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homme-par-femme

Elle le sentait libre, cet homme, ce métis, avec ses mots pleins de lui-même. Il était libre en dedans grâce à ces sons qui emplissaient sa bouche et qu’il déclamait avec ferveur, extraits de son carnet comme des signes secrets et impénétrables. Lui-même, malgré sa présence chaude, demeurait une énigme, enveloppé dans un mystère insondable. Parfois dans le lit, nu, il regardait les papiers en parlant à voix basse. Elle avait l’intuition que si elle avait su déchiffrer les transcriptions, la lumière se lèverait sur lui; elle prendrait ses mots couchés sur le papier, les glisserait entre ses dents d’abord, dans sa bouche ensuite, les tournerait sur sa langue, les avalerait avec sa salive. Ils la nourriraient de son essence à lui, la conforteraient de leur douceur, la remueraient de leur tendresse ; ils remonteraient de son sein et elle les lui redonnerait en baisers sauvages et fougueux. Parfois il sortait de son sac une petite bouteille d’eau noire et un bâton auquel il ajoutait une pointe. De l’encre de Chine. Puis il traçait des lignes à main levée, sans hésiter. Elle voulait savoir.

Auteur: Pésémapéo Bordeleau Virginia

Info: L'amant du lac

[ fantasmé ] [ attirant ] [ romanesque ]

 

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réciprocité

C'est "dans" la chose donnée que se trouve la "force" qui contraint le récipiendaire à redonner. C'est un concept de chez nous les maoris de Nouvelle Zélande qui est de portée générale : les choses échangées, les taongas, y sont dotées d'un esprit, le hau. Loin d'être inertes, c'est d'elles que vient l'obligation qui pèse sur le donataire.

Le hau est la force des choses, qui explique que je dois te donner la chose (taonga) que l'on m'a donnée en échange de celle que tu m'avais préalablement donnée : "Cette taonga qui m'est offerte par un tiers, c'est le hau des taongas qui m'avaient été donnés par toi auparavant." 

Le hau est comme une obligation de rendre en dehors de tout "marché", sans "prix fixé". Le hau n'est donc pas une contrepartie fixée à l'avance comme lors d'un contrat chez les occidentaux. Ce qui est fixé, c'est qu'il faut une contrepartie de la chose donnée. Le hau comporte une dimension de justice et de sanction. "Si je ne conservais ce deuxième taonga que pour moi, il pourrait m'en venir du mal, sérieusement, même la mort".

Auteur: Ranapiri Tamati

Info: Extrait de l'Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques de Marcel Mauss,  via l'analyse qu'en fait Nicolas Olivier dans "Le hau  : de l'esprit à la contrepartie"

[ rapports humains ] [ potlatch ] [ superstition ] [ tribalisme ] [ troc spirituel ]

 

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musique

C’est une maison bleue, accrochée à la colline

On y vient à pied, on ne frappe pas,

ceux qui vivent là ont jeté la clef.

Le chanteur avait découvert la demeure en 1971. Il s’y était installé, avec sa sœur, durant un mois, au sein d’une communauté hippie. Une fois de retour en France, il avait écrit "San Francisco" pour rendre hommage à la maison. Le titre, passé inaperçu, est ensuite devenu un véritable succès populaire.

Construite en 1886 et de style victorien, la bâtisse s’étend sur 237 m². 4 chambres, 2 Salles de bain. Elle avait déjà été vendue en 2007 pour la somme de deux millions de dollars. Repeinte en vert en entre temps, elle avait eu le droit à un ravalement de façade pour lui redonner sa couleur d’origine en 2011. Maxime Le Forestier s’y était alors rendu afin d’y donner le dernier coup de pinceau de peinture bleue.

Sur la maison, une plaque a d’ailleurs été installée avec le visage de Maxime Le Forestier. Elle a été offerte aux anciens propriétaires par le consulat de France.

Auteur: Internet

Info:

[ chanson ] [ france-usa ]

 
Mis dans la chaine
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rapports humains

Lundi. Comme chaque lundi, je descends l’escalier pour partir travailler. Au rez-de-chaussée, Bernard, le concierge, m’attend comme d’habitude de pied ferme. Des choses immuables rythment notre vie et c’est rassurant. "Alors Bernard, comment ça va ce matin ? Et votre dos ? Toujours pareil… mais que dit votre médecin ? Ah, il vous a changé d’anti-inflammatoires. Bon je vais vous redonner les coordonnées de mon acupunctrice, Véronique, mais cette fois vous y allez, je vous jure qu’elle fait des miracles."

Mardi. Même rituel. Bernard guette mon passage, prêt à dégainer son "ça va ?", Comme s’il attendait vraiment des informations sur ma santé. Ce matin, il n’aura de moi qu’un "ça va, ça va…" supersonique : on dirait que j’ai un rendez-vous capital.

Mercredi. Je m’arrête au premier étage, en entendant Dupont, du troisième, ouvrir la porte. Il s’arrête tous les jours pour discuter avec Bernard. Faisant semblant de chercher je ne sais quoi dans mon sac, j’attends qu’il passe et je me glisse derrière lui pour sortir de l’immeuble sans parler à personne.

Jeudi. Je n’en reviens pas, ma fille Yasmin a eu 17 en politique internationale. Heureusement, Bernard est à son poste, il faut vraiment que je le dise à quelqu’un. Échanger avec lui quelques mots le matin, c’est bien agréable. Si les concierges n’existaient pas, il faudrait les inventer.

Auteur: Piazza Piervi

Info: Homo biologicus

[ nécessaires ] [ naturels ] [ essentiels ] [ routine ]

 

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guerre

A mesure qu'augmentaient les détonations des obus et les déflagrations des fusées, ils rentraient la tête dans les épaules, psalmodiant et implorant la grâce du ciel. Puis ils distribuaient quelques claques aux enfants qui reprenaient leurs jeux dès qu'une plage de silence si brève fût-elle, parvenait à s'installer entre deux embrasements. Le sentiment d'écrasement, face à la menace extérieur, se retournait contre les enfants. Les parents ne supportaient plus leur neutralité, leurs cabrioles primesautières en marge de la peur omniprésente, leur indifférence à la toute-puissance de la mort. Les enfants ignorent tout ce qui n'est pas la vie et sa célébration. Entre deux diarrhées provoquées par la peur, il leur suffisait de croiser le regard d'autres enfants pour que s'établisse une sorte de fête que rien ne pouvait empêcher. Ils s'agrippaient un instant à leur mère, et, aussitôt la liste de leurs réclamations se dévidait, il leur fallait constamment manger ou boire quelque chose. A croire qu'ils le faisaient exprès pour éviter à leurs parents de se dissoudre dans la peur. Ils les interpellaient pour leur redonner une apparence sécurisante et les protéger de la démence vers la quelle dérapait, brusquement, le regard des adultes. Pour ramener leur mère à celle qui, à la maison, leur servait à manger et les enveloppait de son regard souriant en les mettant au lit. Pour détourner leur père de ses sorties nocturnes et lui défendre de rejoindre les autres hommes.

Auteur: Barakat Hudá

Info: La pierre du rire

[ familles ] [ équilibre ]

 

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réalisme-idéalisme

Kant est amené à redonner au mot symbole le sens d’une représentation "concrète" et imagée, qui donc fait intervenir, quoique indirectement, l’intuition sensible (la perception), et à rejeter la terminologie des nouveaux logiciens, Leibniz en l’occurrence, qui tendent au contraire, à opposer connaissance "intuitive" et connaissance "symbolique", dans la mesure où les "symboles" mathématiques et algébriques ne sont précisément que les signes scripturaux et généralement arbitraires d’objets ou d’opérations dont nous ne pouvons avoir aucune connaissance sensible.

[…] Pour Kant, […] la valeur sensible ou "concrète", la valeur d’image qu’il faut garder au symbole, est en vérité indirecte, comme nous l’avons dit. Le symbole est bien une représentation imagée d’une réalité en elle-même invisible, mais il n’y a aucun rapport ontologique entre les deux, aucune présence du figuré dans le figurant. […] Au reste, la philosophie kantienne, en son entier, récuse toute possibilité d’une présentification (et non d’une simple présentation) de l’intelligible dans le sensible. […]

Pour Goethe, tout au contraire, le symbole se distingue de l’allégorie en ce que, tout en relevant comme elle du genre "signe", il en réalise une espèce particulière, celle où le signifiant s’identifie, d’une certaine manière, à ce qu’il signifie. C’est pourquoi le symbole est : 1°) naturel, alors que l’allégorie est artificielle ; 2°) intransitif (on doit chercher son sens en lui-même, dans sa présence immédiate, et non en dehors de lui) ; 3°) inépuisable et finalement indicible, alors que l’allégorie disparaît dans son explication.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Histoire et théorie du symbole", éd. L'Harmattan, Paris, 2015, pages 71-72

