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programme

Ça pourrait être cela, en fin de compte, le propre de la critique : repérer ce qui tend à rendre le roman impossible. Il y a donc la poétification de la réalité. Et aussi, en vrac : l’interdiction de se moquer ou de caricaturer (tout le monde est respectable) ; la victimocratie ; le primat des larmes et de l’émotion, mélange radioactif de résidus de gauchisme et de puritanisme ; le terrorisme du cœur ; le chantage au moi comme authenticité, comme preuve (et finalement comme œuvre : "Il me suffit d’exhiber mes blessures et d’appeler ça de l’art. reconnaissez mes blessures comme de l’art et taisez-vous !") ; le rôle épurateur des émissions dites littéraires du type "Apostrophes", leur longue mission de nettoyage éthique et de formation de nouvelles générations d’ "auteurs" consensuels ; la confusion organisée des sexes (alors qu’un bon romancier est toujours un très ferme différenciateur des sexes) ; la propagande homophile acceptée lâchement comme style de vie général ("On est tous un peu homos") ; le devenir nursery-monde du monde, l’infantilisation généralisée (devant "l’intérêt de l’enfant", qui oserait ne pas s’agenouiller ?) ; la vitesse médiatique, la sinistre vitesse liquidatrice, en opposition avec la lenteur nécessaire aux arts (à leur profond instinct de conservation) ; le modèle du racisme à toutes les sauces (invention du "sexisme" sur le moule du racisme, fabrication plus récente du "spécisme", crime consistant à voir une distinction entre les espèces) ; le refus des gens eux-mêmes, des simples gens, de n’être que des gens, leur prétention à passer pour le gratin, pour le dessus du panier, pour l’élite, leur désir d’être pris pour des people, comme on dit dans les magazines people justement, donc à perdre toute consistance romanesque […] ; la culture englobant les différentes disciplines dites artistiques et les réorientant vers une finalité résolument touristique, à l’intérieur du nouvel ordre social lui-même touristique (on vient, on paie, on regarde, on photographie, on camescopise, on approuve, on s’évacue) ; le tourisme lui-même, bien sûr, forme ultime et destructrice de la transparence planétaire, avec son choix de sites, ses cadrages, ses ravages et son accompagnement de pâtisseries romanesques luberonnaises ou vénitiennes qui ne renseignent que sur l’endroit où les auteurs ont passé leurs derniers congés payés. Et il faudrait encore ajouter la prévention généralisée, la Sécurité sociale (pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la survie triomphant de la vie), la politique des sondages en lutte contre toute attitude anti-communautaire, contre toute échappée hors des "valeurs" de la classe moyenne, contre toute imprévisibilité (donc contre l’essence du romanesque). Et ainsi de suite.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels I - Rejet de greffe", pages 5-6

[ démolition ] [ dissection du discours ]

 

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écrivain-sur-écrivain

Il vit d’abord, non loin de lui, le roi des rois, l’Agamemnon littéraire, l’archi-célèbre, l’européen romancier, Gaston Chaudesaigues*, recruteur d’argent inégalable et respecté. Seul, le gibbeux Ohnet lui dame le pion et ratisse plus d’argent encore. Mais l’auteur du Maître de Forges est un mastroquet heureux qui mélange l’eau crasseuse des bains publics à un semblant de vieille vinasse, pour le rafraîchissement des trois ou quatre millions de bourgeois centre gauche qui vont se soûler à son abreuvoir, et il n’est pas autrement considéré. […]

Il est ce qu’on appelle, dans une langue peu noble, "une horrible tapette". En 1870, il avait attaqué Gambetta, dont il raillait, le mieux qu’il pouvait, la honteuse dictature. Quand la France républicaine eut décidé de coucher avec ce gros homme, sa nature de porte-chandelle se mit à crier en lui et il fit négocier une réconciliation, s’engageant provisoirement à ne plus éditer le volume où le persiflage était consigné.

Un peu avant le 16 mai, il s’en va trouver le directeur du Correspondant, revue tout aristocratique et religieuse, comme chacun sait. Il offre un roman : Les Rois sans patrie. Le thème était celui-ci : Montrer la royauté si divine que, même en exil et dans l’indigence, les rois dépossédés ne parviennent pas à devenir de simples particuliers, qu’ils sont encore plus augustes qu’avant, et que leur couronne repousse toute seule, comme des cheveux, sur leurs fronts sublimes, par-dessus le diadème de leurs vertus. On devine l’allégresse du Correspondant !… Mais le 16 mai raté, Chaudesaigues change son prospectus, réalise exactement le contraire de ce qu’il avait annoncé, et transfère sa copie dans un journal républicain.

Toutefois, ce n’est pas un traître pur, un traître pour le plaisir, à l’instar de Beauvivier. Il lui faut de l’argent, voilà tout, un argent infini, non seulement pour contenter les plus ataviques appétits de sa nature de fastueux satrape, mais afin d’élever, dans une occidentale innocence, les enfants à profil de chameau et à toison d’astrakan, qui trahissent, par le plus complet retour au type, l’infamante origine juive de leur père.

On n’avait peut-être jamais vu, avant lui, une littérature aussi âprement boutiquière. Son récent livre, Sancho Pança sur les Pyrénées, conçu commercialement, en forme de guide cocasse, d’un débit universel, avec des réclames pour des auberges et des fictions d’étrangers sympathiques, est, au point de vue de l’art, une honte indicible.

Son talent, d’ailleurs, dont les médiocres ont fait tant de bruit, est surtout, une incontestable dextérité de copiste et de démarqueur. Ce plagiaire, à la longue chevelure, paraît avoir été formé tout exprès pour démontrer expérimentalement notre profonde ignorance de la littérature étrangère. Armé d’un incroyable et confondant toupet, voilà quinze ans qu’il copie Dickens, outrageusement. Il l’écorche, il le dépèce, il le suce, il le râcle, il en fait des jus et des potages, sans que personne y trouve à reprendre, sans qu’on paraisse seulement s’en apercevoir.

Auteur: Bloy Léon

Info: *Pseudonyme pour Alphonse Daudet, dans "Le Désespéré", Livre de poche, 1962, pages 315-318

[ vacheries ] [ résumé de l'œuvre ] [ plagiaire ]

 

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éléments biographiques

Vers 1937-1938, à la cime du triomphe des Hommes de bonne volonté, Jules Romains devait rappeler doucement à des journalistes (il l'a raconté à André Bourin dans Connaissance de Jules Romains), qu'il n'était pas seulement un romancier, et qu'entre 1922 et 1932 il avait été un des auteurs dramatiques les plus joués non seulement en France, mais en Europe . Il leur montrait une caricature d'une grande feuille satirique où la situation d u théâtre en Europe était symbolisée par un triangle avec une tête à chacun des angles : Bernard Shaw, Pirandello , Jules Romains. Jules Romains n'est pas seulement philosophe parce qu'il est agrégé de philosophie. L'unanimisme est plus qu'une école littéraire en isme, comme le romantisme, le symbolisme, le naturalisme. Il est aussi une doctrine philosophique , une vision du monde, un système de pensée fortement lié, fondement de toute son œuvre. Entre le passé, le présent, l'avenir, Jules Romains prend conscience d'un continu psychique. Il communie "avec l'âme diffuse qui relie et soutient les âmes particulières. L'individu fondu dans l'unanimisme (à quoi l'aideront le Rire et l'Aventure), se sentira devenir dieu, fuira le néant, sera assuré de survivre." (Madeleine Berry, Jules Romains.) Comme beaucoup de systèmes philosophiques l'unanimisme est né d'une illumination : celle qui embrasa l'âme du lycéen de dix-huit ans, un soir d'octobre 1903 où, avec son ami Georges Chennevière, il remontait la rue d'Amsterdam, au retour du lycée Condorcet, pour regagner l'appartement de ses parents, à Montmartre. Jules Romains est aussi un homme de science. Quand il entra à Normale Supérieure, il était déjà pourvu de sa licence ès lettres. A l'Ecole, il passa sa licence de sciences naturelles avec trois certificats : physiologie générale, histologie, botanique. Pour son mémoire d'études supérieures il choisit un sujet de biologie : L'état individu de la matière vivante. Ce mémoire familiarisait le normalien des Lettres avec le laboratoire, le microscope, la bactériologie . En outre, a confessé Jules Romains à André Bourin, il avait pour lui, "en secret, le mérite de rejoindre les préoccupations centrales de l'unanimisme. Tout problème concernant la formation de groupes, et les formes de passage, dans les deux sens, entre le groupe et l'individu, est essentiel à la pensée unanimiste". C'est avec cette idée de derrière la tête qu'il étudia des végétaux inférieurs et des colonies bactériennes, et qu'il fit des expériences sur l'autonomie du cœur de la grenouille. Plus tard, pendant cinq ans, Jules Romains faillit basculer tout à fait du côté des Sciences. Il entreprit des recherches sur la Vision extra-rétinienne et le sens paroptique. Certains animaux se dirigent sans voir. Les poissons y réussissent grâce à une particularité anatomique dite ligne latérale. Pourquoi l'homme ne posséderait-il pas un sens aussi mystérieux ? Pourquoi n'aurait-il pas été doué, à l'origine, d'un sens paroptique, qui, dans l'histoire de l'humanité, aurait précédé le sens optique ? Jules Romains essaya de rééduquer quelques aveugles. Il ne put rééduquer certains pontifes de la médecine qui dressèrent contre lui le barrage de leurs diplômes que leurs ancêtres avaient dressé contre Pasteur. Il abandonna ses recherches et reprit la plume de l'écrivain. Il publia le compte rendu de ses expériences : La vision extra-rétinienne et le sens paroptique (1920). Ces expériences seront poursuivies victorieusement par René Maublanc , qui publia ses résultats, en collaboration avec Leïla Holteroff : Une éducation paroptique. La découverte du monde visuel par une aveugle (Gallimard, 1926). Plus récemment des savants soviétiques et des savants américains confirmèrent la vérité des hypothèses de Romains. Mais, au temps où il les formulait, il se heurta à la cabale des officiels bardés de leurs peaux d'ânes. Ils l'accusèrent d'avoir monté un canular. Ils ne pouvaient pas admettre qu'ils avaient devant eux un génie universel, comme ceux de la Renaissance, et que le même homme pût écrire les Copains et faire des découvertes de laboratoire. On succombait déjà sous l'éteignoir de la spécialisation. Dans les Lettres et les Arts, il était interdit déjà d'être grand et de dépasser le gabarit du produit de série.

Auteur: Guth Paul

Info: Hommage à jules Romains

[ éloge ] [ polymathe ]

 
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coïncidences

CES MORTS QUI EN ONT SUPPLANTÉS D'AUTRES

Jean d’Ormesson, écrivain et Académicien français s’est éteint mardi. Le lendemain, c’était au tour de Johnny Hallyday de nous quitter. 

Lady Di et Mère Teresa,

Lady Di est morte un 31 août, éclipsant malgré elle le décès de son amie Mère Teresa, disparue cinq jours plus tard.

Jean Cocteau et Edith Piaf

Edith Piaf meurt le 10 octobre 1963 à Grasse, mais son ami Jean Cocteau apprend la nouvelle le lendemain. Il se se serait écrié : "C'est le bateau qui achève de couler. C'est ma dernière journée sur cette terre."  Avant de s'éteindre lui-même une demi-heure plus tard. Ce qui semble bien être un légende

Farrah Fawcett et Michael Jackson

La femme au sourire et brushing les plus célèbres des années 1970, s'est éteinte des suites d'un cancer le même jour que Michael Jackson, le 25 juin 2009, à l'âge de 62 ans. Les obsèques de l'actrice américaine ont eu lieu mardi 30 juin à Los Angeles, dans la cathédrale Notre-Dame-des-Anges. Seulement quelques dizaines d'admirateurs s'étaient réunis à l'extérieur de l'église pour un ultime hommage à l'actrice. 

De l'autre côté, Michael Jackson, fut inhumé jeudi 3 septembre au soir dans la plus stricte intimité.  

River Phoenix et Federico Fellini 

En 1993, le jeune acteur prometteur River Phoenix, 23 ans, meurt d'une overdose à la sortie d'une boîte de nuit, dont Johnny Depp est co-propriétaire, le soir d'Halloween-  Le jour précédent cette nuit tragique, le monde faisait ses adieux à l'un des plus grands et célèbres réalisateurs italiens du XXe siècle : Federico Fellini. Une mort totalement occultée par Hollywood et la presse américaine, qui se focalisent davantage sur le décès brutal de la jeune star montante. 

Ingmar Bergman et Michelangelo Antonioni

30 juillet 2007 : jour de deuil pour le septième art qui dit adieu à deux géants. Michelangelo Antonioni – cinéaste italien tourné vers la modernité et célébré pour ses films "Blow Up" ou "l'Avventura" – et Ingmar Bergman – cinéaste suédois connu pour son œuvre marquée par des questionnements sur le couple, la mort, la solitude, dont notamment "le Silence" – meurent le même jour. 

Aldous Huxley, C. S. Lewis et JFK  

Les deux écrivains sont morts le même jour, le 22 novembre 1963. Une date qui vous rappelle sûrement autre chose : celle de l'assassinat du président américain John Fitzgerald Kennedy. Non seulement les deux romanciers meurent le même jour que le président en exercice d'une des plus grandes puissances mondiales, mais ils tombent en plus sur celui dont la mort reste un des grands mystères du XXe siècle.

Prokofiev et Staline 

Le compositeur russe Sergueï Prokofiev meurt le 5 mars 1953 à Moscou, à une heure d'intervalle du dirigeant soviétique Staline. "La Pravda", journal du parti bolchévique, se concentre alors exclusivement sur la mort du "petit père des peuples" et met même... plusieurs jours avant d'annoncer celle de Prokofiev.

John Adams et Thomas Jefferson

En plus d'avoir exercé le même prestigieux et tant désiré métier, ils sont morts le même jour, à quelques heures d'intervalle. John Adams et Thomas Jefferson, les deuxième et troisième présidents des Etats-Unis, se sont suivis dans la mort le 4 juillet 1826. Le jour commun de leur décès est également celui de... la fête nationale américaine. Plus intriguant encore pour tous les adeptes des théories du complot en tout genre : le 4 juillet 1826 marque les 50 ans jour pour jour de la signature de la Déclaration d'indépendance, que John Adams et Thomas Jefferson avaient co-rédigée.

William Shakespeare et Miguel de Cervantes

Il y a également ceux qui meurent le même jour sans que ce soit le même jour. C'est le cas de William Shakespeare et Miguel de Cervantes qui meurent le 23 avril 1616... mais pas la même journée ! 

Une bizarrerie due au calendrier. L'Espagne, tout comme la France, était passée dès 1582 au calendrier grégorien (celui qui toujours en vigueur aujourd'hui), tandis que la Grande-Bretagne a conservé l'ancien calendrier (le calendrier julien) jusqu'en 1752.

En réalité, Cervantes est donc mort onze jours après Shakespeare. 

Auteur: Internet

Info: Mix de Mg, entre autres pompé sur le texte de Barbara Krief sur https://www.nouvelobs.com/

[ célébrités ] [ vedettes ] [ personnages ]

 

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diatribe anti-institutionnelle

Je sais les noms des responsables de ce qui est appelé putsch (et qui est en réalité une série coups d'État organisée en système de protection du pouvoir).

Je sais les noms des responsables du massacre de Milan du 12 décembre 1969.

Je sais les noms des responsables des massacres de Brescia et de Bologne des premiers mois de 1974.

Je sais les noms du "sommet" qui a opéré, autrement dit, soit les vieux fascistes organisateurs des coups d'État, soit les néofascistes auteurs matériels des premiers massacres, soit, enfin, les "inconnus" auteurs matériels des massacres plus récents.

Je sais les noms de ceux qui ont géré les deux différentes, et même opposées, phases de la tension : une première phase anticommuniste (Milan 1969), et une seconde phase antifasciste (Brescia et Bologne 1974).

Je sais les noms du groupe de puissants qui, avec l'aide de la Cia (et en deuxième ligne des colonels grecs et de la mafia), ont d'abord créé (du reste pauvrement en échouant) une croisade anticommuniste, pour déconsidérer 1968, et, ensuite, toujours avec l'aide et la direction de la Cia, ils se sont reconstitué une virginité antifasciste, pour rattraper le désastre du référendum.

Je sais les noms qui, entre une messe et l'autre, ont donné les moyens et ont assuré la protection politique à de vieux généraux (tenus en réserve, pour l'organisation d'un potentiel coup d'État), à des jeunes néofascistes, même à des néonazis (pour créer réellement la tension anticommuniste) et enfin aux criminels communs, jusqu'à présent, et peut-être pour toujours, sans nom (pour créer la successive tension antifasciste).

Je sais les noms des personnes sérieuses et importantes qui sont derrière des personnages comiques comme ce général de la Forestière qui passait à l'action, en héros d'opérette, à Città Ducale (pendant que les bois brûlaient), ou derrière des personnages gris et purement opérationnels comme le général Miceli.

Je sais les noms des personnes sérieuses et importantes qui sont derrière les garçons tragiques qui ont choisi les atrocités fascistes suicidaires et derrière les malfaiteurs communs, siciliens ou non, qui se sont mis à leur disposition, comme assassins et tueurs à gages.

Je sais tous ces noms et je sais aussi tous ces faits (attentats aux institutions et massacres) dont ils se sont rendus coupables.

Je sais. Mais je n'en ai pas les preuves. Je n'ai même pas d'indices.

Je sais car je suis un intellectuel, un écrivain, qui cherche à suivre tout ce qui se passe, à connaître tout ce qui s'écrit, à imaginer tout ce qu'on ne sait pas ou qu'on tait ; qui relie des faits même éloignés, qui remet ensemble les pièces désorganisées et fragmentaires d'un ensemble cohérent du cadre politique, qui rétablit la logique là où semblent régner l'arbitraire, la folie et le mystère. Tout cela fait partie de mon métier et de l'instinct de mon métier. Je crois en outre qu'il est difficile que mon "projet de roman" soit erroné, qu'il n'ait pas de rapport avec la réalité, et que ses références à des faits et personnes réelles soient inexactes. Je crois en outre que beaucoup d'autres intellectuels et romanciers savent ce que je sais moi comme intellectuel et romancier. Car la reconstruction de la vérité à propos de ce qui s'est passé en Italie après 1968 n'est finalement pas si difficile…

Probablement les journalistes et les politiciens ont même des preuves, ou au moins, des indices. Alors, le problème est celui-ci : les journalistes et les politiciens, tout en ayant sans doute des preuves et certainement des indices, ne donnent pas de noms.

À qui donc revient-il de donner ces noms ? Évidemment à celui qui a non seulement le courage nécessaire, mais en même temps n’est pas compromis dans sa relation avec le pouvoir et, en outre, par définition, n’a rien à perdre : c’est-à-dire un intellectuel.

Donc un intellectuel pourrait très bien rendre publics ces noms, mais lui n’a ni preuves ni indices.

Le pouvoir, et avec lui le monde qui, même en n’étant pas au pouvoir, entretient des rapports pratiques avec le pouvoir, a exclu les intellectuels libres – justement par la manière dont il est fait – de la possibilité d’avoir des preuves et des indices.

On pourrait m'objecter que moi, par exemple, en tant qu’intellectuel, et inventeur d’histoires, je pourrais entrer dans ce monde explicitement politique (du pouvoir ou autour du pouvoir), me compromettre avec lui, et donc jouir du droit d’avoir, avec une certaine probabilité élevée, des preuves et des indices.
Mais à pareille objection je répondrais que ceci n’est pas possible, car c’est justement à la répugnance à entrer dans un tel monde politique que s’identifie mon courage intellectuel potentiel à dire la vérité : c’est-à-dire à donner les noms.

Le courage intellectuel de la vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en Italie.

Auteur: Pasolini Pier Paolo

Info: Corriere della Sera, 14 novembre 1974. Io so

[ dénonciation publique ]

 

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censure douce

LE GONCOURT 2023 TROUBLÉ PAR UNE POLÉMIQUE AUTOUR DES "SENSITIVITY READERS"

L'auteur Kevin Lambert a fait appel à une "sensitivity reader" pour son roman, retenu dans la première sélection du Goncourt 2023. Nicolas Mathieu, décoré de ce prestigieux prix en 2018, s'est élevé contre cette pratique.

Le prix Goncourt ne s'attendait pas à une polémique en sélectionnant le roman d'un Québécois, jusqu'à ce qu'on apprenne qu'il était passé par la relecture d'une Canado-Haïtienne, pour éviter selon son auteur "certains pièges de la représentation des personnes noires".

L'un des personnages de Que notre joie demeure de Kevin Lambert, paru en août aux éditions Le Nouvel Attila et en lice pour le Goncourt 2023, est d'origine haïtienne. Pour qu'il soit le plus crédible possible, le jeune romancier de 30 ans s'est attaché les services d'une universitaire et autrice d'origine haïtienne également, Chloé Savoie-Bernard. Il la qualifie d'"amie". Elle a été rémunérée.

Ce rôle est appelé "sensitivity reader" en anglais, traduit par "démineur éditorial" ou "lecteur sensible". Chez les éditeurs nord-américains, la pratique est devenue banale. Les maisons d'édition françaises les plus renommées, en revanche, quand elles y ont recours, ne le revendiquent pas, comme si cela risquait de leur coûter des lecteurs.

"Chloé s'est assurée que je ne dise pas trop de bêtises"

Pour Kevin Lambert, c'était de l'histoire ancienne: le roman est paru dès septembre 2022 au Canada, aux éditions Héliotrope. Mais les Français l'ont découvert grâce au Nouvel Attila, qui l'a révélé sur Instagram le 4 septembre, la veille de la parution de la première sélection du Goncourt.

Propos de l'auteur rapportés par l'éditeur: "Je peux toujours me tromper. Chloé s'est assurée que je ne dise pas trop de bêtises, que je ne tombe pas dans certains pièges de la représentation des personnes noires".

"En tant que Blanc"

Vendredi sur Radio Canada, il s'est expliqué plus en détail. "Ça m'a permis de ne pas écrire que le personnage rougissait, à un moment. Parce que j'écrivais ça en tant que Blanc, un peu nono..." (neuneu, en France).

La relectrice a aussi évoqué son travail, dans le quotidien montréalais La Presse jeudi. "J'ai posé des questions à Kevin, je lui ai fait des suggestions", a précisé Chloé Savoie-Bernard. "Pas seulement sur le personnage d'origine haïtienne, mais aussi sur la structure générale du texte".

