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poème

TU DORS
La nuit est bien silencieuse.
      Tu dors
Et je veille.

      Tu rêves sans doute
Et moi j’égrène nos souvenirs
en t’écoutant respirer.

La nuit est bien silencieuse.
      Tu dors
Et je veille sur notre amour.

Je remue nos songes qu’ensevelissent les jours
Je les tire de l’oubli pour les hisser sur le pavois,
J’ai retrouvé nos larmes d’enfants

La nuit est bien silencieuse.

Je suis le vieux guetteur

qui monte la garde sur les remparts.
Je sais comment on prend une ville,
Je sais comment on perd un cœur.
      Tu dors
Et je veille.

Je suis le ciseleur des nuits étoilés,
l’orfèvre des jours.
J’ai pour messagers les aurores,
et l’arc-en-ciel des heures calmes.
Du temple de mon Dieu,
N’approche aucune odeur de poudre

      aucune odeur de sang
      Nul sanglot de femme.

Je suis le vieux guetteur
qui monte la garde sur les remparts.
La nuit est bien calme
Et tu dors…

Les hommes ont effeuillé mes songes
Je n’avais pas, pour paraître devant eux
      ma robe de lin,
Ils me demandaient un parchemin.

Je n’avais qu’un bouclier de guetteur.
Le jour point
Et, nous retrouverons demain dans le jardin
En poussières d’argent sur le rosier
nos rêves d’enfants.

Je suis le vieux guetteur
qui monte la garde sur les remparts.
J’ai dans les yeux, les aurores des temps anciens
Et dans la tête, la chanson des temps futurs.

Auteur: Dadié Bernard B.

Info: Hommes de tous les continents, 20 juillet 1960

[ déclaration d'amour ]

 

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passivité

Contre ce monde insaisissable et fantasmagorique où ce qui est noir aujourd’hui peut être blanc demain et où le temps qu’il faisait la veille peut être modifié par décret, il n’y a à vrai dire que deux remparts. Le premier est qu’on a beau s’acharner à nier la vérité, la vérité n’en continue pas moins d’exister, dans votre dos pour ainsi dire, et qu’il vous est par conséquent impossible de la violer sans nuire à l’efficacité militaire. La seconde, c’est qu’aussi longtemps qu’il demeurera sur cette terre des régions non conquises, la tradition libérale pourra continuer de vivre. Que le fascisme, ou l’association des fascismes divers, conquière le monde entier, et ces deux remparts s’écrouleront. Nous sous-estimons, en Angleterre, ce genre de danger, nos traditions et notre sécurité passée nous ayant inculqué la croyance sentimentale que tout finit toujours par s’arranger et que ce que l’on craint le plus n’arrive jamais pour de bon. Nourris pendant des siècles d’une littérature où le bon droit triomphe invariablement au dernier chapitre, nous sommes presque instinctivement convaincus qu’à long terme le mal va toujours de lui-même à sa perte. Le pacifisme, par exemple, repose largement sur cette idée. Ne résistez pas au mal, il se détruira tout seul, d’une façon ou d’une autre. Mais pourquoi se détruirait-il ? Quelles preuves avons-nous qu’il le fasse jamais ? Et quel exemple y a-t-il d’un État industrialisé moderne qui se soit effondré sans l’intervention armée d’une puissance extérieure ?

Auteur: Orwell George

Info: Dans "Pourquoi j'écris ?", trad. de l'anglais par Marc Chénetier, éditions Gallimard, 2022, pages 27-28

[ croyance réconfortante ] [ zen hypocrite ] [ optimisme ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

dieu vivant

Gordon fut bien vite cerné par un rempart de visages d'hommes, de femmes et d'enfants, tous surexcités. Il en vit qui boitaient. D'autres étaient couturés de cicatrices livides ; leur voix avait les rauques inflexions de la tuberculose. Et pourtant, en cet instant, toutes les souffrances de l'existence paraissaient reculer dans l'ombre sous l'illumination soudaine d'une foi retrouvée. 

Transpercé par ces regards emplis d'espoir, Gordon garda son calme et, lentement, s'avança vers le portail. Il souriait et distribuait des saluts et des signes de tête, tout particulièrement à ceux qui se détachaient du cercle pour venir effleurer son coude ou toucher la panse rebondie de sa sacoche. Les plus jeunes arboraient une expression d'émerveillement superstitieux. Sur de nombreux vieux visages, des larmes ruisselaient. 

Les tremblements du choc en retour commencèrent de l'assaillir, mais il résista aux flots d'adrénaline en s'accrochant à la petite lueur de conscience qui clignotait en lui... teintée de honte à la pensée d'un tel mensonge. 

"Et puis merde ! Ce n'est pas ma faute s'ils veulent croire à la petite souris. J'ai fini par grandir, moi, et je suis décidé à prendre la vie comme elle vient. Quel ramassis de gogos !"

Il n'en continua pas moins de sourire à la ronde. Des mains se tendaient vers lui et il était le centre vers lequel convergeaient leurs élans d'amour. Il percevait ces sentiments confus comme une vague d'espoir extraordinaire et inattendu ; elle allait le hisser jusque sur les murs de la ville d'Oakridge.

Auteur: Brin David

Info: Le facteur

[ idole ] [ malentendu ]

 

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dubitation

« Doutez de tout et surtout de ce que je vais vous dire » (parole attribué au Bouddha)

C'est peu de dire que le doute est toujours plus fécond que toutes les certitudes. Le doute fait avancer, découvrir ; les certitudes étouffent. J’évoque ici, bien sûr, le doute constructif, celui qui pousse à vérifier, à mieux comprendre, à mieux décrire, pas le doute destructif qui rejette sans même examiner et sans souci de remplacer. Le doute est le premier moteur de la connaissance. En effet, pour connaître, il faut avoir trouvé ; pour trouver, il faut avoir cherché ; pour chercher, il faut avoir douté. Quand on croit savoir, on n’a plus envie de chercher et quand on ne cherche plus, on n’a plus aucune chance de trouver.

Le doute produit une instabilité qui force à avancer, à chercher, à progresser. C’est cette dynamique qui est à l’origine de tous les progrès dans la connaissance. La foi, au contraire, a tendance à bloquer la raison dans les croyances. Elle finit par inhiber l’esprit critique et peut conduire à l’intégrisme. Historiquement, les croyances de toutes sortes, qu’elles soient religieuses, traditionnelles, superstitieuses, nationalistes, raciales, idéologiques ont toujours été un frein au progrès vers plus d’humanité. C’est, par contre, la remise en question permanente suscitée par le doute qui a conduit à toutes les percées notables en matière de progrès aussi bien scientifique ou technologique que social ou humanitaire.

L’ascèse du doute

Seul le doute permet d’avancer pas à pas vers une connaissance sans cesse plus fine, plus complète, plus proche du réel. Il s’agit là de l’ascèse laborieuse et humble du vrai scientifique qui sait pourtant que la vérité absolue n’est pas atteignable par la raison, son seul outil de travail. Ce qui le conforte dans sa démarche c’est l’ouverture régulière du paysage cognitif qui s’offre à lui à chaque nouveau col passé.

L’apprentissage du doute dès le plus jeune âge est le meilleur rempart contre toutes les formes d’intégrisme et de fanatisme. Pour toujours plus d’humanité, c’est le doute (et la réflexion qu’il engendre) qu’il faut conforter chez les jeunes au lieu d’une quelconque croyance ou obéissance irréfléchie.

Auteur: Santarini Gérard

Info: Extrait de "Croire ou savoir ? Petites graines de réflexion pour un monde meilleur", Librinova, 2019

[ réflexion ]

 
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politique

Entendez-vous, par démocratie, la Révolution en révolte perpétuelle contre toute autorité, contre toute religion et toute croyance, l’Eglise catholique est incompatible avec la démocratie. De même, entendez-vous, par démocratie, une puissance illimitée, qui prétend à une omnipotence absolue, qui ne reconnaît d’autre droit et d’autre règle que la volonté du grand nombre, l’Eglise, le christianisme, toute religion, pour ne pas dire toute philosophie, sont inconciliables avec cette manière de comprendre la démocratie. Entendez-vous encore, par démocratie, le socialisme, le collectivisme, le communisme athée d’aujourd’hui, qui prétendent borner la destinée de l’homme à cette terre et lui interdire tout rêve de l’au-delà, l’Eglise, le christianisme, la religion sont incompatibles avec une pareille démocratie. Mais est-ce la seule manière dont on puisse entendre la démocratie ? Ne peut-on la concevoir d’une façon tout autre, et certaines nations, comme les Etats-Unis, ne nous en offrent-elles pas la preuve vivante ? Ne voyons-nous pas, par les exemples de la grande République américaine, que la démocratie n’est inconciliable ni avec la religion, ni avec le christianisme, ni même avec le catholicisme ? Et comment y aurait-il, entre eux, incompatibilité, alors que les grandes idées d’égalité et de fraternité ont leurs plus anciennes et leurs plus profondes racines dans le christianisme, dans la Bible juive et dans l’Evangile chrétien ? 

Il y a bien eu, entre l’Eglise d’un côté, et la démocratie de l’autre, une longue lutte, comme un grand duel, qui a rempli toute l’histoire du XIXe siècle. A cela, il y avait des raisons multiples, des raisons historiques surtout. L’Eglise personnifiait, en face de la Révolution, la tradition et l’autorité. L’Eglise, attaquée par les uns comme une barrière, a été défendue par les autres comme un rempart. Un fait, en soi-même d’importance secondaire, le pouvoir temporel des papes, contribuait à envenimer et à prolonger cette lutte. Le pape, souverain temporel, voyait sa petite monarchie menacée par la Révolution et par la démocratie issue de la Révolution ; il se trouvait, naturellement, enclin à regarder la démocratie comme l’adversaire de la papauté. Aussi est-ce, en grande partie, le long combat pour la défense du pouvoir temporel qui, entre l’Eglise et la démocratie, a creusé un fossé si large et si profond.

Auteur: Leroy-Beaulieu Anatole

Info: " Les doctrines de haine ", éditions Payot et Rivages, Paris, 2022, pages 244-246

[ temporel-éternel ] [ conciliation ] [ idées modernes ] [ historique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

nom-du-père

Le père est une fonction dans un sens en tous points analogue à ce qui s'appelle fonction en mathématique.

y = f(x)

Il s'agit de la mise en relation de deux éléments. Reliant ces deux éléments la fonction implique leur distinction. En logique, au 1 succède le 3 duquel se déduit le 2. Autrement dit, la fonction est un "lien de séparation", un saut du contigu au discontinu. Sigmund Freud a rarement employé le terme de progrès cependant il l'emploie pour qualifier le passage de la civilisation matriarcale à la civilisation patriarcale. La liaison de l'enfant et de la mère est possible puisque précisément ils auront, au préalable, été indexés comme distincts, séparés et, par conséquent, "partiellisés" l'un pour l'autre. Ils ne sont pas tout l'un pour l'autre { y ≠ x }, mais sont aussi fils/fille de et épouse de.

Une autre façon de dire qu'il n'y a de mère et d'enfant que par rapport à un père. Complétons alors Winnicott dans son affirmation qu'un bébé seul ça n'existe pas en ajoutant qu'une mère et un enfant seuls ça n'existe pas. Il n'y ni mère ni enfant s'il n'y a pas de père (ou de fonction paternelle), mais une entité (con)fusionnelle dévorante et destructice autant pour l'enfant que pour la mère. Françoise Dolto ne disait rien d'autre lorsqu'elle affirmait qu'une femme ne pouvait être mère que si, par ailleurs, elle désirait un homme.

L'enfant et la mère sont liés symboliquement par le père en tant que nom (fonction), ce qui implique que la présence réelle du père, bien que souhaitable, peut être compensée si la mère parvient à faire fonctionner du manque. Céder l'objet afin de ne pas céder sur son désir — unique rempart à la jouissance —, autrement dit, produire/élire un objet de désir différent de son enfant. Ce qui, il faut le dire, est un cas de figure de plus en plus rare. Puisque, comme le disait Dolto dès 1960, si le sens de la paternité est à peu près perdu, il l'est pour l'homme ET pour la femme — ce "ET" est aujourd'hui systématiquement oublié pour faire de cette défaillance paternelle l'appanage de l'homme.

Nuançons aussi l'affirmation issue d'une incompréhension de l'œuvre lacanienne qui voudrait que le père, comme nom, ne soit qu'effet du désir maternel. Ceci est bien souvent une ex-cuse (hors de cause) pour le géniteur afin de se cacher dans l'ombre de la mère de sa progéniture (et dans les jupes de la sienne) ou, "au mieux", pour devenir une seconde mère, une mère bis, ou une mère de substitution en cas de défaillance maternelle de la génitrice. Bien entendu l'attitude de la mère vis-à-vis de son époux, du père de son enfant, importe beaucoup, et surtout la façon dont elle parle de lui à son enfant et à d’autres, et notamment, en son absence. Ceci dit, la "personne du père", en tant qu'élément tiers dans la structure de la parenté, relativement à la dyade mère-enfant, a à occuper cette place d'exception, au sens premier du terme, absolument indispensable au déploiement de la parole.

Auteur: Goubet-Bodart Rudy

Info: Publication facebook du 25.01.2022

[ triade ] [ parentalité ] [ psychanalyse ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

symbioses naturelles

Au Cambodge, les chercheurs ont été bluffés après avoir observé plusieurs centaines d’espèces dans la mangrove

C’est l’une des études les plus complètes réalisées dans une forêt de mangrove.

Lorsque l’on parle de " point chaud de la biodiversité ", on pense souvent à l’Amazonie ou aux forêts tropicales. Mais il y a un autre endroit où le nombre d’espèces explose : les mangroves. Une étude du sanctuaire Peam Krasop et de la réserve de Koh Kapik, au sud du Cambodge, a révélé une diversité particulièrement impressionnante d’espèces végétales et animales. 

Cette enquête de terrain, financée par le groupe de conservation Faune & Flore Internationale, avait pour but de relever les différentes espèces habitant les lieux. Parmi les résidents de la mangrove, ils ont observé des macaques à longue queue, des loutres à pelage lisse, des chauves-souris, des poissons et tout un éventail d’invertébrés.

De quoi surprendre les biologistes, qui ne s’attendaient pas à une telle diversité. " Nous avons trouvé 700 espèces différentes dans ces forêts de mangrove, mais nous pensons que nous n’avons même pas effleuré la surface, a déclaré au Guardian Stefanie Rog, responsable de l’équipe d’enquête, dont le rapport a été publié dimanche. Si nous pouvions examiner la zone encore plus en profondeur, nous en trouverions 10 fois plus, j’en suis sûre. "

Des espèces rares

Pour observer ces animaux, les chercheurs ont utilisé des pièges photographiques. 57 ont été installés entre 2022 et 2023, ce qui a permis d’observer la faune et la flore durant la saison sèche et la saison des moussons. Cette technique a permis d’observer des espèces rares comme le chat pêcheur ( Prionailurus viverrinus ), un animal légèrement plus grand que le chat domestique, au corps trapu et qui est totalement adapté au milieu aquatique avec ses pattes antérieures partiellement palmées.

(Photo : Voici les caméras camouflées utilisées pour récupérer des clichés de l’étude.)

Même constat pour la loutre à nez poilu ( Lutra sumatrana ), qui a été aperçue sur certains clichés pris par des pièges posés dans des zones particulièrement anciennes de la forêt de mangrove. Il s’agit de la loutre la plus rare d’Asie. Et ce n’est pas le seul animal menacé d’extinction ayant été observé.

Il y avait aussi le pangolin javanais (Manis javanica), en danger critique d’extinction. Vivant dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est dont le Vietnam et le Cambodge, il a probablement disparu au Myanmar et en Thaïlande. Pour ce qui est des oiseaux, sur les 150 espèces observées, 15 sont répertoriées comme quasi menacées ou en voie d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Les mangroves, protectrices de l’environnement

Si certains de ces animaux sont menacés, c’est bien souvent car leur habitat est en danger. Pour les mangroves, c’est un vrai cercle vicieux. " Une forêt de mangrove repose sur toutes les relations interconnectées entre les espèces et si vous commencez à éliminer certaines de ces espèces, vous perdrez peu à peu le fonctionnement de la forêt ", analyse Stefanie Rog auprès du Guardian.

Les mangroves sont le lieu où des bandes de terre boisées s’unissent à la côte. Elles sont importantes pour plusieurs raisons. Comme cette étude le montre, il s’agit d’un réservoir à biodiversité. Leurs eaux constituent par exemple des nurseries pour plusieurs espèces de poissons. " Nous avons trouvé de jeunes barracudas, vivaneaux et mérous dans les eaux ici, a déclaré Stefanie Rog au GuardianLes mangroves sont clairement des lieux de reproduction importants pour les poissons et fournissent de la nourriture aux communautés locales. "

En plus d’offrir une protection pour certaines espèces, les arbres de la mangrove, adaptés pour pousser dans des eaux salées ou saumâtres, offrent un rempart de choix contre l’érosion des littoraux. Leur aide pour limiter les dégâts des tsunamis et des tempêtes n’est pas non plus à négliger. Malheureusement, au cours des dernières décennies, la planète a perdu environ 40 % de ses mangroves, souvent abattues pour l’agriculture ou l’implantation de stations balnéaires. 

 

Auteur: Internet

Info: https://www.huffingtonpost.fr/ - 15 avril 2024, Adonis Leroyer

[ animal-végétal ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

historique

Dans la bibliothèque personnelle d'Hitler

Le journaliste américain Timothy Ryback a examiné les milliers de volumes du Führer.

Celui qui ordonna les autodafés de livres possédait 16.000 volumes, dont 1.200 ont survécu au pillage pour trouver refuge dans diverses universités américaines. En 1935, sa bibliothèque était si réputée qu'elle fit l'objet d'un reportage dans "The New Yorker". Comme toute bibliothèque, celle de Hitler - il en possédait en fait une dans chaque résidence - était constituée de couches successives.

A) Tout d'abord la bibliothèque de notaire, le fonds patrimonial, celui qui rassure et auquel on ne touche guère et qu'on lit peu. C'est là qu'on trouve "Don Quichotte", "les Voyages de Gulliver", "Robinson Crusoé", "la Case de l'oncle Tom", "Hamlet" ou les romans d'aventures de Karl May.

B) La bibliothèque active, la collection qui alimente le cerveau reptilien, les ouvrages auxquels on revient sans cesse, qu'on annote, qu'on fatigue, qu'on exploite à l'infini.

C) Ajoutons-y une troisième partie constituée des envois, des livres reçus et dédicacés, qui valent surtout par ce qu'ils nous disent des auteurs comme Jünger, qui envoie son "Feu et sang" "au Führer national Adolf Hitler". C'est bien évidemment la deuxième partie qui nous intéresse. C'est là que le crayon s'arrête, souligne, annote. Le simple inventaire des livres de la bibliothèque de Hitler n'aurait pas suffit à faire un livre de 450 pages. Timothy Ryback a donc entrecoupé l'examen du fonds Hitler par un examen de la pensée d'Hitler. Il montre en quoi certaines lectures ont pu alimenter des conversations ou déterminer des décisions. En considérant comme Walter Benjamin qu'un collectionneur est conservé par sa collection, il a cherché à suivre les obsessions et les évolutions d'Hitler :

"J'ai sélectionné les volumes existants qui recelaient un contenu émotionnel ou intellectuel significatif apportant quelque clarté sur le personnage, sur ses pensées dans la solitude et ses futurs discours ou actes publics." Dans ces rayons, on trouve quantité d'auteurs racistes et antisémites : l'industriel Henry Ford, l'émule de Gobineau Hans Günther, l'ultranationaliste Paul Lagarde, le rugueux bavarois Anton Drexler, le pangermaniste Heinrich Class, le professeur de gymnastique Otto Dickel ou le haineux Dietrich Eckart, qui mélangeait "Peer Gynt", l'occultisme et la mythologie germanique.

Tous ces fielleux délirants trouvent refuge dans la bibliothèque de Hitler. On ne sait pas s'il digère tout, mais il lit, crayon à la main. C'est un lecteur boulimique, vorace, fanatique. Un livre chaque nuit. Une lubie chaque jour. Le buste de Schopenhauer sur son bureau, cet autodidacte dévore Clausewitz, les biographies de Jules César et d'Alexandre le Grand, Emmanuel Kant, qu'on retrouve avec Machiavel dans son bunker après son suicide, et se nourrit de Fichte, qui, d'après Ryback, était "le philosophe le plus proche de Hitler et de son mouvement national-socialiste, dans son esprit comme dans sa dynamique". Hitler, qui déteste les intellectuels, surtout quand ils sont juifs, ingurgite également les ouvrages traitant de la spiritualité et de l'occultisme, qui se comptent par douzaines et sont peut-être les témoins les plus bavards des préoccupations profondes de leur propriétaire. "

Dans la biographie d'Heinrich Himmler parue en septembre dernier en Allemagne, Peter Longerich, grande autorité allemande sur l'histoire de "la solution finale", s'est brièvement intéressé aux lectures du grand ordonnateur de la Shoah. A côté des romans de gare, on trouve la médiocre littérature d'extrême droite, les traités racistes de Hans Günther, "le Manuel de la question juive" de Theodor Fritsch et tout un bric-à-brac de livres toc sur la télépathie, l'astrologie et ces sciences tellement parallèles qu'elles ne rencontrent jamais l'intelligence.

Dédicace de Leni Riefenstahl sur le premier volume des oeuvres complètes de Fichte : "A mon cher Führer, avec ma profonde admiration". Nous sommes là au coeur même du personnage d'Adolf Hitler, constate Timothy Ryback. Ce fut moins une distillation des philosophies de Schopenhauer et de Nietzsche qu'une théorie bon marché, puisée dans des livres de poche et des gros livres ésotériques, où l'on distingue la genèse d'un esprit mesquin, calculateur et prêt à cogner plus qu'à discuter.

Que peut-on conclure ? Que la lecture de Cervantès ou de Shakespeare ne préserve de rien, bien sûr. On le savait déjà. La culture n'est pas un rempart contre la barbarie. Elle se situe juste à côté. Il suffit de lire en ne voulant pas comprendre. Chez Hitler, ce ne sont pas les grands auteurs, les lourds classiques qui comptent, mais ce qu'il y a à côté. Le problème, c'est quand Goethe voisine avec des auteurs racistes. Les livres peuvent préserver de l'inhumanité, mais ils ne sont pas une condition suffisante. Tout dépend de l'usage qu'on en fait. Au fond, c'est la limite de l'investigation de Timothy Ryback. Il a cherché à comprendre ce qui se passait dans la tête d'Hitler en examinant a posteriori sa bibliothèque. Imaginons un seul instant qu'on ne sache rien de son propriétaire, que nous possédions juste une liste. On pourrait, en faisant l'inventaire, en déduire que l'homme sait choisir ses classiques, qu'il aime la guerre, qu'il est antisémite, qu'il apprécie l'occultisme, qu'il est curieux, bizarre, dérangé peut-être, mais rien ne nous dirait qu'il mit l'Europe à feu et à sang et qu'il extermina 6 millions de juifs. On peut faire dire beaucoup à une bibliothèque, mais sûrement pas ce que pensait vraiment son propriétaire.

Auteur: Internet

Info: Nouvel Obs. 18 mars 2009

[ bouquins ] [ nazisme ] [ dictateur ] [ littérature ] [ biais de confirmation ] [ biblio-reflet ]

 

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géopolitique

L’Allemagne était [au début du 16e siècle] un pays sans unité : voilà l’essentiel. Il y avait, nombreux, forts, actifs, des Allemands, beaucoup d’Allemands parlant des dialectes voisins les uns des autres, ayant dans une large mesure des mœurs, des usages, des façons d’être et de penser communes. Ces Allemands formaient une "nation" au sens médiéval du mot. Ils n’étaient point groupés, tous, solidement, dans un État bien unifié et centralisé, corps harmonieux aux mouvements commandés par un unique cerveau.

Dans une Europe qui, partout, s’organisait autour des rois, l’Allemagne restait sans souverain national. Il n’y avait pas de roi d’Allemagne, comme il y avait, et depuis bien longtemps, un roi de France, un roi d’Angleterre, riches, bien servis, prestigieux, et sachant rallier aux heures de crise toutes les énergies du pays autour de leur personne et de leur dynastie. Il y avait un empereur, qui n’était plus qu’un nom, et un Empire qui n’était plus qu’un cadre. Dans ce cadre démesuré, le nom, le trop grand nom écrasait de son poids un homme faible, un homme pauvre — parfois un pauvre homme — qu’un vote, disputé comme un marché de foire, élevait finalement à la dignité suprême, mais impuissante.

En un temps où se révélait la valeur de l’argent, au temps décrit dans le livre classique d’Ehrenberg, l’empereur en tant que tel était un indigent. De son Empire il ne tirait plus rien de substantiel. La valeur d’une noisette, disait Granvelle — moins que, de leur évêché, certains évêques allemands. Fondus, les immenses domaines impériaux qui avaient fait la force des Saxons et des Franconiens. Concédés, aliénés, usurpés les droits régaliens, les droits de collation, tout ce qui aurait pu nourrir un budget régulier. Et cependant, plus que tout autre souverain de son temps, le prince au titre retentissant mais à qui les diètes, s’ingéniant, refusaient tout subside, aurait eu pour agir besoin d’être riche. Car, titulaire d’une dignité éminente et qui ne se transmettait pas, comme un royaume, par hérédité ; né d’un vote en faveur d’un prince chrétien qui n’était pas plus obligatoirement allemand que le pape n’était forcément italien   — l’empereur, courbé sous le poids d’une couronne lourde d’un trop lourd passé, devait courir partout, et veiller au monde en même temps qu’à l’Allemagne. Si, dans ce pays, son autorité de jour en jour périclitait — c’est que sa grandeur même empêchait d’agir ce souverain d’un autre âge. Elle le tenait enchaîné devant les véritables maîtres des pays germaniques : les princes, les villes.

Les princes avaient sur l’empereur une grande supériorité. Ils étaient les hommes d’un seul dessein. Et d’une seule terre. Ils n’avaient pas de politique mondiale à suivre, eux — pas de politique "chrétienne" à conduire. L’Italie ne les sollicitait pas. Ils ne dédaignaient point, certes, d’y faire de temps à autre un voyage fructueux. Mais ils n’allaient point là-bas, comme les empereurs, poursuivre des chimères vieillies ou d’illusoires mirages. Tandis que les Césars fabriqués à Francfort par les soins diligents de quelques-uns d’entre eux, se ruinaient en de folles et stériles aventures, une seule chose tenait les princes en souci : la fortune de leur maison, la grandeur et la richesse de leur dynastie. Précisément, à la fin du XVe siècle, au début du XVIe siècle, on les voit opérer un peu partout, en Allemagne, un vigoureux effort de concentration politique et territoriale. Plusieurs d’entre eux, profitant de circonstances favorables, de hasards heureux, s’employaient à constituer des états solides, moins morcelés qu’auparavant. Dans le Palatinat, en Wurtemberg, en Bavière, en Hesse, dans le Brandebourg et le Mecklembourg, ailleurs encore, la plupart des maisons qui, à l’époque moderne, joueront dans l’histoire allemande un rôle de premier plan, affirment dès le début du XVIe siècle une vigueur nouvelle et unifient leurs forces pour de prochaines conquêtes.

On va donc vers une Allemagne princière. On y va seulement. N’ayant point à sa tête de chef souverain vraiment digne de ce nom, l’Allemagne paraît tendre à s’organiser sous huit ou dix chefs régionaux, en autant d’états solides, bien administrés, soumis à un vouloir unique. Mais cette organisation, elle n’existe point encore. Au-dessus des princes il y a toujours l’empereur. Ils ne sont souverains que sous sa souveraineté. Et au-dessous d’eux, ou plutôt, à côté d’eux, il y a (pour ne point parler des nobles indisciplinés et pillards), les villes.

Les villes allemandes au seuil du XVIe siècle : une splendeur. Et telle, que les étrangers ne voient qu’elles lorsqu’ils visitent l’Allemagne, comme si l’éclat des cités éblouissait leurs yeux. Vingt capitales, chacune possédant en propre ses institutions, ses industries, ses arts, ses costumes, son esprit. Celles du Sud : l’Augsbourg des Fugger, porte d’entrée et de sortie du trafic italo-germain, préface pittoresque avec ses maisons peintes à fresque, du monde ultramontain. Mieux encore, Nuremberg, la patrie de Durer, de Fischer, d’Hans Sachs, de Martin Behaim, assise au pied de son Burg à mi-chemin entre Main et Danube. Mais celles du Nord aussi : l’industrieuse et réa-iste Hambourg, légère de scrupules et commençant sa magnifique ascension ; Lübeck, reine déjà déclinante de la Hanse ; Stettin, la ville du blé, et, tout au loin, Dantzig, ses vastes édifices, ses grandes églises de brique, enseignes d’une propriété sans défaillance. Sur le front oriental, Francfort-sur-l’Oder, entrepôt du trafic polonais ; Breslau, porte naturelle de la Silésie. Et à l’Ouest, sur le grand fleuve fougueux, la brillante pléiade des villes rhénanes, de Cologne à Bâle ; par-derrière, l’énorme marché francfortois ; et par-derrière encore Leipzig, un carrefour, au vrai cœur de cette Allemagne multiple. 

[…] Implantées au milieu des domaines princiers, elles [les villes] les trouent, les déchiquettent, limitent leur expansion, les empêchent de se constituer fortement. Elles-mêmes, peuvent-elles s’étendre ? Non. Se fédérer ? Non plus. Autour de leurs murailles, le plat pays : des campagnes soumises à un droit dont le droit de la ville est la négation. Là, sous des maîtres avides, des paysans incultes et grossiers, parfois misérables, prêts à se révolter et grondant sous le joug, étrangers en tout cas à la culture urbaine, si particuliers que les artistes peintres et graveurs ne se lassent pas de décrire leurs aspects sauvages, leurs mœurs primitives. Les villes veulent-elles s’entendre, collaborer ? Ce ne peut être que par-dessus de larges étendues, de vastes territoires hétérogènes qui contrastent avec elles, vigoureusement, en tout. Ces civilisations urbaines, si prestigieuses : des civilisations d’oasis. Ces villes : des prisonnières, vouées à l’isolement, et que guettent les princes, et qui se guettent l’une l’autre.

Leurs ressources, leurs richesses, à quoi vont-elles ? Aux arsenaux dont elles s’enorgueillissent, mais qui les ruinent. Aux canonniers, techniciens exigeants, qu’il faut payer très cher. Aux remparts, aux bastions sans cesse à réparer, parfois à modifier de fond en comble... Et encore, ces ressources, elles vont aux ambassades, aux missions diplomatiques lointaines, aux courriers sans cesse sur les hauts chemins et pour quelles randonnées furieuses ! Villes libres, elles payent leur liberté : trop cher. Car malgré tous les sacrifices, elles sont faibles, à la merci du prince qui s’installe sur le fleuve, en amont, en aval, pour barrer le trafic ; à la merci du hobereau qui les détrousse et les nargue, du haut de son nid d’aigle imprenable pour des milices bourgeoises, à la merci de la cité rivale, qui, rompant les accords, se retourne contre la voisine jalousée.

Faiblesse, sous des apparences de prospérité ; surprenante faiblesse politique contrastant avec tant de puissance économique. Ces cités si brillantes et qui offusquent de leur éclat nos villes françaises du temps, comme leurs bourgeois sont loin de ce sens national, de ce sens politique qui, aux époques de crise, groupe autour du roi toutes les bonnes villes de France empressées à maintenir Louis XI contre les hommes du Bien public, ou, contre les princes, Charles VIII ! Parties d’un tout bien ordonné, les cités françaises d’où la culture rayonne sur les campagnes qu’elles "urbanisent" à leur image. Les villes allemandes : des égoïsmes furieux, en lutte sans répit contre d’autres égoïsmes.

D’une telle situation, si fiers de leurs fortunes, de leur sens des affaires, de leurs belles réussites, les Allemands souffraient. Ils souffraient de ne former qu’un pays divisé, fait de pièces et de morceaux, sans chef, sans tête : un amalgame confus de villes autonomes et de dynasties plus ou moins puissants.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 64 à 67

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néo-darwinisme

Pour décoder la manipulation ou le marketing viral : la mémétique

Qu’y a-t-il de commun entre un drapeau de pirates, la chanson Happy birthday to you, un crucifix, des sigles courants (TV, USA, WC...), un jeu de Pokémon, un panneau stop, une histoire belge bien connue et le logo de Nike ? Ce sont des mèmes. C’est à dire des “entités réplicatives d’informations”, autrement dit des codes culturels qui, par imitation ou contagion, transmettent des solutions inventées par une population. Quand vous faites du marketing viral ou du lobbying, quand la télévision manipule votre “temps de cerveau humain disponible” à des fins commerciales ou idéologiques, vous êtes sans le savoir dans le champ de la mémétique comme M. Jourdain était dans celui de la prose.

La vraie vie n’est pas seulement faite de ce qu’on apprend à l’école ou à l’université... Les relations entre spécialités sont au moins aussi utiles que l’approfondissement d’une expertise spécifique... Ce n’est pas parce qu’une discipline n’a pas (encore) de reconnaissance académique qu’elle n’est pas sérieuse... Surtout quand la connaissance évolue plus vite que les mentalités, quand le fossé se creuse entre théorie et pratique, quand l’académisme dépend de normes formelles ou de chasses gardées plus que du progrès de la civilisation... La mémétique en est un bon exemple qui, malgré sa valeur scientifique et son utilité sociale, est méprisée comme ont pu l’être ses ancêtres darwiniens. Dommage, car si elle était mieux connue, nous serions moins faciles à manipuler.

LA MÉMÉTIQUE, C’EST SÉRIEUX !

Le mème est à la culture ce que le gène est à la nature. L’Oxford English Dictionary le définit comme un élément de culture dont on peut considérer qu’il se transmet par des moyens non génétiques, en particulier par l’imitation. Il a pour habitat ou pour vecteur l’homme lui-même ou tout support d’information. Dans les années 1970, des chercheurs de différentes disciplines s’interrogeaient sur la possible existence d’un équivalent culturel de l’ADN*. C’est en 1976, dans Le gène égoïste, que l’éthologiste Richard Dawkins baptisa le mème à partir d’une association entre gène et mimesis (du grec imitation), suggérant aussi les notions de mémoire, de ressemblance (du français même), de plus petite unité d’information. “Bref, un mot génial, bien trouvé, imparable. Un pur réplicateur qui s’ancre davantage dans votre mémoire chaque fois que vous essayez de l’oublier !” (Pascal Jouxtel).

La mémétique applique à la culture humaine des concepts issus de la théorie de l’évolution et envisage une analogie entre patrimoines culturels et génétique : il y a variation (mutation), sélection et transmission de codes culturels qui sont en concurrence pour se reproduire dans la société. Cette réplication a un caractère intra- et inter-humain. Elle dépend de la capacité du mème à se faire accepter : vous l’accueillez, l’hébergez, le rediffusez parce que vous en tirez une gratification aux yeux d’autrui, par exemple en termes d’image (vous avez le 4x4 vu à la télé), de rareté (il a une carte Pikatchu introuvable) ou autre avantage relationnel (petits objets transactionnels attractifs). Elle est stimulée par les technologies de l’information, qui renforcent le maillage des flux échangés et les accélèrent : la réplication est plus forte par les mass media (cf. les codes véhiculés par les émissions de téléréalité) et sur les réseaux (SMS ou Internet) que dans une société moins médiatisée où les flux sont moins foisonnants. 

On ne démontrera pas en quelques lignes la valeur ou l’intérêt de cette science, mais un ouvrage le fait avec talent : Comment les systèmes pondent, de P. Jouxtel (Le Pommier, Paris, 2005). On se bornera ici à extraire de ce livre un complément de définition : “la mémétique revendique une forme d’autonomie du pensé par rapport au penseur, d’antériorité causale des flux devant les structures, et se pose entre autres comme une science de l’auto-émergence du savoir par compétition entre les niveaux plus élémentaires de la pensée... Transdisciplinaire par nature, la mémétique est une branche extrême de l’anthropologie sociale croisée avec des résultats de l’intelligence artificielle, des sciences cognitives et des sciences de la complexité. Elle s’inscrit formellement dans le cadre darwinien tout en se démarquant des précédentes incursions de la génétique dans les sciences humaines classiques, comme la sociobiologie ou la psychologie évolutionniste, et s’oppose radicalement à toute forme vulgaire de darwinisme social”.

RESTER DANS LE JEU, JOUER À CÔTÉ OU AGIR SUR LE JEU ?

Jouxtel veut aussi promouvoir en milieu francophone une théorie qui y est un peu suspecte, coupable d’attaches anglo-saxonnes, masi qui pourtant trouve ses racines dans notre héritage culturel : autonomie du pensé, morphogenèse (apparition spontanée de formes élémentaires), évolution darwinienne dans la sphère immatérielle des concepts (Monod)... Le rejet observé en France tient aussi au divorce qu’on y entretient entre sciences sociales et sciences naturelles ou à la méfiance vis-à-vis de certains aspects de l’algorithme évolutionnaire (mutation, sélection, reproduction), en particulier “on fait une confusion terrible en croyant que la sélection s’applique aux gens alors qu’elle ne s’applique qu’aux règles du jeu”. De fait, cette forme d’intégration de la pensée s’épanouit mieux dans des cultures favorisant l’ouverture et les échanges que dans celles qui s’attachent à délimiter des territoires cloisonnés. Mais conforter notre fermeture serait renoncer à exploiter de précieuses ressources. Renoncer aussi à apporter une contribution de la pensée en langue française dans un champ aussi stratégique. Donc également renoncer à y exercer une influence.

Outre les enjeux de l’acceptation et des développements francophones de cette science, quels sont ceux de son utilisation ? De façon générale, ce sont des enjeux liés au libre-arbitre et à l’autonomie de la personne quand il s’agit de mettre en évidence les codages sous-jacents de comportements sociaux ou de pratiques culturelles. L’image du miroir éclaire cette notion : on peut rester dans la pièce en croyant que c’est là que se joue le jeu, ou passer derrière le miroir et découvrir d’autres dimensions - c’est ce que la mémétique nous aide à faire. De même dans le diaporama Zoom arrière (www.algoric.com/y/zoom.htm) où, après des images suggérant une perception de premier degré (scène du quotidien dans une cour de ferme), on découvre que la situation peut comporter d’autres dimensions... Plus précisément, pour illustrer l’utilité opérationnelle de la mémétique, on pourra regarder du côté des thèmes qui alimentent régulièrement cette chronique - innovation, marketing, communication stratégique, gouvernance... - autour de trois cas de figure : on peut jouer dans le jeu (idéal théorique souvent trahi par les joueurs), jouer à côté du jeu (égarés, tricheurs) ou agir sur le jeu (en changeant de niveau d’appréhension).

D’AUTRES DEGRÉS SUR LA PYRAMIDE DE MASLOW ?

Une analogie avec la pyramide de Maslow montre comment une situation peut être abordée à différents niveaux. Nos motivations varient sur une échelle de 1 (survie) à 5 (accomplissement) selon le contexte et selon notre degré de maturité. Ainsi, un marketing associé à l’argument mode ou paraître - voiture, téléphone, etc. - sera plus efficace auprès des populations visant les niveaux intermédiaires, appartenance et reconnaissance, que chez celles qui ont atteint le niveau 5. De même pour ce qui nous concerne ici : selon ses caractéristiques et son environnement, une personne ou un groupe prend plus ou moins de hauteur dans l’analyse d’une situation - or, moins on s’élève sur cette échelle, plus on est manipulable, surtout dans une société complexe et différenciée. Prenons par exemple la pétition de Philip Morris pour une loi anti-tabac. Quand j’invite un groupe à décoder cette initiative surprenante, j’obtiens des analyses plus ou moins distanciées, progressant de la naïveté (on y voit une initiative altruiste d’un empoisonneur repenti) à une approche de second degré (c’est un moyen d’empêcher les recours judiciaires de victimes du tabac) ou à une analyse affinée (lobbying de contre-feu pour faire obstacle à une menace plus grave). Plus on s’élève sur cette échelle, plus on voit de variables et plus on a de chances d’avoir prise sur le phénomène analysé. Une approche mémétique poursuivra la progression, par exemple en trouvant là des mèmes pondus par le “système pro-tabac” pour assurer sa descendance, à l’instar de ceux qu’il a pondus au cinéma pendant des années en faisant fumer les héros dans les films.

Il est facile de traiter au premier degré les attentats du 11 septembre 2001, par exemple en y voyant une victoire des forces de libération contre un symbole du libéralisme sauvage ou une attaque des forces du mal contre le rempart de la liberté - ce qui pour les mèmes revient au même car ce faisant, y compris avec des analyses un peu moins primaires, on alimente une diversion favorisant l’essor de macro-systèmes : “terrorisme international”, “capitalisme financier” ou autres. Ceux-ci dépassent les acteurs (Bush, Ben Laden...), institutions (Etat américain, Al-Qaida...) ou systèmes (démocratie, islamisme...), qui ne sont que des vecteurs de diffusion de mèmes dans un affrontement entre macro-systèmes.

QUAND CE DONT ON PARLE N’EST PAS CE DONT IL S’AGIT...

Autre cas intéressant de réplicateurs : les traditionnelles chaînes de l’amitié, consistant à manipuler un individu en exploitant sa naïveté, avec un emballage rudimentaire mais très efficace auprès de celui qui manque d’esprit critique : si tu brises la chaîne les foudres du ciel s’abattront sur toi, si tu la démultiplies tu connaîtras le bonheur, ou au moins la prospérité. On n’y croit pas, mais on ne sait jamais... Internet leur a donné une nouvelle vie - nous avons tous des amis pourtant très fréquentables qui tombent dans le piège et essaient de nous y entraîner ! - et a affiné la perversité de la manipulation avec les hoax et autres virus. Le marketing viral utilise ces ressorts. La réplication peut se faire de façon plus subtile, voire insidieuse, par exemple avec des formes de knowledge management (KM) “de premier degré” - en bref : la mondialisation induit un impératif d’innovation ; on veut dépasser les réactions quantitatives et malthusiennes qui s’attaquent aux coûts car elles jettent le bébé avec l’eau du bain en détruisant aussi les gisements de valeur ; on va donc privilégier la rapidité d’adaptation à un environnement changeant, donc innover en permanence, donc mobiliser le savoir et la créativité, donc fonctionner en réseau. Si l’on continue à gravir des échelons, on s’aperçoit que cette approche réactive reste “dans le jeu” alors qu’on a besoin de prendre du recul par rapport au jeu lui-même pour le remettre en question, voire le réinventer. La mémétique éclaire la complexité de cet exercice difficile où il faut pouvoir changer de logique, de paradigme, pour aborder un problème au niveau des processus du jeu et non plus au niveau de ses contenus. Comme dans la communication stratégique.

Déjà dans le lobbying classique, on savait depuis longtemps que le juriste applique la loi, le lobbyiste la change : le premier reste dans le jeu, quitte à tout faire pour contourner le texte ou en changer l’interprétation, alors que le second, constatant que la situation a évolué, s’emploie à faire changer les règles, voire le jeu lui-même. De même dans les appels d’offres, où certains suivent le cahier des charges quand d’autres contribuent à le définir en agissant en amont. De même dans le lobby-marketing, par exemple quand on s’attache à changer la nature de la relation plus que son contenu ou sa forme, pour passer de solliciteur à sollicité : faire que mon interlocuteur me prie de bien vouloir lui vendre ce que précisément je veux lui vendre... comme est aussi supposé le faire tout bon enseignant qui, ne se bornant pas à transférer des savoirs, veut donner envie d’apprendre ! Déjà difficile pour un lobbyiste néophyte, ce changement de perspective n’est pas naturel dans un “monde de l’innovation” où l’on privilégie un “rationnel plutôt cerveau gauche” qui ne prédispose pas à décoder le jeu pour pouvoir le mettre en question et le réinventer. 

L’interpellation mémétique peut conduire très loin, notamment quand elle montre comment l’essor des réseaux favorise des réplications de mèmes qui ne nous sont pas nécessairement favorables. Elle peut ainsi contredire des impulsions “évidentes” en KM, à commencer par celle qui fait admettre que pour innover et “s’adapter” il faut fonctionner en réseau et en réseaux de réseaux. Avec un peu de recul mémétique, on pourra considérer qu’il s’agit moins de s’adapter au système que d’adapter le système, donc pas nécessairement de suivre la course aux réseaux subis mais d’organiser l’adéquation avec des réseaux choisis, voire maîtrisés...

Aux origines de la mémétique

La possibilité que la sphère des humanités s’ouvre au modèle darwinien n’est pas nouvelle. Sans remonter à Démocrite, on la trouve chez le biochimiste Jacques Monod, dans Le hasard et la nécessité. La notion de monde des idées (noosphère) a été introduite par l’anthropologue Pierre Teilhard de Chardin. Alan Turing et Johannes Von Neumann, pères de l’informatique moderne, ont envisagé que les lois de la vie s’appliquent aussi à des machines ou créatures purement faites d’information. L’épistémologie évolutionnaire de Friedrich Von Hayek en est une autre illustration. D’autres parentés sont schématisées dans la carte ci-dessous.

De façon empirique, au quotidien, on peut observer la séparation du fait humain d’avec la nature, ainsi que son accélération : agriculture, urbanisation et autres activités sont visibles de l’espace, émissions de radio et autres expressions y sont audibles ; nos traces sont partout, livres, codes de lois, arts, technologies, religions… Est-ce l’homme qui a propulsé la culture ou celle-ci qui l’a tiré hors de son origine animale ?

En fait, grâce à ses outils, l’homme a favorisé une évolution combinée, un partenariat, un entraînement mutuel entre le biologique et le culturel. André Leroi-Gourhan raconte la co-évolution de l’outil, du langage et de la morphologie. Claude Lévi-Strauss parle de l’autonomie de l’organisation culturelle, par-delà les différences ethniques. Emile Durkheim revendique l’irréductibilité du fait social à la biologie. Parallèlement, l’observation des sociétés animales démontre que la nature produit des phénomènes collectifs, abstraits, allant bien au-delà des corps. Selon certaines extensions radicales de la sociobiologie à l’homme, toutes nos capacités seraient codées génétiquement, donc toute pratique culturelle - architecture, droit, économie ou art - ne serait qu’un phénotype étendu de l’homme. La réduction des comportements à leurs avantages évolutionnaires biologiques s’est atténuée. Le cerveau est modulaire, le schéma général de ses modules est inscrit dans les gènes, mais on a eu du mal à admettre que leur construction puisse se faire sur la base de flux cognitifs, d’apports d’expériences. 

Il y a des façons d’agir ou de penser qui au fil du temps ont contribué à la survie de ceux qui étaient naturellement aptes à les pratiquer : la peur du noir, la capacité de déguiser ses motivations, le désir de paraître riche ; ou plus subtilement la tendance à croire à une continuation de la vie après la mort, à une providence qui aide, à une vie dans l’invisible ; ou même le réflexe intellectuel consistant à supposer un but à toute chose. Mais il existe des idées, des modes de vie, des techniques, bref des éléments de culture indépendants de l’ADN, qui se transmettent par des moyens non génétiques, en particulier par l’imitation : c’est la thèse de Susan Blackmore, pour qui, entre ces mèmes en compétition, la sélection se fait en fonction de leur “intérêt propre” et non de celui des gènes.

L’argument de Pascal Jouxtel s’inspire d’une formule de Luca Cavalli-Sforza : l’évolution naturelle de l’homme est terminée car tous les facteurs naturels de sélection sont sous contrôle culturel. Tout ce qui pourrait influencer la fécondité ou la mortalité infantile est maîtrisé ou dépend de facteurs géopolitiques, économiques ou religieux. En revanche, la culture continue à évoluer : lois, art, technologies, réseaux de communication, structures de pouvoir, systèmes de valeurs. Le grand changement, c’est que les mèmes évoluent pour leur propre compte, en exploitant le terrain constitué par les réseaux de cerveaux humains, mais indépendamment, et parfois au mépris des besoins de leurs hôtes biologiques. 

“Ce sont des solutions mémétiquement évoluées qui sont aujourd’hui capables de breveter un génome. Il en va de même des religions et des systèmes politiques qui tuent. La plus majestueuse de toutes ces solutions s’appelle Internet, le cerveau global... Tout ce qui relie les humains est bon pour les mèmes. Il est logique, dans la même optique, de coder de façon de plus en plus digitalisée tous les modèles qui doivent être transmis, stockés et copiés. C’est ainsi que le monde se transforme de plus en plus en un vaste Leroy-Merlin culturel, au sein duquel il devient chaque jour plus facile de reproduire du prêt-à-penser, du prêt-à-vivre, du prêt-à-être. A mesure que l’on se familiarise avec l’hypothèse méméticienne, il devient évident qu’elle invite à un combat, à une résistance et à un dépassement. Elle nous montre que des modèles peuvent se reproduire dans le tissu social jusqu’à devenir dominants sans avoir une quelconque valeur de vérité ou d’humanité. Elle nous pose des questions comme : que valent nos certitudes ? De quel droit pouvons-nous imposer nos convictions et notre façon de vivre ?... Comment puis-je dire que je pense ?” (P. Jouxtel, www.memetique.org). Et bien sûr : comment les systèmes pondent-ils ?

Auteur: Quentin Jean-Pierre

Info: Critique du livre de Pascal Jouxtel "comment les systèmes..."

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