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femmes-par-femme

Combien de femmes ont connu cette retraite en soi, ce repliement patient qui succède aux larmes révoltées ? Je leur rends cette justice, en me flattant moi-même : il n'y a guère que dans la douleur qu'une femme soit capable de dépasser la médiocrité. Sa résistance y est infinie ; on peut en user et abuser sans craindre qu'elle ne meure, moyennant que quelque puérile lâcheté physique ou quelque religieux espoir la détournent du suicide simplificateur.

"Elle meurt de chagrin... Elle est morte de chagrin"... Hochez, en entendant ces clichés, une tête sceptique plus qu'apitoyée : une femme ne peut guère mourir de chagrin. C'est une bête si solide, si dure à tuer ! Vous croyez que le chagrin la ronge? Point. Bien plus souvent elle y gagne, débile et malade qu'elle est née, des nerfs inusables, un inflexible orgueil, une faculté d'attendre, de dissimuler, qui la grandit, et le dédain de ceux qui sont heureux. Dans la souffrance et la dissimulation, elle s'exerce et s'assouplit, comme à une gymnastique

quotidienne pleine de risques... Car elle frôle constamment la tentation la plus poignante, la plus suave, la plus parée de tous les attraits : celle de se venger.

Il arrive que, trop faible, ou trop aimante, elle tue... Elle pourra offrir à l'étonnement du monde entier l'exemple de cette déconcertante résistance féminine. Elle lassera ses juges, les surmènera au cours des interminables audiences, les abandonnera recrus, comme une bête rouée promène des chiens novices... Soyez sûrs qu'une longue patience, que des chagrins jalousement cachés ont formé, affiné, durci cette femme dont on s'écrie :

— Elle est en acier !

Elle est "en femme", simplement — et cela suffit.

Auteur: Colette Sidonie Gabrielle

Info: La Vagabonde

[ endurantes ] [ coriaces ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

généalogie

La propre source, c’est ce que chaque femme et chaque homme au monde reçoit en héritage par sa naissance, avec son nom propre, sans l’avoir en commun avec qui que ce soit d’autre. Qui que vous soyez, vous êtes né quelque part, de parents nés eux aussi quelque part. Ce quelque part n’est pas seulement un lieu géographique ni une histoire familiale : c’est une langue, une provenance spirituelle, une sagesse ascendante. Que vous le sachiez ou pas, qui que vous soyez votre origine est royale. La femme de ménage algérienne la plus démunie a sa propre source royale. L’ouvrier breton le plus harassé aussi. Le petit commerçant chinois endetté aussi. La prostituée albanaise aussi, comme l’Inuit alcoolisé, le Tibétain exilé, le Malais esclavagisé, le mendiant roumain, le Corse anachorète, le Juif haineux de soi…



Accéder à sa propre source n’est pas compliqué en soi. La méthode en est d’autant plus simple qu’elle n’a pas varié depuis des siècles. Commencez par méditer votre histoire familiale. Elle a été refoulée, occultée, envenimée ? Vos propres parents furent des monstres qui cherchèrent à vous détruire parce qu’eux-mêmes aussitôt nés furent écrabouillés ? Remontez plus haut, toujours plus haut, écoutez, parlez, questionnez, lisez surtout, partez à la recherche de  d’où vous venez, ce là qui est moins un lieu qu’un lien, un invisible ombilic tramé de mots, ce là où vos ancêtres vous attendent pour vous rajeunir.



Cela n’est pas compliqué, mais cela n’est pas facile. Ressusciter en pensée ne va pas de soi. Les obstacles se dressent avec autant de pugnacité que les portes dérobées s’ouvrent sans prévenir. Puis, une fois retrouvée votre propre source, rien ne peut vous empêcher de vous pâmer dans l’onde du fleuve jusque vers la mer que chérissent les hommes libres, de vous intéresser à toutes les autres cultures, d’apprendre tous les autres savoirs.

Auteur: Zagdanski Stéphane

Info: 17 janvier 2022 https://lundi.am/A-quoi-comparer-cela

[ interrogation ] [ rencontre ] [ singularités ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

capitalisme

Nous évoluons dans un espace entièrement
quadrillé, entièrement occupé, d’un
côté par le Spectacle, de l’autre par le
Biopouvoir. Et ce qu’il y a de terrible dans
ce quadrillage, dans cette occupation, c’est
que la soumission qu’ils exigent de nous
n’est rien contre quoi nous puissions nous
rebeller en un geste définitif de rupture,
mais avec quoi nous ne pouvons que composer
stratégiquement.
Le régime de pouvoir sous lequel nous vivons
ne ressemble en rien à celui qui a pu
avoir cours sous les monarchies administratives,
et dont le concept périmé est demeuré
jusqu’à une date récente, c’est-à-dire
au sein même des démocraties
biopolitiques, le seul ennemi reconnu par
les mouvements révolutionnaires : celui
d’un mécanisme d’entrave, de coercition
purement répressif.
La forme contemporaine de la domination
est au contraire essentiellement productive.
D’une part, elle régit toutes les manifestations
de notre existence – le Spectacle ;
de l’autre, elle gère les conditions de celle-ci
– le Biopouvoir.
Le Spectacle, c’est le pouvoir qui veut que
vous parliez, qui veut que vous soyez quelqu’un.
Le Biopouvoir, c’est le pouvoir bienveillant,
plein d’une sollicitude de pasteur pour son
troupeau, le pouvoir qui veut le salut de ses
sujets, le pouvoir qui veut que vous viviez.
Pris dans l’étau d’un contrôle à la fois totalisant
et individualisant, murés dans une
double contrainte qui nous anéantit dans le
mouvement même où elle nous fait exister,
le plus grand nombre d’entre nous adopte
une sorte de politique de la disparition :
feindre la mort intérieure et, comme le
Captif devant le Grand Inquisiteur, garder
le silence. En soustrayant et en se soustrayant
à toute positivité, ces spectres dérobent
à un pouvoir productif ce sur quoi
il pourrait s’exercer. Leur désir de ne pas
vivre est tout ce qu’ils ont la force d’opposer
à une puissance qui prétend les faire
vivre. Ce faisant, ils demeurent dans le
Bloom, souvent s’y enterrent.

Auteur: Tiqqun

Info: Tiqqun, Théorie du Bloom, P.33

 
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Ajouté à la BD par Bandini

excrément

Vous êtes bien heureuse d'aller chier quand vous voulez; chiez donc tout votre chien de soûl...
(Alors que sa correspondante a entière liberté, la Palatine est "obligée de garder son étron pour le soir". La raison ? Elle habite une maison sans lieux d'aisance, ce qui l'oblige à faire la chose dehors.)
Cela me fâche, parce que j'aime à chier à mon aise, et je ne chie pas à mon aise quand mon cul ne porte sur rien.
Je voudrais que celui qui a le premier inventé de chier, ne pût chier, lui et toute sa race, qu'à coups de bâton. Comment, mordi! Qu'il faille qu'on ne puisse vivre sans chier? Soyez à table avec la meilleure compagnie du monde, qu'il vous prenne envie de chier, il vous faut aller chier. Soyez avec une jolie fille, une femme qui vous plaise ; qu'il vous prenne envie de chier, il faut aller chier ou crever. Ah! maudit chier, je ne sache point de plus vilaine chose que de chier.
(...)
Voyez passer une jolie personne, bien mignonne, bien propre, vous vous récriez: ah! que cela serait joli si cela ne chiait pas! Je le pardonne à des crocheteurs, à des soldats aux gardes, à des porteurs de chaises et à des gens de ce calibre-là. Mais les empereurs chient, les impératrices chient, le pape chie, les cardinaux chient, les princes chient, les archevêques et les évêques chient, les généraux d'ordres chient, les curés et les vicaires chient. Avouez donc que le monde est rempli de vilaines gens, car enfin, on chie en l'air, on chie sur la terre, on chie dans la mer, tout l'univers est rempli de chieurs et les rues de Fontainebleau de merde, car ils font des étrons gros comme vous, madame.
La conséquence est terrible. Vous pensez "baiser une belle petite bouche avec des dents bien blanches"? Erreur! En réalité, "vous baisez un moulin à merde".

