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économie de marchés

Il faut abandonner l’idée reçue que nous avons d’une société d’abondance comme d’une société dans laquelle tous les besoins matériels (et culturels) sont aisément satisfaits, car cette idée fait abstraction de toute logique sociale. Et il faut rejoindre l’idée reprise par Marshall Sahlins dans son article sur la "première société d’abondance", selon laquelle ce sont nos sociétés industrielles et productivistes, au contraire de certaines sociétés primitives, qui sont dominées par la rareté, par l’obsession de rareté caractéristique de l’économie de marché.

Plus on produit, plus on souligne, au sein même de la profusion, l’éloignement irrémédiable du terme final que serait l’abondance - définie comme l’équilibre de la production humaine et des finalités humaines.

Puisque ce qui est satisfait dans une société de croissance, et de plus en plus satisfait au fur et à mesure que croît la productivité, ce sont les besoins mêmes de l’ordre de production, et non les "besoins" de l’homme, sur la méconnaissance desquels repose au contraire tout le système, il est clair que l’abondance recule indéfiniment : mieux – elle est irrémédiablement niée au profit du règne organisé de la rareté (la pénurie structurelle).

Pour Sahlins, c’étaient les chasseurs-collecteurs (tribus nomades primitives d’Australie, du Kalahari, etc.) qui connaissaient l’abondance véritable malgré leur "pauvreté". Les primitifs n’y possèdent rien en propre, ils ne sont pas obsédés par leurs objets, qu’ils jettent à mesure pour mieux se déplacer. Pas d’appareil de production ni de "travail" : ils chassent et cueillent "à loisir", pourrait-on dire, et partagent tout entre eux.

Leur prodigalité est totale : ils consomment tout d’emblée, pas de calcul économique, pas de stocks. Le chasseur-collecteur n’a rien de l’Homo œconomicus d’invention bourgeoise. Il ne connaît pas les fondements de l’Économie Politique. Il reste même toujours en deçà des énergies humaines, des ressources naturelles et des possibilités économiques effectives. Il dort beaucoup. Il a confiance – et c’est cela qui marque son système économique – en la richesse des ressources naturelles, alors que notre système est marqué (et de plus en plus avec le perfectionnement technique) par le désespoir face à l’insuffisance des moyens humains, par une angoisse radicale et catastrophique qui est l’effet profond de l’économie de marche et la concurrence généralisée.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: La société de consommation, pp. 90-91

[ déséquilibre ] [ bêtise structurelle ] [ anthropologie ] [ comparaison ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

corps machine

Qu’est-ce qu’une demande orale ? C’est la demande d’être nourri. Qui s’adresse à qui, à quoi ? Elle s’adresse à cet Autre qui attend, et qui, à ce niveau primaire de l’énonciation de la demande, peut vraiment être désigné comme ce que nous appelons le lieu de l’Autre. […]

Nous avons dit que toute demande, du fait qu'elle est parole, tend à se structurer en ceci, qu'elle appelle de l'autre sa réponse inversée. […] De par la structure signifiante, à la demande d’être nourri répond ainsi, et d’une façon que l’on peut dire logiquement contemporaine à cette demande, au lieu de l’Autre, […] la demande de se laisser nourrir.

Nous le savons bien dans l’expérience. Ce n’est pas là élaboration raffinée d’un dialogue fictif. C'est de cela qu'il s'agit chaque fois qu'il éclate le moindre conflit dans ce rapport entre l'enfant et la mère qui semble être fait pour se boucler de façon strictement complémentaire. Qu'y a-t-il qui réponde mieux, en apparence, à la demande d'être nourri que celle de se laisser nourrir ? Nous savons pourtant que c'est dans le mode même de confrontation des deux demandes que gît cet infime gap, cette béance, cette déchirure, où s'insinue d'une façon normale la discordance, l'échec préformé de la rencontre. Cet échec consiste en ceci que, justement, ce n’est pas rencontre de tendances, mais rencontre de demandes.

