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éthique

Puisque l’homme instrumentalisé est neutre [...], il reste [...] insouciant dans l’acte même de travailler : il s’ "abandonne" à son travail. Il espère que cela "continuera" à tout prix, sans qu’il ait à devenir responsable de ce qu’il fait.

Puisque ses activités ne s’achèvent jamais dans une véritable finalité qui leur aurait d’abord été "extérieure" mais ne prennent fin que pour des raisons qui n’ont jamais qu’un rapport contingent avec ce qu’il fait, il n’entretient pas de véritable rapport avec l’avenir. [...]

Puisqu’il est habitué à exercer une activité qui ne requiert aucune conscience morale – et qu’on ne souhaite d’ailleurs pas qu’il en ait – il n’a pas de conscience morale. Et ce avec la meilleure conscience du monde. [...]

Puisqu’il est également convaincu que tout produit reste "moralement neutre", affirmer qu’il existe un produit absolument immoral, pour la production duquel tout un monde sui generis a même été mis en place, ne peut lui apparaître que comme une sottise.

Bref, tous les éléments de l’existence instrumentalisée convergent pour empêcher l’homme de comprendre ce qu’est vraiment la bombe. C’est ainsi qu’il s’achemine vers sa fin, fébrile et indolent à la fois, sans même comprendre ce que signifie le mot "fin".

Auteur: Anders Günther Stern

Info: Dans "L'obsolescence de l'homme", trad. de l'allemand par Christophe David, éditions Ivrea, Paris, 2002, pages 326-327

[ employés ] [ salariés ] [ déresponsabilisation ] [ mauvaise foi ] [ aveuglement ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

vie quotidienne

Lorsqu’un homme a exercé la même profession pendant des années, il a perdu la notion du temps. Même si sa journée de travail se limite à huit heures de présence, elle ne s’achève pas quand la maîtrise siffle l’heure de la sortie. Il faut encore y ajouter la durée du trajet entre sa boîte et chez soi, sans oublier les longues minutes qu’on va devoir consacrer à manger, à se laver, à s’acheter de nouveaux vêtements, ou une voiture, à remplacer ses pneus, ou sa batterie, à payer ses impôts, à copuler, à recevoir des amis, à se soigner, à se remettre d’un accident, à faire sa lessive, à éviter de se faire voler, à s’inquiéter de la météo, à dormir, à faire des insomnies, et je laisse de côté toutes ces choses dont la décence nous interdit de parler, BREF l’être humain n’aura au bout du bout que TRES PEU DE TEMPS à se consacrer. Il arrive même que les heures supplémentaires le privent de quelques-unes de ces tâches de première nécessité, comme de baiser. Bordel de merde ! Et ce genre d’existence vous bouffe six jours de la semaine et, comme le dimanche, vous êtes censé fréquenter l’église ou manger en famille, parfois les deux, parlez d’un rêve éveillé !

Auteur: Bukowski Charles

Info: Dans "Un carnet taché de vin", page 212

[ salariat ] [ collectif-personnel ] [ routine ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

déclaration d'amour

O mon jardin d’eau fraîche et d’ombre
Ma danse d’être mon cœur sombre
Mon ciel des étoiles sans nombre
Ma barque au loin douce à ramer
Heureux celui qui devient sourd
Au chant s’il n’est de son amour
Aveugle au jour d’après son jour
Ses yeux sur toi seule fermés
Heureux celui qui meurt d’aimer
Heureux celui qui meurt d’aimer

D’aimer si fort ses lèvres closes
Qu’il n’ait besoin de nulle chose
Hormis le souvenir des roses
A jamais de toi parfumées
Celui qui meurt même à douleur
A qui sans toi le monde est leurre
Et n’en retient que tes couleurs
Il lui suffit qu’il t’ait nommée

Heureux celui qui meurt d’aimer
Heureux celui qui meurt d’aimer

Mon enfant dit-il ma chère âme
Le temps de te connaître ô femme
L’éternité n’est qu’une pâme
Au feu dont je suis consumé
Il a dit ô femme et qu’il taise
Le nom qui ressemble à la braise
A la bouche rouge à la fraise
A jamais dans ses dents formée

Heureux celui qui meurt d’aimer
Heureux celui qui meurt d’aimer

Il a dit ô femme et s’achève
Ainsi la vie, ainsi le rêve
Et soit sur la place de grève
Ou dans le lit accoutumé
Jeunes amants vous dont c’est l’âge
Entre la ronde et le voyage
Fou s’épargnant qui se croit sage
Criez à qui vous veut blâmer

Heureux celui qui meurt d’aimer
Heureux celui qui meurt d’aimer

Auteur: Aragon Louis

Info:

[ couple ] [ poème ]

 

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manifestation divine

[…] la parole est relative à la vérité, alors que l’image est relative à la réalité. L’Incarnation, c’est le point, le seul, de l’histoire terrestre où la vérité rejoint la réalité, où elle pénètre totalement cette réalité, où elle la change, de ce fait, dans ses racines. C’est le point où la réalité cesse d’être le détournement du vrai, où la vérité cesse d’être le jugement mortel sur le réel. A ce moment la Parole peut être vue. La vision peut être crue […]. Ce qui, normalement, n’a aucune force de vérité (l’image) en reçoit une quand c’est Jésus-Christ, l’image du Dieu vivant. Voilà pourquoi Jean insiste tellement sur la vue, c’est la pénétration du réel par la vérité. Mais ceci est temporaire. Le temps de l’Incarnation. L’Incarnation finie, les deux ordres se séparent. "Bientôt, vous ne me verrez plus." A ce moment, nous retombons dans notre infirmité, notre condition d’homme où le réel n’est pas le vrai. C’est pourquoi l’Evangile de Jean s’achève sur l’histoire de Thomas, qui a besoin de voir pour croire. Avec l’Incarnation, cette possibilité est achevée. "Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru." Nous revenons à la nécessité de croire sur parole, seule la parole de ceux qui ont vu, qui ont pu attester qu’en effet la vérité a pénétré la réalité, subsiste, et seule la parole est de nouveau l’expression de la vérité. La vue sera maintenant relative à la réalité seule.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, pages 126-127

[ signification ] [ christianisme ] [ temps anhistorique ] [ interprétation ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

subversion

Jung, par exemple, n’a certes pas ramené les figures du mythe sexuel à de simples fantaisies et inventions poétiques, il a même pressenti en elles la dramatisation d’"archétypes", précisément, ayant un haut degré d’universalité et une réalité autonome ; mais cette réalité, il l’a comprise en des termes purement psychologiques, réduisant tout à des projections mentales de l’inconscient collectif et aux "exigences" que ferait valoir, chez l’homme, la part obscure et atavique de son psychisme, contre la part consciente et personnelle. Il n’y a pas là seulement une évidente confusion de plans ; il y a là également, à travers le recours abusif à la notion d’inconscient et la mobilisation d’une phénoménologie de psychopathes, la confirmation de la tendance générale moderne à ramener toutes choses à des mesures purement humaines. Si tout principe ayant, d’une manière ou d’une autre, un caractère transcendant, doit pourtant devenir, pour pouvoir être expérimenté, un "phénomène psychologique", il y a toutefois une différence fondamentale entre les deux attitudes suivantes : ou bien l’on fait tout commencer et finir dans la psychologie, ou bien l’on interprète la psychologie en fonction de l’ontologie. De fait, toutes les interprétations de Jung s’achèvent sur un plan très banal, et son intuition de la réalité supra-individuelle et éternelle des "archétypes" sexuels est vaine, ou bien tombe au niveau de quelque chose de contrefait, à cause d’une déformation mentale professionnelle (il s’agit d’un psychiatre et d’un psychanalyste) et de l’absence de références doctrinales adéquates.

Auteur: Evola Julius

Info: Dans "La métaphysique du sexe", éd. L'âge d'homme, page 159

[ critique ] [ incohérence ] [ dénigrement ] [ théories hors-sol ]

 

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concept psychanalytique

Dans Malaise dans la civilisation, la dualité s’achève en un cycle de la seule pulsion de mort. Éros n’est plus qu’un immense détour de la culture vers la mort, qui subordonne tout à ses propres fins. Mais cette dernière version ne revient pourtant pas en deçà de la dualité, vers une dialectique inverse. Car il n’y a dialectique que du devenir constructif, de l’Éros, dont le but est "d’instituer des unités toujours plus grandes, de lier et d’ordonner les énergies". A ceci la pulsion de mort s’oppose sous deux caractéristiques principales :


  1. Elle est ce qui dissout les assemblages, délie les énergies, défait le discours organique d’Éros pour ramener les choses à l’inorganique [...].

  2. Cette puissance de désagrégation, de désarticulation, de défection implique une contre-finalité radicale sous forme d’involution vers l’état antérieur et inorganique. [...] C’est donc toujours comme cycle répétitif que la mort vient démanteler les finalités constructives, linéaires ou dialectiques, de l’Éros. [...]


Il y a donc bien dans la proposition de la pulsion de mort – que ce soit dans sa forme duelle ou dans la contre-finalité incessante et destructrice de la répétition – quelque chose d’irréductible à tous les dispositifs intellectuels de la pensée occidentale. La pensée de Freud joue au fond elle-même comme pulsion de mort dans l’univers théorique occidental. Mais alors, bien sûr, il est absurde de lui rendre un statut constructif de "vérité" : la "réalité" de l’instinct de mort est indéfendable – pour rester fidèle à l’intuition de la pulsion de mort, il faut la maintenir dans l’hypothèse déconstructive, c’est-à-dire l’assumer dans les seules limites de la déconstruction qu’elle opère sur toute pensée antérieure, mais aussi, aussitôt, la déconstruire elle-même comme concept. [...]

Ce contre quoi il faut défendre la pulsion de mort, c’est contre toutes les tentatives pour la redialectiser dans un nouvel édifice constructif.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: Dans "L'échange symbolique et la mort", éditions Gallimard, 1976, pages 245-246

[ critique ] [ paradoxal ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

aqua simplex

Pour bien dégager cette "participation" qui est l’essence même de la pensée des eaux, du psychisme hydrant, nous aurons donc besoin de nous appesantir sur des exemples trop rares. Mais si nous pouvons convaincre notre lecteur qu’il y a, sous les images superficielles de l’eau, une série d’images de plus en plus profondes, de plus en plus tenaces, il ne tardera pas à éprouver, dans ses propres contemplations, une sympathie pour cet approfondissement ; il sentira s’ouvrir, sous l’imagination des formes, l’imagination des substances. Il reconnaîtra dans l’eau, dans la substance de l’eau, un type d’intimité, intimité bien différente de celles que suggèrent les "profondeurs" du feu ou de la pierre. Il devra reconnaître que l’imagination matérielle de l’eau est un type particulier d’imagination. Fort de cette connaissance d’une profondeur dans un élément matériel, le lecteur comprendra enfin que l’eau est aussi un type de destin, non plus seulement le vain destin des images fuyantes, le vain destin d’un rêve qui ne s’achève pas, mais un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la substance de l’être. Dès lors, le lecteur comprendra plus sympathiquement, plus douloureusement un des caractères de l’héraclitéisme. Il verra que le mobilisme héraclitéen est une philosophie concrète, une philosophie totale. On ne se baigne pas deux fois dans un même fleuve, parce que, déjà, dans sa profondeur, l’être humain a le destin de l’eau qui coule. L’eau est vraiment l’élément transitoire. Il est la métamorphose ontologique essentielle entre le feu et la terre. L’être voué à l’eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute, sans cesse quelque chose de sa substance s’écroule. La mort quotidienne n’est pas la mort exubérante du feu qui perce le ciel de ses flèches ; la mort quotidienne est la mort de l’eau. L’eau coule toujours, l’eau tombe toujours, elle finit toujours en sa mort horizontale. Dans d’innombrables exemples nous verrons que pour l’imagination matérialisante la mort de l’eau est plus songeuse que la mort de la terre : la peine de l’eau est infinie.

Auteur: Bachelard Gaston

Info: L’eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière. IV

[ H₂O ] [ éternel provisoire ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

totalisation

Hegel est le premier à comprendre, au début du XIXe siècle, que l’humanité est en train de basculer d’une ère à une autre, que nous sommes en train de sortir de l’histoire, et qu’il est vain de tenter de maintenir tout ce qui est en train de s’effondrer. Ce qui s’achève sous les yeux de Hegel, c’est le processus de réalisation de la raison et de rationalisation de la réalité : et en effet, nous ne vivons plus dans un environnement naturel, mais dans un univers intégralement artificiel et numérique, au sein de ce que Hegel nomme une "seconde nature", qui s’est substituée à la première. Hegel lui-même y voit l’accomplissement du platonisme, l’achèvement de la métaphysique, et c’est ce qu’il oppose à Kant : la Critique de la raison pure veut montrer que la métaphysique est impossible parce que les idées de la raison ne peuvent pas trouver de vérification expérimentale dans les structures de la subjectivité finie, et tout particulièrement dans les formes de l’espace et du temps ; Hegel lui objecte que ce n’est précisément pas par les sujets finis que se fait cette vérification, mais par le biais du travail millénaire de peuples qui se sont succédés pour opérer cette rationalisation intégrale du réel, et ce dans le temps de l’histoire et dans l’espace du monde. Hegel conçoit ainsi notre époque comme synthèse de toutes les contradictions, comme identité achevée de l’idéal et du réel, adéquation parfaite du réel et du rationnel : de son point de vue, la Sagesse que recherchaient les philosophes est enfin atteinte, nous sommes entrés dans l’ère du Vrai et du Bien, et il conçoit même l’avènement de cette totalité rationnelle comme marche de Dieu sur terre. Hegel est ainsi fondamentalement le penseur de la réconciliation : c’est pourquoi il n’est pas un penseur de la crise. Il demeure en effet idéaliste et reste pris dans les structures de la métaphysique, en ce qu’il identifie la réalité à l’idéalité, le réel et le rationnel.

Auteur: Vioulac Jean

Info: http://actu-philosophia.com/Entretien-avec-Jean-Vioulac-Autour-d-Approche-de

[ résumé ] [ message philosophique ] [ modernité ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

inconnaissance

J’ai lu l’écriture de l’homme. J’ai vagabondé à travers ses pages, j’ai feuilleté ses idées. Je sais jusqu’où allèrent les peuples et combien les mena loin la tentation de l’esprit. Certains souffrirent pour inventer des formules, d’autres pour engendrer des héros ou pour figer l’ennui dans la foi. Tous dépensèrent leurs richesses parce qu’ils redoutaient le spectre du vide. Et quand ils ne crurent plus à rien, quand la vitalité ne soutint plus la flammèche des tromperies fécondes, ils se livrèrent aux délices du déclin, aux langueurs d’un esprit épuisé.

Ce qu’ils m’ont enseigné – une curiosité dévorante m’entraînait dans les méandres du devenir – n’est qu’eau morte où se reflètent les charognes de la pensée. Tout ce que je sais, je le dois aux fureurs de l’ignorance. Lorsque tout ce que j’ai appris disparaît, alors, nu, le monde nu devant moi, je commence à tout comprendre.

Je fus le compagnon des sceptiques d’Athènes, des écervelés de Rome, des saints de l’Espagne, des penseurs nordiques et des poètes britanniques aux ferveurs brumeuses – le débauché des passions inutiles, le zélateur vicieux et délaissé de toutes les inspirations.

… Et puis, revenu de tout cela, ce fut moi que je retrouvai. Je me remis en route sans eux, explorateur de mon ignorance. Quiconque fait le tour de l’histoire retombe durement en lui-même. Lorsque s’achève le labeur de ses pensées, l’homme, plus seul qu’auparavant, sourit innocemment à la virtualité.

Ce ne sont pas les exploits temporels qui te mettront sur le chemin de ton accomplissement. Affronte l’instant, ne redoute pas la fatigue, ce ne sont pas les hommes qui t’initieront aux mystères gisant dans ton ignorance. Le monde se tapit en elle. Écoute-la sans parler, tu y entendras tout. Il n’existe ni vérité ni erreur, ni objet ni fantasme. Prête l’oreille au monde qui couve quelque part en toi et qui est, sans avoir besoin de se montrer. Tout réside en toi, la place y est vaste pour les continents de la pensée.

Rien ne nous précède, rien ne nous côtoie, rien ne nous succède. L’isolement d’une créature est l’isolement de toutes. L’être est un jamais absolu.

Qui pourrait être dénué de fierté au point de tolérer quoi que ce soit en dehors de lui ? Avant toi retentirent des chants, après toi continuera la poésie des nuits – cela, as-tu la force de le supporter ?

Si, dans la débâcle du temps, dans le miracle d’une présence, je ne vois pas se faire et se défaire le monde vivant, alors ce que je fus et que je suis n’approche même pas le frisson d’une ombre d’étonnement.

Auteur: Cioran Emil Michel

Info: Bréviaire des vaincus (17)

[ monadisme ]

 
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Ajouté à la BD par Bandini

consensus mou

Il faudrait ne jamais débattre. Le débat, comme le reste, dans notre univers d’intransitivité galopante, a perdu son complément d’objet. On débat avant de se demander de quoi : l’important est de se rassembler. Le débat est devenu une manie solitaire qu’on pratique à dix, à cinquante, à cent, un stéréotype célibataire en même temps que grégaire, une façon d’être ensemble, un magma d’entregloses qui permet de se consoler sans cesse de jamais atteindre, seul, à rien de magistral. Il faudrait ne jamais débattre ; ou, si l’on y tient vraiment, ne débattre que de la nécessité de faire des débats. Se demander à l’infini, jusqu’à épuisement, quelle est l’idéologie du débat en soi et de sa nécessité jamais remise en cause ; et comment il se fait que le réel multiple dont le débat prétend débattre s’efface au rythme même où il est débattu. Mais aucun débat ne peut s’élaborer sur une telle question, car c’est précisément cette évaporation du réel qui est le véritable but impensé de tout débat. On convoque les grands problèmes et on les dissout au fur et à mesure qu’on les mouline dans la machines de la communication. Et plus il y a de débat, moins il y a de réel. Il ne reste, à la fin, que le mirage d’un champ de bataille où s’étale l’illusion bavarde et perpétuelle que l’on pourrait déchiffrer le monde en le débattant ; ou, du moins, qu’on le pourra peut-être au prochain débat. C’est de cette illusion-là dont se nourrit le débatteur. Pourquoi faut-il débattre ? Tout argument dont on débat est supposé faible, par définition, puisqu’il peut être démoli ou entamé par un autre argument. Toute pensée que l’on est obligée de soutenir mérite de s’écrouler. Et d’ailleurs la véritable pensée, la pensée magistrale, ne commence que là où le débat s’achève (ou devient silencieux). Or, il n’y a que le magistral qui compte, parce qu’il ouvre à la pleine connaissance de la réalité humaine, et il n’est jamais obtenu en frottant l’une contre l’autre des idées hétéroclites comme, dans les contes orientaux, on frotte des babouches pour en faire sortir des génies. Une nouvelle pensée, une pensée magistrale du monde ne peut pas être discutée, pesée tranquillement, soupesée entre gens de bonne compagnie, amendée, corrigée, nuancée, tripotée, faisandée de pour et de contre jusqu’à ce qu’elle ressemble à une motion de compromis dans une assemblée syndicale ou à la misérable synthèse terminale d’un congrès du parti socialiste. Toute proposition originale est menacée dans le débat, par ce qui peut lui arriver de pire : un protocole d’accord. Une nouvelle pensée du monde peut et doit être assénée comme un dissentiment irrémédiable, comme une incompatibilité d’humeur. Il ne faut pas argumenter, il faut trancher dans le vif. Penser, c’est présenter la fracture.

Auteur: Muray Philippe

Info:

[ opium du peuple ] [ mise en scène démocratique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel