Pourtant, le chemin était tout proche. À un jet de salive, au plus. Mais Dakil avait bien choisi son poste d'observation. Personne ne pourrait le voir : il s'était accroupi derrière un buisson épineux, petits yeux noirs brillant d'excitation, nez pointu reniflant l'air par brèves inspirations fureteuses. Le voyageur se rapprochait, le sol vibrait déjà sous le poids de sa monture. Dakil sourit, dévoilant ses dents pointues et mal plantées. Il entrevoyait, de sa place, la corde qu'il avait tendue au milieu du sentier, et qui allait faire voltiger dans les airs l'innocent pèlerin qui venait droit vers lui à grande chevauchée ! Le cheval allait d'une enjambée rapide, régulière. Belle prise en perspective ! Sans nul doute, un fringant destrier, monté par un chevalier cousu d'or ! Dakil plissa un peu plus ses yeux ronds, riant tout seul en imaginant la surprise de celui qui allait s'étaler de tout son long, le nez dans la poussière, avant de se faire estourbir d'un coup de bâton en pleine tête ! D'enthousiasme, il ôta son bonnet, le pétrit entre ses doigts, le remit, l'enfonça au ras de ses sourcils broussailleux, ce qui fit ressortir un peu plus ses oreilles pointues.

Auteur: Roger Marie-Sabine

Info: Dakil, le Magnifique

[ affût ] [ plaisir ] [ aux aguets ]

 

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sorcières

Marguerite fut alors saisie par l'idée qu'au fond, elle avait tort de presser son balai avec tant d'ardeur, qu'elle se privait ainsi de la possibilité de voir les choses comme il convenait, de jouir pleinement de son voyage aérien. Quelque chose lui suggérait que, là où elle allait, on l'attendrait de toute façon, et qu'elle n'avait donc aucune raison de se maintenir à cette hauteur et à cette vitesse, où elle s'ennuyait.
Elle abaissa la brosse de son balai, dont le manche se releva par-derrière, et, ralentissant considérablement son allure, elle descendit vers la terre. Cette glissade - comme sur un wagonnet de montagnes russes - lui procura le plus intense plaisir. Le sol, jusqu'alors obscur et confus, montait vers elle, et elle découvrait les beautés secrètes de la terre au clair de lune. La terre s'approcha encore, et Marguerite reçut par bouffées la senteur des forêts verdissantes. Plus bas, elle survola les traînées de brouillard qui s'étalaient sur un pré humide de rosée, puis elle passa au-dessus d'un étang. A ses pieds, les grenouilles chantaient en chœur. Elle perçut au loin, avec une bizarre émotion, le grondement d'un train. Bientôt, elle put le voir. Il s'étirait lentement, semblable à une chenille, et projetait en l'air des étincelles. Marguerite le dépassa, survola encore un plan d'eau miroitant où flottait une seconde lune, descendit plus bas encore et continua de voler, effleurant des pieds la cime des pins gigantesques.
A ce moment, un affreux bruissement d'air déchiré, qui se rapprochait rapidement, se fit entendre derrière Marguerite. Peu à peu, à ce sifflement d'obus, se joignît - déjà perceptible à des kilomètres de distance - un rire de femme. Marguerite tourna la tête et vit un objet sombre, de forme compliquée, qui la rattrapait. A mesure qu'il gagnait du terrain, l'objet se dessinait avec plus de netteté, et bientôt Marguerite put voir que c'était quelque chose qui volait, chevauchant une monture. Enfin, l'objet ralentit sa course en arrivant à la hauteur de Marguerite, et celle-ci reconnut Natacha.
Elle était nue, complètement échevelée, et elle avait pour monture un gros pourceau qui serrait entre ses sabots de devant un porte-documents, tandis que ses pattes de derrière battaient l'air avec acharnement. De temps à autre, un pince-nez qui avait glissé de son groin et qui volait à côté de lui au bout de son cordon, jetait des reflets de lune, tandis qu'un chapeau tressautait sur sa tête et glissait parfois sur ses yeux. En l'examinant plus soigneusement, Marguerite reconnut dans ce pourceau Nikolaï Ivanovitch, et son rire sonore retentit au-dessus de la forêt, se mêlant au rire de Natacha.

Auteur: Boulgakov Mikhaïl

Info: Dans "Le Maître et Marguerite", trad. Claude Ligny, Editions Laffont, Paris, 1968, pages 341-342

[ sabbat ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

orient-ponant

La pensée chinoise archaïque

Quelques éléments sur ce que nous savons aujourd’hui de la pensée chinoise archaïque (XVe – XIe siècles av. J.-C.).

La manière dont les Chinois parlent et écrivent constitue, chacun le sait, un langage dont la structure grammaticale est très éloignée de la nôtre, occidentale. Ce que nous appelons les " mots d’armature " : les articles, les prépositions, les conjonctions, ces mots qui nous permettent de relier entre eux les " mots de contenu " : les substantifs, les verbes, les adjectifs qualificatifs, les adverbes, ces mots d’armature qui constituent à nos yeux le " tissu conjonctif " de la langue, sont pour la plupart absents du chinois.

Alors que nous, Occidentaux, nous attendons à lire ces mots d’armature dans un texte comme la manière requise pour l’articuler, nous constatons à la place en chinois des séquences de noms de choses à la queue leu-leu, lesquels peuvent éventuellement être reliés par quelques éléments syntaxiques mais en tout cas d’une façon beaucoup plus rudimentaire que chez nous.

Il existe en particulier dans la phrase chinoise un mot que nous écrivons dans notre graphie comme " yeh " et que nous qualifions de marqueur d’affirmation, pour préciser la façon dont il sert à relier deux notions. Un philologue de la Chine, Kyril Ryjik, dit à propos de yeh : " … ce caractère entretient, entre son sens original et son emploi opératoire, le type de rapport qu’entretient la notion de “copule” […]. Il opère avec une notion de très forte jonction entre deux termes " (Ryjik 1980 : 218). Deux termes chinois sont rapprochés et il est suggéré à l’aide du terme yeh qu’il existe un lien spécial entre les deux.

Chad Hansen, commentateur éminent de la langue chinoise archaïque, explique : 

" Il n’y a pas en chinois de est, pas d’expression prédicative dénotant l’identité ou l’inclusion. La juxtaposition de deux termes (ordinairement suivis de la particule yeh) constitue une phrase relationnelle grossièrement équivalente à une phrase affirmant l’identité ou l’inclusion […] La phrase pai ma ma yeh (blanc cheval cheval “est”) : “(du) cheval blanc ‘est’ (du) cheval”, est un exemple d’une telle structure de phrase " (Hansen 1983 : 45). 

Par ailleurs, si je prononce l’un après l’autre les mots chinois pour cheval et pour bœuf et que je fais suivre leur séquence de yeh : " cheval bœuf yeh ", je laisse entendre qu’il existe quelque chose reliant les deux termes, quelque chose fait qu’ils aient été mentionnés ensemble et je réunis ce faisant automatiquement ces deux notions sous un seul concept qui conduit à parler de ce que nous caractérisons nous comme " animal de trait ", parce que l’union établie entre le bœuf et le cheval par la particule yeh met en avant ce qui nous apparaît comme un trait commun aux deux notions évoquées. Si l’on recourt au vocabulaire de la théorie mathématique des ensembles, on dira que leur rapprochement souligné par yeh met en avant l’intersection de leurs caractères propres : le principe de l’animal de trait ne combine pas l’équinité et la bovinité selon leur union, additionnant l’ensemble des chevaux à celui des bœufs, mais selon leur intersection : là où la blancheur recoupe l’équinité, nous avons " du cheval blanc ", là où l’équinité rencontre la bovinité, nous trouvons le principe de l’animal de trait, en l’occurrence le fait qu’ils puissent l’un et l’autre tracter un objet lourd, comme un chariot, une charrue, la meule d’un moulin à grain, etc. Et à partir de là, la conjonction cheval bœuf signifie en chinois " animal de trait ".

Nous disposons dès lors d’éléments susceptibles de nous faire appréhender de plus près cette notion d’affinité qui nous semble propre à la pensée totémique dont je considère, à la suite de Durkheim et de Mauss, qu’il s’agit avec elle des échos de la pensée archaïque chinoise dans le reste de la zone circum-pacifique, échos dus à un processus historique de diffusion à partir de la Chine ou à une identité foncière trouvant sa source dans leur origine commune.

Deux notions sont rapprochées, sans qu’il soit précisé pour quelle raison précise elles le sont, le seul geste posé étant cette suggestion d’un lien entre les deux. Comment opérons-nous, par exemple en français, dans un contexte similaire ? Dans un usage de copule, nous disposons de deux verbes : être et avoir. Le verbe être, nous l’utilisons pour exprimer la nature de la chose : " Le cheval est blanc ", où un élément de l’ordre d’une caractéristique vient compléter la description de la chose jusque-là : une nouvelle qualification est apportée en complément. Mais nous utilisons aussi le verbe être pour dire : " Le cheval est un mammifère ", ce qui nous permet de signaler l’inclusion d’une sorte dans une autre sorte. La sorte " cheval " est l’une des composantes de la sorte " mammifère ".

Le verbe avoir a un sens qui peut être en français celui de la possession mais également celui d’un lien plus lâche, à la façon de ce yeh que je viens d’évoquer. Quand nous disons : " Le pharaon et la pyramide ", nous savons qu’il existe un lien entre les deux sans qu’il soit clair de quel lien précis nous voulons parler. Est-ce le fait que le pharaon a une pyramide ? Que le pharaon a fait bâtir une pyramide ? Quoi qu’il en soit, que nous précisions d’une manière ou d’une autre, nous savons qu’il existe un lien, qu’il existe – pour recourir à ce terme vague que nous utilisons en Occident pour évoquer la pensée totémique ou celle de la Chine archaïque – une affinité entre le pharaon et la pyramide.

Un autre exemple, quand on dit " L’abeille et son miel ", on peut vouloir dire que l’abeille fait du miel ou que l’abeille dispose de miel. On peut dire aussi " le miel de l’abeille ". Là aussi, nous pouvons préciser la relation exacte mais quand on se contente de dire " l’abeille et son miel ", on procède comme le faisait le chinois dans la forme archaïque de sa langue quand il rapprochait, rassemblait, les deux notions à l’aide de ce terme yeh. Un autre exemple encore, fenêtre et verre : " la fenêtre est en verre ", " il y a du verre dans la fenêtre ", " le verre de la fenêtre ", etc. Tout cela demeure de l’ordre du réversible, d’une symétrie essentielle entre les deux notions rapprochées, alors que, par contraste, les langues de l’Occident, aussi haut que nous puissions retracer leur ascendance, sont familières de la relation anti-symétrique d’inclusion, ingrédient indispensable du raisonnement scientifique. L’émergence du discours théorique qu’est la science a permis la naissance d’une technologie qui soit à proprement parler de la " science appliquée ", par opposition à la technologie résultant de la méthode empirique de l’essai et erreur, la seule que connaissait la culture humaine, à l’Ouest comme à l’Est, dans la période qui précéda le XVIIe siècle.

Le moyen de signifier la relation d’inclusion manquait au chinois, du coup quand il s’agissait d’indiquer un rapport entre deux notions, n’existait dans tous les cas de figure que l’option d’indiquer une proximité, un apparentement, ou comme nous nous exprimons, une " affinité ", faute de pouvoir qualifier la relation plus précisément. Impossible dans ce contexte d’opérer une véritable classification de l’ensemble de ces notions : nous ne pouvons au mieux qu’en établir la liste.

H. G. Creel explique : " Le point crucial est que les anciens Chinois n’étaient dans l’ensemble ni des penseurs systématiques ni ordonnés […]. Ils étaient des cataloguistes infatigables ; ils n’étaient pas systématiciens " (in Hansen 1983 : 25).

Pour qu’un classement systématique puisse être opéré dans l’espace d’une langue, il faut qu’elle dispose parmi ses outils de cette relation d’inclusion et qu’elle permette en particulier d’utiliser le verbe être – ou ce qui en tient lieu – dans le sens qui est le sien quand nous disons : " Le cheval est un animal " ou " Le rat est un mammifère ", soit l’inclusion d’une sorte dans une autre.

Si vous êtes familier de l’œuvre de Jorge Luis Borges. Vous n’ignorez pas alors qu’il nous a diverti avec de petits textes mettant habilement en scène certains paradoxes essentiels. Parmi ceux-ci, celui qui est consacré à " Pierre Ménard, auteur du Don Quichotte ". Ménard, explique Borges, est considéré comme l’un des grands auteurs des années 1930 parce qu’il est parvenu à s’imprégner à ce point de l’esprit du temps de de Cervantes, qu’il a pu réécrire à l’identique deux chapitres (et une partie importante d’un troisième) du Don Quichotte. L’idée est ridicule bien sûr parce que l’on peut imaginer aussi bien qu’au lieu de s’imprégner à la perfection de l’esprit d’une époque, le Ménard en question se soit contenté de recopier le texte du Don Quichotte. Borges avait par ailleurs saisi dans l’une de ses petites fables ce qu’avançait Creel quand il rapportait que les Chinois anciens étaient " des cataloguistes infatigables et non des systématiciens ". Selon Borges, on pouvait trouver dans un ancien texte chinois que :

" Les animaux se divisent en : a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i) qui s’agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau, l) etc., m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches ".

Un inventaire sans doute, mais privé de tout caractère systématique, au pôle opposé d’une classification fondée sur l’emboîtement des sortes sur plusieurs niveaux, les niveaux étant ici mélangés. Il s’agit d’une plaisanterie bien entendu et non d’un vrai texte chinois, mais Borges a su saisir ce qui caractérisait à nos yeux d’Occidentaux, l’essence de la … chinoiserie.

Lucien Lévy-Bruhl caractérisait de la même manière la " mentalité primitive ", l’autre nom chez lui, nous le verrons, du totémisme, qui est aussi ce que j’appelle, comme leur synonyme, et à la suite de Durkheim et Mauss, la pensée chinoise archaïque : 

" … les connaissances ne se hiérarchisent pas en concepts subordonnés les uns aux autres. Elles demeurent simplement juxtaposées sans ordre. Elles forment une sorte d’amas ou de tas " (Lévy-Bruhl 1935 : xiv).

Il s’agit bien avec la " mentalité primitive " selon Lévy-Bruhl, le totémisme et la pensée chinoise archaïque d’une seule et même entité.

Auteur: Jorion Paul

Info: 20 janvier 2024, sur son blog.

[ langues comparées ] [ listes ] [ éparpillement ] [ imprécision sémantique ] [ historique ] [ différences ] [ nord-sud ]

 
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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

incipit

Il faut comprendre qu'ils n'étaient pas des rêveurs professionnels. Les rêveurs professionnels sont des talents très bien payés, respectés et très recherchés. Comme la majorité d'entre nous, ces sept personnes rêvaient sans effort ni discipline. Rêver professionnellement, de manière à ce que ses rêves puissent être enregistrés et diffusés pour le divertissement des autres, est une proposition beaucoup plus exigeante. Elle exige la capacité de réguler les impulsions créatives semi-conscientes et de stratifier l'imagination, une combinaison extraordinairement difficile à réaliser. Un rêveur professionnel est à la fois le plus organisé de tous les artistes et le plus spontané. Un tisseur subtil de spéculations, pas un simple et maladroit individu comme vous ou moi. Ou ces sept dormeurs.

De tous, Ripley était la plus proche de posséder ce potentiel particulier. Elle avait quelque talent de rêve enraciné et une plus grande souplesse d'imagination que ses compagnons. Mais elle manquait d'inspiration réelle et de la puissante maturité de pensée caractéristique du tisseur de rêves.

Elle était très douée pour organiser les magasins et les cargaisons, pour ranger le carton A dans la chambre de stockage B ou pour faire correspondre les bordereaux. C'était dans l'entrepôt de l'esprit que son système de classement fonctionnait mal. Espoirs et craintes, spéculations et demi-créations glissaient au hasard de compartiment en compartiment.

L'adjudant Ripley avait besoin de plus de maîtrise d'elle-même. Les pensées rococo brutes attendaient en vain d'être exploitées, juste à la frontière de la réalisation. Un peu plus d'effort, une plus grande intensité de reconnaissance de soi et elle aurait fait une assez bonne pro-rêveuse. C'est du moins ce qu'elle pensait parfois.

Le capitaine Dallas maintenant, il semblait paresseux tout en étant le mieux organisé de tous. Il ne manquait pas non plus d'imagination. Sa barbe en était la preuve. Personne n'en conservait en hibernation. Personne, sauf Dallas. C'était une partie de sa personnalité, avait-il expliqué à plus d'un coéquipier curieux. Il ne se séparait pas plus de l'antique duvet facial qu'il ne se séparait de toute autre partie de son anatomie. Dallas était le capitaine de deux navires : le remorqueur interstellaire Nostromo, et son corps. Tous deux restaient inchangés, tant en rêve qu'à l'état de veille. Il avait donc une bonne capacité de régulation et un minimum d'imagination. Mais un rêveur professionnel a besoin de beaucoup plus qu'un minimum de cette dernière ; et c'est une carence, qui ne peut être compensée par une quantité disproportionnée de la première. Dallas n'était pas plus apte que Ripley en matière de tissage de rêve.

Kane était moins contrôlé que Dallas en terme d'action et de pensée aride et il possédait beaucoup moins d'imagination. C'était un bon dirigeant. Mais il ne deviendrait jamais capitaine. Il faut pour ça une certaine motivation et la capacité de commander les autres, deux qualités dont Kane n'avait pas la chance de bénéficier. Ses rêves étaient des ombres translucides et informe par rapport à ceux de Dallas, tout comme Kane était un écho plus fin et moins vibrant du capitaine. Cela ne le rendait pas moins sympathique. Mais faire tisseur de rêve exige une forme de surcroît d'énergie, et Kane en avait à peine assez pour la vie de tous les jours.

Les rêves de Parker n'étaient pas déplacés, mais ils étaient moins pastoraux que ceux de Kane. Il y avait peu d'imagination dans ces rêves. Ils étaient trop spécialisés et ne traitaient que rarement des choses humaines. On ne pouvait rien attendre d'autre d'un ingénieur de bord. Ils étaient directs, et parfois laids. A l'état de veille, ces restes profondément enfouis se montraient rarement lorsque l'ingénieur s'irritait ou se mettait en colère. La majeure partie du suintement et du mépris qui fermentait au fond de la citerne de son âme était bien cachée. Ses compagnons n'en avaient jamais vu flotter au-dessus ou au-delà de la distillerie Parker, personne n'avait jamais eu un aperçu de ce qui bouillonnait et brassait au fond de cette cuve.

Lambert était plus inspiration pour rêveurs que rêveuse elle-même. En hyper-sommeil, ses rêveries agitées étaient remplies de tracés inter-systèmes et de facteurs de charge annulés par des considérations de carburant. Il arrivait que l'imagination entre dans de telles structures de rêve, mais jamais d'une manière qui puisse faire couler le sang des autres.

Parker et Brett imaginaient souvent leurs propres systèmes en train de s'interpénétrer avec les siens. Ils considéraient la question des facteurs de charge et des juxtapositions spatiales d'une manière qui aurait exaspéré Lambert si elle en avait été consciente. Réflexions non autorisées qu'ils gardaient pour eux, enfermés dans leurs rêves diurnes ou nocturnes, de peur qu'ils ne la mettent de mauvaise humeur. Même si cela ne lui aurait pas fait de malt. Mais en tant que navigatrice du Nostromo, elle était la principale responsable de leur retour à la maison, et c'était la plus importante et la plus souhaitable des collaborations qu'un homme puisse imaginer.

Brett n'était répertorié que comme technicien en ingénierie. C'était une façon de dire qu'il était aussi intelligent et compétent que Parker, mais qu'il manquait d'ancienneté. Les deux hommes formaient une paire étrange, inégale et totalement différente pour des gens non avertis. Pourtant, ils coexistaient et fonctionnaient ensemble en douceur. Leur succès comme amis et collègues était dû en grande partie au fait que Brett ne s'était jamais immiscé dans la vie mentale de Parker. Le technard était aussi solennel et flegmatique dans sa façon de voir et de parler que Parker était volubile et instable. Parker pouvait râler pendant des heures sur la défaillance d'un circuit de micro-puce, renvoyant ses ancêtres à la terre dont les constituants de terre rare avaient été extraits. Alors que Brett ponctuait placide : "right".

Pour Brett, ce seul mot était bien plus qu'une simple déclaration d'opinion. C'était une affirmation de soi. Pour lui, le silence était la forme de communication la plus propre. Dans la loquacité résidait le délire.

Et puis il y avait Ash. Ash était l'officier scientifique, mais ce n'était pas ce qui rendait ses rêves si drôles : particulièrement drôles, super drôles ha-ha ! Ses rêves étaient les plus professionnellement organisés de tout l'équipage. De tous, c'est celui qui se rapprochait le plus de son état éveillé. Les rêves de Ash ne contenaient absolument aucune illusion.

Ce n'était pas surprenant si vous connaissiez vraiment Ash. Mais aucun de ses six coéquipiers ne le connaissait. Mais lui, Ash, se connaissait bien. Si on lui avait demandé, il aurait pu vous dire pourquoi il n'avait jamais pu devenir tisseur de rêves. Personne n'avait jamais pensé à lui demander, malgré le fait que l'officier scientifique ait bien montré combien le tissage de rêves semblait plus fascinant pour lui que pour n'importe lequel d'entre eux.

Oh, et il y avait aussi le chat. Il s'appelait Jones. Un chat domestique très ordinaire, ou, dans ce cas, un chat de vaisseau. Jones était un gros matou jaune aux origines incertaines et à la personnalité indépendante, depuis longtemps habitué aux aléas des voyages spatiaux et aux particularités des humains qui voyageaient dans l'espace. Il dormait lui aussi d'un sommeil froid et faisait de simples rêves de lieux chauds et sombres et de souris soumises à la gravité.

De tous les rêveurs à bord, il était le seul à être satisfait, bien qu'on ne puisse pas le qualifier d'innocent.

Il est dommage qu'aucun d'entre eux n'ait eu la qualification de tisseur de songes, car chacun d'eux disposait de plus de temps pour rêver dans le cadre de son travail que n'importe quelle douzaine de professionnels, ceci malgré le ralentissement de leur rythme de rêve par le sommeil froid. Tout ça de par la nécessité de leur principale occupation, le rêve. Un équipage de l'espace lointain ne peut rien faire dans les congélateurs, si ce n'est dormir et rêver. Ils resteraient peut-être à jamais des amateurs, mais ils étaient depuis longtemps devenus très compétents.

Ils étaient sept. Sept rêveurs tranquilles à la recherche d'un cauchemar.

Bien qu'il possède une sorte de conscience, le Nostromo ne rêvait pas. Il n'en avait pas besoin, pas plus qu'il n'avait besoin de l'effet de conservation des congélateurs. S'il rêvait, ces rêveries devaient être brèves et fugaces, car il ne dormait jamais. Il travaillait, entretenait, et faisait en sorte que son complément humain en hibernation ait toujours une longueur d'avance sur une mort, toujours prête, qui suivait le sommeil froid comme un vaste requin gris derrière un navire en mer.

Les preuves de la vigilance mécanique incessante du Nostromo se trouvaient partout sur le navire silencieux, dans les doux bourdonnements et les lumières qui formaient une sensibilité instrumentale qui imprégnait le tissu même du vaisseau, prolongeait les capteurs pour vérifier chaque circuit et chaque jambe de force. Elle avait aussi des capteurs à l'extérieur, surveillant le pouls du cosmos. Les capteurs s'étaient fixés sur une anomalie électromagnétique.

Une partie du cerveau de Nostromo était particulièrement habile à extraire le sens des anomalies. Il avait soigneusement mâché celle-ci, trouvé le goût déroutant, examiné les résultats de l'analyse et pris une décision. Des instruments endormis furent activés, des circuits dormants régulèrent à nouveau le flux d'électrons. Pour célébrer cette décision, des banques de lumières brillantes clignotèrent, signes de vie d'une respiration mécanique agitée.

Un bip sonore caractéristique retentit, bien qu'il n'y ait encore que des tympans artificiels pour entendre et reconnaître. C'était un son que l'on n'avait plus entendu sur le Nostromo depuis un certain temps, et il signifiait un événement peu fréquent.

Au milieu de tous ces clics et ces flashs, dispositifs qui conversent entre eux, se trouvait une pièce spéciale. Dans enceinte de métal blanc se trouvaient sept cocons métal-plastique de couleur neige.

Un nouveau bruit emplit la pièce, une expiration explosive la remplissait d'une atmosphère fraîchement nettoyée et respirable. L'humanité s'était volontairement placée dans cette position, faisant confiance à de petits dieux de fer blanc comme le Nostromo pour lui fournir le souffle de vie quand elle ne pouvait pas le faire elle-même. Des extensions de cet électronique mi-sensible testaient maintenant l'air nouvellement exsudé et le déclarèrent satisfaisant pour maintenir la vie de ces organismes minables, les hommes. D'autres lumières s'allumèrent, d'autres connexions se fermèrent. Sans fanfare, les couvercles des sept chrysalides s'ouvrirent, et les formes de chenilles qui s'y trouvaient commencèrent à émerger dans la lumière.

Auteur: Foster Alan Dean

Info: Alien, le 8e passager, Chapitre 1 : Sept rêveurs. Trad Mg. Il fut demandé à Foster, après le grand succès du film, d'en faire un livre.

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Ajouté à la BD par miguel