Au premier conflit qui éclate dans la relation de nourrissage, dans la rencontre de la demande d’être nourri et de la demande de se laisser nourrir, il se manifeste que cette demande, un désir la déborde – qu’elle ne saurait être satisfaite sans que ce désir s’y éteigne – que c’est pour que ce désir qui déborde la demande ne s’éteigne pas, que le sujet qui a faim, de ce qu’à sa demande d’être nourri réponde la demande de se laisser nourrir, ne se laisse pas nourrir, et refuse en quelque sorte de disparaître comme désir du fait d’être satisfait comme demande – que l’extinction ou l’écrasement de la demande dans la satisfaction ne saurait se produire sans tuer le désir. C’est de là que sortent toutes ces discordances, dont la plus imagée est celle du refus de se laisser nourrir dans l’anorexie dite, à plus ou moins juste titre, mentale.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, livre VIII - Le transfert" pages 238-239

[ libido ] [ demande sexuelle ] [ réponse incomplète ] [ sujétion ] [ frustration ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

humour

L'enfant précoce
Le petit Thomas demande à sa maîtresse s'il peut lui parler après le cours. Elle accepte
- Alors, que veux-tu me dire Thomas ?
- Je pense être trop intelligent pour rester dans cette classe, je m'embête ! Je voudrais passer directement au Lycée.
Sur ce, le directeur informé, demande à Thomas s'il veut bien passer des tests, Thomas accepte sans hésiter. Le directeur, décidé à faire fort pour clore l'entretien rapidement, commence le test.
- Voyons voir Thomas : 36 x 49 ?
- 1764 !...
- Et 363 x 363 ?
- 131769, M. le directeur...
- Capitale du Liechtenstein ?
- Vaduz !
Le test continue pendant une demi-heure, Thomas ne fait aucune erreur. A la fin du test, le directeur est satisfait mais la prof demande si elle peut à son tour lui poser des questions.
Tous les deux acceptent, la prof commence.
- Bon, ... Thomas, ... la vache elle en a 4 et moi j'en ai 2, qu'est-ce que c'est ?
- Les jambes, Madame !
- Correct. Qu'est-ce qu'on trouve dans tes pantalons et pas dans les miens ?
Le directeur s'étonne de la question...
- Des poches, Madame !
- Où est-ce que les femmes ont les poils les plus frisés ?
Le directeur se prépare à intervenir lorsque Thomas répond :
- En Afrique, Madame !
- Qu'est-ce qui est mou mais qui, avec les mains d'une femme, devient dur ?
Le directeur ouvre grands les yeux, mais avant qu'il ait eu le temps de parler Thomas répond :
- Le vernis à ongles, Madame !
- Qu'est-ce que les hommes et nous avons au milieu des jambes ?
- Les genoux, Madame !
- Bien, et qu'est-ce qu'une femme mariée a de plus large qu'une femme célibataire ?
Le directeur n'en croit pas ses oreilles.
- Le lit, Madame !
- Qu'elle est la partie de mon corps qui est souvent la plus humide ?
- Votre langue, Madame !
- Quel mot commençant par la lettre C... désigne quelque chose qui peut être humide ou sec et que les hommes aiment regarder ?
- Le ciel, affirme Thomas.
Le directeur soufflant, transpirant comme un sauvage, décide d'arrêter le test et s'exclame :
- Ce n'est pas au lycée que je vais t'envoyer mais directement à l'Université ! Même moi j'aurais tout raté à ce test...

Auteur: Internet

Info: Morale de l'histoire : c'est avec l'âge que l'on devient pervers...