Auteur: Bavière Charlotte-Elisabeth de

Info: 9 octobre 1694, lettre à sa tante, l'Electrice de Hanovre

[ vulgarité ] [ fiente ] [ grossièreté ]

 

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dernières paroles

Ma petite Paula bien-aimée, fidèle jusqu'au dernier souffle à mon idéal, cet après-midi à 15 heures, je tomberai fusillé. Je te laisse seule avec notre petit garçon chéri. Je ne pense qu'à vous deux. Je vous aime tellement, je t'aime tellement, ma petite chérie. Je te demande pardon de tout le mal que j'ai pu te faire. Tu m'as donné tellement de bonheur.
Maintenant j'y repense ; je revis ces instants de bonheur passés près de toi et près de notre petit garçon chéri.
Sois courageuse, ma petite bien-aimée. Défends notre petit Microbe chéri. Élève-le en homme bon et courageux. Parle-lui souvent de moi, de son "papa-car" qui l'aime tellement, qui vous aime tellement.
Mes derniers instants, je veux les consacrer à vous.
Je te revois, avec notre petit trésor dans les bras, m'attendre à la descente du car. J'entends son rire, je revois tes yeux de maman l'envelopper de tant de tendresse.
Je l'entends m'appeler "papa", "papa" !
Soyez heureux tous les deux et n'oubliez pas votre "papa-car".
Je saurai mourir courageusement et, face au peloton d'exécution, je penserai à vous, à votre bonheur et à votre avenir. Pensez de temps en temps un peu à moi. Du courage, ma Paula bien-aimée.
Il faut élever notre petit garçon chéri. Il faut faire de lui un homme bon et courageux. Son papa lui laisse un nom sans tache. Aux moments de découragement, pense à moi, à mon amour pour vous deux, à mon amour immense qui ne vous quitte pas, qui va vous accompagner partout et toujours.
Ma bien-aimée, ne te laisse pas abattre, tu seras à partir de 15 heures le papa et la maman de notre petit chéri. Sois courageuse et encore une fois pardonne-moi le mal que je t'ai fait.
Te dis, ma Paula bien-aimée, tout mon amour pour toi et notre petit Microbe chéri.
Vous serre tous les deux dans mes bras.
Vous embrasse de tout mon coeur.
Vive la France, Vive la liberté !
Mes amitiés à tous nos amis.

Auteur: Epstein Joseph

Info: 11 avril, à sa femme

[ exécution ]

 

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compensation judiciaire

La justice est une création perpétuelle. Elle sera ce que vous la ferez. N’attendez pas le feu vert du ministre ou du législateur ou des réformes, toujours envisagées. Réformez vous-mêmes. (…) La loi s’interprète. Elle dira ce que vous voulez qu’elle dise. Sans y changer un iota, on peut, avec les plus solides “attendus” du monde, donner raison à l’un ou à l’autre, acquitter ou condamner au maximum de la peine. Par conséquent, que la loi ne vous serve pas d’alibi. (…)

Ne vous contentez pas de faire votre métier. Vous verrez vite que, pour être un peu utile, vous devez sortir des sentiers battus. Tout ce que vous ferez de bien, vous le ferez en plus. Qu’on le veuille ou non, vous avez un rôle social à jouer. Vous êtes des assistantes sociales. Vous ne décidez pas que sur le papier. Vous tranchez dans le vif. Ne fermez pas vos cœurs à la souffrance ni vos oreilles aux cris. (…) Ne soyez pas des arbitres indifférents au-dessus de la mêlée. Que votre porte soit ouverte à tous. Il y a des tâches plus utiles que de chasser ce papillon, la vérité, ou que de cultiver cette ­orchidée, la science juridique. (…)

Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d’un côté (…). Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice.

