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position sociale

Un masque peut en cacher un autre... Le désir d'être reconnu par les autres est inséparable de l'être humain. Selon Hegel, cette reconnaissance est tellement essentielle que chacun est disposé pour l'obtenir à risquer sa propre vie. Il ne s'agit pas simplement, en effet, de satisfaction ou d'amour-propre : il faut plutôt dire que c'est seulement à travers la reconnaissance des autres que l'homme peut se constituer comme personne.

Persona signifiait à l'origine "masque" et c'est à travers le masque que l'individu acquiert un rôle et une identité sociale. Ainsi, à Rome, tout individu était identifié par un nom qui exprimait son appartenance à une gens, à une lignée, mais celle-ci, à son tour, se trouvait définie par le masque en cire de l'aïeul que chaque famille patricienne conservait dans l'atrium de sa demeure. De là à faire de la personne la "personnalité" qui définit la place de l'individu dans les drames et les rites de la vie sociale, il n'y a qu'un pas et persona a fini par indiquer la capacité juridique et la dignité politique de l'homme libre. Quant à l'esclave, tout comme il n'avait pas d'aïeux, ni de masque, ni de nom, il ne pouvait pas davantage avoir une "personne", une capacité juridique (servus non habet personam). La lutte pour la reconnaissance est donc, à chaque fois, une lutte pour le masque, mais ce masque coïncide avec la "personnalité" que la société reconnaît à chaque individu (ou avec le "personnage" qu'elle fait de lui avec sa connivence plus ou moins réticente).

Il n'est donc pas étonnant que la reconnaissance des personnes ait été pendant des millénaires la possession la plus jalouse et la plus significative. Si les autres êtres humains sont importants et nécessaires, c'est avant tout parce qu'ils peuvent me reconnaître. Le pouvoir lui-même, la gloire, les richesses, tout ce à quoi "les autres" semblent être si sensibles n'a de sens, en dernière analyse, qu'en vue de cette reconnaissance de l'identité personnelle. On peut bien, comme aimait à le faire, selon les récits, le calife de Bagdad Harun al-Rashid, se promener incognito par les rues de la ville et s'habiller comme un mendiant ; mais s'il n'y avait jamais un moment où le nom, la gloire, les richesses et le pouvoir étaient reconnus comme "miens", si, comme certains saints invitent à le faire, je passais toute ma vie dans la non-reconnaissance, alors mon identité personnelle serait perdue à tout jamais. 

Auteur: Agamben Giorgio

Info: Nudités, Identité sans personne.

[ étymologie ] [ ego miroir sociétal ] [ statut professionnel ]

 

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transmigrations

Les expériences les plus déconcertantes étaient celles dans lesquelles la conscience du patient semblait s'étendre au-delà des limites habituelles de l'ego et explorer ce que c'était que d'être d'autres êtres vivants et même d'autres objets. Par exemple, Stanislav Grof avait une patiente qui fut soudainement convaincue d'avoir pris l'identité d'un reptile préhistorique féminin. Non seulement elle donna une description richement détaillée de ce qu'elle ressentait en étant encapsulée dans une telle forme, mais elle indiqua que la partie de l'anatomie du mâle de l'espèce qu'elle trouvait la plus excitante sexuellement était une tache d'écailles colorées sur le côté de sa tête. Bien que la femme n'ait pas eu de connaissances préalables sur ce sujet, une conversation que Grof eut avec un zoologiste confirma par la suite que chez certaines espèces de reptiles, les zones colorées sur la tête jouent effectivement un rôle important en tant que déclencheurs de l'excitation sexuelle. Certains patients pouvaient également accéder à la conscience de leurs proches et de leurs ancêtres. Une femme fit l'expérience de ce qu'était sa mère à l'âge de trois ans et décrivit avec précision un événement effrayant qui avait frappé sa mère à l'époque. La femme donna également une description précise de la maison dans laquelle sa mère avait vécu ainsi que du tablier blanc qu'elle portait - tous détails que sa mère confirma plus tard en admettant qu'elle n'en avait jamais parlé auparavant. D'autres patients ont donné des descriptions tout aussi précises d'événements survenus à des ancêtres qui avaient vécu des décennies, voire des siècles auparavant. D'autres expériences ont conduit à l'accès à de souvenirs raciaux et collectifs. Des individus d'origine slave ont vécu ce que c'était que de participer aux conquêtes des hordes mongoles de Gengis Khan, de danser en transe avec les bushmen du Kalahari, de subir les rites d'initiation des aborigènes australiens et de mourir comme victimes sacrificielles des Aztèques. Et encore, les descriptions contenaient fréquemment des faits historiques obscurs et un degré de connaissance qui était souvent en contradiction totale avec l'éducation du patient, sa race et son exposition antérieure au sujet. Par exemple, un patient sans instruction a donné un compte rendu richement détaillé des techniques d'embaumement et de momification utilisées en Égypte, y compris la forme et la signification de diverses amulettes et boîtes sépulcrales, une liste des matériaux utilisés pour fixer le tissu de la momie, la taille et la forme des bandages de la momie, et d'autres facettes ésotériques des services funéraires égyptiens. D'autres individus se sont connectés aux cultures de l'Extrême-Orient et ont non seulement donné des descriptions impressionnantes de ce que c'était qu'avoir une psyché japonaise, chinoise ou tibétaine, mais ont également relaté divers enseignements taoïstes ou bouddhistes.

Auteur: Talbot Michael Coleman

Info: L'univers holographique

[ états modifiés de conscience ] [ télépathie ]

 

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couple

Le premier réceptacle de l’image de l’âme pour l’homme est pratiquement toujours la mère ; plus tard, les réceptacles qui apporteront à l’homme un reflet vivant de son anima seront les femmes qui font vibrer ses sentiments, que ce soit, d’ailleurs, indifféremment dans un sens positif ou négatif. C’est parce que la mère est le premier réceptacle de l’image de l’âme que l’émancipation du fils et la séparation d’avec la mère représentent un tournant évolutif tout aussi important que délicat, et de la plus haute portée éducative. C’est pourquoi nous trouvons déjà chez les primitifs un grand nombre de rites qui organisent les modalités de cette séparation. L’arrivée à l’âge adulte et la séparation extérieure d’avec la mère ne suffisent pas ; il faut encore toute sorte d’initiations masculines décisives très particulières, des cérémonies opérant une renaissance, pour parfaire efficacement la séparation de l’individu d’avec sa mère et, par voie de conséquence, d’avec son enfance.

Alors que le père, en protégeant l’enfant contre les dangers de la vie extérieure, devient de la sorte pour le fils un modèle de la persona, la mère constitue pour lui une sauvegarde contre les dangers qui peuvent surgir des mondes obscurs de l’âme. C’est pourquoi, dans les initiations masculines, l’initié sera instruit des choses de l’au-delà, ce qui doit le mettre en état de se passer de la protection de la mère.