[ jeu de mots ] [ sexe ] [ école ]

 

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spiritualité

Imhotep a bouleversé la vie quotidienne égyptienne en introduisant des sciences nouvelles : médecine, architecture, mathématiques et le premier livre religieux, 2500 ans avant la rédaction de la première Bible sous Ptolémée II à Alexandrie. L'homme se découvre alors une âme, deuxième entité qui l'incite à vivre dans le droit chemin, à pratiquer la tolérance, à aimer sa femme et ses enfants et à vivre en conformité avec les lois de la nature en protégeant les espèces... Tous principes de vie en société qui s'appliquent directement à la conscience humaine, à laquelle on offre en contrepartie de cette vie exemplaire la possibilité de renaître après avoir satisfait au jugement de son âme à un nouveau état plus glorieux et moins fragile que celui de l'existence temporaire terrestre et d'entrer de plein pied (comme les dieux) dans la vie éternelle. Le contrôle probatoire de l'âme sera supervisé (symboliquement) par ; la déesse Mâat (de la vérité), le dieu Thot de la Sagesse et des Ecritures et le grand juge Osiris lequel prononcera soit l'admission au Paradis, soit l'anéantissement de l'âme qui sera alors dévorée par un étrange animal composite pour le punir de son inconduite et de ses mauvaises actions commises durant sa vie sur Terre. Il n'y a que peu d'images représentant Imhotep en tant que 1er Ministre égyptien de la 3e dynastie, car malgré tous les titres d'honneur et tous les pouvoirs que lui a conféré le Roi Djoser(Djeser) pour mener à bien ses réformes, le Grand Vizir a toujours refusé d' être honoré comme un dieu. Il reste fils de Ptah (un personnage momifié aux origines inconnues) et serviteur du roi et grand Dieu Invisible Atoum. Il gouvernera l'Egypte à partir de Memphis, capitale administrative entourée de hautes murailles blanches pour assurer sa sécurité) ville située à la jointure des deux royaumes : celui du sud et celui du Nord (Moyenne et Haute Egypte). Pour plusieurs millénaires la seule image que nous avons de lui est celle d'un modeste scribe assis dans le plus simple apparat, sans bijou, ni vêtement de luxe, avec un rouleau de papyrus ouvert sur ses genoux qu'il tient entre ses deux mains. Le peuple le considérera durant trois millénaires (jusqu'à l'avènement du christianisme en tant que religion d'Etat) comme l'exemple à suivre et comme une divinité faisant le lien entre le ciel et la terre, capable de réaliser des miracles...

Auteur: Gardiner Alan H.

Info: Internet. Imhotep, grand chancelier de basse Egypte, prince royal, grand prêtre d'Héliopolis, médecin royal, architecte et chef des principaux corps de construction des grands chantiers ...

[ ancienne Egypte ] [ historique ]

 

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lecture déclic

Ce dont je suis certain, c'est que ça n'arrive pas immédiatement. Tu finiras [le livre] et ce sera tout, jusqu'à ce qu'un truc arrive, peut-être dans un mois, peut-être dans un an, plusieurs années même. Tu seras malade ou troublé ou profondément amoureux ou tranquillement incertain ou même satisfait pour la première fois de ta vie. Cela n'aura pas d'importance. Tout à coup, sans que tu puisses en trouver la cause, tu te rendras compte que les choses ne sont pas du tout comme tu les avais perçues. Pour quelque raison tu ne seras plus la personne que tu croyais être. Tu détecteras de lents et subtils changements autour de toi, et plus important encore, des changements en toi. Pire, tu réaliseras que ces transformations ont toujours eu lieu, comme une sorte de miroitement, un vaste phénomène, comme dans une pièce sombre. Et tu ne comprendras pas pourquoi ni comment. Tu auras oublié ce qui t'a donné cette conscience en premier lieu...

...

Alors tu essayeras peut-être, comme je l'ai fait, de retrouver un ciel suffisamment empli d'étoiles pour t'aveugler à nouveau. Seulement, ce ne sera plus possible. Même avec toute cette magie iridescente là-haut, ton œil ne s'attardera plus sur la lumière, il ne repérera plus les constellations. Tu ne te soucieras que de l'obscurité et tu la scruteras des heures, des jours, peut-être même des années, essayant en vain de te voir comme une sorte de sentinelle indispensable, désignée par l'univers, comme si le simple fait de ressentir ces choses pouvait réellement t'éviter tout ça. La situation deviendra si grave que tu auras peur de regarder au dehors, tu auras peur de dormir.

Puis, où que tu sois, dans un restaurant bondé, dans une rue déserte ou même dans le confort de ta propre maison, tu verras se défaire toutes les illusions qui t'ont permis de vivre. Tenu à l'écart alors que s'immisce la grande complexité, désintégrant, pièce par pièce, toutes tes dénégations soigneusement conçues, qu'elles soient délibérées ou inconscientes. Et puis, pour le meilleur ou pour le pire, tu découvriras, incapable de résister, même en usant de toutes tes forces ce que tu redoutes le plus, ce qui est maintenant, ce qui sera, ce qui a toujours existé, la créature que tu es vraiment, la créature que nous sommes tous, enfouie sous la nuit noire d'un nom inepte.

C'est là que commenceront les cauchemars.

Auteur: Danielewski Mark Z.

Info: La Maison des feuilles, trad Mgg

[ effet différé ] [ maraboutage ] [ désorientation ] [ progressive décomposition ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

agora numérique

Il s’était égaré dans les méandres de Facebook, entre les souvenirs des un.e.s et les chats des autres. Il n’y croisait que des anciens, tous plus ou moins à son image, qui avaient lu Spirou ou Pilote dans leur jeunesse, fait tourner en boucle des vinyles de Pink Floyd et ri aux facéties de Pollux les coudes posés sur une table en formica. C’était un formidable gang d’atrabilaires excédés par cette époque convulsive, des abonnés au passé, réfractaires aux mœurs contemporaines et aux nouvelles technologies, qui surmontaient toutefois leur répulsion à l’égard des écrans pour mieux répandre leur amertume sur les réseaux sociaux. Sur les photos associées à leur profil, ils avaient plus ou moins la même gueule que lui, le même sourire rare, la même peau terne, le même air satisfait malgré tout. Il y avait longtemps que la jeunesse les avait fui, comme si, saisie par la peur de contracter des rides, elle avait voulu se réfugier dans les bras de Tik Tok, Instagram ou Snapchat. Leur mot d’ordre à tous était : " C’était mieux avant ", mais on ignorait de quel " avant " il s’agissait, un " avant " idéalisé et figé dans des chromos dont les couleurs s’étiolaient. La nostalgie n’est parfois qu’une forme d’amnésie, rompue à la censure et aux tours de passe-passe. La nostalgie vaut surtout pour tous ceux qui ont toujours été vieux, absolument pas modernes, doués pour l’inertie et l’anesthésie, rouillés dès la venue au monde.

Ils se croisaient là comme on se retrouve au bar, sans vergogne, les doigts fouillant dans le bocal de cacahuètes grillées, autant pour en extraire la saveur familière du sel que celle des antiennes réactionnaires. D’être en vie et de pouvoir maugréer contre le présent leur suffisaient. Sauf qu’en vie, ils étaient de moins en moins nombreux à l’être, le réseau prenant inéluctablement des allures d’obituaire. A la conscience aigüe d’être en sursis s’ajoutait ainsi la certitude d’appartenir à une nouvelle génération de " suivants ", si chers à Brel. Pourtant, ils étaient ses semblables et ce constat, irréfutable, le rendait malade. Il participait de son désenchantement, comme si toute son existence n’avait eu pour seule vocation que d’échouer contre ce mur de lamentations et de félins. Par désespoir autant que par ironie, il glissa sur le fil une photo de Béhémoth, son vieux matou sourd, puis ouvrit la fenêtre et laissa son corps lesté d’idées noires basculer dans le vide. Ses ami.e.s virtuel.les, trop occupé.e.s à filtrer leurs selfies, n’en eurent pas même connaissance.

Auteur: Chiuch Lionel

Info:

[ passéistes ] [ suicide anonyme ]

 

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vieillesse

J’ai compté mes années et j'ai découvert qu’à partir de maintenant, j’ai moins de temps à vivre que ce que j’ai vécu jusqu’à présent…

Je me sens comme ce petit garçon qui a gagné un paquet de friandises: la première il la mangea avec plaisir, mais quand il s’aperçut qu’il lui en restait peu, il commença réellement à les savourer profondément.

Je n’ai plus de temps pour des réunions sans fin où nous discutons de lois, des règles, des procédures et des règlements, en sachant que cela n’aboutira à rien.

Je n’ai plus de temps pour supporter des gens stupides qui, malgré leur âge chronologique n’ont pas grandi.

Je n’ai plus de temps pour faire face à la médiocrité.

Je ne veux plus assister à des réunions où défilent des égos démesurés.

Je ne tolère plus les manipulateurs et opportunistes.

Je suis mal à l´aise avec les jaloux, qui cherchent à nuire aux plus capables, d’usurper leurs places, leurs talents et leurs réalisations.

Je déteste assister aux effets pervers qu’engendre la lutte pour un poste de haut rang.

Les gens ne discutent pas du contenu, seulement les titres.

Moi, mon temps est trop précieux pour discuter des titres.

Je veux l’essentiel, mon âme est dans l’urgence… il y a de moins en moins de friandises dans le paquet…

Je veux vivre à côté de gens humains, très humains, qui savent rire de leurs erreurs, qui ne se gonflent pas de leurs triomphes, qui ne se sentent pas élu avant l’heure, qui ne fuient pas leurs responsabilités, qui défendent la dignité humaine, et qui veulent marcher à côté de la vérité et l’honnêteté.

L’essentiel est ce que tu fais pour que la vie en vaille la peine.

Je veux m'entourer de gens qui peuvent toucher le cœur des autres… des gens à qui les coups durs de la vie leurs ont appris à grandir avec de la douceur dans l’âme.

Oui… je suis pressé de vivre avec l’intensité que la maturité peut m'apporter.

J’ai l’intention de ne pas perdre une seule partie des friandises qu´il me reste…

Je suis sûr qu’elles seront plus exquises que toutes celles que j´ai mangées jusqu’à présent.

Mon objectif est d’être enfin satisfait et en paix avec mes proches et ma conscience.

J’espère que la vôtre sera la même, parce que de toute façon, vous y arriverez…

Auteur: Andrade Mario Paul de Morais dit Mario de

Info:

[ maturité ] [ dégustation ]

 

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nazisme

Plus d’art. En peinture, nous voyons renaître le tableau de genre, le chromo patriotique. Les sciences découronnées de leurs meilleurs techniciens ne nous offrent plus rien. Les grands chimistes allemands, les grands médecins, surtout les psychiatres étaient israélites. On a brûlé sur les bûchers d’Hitler des ouvrages de haute érudition qui représentaient des années de travail, quelquefois toute une vie de labeur.

Certains de ces ouvrages, qui valent des millions de francs, comme celui du professeur Jedassohn, ne seront plus réédités. C’est une perte pour toute l’humanité. On a détruit l’Institut d’Hirschfeld et ses collections. On a saccagé les maisons d’édition qui imprimaient les ouvrages des auteurs juifs. 

‘‘J’avais chez moi’’, m’a dit un de mes amis berlinois, ‘‘quelques livres qui m’eussent fait passer pour suspect à la moindre perquisition. Des Einstein, une traduction de Barbusse, le Michel-Ange de Romain Rolland, trois Stefan Zweig, un Freud, j’en oublie… Il fallait m’en défaire. J’en fis de petits paquets que j’allais abandonner la nuit, loin de chez moi. Je mis un mois à disperser ma pauvre bibliothèque. Je n’étais pas le seul. On trouvait souvent, dans les taillis des jardins publics, des livres "maudits", dont leur possesseur se défaisait comme d’une peste’’.

Tous les concierges sont de la police, tous les garçons de café, de restaurant, d’hôtel aussi. Et la bonne moitié des chauffeurs de taxi.

Pour remplacer les ouvrages détruits ou poursuivis par la censure, les polygraphes se sont mis au travail. On sort des romans  à l’eau de rose où les bons nazis se conduisent en héros, des aventures policières où le traître est toujours un Juif quand il n’est pas un Français ou un communiste.

Un Français, fixé à Berlin, voulut me faire comprendre par analogie la situation :

- Imagine qu’en France, on n’autorise comme peintres et sculpteurs que les sociétaires des Artistes Français, comme littérateurs  les Veillées des Chaumières, comme théâtre que les répertoires des patronages et comme film la Margoton du bataillon. Tu vois un peu les dégâts.

- Et avec ça, demandais-je- les Allemands sont heureux ?

- Les Allemands, d’abord, ne sont jamais heureux. Mais il peuvent être plus ou moins satisfaits. Or, c’est un fait qu'on trouve une foule de mécontents. Soixante à soixante dix pour cent de la population, peut-être… Seulement…

Mon interlocuteur suspendit un instant son effet : 

- Seulement, ajouta-t-il, le plus mécontent des Allemands, le plus tiède, le moins enthousiaste, considère encore le Führer Hitler comme un fétiche, comme une mascotte, comme le porte-bonheur de son pays.



 

Auteur: Scize Pierre

Info: 1936 en Allemagne, après l'avènement d'Adolf Hitler

[ antisémitisme ] [ possession idéologique ] [ beaux arts ] [ nationalisme ] [ comparaison ] [ dictateur ]

 

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insoumis

Il s’appelle Heinz Buchmann. Ce lieutenant de la police allemande refusera en 1943 de participer aux massacres de juifs, en Pologne. Il s’appelle Noël Favrelière. Ce sergent de l’armée française déserte le 26 août 1956, pour ne pas être complice de l’exécution de suspects algériens. Il s’appelle Hugh Thomson. Ce lieutenant de l’armée américaine, pilote d’hélicoptère interviendra pour faire cesser le massacre des habitants du village de My Laï, le 16 mars 1968. Il s’appelle Jean-Baptiste Munyankore. En avril 2004, cet instituteur refusera de se joindre à son directeur et son inspecteur scolaire, pour massacrer les Tutsis. Ces hommes ne sont pas des justes, des planqués ou des héros. Ils n’ont pas agi par conviction politique, religieuse ou humaniste, leur acte étant individuel. Ils s’intéressaient plus à eux-mêmes, qu’à leurs victimes. Exécuteurs virtuels, ils n’ont simplement pas accompli ce qu’on attendait d’eux. L’histoire accorde beaucoup de compassion pour les victimes, beaucoup d’admiration pour les résistants, un mélange de répulsion/fascination pour les bourreaux. Mais pour ces criminels potentiels qui ont refusé de le devenir, il n’y a, à ce jour, aucune étude. Philippe Breton a comblé ce manque, en écrivant cet essai tout à fait passionnant sur ceux qu’il nomme les refusants. Pour mieux comprendre leurs motivations, l’auteur s’intéresse tout d’abord au mode de fonctionnement des exécutants. Il discute plusieurs hypothèses permettant d’expliquer leur comportement : celle de sadiques (10% seulement des SS étaient des psychopathes), celle de la soumission à l’autorité (le criminel n’est pas soumis, pas plus que le refusant n’est un insoumis), celle du racisme (les nazis ont massacré leurs compatriotes, bien avant de s’en prendre aux juifs et aux tziganes), celle de la brutalité pulsionnelle (les massacreurs sont bien plus conscients qu’on ne le pense de l’humanité de ceux qu’ils abattent). Aucun de ces arguments ne le satisfait. L’axe de réflexion qu’il retient est celui du principe archaïque de la vengeance qui légitime le meurtre sans jugement. Ce serait le sens principal de l’action de tueurs qui se perçoivent comme des victimes agressées, ne faisant que défendre leurs biens et leurs proches contre une menace ressentie comme imminente. L’acte qu’ils posent serait donc vertueux et ne provoquerait aucune culpabilité, puisqu’il s’agit avant tout de se protéger. C’est le cumul de trois facteurs qui contribuerait au passage à l’acte génocidaire : la vengeance comme norme sociale centrale, une société structurée par une socialisation violente et une situation d’agression (réelle ou fantasmée). Les refusants auraient la particularité de ne pas avoir éduqués dans un climat de violence et de ne pas être imprégnés de ce sentiment vindicatif, l’acte qu’on attend d’eux perdant alors toute légitimité.