(Harangue à ses jeunes pairs, les appelant à faire pencher la justice en faveur des plus défavorisés. Baudot est alors substitut du procureur de la République à Marseille, en 1974. Le garde des sceaux d’alors, Jean Lecanuet, le poursuit pour "manquement à l’obligation de réserve". Baudot comparaît le 28 janvier 1975 devant la commission de discipline du parquet. Mais, face à la mobilisation du Syndicat de la magistrature, on renonce à le sanctionner.)

Auteur: Baudot Oswald

Info:

[ appréciation bienveillante ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

oppression

Toutes les forêts s'emplissent de voix tonnantes! Tocsin! tocsin! Que de chaque maison il sorte un soldat ; que le faubourg devienne régiment ; que la ville se fasse armée. Les prussiens sont huit cent mille, vous êtes quarante millions d'hommes. Dressez-vous, et soufflez sur eux ! Lille, Nantes, Tours, Bourges, Orléans, Dijon, Toulouse, Bayonne, ceignez vos reins. En marche ! Lyon, prends ton fusil. Bordeaux, prends ta carabine. Rouen, tire ton épée, et toi, Marseille, chante ta chanson et viens terrible. Cités, cités, cités, faites des forêts de piques, épaississez vos baïonnettes, attelez vos canons, et toi village, prends ta fourche. On n'a pas de poudre, on n'a pas de munitions, on n'a pas d'artillerie ? Erreur ! on en a. D'ailleurs les paysans suisses n'avaient que des cognées, les paysans polonais n'avaient que des faux, les paysans bretons n'avaient que des bâtons. Et tout s'évanouissait devant eux ! Qui veut peut. Un mauvais fusil est excellent quand le coeur est bon ; un vieux tronçon de sabre est invincible quand le bras est vaillant. C'est aux paysans d'Espagne que s'est brisé Napoléon. Tout de suite, en hâte, sans perdre un jour, sans perdre une heure, que chacun, riche, pauvre, ouvrier, bourgeois, laboureur, prenne chez lui ou ramasse à terre tout ce qui ressemble à une arme ou à un projectile. Roulez des rochers, entassez des pavés, changez les sillons en fosses, combattez avec les pierres de notre terre sacrée, lapidez les envahisseurs avec les ossements de notre mère la France. O citoyens, dans les cailloux du chemin, ce que vous leur jetez à la face, c'est la Patrie... Faisons la guerre de jour et de nuit, la guerre des montagnes, la guerre des plaines, la guerre des bois. Levez-vous ! Levez-vous ! Pas de trêve, pas de repos, pas de sommeil ; le despotisme attaque la liberté, l'Allemagne attente à la France. Qu'à la sombre chaleur de notre sol cette colossale armée fonde comme la neige. Que pas un point du territoire ne se dérobe au devoir. Organisons l'effrayante bataille de la Patrie. O francs-tireurs, allez, traversez les halliers, passez les torrents, profitez de l'ombre et du crépuscule, serpentez dans les ravins, glissez-vous, rampez, ajustez, tirez, exterminez l'invasion. Défendez la France avec héroïsme. Soyez terribles, ô patriotes!

Auteur: Hugo Victor

Info: Publié par les Lettres française clandestines, n° spécial, 1er août 1944

[ résistance ] [ nationalisme ] [ Gaule ]

 