En France, l'idée qu'il faille être d'une certaine couleur de peau pour juger de la justesse de certains passages de romans divise. Le prix Goncourt 2018, Nicolas Mathieu, auteur classé à gauche, la rejette vigoureusement.

"Faire de professionnels des sensibilités, d'experts des stéréotypes, de spécialistes de ce qui s'accepte et s'ose à un moment donné la boussole de notre travail, voilà qui nous laisse pour le moins circonspect", écrivait-il sur Instagram mercredi.

Au festival littéraire Le Livre sur la place de Nancy samedi, il n'a pas voulu alimenter la polémique. "J'ai eu des échanges avec Kevin", a-t-il déclaré à l'AFP. "Et il n'y a aucune animosité entre nous, bien au contraire".

Un jeu "risqué"

Le milieu de l'édition et des lettres, en privé, s'interrogeait surtout sur les motivations du Nouvel Attila quand il a mis en avant cette relecture. "C'est peut-être un jeu de l'éditeur!", disait à l'AFP l'un des concurrents, face à quoi l'un de ses confrères était sceptique: "Ils ont créé un 'bad buzz'. Si c'est un jeu, il est risqué". "Kevin Lambert va se faire sortir de la liste du Goncourt", pariait une autre éditrice.

Si le jury a préféré récemment se préserver des polémiques en écartant les livres qui en suscitaient, deux de ses membres ont affirmé au quotidien Le Monde que rien n'était joué.

"Cette controverse n'aura aucun impact sur notre choix du lauréat", a dit l'un de ses membres, Pierre Assouline. "Nicolas Mathieu devrait se contenter d'écrire des romans (...) Laissons cette polémique. Les chiens aboient, la caravane Goncourt passe!", a abondé le secrétaire de ce jury, Philippe Claudel.

Dider Decoin, président du Goncourt, a lui aussi réagi à l'occasion du festival Le Livre sur la place de Nancy, balayant une "polémique stupide":

"Quand on est un auteur, on a le droit de faire appel à qui on veut pour relire un texte", a-t-il déclaré, comme le rapporte Le Figaro.

La position de Nicolas Mathieu a suscité une certaine sympathie de ses collègues écrivains français. "Il faut se faire confiance en tant qu'écrivain. Se documenter bien sûr, mais écouter notre imagination", disait un autre romancier de la rentrée littéraire.

La première sélection du Goncourt comprend 16 titres. Elle sera réduite le 3 octobre, avant que la liste des quatre finalistes soit révélée le 25 octobre. Le prix sera décerné le 7 novembr, au restaurant Drouant à Paris, comme le veut la tradition.

Auteur: Internet

Info: BFMTV.com, B.P. avec AFP Le 09/09/2023

[ convenable médiatique ] [ wokisme ] [ sensibilité post-coloniale ] [ pouvoir sémantique ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

transposition linguistique

La théorie de la traduction est très rarement - comment dire ? - comique. Son mode de fonctionnement est celui de l'élégie et de l'admonestation sévère. Au XXe siècle, ses grandes figures étaient Vladimir Nabokov, en exil de la Russie soviétique, attaquant des libertins comme Robert Lowell pour leurs infidélités au sens littéral ; ou Walter Benjamin, juif dans un Berlin proto-nazi, décrivant la tâche du traducteur comme un idéal impossible d'exégèse. On ne peut jamais, selon l'argument élégiaque, reproduire précisément un vers de poésie dans une autre langue. Poésie ! Tu ne peux même pas traduire "maman"... Et cet argument élégiaque a son mythe élégiaque : la Tour de Babel, où la multiplicité des langues du monde est considérée comme la punition de l'humanité - condamnée aux hurleurs, aux faux amis, aux applications de menu étrangères. Alors que l'état linguistique idéal serait la langue universelle perdue de l'Eden.

La théorie de la traduction est rarement désinvolte ou joyeuse.

Le nouveau livre de David Bellos sur la traduction contourne d'abord cette philosophie. Il décrit les dragons de la Turquie ottomane, l'invention de la traduction simultanée lors du procès de Nuremberg, les dépêches de presse, les bulles d'Astérix, les sous-titres de Bergman, etc.... Il propose une anthropologie des actes de traduction. Mais à travers cette anthropologie, c'est un projet beaucoup plus grand qui émerge. Les anciennes théories étaient élégiaques, majestueuses ; elles étaient très sévères. Bellos est pratique et vif. Il n'est pas éduqué par l'élégie. Et c'est parce qu'il est sur quelque chose de nouveau.

Bellos est professeur de français et de littérature comparée à l'université de Princeton, et également directeur du programme de traduction et de communication interculturelle de cette université (où, je dois le préciser, j'ai déjà pris la parole). Mais pour moi, il est plus intéressant en tant que traducteur de deux romanciers particulièrement grands et problématiques : le Français Georges Perec, dont l'œuvre se caractérise par un souci maniaque de la forme, et l'Albanais Ismail Kadare, dont Bellos traduit l'œuvre non pas à partir de l'original albanais, mais à partir de traductions françaises supervisées par Kadare. La double expérience de Bellos avec ces romanciers est, je pense, à l'origine de son nouveau livre, car ces expériences de traduction prouvent deux choses : Il est toujours possible de trouver des équivalents adéquats, même pour une prose maniaquement formelle, et il est également possible de trouver de tels équivalents dans une langue qui n'est pas l'original de l'œuvre. Alors que selon les tristes théories orthodoxes de la traduction, aucune de ces vérités ne devrait être vraie.

À un moment donné, Bellos cite avec une fierté légitime un petit exemple de sa propre inventivité. Dans le roman de Perec "La vie : Mode d'emploi" de Perec, un personnage se promène dans une arcade parisienne et s'arrête pour regarder les "cartes de visite humoristiques dans la vitrine d'un magasin de farces et attrapes". Dans l'original français de Perec, l'une de ces cartes est : "Adolf Hitler/Fourreur". Un fourreur est un fourreur, mais la blague de Perec est que cela ressemble aussi à la prononciation française de Führer. Donc Bellos, dans sa version anglaise, traduit à juste titre "fourreur" non pas par "furrier", mais comme ceci : "Adolf Hitler/Lieder allemand". Le nouveau jeu de mots multiphonique de Bellos est une parodie, sans aucun doute - et c'est aussi la traduction la plus précise possible.

Les conclusions que ce paradoxe exige sont, disons, déconcertantes pour le lecteur vieux jeu. Nous sommes habitués à penser que chaque personne parle une langue individuelle - sa langue maternelle - et que cette langue maternelle est une entité discrète, avec un vocabulaire manipulé par une grammaire fixe. Mais cette image, selon Bellos, ne correspond pas aux changements quotidiens de nos multiples langues, ni au désordre de notre utilisation des langues. L'ennemi philosophique profond de Bellos est ce qu'il appelle le "nomenclaturisme", "la notion que les mots sont essentiellement des noms" - une notion qui a été amplifiée dans notre ère moderne d'écriture : une conspiration de lexicographes. Cette idée fausse l'agace parce qu'elle est souvent utilisée pour soutenir l'idée que la traduction est impossible, puisque toutes les langues se composent en grande partie de mots qui n'ont pas d'équivalent unique et complet dans d'autres langues. Mais, écrit Bellos, "un terme simple comme 'tête', par exemple, ne peut être considéré comme le 'nom' d'une chose particulière. Il apparaît dans toutes sortes d'expressions". Et si aucun mot en français, par exemple, ne couvre toutes les connotations du mot "tête", sa signification "dans un usage particulier peut facilement être représentée dans une autre langue".

Cette idée fausse a toutefois une très longue histoire. Depuis que saint Jérôme a traduit la Bible en latin, le débat sur la traduction s'est dissous dans l'ineffable - la fameuse idée que chaque langue crée un monde mental essentiellement différent et que, par conséquent, toutes les traductions sont vouées à l'insuffisance philosophique. Dans la nouvelle proposition de Bellos, la traduction "présuppose au contraire... la non-pertinence de l'ineffable dans les actes de communication". En zigzaguant à travers des études de cas de bibles missionnaires ou de machines linguistiques de la guerre froide, Bellos élimine calmement cette vieille idée de l'ineffable, et ses effets malheureux.

On dit souvent, par exemple, qu'une traduction ne peut jamais être un substitut adéquat de l'original. Mais une traduction, écrit Bellos, n'essaie pas d'être identique à l'original, mais d'être comme lui. C'est pourquoi le duo conceptuel habituel de la traduction - la fidélité et le littéral - est trop maladroit. Ces idées dérivent simplement de l'anxiété déplacée qu'une traduction essaie d'être un substitut. Adolf Hitler/Fourreur ! Une traduction en anglais par "furrier" serait littéralement exacte ; ce serait cependant une ressemblance inadéquate.

En littérature, il existe un sous-ensemble connexe de cette anxiété : l'idée que le style - puisqu'il établit une relation si complexe entre la forme et le contenu - rend une œuvre d'art intraduisible. Mais là encore, cette mélancolie est mélodramatique. Il sera toujours possible, dans une traduction, de trouver de nouvelles relations entre le son et le sens qui soient d'un intérêt équivalent, voire phonétiquement identiques. Le style, comme une blague, a juste besoin de la découverte talentueuse d'équivalents. "Trouver une correspondance pour une blague et une correspondance pour un style", écrit Bellos, "sont deux exemples d'une aptitude plus générale que l'on pourrait appeler une aptitude à la correspondance de modèles".

La traduction, propose Bellos dans une déclaration sèchement explosive, plutôt que de fournir un substitut, "fournit pour une certaine communauté une correspondance acceptable pour une énonciation faite dans une langue étrangère." Ce qui rend cette correspondance acceptable variera en fonction de l'idée que se fait cette communauté des aspects d'un énoncé qui doivent être assortis de sa traduction. Après tout, "on ne peut pas s'attendre à ce qu'une traduction ressemble à sa source sur plus de quelques points précis". Une traduction ne peut donc pas être bonne ou mauvaise "à la manière d'une interrogation scolaire ou d'un relevé bancaire". Une traduction s'apparente davantage à un portrait à l'huile". Dans une traduction, comme dans toute forme d'art, la recherche est celle d'un signe équivalent.

Et pour les habitants de Londres ou de Los Angeles, ce démantèlement des mythes autour de la traduction a des implications particulières. Comme le souligne Bellos, ceux qui sont nés anglophones sont aujourd'hui une minorité de locuteurs de l'anglais : la plupart le parlent comme une deuxième langue. L'anglais est la plus grande interlangue du monde.

Je pense donc que deux perspectives peuvent être tirées de ce livre d'une inventivité éblouissante, et elles sont d'une ampleur réjouissante. Le premier concerne tous les anglophones. Google Translate, sans aucun doute, est un appareil à l'avenir prometteur. Il connaît déjà un tel succès parce que, contrairement aux traducteurs automatiques précédents, mais comme d'autres inventions de Google, il s'agit d'une machine à reconnaissance de formes. Il analyse le corpus des traductions existantes et trouve des correspondances statistiques. Je pense que les implications de ce phénomène n'ont pas encore été suffisamment explorées : des journaux mondiaux aux romans mondiaux... . . . Et cela m'a fait imaginer une deuxième perspective - limitée à un plus petit, hyper-sous-ensemble d'anglophones, les romanciers. Je suis un romancier anglophone, après tout. Je me suis dit qu'il n'y avait aucune raison pour que les traductions d'œuvres de fiction ne puissent pas être faites de manière beaucoup plus extensive dans et à partir de langues qui ne sont pas les langues d'origine de l'œuvre. Oui, j'ai commencé à caresser l'idée d'une future histoire du roman qui serait imprudemment internationale. En d'autres termes : il n'y aurait rien de mal, pensais-je, à rendre la traduction plus joyeuse. 


Auteur: Thirlwell Adam

Info: https://www.nytimes.com/2011/10/30. A propos du livre : Le côté joyeux de la traduction, Faber & Faber Ed. Texte traduit à 90% par deepl.com/translator

 