 

Auteur: Breton Philippe

Info: Les refusants : Comment refuse-t-on d'être un exécuteur ? La découverte, 2009

[ non milgramistes ]

 

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lecture

Il était impossible de se promener ce jour-là. Le matin, nous avions erré pendant une heure dans le bosquet dépouillé de feuilles; mais, depuis le dîner (quand il n'y avait personne, Mme Reed dînait de bonne heure), le vent glacé d'hiver avait amené avec lui des nuages si sombres et une pluie si pénétrante, qu'on ne pouvait songer à aucune excursion.
J'en étais contente. Je n'ai jamais aimé les longues promenades, surtout par le froid, et c'était une chose douloureuse pour moi que de revenir à la nuit, les pieds et les mains gelés, le coeur attristé par les réprimandes de Bessie, la bonne d'enfants, et l'esprit humilié par la conscience de mon infériorité physique vis-à-vis d'Eliza, de John et de Georgiana Reed.
Eliza, John et Georgiana étaient groupés dans le salon auprès de leur mère ; celle-ci, étendue sur un sofa au coin du feu, et entourée de ses préférés, qui pour le moment ne se disputaient ni ne pleuraient, semblait parfaitement heureuse. Elle m'avait défendu de me joindre à leur groupe, en me disant qu'elle regrettait la nécessité où elle se trouvait de me tenir ainsi éloignée, mais que, jusqu'au moment où Bessie témoignerait de mes efforts pour me donner un caractère plus sociable et plus enfantin, des manières plus attrayantes, quelque chose de plus radieux, de plus ouvert et de plus naturel, elle ne pourrait pas m'accorder les mêmes privilèges qu'aux petits enfants joyeux et satisfaits.
"Qu'est-ce que Bessie a encore rapporté sur moi ? Demandai-je.
- Jane, je n'aime pas qu'on me questionne ! D'ailleurs, il est mal à une enfant de traiter ainsi ses supérieurs. Asseyez-vous quelque part et restez en repos jusqu'au moment où vous pourrez parler raisonnablement."
Une petite salle à manger ouvrait sur le salon; je m'y glissai. Il s'y trouvait une bibliothèque ; j'eus bientôt pris possession d'un livre, faisant attention à le choisir orné de gravures. Je me plaçai dans l'embrasure de là fenêtre, ramenant mes pieds sous moi à la manière des Turcs, et, ayant tiré le rideau de damas rouge, je me trouvai enfermée dans une double retraite. Les larges plis de la draperie écarlate me cachaient tout ce qui se trouvait à ma droite ; à ma gauche, un panneau en vitres me protégeait, mais ne me séparait pas d'un triste jour de novembre. De temps à autre, en retournant les feuillets de mon livre, j'étudiais l'aspect de cette soirée d'hiver. Au loin, on voyait une pâle ligne de brouillards et de nuages, plus près un feuillage mouillé, des bosquets battus par l'orage, et enfin une pluie incessante que repoussaient en mugissant de longues et lamentables bouffées de vent.

Auteur: Brontë Charlotte

Info: Jane Eyre

[ pluie ] [ eau ] [ littérature ]

 

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