[ différences ] [ points de vue opposés ]

 
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mythologie grecque

Que la fonction de cet être suprême en méchanceté qu’est le surmoi soit de déchaîner ce qui est enchaîné par le symbolique pour jouir de ce que devient le corps quand, cessant d’être symbolisé, d’être bien dit, il choit comme objet mal dit, maudit, est ce qui s’exprime à travers la malédiction d’Œdipe, qui voue les restes de son fils à rester sans sépulture dans le réel. 

[...] avec elle [Antigone] s’interrompt la répétition funeste par laquelle Œdipe a repris à son compte la malédiction dont il a été victime : n’est-elle pas celle qui, ayant été témoin silencieux de la malédiction proférée par son père sur son frère, va être amenée à s’élever contre cette malédiction qui voue Polynice à mourir sans tombeau ? [...]

Dans une telle interprétation, le désir d’Antigone ne se comprend pas comme désir incestueux pour le frère mort, mais comme désir d’un sujet qui ne veut pas survivre à n’importe quel prix : son désir de mort ne signifie pas qu’elle désire "la" mort mais qu’elle désire, par sa mort, rendre transmissible que le prix qu’elle accorde au fait de redonner vie au symbolique qui a été mis à mort par son père outrepasse son désir de donner la vie à une descendance familiale. Voilà pourquoi, d’Œdipe à Antigone, il n’y a pas répétition mais dépassement par la fille de l’impasse du père, transmutation par laquelle cette pierre de rebut qu’est Œdipe est devenue pierre d’angle du désir d’Antigone pour le symbolique.

Auteur: Didier-Weill Alain

Info: "Les trois temps de la loi", éditions du Seuil, 1995, pages 101-102

[ psychanalyse ] [ répétition-reprise ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

amour familial

Paul Bach-y-Rita est un neuroscientifique américain né en 1934 et mort en 2006. Il est l’un des premiers à étudier sérieusement l’idée de la neuroplasticité.

Tout commence en 1959, quand Pedro Bach-y-Rita, le père de Paul, se retrouve paralysé à la suite d’un accident vasculaire cérébral. Le pronostic des médecins est rapide: il est hémiplégique, c’est à dire paralysé d’un coté du corps à vie et ses jours sont comptés. George Bach-y-Rita, le frère aîné de Paul, refuse de croire que son père ne pourra plus rien faire.

Il ne connaît alors rien à la rééducation mais il décide de considérer son père comme un nouveau-né et de lui réapprendre tous les gestes de base. A l’aide d’équipements bricolés, il va alors le mettre à plat-ventre pour le faire ramper, puis marcher à quatre pattes. Au bout d’un an d’exercices quotidiens acharnés, Pedro Bach-y-Rita jouera du piano, dansera et redonnera des cours à la faculté. Personne n’y comprend rien, pas même les neurologues. Pourtant, Paul Bach-y-Rita, qui revient d’un long voyage et qui a suivi avec émerveillement l’exploit de son frère et de son père, parle alors de neuroplasticité.

Quand son père meurt, six ans plus tard, on découvre lors de l’autopsie du cerveau que 97% des nerfs reliant le cortex cérébral à la colonne vertébrale ont été détruits par l’AVC. Il a donc vécu durant six ans avec 3% de connexions seulement et c’est sur cette base que son fils George l’a rééduqué et sans le savoir a permis la réintégration neuro-sensorielle des réflexes archaïques, ce que font les bébés qui viennent de naître et qui vont effectuer de nombreux mouvements pour se retourner, ramper, s’asseoir, se mettre debout et marcher tout seul. Les neurones correspondant à ces 3% se sont formidablement développés, pour remplir toutes les fonctions vitales.

Auteur: Internet

Info:

[ anecdote ]

 

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question

Stephen Paddock, le papy du futur ?
La tuerie de Las Vegas préfigure peut-être une nouvelle criminalité, celle des vieux et des malades qui n’ont rien à perdre dans une société du tout juridique où la morale n’a plus d’effet.
Stephen Craig Paddock, le tueur de Las Vegas, était trop vieux, trop riche, trop indifférent à la religion, à la politique - et même aux armes à feu - pour que son geste soit intelligible selon les grilles d’interprétation ordinaires. Et loin d’être un fou ou un être isolé, il était "normal", il avait une famille et une fiancée. Il n’avait d’ailleurs pas le moindre antécédent judiciaire. Angoissée par cette absence de sens, la presse chercha dans ses gènes l’explication de son massacre : son père avait été un gangster. Mais cette hypothèse loufoque ne satisfit personne. On prêta très peu d’attention au fait qu’il choisit de tuer des jeunes gens qui écoutaient un concert de musique country, celle que l’affreux retraité adorait. Des jeunes, donc, auxquels il aurait pu s’identifier. Comme si, au crépuscule de sa vie, il regrettait tant de quitter ses joies et ses délices qu’il en devint hargneux et envieux au point de vouloir éliminer ceux qui avaient devant eux de longues décennies pour en profiter.
Peut-être avait-il choisi d’en finir avec sa propre existence, ne supportant pas la vieillesse ou une maladie grave. Mais avant, Paddock voulait assouvir sa haine envers les jeunes bienheureux.
Cette hypothèse serait terrifiante si on la prenait non pas comme l’explication de l’acte isolé d’un homme mais comme une nouvelle manière d’appréhender nos rapports aux normes. En effet, que se passerait-il si la seule contrainte que nous ressentions était celle de la loi, si nous nous détachions complètement de celle de la morale ? Celle-ci était la grande obsession de la romancière américaine Patricia Highsmith. Dans son roman Ripley s’amuse, elle avait imaginé les comportements d’un homme, au bord de la mort, à qui l’on proposait de tuer pour sauver sa famille de la misère.
Bien sûr, la plupart de ceux qui arrivent à la fin de leur vie ne commettent pas des actes aussi graves, même si ces derniers restent impunis, parce que des contraintes morales les en empêchent justement.
Mais notre société ne cesse de saper ce rapport que nous entretenons avec la morale.
Depuis quelques décennies, l’Etat cherche à régler l’ensemble de nos comportements, ceux qui atteignent les autres, mais aussi ceux qui ne portent atteinte qu’à nous-mêmes, et cela commence de plus en plus tôt dans la vie. Il est vrai que les instances dites intermédiaires, comme la famille, l’école ou le travail, sont si fragilisées qu’elles peinent à imposer des normes. Désormais, ces institutions semblent incapables de fonctionner sans que les comportements, y compris les plus anodins, soient réglés par le droit. Ce nouveau travers de nos sociétés n’a-t-il pas comme conséquence l’incroyable cynisme que l’on peut attribuer à Paddock ? Ce travers permet, en effet, d’éviter les comportements antisociaux les plus graves, seulement si l’on risque d’être pris et puni.
Dans un tel monde, le groupe le plus redouté serait celui constitué par les personnes très âgées ou très malades, celles qui n’ont plus rien à perdre, et non plus par les jeunes. Complètement indifférentes à leur réputation post-mortem, elles formeraient des bandes se livrant aux pires turpitudes et suscitant la peur autour d’elles. Leur cynisme sera tel qu’elles devront être l’objet d’une surveillance constante et envahissante.
Des dispositifs techniques de contrôle viendront combler l’absence de sentiment de culpabilité des citoyens, celui-ci n’étant plus intérieur mais extérieur. Sauf à faire marche arrière sur cette bêtise qu’est le tout juridique, sauf à redonner du pouvoir aux instances intermédiaires, lesquelles devront être repensées à leur tour.
Mais quels efforts ne serions-nous pas prêts à faire pour éviter que des tueries comme celles de Sin City (Frank Miller et Robert Rodriguez, 2005), la ville du vice et du péché, ne deviennent aussi banales que les divorces ou les vols ? Pour empêcher que des salauds comme Paddock ne deviennent demain le type le plus courant du papy.

Auteur: Iacub Marcela

Info: Le nouvel observateur, 6 octobre 2017, 18:56

[ normalisation ] [ désenchantement ] [ tueur de masse ] [ amoralité ]

 

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serial killer

Les tueries de masse, dernier avatar de la société hypermoderne
Les "mass shootings" sont surtout le symptôme de sociétés hypermodernes et hyper individualisées. Puisque le collectif semble incapable de rendre le présent et surtout l'avenir plus juste que le passé et de rassurer les peurs individuelles, de nouvelles radicalités occupent l'espace laissé vacant.
Dallas, jeudi 7 juillet 2016, un homme seul muni d'un fusil d'assaut tire sur plusieurs policiers, en tue 5 et en blesse 7 ainsi que 2 civils. Le motif invoqué : il voulait se venger des "blancs et plus particulièrement des policiers blancs". Il s'agit du 8e mass shooting aux Etats-Unis en 2016.
Aujourd'hui, les mass shootings ou tueries de masse sont devenus malheureusement une problématique connue du grand public. Par mass shooting, les universitaires entendent le plus souvent le fait qu'une personne puisse tuer au moins trois personnes en un laps de temps assez court (moins de vingt-quatre heures).
Ce phénomène n'est certes pas inédit puisque des tueries de masse ont été identifiées aux Etats-Unis et en Europe dès le XIXe siècle, mais l'originalité de la situation actuelle provient de l'accélération et l'extension du nombre de telles tueries dans tout l'Occident. Il y a trente ans, le nombre de mass shootings se limitait à un par an et le phénomène était particulièrement concentré sur le territoire américain. Depuis le début des années 2000, le nombre de mass shootings a été multiplié par 10 par rapport aux années 80, et même si le phénomène se concentre encore aux Etats-Unis, de nombreux cas se sont produits en dehors du sol américain : Canada, France, Suisse, Norvège.
De nos travaux récents, il ressort clairement que la circulation d'armes sur un territoire donné accroît la probabilité de réalisation d'un mass shooting mais ne constitue pas un facteur suffisant pour expliquer l'extension de ce phénomène. De même, le chômage, l'intervention militaire extérieure ou encore les inégalités peuvent avoir une incidence, mais cette incidence reste limitée et toute corrélation directe reste difficile à établir.
Selon nous - et c'est la thèse que nous défendons depuis plusieurs années -, l'accroissement du nombre de mass shootings résulte plus structurellement de l'avènement d'une société hypermoderne en Occident. Reprenons la définition du sociologue François Ascher qui considère que nos sociétés sont entrées dans une nouvelle phase de la modernité, une phase qui allie un processus d'approfondissement de l'individualisation et un renforcement de chaque individu à faire société, c'est-à-dire à vouloir participer à la communauté globale notamment du fait de la multiplication des sources d'informations à la disposition de chacun.
Dans la société hypermoderne, l'individu cherche à avoir une maîtrise sur les événements, à combattre de manière réflexive ce qui lui paraît injuste, et à choisir ce qui peut lui paraître éthique. C'est un contexte où la personnalité du tueur de masse peut se développer. De manière radicale, il considère avec sa rationalité propre (rares sont les tueurs de masse diagnostiqués fous), régler des problèmes sociétaux et se faire justice, se venger de catégories d'individus qui semblent se liguer contre lui ou contre une communauté dont il se sent proche. En ce sens, le cas de Micah Johnson, le tueur de Dallas, est symptomatique de notre époque. Noir américain, réserviste de l'armée de terre déployé en Afghanistan, vivant dans la banlieue de Dallas, il a certainement vécu le meurtre d'un jeune noir par la police le 5 juillet à Bâton-Rouge (Louisiane) comme le meurtre de trop, un meurtre qui vient s'ajouter à la longue liste des hommes noirs tués par des policiers blancs lors d'une arrestation.
Les radicalités actuelles sont certainement le résultat de l'incapacité du collectif à rendre le présent et surtout l'avenir plus juste que le passé et à rassurer et calmer les anxiétés et les peurs individuelles. En fermant la porte à toute échappée utopique par rapport au présent, la conscience de l'absence d'un ailleurs pousse certains individus à prendre leur avenir en main ici et maintenant. Poussés par des bouffées narcissiques incontrôlées, des hommes, surtout des hommes, prennent alors les armes et deviennent des bombes humaines.
Sans cette capacité à fédérer autour de nouveaux projets sociétaux, certains chercheront individuellement ou collectivement à se venger de notre société actuelle. Ces actes aussi atroces qu'odieux continueront à perdurer tant que nous n'arriverons pas collectivement à redonner sens à notre avenir.

Auteur: Hassid Olivier

Info: co-auteur de Tueurs de masse, un nouveau type de tueur est né, aux Editions de l'Organisation

[ folie ] [ sociologie ]

 

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