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punition

Toutes ces déportations aux travaux forcés qui s’accompagnaient autrefois de châtiments corporels, n’amendent personne et surtout n’effraient aucun criminel ; non seulement le nombre de crimes ne diminue pas mais, au contraire, il augmente de plus en plus. Vous devez en convenir. Il en résulte que la société n’est nullement protégée, car bien qu’on ampute mécaniquement le membre contaminé, qu’on l’exile au loin, hors de la vue, un autre criminel vient aussitôt prendre sa place, et peut-être même deux. S’il y a quelque chose qui protège la société, même de nos jours, et qui amende le criminel en faisant de lui un autre homme, ce n’est encore une fois que la loi du Crist qui se manifeste dans l’aveu de sa propre conscience. Ce n’est qu’après avoir compris sa faute en tant que fils de la société du Christ, c’est-à-dire de l’Église, qu’il comprendra aussi sa faute envers la société, c’est-à-dire envers l’Église. Ainsi, ce n’est que devant la seule Église que le criminel actuel est capable de reconnaître sa faute, et non pas devant l’État. [...] Qu’adviendrait-il du criminel, oh, Seigneur, si la société chrétienne, c’est-à-dire l’Église, le rejetait à la façon dont le rejette et le retranche la loi civile ? Qu’adviendrait-il si, aussitôt et chaque fois, l’Église de son côté le châtiait par l’excommunication à la suite du châtiment infligé par la loi de l’État ? Il ne saurait y avoir de plus grand désespoir, du moins pour le criminel russe, car les criminels russes ont encore la foi. D’ailleurs, qui sait, peut-être arriverait-il alors une chose terrible : la perte de la foi dans le cœur désespéré du criminel, et alors ? Mais l’Église, telle une mère tendre et aimante, renonce elle-même au châtiment effectif car, même sans son châtiment, le coupable n’est que trop durement puni par la justice de l’État, et il faut bien que quelqu’un ait pitié de lui. Elle y renonce surtout parce que la justice de l’Église est la seule qui renferme la vérité et qu’en conséquence, elle ne peut ni essentiellement, ni moralement se solidariser avec aucune autre justice, même à titre de compromis provisoire. Le criminel étranger se repent rarement, dit-on, car les doctrines les plus modernes elles-mêmes le confirment dans l’idée que son crime n’en est pas un, mais une simple révolte contre la force qui l’opprime injustement. La société le retranche d’elle-même par la force qui triomphe de lui d’une manière toute mécanique, et elle accompagne ce bannissement de haine (c’est ainsi du moins qu’ils le racontent d’eux-mêmes en Europe), de haine et d’une indifférence, d’un oubli absolus quant à son sort ultérieur, à lui, son frère. Ainsi tout se passe sans la moindre pitié de la part de l’Église, car dans beaucoup de cas il n’y a même déjà plus d’Église là-bas ; il ne reste que des ecclésiastiques et de magnifiques édifices religieux, tandis que les Églises elles-mêmes tendent depuis longtemps à passer de la condition inférieure d’Église à la condition supérieure d’État, pour s’y fondre complètement. Il semble, du moins, en être ainsi dans les pays protestants. A Rome, il y a déjà mille ans que l’État a été proclamé à la place de l’Église. C’est pourquoi le criminel lui-même n’a plus conscience d’être un membre de l’Église et que, une fois excommunié, il est la proie du désespoir. [...] si la justice de l’Église était réellement instaurée, et cela dans toute sa puissance, c’est-à-dire si la société se changeait en Église, non seulement la justice de l’Église influerait sur l’amendement du criminel bien plus efficacement qu’elle ne le fait actuellement, mais peut-être les crimes eux-mêmes diminueraient-ils en effet en nombre dans des proportions incroyables. Au surplus, l’Église elle-même comprendrait à n’en pas douter le futur criminel et le futur crime tout autrement qu’elle ne le fait aujourd’hui et elle saurait ramener l’excommunié, prévenir le crime projeté et régénérer le déchu.

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: Dans "Les Frères Karamazov", traduction d'Elisabeth Guertik, le Cercle du bibliophile, pages 81 à 83

[ orthodoxie ] [ orient-occident ] [ exemplarité ] [ interruption de la logique circulaire du rééquilibrage ] [ intériorisation ] [ éternel-temporel ]

 
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post-matérialisme

Comme nous le disions aussi précédemment, s’il est vrai que l’emprise du matérialisme diminue, il ne convient pourtant guère de s’en féliciter, car, la "descente" cyclique n’étant pas encore achevée, les "fissures" [...] ne peuvent se produire que par le bas ; autrement dit, ce qui "interfère" par là avec le monde sensible ne peut être rien d’autre que le "psychisme cosmique" inférieur, dans ce qu’il a de plus destructif et de plus "désagrégeant", et il est d’ailleurs évident qu’il n’y a que les influences de cette sorte qui soient vraiment aptes à agir en vue de la dissolution ; dès lors, il n’est pas difficile de se rendre compte que tout ce qui tend à favoriser et à étendre ces "interférences" ne correspond, consciemment ou inconsciemment, qu’à une nouvelle phase de la déviation dont le matérialisme représentait en réalité un stade moins "avancé", quelles que puissent être les apparences extérieures, qui sont souvent fort trompeuses.
Nous devons en effet remarquer à ce propos que des "traditionalistes" mal avisés se réjouissent inconsidérément de voir la science moderne, dans ses différentes branches, sortir quelque peu des limites étroites où ses conceptions s’enfermaient jusqu’ici, et prendre une attitude moins grossièrement matérialiste que celle qu’elle avait au siècle dernier ; ils s’imaginent même volontiers que, d’une certaine façon, la science profane finira par rejoindre ainsi la science traditionnelle (qu’ils ne connaissent guère et dont ils se font une idée singulièrement inexacte, basée surtout sur certaines déformations et "contrefaçons" modernes), ce qui, pour des raisons de principe sur lesquelles nous avons souvent insisté, est chose tout à fait impossible. Ces mêmes "traditionalistes" se réjouissent aussi, et peut-être même encore davantage, de voir certaines manifestations d’influences subtiles se produire de plus en plus ouvertement, sans songer aucunement à se demander quelle peut bien être au juste la "qualité" de ces influences (et peut-être ne soupçonnent-ils même pas qu’une telle question ait lieu de se poser) ; et ils fondent de grands espoirs sur ce qu’on appelle aujourd’hui la "métapsychique" pour apporter un remède aux maux du monde moderne, qu’ils se plaisent généralement à imputer exclusivement au seul matérialisme, ce qui est encore une assez fâcheuse illusion. Ce dont ils ne s’aperçoivent pas (et en cela ils sont beaucoup plus affectés qu’ils ne le croient par l’esprit moderne, avec toutes les insuffisances qui lui sont inhérentes), c’est que, dans tout cela, il s’agit en réalité d’une nouvelle étape dans le développement, parfaitement logique, mais d’une logique vraiment "diabolique", du "plan" suivant lequel s’accomplit la déviation progressive du monde moderne ; le matérialisme, bien entendu, y a joué son rôle, et un rôle incontestablement fort important, mais maintenant la négation pure et simple qu’il représente est devenue insuffisante ; elle a servi efficacement à interdire à l’homme l’accès des possibilités d’ordre supérieur, mais elle ne saurait déchaîner les forces inférieures qui seules peuvent mener à son dernier point l’œuvre de désordre et de dissolution.
L’attitude matérialiste, par sa limitation même, ne présente encore qu’un danger également limité ; son "épaisseur", si l’on peut dire, met celui qui s’y tient à l’abri de toutes les influences subtiles sans distinction, et lui donne à cet égard une sorte d’immunité assez comparable à celle du mollusque qui demeure strictement enfermé dans sa coquille, immunité d’où provient, chez le matérialiste, cette impression de sécurité dont nous avons parlé ; mais, si l’on fait à cette coquille, qui représente ici l’ensemble des conceptions scientifiques conventionnellement admises et des habitudes mentales correspondantes, avec l’"endurcissement" qui en résulte quant à la constitution "psycho-physiologique" de l’individu , une ouverture par le bas, comme nous le disions tout à l’heure, les influences subtiles destructives y pénétreront aussitôt, et d’autant plus facilement que, par suite du travail négatif accompli dans la phase précédente, aucun élément d’ordre supérieur ne pourra intervenir pour s’opposer à leur action. On pourrait dire encore que la période du matérialisme ne constitue qu’une sorte de préparation surtout théorique, tandis que celle du psychisme inférieur comporte une "pseudo-réalisation", dirigée proprement au rebours d’une véritable réalisation spirituelle […].

Auteur: Guénon René

Info: Dans "Le règne de la quantité" pages 165-167

[ new age ] [ spiritualité moderne ] [ satanisme ]

 

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prière

On peut donc regarder chaque collectivité comme disposant, en outre des moyens d’action purement matériels au sens ordinaire du mot, c’est-à-dire relevant uniquement de l’ordre corporel, d’une force d’ordre subtil constituée en quelque façon par les apports de tous ses membres passés et présents, et qui, par conséquent, est d’autant plus considérable et susceptible de produire des effets d’autant plus intenses que la collectivité est plus ancienne et se compose d’un plus grand nombre de membres ; il est d’ailleurs évident que cette considération "quantitative" indique essentiellement qu’il s’agit bien du domaine individuel, au delà duquel elle ne saurait plus aucunement intervenir. Chacun des membres pourra, lorsqu’il en aura besoin, utiliser à son profit une partie de cette force, et il lui suffira pour cela de mettre son individualité en harmonie avec l’ensemble de la collectivité dont il fait partie, résultat qu’il obtiendra en se conformant aux règles établies par celle-ci et appropriées aux diverses circonstances qui peuvent se présenter ; ainsi, si l’individu formule alors une demande, c’est en somme, de la façon la plus immédiate tout au moins, à ce qu’on pourrait appeler l’esprit de la collectivité (bien que le mot "esprit" soit assurément impropre en pareil cas, puisque, au fond, c’est seulement d’une entité psychique qu’il s’agit) que, consciemment ou non, il adressera cette demande. Cependant, il convient d’ajouter que tout ne se réduit pas uniquement à cela dans tous les cas : dans celui des collectivités appartenant à une forme traditionnelle authentique et régulière, cas qui est notamment celui des collectivités religieuses, et où l’observation des règles dont nous venons de parler consiste plus particulièrement dans l’accomplissement de certains rites, il y a en outre intervention d’un élément véritablement "non-humain", c’est-à-dire de ce que nous avons appelé proprement une influence spirituelle, mais qui doit d’ailleurs être regardée ici comme "descendant" dans le domaine individuel, et comme y exerçant son action par le moyen de la force collective dans laquelle elle prend son point d’appui. Parfois, la force dont nous venons de parler, ou plus exactement la synthèse de l’influence spirituelle avec cette force collective à laquelle elle s’"incorpore" pour ainsi dire, peut se concentrer sur un "support" d’ordre corporel, tel qu’un lieu ou un objet déterminé, qui joue le rôle d’un véritable "condensateur", et y produire des manifestations sensibles, comme celles que rapporte la Bible hébraïque au sujet de l’Arche d’Alliance et du Temple de Salomon ; on pourrait aussi citer ici comme exemples, à un degré ou à un autre, les lieux de pèlerinage, les tombeaux et les reliques des saints ou d’autres personnages vénérés par les adhérents de telle ou telle forme traditionnelle. C’est là que réside la cause principale des "miracles" qui se produisent dans les diverses religions, car ce sont là des faits dont l’existence est incontestable et ne se limite point à une religion déterminée ; il va sans dire, d’ailleurs, que, en dépit de l’idée qu’on s’en fait vulgairement, ces faits ne doivent pas être considérés comme contraires aux lois naturelles, pas plus que, à un autre point de vue, le "supra-rationnel" ne doit être pris pour de l’"irrationnel". En réalité, redisons-le encore, les influences spirituelles ont aussi leurs lois, qui, bien que d’un autre ordre que celles des forces naturelles (tant psychiques que corporelles), ne sont pas sans présenter avec elles certaines analogies ; aussi est-il possible de déterminer des circonstances particulièrement favorables à leur action, que pourront ainsi provoquer et diriger, s’ils possèdent les connaissances nécessaires à cet effet, ceux qui en sont les dispensateurs en raison des fonctions dont ils sont investis dans une organisation traditionnelle. Il importe de remarquer que les "miracles" dont il s’agit ici sont, en eux-mêmes et indépendamment de leur cause qui seule a un caractère "transcendant", des phénomènes purement physiques, perceptibles comme tels par un ou plusieurs des cinq sens externes ; de tels phénomènes sont d’ailleurs les seuls qui puissent être constatés généralement et indistinctement par toute la masse du peuple ou des "croyants" ordinaires, dont la compréhension effective ne s’étend pas au-delà des limites de la modalité corporelle de l’individualité.

Auteur: Guénon René

Info: Dans "Aperçus sur l'initiation", Éditions Traditionnelles, 1964, pages 166-168

[ grâce ] [ communion des saints ] [ mode d'action ]

 
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racisme

J’étais un peu la petite sœur de Boris Vian, qui était très protecteur avec moi. Or, la première fois où Miles Davis est venu à Paris, c’était à Pleyel. Comme il n’y avait pas de place dans la salle – de toute façon je n’avais pas de quoi me payer une place –, j’avais été amenée en coulisse par la femme de Boris, Michèle. Et j’ai vu Miles de profil : c’était absolument un Giacometti. Avec un visage d’une grande beauté. Je ne parle même pas du génie de l’homme : pour en prendre conscience, il ne fallait pas être grand clerc ni spécialiste de jazz. Entre l’homme, l’instrument et le son, il y avait une harmonie tellement rare ! A ce degré d’esthétisme, c’est assez bouleversant… Il était en soi un spectacle, pourtant habillé très classiquement, pas comme il s’est habillé plus tard, de manière “exotique”, et superbe, qui lui allait fort bien.

J’ai donc rencontré cet homme, qui était fort jeune [23 ans, NDR], et moi aussi [22 ans], puis nous sommes allés dîner tous ensemble, avec un tout un tas de gens que je ne connaissais pas. Et voilà. Je n’étais pas très anglophone, il ne parlait pas français. Je ne sais pas comment nous nous sommes débrouillés. Le miracle de l’amour !

Je me souviens, oui, de cette émission avec Jean-Pierre Foucault [en 1990, NDR]. J’avais été ahurie de voir cet archange sombre, qui descendait de son avion, jouant Les feuilles mortes et qui est venu s’asseoir à côté de moi, fou de rage : “Quelle bande connards ! Ils n’ont même pas branché le micro !” Mais quand Foucault l’a très gentiment remercié, lui demandant pourquoi il avait accepté de venir, il a grogné : “Parce que je suis amoureux de Juliette”, précissant qu’en l’absence de micro il n’avait joué que pour son ancienne dulcinée… Tout comme j’avais eu le privilège de l’entendre, chez lui, et même une fois dans son bain, jouer la musique de son “petit chéri” : Bach.

Associer mon chant à sa trompette ? Je ne suis pas folle – ou plutôt si : je suis folle mais j’ai le sens de l’humour. Pourquoi essayer de faire mal, ou moins, bien, ce que d’autres font si bien ? Si Miles savait que j’étais chanteuse ? Il ne m’a jamais écoutée, sinon beaucoup plus tard à New York, au Waldorf Astoria. Avant, pour lui, j’étais moi, je m’appelais Juliette Gréco, j’avais une tronche bizarre, et c’est moi qu’il a aimée, ce qui est plutôt réjouissant.

Sartre avait dit à Miles : “Pourquoi n’épousez-vous pas Gréco ? – Parce que je l’aime trop pour la rendre malheureuse.” A ce moment là, ce n’était pas une question d’infidélité ou de donjuanisme, c’était une question de couleur : s’il m’avait emmenée avec lui en Amérique, j’aurais été une “pute à nègre”… Au Waldorf, où j’avais une suite très convenable, je l’avais invité à dîner. Il est venu avec John Lewis, et j’avais commandé le repas. La tête du maître d’hôtel quand il est entré : indescriptible ! Au bout de deux heures, on nous a quasiment jeté les plats… Miles m’a rappelé, à quatre heures du matin, dans un état… “Je ne veux plus jamais te voir ici… Dans ce pays une telle relation est impossible.” J’ai soudain pris conscience que j’avais commis une erreur, par rapport à quelque chose d’inhumain, d’irrespectueux, d’où un sentiment étrange, d’humiliation, que je n’oublierai jamais. Là, sa couleur m’est apparue avec une extrême violence, alors qu’à Paris je ne m’étais même pas aperçu qu’il était noir !

Entre Miles et moi ce fut une superbe histoire d’amour, comme j’en souhaite à plein de gens. Nous ne nous sommes jamais perdus au cours de notre vie. Au gré des tournées, il me laissait des petits mots dans les pays d’Europe où j’allais passer : “J’étais là, vous n’y étiez pas.” Il est venu me voir à la maison quelques mois avant sa mort. Il était assis dans le salon. J’ai alors entendu son rire… démoniaque ! Je lui en ai demandé la raison : “Dans n’importe quelle endroit au monde, m’a-t-il répondu, cette femme de dos, je saurai que c’est toi.”  

Auteur: Gréco Juliette

Info: Interview de Philippe Carles, Extrait de Jazz Magazine n° 570, mai 2006.

 

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écrivain-sur-écrivain

Pour arriver à la connaissance et à la possession de Dieu, selon l'idée chrétienne, la seule voie est la sainteté; selon la philosophie scolastique, c'est la science, résumée en la science des sciences, la théologie; selon Platon, c'est la contemplation de la beauté. Dante en prenant Béatrice pour guide à travers la vie comme à travers son poème, réunit donc d'abord en elle les trois moyens naturels et surnaturels qui sont offerts à l'homme pour parvenir en la présence "de la divine Puissance, de la suprême Sagesse et du primordial Amour" ...... ...En plusieurs endroits de la Divine Comédie on trouve des traces des idées platoniciennes, plus ou moins modifiées par leur voyage à travers les oeuvres des Pères de l'Église. Il est probable que c'est surtout dans Boèce, auquel il a emprunté plus d'un trait, dans saint Augustin et dans saint Bonaventure que Dante s'est familiarisé avec certaines théories du philosophe grec...... ...Mais Dante est poète, plus encore que philosophe, et il avoue que lorsque la vue de la "femme belle et bienheureuse" lui a été enlevée, il s'est laissé entraîner hors de la bonne voie : "Les objets présents et les faux plaisirs ont détourné mes pas depuis que votre visage m'est caché." Alors Béatrice lui fait de mélancoliques reproches où l'on sent passer non pas un regret, mais un souvenir complaisant des jours vécus sur terre, pendant lesquels elle pouvait offrir son pur visage à la contemplation de son poète : Tu m'as quelquefois oubliée, et pourtant, lui dit-elle, "jamais la nature ou l'art ont-ils pu t'offrir un plaisir pareil à celui que tu ressentais à admirer ma beauté, maintenant ensevelie et perdue sous la terre!". Chaque fois qu'il parle de Béatrice, Dante a des mots charmants pour caractériser sa beauté. Tantôt il exalte la douceur de sa voix : ...mia donna Che mi disseta colle dolci stille ; Tantôt son sourire : ...raggiandomi d'un riso Tal che nel fuoco faria l'uom felice Puis c'est le fameux portrait de Béatrice, lorsqu'elle lui apparaît aux portes du Paradis, encadrée dans un passage céleste, triomphante et resplendissante d'une incomparable beauté : J'ai vu, au commencement du jour, tout l'horizon affranchi de nuages, et nuancée de rose la partie de l'orient au milieu de laquelle naissait le soleil, dont on pouvait supporter l'éclat tempéré par les vapeurs du matin; de même à travers un nuage de fleurs qui retombaient de toutes parts, je vis une femme, les épaules couvertes d'un manteau vert; elle était vêtue d'une draperie couleur de flamme ardente; un voile blanc et une couronne d'olivier ornaient encore sa tête.... O splendeur d'une lumière éternelle : quel est celui qui ne serait pas découragé en essayant de te reproduire telle que tu me parus dans l'air libre, là où le ciel t'environne de son harmonie! Il faudrait un long travail pour arriver à dégager complètement cette personnification des deux autres, tellement la Béatrice est marquée à la fois de son triple caractère. Serait-ce même possible? L'idée platonicienne que j'ai indiquée dans la Divine Comédie, n'y est qu'à l'état de vague réminiscence et si bien enchevêtrée dans les multiples emprunts du poète à toutes les connaissances humaines, que ce serait peut-être en exagérer l'importance que de l'exposer plus longuement. Néanmoins cette conception de la beauté immuable dans son essence, se transformant du visible à l'invisible, et aboutissant à la beauté unique et primordiale, est tellement en dehors des idées du XIVe siècle, qu'il m'a paru intéressant de la signaler. Un peu plus tard, avec le progrès des études grecques, qui ne commencent sérieusement que cinquante ans après la mort de Dante, on trouverait plus facilement dans les poètes quelques traces de philosophie socratique. On verrait par exemple Pétrarque considérant les choses mortelles comme une échelle qui monte au Créateur, - che son scala al Fattor, Mais cette recherche perdrait de sa nouveauté à mesure qu'on se rapprocherait des temps modernes et deviendrait banale. Rien de ce qui touche à Dante ne saurait l'être, rien surtout de ce qui touche à sa Béatrice. Je me suis plu à montrer la complexité de cette création aussi étrange que sublime, d'autres y reviendront. Le sujet ne sera jamais épuisé, car on se plaira toujours à suivre le grand poète dans son voyage vers l'infini, régions où nul autre que lui n'est monté si haut, où nul peut-être n'ira plus; qui oserait comme lui s'élever jusqu'aux étoiles? - Puro e disposto a salire alle stelle?

Auteur: Gourmont Rémy de

Info:

[ Dante Alighieri ]

 

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technologie

Comment Internet modifie le cerveau
L'écran aspire-t-il notre cerveau ?
À force de passer des milliers d'heures à naviguer sur Internet, Nicholas Carr en est arrivé à une conclusion : Internet modifie l'esprit. Dans son dernier livre, Internet rend-il bête ?*, le journaliste et écrivain américain constate, comme de nombreux " travailleurs de l'écran ", qu'il a de plus en plus de mal à se concentrer sur une tâche complexe, ou même à ne faire qu'une seule chose à la fois. La vie en mode zapping fait des dégâts. " J'ai le sentiment désagréable que quelqu'un, ou quelque chose, bricole avec mon cerveau ", explique-t-il. Amoureux du Net, l'auteur a d'autant plus de difficultés à en dire du mal : Internet " est un si bon serviteur qu'il serait déplacé de remarquer qu'il est aussi notre maître ", s'amuse-t-il.
Ce qui importe, selon Nicholas Carr, ce n'est pas tant le contenu diffusé par les médias que la façon de les diffuser. " Les médias opèrent leur magie, ou leurs méfaits, sur le système nerveux lui-même ", explique-t-il. Notre cerveau est enfermé dans la boîte crânienne, ce qui nous laisse penser - à tort - qu'il serait insensible aux événements extérieurs ; qu'il les capterait et les analyserait sans en subir les influences. Mais " le cerveau est et sera toujours un chantier en cours ", rappelle l'auteur.
L'esprit devient affamé
Reprenant la thèse selon laquelle l'activité du cerveau le modèle et le façonne en permanence, comme l'eau qui coule dans le sable crée des chemins qu'elle empruntera toujours par la suite, Nicholas Carr tire la sonnette d'alarme. Les " médias électriques " ont changé notre façon de percevoir le monde. Radio, télévision, Internet : tous nous crient l'urgence de les consulter, au contraire des journaux papier et des " livres poussiéreux " d'antan, qui nous chuchotaient qu'on avait tout le temps pour les consulter au calme.
Résultat : "Le plongeur qui, naguère, explorait l'océan des mots, en rase maintenant la surface à la vitesse de l'éclair." Dans un clin d'oeil à Descartes, Nicholas Carr affirme même que " nous devenons ce que nous pensons ". L'effet est pire sur les jeunes, qui sont nés avec Internet. Selon une étude citée dans l'ouvrage, certains enfants trop habitués aux pages web ne sauraient plus vraiment lire une page de haut en bas et de gauche à droite. L'addiction est aussi présente : " Mon esprit n'était pas seulement à la dérive, il avait faim. Il demandait à être alimenté comme le Net le nourrit - et plus il était nourri, plus il avait faim. " La " surcharge cognitive " est telle que la capacité à réfléchir est menacée.
Nouvelle ère
Un constat alarmant ? Pas forcément. Nicholas Carr entrevoit une nouvelle ère pour la pensée, qui nous sortirait définitivement des Lumières et du rationalisme. En jeu, de nouveaux mécanismes cognitifs, dont on ne sait pas encore s'ils sont meilleurs ou moins bons que ceux que nous avions tous il y a encore vingt ans.
L'habitude du zapping, par exemple, permet de traiter plusieurs tâches à la fois de façon plus efficace, mais réduit la capacité à résoudre des problèmes complexes, et à mémoriser des souvenirs. Autre exemple : la généralisation du guidage GPS atrophie la partie du cerveau chargée de l'orientation dans l'espace, mais libère du temps et des neurones pour d'autres activités. Pour le moment, nous savons simplement que nous avons " sacrifié des parties de notre cerveau " au profit d'autres apports, que nous commençons tout juste à entrevoir. Reste à savoir si nous serons perdants. Le bilan semble négatif aujourd'hui, mais Carr veut être optimiste : peut-être l'homme apprendra-t-il bientôt a tirer profit de sa nouvelle capacité à ne jamais se concentrer...
Commentaire : Euh... pardon? Sa "nouvelle capacité"?
Demain, tous transformés
Ceux qui passent des heures sur leur écran et qui, le soir venu, se demandent ce qu'ils ont fait de leur journée, se reconnaîtront bien dans le livre de Nicholas Carr. Certains passages les feront sourire, notamment le récit de sa tentative de désintoxication durant la rédaction du livre. " Le démantèlement de ma vie en ligne ne s'est pas fait sans douleur [...] De temps en temps, je m'offrais une journée entière d'orgie sur le Net ", raconte-t-il.
Seul regret, la traduction depuis l'anglais du vocabulaire technique n'est pas toujours parfaite. Par exemple, le sigle ISP, qui signifie " Internet Service Provider ", c'est-à-dire fournisseur d'accès à Internet, n'est ni expliqué ni traduit. L'abonnement (account) qui va avec est traduit par " compte ". Quelques lignes plus loin, c'est la connexion broadband (haut-débit) qui est traduite par " large bande ". Mais ces petits détails ne sont pas gênants pour la compréhension. Internet rend-il bête ? n'en est pas moins un ouvrage ambitieux, qui essaie de cerner les évolutions du cerveau et de la pensée à l'ère numérique, et de nous préparer à ce qui nous attend dans le monde encore plus connecté de demain. Un livre à recommander à tous les forçats du Web !

Auteur: Internet

Info: Science de l'Esprit, Le Point 10 novembre 2011

[ sociologie ] [ lecture ]

 

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protestantisme

Il est vrai, Caïetan reprochait autre chose à Luther : sa doctrine de la justification : neminem justificari posse nisi per fidem. Question capitale sans doute ; mais enfin, telle qu’il la formulait avant la dispute de Leipzig et dans l’été de 1518, la doctrine de Luther était-elle hérétique, sans hésitation ni scrupule quelconque ? Un historien n’est pas qualifié pour le dire. Il peut seulement, il doit rappeler un fait.

L’attention s’est portée dans ces dernières années sur l’activité doctrinale d’un groupe de théologiens, dont certains parvinrent, dans l’Église, à de hautes situations et qui, sur la justification, professèrent fort tard (en plein concile de Trente) des opinions toutes proches, pour un profane, des opinions luthériennes. Tel, ce Girolamo Seripando, général des Augustins de 1539 à 1551, qui reçut le chapeau (1561) et remplit jusqu’à sa mort (1563) les fonctions de cardinal-légat au concile. Là, à l’indignation de certains (ce n’étaient pas des Augustins !) il exposa et défendit avec acharnement des idées hardies, opposées à celles des thomistes, proches des idées luthériennes. Les tenait-il de Luther ?

Le chanoine Paquier, dans le Dictionnaire de théologie catholique, s’empresse de laver Seripando d’un tel soupçon. Peu nous chaut. Le fait demeure. Un légat pontifical, un cardinal romain, pouvait impunément, quarante ans après la condamnation de Luther par la bulle Exsurge, dix-sept ans après la mort de l’hérétique, soutenir en plein concile des doctrines telles que M. Paquier se croit tenu d’écrire : "La manière fort opposée dont l’Église a traité ces idées et ces hommes (Seripando, Luther) ne doit pas scandaliser... À toutes les époques de la vie de l’Église, certaines théories se côtoyant ont éprouvé ainsi, des traitements fort divers... La vraie raison de cette différence... tient à la doctrine elle-même... Seripando et les siens ont toujours maintenu la responsabilité de l’homme envers Dieu et l’obligation d’observer la morale. Luther au contraire a nié fougueusement la liberté. Et pour affirmer qu’à elle seule, la foi neutralise les péchés les plus réels, il a des textes d’une massivité déconcertante." Oui, mais ces textes, de quand datent-ils ? Ces déclarations "d’une massivité déconcertante" sont donc antérieures à la dispute de Leipzig ? Rappelons-nous les dates, et que Luther, quand il comparaît à Augsbourg devant Caïetan, du 12 au 14 octobre 1518, près d’un an avant son tournoi avec Eck — déjà ses juges romains, sans plus de façon l’ont déclaré hérétique ; déjà l’ordre a été transmis aux chefs des Augustins d’Allemagne d’avoir à incarcérer leur confrère pestilentiel ; déjà le bref du 23 août 1518 mobilise contre lui et l’Église et l’État...

Or, qu’on se reporte à l’écrit en allemand, Unterricht auf etliche Artikel, que Luther publia en février 1519, à la veille de la dispute de Leipzig. Des idées réformatrices, sans doute. Un effort hardi pour épurer la théologie du temps. Mais qu’il s’agisse du culte des saints, à travers qui l’on doit honorer et invoquer Dieu lui-même (p. 70) ; ou des âmes du Purgatoire qui peuvent être secourues par des prières et des aumônes, encore qu’on ne sache rien des peines qu’elles endurent et de la manière dont Dieu leur applique nos suffrages — weiss ich nit, und sag noch das das niemant genugsam weiss — qu’il soit question encore des commandements de l’Église : ils sont, écrit Luther, au Décalogue ce que la paille est à l’or, wie das Golt und edel Gesteyn uber das Holtz und Stroo ; qu’il vienne à traiter, enfin, de l’Église romaine qu’on ne saurait quitter en considération de saint Pierre, de saint Paul, des centaines de martyrs précieux qui l’ont honorée de leur sang, ou même du pouvoir papal qu’il faut respecter comme tous les pouvoirs établis, tous venant également de Dieu : rien dans tout cela que vingt, que quarante théologiens ou humanistes en vue de ce temps n’aient dit de leur côté, avec autant ou même parfois avec plus de vivacité et de hardiesse, sans qu’ils fussent traqués, cités en cour de Rome, réputés hérétiques et dénoncés d’avance aux pouvoirs séculiers... 

[…] Érasme avait raison pour une fois. Si Rome poursuivait Luther avec tant de hâte passionnée, c’est qu’il avait touché "à la couronne du pape et au ventre des moines". Et Hutten avait raison aussi : c’est que Luther était un Allemand qui, dangereusement, se dressant à la porte de l’Allemagne, prétendait en interdire l’exploitation fructueuse aux Italiens. Comment Luther, l’impulsif, l’impressionnable Luther aurait-il fermé les yeux à cette évidence ?

Ainsi Rome faisait tout pour le pousser, l’incliner dans la voie des Hutten et des Crotus Rubianus. En le classant sans répit et presque sans débat parmi ces hérétiques criminels dont il faut étouffer les idées dans l’œuf, elle le chassait peu à peu hors de cette unité, de cette catholicité au sein de laquelle pourtant, de toute son évidente sincérité, il proclamait vouloir vivre et mourir. Elle acceptait le schisme, elle courait au-devant de lui. Elle fermait, sur la route de Martin Luther, la porte pacifique, la porte discrète d’une réforme intérieure.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 94 à 97

[ catholicisme ] [ politique ]

 

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judaïsme

Dans une Europe qui, pas très loin à l'est, pratique une barbarie d'un autre âge, ghettos, pogroms et chasse aux Juifs, Vienne leur a garanti l'égalité des droits, la sécurité et la liberté, cadeaux inestimables.
[...]
Les Juifs d'Autriche, émancipés depuis 50 ans à peine, forment à Vienne une élite brillante et influente à laquelle le jeune homme peut être fier d'appartenir. Ils sont le cœur de la bourgeoisie libérale, influente et prospère.
[...]
D'abord artisans, banquiers et commerçants, puis devenus à la deuxième génération, avocats, médecins, professeurs ou journalistes, ils exercent au début du siècle un tiers des professions libérales, représentent plus de la moitié des médecins et des avocats, et les trois quart des journalistes. Leur rôle dans la société viennoise est capital. Il leur vaut en retour rancœurs et inimitiés. Car si la capitale autrichienne a l'habitude des minorités et se fonde même sur leurs diversités, l'ascension récente et spectaculaire de l'une d'elles a réveillé dans la population une sourde et très ancienne hostilité. On jalouse et on craint ses progrès, on la soupçonne d'avoir l'esprit de domination. Le spectre d'un règne juif hante les consciences de la Belle Epoque. Même Nietzsche en arrive à reconnaître, dans Par-delà le bien et mal, que "les Juifs, s'ils le voulaient, [...], pourraient avoir dès maintenant la prépondérance et littéralement la mainmise sur l'Europe entière". Zweig, jeune homme, le sait : il n'est pas facile d'être juif, en 1900, sur les bords du Danube où les jeunes lois de François-Jospeh n'ont pas aboli de vieilles et tenaces préventions. Dans la ville qui l'a vu naître, l'antisémitisme, aussi, fait partie du décor.
[...]
Ainsi malgré les lois, et malgré l'empereur qui prétend être le moins antisémite de tous les Autrichiens, aucun Juif, par la force de la tradition, n'a-t-il jamais eu accès aux plus hauts postes de l'administration, de la diplomatie, de l'enseignement ou de l'armée, domaines réservés aux catholiques de pure souche ou, parfois, à des convertis.
[...]
A l'université, les jeunes gens juifs représentent un tiers des étudiants, pourcentage considérable par rapport à la population juive. [...] S'ils travaillent, ils obtiendront leurs diplômes, sans rencontrer d'injustice particulière. Toutefois les barrages se révéleront par la suite insurmontables, s'ils briguent les postes les plus prestigieux.
[...]
Pour Stefan Zweig, être viennois est à la fois une chance et un programme. Une chance, parce qu'en comparaison des orages et des tempêtes qui, plus à l'est, empoisonnent le climat de l'Europe, c'est un ciel paisible qui s'offre à lui. Et un programme, parce qu'il est né là au confluent de toutes les cultures, entre Orient et Occident, sur une terre de grands brassages. "Le génie de Vienne est proprement musical, dira-t-il plus tard, en se rappelant sa jeunesse. Il a toujours été d'harmoniser en soi tous les contrastes ; qui vivait et travaillait là se sentait libéré de toute étroitesse." Être juif ne saurait être pour lui qu'une limite, une définition trop étroite. Parler allemand élargit l'espace, enrichit une identité qui cherche à dépasser ses origines, à s'affranchir des premiers liens. Être autrichien a cet avantage de lui permettre de côtoyer les plus divers, les plus étonnants folklores et d'éprouver jusqu'au vertige les vertus de la différence et de l'échange. Mais être viennois, c'est plus encore
[...]
La culture de sa famille est imprégnée du cosmopolitisme inscrit dans son histoire et dont elle a su inculquer l'esprit à ses fils. Stefan Zweig, qui outre l'anglais et l'italien, a étudié le grec et le latin, ressent un goût particulier pour le français : il le parle et l'écrit couramment. Il déclare aimer Voltaire et Racine, autant que Goethe et Schiller. Par son éducation et de toutes ses fibres, l'Europe pour lui n'a pas de frontières, l'Europe des Lumières, où Vienne brille d'un éclat joyeux. "Nulle part, écrira-t-il, il n'était plus facile d'être un Européen".
[...]
Le pire des châtiments, pour Zweig, comme pour tous les adolescents de la bourgeoisie de Vienne, élevés avec le souci obsessionnel de leur avenir, eût été de se voir exclu du lycée, d'être renvoyé au premier métier de ses père et grand-père, à l'humiliation d'un métier manuel. Car le prestige du savoir, capital dans une société qui honore la culture sous toutes ses formes, l'est plus encore dans les familles juives qui y voient le plus sûr moyen d'illustrer et de parfaire leur récente implantation. Elle ne leur apparaît pas seulement comme un instrument de stratégie sociale, une manière de franchir encore des barrières et de constituer une élite, elle reflète le penchant ancestral d'un peuple pour ce qui est d'ordre intellectuel et spirituel, entretient un rapport avec le verbe et l'écrit. Zweig l'expliquera un jour, dans le contexte de haine et de violences que sera devenue l'époque : "On admet généralement que le but propre de la vie du Juif est de s'enrichir. Rien de plus faux. La richesse n'est pour lui qu'un degré intermédiaire, un moyen d'atteindre le but véritable et nullement une fin en soi. La volonté propre du Juif, son idéal immanent est de s'élever spirituellement, d'atteindre à un niveau culturel supérieur."

Auteur: Bona Dominique

Info: Dans "Stefan Zweig"

[ contexte politique ] [ ouverture universelle ]

 

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homme-machine

Sciences-Po vient d’interdire l’usage de ChatGPT, l’application qui permet à tous les empêchés de la plume ou du clavier de produire en un temps record des textes bourrés d’idées reçues — de crainte sans doute, que l’on ne distingue pas les produits de l’Intelligence Artificielle et ceux de nos futurs énarques.

David Cayla, un économiste qui ne dit pas que des âneries, s’est fendu d’un tweet ravageur dès qu’il a appris que Sciences-Po avait décidé d’interdire à ses élèves l’usage de ChatGPT. "La stricte interdiction de #ChatGPT à Sciences Po révèle que cette école se sent menacée par une IA qui est capable de construire de belles phrases à partir de tout sujet, sans comprendre de quoi elle parle, et en faisant régulièrement des erreurs grossières." Et toc.

Rappel des faits pour ceux qui sortent à peine de leur grotte d’hibernation. Chloé Woitier, journaliste Tech au Figaro, vous explique en direct live ce qu’est cette application : la capacité à générer du texte — sans grand souci d’originalité et avec une capacité réelle d’erreurs grandioses — à partir de cohortes de mots et de phrases mis en mémoire. En fait, il s’agit de ce que l’on appelle en rhétorique un texte-centon, fabriqué à partir de collages de citations. Vous en avez un joli exemple ici.

Une chance pour les tire-au-flanc

Rien de nouveau — si ce n’est la capacité à produire un résultat de façon quasi instantanée. Voilà qui nous arrange bien, se disent déjà les élèves peu besogneux qui s’aperçoivent à 7 heures du matin qu’ils ont une dissertation-maison à rendre à 10 heures. En gros, le résultat vaut une petite moyenne.

Laurence Plazanet, professeur de littérature à l’université de Clermont-Auvergne, note que "nourri de la vaste littérature disponible sur la toile, littérature qu’il remâche suivant des algorithmes statistiques et probabilistes aptes à se reprogrammer eux-mêmes, dit-on, selon des procédures que cessent de maîtriser leurs programmeurs initiaux, ChatGPT patauge dans le prêt-à-penser." Et d’ajouter : "Pas un instant ce robot éclairé ne pense."

Intelligence artificielle, un oxymore

Comprenons bien que ces deux mots, "intelligence artificielle", sont ce que l’on appelle en stylistique un oxymore — une contradiction en soi. Comme "obscure clarté", "nuit blanche", "homme fidèle" ou "femme intelligente"…  

(C’étaient les exemples que je citais en cours pour expliquer l’oxymore. Protestations immédiates des uns et des autres, comme vous l’imaginez, mais du coup, par l’exemple provocateur, la notion s’ancrait dans les mémoires.)

Ce qu’il y a d’intelligent dans la machine y a été mis par des hommes. Lorsqu’un ordinateur vous bat aux échecs, c’est que vous êtes moins fort que la cohorte de grands maîtres qui l’ont programmé — ce qui est assez logique.

Que Sciences-Pipeau s’en émeuve est en revanche très inquiétant — et très drôle : les grandes intelligences qui nourriront les ministères et parviendront peut-être un jour au sommet (pensez, François Hollande, Ségolène Royal, Dominique de Villepin appartenaient à la même promo de l’ENA) se sentent menacées par un robot qui mécaniquement débite des platitudes. "Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on n’pense pas, Monsieur, on n’pense pas", chantait Brel. La machine à débiter des lieux communs, dont Flaubert s’est si ardemment moqué dans le discours du sous-préfet (c’est dans Madame Bovary) vous est désormais accessible.

Des inquiétudes injustifiées

ChatGPT n’est pas capable de rédiger une dissertation crédible. Un enseignant un peu rodé repère immédiatement les copiés-collés que les étudiants pressés vont cueillir sur le Net (c’est simple, il n’y a soudain plus de fautes d’orthographe), et ne met pas cinq secondes pour en identifier la source.  

Il est encore moins capable de rédiger une thèse — le plus simple étant d’aller copier une thèse déjà écrite : en 2013 déjà une ministre allemande a été déchue de son doctorat (rendu 33 ans auparavant) parce qu’il avait été pompé sur un travail antérieur. Deux ans auparavant c’était le ministre de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, qui s’était vu dénoncé pour un plagiat similaire dans sa thèse de Droit. 

Et ChatGPT ne saurait pas non plus écrire un roman original. Ne vous avisez pas de le lui demander : au pire, il vous arrivera ce qui est arrivé jadis à Thierry Ardisson, dont le nègre indélicat est allé chercher un récit des années 1930 pour Pondichéry, un roman publié en 1994. Et les héritiers de l’auteur véritable ont porté plainte. Ardisson m’avait confié dans les coulisses d’une émission qu’il avait été "con" de ne pas vérifier. Mais en 1994 c’était moins facile qu’aujourd’hui, où tout se sait à la vitesse de la Toile.

La rumeur de la rue Saint-Guillaume

Que la rumeur d’un robot doué d’une vraie intelligence ait si vite enthousiasmé les commentateurs et effrayé les enseignants témoigne de notre candeur et de notre incapacité à comprendre ce qui fait l’originalité d’un travail. Ou, plus inquiétant, de notre aspiration à la paresse.

Rassurons-nous : HAL 9000 (ou Carl 500, dans la version française, pour Cerveau analytique de Recherche et de Liaison), l’ordinateur rebelle de 2001 l’Odyssée de l’espace, n’est pas pour demain.

Une preuve ? J’ai demandé à ChapGPT de répondre à cette question simple : l’IA va-t-elle remplacer l’intelligence humaine ? Et le robot m’a répondu : 

"Non, l’IA ne remplacera pas complètement l’intelligence humaine. L’IA est un outil qui peut être utilisé pour augmenter les capacités humaines et faciliter certaines tâches, mais elle ne peut pas remplacer la conscience, la créativité et l’empathie qui sont uniques à l’intelligence humaine." Plus plat, tu meurs. On dirait de l’Annie Ernaux. 

Et le fait est que si vous supprimez de votre conversation "la conscience, la créativité et l’empathie", vous êtes bon pour être un parfait étudiant de Sciences-Po, un parfait énarque en devenir, et très probablement un excellent président de la République. 

Auteur: Brighelli Jean-Paul

Info: https://www.causeur.fr, 31 janv 2023. ChatGPT, la Grande Peur de Sciences-Pipeau

[ vacheries ] [ bêtise inconstitutionnelle ] [ élites formatées ]

 

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boomers vs wokes

Kompromat à la française - Pour avoir réussi un coup de maître – faire signer 50 artistes pour défendre Gérard Depardieu – Yannis Ezziadi est à son tour lynché. Cette affaire restera un cas d’école de la mécanique de la Terreur qui veut en finir avec toute singularité.



Pouvez-vous expliquer ces blagues ? Dans le brouhaha malveillant orchestré autour de la tribune de 50 artistes et assimilés pour Depardieu et de son auteur, notre ami Yannis Ezziadi, cette question que lui a adressée Marine Turchi dit la vérité la plus profonde de toute cette affaire (et de pas mal d’autres).



Dans le monde rêvé des néo-féministes en particulier et des wokistes en général, tout passe au hachoir de l’esprit de sérieux : l’art, la littérature, le sexe (abaissé à un ennuyeux pacte contractuel) et l’humour lui-même, prié de participer à la rééducation des masses boomeuses et dépravées.



Pour bien faire comprendre la dangerosité du gars, il me faut reproduire quelques-unes de ces plaisanteries citées à comparaître. Pour vous, c’est cadeau. D’abord, il y a cette citation de Courteline, postée en 2013 (les fouilleurs de poubelles numériques sont consciencieux):  L’homme est le seul mâle qui batte sa femelle. Il est donc le plus brutal des mâles, à moins que, de toutes les femelles, la femme soit la plus insupportable. Le petit malin (il avait 22 ans), avait assorti la citation de ce commentaire :  Je vais me faire lyncher, mais c’est tellement drôle.  Plus grave, car sortie du cerveau malade de l’auteur, cette blague de février 2021 : Pour les accusations de violences sexuelles, heureusement, ce ne sera pas comme pour le Covid. Une fois que la majorité des hommes aura été accusée de viol et d’inceste, ils seront peut-être protégés par l’immunité collective. C’est le seul espoir… Espoir fortement déçu. Si ça vous a fait marrer, votre compte est bon : vous êtes un défenseur des violences sexistes-et-sexuelles et un amateur de violences conjugales. Ou le contraire.



Vous avez le droit de rire, à condition que ce rire ne soit jamais traversé de mauvaises pensées. J’aimerais bien savoir à quoi sert l’humour s’il n’est pas le sauf-conduit de nos mauvaises pensées, le refuge du négatif. Si ça se trouve, nos mangeuses d’hommes n’ont jamais de mauvaises pensées. Les pauvres. Et pauvres de nous. Le règne de la positivité, du premier degré, de la transparence est ce qui s’apparente le plus au meilleur des mondes. C’est-à-dire à l’enfer.



Mais je reviens à mes moutons, en l’occurrence au bouc. Pour ceux qui l’ignorent, Marine Turchi, qui officie à Mediapart, est à la nouvelle terreur féministe ce que Vychinski était au stalinisme. Procureur implacable, elle est capable d’écouter des dizaines d’heure du Masque et la plume , pour révéler qu’on y a dit 32 fois salope ou entendu 41 blagues sexistes (les chiffres sont fantaisistes). Il faut lui reconnaître  une certaine conscience professionnelle. Turchi monte ses dossiers. Et bien sûr, elle donne la parole à l’accusé, parole qui se retrouve généralement noyée entre les témoignages accusatoires. Turchi exerce sa charge avec une certaine froideur, alors qu’Ariane Chemin, qui requiert au Monde, semble animée par la passion de nuire. Mais les deux, formées à l’école Plenel, ont le même talent pour construire et imposer un récit totalement fantasmé des faits qu’elles évoquent. En l’occurrence, elles ont réussi à faire passer l’initiative d’un franc-tireur baroque et flamboyant pour une opération d’extrême droite, orchestrée par "la galaxie Bolloré " pour faire main basse sur le monde de la culture – galaxie, ça vous a un petit air Guerre des étoiles, bien contre mal etc. Ces affabulations complotistes ont suffi à déclencher une chasse à l’homme.



Pour les historiens qui étudieront le totalitarisme sans goulag (analysé par Mathieu Bock-Côté dans son dernier livre) et se demanderont comment des peuples cultivés ont pu se laisser déposséder de leurs libertés sans la moindre contrainte militaire ou physique, l’affaire de la pétition Depardieu sera un cas d’école. Un modèle d’efficacité de la mécanique de la terreur.



Premier acte : panique au quartier général.



Cinquante-six artistes et producteurs dénoncent le lynchage de Depardieu. Un bras d’honneur à la loi du Milieu. Un artiste peut à la limite se taire (bien que cela soit parfois suspect). Mais s’il l’ouvre, il n’a qu’un droit : celui d’énoncer les poncifs du progressisme prêchi-prêcheur, en commençant par quelques génuflexions devant la révolution #metoo. S’il veut cocher toutes les cases, il peut lutter contre la loi scélérate sur les retraites (Bosser jusqu’à 63 ans, jamais !), dénoncer les crimes climatiques des riches et des ploucs, manifester (dans son salon) pour l’accueil des migrants. Cependant, s’il n’a pas le temps de dispenser sa compassion à tout-va, une cause contient toutes les autres, la lutte contre l’extrême droite. C’est la formule magique, la carte du Parti. Qui, en plus d’offrir à son détenteur la considération de France Inter lui permet de bosser.



Sans la sortie d’Emmanuel Macron, qui a déclaré quelques jours plus tôt que Depardieu faisait la fierté de la France, l’affaire en serait peut-être restée là. Du reste, sans l’encouragement présidentiel, les signataires auraient certainement été moins nombreux et moins titrés. Cette fois, il ne s’agit pas des sans-grades de l’intermittence du spectacle, ni de réacs estampillés, mais de stars. Certaines sont sur le retour ou en fin de carrière (ce qui permettra à d’élégants plumitifs de calculer l’âge moyen des signataires), d’autres sont inconnus, mais il y a aussi des comédiens bankables, dont les noms aident à monter un film.



C’est bien ce qui enrage le clergé médiatico-culturel, habitué à voir ses excommunications et proscriptions appliquées sans protestations. La volaille qui fait l’opinion sent le danger : sous peine de voir son pouvoir d’intimidation ébranlé, il lui faut frapper fort. On peut compter sur la police politique.



Acte II. On discrédite le message.



C’est simple : il n’y a qu’à saucissonner le texte en lui faisant dire ce qu’il ne dit pas – que Depardieu a tous les droits, y compris de cuissage. Peut-être y a-t-il des maladresses de rédaction, le texte n’établissant pas assez clairement la différence entre des accusations de viol et des blagues obscènes. Reste que 55 personnes l’ont signé en connaissance de cause – le seul à avoir longuement essayé d’introduire des modifications a été Yvan Attal qui, malgré ces désaccords, a maintenu sa signature. Des agents, des avocats l’ont lu, beaucoup ont dissuadé leurs clients de signer, d’autres ont approuvé des deux mains.



A lire aussi, Dominique Labarrière: Affaire Depardieu: la bourgeoisie de farces et attrapes dans tous ses états



Que ce texte choque, c’est naturel, mais pas pour les raisons invoquées par les milices vigilantes qui sévissent dans les égouts numériques. Le scandale c’est que des artistes puissent adopter le point de vue de l’art plutôt que celui de la morale. Qu’ils affirment clairement que le génie de l’artiste leur importe plus que les agissements de l’homme – cela ne signifie pas que l’un excuse les autres. L’histoire retiendra-t-elle de Picasso qu’il a mal traité ses femmes ou été un artiste de génie ? La réponse à cette question dépendra de l’issue de la guerre idéologique entre les déconstructeurs et les héritiers. En attendant, ce ne sont pas des hommes déconstruits qui ont fait l’histoire de l’art. Ni l’histoire tout court.



Les maîtresses d’école[1] qui surveillent le débat public n’entendent rien à cette grammaire qui échappe aux cadres rigides structurant leur pensée. Elles se contentent de distribuer froncements de sourcils et coups de règles aux signataires. Ils n’ont pas un mot pour les victimes (qui sont en réalité des plaignantes), preuve qu’ils sont solidaires des agresseurs, violeurs et autres pédophiles. Ces premières sommations entraînent déjà quelques défections, sur le mode " J’avais mal lu " voire " J’ai signé sans lire ". Mais croyez-le bien je pense tous les jours aux violences contre les femmes.



Acte III. On brûle le messager.



Là, on ne rigole plus. La hauteur de l’affront exige une victime expiatoire. Après les préliminaires, se met en branle une mécanique proprement totalitaire, de celles qui broient les individus pour la bonne cause. Dans les sacristies médiatiques, on découvre avec fureur que le diablus ex machina de cette sorcellerie est un quasi inconnu (sauf pour les heureux lecteurs de Causeur et les afficionados). Voilà un type qui prétend avoir, avec ses petits bras, convaincu des vedettes comme Bertrand Blier, Carole Bouquet ou Pierre Richard de prendre la défense d’un homme que Le Monde et Mediapart ont pourtant condamné à la mort sociale.



Il faut lui donner une leçon, à lui et à tous ceux qui l’ont suivi. Leur faire passer l’envie de récidiver. On s’intéresse donc à sa personne, débitée en tranches avec encore plus de malveillance que son texte. De ce point de vue, l’article d’Ariane Chemin mérite la médaille d’or de la dégueulasserie journalistique. Avec quelques micro-bouts de vérité, elle dresse un portrait totalement mensonger intitulé : À la source de la tribune pour Depardieu, un comédien proche des sphères identitaires et réactionnaires. Non seulement il écrit dans Causeur, mensuel dépeint, selon les médias ou les jours, comme d’extrême droite, conservateur, ultra-conservateur ou réactionnaire, mais Chemin souligne qu’il est ami avec Sarah Knafo et Eric Zemmour et qu’il fait la fête avec votre servante. À l’évidence, pour Chemin, l’amitié ne saurait tolérer la divergence. Quant à nos fêtes, elle doit s’imaginer qu’on y récite des horreurs racistes et sexistes affublés de chapeaux pointus. Nous passons en effet d’excellentes soirées à rire, nous disputer, boire, manger, danser, chanter et rire encore. Tout ce rire, c’est suspect, chef. Surtout entre gens qui ne pensent pas la même chose.



Les articles d’Ezziadi sont passés à la même moulinette diffamatoire. Le texte magnifique dans lequel il démonte la mécanique complotiste qui lui a retourné le cerveau à l’âge de 18 ans devient une preuve à charge : le gars est un « dieudonniste repenti » (ce qui signifie dieudonniste toujours). Sa charge contre Jean-Paul Rouve qui joue Matzneff en monstre et se dit fier de ne rien comprendre à son personnage est présentée comme une défense de l’écrivain à nymphettes. Pour sa défense, Ezziadi cite Bruno Ganz qui, dans la Chute, campait un Hitler diablement humain et fut honoré pour cela. Certains en concluent sans doute qu’en prime, il est nazi. Son reportage sur l’islamisation rampante de Nangis, paisible ville de Seine et Marne fait de lui un adepte de " la théorie complotiste-extrême-droite du Grand remplacement " sans que quiconque se donne la peine de réfuter les faits qu’il décrit – et pour cause. Et quand il affirme, sur LCI, que les hommes ont peur, son interlocutrice, une péronnelle blonde à l’air méchant, le toise, semblant penser qu’ils ont bien raison d’avoir peur, toi le premier. Les ligues de vertu avaient fabriqué un monstre avec Depardieu. En une semaine, elles accouchent d’une nouvelle figure du mal et du mâle à abattre.



Acte IV. La litanie des autocritiques.



Pour nombre de signataires, la pression morale et financière est insupportable. Ils n’ont pas l’habitude des flots de haine et d’injures qui s’abattent sur eux. Leurs agents les engueulent, ils se font pourrir par leurs neveux woke lors des dîners de famille, des directeurs de théâtre, des producteurs, des diffuseurs, des réalisateurs menacent à mots couverts. Ils doivent lâcher l’ennemi du Parti sous peine d’être purgé avec lui. Certains, honteux de leur propre reculade, se retirent sur la pointe des pieds, parfois après avoir adressé en privé à Ezziadi un signe amical – je suis désolé mais je n’ai pas le choix. Jacques Weber pleurniche, écrivant curieusement que sa signature était un  " autre viol  " – son respect de la présomption d’innocence aura duré deux semaines. D’autres en rajoutent dans l’adoration de la Révolution, braillent comme des pourceaux, jurant qu’ils ont été trahis, manipulés, envoutés par un petit comploteur d’extrême droite. Puisque Le Monde le dit, il ne leur vient même pas à l’esprit de se poser une question. Comme me l’écrit Jonathan Siksou, " si Ariane Chemin ou BFM avait dit que Yannis était une table à roulettes ou un pélican, tout le monde le croirait ". Ils ont signé parce qu’ils croyaient que le vent avait tourné. Ils se replacent naturellement dans le sens du vent.



Le plus inquiétant est que la machine à détruire s’en prenne à un jeune homme qui n’a aucun pouvoir, sinon celui de son grand charme et du plaisir que ses amis prennent à sa compagnie. Contrairement aux consœurs qui peuvent encore briser des carrières et réduire des hommes au chômage sur la seule foi d’accusations (les femmes ne mentent jamais), Yannis Ezziadi ne peut nuire à personne. Il a effectivement monté son attentat contre la bienséance avec sa seule force de conviction. Il s’est pendu au téléphone, d’abord avec les amis, puis les amis d’amis, chacun des signataires a donné ses contacts, certains, dit « oui » puis « non » en fonction de leurs dîners de la veille.



Il n’est guère étonnant que ce dandy fantastiquement drôle qui peut pleurer de bonheur en écoutant un opéra ou en regardant une corrida enrage les vestales fanatiques de la religion des femmes et tous ceux qui, terrifiés, psalmodient derrière elles. Yannis Ezziadi possède quelque chose que ces esprits policiers haïssent parce qu’ils y ont renoncé. Cela s’appelle la liberté.



Epilogue. Le Parti a toujours raison.



Les tricoteuses féministes ont réduit au silence tous ceux qui auraient pu, qui auraient dû, se lever contre ce procès de Moscou. Beaucoup se taisent par peur d’être à leur tour soupçonnés, donc condamnés. On peut le comprendre mais ils ont tort. Pour peu qu’ils aient une sexualité vaguement débridée (quoique parfaitement légale), ils finiront, eux aussi, par être arrêtés un matin, même sans avoir jamais rien fait. Si toutes les stars de la tribune Depardieu avaient tenu bon et adressé un grand bras d’honneur aux maitres-chanteurs, le rapport de forces aurait changé. Un peu de courage ne nuit pas.



Oui, il y a des raisons d’avoir peur. L’inquisition a gagné une bataille. Si demain, plus personne n’ose sortir des clous de la bienséance, si nous acceptons docilement que Polanski, Depardieu et tant d’autres soient brûlés en place publique, que leurs œuvres soient bannies des écrans et des mémoires, elle règnera sur nos esprits. Quand on a peur de dire ce qu’on pense, on finit par avoir peur de penser.



[1] Des deux sexes mais le féminin pour tout le monde est ici parfaitement justifié

Auteur: Lévy Elisabeth

Info: Causeur, 4 janvier 2024

[ pouvoir sémantique ] [ Gaule ] [ parisianisme ]

 

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