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capitalisme

Les élites ne nous sauveront pas
L’attaque, qui dure depuis quatre décennies contre nos institutions démocratiques par les grandes entreprises, les a laissé faibles et largement dysfonctionnelles. Ces institutions, qui ont renoncé à leur efficacité et à leur crédibilité pour servir les intérêts des entreprises, auraient dû être notre pare-feu. Au lieu de quoi, elles chancellent sous l’assaut.
Les syndicats sont une force du passé. La presse est transformée en industrie et suscite la méfiance. Les universités ont été purgées des chercheurs dissidents et indépendants qui critiquent le néolibéralisme et dénoncent la décomposition des institutions démocratiques et des partis politiques. La radio-télévision publique et les arts ne sont plus financés et sont laissés moribonds. Les tribunaux ont été noyautés par des juges dont la carrière juridique s’est passé à servir le pouvoir des grandes sociétés, une tendance dans les nominations qui s’est poursuivie sous Barack Obama. L’argent a remplacé le vote, ce qui explique comment quelqu’un d’aussi non qualifié comme Betsy DeVos peut s’acheter un siège dans un ministère. Le parti démocrate, plutôt que de rompre ses liens avec Wall Street et les grandes entreprises, attend naïvement en coulisse de profiter d’une débâcle de Trump.
"Le plus grand atout de Trump est un parti démocrate décadent, désemparé, narcissique, inféodé aux entreprises et belliciste, m’a dit Ralph Nader lorsque je l’ai joint au téléphone à Washington. Si la stratégie démocrate est d’attendre Godot, attendre que Trump implose, nous sommes en difficulté. Et tout ce que vous dites des démocrates, vous pouvez aussi le dire de l’AFL-CIO [le principal regroupement syndical américain, NdT]. Ils ne contrôlent pas le train."
La perte de crédibilité dans les institutions démocratiques a jeté le pays dans une crise tant existentielle qu’économique. Des dizaines de millions de gens ne font plus confiance aux tribunaux, aux universités et à la presse, qu’ils voient avec raison comme les organes des élites des grandes sociétés. Ces institutions sont traditionnellement les mécanismes par lesquels une société est capable de démasquer les mensonges des puissants, de critiquer les idéologies dominantes et de promouvoir la justice. Parce que les Américains ont été amèrement trahis par leurs institutions, le régime de Trump peut attaquer la presse comme le "parti d’opposition", menacer de couper le financement des universités, se moquer d’un juge fédéral comme d’un "soi-disant juge" et dénoncer une ordonnance d’un tribunal comme "scandaleuse".
La dégradation des institutions démocratiques est la condition préalable à la montée de régimes autoritaires ou fascistes. Cette dégradation a donné de la crédibilité à un menteur pathologique. L’administration Trump, selon un sondage de l’Emerson College, est considérée comme fiable par 49% des électeurs inscrits tandis que les médias ne sont tenus pour fiables que par 39% des électeurs inscrits. Une fois que les institutions démocratiques américaines ne fonctionnent plus, la réalité devient n’importe quelle absurdité que publie la Maison Blanche.
La plupart des règles de la démocratie ne sont pas écrites. Ces règles déterminent le comportement public et garantissent le respect des normes, des procédures et des institutions démocratiques. Le président Trump, à la grande joie de ses partisans, a rejeté cette étiquette politique et culturelle.
Hannah Arendt, dans Les origines du totalitarisme, notait que lorsque les institutions démocratiques s’effondrent, il est "plus facile d’accepter des propositions manifestement absurdes que les anciennes vérités qui sont devenues de pieuses banalités". Le bavardage des élites dirigeantes libérales ["progressistes", NdT] sur notre démocratie est lui-même une absurdité. "La vulgarité, avec son rejet cynique des normes respectées et des théories admises", écrit-elle, infecte le discours politique. Cette vulgarité est "confondue avec le courage et un nouveau style de vie".
"Il détruit un code de comportement après l’autre, dit Nader de Trump. Il est rendu si loin dans cette façon de faire sans en payer le prix. Il brise les normes de comportement – ce qu’il dit des femmes, la commercialisation de la Maison Blanche, "je suis la loi"."
Nader m’a dit qu’il ne pensait pas que le parti républicain se retournera contre Trump ou envisagera la destitution, à moins que sa présidence ne semble menacer ses chances de conserver le pouvoir aux élections de 2018. Nader voir le parti démocrate comme "trop décadent et incompétent" pour contester sérieusement Trump. L’espoir, dit-il, vient des nombreuses protestations qui ont été organisées dans les rues, devant les mairies par les membres du Congrès et sur des points chauds comme Standing Rock. Il peut aussi venir des 2.5 millions de fonctionnaires du gouvernement fédéral si un nombre significatif d’entre eux refuse de coopérer avec l’autoritarisme de Trump.
"Le nouveau président est tout à fait conscient du pouvoir détenu par les fonctionnaires civils, qui prêtent serment d’allégeance à la constitution des États-Unis, et non à un président ou à une administration", écrit Maria J. Stephan, co-auteure de Why Civil Resistance Works dans le Washington Post. "L’un des premiers actes de Trump en tant que président a été un gel général du recrutement fédéral qui touche tous les nouveaux postes et les postes existants exceptés ceux liés à l’armée, à la sécurité nationale et à la sécurité publique. Même avant l’investiture de Trump, la Chambre des représentants dominée par les Républicains a réinstauré une obscure règle de 1876 qui autoriserait le Congrès à réduire les salaires des employés fédéraux individuels. C’était un avertissement clair à ceux qui sont au service du gouvernement de garder le profil bas. Le licenciement très médiatisé par Trump du procureur général par intérim Sally Yates, qui a refusé de suivre l’interdiction d’immigration du président, a envoyé des ondes de choc dans la bureaucratie."
Un soulèvement populaire, soutenu à l’échelle nationale, d’obstruction et de non-coopération non violente est la seule arme qui reste pour sauver la république. Les élites répondront une fois qu’elles auront peur. Si nous ne leur faisons pas peur, nous échouerons.
"La résilience des institutions démocratiques a été encourageante – les tribunaux, les manifestations, dit Nader. Trump se retourne contre lui-même. Il outrage les gens dans tout le pays sur la base de la race, du genre, de la classe, de la géographie, de ses mensonges, ses fausses déclarations, son narcissisme, son manque de connaissances, sa désinvolture et son désir morbide de répondre aux insultes avec des tweets. Il n’est pas un autocrate intelligent. Il s’affaiblit chaque jour. Il permet à l’opposition d’avoir plus d’effet que d’ordinaire."
"La plupart des chefs d’État dictatoriaux s’occupent d’idéologies abstraites – la patrie et ainsi de suite, poursuit Nader. Il n’en fait pas beaucoup sur ce plan. Il attaque personnellement, vise bas sur l’échelle de la sensualité. Vous êtes un faux. Vous êtes un perdant. Vous êtes un escroc. Cela pique davantage les gens, en particulier lorsqu’il le fait en se basant sur le genre, la race et la religion. Donald Trump est ce qu’il y a de mieux pour le réveil démocratique."
Nader dit que Trump sera pourtant capable de consolider son pouvoir si nous subissons un nouvel attentat terroriste catastrophique ou s’il y a une débâcle financière. Les régimes dictatoriaux ont besoin d’une crise, qu’elle soit réelle ou fabriquée, pour justifier la suspension totale des libertés civiles et exercer un contrôle incontesté.
"S’il y a un attentat terroriste apatride sur les États-Unis, il est capable de concentrer une quantité de pouvoir dans la Maison Blanche contre les tribunaux et contre le Congrès, avertit Nader. Il fera des boucs émissaires de ceux qui s’opposent à lui. […] Cela affaiblira toute résistance et toute opposition."
La tension entre la Maison Blanche de Trump et des segments de l’establishment, y compris les tribunaux, la communauté du renseignement et le Département d’État, a été mal interprétée comme une preuve que les élites veulent éloigner Trump du pouvoir. Si les élites peuvent établir des relations avec le régime de Trump pour maximiser leurs profits et protéger leurs intérêts personnels et de classe, elles supporteront volontiers l’embarras d’avoir un démagogue dans le bureau ovale.
L’État des grandes entreprises, ou l’État profond, n’a pas non plus d’engagement à l’égard de la démocratie. Ses forces ont évidé les institutions démocratiques pour les rendre impuissantes. La différence entre le pouvoir des entreprises et le régime de Trump est que le pouvoir des entreprises a cherché à maintenir la fiction de la démocratie, y compris la déférence polie accordée en public aux institutions démocratiques. Trump a effacé cette déférence. Il a plongé le discours politique dans les égouts. Trump ne détruit pas les institutions démocratiques. Elles avaient été détruites avant qu’il entre en fonction.
Même les régimes fascistes les plus virulents ont construit des alliances fragiles avec les élites conservatrices et d’affaires traditionnelles, qui considéraient souvent les fascistes comme maladroits et grossiers.
"Nous n’avons jamais connu un régime fasciste idéologiquement pur", écrit Robert O. Paxton dans The Anatomy of Fascism. "En effet, la chose semble à peine possible. Chaque génération de chercheurs sur le fascisme a noté que les régimes reposaient sur une sorte de pacte ou d’alliance entre le parti fasciste et des forces conservatrices puissantes. Au début des années 1940, le réfugié social-démocrate Franz Neumann a soutenu dans son classique Behemoth qu’un ‘cartel’ formé du parti, de l’industrie, de l’armée et de la bureaucratie régnait sur l’Allemagne nazie, tenu ensemble uniquement par ‘le profit, le pouvoir, le prestige et, surtout, la peur’."
Les régimes fascistes et autoritaires sont gouvernés par de multiples centres de pouvoir qui sont souvent en concurrence les uns avec les autres et ouvertement antagonistes. Ces régimes, comme l’écrit Paxton, reproduisent le "principe du chef" de manière à ce qu’il "descende en cascade le long de la pyramide sociale et politique, créant une foule de petits Führer et Duce en état de guerre hobbesienne de tous contre tous."
Les petits Führer et Duce sont toujours des bouffons. Des démagogues aussi plastronnant ont consterné les élites libérales dans les années 1930. Le romancier allemand Thomas Mann a écrit dans son journal deux mois après l’arrivée des nazis au pouvoir qu’il avait assisté à une révolution "sans idées qui la fondaient, contre les idées, contre tout ce qui est plus noble, meilleur, décent, contre la liberté, la vérité et la justice". Il déplorait que la "lie commune" ait pris le pouvoir "accompagnée de la grande joie d’une bonne partie des masses". Les élites d’affaires en Allemagne n’ont peut-être pas aimé cette "lie", mais elles étaient disposées à travailler avec elle. Et nos élites d’affaires feront la même chose aujourd’hui.
Trump, un produit de la classe des milliardaires, conciliera ces intérêts privés, parallèlement à la machine de guerre, pour construire une alliance mutuellement acceptable. Les laquais au Congrès et dans les tribunaux, les marionnettes des grandes entreprises, seront, je m’y attends, pour la plupart dociles. Et si Trump est destitué, les forces réactionnaires qui cimentent l’autoritarisme en place trouveront un champion dans le vice-président Mike Pence, qui place fiévreusement des membres de la droite chrétienne dans tout le gouvernement fédéral.
"Pence est le président parfait pour les chefs républicains qui contrôlent le Congrès, dit Nader. Il est juste hors du casting principal. Il regarde la partie. Il parle de la partie. Il joue son rôle. Il a connu la partie. Ça ne les dérangerait pas si Trump quittait sa fonction subitement ou s’il devait démissionner. […]"
Nous sommes aux stades crépusculaires du coup d’État permanent des grandes entreprises entamé il y a quarante ans. Il ne nous reste pas grand-chose pour travailler. Nous ne pouvons pas faire confiance à nos élites. Nous devons nous mobiliser pour mener des actions de masse répétées et soutenues. Attendre que l’establishment décapite Trump et restaure la démocratie serait un suicide collectif.

Auteur: Hedges Chris

Info: 12 février 2017, Source Truthdig

[ Usa ] [ vingt-et-unième siècle ]

 

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philosophie

Tout le monde a une théorie sur ce qui se passe dans notre monde. Mais beaucoup sont partielles, ou fragmentaires, ou trop simples – attribuant trop d'importance au "capitalisme", au "mondialisme", à "l'opportunisme" ou aux "conséquences imprévues". Nous devons continuer à essayer de donner un sens à l'ensemble du scénario.

Commençons par quelques grandes hypothèses sur ce qui se passe. L'hypothèse de René Guénon, esquissée pour la première fois vers 1930, était que toutes les civilisations possèdent des pouvoirs spirituels et temporels et incorporent donc en quelque sorte une tension entre les deux : mais que, pour la première fois dans l'histoire, notre modernité, à partir de  1500, a placé le temporel au-dessus de l'Eternel, le matériel au-dessus du spirituel : en bref, 'l'état' au-dessus de 'l'église'.  On a vu quelques hypothèses connexes proposées en même temps : comme celle de Julien Benda selon laquelle les clercs, ou intellectuels, avaient déplacé leur préoccupation : ainsi l'immense valeur qu'ils avaient toujours attribuée aux choses non mondaines était maintenant attribuée aux choses mondaines. C'est-à-dire que les intellectuels étaient maintenant corrompus, en quelque sorte suivistes de profits sales.

Un ami américain a récemment attiré mon attention sur certains des écrits récents d'un romancier et essayiste, Paul Kingsnorth . A l'origine anticapitaliste, il se croyait à gauche, et se retrouve aujourd'hui plus ou moins à droite. Son hypothèse est que le déclin du christianisme dans notre civilisation – déclin de l'éternel et du spirituel – coïncide et a probablement été causé par la montée de ce qu'il nomme "mythe du progrès". Le progrès, c'est la conviction que le monde, ce monde, va mieux. Ce mythe est le genre de chose que nous pouvons associer à Francis Bacon ou John Stuart Mill, ou encore Bayle, Mandeville, Voltaire, Smith, Hegel, Comte, Marx - plus ou moins tout le monde des XVIIe au XIXe siècles, sauf pour des gens un peu plus pointus comme Bossuet ou Maistre, aussi pour Burke à la toute fin de sa vie. Kingsnorth construit une vision très efficace de l'histoire sur cette hypothèse, ce qui lui permet d'expliquer pourquoi gauchistes et corporatistes s'accordent si bien aujourd'hui. Tous, dit-il, veulent du progrès. Ils contribuent tous à ce qu'il appelle la Machine.

Acceptons ces deux hypothèses. Mais je dois en ajouter un troisième, qui ajoute une complication interne à la deuxième, et rend ainsi l'ensemble du scénario un peu plus dynamique. Cela peut même expliquer pourquoi il y a tant de confusion sur ce qui s'est passé. L'hypothèse est qu'il n'y a jamais eu un seul "mythe du progrès" : la puissance du mythe du progrès était qu'il contenait un contradiction interne, comme les traducteurs de Hegel ont eu l'habitude de la nommer : une division intérieure.  Deux positions rivales en désaccord sur le comment alors même qu'elles étaient d'accord sur le quoi . Le quoi étant un présupposé absolu - quelque chose de si fondamental qu'il n'a jamais été remis en question par aucune des parties. Comme c'est toujours le cas, le désaccord au premier plan détournait l'attention de l'accord plus profond qui dominait tout à l'arrière-plan.

Ce sur quoi ils étaient d'accord, c'est que des progrès se produisaient et devaient se produire . Ce sur quoi ils n'étaient pas d'accord, c'était comment cela devait se passer. Je simplifie bien sûr ici, mais simplifier un argument en deux positions est bien moins simple que de le simplifier en une position.

D'un côté il y avait l'argument selon lequel des progrès étaient en cours, que cela nous plaise ou non. Cela se produisait à travers ce qu'Adam Smith appelait la main invisible, ou ce que Samuel Johnson appelait la concaténation secrète, ce que nous appelons parfois maintenant la loi des conséquences imprévues. C'est le processus par lequel de nombreux humains, à la poursuite de leurs propres intérêts individuels, ont contribué à l'émergence d'un bien qu'aucun n'avait jamais voulu, et qu'aucun n'avait anticipé, mais qui pouvait être compris rétrospectivement.

De l'autre côté, il y avait l'argument selon lequel le progrès ne se produirait que si nous adoptions les bonnes croyances rationnelles, les bonnes vues éclairées ( iberté, égalité, fraternité, etc.), et si nous nous efforcions d'imposer au monde les politiques ou les schémas suggéré par les bonnes croyances rationnelles et les bonnes vues éclairées. Il s'agissait de mettre l'accent sur la planification plutôt que sur les conséquences imprévues : et la planification ne pouvait être efficace que si elle était effectuée par ceux au pouvoir. Ainsi, les puissants devaient être subjugués par les experts de l'illumination.

La différence entre ces deux positions est que l'une y voit un processus inconscient , l'autre y voit une impulsion consciente. Ces deux positions ont dominé le débat politique deux siècles durant : d'une part, les uns ont privilégié les marchés et l'activité privée indépendante et apparemment (mais pas réellement ou finalement) égoïste, et d'autre part, un caméralisme, un colbertisme ou un comtisme de la planification scientifique. et l'activité publique collective.

En pratique, bien sûr, les deux ont été mélangées, ont reçu des noms variés, et certaines personnes qui ont commencé d'un côté pour se retrouver de l'autre : pensez à la dérive de John Stuart Mill ou de TH Green du libéralisme au socialisme ; mais considérez également la dérive de Kingsley Amis, Paul Johnson et John Osborne dans l'autre sens. Décoller tout cela est un boulôt de dingue : il faut peut-être le laisser aux historiens qui ont la patience de le faire. Mais les historiens ont tendance à embrouiller les choses... Alors tout ça mérite quelques explications : et l'expliquer dans l'abstrait, comme je le fais ici, permet certainement d'expliquer pourquoi les libéraux ont parfois été d'un côté ou de l'autre, et pourquoi les conservateurs sont tout aussi chimériques. 

Le point de cette hypothèse est de dire que toute la politique des deux derniers siècles fut dominée par des arguments sur la question de savoir si le progrès aurait lieu dans l'observance ou dans la violation, pour ainsi dire : s'il devrait être théorisé consciemment et ensuite imposée par une politique prudente, ou si il devait survenir sans planification délibérée de telle manière que seuls les historiens ultérieurs pourraient le comprendre pleinement. Mais tout ça est terminé. Nous sommes maintenant à l'étape suivante.

Cela s'explique en partie par le fait que, comme le dit Kingsnorth, le mythe du progrès - bien qu'il ne soit pas entièrement mort - parait pratiquer ses derniers rites. Il est sans doute en difficulté depuis les années 1890, a été secoué par la Première Guerre mondiale ; mais il a subi ses chocs récents depuis les années 1970, avec la pollution, la surpopulation, la stagflation, l'ozone, le dioxyde de carbone, les prêts hypothécaires à risque, etc. Pour l'instant les mondialistes ne savent pas exactement comment concilier le cercle du désir de "progrès" (ou, du moins comment être "progressiste") tout en faisant simultanément promotion de la "durabilité". Si nous avons un mythe en ce moment c'est sûrement le mythe de la durabilité. Peut-être que les mondialistes et les localistes comme Kingsnorth constateront que, bien qu'ils soient en désaccord sur beaucoup de choses - COVID-19, par exemple - ils sont d'accord sur la durabilité.

Mais il y a quelque chose à ajouter, une quatrième hypothèse, et c'est vraiment l'hypothèse suprême. J'ai dit que pendant quelques siècles, il y avait la planification contre le laissez-faire , ou la conscience contre les conséquences imprévues - les deux essayant de trouver comment rendre le monde, ce monde, meilleur. Mais il y a autre chose. La quatrième hypothèse est que certains personnages du début du XIXe siècle entrevoyaient que les deux positions pouvaient se confondre. Hegel était l'une de ces figures ; même Marx. Il y en eut d'autres; qui sont nombreux maintenant. Fusion qui signifiait quelque chose comme ce qui suit :

Jusqu'à présent, nous avons fait l'erreur de penser que le bien peut être imposé consciemment - généralement par le biais de préceptes religieux - mais nous avons découvert, grâce à Mandeville, Smith et les économistes, que le bien peut être obtenu par des conséquences involontaires. Ce qui ne signifie cependant pas que nous devrions adopter une politique de laissez-faire : au contraire, maintenant que nous comprenons les conséquences imprévues , nous savons comment fonctionne tout le système inconscient du monde, et puisque nous savons comment intégrer notre connaissance de ceci dans notre politique, nous pouvons enfin parvenir à un ordre mondial scientifique et moral ou probant et justifié parfait.

Est-ce clair? Les Lumières écossaises ont créé l'expert empirique, qui a fusionné avec le progressiste conscient moralement assuré, pour devenir l'espoir du monde. Sans doute, la plupart d'entre nous ont abandonné les fantasmes hégéliens et marxistes de "fin de l'histoire" ou d'"émancipation", mais je pense que l'ombre de ces fantasmes a survécu et s'est achevée dans le récent majoritarisme scientifique et moral, si clairement vu depuis que le COVID-19 est arrivé dans le monde.

Si j'ai raison à propos de cette quatrième hypothèse, cela explique pourquoi nous sommes si confus. Nous ne pouvons pas donner un sens à notre situation en utilisant le vieux langage du "collectivisme" contre "l'individualisme". Le fait est qu'à notre époque post-progressiste, les experts se sentent plus justifiés que jamais pour imposer à chacun un ensemble de protocoles et de préceptes "fondés sur des preuves" et "moralement justifiés". Plus justifiés parce que combinant la connaissance de la façon dont les choses fonctionnent individuellement (par la modélisation et l'observation de processus inconscients ou de conséquences imprévues) avec la certitude sur ce qu'il est juste de faire collectivement (étant donné que les vieux fantasmes de progrès ont été modifiés par une idéologie puritaine et contraignante de durabilité et de survie, ajoutée de diversité, d'équité et d'inclusion - qui sert d'ailleurs plus d'impulsion de retenue que d'anticipation d'une émancipation du marxisme)

Ce n'est pas seulement toxique mais emmêlé. Les niveaux d'hypocrisie et d'auto-tromperie impliqués dans cela sont formidables. Les mondialistes ont une doctrine à toute épreuve dans leur politique durable qui sauve le monde, ou "durabilité". Elle est presque inattaquable, puisqu'elle s'appuie sur les plus grandes réalisations des sciences naturelles et morales. Tout ça bien sûr alimenté par une ancienne cupidité acquisitive, mais aussi par le sentiment qu'il faut offrir quelque chose en échange de leur manque de privilèges à ceux qui ont besoin d'être nivelés ; et tout ça bien sûr rend le monde meilleur, "sauve" la planète, dorant les cages des déshérités et les palais des privilégiés de la même laque d'or insensée.

Peut-être, comme l'entrevoient Guenon et Kingsnorth – également Delingpole et Hitchens – la vérité est-elle que nous devons réellement remonter à travers toute l'ère de la durabilité et l'ère du progrès jusqu'à l'ère de la foi. Certes, quelqu'un ou quelque chose doit forcer ces "élites" à se soumettre à une vision supérieure : et je pense que la seule façon de donner un sens à cela pour le moment est d'imaginer qu'une église ou un prophète ou un penseur visionnaire puisse abattre leur État - la laïcité corporate-, leur montrer que leur foi n'est qu'une idéologie servant leurs intérêts, et qu'ils doivent se soumettre à une doctrine authentiquement fondée sur la grâce,  apte à admettre la faute, l'erreur, voire le péché. Cela ne se ferait pas par des excuses publiques ou une démonstration politique hypocrite, mais en interrogeant leurs propres âmes.

Je suis pas certain que c'est ce qui arrivera, ni même que cela devrait arriver (ou que cela pourrait arriver) : mais c'est certainement le genre de chose qui doit arriver. Autrement dit, c'est le genre de chose que nous devrions imaginer arriver. Ce qui se passera sera soit du genre Oie Blanche ancienne, soit peut-être un événement inattendu style "Black Swan" (pas nécessairement une bonne chose : nous semblons trop aimer la crise en ce moment). Mais, de toute façon, une sensibilité réactionnaire semble être la seule capable de manifester une quelconque conscience de ce qui se passe.

Pour clarifier, permettez-moi d'énoncer à nouveau les quatre hypothèses sur ce phénomène :

1. A travers toutes les époques, il y a eu un équilibre entre spiritualité et  sécularisation. Dans notre modernité, la sécularité est dominante. Il n'y a que ce monde.

2. Depuis environ trois siècles, nous croyons que ce monde s'améliore et devrait s'améliorer. C'est le "mythe du progrès".

3. Il y a toujours eu des désaccords sur le progrès : certains pensaient qu'il était le fruit du hasard et de l'intérêt individuel ; d'autres pensaient qu'il ne pouvait être que le résultat d'une conception délibérée.

4. Nous ne devons pas ignorer qu'il y a eu une fusion très intelligente de ces deux positions : une fusion qui ne s'est pas évanouie avec l'évanouissement du "mythe du progrès" mais qui survit pour soutenir la politique étrange et nouvelle de ce que nous pourrions appeler le "mythe de la durabilité". Cette fusion est extrêmement condescendante et sûre d'elle-même car elle associe la certitude scientifique de ce qui s'est passé inconsciemment pour améliorer le monde à la certitude morale de ce qui devrait maintenant être fait consciemment pour améliorer le monde. Elle semble réunir individu et collectif d'une manière qui est censée rendre impossible tout renoncement.

 

Auteur: Alexander James

Info: Daily Skeptic. Quatre hypothèses sur l'élite mondiale laïque-corporatiste, 20 février 2023. Trad Mg, avec DeePL

[ état des lieux ]

 

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