L’adolescent qui grandit dans la civilisation actuelle se voit privé – en dépit de toute la primitivité qui demeure en lui – de ces mesures éducatives qui étaient au fond très remarquables. Il s’ensuit que l’anima, en jachère sous forme de l’imago de la mère, va être projetée en bloc sur la femme, ce qui va avoir pour conséquence que l’homme, dès qu’il contracte le mariage, devient enfantin, sentimental, dépendant et servile, ou, dans le cas contraire, rebelle, tyrannique, susceptible, perpétuellement préoccupé du prestige de sa prétendue supériorité virile. Cette attitude, naturellement, n’est faite que du renversement de la première. L’homme moderne n’a rien trouvé qui remplace la protection contre l’inconscient que la mère apportait, que la mère signifiait ; c’est pourquoi il modèle inconsciemment son idéal du mariage de telle sorte que sa femme soit amenée si possible à pouvoir assumer le rôle magique de la mère. Sous le couvert protecteur de l’union exclusive, il cherche au plus profond de lui-même protection auprès d’une mère, tendant dangereusement la perche à l’instinct possessif de la femme. Sa crainte et son angoisse, en face des obscurités insondables et des forces imprévisibles de l’inconscient, confèrent à la femme une puissance illégitime et soudent le ménage en une "communauté si intime" que, à force de tensions intérieures, il menace régulièrement d’éclater. A moins que l’homme, par protestation, ne prenne, en face de cette surpuissance de la femme, une attitude de contre-pied, ce qui entrainera d’ailleurs les mêmes conséquences.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Dans "La dialectique du moi et de l'inconscient"

[ conjonction des opposés ] [ androgynie psychique ] [ femmes-hommes ]

 

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prière

On peut donc regarder chaque collectivité comme disposant, en outre des moyens d’action purement matériels au sens ordinaire du mot, c’est-à-dire relevant uniquement de l’ordre corporel, d’une force d’ordre subtil constituée en quelque façon par les apports de tous ses membres passés et présents, et qui, par conséquent, est d’autant plus considérable et susceptible de produire des effets d’autant plus intenses que la collectivité est plus ancienne et se compose d’un plus grand nombre de membres ; il est d’ailleurs évident que cette considération "quantitative" indique essentiellement qu’il s’agit bien du domaine individuel, au delà duquel elle ne saurait plus aucunement intervenir. Chacun des membres pourra, lorsqu’il en aura besoin, utiliser à son profit une partie de cette force, et il lui suffira pour cela de mettre son individualité en harmonie avec l’ensemble de la collectivité dont il fait partie, résultat qu’il obtiendra en se conformant aux règles établies par celle-ci et appropriées aux diverses circonstances qui peuvent se présenter ; ainsi, si l’individu formule alors une demande, c’est en somme, de la façon la plus immédiate tout au moins, à ce qu’on pourrait appeler l’esprit de la collectivité (bien que le mot "esprit" soit assurément impropre en pareil cas, puisque, au fond, c’est seulement d’une entité psychique qu’il s’agit) que, consciemment ou non, il adressera cette demande. Cependant, il convient d’ajouter que tout ne se réduit pas uniquement à cela dans tous les cas : dans celui des collectivités appartenant à une forme traditionnelle authentique et régulière, cas qui est notamment celui des collectivités religieuses, et où l’observation des règles dont nous venons de parler consiste plus particulièrement dans l’accomplissement de certains rites, il y a en outre intervention d’un élément véritablement "non-humain", c’est-à-dire de ce que nous avons appelé proprement une influence spirituelle, mais qui doit d’ailleurs être regardée ici comme "descendant" dans le domaine individuel, et comme y exerçant son action par le moyen de la force collective dans laquelle elle prend son point d’appui. Parfois, la force dont nous venons de parler, ou plus exactement la synthèse de l’influence spirituelle avec cette force collective à laquelle elle s’"incorpore" pour ainsi dire, peut se concentrer sur un "support" d’ordre corporel, tel qu’un lieu ou un objet déterminé, qui joue le rôle d’un véritable "condensateur", et y produire des manifestations sensibles, comme celles que rapporte la Bible hébraïque au sujet de l’Arche d’Alliance et du Temple de Salomon ; on pourrait aussi citer ici comme exemples, à un degré ou à un autre, les lieux de pèlerinage, les tombeaux et les reliques des saints ou d’autres personnages vénérés par les adhérents de telle ou telle forme traditionnelle. C’est là que réside la cause principale des "miracles" qui se produisent dans les diverses religions, car ce sont là des faits dont l’existence est incontestable et ne se limite point à une religion déterminée ; il va sans dire, d’ailleurs, que, en dépit de l’idée qu’on s’en fait vulgairement, ces faits ne doivent pas être considérés comme contraires aux lois naturelles, pas plus que, à un autre point de vue, le "supra-rationnel" ne doit être pris pour de l’"irrationnel". En réalité, redisons-le encore, les influences spirituelles ont aussi leurs lois, qui, bien que d’un autre ordre que celles des forces naturelles (tant psychiques que corporelles), ne sont pas sans présenter avec elles certaines analogies ; aussi est-il possible de déterminer des circonstances particulièrement favorables à leur action, que pourront ainsi provoquer et diriger, s’ils possèdent les connaissances nécessaires à cet effet, ceux qui en sont les dispensateurs en raison des fonctions dont ils sont investis dans une organisation traditionnelle. Il importe de remarquer que les "miracles" dont il s’agit ici sont, en eux-mêmes et indépendamment de leur cause qui seule a un caractère "transcendant", des phénomènes purement physiques, perceptibles comme tels par un ou plusieurs des cinq sens externes ; de tels phénomènes sont d’ailleurs les seuls qui puissent être constatés généralement et indistinctement par toute la masse du peuple ou des "croyants" ordinaires, dont la compréhension effective ne s’étend pas au-delà des limites de la modalité corporelle de l’individualité.

Auteur: Guénon René

Info: Dans "Aperçus sur l'initiation", Éditions Traditionnelles, 1964, pages 166-168

[ grâce ] [ communion des saints ] [ mode d'action ]

 
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humanité

Notre sort passé et futur sont déterminé par six axes-clés et treize personnages qui les mirent à jour et qui en furent l’incarnation. Par ordre chronologique : Confucius, Socrate, Aristote, Paul de Tarse, Machiavel, Shakespeare, Hegel, Victor Hugo, Nietzsche, Freud, Mao, Taubes et Xi Jinping et de six axes-clés :

1° la déchirure qui traverse le sujet humain, entre ce qu’il entend faire et les tâches et les entraves que lui imposent d’une part la reproduction de l’espèce, et d’autre part son propre instinct de survie, qui s’assimile à vivre suffisamment longtemps pour s’être acquitté de ses devoirs envers la reproduction de l’espèce,

2° la Raison comme guide du comportement, petite voix intérieure autonome par rapport aux exigences des dieux que nous nous sommes inventés,

3° le devenir inéluctable, moteur constitutif de l’Histoire, mêlant les grandes forces naturelles et les actes des hommes dont ils imaginent qu’ils sont le produit de leur volonté, alors qu’ils viennent de beaucoup plus loin,

4° la capacité individuelle à infléchir le cours de l’Histoire,

5° le parcours global du genre humain qu’est l’Histoire, résultant des effets collectifs et spécifiques de l’extraordinaire éventail des particularités individuelles que l’on observe chez ses représentants, soit ce que l’on peut caractériser comme la Raison dans l’Histoire,

6° la possibilité de coordonner les comportements humains grâce à des injonctions : des rites, de la morale, des lois.

Confucius a dit que nous ne pouvons vivre ensemble sur cette Terre – vivants et morts alliés et confondus – que si le Ciel et elle vivent en bonne entente ; les hommes doivent s’intégrer dans la communauté et la communauté doit y pourvoir ; la connaissance est la voie royale vers le bonheur.

Socrate nous a appris que nous disposons d’un pouvoir supérieur à celui de ces dieux dont nous ne savons rien, c’est la voix intérieure appelée la Raison ; grâce à elle nous pouvons contrer leurs édits.

Aristote a décrit le mécanisme de la Raison ; nous l’appelons aujourd’hui la logique ; Hegel dira, à la suite de Kant, qu’Aristote a expliqué comment fonctionne la Raison "une fois pour toutes".

Paul de Tarse (Saint Paul) a mis le doigt sur la présence de deux volontés distinctes et contradictoires causant en nous une déchirure ; il fut le premier à dire que nous, humains, sommes tous les mêmes, et que l’amour, la réciprocité positive, est la valeur suprême nous permettant de vivre ensemble et heureux.

Machiavel nous a montré ce qu’un être humain peut accomplir seul pour changer le cours de l’Histoire.

Shakespeare a brossé le portrait de qui nous sommes vraiment dans nos comportements et nos motivations, en-deçà et au-delà des récits que nous aimons narrer à propos de nous-mêmes.

Pour définir la personne que nous sommes, dit Hegel, nos prédispositions ne sont rien sans les circonstances qui la feront advenir ; il y a de la Raison dans l’Histoire et la ruse à laquelle elle recourt est de venir aux hommes à leur corps défendant ; Hegel a encore dit que les seuls vrais révolutionnaires – ils sont très peu nombreux – sont ceux qui changèrent le cadre de la loi.

Victor Hugo nous a fait comprendre l’exploit accompli par Shakespeare ; il prouve quant à lui qu’ont pleinement compris le message de Paul de Tarse ceux qui, comme eux, l’on attend le moins.

Nietzsche nous révèle que l’essence du destin humain est tragédie ; une manière de hausser les épaules devant la tragédie fut la sienne : s’anesthésier ; Nietzsche a traduit Paul de Tarse de telle manière que Freud n’eut plus qu’à compléter celui-ci.

Freud a démontré que nous sommes davantage inconscients que conscients ; il nous a fait découvrir aussi que nous devenons à proprement parler humains quand notre conscience prend au sérieux ce que notre inconscient a à dire.

Mao a fait se rencontrer l’Occident et l’Orient en rapprochant leurs concepts jusque-là étrangers les uns aux autres.

De nous, Occidentaux, Taubes a tout compris : que chacun d’entre nous est un messie en puissance, héraut et annonciateur d’une Apocalypse.

Xi Jinping a désormais toutes les cartes en main.

Auteur: Jorion Paul

Info: 13 mai 2018, résumé-argument de vente pour son bouquin DÉFENSE ET ILLUSTRATION DU GENRE HUMAIN

[ historique ] [ christianisme ]

 

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croyances

Le Spectacle a besoin de recréer un milieu obscurantiste qui lui soit entièrement favorable après la débandade des religions, quelque chose comme une "structure" transcendante, un tissu spirituel de remplacement sans lequel il courrait le grand danger de se retrouver anéanti.
Il faut bien dire que, pour ma part, je vis dans une sorte d’extase éveillée depuis que naguère j’ai écrit Le XIXe siècle à travers les âges, et que maintenant je vois mon livre se continuer, s’illustrer tout seul, dans toutes ses dimensions, sans arrêt, et toujours plus brillamment, se confirmer sans cesse, au-delà de mes espérances, se grossir chaque jour de nouveaux chapitres sans que j’aie besoin de me fatiguer… Le crétinisme occulto-orientaliste new age sauce ère du Verseau venu de Californie n’est que la dernière en date des innombrables variantes de l’éternel spiritisme, le dernier marché juteux de l’abrutissement spiritualoïde, avec caissons insonorisés pour séminaires de relaxation d’où ressortent transfigurés des employés du "tertiaire" qui se répandent en cohortes par toute la terre et vont annoncer l’avènement du Millénium de l’Amour et de la Lumière.
On peut voir aussi des businessmen publier leurs réflexions croustillantes sur les "pouvoirs psychiques de l’homme" ; une grande compagnie pétrolière loue les services d’un célèbre tordeur de petites cuillères dans l’espoir de découvrir de nouveaux gisements ; la mégalomanie entrepreneuriale cherche des appuis dans le paranormal, les phénomènes extrasensoriels, la numérologie (attention au numéro de la rue où se trouve votre boîte : vous risqueriez, s’il est mal choisi, d’avoir de sérieux problèmes de trésorerie) ; des managers s’initient aux arts martiaux, au soufisme, au parachute ascensionnel, aux rites des Chevaliers de la Table Ronde, à la spéléologie mystique, au chamanisme télépathique, à la psychokinèse, aux tarots cosmiques, aux néo-cultes dionysiaques, aux croisières subliminales, à la musicothérapie (guérisons à coups de cymbales tibétaines) ; on embauche à partir du groupe sanguin, du thème astral ou de l’étude morphopsychologique.
Ce qu’il y a d’intéressant aujourd’hui, c’est que le Business se trouve lui aussi entièrement envahi par la grande escroquerie occultiste. Le nouveau couple du siècle c’est l’Entrepreneur et le Charlatan. Le requin de haute finance et le faisan numérologue.
Philippulus le Prophète et Rastapopoulos l’Arnaqueur.
Comme je comprends que les Occidentaux s’insurgent, du haut de leur "laïcité" en lambeaux, contre les obscurantismes des autres ! Comme je comprends que nous nous scandalisions à la pensée des tchadors et des ayatollahs ! Comme il est logique que nous nous alarmions de la montée de l’intégrisme islamique ou de la renaissance de l’irrationalisme en Europe centrale et en URSS, alors qu’ici, en France, une biographie d’Edgar Pœ, par exemple, peut paraître, sans faire rire personne, équipée d’une "carte du ciel" ("signe du Capricorne, ascendant Scorpion, triple influence de Saturne, Uranus et Neptune") ! Dans le cafouillage contemporain, il est d’ores et déjà redevenu presque impossible de distinguer les croyants proprement dits (intégristes, fondamentalistes et autres) de la prétendue "société laïque". De même que les terres anciennement cultivées puis abandonnées ne retournent jamais à la friche originelle mais se couvrent de ronces et deviennent "folles", de même cet univers débarrassé de ses vieilles religions réinvente à toute allure des "spiritualités" de seconde main, des dévotions ubuesques de secours qu’il semble tout à fait interdit de trouver seulement dérisoires. Le télévangélisme n’est déjà plus une part limitée de la réalité, comme on voudrait le croire en se moquant, par exemple, des télévangélistes américains ; il a vocation de se révéler, à court terme, le tout du monde. "Croyez, nous ferons le reste !" Le néo-obscurantisme qui s’étale aujourd’hui grâce aux médias est une merveilleuse technique de gouvernement. Il n’y a, en réalité, aucun "retour de la religion", comme le prétendent les maîtres du Show ou leurs esclaves, aucune "réapparition du sacré", aucune "respiritualisation", aucun "renouveau charismatique".
Ce qui s’organise, c’est la mise en scène de résidus religieux, sous leurs formes les plus délirantes si possible, par le Spectacle lui-même et au profit du Spectacle, dans le but d’entretenir ou de réactiver le noyau dur d’irrationnel, la fiction mystique vraiment consistante, sans quoi aucune communauté, aucun collectivisme, aucune solidarité ne pourraient tenir le coup très longtemps.
Le Spectacle a besoin de l’occulte et l’occulte du Spectacle. La Cordicocratie y gagne le supplément de transcendance qui lui est indispensable pour affirmer que la perfection se trouve en elle. D’où la multiplication des bouffonneries télévisées : exhibitions de "messes noires" sur les plateaux, rites vaudou pitoyables, satanismes de banlieue, débats sur les extraterrestres, interviews de "maîtres spirituels" grotesques et loqueteux…

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "L'empire du bien"

[ mythe moderne ] [ dévitalisation ] [ retour du refoulé ]

 

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homme-animal

Chaque entrée du livre est indexée à un terme (Corps, Génie, Imprévisibles, Justice) et à une question provocatrice ("Les singes savent-ils singer ?" "Les oiseaux font-ils de l'art ?" "Peut-on conduire un rat à l'infanticide ?" "Les animaux font-ils des compromis ?"), ces couplages étranges se trouvent eux-mêmes rapportés aux cas empiriques (des éléphants thaïlandais qui peignent des esquisses devant les touristes, des pingouins aux identités sexuelles multiples, des pies menteuses, des orangs-outans qui lancent leurs selles à la tête des scientifiques, des perroquets qui ne répètent pas ce que l'on voudrait…) indifféremment extraits de corpus de recherches éthologiques ou de Youtube. L'auteure ne répond pas aux questions posées en début de chaque chapitre mais au contraire nous propose de la suivre dans ses hésitations, elle donne ainsi à voir différentes situations où ces questions reçoivent d'autres réponses que celles envisagées par les scientifiques (cf. V comme Versions) ces derniers étant bien souvent incapables de les recevoir pour la double raison qu'elles échappent aux dispositifs d'établissement de la preuve mais surtout qu'ils n'attendent aucune réponse qui puisse être formulée par les animaux eux-mêmes.

Parmi la foule d'exemples qui sont avancés, je proposerais d'en extraire simplement deux d'entre eux, pas les plus drôles, dont je laisse le plaisir de la découverte aux lecteurs du livre, mais sans doute ceux qui nous (êtres humains) concernent le plus. Le premier exemple se trouve à la lettre "S comme Séparations", sous-titré de "Peut-on mettre un animal en panne ?" ; y est examiné le régime de production de preuves qui a conduit à la formulation de la théorie de l'attachement par le psychologue Harry Harlow. "Le poison de l'héritage" d'Harry Harlow tient selon Vincianne en la manière dont le laboratoire expérimental a produit les preuves d'une des plus grandes évidences sensibles que nous avons en commun avec beaucoup d'animaux : l'affection. Pour parvenir à démontrer la nécessité vitale du lien tactile, Harlow a répété avec des rates, puis avec de petits macaques rhésus, des procédures de séparations d'avec leurs petits. De là, le type de questions qu'il pose sont les suivantes : que se passe-t-il si l'on affame la mère et qu'on lui donne le choix entre se nourrir et rejoindre son petit ? Que se passe-t-il si la mère est remplacée par un mannequin en tissu ? Que se passe-t-il si le mannequin est en métal et fournit du lait ? "L'expérience de séparation ne s'arrête pas à séparer des êtres les uns des autres, elle consiste à détruire, à démembrer et, surtout à enlever. Comme si c'était le seul acte qui puisse être accompli […] Apparaît alors le véritable fil qui guide cette histoire : celui d'une routine qui s'emballe et devient folle. Séparer les mères et leurs petits, puis séparer les mères d'elles-mêmes, dans leur propre corps, enlever les ovaires, les yeux, le bulbe olfactif". Cette fois-ci rien de drôle, bien au contraire. La science expérimentale apparaît comme une machine non plus simplement "à rendre bête" mais plus littéralement comme un appareil de torture. Le fait qu'à aucun moment Harry Harlow interroge ce que les dispositifs eux-mêmes induisent, que jamais ne soit imaginé qu'ils puissent largement "causer" le désespoir qu'ils sont précisément censés permettre d'enregistrer, fait dire à l'auteure que la théorie de Harlow ne tient qu'à une chose : "un exercice systématique et aveugle de l'irresponsabilité."

Le choix de donner à lire le court texte qui suit, extrait du roman Ennemonde de Jean Giono, est une tentative de poursuivre la déambulation (et le rire) de Vinciane Despret, parce que ni l'indignation à distance ni la tristesse ne le permettent. Le pari de la forme de poíêsis qu'elle propose dans son livre étant celui de la création possible de sens entre des formes de vie, pourquoi pas donc "fabuler" avec les errants de Giono et imaginer quelles étranges compositions communes pourraient en surgir ? 

"Le tueur s'installe dans la cour de la ferme. L'animal du sacrifice est amené malgré ses cris : chose étrange, il suffit au tueur de frotter ses couteaux l'un sur l'autre pour que le cochon se taise, d'un coup. Quand c'est un bon tueur. Mais généralement c'est un bon tueur, si on l'a choisi parmi les errants. Certains fermiers font venir des bouchers de profession. Les bouchers de profession ne sont pas de bons tueurs. Les bêtes n'acceptent pas la mort qu'ils apportent ; elles acceptent celle qu'apportent les errants ; si le boucher arrive à la ferme, serait-ce en simple visite d'amitié, la porcherie, la bergerie et même l'écurie sont en émoi. L'errant arrive avec ses couteaux : tout reste calme ; il y a juste un peu de gémissements, quand le grand moment approche. Si on cherche à savoir ce qu'il y a au fond de cet étrange comportement, on s'aperçoit qu'il s'agit purement et simplement de cérémonie ; qu'on soit promis au saucisson ou à la résurrection, la mort est le moment précis où le naturel revient au galop. Or, le boucher, c'est de la technique pure, rien ne compte pour lui à part les rapports poids de chair, poids d'argent ; l'errant vient du fond des âges, il vit, bras dessus, bras dessous avec la faim. On est sûr qu'avec lui les rites seront respectés : et, de fait, tout se passe avec une rapidité, une facilité, une politesse à faire envie. Déjà la bête saigne dans le seau, comme un baril dont on a le plus simplement du monde ouvert le robinet."