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enseignement de staretz

Nous ne sommes pas plus saints que les laïcs pour être venus nous enfermer entre ces murs, au contraire, tous ceux qui sont venus ici ont reconnu, du fait même d’y être venus, qu’ils étaient plus imparfaits que tous les laïcs et que tous et tout sur terre... Et plus le moine vivra longtemps entre ces murs, plus il devra être pénétré et conscient de cela. Car autrement, il était inutile qu’il vînt ici. Or, quand il aura compris que non seulement il est plus imparfait que tous les laïcs, mais aussi qu’il est coupable de tout et de tous envers tous les hommes, de tous les péchés humains collectifs et individuels, ce n’est qu’alors que sera atteint le but de notre réunion dans ces murs. Car sachez, mes bien-aimés, que chacun de nous individuellement porte sans conteste la faute de tous et de tout ici-bas, non seulement en raison de la faute collective, mais chacun individuellement pour tous les hommes et pour chaque homme sur terre. Cette prise de conscience est le couronnement de la voie monastique, aussi bien que de chaque homme ici-bas. Car les moines ne sont pas des êtres à part, mais seulement tels que devraient être tous les hommes sur terre. Alors seulement notre cœur sera ravi en un amour infini, universel, ignorant la satiété. Alors chacun de vous sera capable de gagner le monde entier par l’amour et de laver le péché universel par ses larmes... Que chacun explore son cœur, que chacun se confesse sans relâche. N’ayez pas peur de votre péché, même après en avoir pris conscience, pourvu que vous ayez le repentir, mais ne posez pas de conditions à Dieu. Je vous le répète, ne soyez pas orgueilleux. Ne soyez pas orgueilleux devant les humbles, ne le soyez pas davantage devant les grands. Ne haïssez pas ceux qui vous repoussent, qui vous honnissent, ceux qui vous insultent et qui vous calomnient. Ne haïssez pas les athées, les faux docteurs, les matérialistes, même les méchants d’entre eux et pas seulement les bons, car parmi eux aussi beaucoup sont bons, surtout de nos jours. Incluez-les ains dans vos prières : Sauve, Seigneur, tous ceux qui n’ont personne pour prier pour eux, sauve aussi ceux qui ne veulent pas Te prier. Et ajoutez aussitôt : car moi-même je suis le plus abject de tous... Aimez le peuple de Dieu, ne laissez pas les intrus détourner le troupeau, car si vous vous endormez dans la paresse, dans votre orgueil méprisant et surtout dans la cupidité, on viendra de tous les pays vous ravir votre troupeau.

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: Dans "Les Frères Karamazov", traduction d'Elisabeth Guertik, le Cercle du bibliophile, pages 208-209

[ sermon ] [ religieux ] [ communion des saints ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

bruit organisé

La musique était comme une pénétration. Absorption est peut-être un mot moins lourd. Pénétration ou absorption de toute chose en elle-même. Je ne sais pas si vous avez déjà pris du LSD, mais lorsque vous le faites, les portes de la perception, comme Aldous Huxley, Jim Morrison et leurs adeptes nous le rappellent sans cesse, s'ouvrent en grand. C'est en fait le genre de phrase, à moins que vous ne soyez William Blake, qui n'a de sens que lorsqu'il y a du LSD qui nage en vous. Dans la lumière froide de la tasse de café et du sandwich à la banane qui sont à côté de moi maintenant, cela semble être un non-sens, mais j'aimerais que vous sachiez ce que cela signifie. Le LSD révèle la nature des choses, leur quiddité, leur essence. L'aspect aqueux de l'eau vous est soudainement révélé, l'aspect moquette des moquettes, l'aspect bois du bois, l'aspect jaune du jaune, l'aspect ongles des ongles, le tout du tout, le rien du tout, le tout du rien. Pour moi, la musique donne accès à toutes ces essences, mais à une fraction du coût social ou financier d'une drogue et sans avoir besoin de crier "Wow !" tout le temps, ce qui est l'effet secondaire le plus pénible et le moins agréable du LSD.

...La musique, dans la précision de sa forme et la tyrannie mathématique de ses lois, s'évade dans une éternité d'abstraction et un sublime absurde qui est partout et nulle part à la fois. Le grognement d'un boyau frotté à la colophane, le souffle de salive d'un tube de cuivre, le grincement d'un doigt en sueur sur une frette de guitare, toute cette physicalité, toute cette "fabrication du son" maladroite, tout ce grain de performance humaine... se transcende au moment où elle se produit, au moment où la musique est réellement là, lorsqu'elle fait le voyage entre l'instrument qui sonne, le haut-parleur hi-fi vibrant, et qu'elle envoie tout ça vers le tympan humain, l'oreille interne et au cerveau, et que l'esprit se met à vibrer à des fréquences qu'il a lui-même créées.

Le néant de la musique peut être modelé par l'humeur de l'auditeur dans les formes les plus précises ou être laissé libre comme la pensée ; la musique peut suivre le modèle académique et théorique de sa propre modalité ou adhérer à un programme narratif ou dialectique imposé par un ami, un érudit ou le compositeur lui-même. La musique est tout et rien. Elle est inutile et aucune limite ne peut être fixée à son utilisation. La musique m'emmène dans des lieux de joie sensuelle et insensée illimitée, accédant à des points d'extase qu'aucune amante angélique ne pourrait jamais localiser, ou me plongeant dans des enfers de douleur pleurnicharde qu'aucun tortionnaire ne pourrait jamais concevoir. La musique me permet d'écrire ce genre de bêtises d'adolescent sans gêne. La musique, c'est vraiment les couilles du chien. Rien d'autre ne s'en approche.

Auteur: Fry Stephen

Info: Moab Is My Washpot

[ miroir ] [ interprétation ] [ panorama ] [ cognition auditive ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

dialogue imaginaire

Café-Restaurant Lafayette (octobre 1926)

Rinette* me voici à Toulouse. Je garde de ces quelques jours à Paris un souvenir pauvre. Des visites, des courses, l’examen. Le déménagement de ma chambre d’hôtel. Le transport compliqué de malles trop lourdes pleines de livres et d’un tas d’objets extraordinaires dont je n’ai pas su me détacher. (...)

Maintenant je viens enfin m’asseoir tranquillement auprès de vous. Ce que vous ne m’avez pas permis là-bas. et vous me reprochiez de ne pas faire la cour à des tas de gens dont je me moquais éperdument et qui me volaient votre présence - je sais mal préciser ma grande rancune. (…) Et je viens m’asseoir près de vous ce que sans doute vous ne me permettez pas non plus. Ce qui vous agace. Mais si vous saviez comme je m’en moque. Car je vous fabrique ce soir à mon gré et si vous saviez comme vous êtes gentille. Au fond ce sont les seules conversations que j’aie avec vous. Celles que j’invente en moi-même. Et vous êtes d’une patience. Et d’une intelligence : vous comprenez tout. Et moi je deviens bavard : ça c’est merveilleux. Quelle revanche je prends avec mon amie inventée. Car c’est peut-être parce que je vous invente que je tiens tellement à vous. Parfois pourtant vous cadrez avec votre image. En tout cas vous l’alimentez. (…)

C’est dommage que vous soyez capable de me faire parfois un peu de peine - et que je me protège si mal. Car votre image est ce soir très légère. Si j’écrivais des vers je dirais de bien jolies choses. Je dirais "votre image - à la ligne - pèse le poids d’une colombe…" Ça c’est ravissant. Et puis c’est aimable. Je ne sais pas si vous comprenez combien c’est ravissant. Cet oiseau envisagé comme quelque chose de pas durable. On fait "Pfff…" et on est libre. Malheureusement parfois c’est un pavé. Devant ma boîte aux lettres je fais bien " Pfff…". Mais le pavé pèse tout de même. Voilà. Tant pis pour vous, cette lettre. D’ailleurs elle n’est pas adressée à vous. J’ai bien le droit de faire la conversation avec moi-même. J’ai un peu déballé mes valises, mais en trichant. Maintenant si vous vous attendez à ce que je vous dise la date de mon départ, le temps qu’il fait et le menu de mon dîner vous n’aurez rien. Je possède à St-Maurice un grand coffre. J’y engloutis depuis l’âge de sept ans mes projets de tragédie en cinq actes, les lettres que je reçois, mes photos. Tout ce que j’aime, pense et tout ce dont je veux me souvenir. Quelquefois j’étale tout pêle-mêle sur le parquet. Et à plat ventre je revois des tas de choses. Il n’y a que ce grand coffre qui ait de l’importance dans ma vie. Le reste, le temps qu’il fait, le menu des dîners, ce que je deviendrais je m’en fous. Je n’ai plus rien à dire à votre image…

Antoine

Auteur: Saint-Exupéry Antoine de

Info: Lettres de jeunesse, Gallimard Folio, 1976, extraits des pp 59 à 63. *Renée de Saussine, amie d'enfance

[ épistole ] [ prosopopée ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste