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auto-évaluation

Il avait deux théories quant à l’influence de ses parents sur son choix professionnel, l’une liée à sa mère et l’autre à son père. Selon la première, il était devenu enquêteur à l’époque où, enfant, il s’efforçait de deviner dès qu’il rentrait de l’école dans quel état mental il trouverait sa mère. À force de traquer le moindre signe, il avait développé
une sensibilité exacerbée pour les indices et les expressions faciales ainsi que pour les modulations du timbre de la voix. Dès la cage d’escalier, il humait les odeurs de cuisson pour déterminer ce qu’elle avait concocté ce jour-là et en déduire si le déjeuner se terminerait par des coups. Si elle proposait un plat qu’il aimait, en général le repas se
passait bien. Si elle mettait dans son assiette quelque chose qu’il avait du mal à avaler, étrangement, ça se terminait mal. Par exemple, une odeur de poivron ou de chou farci signifiait qu’il se ferait tabasser.
Selon l’autre théorie, c’étaient les promenades avec son père, souvent le shabbat, qui avaient fait de lui un enquêteur. Surtout un jeu qu’ils s’étaient inventé. Son père disait : "Je pense voir une femme qui porte un manteau bleu", et le petit Avi, alors âgé de trois ou quatre ans, examinait la rue assis dans sa poussette jusqu’à ce qu’il trouve la femme et, le cœur battant, qu’il pointe un doigt vers elle. Au fur et à mesure qu’il grandissait, leur jeu devint plus complexe. Le père disait : "Je crois que je vois un monsieur en retard à son rendez-vous" ; le fils examinait les alentours jusqu’à dénicher l’homme pas rasé qui traversait la rue au vert ; il recevait un "Fort juste" de l’adulte très fier qui le tenait par la main et cela suffisait à le rendre heureux.

Auteur: Dror Mishani

Info: Une disparition inquiétante

[ éducation ] [ psychanalyse ]

 

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arrivée

Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime, nul ne vit le canot de bambou s’enfoncer dans la fange sacrée, mais, quelques jours plus tard, nul n’ignorait que l’homme taciturne venait du Sud et qu’il avait pour patrie un des villages infinis qui sont en amont, sur le flanc violent de la montagne, où la langue zende n’est pas contaminée par le grec et où la lèpre est rare. Ce qu’il y a de certain c’est que l’homme gris baisa la fange, monta sur la rive sans écarter (probablement sans sentir) les roseaux qui lui lacéraient la peau et se traîna, étourdi et ensanglanté, jusqu’à l’enceinte circulaire surmontée d’un tigre ou d’un cheval de pierre, autrefois couleur de feu et maintenant couleur de cendre. Cette enceinte est un temple dévoré par les incendies anciens et profané par la forêt paludéenne, dont le dieu ne reçoit pas les honneurs des hommes. L’étranger s’allongea contre le piédestal. Le soleil haut l’éveilla. Il constata sans étonnement que ses blessures s’étaient cicatrisées ; il ferma ses yeux pâles et s’endormit, non par faiblesse de la chair mais par décision de la volonté. Il savait que ce temple était le lieu requis pour son invincible dessein ; il savait que les arbres incessants n’avaient pas réussi à étrangler, en aval, les ruines d’un autre temple propice, aux dieux incendiés et morts également ; il savait que son devoir immédiat était de dormir. Vers minuit, il fut réveillé par le cri inconsolable d’un oiseau. Des traces de pieds nus, des figues et une cruche l’avertirent que les hommes de la région avaient épié respectueusement son sommeil et sollicitaient sa protection ou craignaient sa magie. Il sentit le froid de la peur et chercha dans la muraille dilapidée une niche sépulcrale et se couvrit de feuilles inconnues.



 

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: Les ruines circulaires, in Fictions

[ incipit ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

justice

Intelligence artificielle : des robots à la place des juges ?
L’intelligence artificielle va-t-elle bientôt remplacer l’humain en matière judiciaire ? Les tribunaux seront-ils confiés à des robots qui feront office de magistrats ?
Ces questions peuvent prêter à sourire. Pourtant, en France, les cours d’appel de Rennes et de Douai ont participé, d’avril à juin 2017, à une expérimentation menée par le ministère de la Justice. Une dizaine de magistrats s’étaient portés volontaires pour tester la plate-forme de la société française Predictice, qui se targue d’être capable de prévoir l’issue d’un jugement grâce à l’intelligence artificielle. L’outil, basé sur un algorithme, est déjà utilisé par des cabinets d’avocats et des directions juridiques de grandes entreprises comme Axa ou Orange.
En scannant la jurisprudence des cours d’appel et de cassation, soit des centaines de milliers de documents, le logiciel en tire des statistiques qui permettent d’établir les chances de succès d’un dossier judiciaire et d’évaluer le montant des indemnités financières en cas de divorce, licenciement, troubles de voisinage, etc.
Cependant, les essais des cours d’appel de Rennes et de Douai n’ont pas été considérés concluants.
Mais on teste un peu partout en Europe des logiciels destinés à suppléer, voire remplacer les juges dans les affaires supposées les plus simples.
Il y a quelques jours, en Belgique, parmi les pistes pour réformer la justice, les experts consultés ont là-aussi remis au ministre un rapport évoquant la "justice prédictive" et expliquant que des algorithmes bien alimentés pourraient à l’avenir rendre des décisions lors de certains contentieux. La "robotisation de la justice" permettrait notamment de faire des économies et de tendre vers une plus grande efficacité, affirment ces experts.
Le juge-machine ne ferait pas intervenir sentiments, opinions et préjugés mais serait parfaitement neutre, lit-on encore.
Et certainement terriblement inhumain, devrait-on ajouter.Intelligence artificielle : des robots à la place des juges ?

Auteur: Internet

Info: Média presse info, Société, Depauw Pierre-Alain, 4 mars 2018

[ homme-machine ] [ impartialité ]

 

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parents-enfants

Par exemple, il est difficile pour des enfants dont les parents divorcent et sont en conflit officiel, un conflit qui doit se résoudre par la remise de la garde de l’enfant à l’un ou à l’autre, de se sentir en sécurité pour utiliser de façon créatrice leur libido en société. La distance affective qu’il est nécessaire de prendre vis-à-vis des deux parents devient impossible du fait soit de leur conflit, soit du mode de garde décidé en faveur de l’un ou de l’autre. [...] On retrouve, comme symptôme de leur souffrance, des altérations de la communication du sujet avec son schéma corporel, ou encore on retrouve des troubles de par l’invalidation de la sublimation des pulsions orales et anales qui avait été mise en route par les castrations de la petite enfance, avant l’Œdipe. Ces difficultés ainsi retrouvées d’une castration œdipienne non maintenue par le modèle parental coïncident avec les conflits familiaux, dévitalisent la libido engagée dans des sublimations antérieures. Ces sublimations qui donnent valeur à l’enfant en famille et en société en accord avec la sexuation, s’étaient construites à l’époque où le parent qui donnait la castration était crédible sans conteste. Mais la séparation des parents a modifié chez l’enfant en cours de structuration et de croissance la valeur de modèle et de crédibilité de l’adulte, en tant que valeureux.

Et puis, il y a aussi, en sus de la pudeur qui est apparue dès l’époque de la différence sexuelle, mais plus encore à la castration œdipienne, une pudeur symbolique, qui joue sur le fait de se montrer ou de ne pas se montrer heureux lorsqu’on sent les parents malheureux, ou de se voir obligé à réussir, dans le seul but de consoler père ou mère de leur échec conjugal. L’enfant régresse alors, ou reste piégé dans la relation duelle pré-œdipienne qui se prolonge.

Auteur: Dolto Françoise

Info: "L'image inconsciente du corps", éditions du Seuil, 1983, page 330

[ adaptation ] [ conséquences ] [ effets ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

révélation mystique

Au-dessus de lui, vaste, s’étendait à l’infini le dôme céleste, plein d’étoiles calmes et scintillantes. Du zénith à l’horizon apparaissait la voie lactée, encore indistincte. Une nuit fraîche et calme jusqu’à l’immobilité enveloppait la terre. Les tours blanches et les coupoles dorées de la cathédrale brillaient sur le saphir du ciel. Les somptueuses fleurs d’automne des parterres autour de la maison s’étaient endormies jusqu’au matin. Le silence de la terre semblait se fondre dans celui du ciel, le mystère de la terre rejoindre celui des étoiles... Aliocha, debout, regardait et brusquement, comme fauché, il tomba à terre.

Il ne savait pas pourquoi il étreignait la terre, il ignorait pourquoi il avait irrésistiblement envie de la baiser, de la baiser, tout entière, mais il la baisait en pleurant, en sanglotant, en l’arrosant de ses larmes, et il jurait éperdument de l’aimer, de l’aimer à tout jamais. "Arrose la terre des larmes de ta joie et aime ces larmes..." ces paroles retentirent dans son âme. Pourquoi pleurait-il ? Oh, il pleurait, dans son extase, même sur ces étoiles qui scintillaient vers lui de l’infini, et il "n’avait pas honte de ce paroxysme". Comme si les fils de tous ces innombrables mondes de Dieu convergeaient d’un coup dans son âme, et elle vibrait "au contact des autres mondes". Il aurait voulu pardonner à tous et pour tout, demander pardon, oh ! pas pour lui, mais pour tous, pour tous et tout, "pour moi d’autres le font", entendit-il de nouveau retentir dans son âme. Mais d’instant en instant, il sentait plus nettement et d’une façon en quelque sorte tangible descendre dans son âme quelque chose d’aussi ferme et immuable que cette voûte céleste. Une idée prenait possession de son esprit, cette fois pour la vie et à tout jamais. Il était tombé à terre faible adolescent et il se releva ferme combattant pour toute sa vie, il en eut conscience et le sentit soudain, au moment même de son extase. Et jamais, plus jamais Aliocha ne put oublier cet instant. "Quelqu’un a visité mon âme à cette heure !" disait-il plus tard en croyant fermement à ses paroles...

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: Dans "Les Frères Karamazov", volume 2, traduction d'Elisabeth Guertik, le Cercle du bibliophile, pages 48-49

[ métanoïa ] [ renouveau ] [ rédemption ]

 
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conte spirituel

Une légende raconte qu’un jour Nârada demanda à Krishna : "Seigneur, montrez-moi Mâyâ." Quelques jours passèrent, puis Krishna emmena Nârada se promener avec lui dans un désert. Après qu’ils eurent marché pendant plusieurs kilomètres, Krishna dit : "Nârada, j’ai soif ; peux-tu aller me chercher un peu d’eau ? – J’y vais, Seigneur, je vous rapporterai de l’eau." Nârada partir. A une petite distance de là se trouvait un village ; Nârada y entra pour demander de l’eau et frappa à une porte. Une jeune fille extrêmement belle vint lui ouvrir ; à sa vue Nârada oublia tout aussitôt que son Maître attendait de l’eau, qu’il mourait peut-être de soif. Il oublia tout et lia conversation avec la jeune fille. De toute la journée il ne retourna pas vers son Maître. Le lendemain, il était revenu à cette maison et causait avec la jeune fille. Ces entretiens virent naître l’amour. Nârada demanda au père la main de la jeune fille, ils se marièrent, vécurent là et eurent des enfants. Ainsi douze années passèrent, pendant lesquelles le beau-père mourut et Nârada hérita de ses biens. Il menait, à ce qu’il semblait croire, une vie très heureuse avec sa femme et ses enfants, ses champs et son bétail. Puis il se produisit une inondation. Une nuit la rivière monta, elle passa par-dessus les berges et envahit tout le village. Des maisons s’écroulèrent, des hommes et des animaux furent emportés et noyés, tout était balayé par le courant. Nârada dut fuir. D’une main il tenait sa femme, et de l’autre deux de ses enfants, tandis qu’un autre enfant était sur ses épaules ; il essaya ainsi de traverser à gué ces terribles flots. Au bout de quelques pas, il vit que le courant était trop violent ; l’enfant qui était sur ses épaules tomba et fut emporté. Nârada poussa un cri de désespoir. En essayant de sauver cet enfant, il lâcha l’un des autres, qui disparut aussi. Enfin, sa femme, qu’il retenait de toute sa force, fut arrachée par le torrent, et lui-même fut rejeté sur la rive, sanglotant, se lamentant amèrement. Alors derrière lui se fit entendre une voix très douce : "Mon enfant, où est l’eau ? Tu es allé chercher une cruche d’eau, et je t’attends ; voilà une bonne demi-heure que tu es parti. – Une demi-heure, s’écria Nârada !" Douze années entières s’étaient écoulées dans son esprit, tandis que toutes ces scènes s’étaient passées en une demi-heure ! Et cela c’est Mâyâ.

Auteur: Vivekânanda Swâmi

Info: Dans "Jnâna-Yoga", pages 88-89

[ psychique ] [ identification ] [ définition ] [ temps relatif ]

 
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ralentissement

Le jour où la Grande Impératrice interdit le transport privé sur roues, beaucoup dirent qu’elle était folle. […] Elle avait raison, bien sûr. Les fiacres et les diligences et les calèches disparurent. Seuls ceux pour qui il était indispensable de se déplacer à plus de vingt kilomètres pouvaient monter dans un transport public sur roues. Les autres marchaient, ou chevauchaient un âne, ou, s’ils étaient riches, circulaient en chaise à porteurs. La vie se fit plus lente. Les gens devinrent moins pressés, car se presser était inutile. Les grands centres commerciaux, bancaires et industriels disparurent, ceux où tout le monde s’entassait et se poussait et s’irritait et s’insultait, et des petites boutiques et des services ouvrirent dans chaque quartier, où chaque commerçant, chaque banquier, chaque entrepreneur connaissait ses clients et la famille de ses clients. Les grands hôpitaux disparurent, ceux qui servaient à une ville entière et parfois à plusieurs villes, car un blessé ou une parturiente ne pouvait plus couvrir rapidement de grandes distances, et des petits centres médicaux ouvrirent où les gens se rendaient lentement et où chaque médecin savait qui étaient ses patients et avait le temps de causer avec eux du temps, de la crue de la rivière, des progrès des bambins, et même des maladies. Les grandes écoles disparurent, celles où les élèves étaient un numéro sur un formulaire, et chaque maître sut pourquoi ses élèves étaient comme ils étaient, et les enfants se levaient sans précipitation et marchaient en se tenant la main le long de quelques pâtés de maisons sans que personne ait besoin de les accompagner et ils arrivaient à l’heure en classe. Les gens cessèrent de prendre des tranquillisants, les maris de crier sur leurs femmes et les femmes sur leurs maris, et plus personne ne frappait les bambins. Et les rancœurs s’apaisèrent, et, au lieu de prendre une arme pour s’approprier l’argent d’autrui, les gens employèrent leur temps à d’autres choses qui n’étaient pas la haine et se mirent à travailler outre mesure puisqu’il y avait à réformer, maintenant que les véhicules véloces n’existaient plus et que les distances s’étaient allongées. Même les villes changèrent. Les villes monstrueuses dans lesquelles un homme se sentait seul ou inutile se démembrèrent et chaque quartier se sépara de l’autre et il y eut des petits centres, quasiment une ville en soi pour chacun d’entre eux, autosuffisants, avec ses écoles et ses hôpitaux et ses musées et ses marchés et pas plus de deux ou trois policiers blasés et somnolents assis au soleil, buvant une limonade avec un vieux voisin retiré des affaires. Les petites villes ne poussèrent pas et ne ressentirent pas le besoin de s’étendre et de s’agrandir, mais, le long du long chemin qui les séparait les unes des autres se fondèrent de nouvelles communes, petites également, tranquilles également, pleines de jardins et de potagers et de maisons basses et de gens qui se connaissaient et de maîtres et de médecins et de conteurs de contes et de policiers débonnaires.

Auteur: Gorodischer Angelica

Info: Kalpa impérial

[ décentralisation ] [ conte ] [ rêve ] [ utopie ] [ décroissance ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

couchant

Le soleil venait de se coucher, rouge comme braise, et il avait laissé assez de couleurs pour teindre toute la voûte du ciel qui devenait rose pâle, non seulement dans le coin où venait de disparaître le globe incandescent, mais sur toute son étendue. En même temps, l’eau du lac Duvsjoe s’assombrissait et prenait l’aspect d’une glace sans tain sous les montagnes escarpées qui l’encadraient, et sur cet espace noir couraient des traînées de sang vermeil et d’or luisant.
C’était une de ces nuits où la Terre ne semble pas valoir un regard ; seuls, le ciel et l’eau qui reflète le ciel méritent d’être contemplés.
Mais tout en admirant cette splendeur, Jan commença à se demander une chose : se trompait-il ou la voûte céleste ne s’était-elle pas mise à baisser? À ses yeux du moins, elle paraissait s’être rapprochée de la terre.
Oui, certes, il se passait quelque chose d’anormal. Il était certain que la vaste calotte rose pâle du ciel descendait vers la terre. En même temps, la température torride et suffocante augmentait. Déjà, il se sentait atteint par la chaleur qui tombait de la voûte en fusion.
Jan avait souvent entendu parler de la fin du monde, mais il s’était toujours figuré qu’elle se manifesterait par un orage terrible et un tremblement de terre qui jetterait les montagnes dans les mers et ferait déborder l’eau des lacs et, inondant les vallées et les plaines, de manière à faire périr tout être vivant. Il n’avait pas pensé que la fin pourrait se produire parce que le ciel viendrait couvrir et écraser la terre, faisant mourir les gens d’étouffement. Cette forme de mort était pire que toute autre.
Il déposa sa pipe, bien qu’elle ne fut qu’à moitié consumée, mais demeura assis. Que faire d’autre ? On n’était pas en présence d’un danger qu’on pût écarter ; on ne pouvait se défendre avec une arme, ni échapper en se blottissant au fond d’un abri. Eût-on épuisé tous les lacs et les mers, leur eau n’aurait pas suffi pour éteindre l’embrasement de la voûte céleste. Eût-on pu déraciner les montagnes et les dresser comme des étais, elles n’auraient pas été capables de supporter le poids écrasant de cette lourde voûte, du moment qu’elle devait tomber.
Ce qui était surprenant, c’est que Jan fût le seul à remarquer les signes de la catastrophe.
Mais qu’était-ce donc qui s’élevait là-bas au-dessus de la crête boisée en face ? Une multitude de points noirs apparaissaient, se détachant sur le fond clair des nuages de fumée. Ces points se déplaçaient très vite, à peu près comme des abeilles en train d’essaimer.
C’était évidemment des oiseaux qui, chose étrange, s’étaient envolés de leur gîte de nuit. Plus perspicaces que les hommes, ils avaient senti que quelque péril les menaçait.
La nuit n’apportait cette fois aucune fraîcheur, il faisait au contraire de plus en plus chaud. Il fallait bien s’y attendre puisque la voûte ardente s’abaissait de plus en plus. Il semblait à Jan qu’elle allait toucher le sommet de la hauteur de Snipa.

Auteur: Lagerlöf Selma

Info: Dans "L'empereur du Portugal"

[ apocalyptique ] [ angoisse ] [ homme-univers ] [ crépuscule ]

 

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évolution moderne

Il n’est que trop évident qu’il y a actuellement deux religions dans l’Église : d’une part la religion catholique, dont les enjeux sont célestes – le salut éternel –, et d’autre part une religion séculière très proche d’elle sur le plan moral – la religion des droits de l’homme ou religion humanitaire –, dont les préoccupations sont exclusivement terrestres.

Pendant plus de mille ans religion identitaire des Européens, puis étendu par eux à travers le monde, le christianisme s’est aujourd’hui jeté tête baissée dans un délire universaliste qui se marque notamment par l’injonction adressée par le pape aux pays d’Europe d’accueillir sans limite sur leur territoire toute l’immigration illégale en provenance de l’Afrique et de l’Asie, ainsi que par une bienveillance chrétienne envers l’islam qui tranche avec une traditionnelle volonté de résistance aux entreprises conquérantes musulmanes, voire de reconquête sur l’islam des régions où était né le christianisme et dont s’étaient emparés les conquérants arabes. En faisant de l’universalisme sa seule raison d’être, le christianisme tend à apparaître comme un doublon de la religion des droits de l’homme.

Cette actuelle obsession universaliste du christianisme n’est effectivement pas sans évoquer Marcion, prédicateur gnostique du IIe siècle qui avait complètement trahi le christianisme en prétendant l’arracher à ses racines juives. Pour Marcion, le Dieu de la Bible – qu’il appelle le Dieu juste – est une divinité subalterne et grossière qui a créé un monde raté et instauré une justice impitoyable. Au dessus de lui est un Dieu suprême caché – le Dieu bon – qui s’est rendu visible en la personne de Jésus pour libérer les hommes du Dieu de la Bible. Rejetant radicalement le Dieu juste et ne voulant connaître que le Dieu bon, Marcion invitait ses disciples à faire table rase de la Bible et du passé juif pour ne garder que le message d’amour de l’Évangile dans une version au demeurant largement falsifiée. En rejetant le Dieu juste et l’Ancien Testament, Marcion rejetait non seulement la justice, l’ordre social, le mariage, la famille, mais encore l’idée de nation.

Aujourd’hui, en prétendant présenter exclusivement le christianisme comme un universalisme abstrait, l’Église adopte une démarche marcionite qui arrache au christianisme son substrat biblique, lequel légitime les identités particulières. Car le christianisme, du fait qu’il est né d’une religion nationale – le judaïsme – et que ses perspectives sont célestes et non terrestres, a pu aisément, en dépit de son ambition de s’adresser à la généralité humaine, jouer le rôle d’une religion particulière pour les peuples qui se réclamaient de lui. Au lieu de quoi, en ne voulant connaître du christianisme que son appel à la fraternité universelle, on nie la réalité du christianisme comme symbiose entre l’Évangile et la Bible. Prendre dans le Nouveau Testament une idée ou une valeur en la coupant de l’Ancien Testament revient à faire du Marcion. Cette idée ou cette valeur n’est alors plus chrétienne : elle est marcionite, elle est gnostique. Il y a manifestement quelque chose de marcionite dans les prises de position immigrationnistes de l’Église catholique.

Auteur: Harouel Jean-Louis

Info: Interview 2017

[ coupure historique ] [ gnosticisme ] [ théologie ]

 

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idiomes en action

À notre première prise de contact, vous avez dit très clairement que vous ne souhaitiez pas répondre à des questions préparées à l’avance et que vous ne vouliez pas "que l’on retouche le texte", qui doit rester tel que vous l’aurez produit. Pourquoi cette insistance, cet attachement à la lettre dite ?

 On m’a souvent dit qu’à travers les transcriptions fidèles on entendait ma voix, ma prosodie. Le texte, c’est finalement une texture, c’est quelque chose de beaucoup plus compliqué que du linéaire. Dans la Lettre à Hérodote, Épicure parle de συμπλοκή à propos des atomes, ce qui a été traduit en anglais par interlace, "entrelacer". C’est vraiment ce genre de choses. De même que Marcel Mauss, le spécialiste du don, de l’échange, parle du fait social comme d’un "échange total", je dirais que les faits de langage, l’activité de langage, c’est une activité totale, qui est à la fois un travail d’interlocution et un travail d’intersubjectivité. Voyez l’exemple très simple, et totalement ignoré, de la formation du conditionnel, qui est une forme du fictif par excellence. Vous avez d’un côté l’infinitif, venir, ensuite il y a le verbe avoir, puisque ça vient de habebat, et puis vous avez l’imparfait ou le prétérit. On part d’une base, l’infinitif, qui n’est pas implanté, pas situé. Ensuite, le verbe avoir introduit un hiatus. Puis il y a une forme qui permet l’insertion, et c’est là qu’on a la deuxième personne (fig 1).

(Il rédige la phrase "j'ai une lettre à poster" et souligne 2 fois le à.)

Il y a des gens qui ne comprennent pas pourquoi je fais tant d’étymologies. Ce n’est pas parce que je veux imiter tel ou tel philosophe, mais tout simplement parce que le travail philologique est un travail qui vous fait remonter vers des vestiges. Lorsqu’on trouve un bout d’os dans un désert, on ne s’étonne pas qu’on nous explique tout ce qu’il permet de montrer : la philologie, c’est ça. Par exemple, pour des germanistes, je n’ai jamais vu personne s’étonner du fait qu’en allemand, schier signifie d’un côté purabsolu, et de l’autre, presque. Pour en rendre compte, vous ne pouvez pas avoir une théorie scalaire où vous avez une échelle, il faut une théorie vectorielle, c’est-à-dire que ça projette. Et là-dessus il suffit de lire ce que Jankélévitch a écrit sur les travaux de Georg Simmel* et de voir qu’il y a toujours un mouvement au-delà, et quand il n’y a pas de mouvement au-delà, c’est qu’il y a le [ne…] plus, c’est fini. Vous savez comment on dit exister en suédois ou en norvégien ? Vous prenez le verbe être, en suédois c’est vara (le Wesen de l’allemand bien sûr), et puis vous ajoutez til, qui veut dire dans un cas comme ça "quelque chose de plus", ça vous projette en avant, c’est ce que vous trouvez aussi dans le mot Ziel en allemand. Tout ça, il faut le sortir, sinon on n’y pense pas. Nous sommes totalement non conscients de notre activité mentale, et en un sens c’est une bonne chose. Si les hommes, homo sapiens, et même sapiens sapiens, s’étaient brusquement dit "je vais faire de la linguistique", ils étaient fichus. Ils n’auraient jamais plus parlé. 

Auteur: Culioli Antoine

Info: https://journals.openedition.org, 35, 2012, "Toute théorie doit être modeste et inquiète" Entretien avec Almuth Grésillon et Jean-Louis Lebrave. *Georg Simmel, La Tragédie de la culture et autres essais, Introduction de Vladimir Jankélévitch,

[ avenir inclus ] [ futur intégré ]

 

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