Auteur: Eliçabe Rémi

Info: A propos du livre de Vinciane Despret,  "Que diraient les animaux, si... on leur posait les bonnes questions ?" Paris, La Découverte, coll. "Les Empêcheurs de penser en rond", 2012

[ éthique ] [ morale ]

 

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judaïsme

Les Juifs, dit-on, fuyant de l'île de Crète, occupèrent les dernières terres de Libye. On tire un argument de leur nom; Ida est une célèbre montagne de Crète, habitée par les Idaei, mot dont l'addition barbare d'une lettre aura fait Judaei. Quelques-uns prétendent que, sous le règne d'Isis, l'Égypte regorgeant d'un excès de population s'en déchargea sur les terres voisines, et que la migration eut pour chefs Hierosolymus et Juda. Beaucoup font des Juifs une race d'Éthiopiens, que la crainte et la haine forcèrent, sous le roi Céphée, à changer de demeures; d'autres un assemblage d'Assyriens qui, faute de champs à cultiver, s'emparèrent d'une partie de l'Égypte, puis, se rapprochant de la Syrie, se bâtirent des villes et s'approprièrent les terres des Hébreux. Il en est enfin qui leur donnent une origine illustre; selon eux, les Solymes, nation célébrée dans les chants d'Homère, fondèrent une ville, et, de leur nom, l'appelèrent Hierosolyma.
La plupart des auteurs s'accordent à dire qu'une maladie contagieuse qui couvrait tout le corps de souillure s'étant répandue en Égypte, le roi Bocchoris en demanda le remède à l'oracle d'Amon, et reçut pour réponse de purger son royaume et de transporter sur d'autres terres, comme maudits des dieux, tous les hommes infectés. On en fit la recherche, et cette foule misérable, jetée dans un désert, pleurait et s'abandonnait elle-même, lorsque Moïse, un des exilés, leur conseilla de ne rien espérer ni des dieux ni des hommes, qui les avaient également renoncés, mais de se fier à lui comme à un guide céleste, le premier qui jusque-là eût apporté quelque secours à leurs misères. Ils y consentirent, et, sans savoir où ils allaient, ils marchèrent au hasard. Mais rien ne les fatiguait autant que le manque d'eau. Tout près d'expirer, ils s'étaient jetés par terre et gisaient dans ces vastes plaines, lorsqu'ils virent un troupeau d'ânes sauvages, revenant de la pâture, gagner une roche ombragée d'arbres. Moïse les suit, et, à l'herbe qui croît sur le sol, il devine et ouvre de larges veines d'eau. Ce fut un soulagement; et, après six jours d'une marche continuelle, le septième ils chassèrent les habitants de la première terre cultivée, s'y établirent et y fondèrent leur ville et leur temple.
Moïse, pour s'assurer à jamais l'empire de cette nation, lui donna des rites nouveaux et un culte opposé à celui des autres mortels. Là est profane tout ce qui chez nous est sacré, légitime tout ce que nous tenons pour abominable. L'effigie de l'animal qui leur montra la route et les sauva de la soif est consacrée dans le sanctuaire, et ils sacrifient le bélier comme pour insulter Amon. Ils immolent aussi le boeuf, que les Égyptiens adorent sous le nom d'Apis. Ils s'abstiennent de la chair du porc, en mémoire de la lèpre qui les avait jadis infectés, et à laquelle cet animal est sujet. Des jeûnes fréquents sont un aveu de la longue faim qu'ils souffrirent autrefois, et leur pain sans levain rappelle le blé qu'ils ravirent à la hâte. S'ils consacrent le septième jour au repos, c'est, dit-on, parce qu'il termina leurs misères; séduits par l'attrait de la paresse, ils finirent par y donner aussi la septième année. Suivant d'autres, cet usage fut établi pour honorer Saturne, soit qu'ils aient reçu les principes de la religion de ces Idéens qu'on nous montre chassés avec Saturne et fondant la nation des Juifs, soit parce que, des sept astres qui règlent la destinée des mortels, celui dont l'orbe est le plus élevé et la puissance la plus énergique est l'étoile de Saturne, et que la plupart des corps célestes exercent leur action et achèvent leur course par nombres septénaires.
Ces rites, quelle qu'en soit l'origine, se défendent par leur antiquité; ils en ont de sinistres, d'infâmes, que la dépravation seule a fait prévaloir. Car tout pervers qui reniait le culte de sa patrie apportait à leur temple offrandes et tributs. La puissance des Juifs s'en accrut, fortifiée d'un esprit particulier; avec leurs frères, fidélité à toute épreuve, pitié toujours secourable; contre le reste des hommes, haine et hostilité. Ne communiquant avec les autres ni à table, ni au lit, cette nation, d'une licence de moeurs effrénée, s'abstient pourtant des femmes étrangères; entre eux, tout est permis. Ils ont institué la circoncision pour se reconnaître à ce signe. Leurs prosélytes la pratiquent comme eux, et les premiers principes qu'on leur inculque sont le mépris des dieux, le renoncement à sa patrie, l'oubli de ses parents, de ses enfants, de ses frères. Toutefois on veille à l'accroissement de la population; il est défendu de tuer aucun nouveau-né, et l'on croit immortelles les âmes de ceux qui périssent dans les combats ou les supplices. Il s'ensuit qu'on aime à procréer et qu'on s'inquiète peu de mourir. Ils tiennent des Égyptiens l'usage d'enterrer les corps au lieu de les brûler; sur les enfers, même prévoyance, mêmes idées; quant au ciel, les croyances diffèrent. L'Égypte adore beaucoup d'animaux et se taille des images; les Juifs ne conçoivent Dieu que par la pensée et n'en reconnaissent qu'un seul. Ils traitent d'impies ceux qui, avec des matières périssables, se fabriquent des dieux à la ressemblance de l'homme. Le leur est le dieu suprême, éternel, qui n'est sujet ni au changement ni à la destruction. Aussi ne souffrent-ils aucune effigie dans leurs villes, encore moins dans leurs temples. Point de statues ni pour flatter leurs rois, ni pour honorer les Césars. Du reste, comme leurs prêtres chantaient au son de la flûte et des tambours, qu'ils se couronnaient de lierre, et qu'une vigne d'or fut trouvée dans le temple, quelques-uns ont cru qu'ils adoraient Bacchus, le vainqueur de l'Orient, opinion démentie par la différence des rites; Bacchus institua des fêtes riantes et joyeuses; le culte des Juifs est bizarre et lugubre.

Auteur: Tacite

Info: Histoires, Livre V [70 après J.-C.] A. Les affaires de Judée, 5,1-13

 

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déclaration d'admiration

Chère Barbara,

Je viens juste de raccrocher. Ta voix n’est pas près de me quitter. Il y a une pépite d’or aux creux de mon oreille pour le reste de la journée. Un coup de fil, c’est une lettre sonore. Sans cet appareil, nous serions restés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, toi au Japon et moi à Bougival. Il faut savoir souffrir d’une absence, mais un petit coup de fil, comme on avale un cachet pour apaiser l’angoisse, cela ne fait pas de mal.

Ta voix m’a toujours paru s’élever vers le ciel. Ton âme est un son, une mélodie. Tes mots, par miracle, se matérialisent. Il y a cette rime que j’adore : "Notre amour aura la fierté des tours de cathédrales." Je te le jure, ta cathédrale, je la voyais, elle s’élevait dans l’air, juste devant moi. La chanson avait un pouvoir, une force incroyable pour le petit vagabond échappé de Châteauroux, elle ma ramenait toujours dans les moments les plus sombres sur l’île aux mimosas.

Toi que j’ai souvent cherché

À travers d’autres regards

Et si l’on s’était trouvé

Et qu’il ne soit pas trop tard

Pour le temps qu’il me reste à vivre

Stopperais-tu ta vie ivre

Pour venir vivre avec moi

Sur ton île aux mimosas.

J’avais comme ça, quelques phrases, sur moi, des rimes revigorantes, aussi efficaces qu’une giclée de prune.

Dis, quand reviendras-tu

Dis, au moins le sais-tu

Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère

Que tout le temps perdu ne se rattrape plus

À douze ans, j’avais l’impression d’avoir tout perdu :

Mais j’avais une maison

Avec presque pas de murs

Avec des tas de fenêtres

Et qui fera bon y être

Et que si c’est pas sûr C’est quand même peut-être

Tu te rends compte, "si c’est pas sûr, c’est quand même peut-être." Avec un truc pareil, je crois qu’on peut continuer à marcher longtemps. J’adorais le lyrisme naïf de Jacques Brel. Mais c’est ta voix qui rythmait mes fugues. Je marchais comme un forcené avec tes chansons dans ma tête. C’était mon baluchon et je t’assure que je n’avais pas besoin de walkman !

Tout à l’heure, au téléphone, j’ai deviné ta voix trembler. Tu as souvent peur qu’elle s’évanouisse comme dans ces contes où une fée capricieuse vous prête un don provisoire et fragile. Et parfois, c’est vrai qu’elle fout le camp, que tu ne peux plus chanter. Tu cesses d’être en harmonie. Quand on perd sa voix, cela provient d’une audition brouillée. Tu dois sourire : je parle comme un plombier. Mais c’est bien quand on a trop de rumeurs, de parasites à l’intérieur de soi que tout se brise, se fracture. À quinze ans, lorsque j’ai commencé à suivre des cours de comédie, je ne comprenais rien à ce que je lisais. Emmerdant. Mon professeur, Jean-Laurent Cochet, nous a conduits chez un spécialiste pour des tests de sélection auditive. Il s’appelait Alfred Tomatis. Il s’est rendu compte que j’entendais plein de sons, beaucoup plus que les autres. Cette longueur d’écoute m’empêchait d’émettre. Mon oreille gauche était moins sensible que mon oreille droite, et j’étais beaucoup trop réceptif aux sons aigus. J’étais mal réglé quoi ! Avec trop de bruits et de fureur dans le buffet. Au bout de quelques séances, j’ai pu à l’aide d’un micro me corriger, retrouver au fur et à mesure l’usage de la parole ! Il me suffisait alors de lire une seule fois un texte pour le réciter aussitôt par cœur… J’ai l’impression que tu n’es pas convaincue, que tu attribuerais tes problèmes de voix à des phénomènes magiques, des rites d’envoûtement, à la fatalité. Mais tu es une femme fatale ! Avec ta belle solitude, ta robe noire, entre le deuil et la nuit. Tu vis avec ta voix. Ce sont des rapports de couple. Elle te quitte, puis elle revient, elle revient toujours. Personne ne pourra s’immiscer entre vous. Tu vis dans une chasteté élective, retirée du monde, pour éviter que ta vois s’abîme ou… ou… qu’elle soit "emportée par la foule" qui nous roule, et qui nous fouille…etc. Tu as une vision de medium sur les êtres, au-delà des jugements, plus vive que l’instinct, une sorte d’intuition supérieure. Tu me fais penser à une mère, mais à une mère des compagnons, celle qui donne à boire et à manger à l’ouvrier d’élite pendant son tour de France. Elle ne met pas au monde, elle reçoit le voyageur.

Avec Lily Passion, tu as été cette fois enceinte d’un enfant rêvé à deux. Pendant trois ans, je t’ai assisté, presque accouchée ? Tu me demandais souvent s’il fallait garder une scène, raccourcir un dialogue, si tout cela était vraisemblable. À chaque fois, je t’ai répondu qu’il ne fallait rien jeter, tout oser car tout est jouable. François Truffaut me confiait que s’il n’avait pas assez d’argent, il trouvait un bon acteur. Si l’on ne pouvait pas s’offrir une gare avec trois mille figurants, il suffisait de lui demander de sa vie sur un quai de gare au milieu d’une foule indifférente, entre deux trains. Et le miracle s’accomplissait. Jean-Pierre Léau aurait fait économiser beaucoup d’argent à Cécil. B. De Mille.

Grâce à toi, à Lily Passion, j’ai pu m’échapper, quitter l’autoroute pour un chemin de fortune, une petite départementale oubliée, truffée de nid de poules. Pendant mois nous avons promené notre spectacle à travers toute la France. Nous étions à nouveau des gens du voyage, des baladins débarquant à grands cris sur la plage du village pour y dresser leur chapiteau. Viens voir les comédiens… Il n’y en plus de journées de tournage à respecter, seulement le bonheur d’interpréter tous les soirs notre histoire.

J’ai appris à connaître ta patience, cette forme silencieuse de la tolérance et de ton talent. Certains après-midi, devant tous ces beaux vignobles qui me faisaient de l’œil, ma nature reprenait le dessus. Je me sentais ensuite un peu coupable, j’avais peur de ne pas être à la hauteur, mais toi, quel que soit mon état, tu ne doutais jamais. Et à l’heure de la représentation, rassuré, je te rejoignais sur l’île aux mimosas.

Auteur: Depardieu Gérard

Info: Lettres volées, J.-C. Lattes 1998, pp 97-102. Alors qu'il avait partagé l’affiche avec son amie Barbara pour la pièce Lily Passion dans les années 1980

[ épistole ]

 

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philosophie

Tout le monde a une théorie sur ce qui se passe dans notre monde. Mais beaucoup sont partielles, ou fragmentaires, ou trop simples – attribuant trop d'importance au "capitalisme", au "mondialisme", à "l'opportunisme" ou aux "conséquences imprévues". Nous devons continuer à essayer de donner un sens à l'ensemble du scénario.

Commençons par quelques grandes hypothèses sur ce qui se passe. L'hypothèse de René Guénon, esquissée pour la première fois vers 1930, était que toutes les civilisations possèdent des pouvoirs spirituels et temporels et incorporent donc en quelque sorte une tension entre les deux : mais que, pour la première fois dans l'histoire, notre modernité, à partir de  1500, a placé le temporel au-dessus de l'Eternel, le matériel au-dessus du spirituel : en bref, 'l'état' au-dessus de 'l'église'.  On a vu quelques hypothèses connexes proposées en même temps : comme celle de Julien Benda selon laquelle les clercs, ou intellectuels, avaient déplacé leur préoccupation : ainsi l'immense valeur qu'ils avaient toujours attribuée aux choses non mondaines était maintenant attribuée aux choses mondaines. C'est-à-dire que les intellectuels étaient maintenant corrompus, en quelque sorte suivistes de profits sales.

Un ami américain a récemment attiré mon attention sur certains des écrits récents d'un romancier et essayiste, Paul Kingsnorth . A l'origine anticapitaliste, il se croyait à gauche, et se retrouve aujourd'hui plus ou moins à droite. Son hypothèse est que le déclin du christianisme dans notre civilisation – déclin de l'éternel et du spirituel – coïncide et a probablement été causé par la montée de ce qu'il nomme "mythe du progrès". Le progrès, c'est la conviction que le monde, ce monde, va mieux. Ce mythe est le genre de chose que nous pouvons associer à Francis Bacon ou John Stuart Mill, ou encore Bayle, Mandeville, Voltaire, Smith, Hegel, Comte, Marx - plus ou moins tout le monde des XVIIe au XIXe siècles, sauf pour des gens un peu plus pointus comme Bossuet ou Maistre, aussi pour Burke à la toute fin de sa vie. Kingsnorth construit une vision très efficace de l'histoire sur cette hypothèse, ce qui lui permet d'expliquer pourquoi gauchistes et corporatistes s'accordent si bien aujourd'hui. Tous, dit-il, veulent du progrès. Ils contribuent tous à ce qu'il appelle la Machine.

Acceptons ces deux hypothèses. Mais je dois en ajouter un troisième, qui ajoute une complication interne à la deuxième, et rend ainsi l'ensemble du scénario un peu plus dynamique. Cela peut même expliquer pourquoi il y a tant de confusion sur ce qui s'est passé. L'hypothèse est qu'il n'y a jamais eu un seul "mythe du progrès" : la puissance du mythe du progrès était qu'il contenait un contradiction interne, comme les traducteurs de Hegel ont eu l'habitude de la nommer : une division intérieure.  Deux positions rivales en désaccord sur le comment alors même qu'elles étaient d'accord sur le quoi . Le quoi étant un présupposé absolu - quelque chose de si fondamental qu'il n'a jamais été remis en question par aucune des parties. Comme c'est toujours le cas, le désaccord au premier plan détournait l'attention de l'accord plus profond qui dominait tout à l'arrière-plan.

Ce sur quoi ils étaient d'accord, c'est que des progrès se produisaient et devaient se produire . Ce sur quoi ils n'étaient pas d'accord, c'était comment cela devait se passer. Je simplifie bien sûr ici, mais simplifier un argument en deux positions est bien moins simple que de le simplifier en une position.

D'un côté il y avait l'argument selon lequel des progrès étaient en cours, que cela nous plaise ou non. Cela se produisait à travers ce qu'Adam Smith appelait la main invisible, ou ce que Samuel Johnson appelait la concaténation secrète, ce que nous appelons parfois maintenant la loi des conséquences imprévues. C'est le processus par lequel de nombreux humains, à la poursuite de leurs propres intérêts individuels, ont contribué à l'émergence d'un bien qu'aucun n'avait jamais voulu, et qu'aucun n'avait anticipé, mais qui pouvait être compris rétrospectivement.

De l'autre côté, il y avait l'argument selon lequel le progrès ne se produirait que si nous adoptions les bonnes croyances rationnelles, les bonnes vues éclairées ( iberté, égalité, fraternité, etc.), et si nous nous efforcions d'imposer au monde les politiques ou les schémas suggéré par les bonnes croyances rationnelles et les bonnes vues éclairées. Il s'agissait de mettre l'accent sur la planification plutôt que sur les conséquences imprévues : et la planification ne pouvait être efficace que si elle était effectuée par ceux au pouvoir. Ainsi, les puissants devaient être subjugués par les experts de l'illumination.

La différence entre ces deux positions est que l'une y voit un processus inconscient , l'autre y voit une impulsion consciente. Ces deux positions ont dominé le débat politique deux siècles durant : d'une part, les uns ont privilégié les marchés et l'activité privée indépendante et apparemment (mais pas réellement ou finalement) égoïste, et d'autre part, un caméralisme, un colbertisme ou un comtisme de la planification scientifique. et l'activité publique collective.

En pratique, bien sûr, les deux ont été mélangées, ont reçu des noms variés, et certaines personnes qui ont commencé d'un côté pour se retrouver de l'autre : pensez à la dérive de John Stuart Mill ou de TH Green du libéralisme au socialisme ; mais considérez également la dérive de Kingsley Amis, Paul Johnson et John Osborne dans l'autre sens. Décoller tout cela est un boulôt de dingue : il faut peut-être le laisser aux historiens qui ont la patience de le faire. Mais les historiens ont tendance à embrouiller les choses... Alors tout ça mérite quelques explications : et l'expliquer dans l'abstrait, comme je le fais ici, permet certainement d'expliquer pourquoi les libéraux ont parfois été d'un côté ou de l'autre, et pourquoi les conservateurs sont tout aussi chimériques. 

Le point de cette hypothèse est de dire que toute la politique des deux derniers siècles fut dominée par des arguments sur la question de savoir si le progrès aurait lieu dans l'observance ou dans la violation, pour ainsi dire : s'il devrait être théorisé consciemment et ensuite imposée par une politique prudente, ou si il devait survenir sans planification délibérée de telle manière que seuls les historiens ultérieurs pourraient le comprendre pleinement. Mais tout ça est terminé. Nous sommes maintenant à l'étape suivante.

Cela s'explique en partie par le fait que, comme le dit Kingsnorth, le mythe du progrès - bien qu'il ne soit pas entièrement mort - parait pratiquer ses derniers rites. Il est sans doute en difficulté depuis les années 1890, a été secoué par la Première Guerre mondiale ; mais il a subi ses chocs récents depuis les années 1970, avec la pollution, la surpopulation, la stagflation, l'ozone, le dioxyde de carbone, les prêts hypothécaires à risque, etc. Pour l'instant les mondialistes ne savent pas exactement comment concilier le cercle du désir de "progrès" (ou, du moins comment être "progressiste") tout en faisant simultanément promotion de la "durabilité". Si nous avons un mythe en ce moment c'est sûrement le mythe de la durabilité. Peut-être que les mondialistes et les localistes comme Kingsnorth constateront que, bien qu'ils soient en désaccord sur beaucoup de choses - COVID-19, par exemple - ils sont d'accord sur la durabilité.

Mais il y a quelque chose à ajouter, une quatrième hypothèse, et c'est vraiment l'hypothèse suprême. J'ai dit que pendant quelques siècles, il y avait la planification contre le laissez-faire , ou la conscience contre les conséquences imprévues - les deux essayant de trouver comment rendre le monde, ce monde, meilleur. Mais il y a autre chose. La quatrième hypothèse est que certains personnages du début du XIXe siècle entrevoyaient que les deux positions pouvaient se confondre. Hegel était l'une de ces figures ; même Marx. Il y en eut d'autres; qui sont nombreux maintenant. Fusion qui signifiait quelque chose comme ce qui suit :

Jusqu'à présent, nous avons fait l'erreur de penser que le bien peut être imposé consciemment - généralement par le biais de préceptes religieux - mais nous avons découvert, grâce à Mandeville, Smith et les économistes, que le bien peut être obtenu par des conséquences involontaires. Ce qui ne signifie cependant pas que nous devrions adopter une politique de laissez-faire : au contraire, maintenant que nous comprenons les conséquences imprévues , nous savons comment fonctionne tout le système inconscient du monde, et puisque nous savons comment intégrer notre connaissance de ceci dans notre politique, nous pouvons enfin parvenir à un ordre mondial scientifique et moral ou probant et justifié parfait.

Est-ce clair? Les Lumières écossaises ont créé l'expert empirique, qui a fusionné avec le progressiste conscient moralement assuré, pour devenir l'espoir du monde. Sans doute, la plupart d'entre nous ont abandonné les fantasmes hégéliens et marxistes de "fin de l'histoire" ou d'"émancipation", mais je pense que l'ombre de ces fantasmes a survécu et s'est achevée dans le récent majoritarisme scientifique et moral, si clairement vu depuis que le COVID-19 est arrivé dans le monde.

Si j'ai raison à propos de cette quatrième hypothèse, cela explique pourquoi nous sommes si confus. Nous ne pouvons pas donner un sens à notre situation en utilisant le vieux langage du "collectivisme" contre "l'individualisme". Le fait est qu'à notre époque post-progressiste, les experts se sentent plus justifiés que jamais pour imposer à chacun un ensemble de protocoles et de préceptes "fondés sur des preuves" et "moralement justifiés". Plus justifiés parce que combinant la connaissance de la façon dont les choses fonctionnent individuellement (par la modélisation et l'observation de processus inconscients ou de conséquences imprévues) avec la certitude sur ce qu'il est juste de faire collectivement (étant donné que les vieux fantasmes de progrès ont été modifiés par une idéologie puritaine et contraignante de durabilité et de survie, ajoutée de diversité, d'équité et d'inclusion - qui sert d'ailleurs plus d'impulsion de retenue que d'anticipation d'une émancipation du marxisme)

Ce n'est pas seulement toxique mais emmêlé. Les niveaux d'hypocrisie et d'auto-tromperie impliqués dans cela sont formidables. Les mondialistes ont une doctrine à toute épreuve dans leur politique durable qui sauve le monde, ou "durabilité". Elle est presque inattaquable, puisqu'elle s'appuie sur les plus grandes réalisations des sciences naturelles et morales. Tout ça bien sûr alimenté par une ancienne cupidité acquisitive, mais aussi par le sentiment qu'il faut offrir quelque chose en échange de leur manque de privilèges à ceux qui ont besoin d'être nivelés ; et tout ça bien sûr rend le monde meilleur, "sauve" la planète, dorant les cages des déshérités et les palais des privilégiés de la même laque d'or insensée.

Peut-être, comme l'entrevoient Guenon et Kingsnorth – également Delingpole et Hitchens – la vérité est-elle que nous devons réellement remonter à travers toute l'ère de la durabilité et l'ère du progrès jusqu'à l'ère de la foi. Certes, quelqu'un ou quelque chose doit forcer ces "élites" à se soumettre à une vision supérieure : et je pense que la seule façon de donner un sens à cela pour le moment est d'imaginer qu'une église ou un prophète ou un penseur visionnaire puisse abattre leur État - la laïcité corporate-, leur montrer que leur foi n'est qu'une idéologie servant leurs intérêts, et qu'ils doivent se soumettre à une doctrine authentiquement fondée sur la grâce,  apte à admettre la faute, l'erreur, voire le péché. Cela ne se ferait pas par des excuses publiques ou une démonstration politique hypocrite, mais en interrogeant leurs propres âmes.

Je suis pas certain que c'est ce qui arrivera, ni même que cela devrait arriver (ou que cela pourrait arriver) : mais c'est certainement le genre de chose qui doit arriver. Autrement dit, c'est le genre de chose que nous devrions imaginer arriver. Ce qui se passera sera soit du genre Oie Blanche ancienne, soit peut-être un événement inattendu style "Black Swan" (pas nécessairement une bonne chose : nous semblons trop aimer la crise en ce moment). Mais, de toute façon, une sensibilité réactionnaire semble être la seule capable de manifester une quelconque conscience de ce qui se passe.

Pour clarifier, permettez-moi d'énoncer à nouveau les quatre hypothèses sur ce phénomène :

1. A travers toutes les époques, il y a eu un équilibre entre spiritualité et  sécularisation. Dans notre modernité, la sécularité est dominante. Il n'y a que ce monde.

2. Depuis environ trois siècles, nous croyons que ce monde s'améliore et devrait s'améliorer. C'est le "mythe du progrès".

3. Il y a toujours eu des désaccords sur le progrès : certains pensaient qu'il était le fruit du hasard et de l'intérêt individuel ; d'autres pensaient qu'il ne pouvait être que le résultat d'une conception délibérée.

4. Nous ne devons pas ignorer qu'il y a eu une fusion très intelligente de ces deux positions : une fusion qui ne s'est pas évanouie avec l'évanouissement du "mythe du progrès" mais qui survit pour soutenir la politique étrange et nouvelle de ce que nous pourrions appeler le "mythe de la durabilité". Cette fusion est extrêmement condescendante et sûre d'elle-même car elle associe la certitude scientifique de ce qui s'est passé inconsciemment pour améliorer le monde à la certitude morale de ce qui devrait maintenant être fait consciemment pour améliorer le monde. Elle semble réunir individu et collectif d'une manière qui est censée rendre impossible tout renoncement.

 

Auteur: Alexander James

Info: Daily Skeptic. Quatre hypothèses sur l'élite mondiale laïque-corporatiste, 20 février 2023. Trad Mg, avec DeePL

[ état des lieux ]

 

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